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M JEAN LOUIS FISCHER Histoire de la découverte de la reproduction du Triton et de la Salamandre In: Revue d'histoire des sciences et de leurs applications. 1969, Tome 22 n°3. pp. 237-256. Citer ce document / Cite this document : FISCHER JEAN LOUIS. Histoire de la découverte de la reproduction du Triton et de la Salamandre. In: Revue d'histoire des sciences et de leurs applications. 1969, Tome 22 n°3. pp. 237-256. doi : 10.3406/rhs.1969.2593 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0048-7996_1969_num_22_3_2593

Histoire de la découverte de la reproduction du Triton et de la Salamandre

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M JEAN LOUIS FISCHER

Histoire de la découverte de la reproduction du Triton et de laSalamandreIn: Revue d'histoire des sciences et de leurs applications. 1969, Tome 22 n°3. pp. 237-256.

Citer ce document / Cite this document :

FISCHER JEAN LOUIS. Histoire de la découverte de la reproduction du Triton et de la Salamandre. In: Revue d'histoire dessciences et de leurs applications. 1969, Tome 22 n°3. pp. 237-256.

doi : 10.3406/rhs.1969.2593

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0048-7996_1969_num_22_3_2593

Histoire de la découverte

de la reproduction du Triton

et de la Salamandre

L'histoire de la découverte de la reproduction chez les Amphi- biens Urodèles s'échelonne de 1727 à 1880. Durant un siècle (t demi, les naturalistes élèvent et observent des tritons, des salamandres, en s'interrogeant sur la manière dont ils se reproduisent. Certes, nombreux sont ceux qui croient avoir découvert le mode de génération chez les Urodèles, mais les naturalistes trop crédules répètent souvent des textes sans vérifier l'exactitude des observations décrites. Si ce problème est resté aussi longtemps sans solution valable, c'est que les Urodèles sont des animaux difficiles à observer. Il faudra attendre la mise au point d'une technique permettant d'étudier les tritons sous un angle meilleur que ne le permet la simple observation dans un banal aquarium.

La première découverte importante est celle de l'ovoviviparité chez la salamandre par Maupertuis. En 1727, celui-ci expérimente sur cet animal pour dénoncer ce qui était admis à l'époque, à savoir que la salamandre traversait le feu et était dangereuse pour l'homme. Latreille dira justement de Maupertuis : « II suffira d'apprendre que Maupertuis, faisant l'office de médiateur pour ces animaux, les a réconciliés avec nous » (1). Pendant ses manipulations, Maupertuis ouvre des salamandres, qu'il regardait comme le tithymale des animaux (2), par analogie entre le « lait » sécrété par la plante et le « lait venimeux » sécrété par la salamandre, et il trouve des petits vivants à l'intérieur des femelles.

(1) P.- A. Latreille, Histoire naturelle des salamandres de France, Paris, an VIII (1800), p. 25.

(2) L.-M. de Maupertuis, Observations et expériences sur une des espèces de Salamandre, Histoire de V Académie Royale des Sciences, année 1727 , Paris, chez Durand, 1729, Mém., p. 28.

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« J'ajouterai un fait qui me paraît digne de remarque. Ayant ouvert quelques salamandres, je fus surpris de trouver dans la même tout à la fois, des œufs, et des petits aussi parfaits que ceux des vivipares... Je comptai dans une salamandre 42 petits, et dans une autre 54, presque tous vivants ; aussi bien formés, et plus agiles que les grandes salamandres » (1).

Et Maupertuis va conclure en ces termes : « Ces animaux paraissent bien propres à éclaircir le mystère de la génération ;

car quelque variété qu'il y ait dans la nature, le fond des choses s'y passe assez de la même manière. L'on sait assez quels avantages l'on retire de l'Anatomie comparée ; la connaissance parfaite d'un seul corps ne serait peut-être le prix, que de l'examen impossible de tous les corps de la nature » (2).

Éclaircir le mystère de la génération, Maupertuis n'y parviendra pas, et il abandonnera l'étude des salamandres, au grand désespoir de Ch. Bonnet, pour qui « il serait à désirer que notre auteur eût plus approfondi cette partie de l'histoire de la salamandre » (3). Pour Bonnet, préformationniste, la découverte de Maupertuis devenait un argument « ... en faveur des physiciens qui pensent que les petits des vivipares sont renfermés originairement dans les œufs » (4). Quant à Maupertuis, il ne pouvait considérer cet argument, car il expliquait la formation de l'être par le concours de « molécules séminales » mâles et femelles.

Cette découverte de la « viviparité » chez la salamandre aurait dû guider les naturalistes qui s'intéressèrent à la question vers la notion de fécondation interne chez les Urodèles. Si, très tôt, Spallanzani affirma et démontra que la fécondation est bien interne chez le triton, nous verrons, par la suite, certains auteurs se prononcer en faveur d'une fécondation externe.

Ce sera un médecin naturaliste français, Demours, qui avança le premier (1764) que la fécondation est interne chez le triton.

« La fécondation de la salamandre femelle [à cette époque on nommait le triton salamandre aquatique pour la différencier de la salamandre terrestre, les salamandres étaient classées comme lézards avec les Reptiles] se fait sans contact de la part du mâle, qui, se tenant à un pouce environ de distance de la femelle et au-dessus, éjacule sa liqueur séminale sur ses flancs, et cette liqueur trouble un peu l'eau où se trouvent ces animaux » (5).

(1) Id., ibid., p. 32. (2) Id., ibid., p. 32. (3) Ch. Bonnet, Considérations sur les corps organisés..., etc., 3e éd., Amsterdam,

1776, t. II, chap. V, p. 129. (4) Id., ibid., pp. 128-129. (5) M. Demours, Observations au sujet de deux animaux dont le mâle accouche la

femelle, Histoire de l'Académie Royale des Sciences, année 1778, Paris, Imp, Royale. 1781, Mém., p. 17, en note.

Fig. 1. — Représentation de spermatozoïdes par Spallanzani I et II : Homme; III : Cheval; IV : Taureau; V : Carpe; VI et VII : Triton • VIII : Grenouille. ' Spallanzani écrit à propos des spermatozoïdes de triton : « Je vis tout l'appendice de

chaque corpuscule couvert de chaque côté par deux suites de petites pointes, qui se mouvaient toutes ensemble comme de très petites Rames ; pendant qu'elles se mouvaient ainsi, les corpuscules changeaient de place ; mais quand elles cessaient de remuer, les corpuscules cessaient aussi de se mouvoir. » Opuscules de Physique, t. II, p. Пэ!

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Demours observera aussi les jeux amoureux des tritons, mais n'approfondira pas l'étude des Urodèles (nous lui devons cependant, dans le monde des Amphibiens, la découverte en 1778 des mœurs de l'alyte ou crapaud accoucheur).

L. Spallanzani (1) se pencha sur le problème de la génération des tritons (1768), et donne une description de leur comportement sexuel. Il observe tout d'abord la danse du mâle autour de la femelle, prélude à la fécondation, et remarque l'influence que la température peut y exercer. « Gela dépend de la chaleur plus ou moins grande de la saison qui avance ou qui retarde cet événement » (2) ; puis il décrit ce qu'il croit être la fécondation.

« Pendant qu'il (le mâle triton) remue la queue avec légèreté, il s'échappe par l'ouverture de l'anus, qui est plus dilaté qu'à l'ordinaire, un jet abondant de liqueur séminale qui se mêle avec l'eau et qui arrive avec elle jusqu'à l'anus de la femelle, qui paraît plus gonflé et plus ouvert » (3).

Le mâle s'éloigne alors de la femelle et revient parfois : « J'ai vu ces alternatives durer plus d'une heure ; pendant ces moments, on

peut les prendre, les mettre sur la main sans qu'ils s'en aperçoivent. Pendant que le mâle s'agite ainsi dans les doigts, il laisse échapper quelques petites gouttes de liqueur séminale, dont la couleur est très blanche et qui ressemble à un lait très épais » (4).

Spallanzani adopte la thèse de la fécondation interne chez le triton sans accouplement : « ce fait curieux que j'ai observé le premier » (5), écrira-t-il, car il ignorera quelque temps les observations de Demours. Il en prendra connaissance, en 1775, par l'intermédiaire du Dictionnaire raisonné universel d'histoire naturelle (lre éd.) de V. de Bomare. Spallanzani n'appréciait guère de Bomare, qui continuait de nier l'existence des animalcules spermatiques, alors que lui-même avait donné une description assez exacte des spermatozoïdes de nombreux animaux et particulièrement du triton (6). Bomare devint un « faiseur de dictionnaire » (7) ; du

(1) J. Rostand, Les expériences de Lazare Spallanzani, in Esquisse ďune histoire de la biologie, Paris, 1945, chap. VII, p. 87.

(2) L. Spallanzani, Expériences pour servir à V histoire de la génération des animaux et des plantes, etc., par J. Senebier, Genève, 1785, chap. V, p. 53.

(3) Id., ibid., p. 56. (4) Id., ibid., p. 56. (5) Id., ibid., p. 57. (6) L. Spallanzani, Sur les petits vers spermatiques, in Opuscules de physique animale

et végétale, par Senebier, Genève, 1777, t. II. (7) Cité par J. Rostand, in Les origines de la biologie expérimentale et Vabbé Spallanzani,

Paris, 1951, chap. XI, p. 142.

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reste, de la fin du xvine siècle jusqu'à la fin du xixe siècle, ce sera la période des Dictionnaires d'histoire naturelle, qui permirent de rendre plus compréhensible une science qui devenait importante. Mais Spallanzani ne s'arrêta pas à une simple description des jeux amoureux chez le triton. En expérimentateur consciencieux qu'il était, il justifia ses idées sur la fécondation interne de la manière suivante :

« Dès que les mâles commençaient à poursuivre les femelles, je tenais celles-ci isolées dans des vases pleins d'eau, elles s'y délivraient de leurs œufs, et ces œufs restaient stériles ; alors je leur donnais des mâles qui ne tardaient pas à lancer leur sperme suivant leur manière ; puis j'isolais de nouveau ces femelles, et je voyais que les premiers œufs, au nombre de cinq ou six qu'elles mettaient bas, étaient féconds, au lieu que ceux dont elles se délivraient après ces premiers restaient stériles. Dans une autre expérience, j'ouvris une femelle qui avait eu commerce avec un mâle, et en triant les œufs de Poviducte, je mis à part ceux qui étaient proches de l'anus ; ils vinrent tous à bien ; les autres qui étaient plus éloignés de cet orifice périrent » (1).

Expérience simple et nette qui ne devait plus laisser de doute quant à la fécondation interne chez le triton. Mais il ne put démontrer entièrement leur mode de fécondation comme il le fit avec la grenouille et le crapaud. Déjà, vers les années 1758, Swammerdam avait observé l'émission du sperme par le mâle grenouille au moment où la femelle évacue ses œufs. Spallanzani, continuant les expériences de Réaumur, réalisa l'insémination artificielle chez la grenouille et le crapaud vers 1777, ce qui ne laissait plus de doute quant à l'idée de la nécessaire présence du sperme pour le développement des œufs. Spallanzani, oviste et préformationniste, dira que le sperme est nécessaire pour vivifier les œufs et non pour les féconder. L'œuf de grenouille et de triton sera une consolation dans ses idées préformationnistes ; et, à l'image de Ch. Bonnet, il ne verra aucune différence entre l'œuf non vivifié et vivifié, ce qui signifie que l'être existe déjà dans l'œuf avant l'apport du sperme. C'est ainsi qu'il ignorera le spermatozoïde comme élément fécondateur.

Que savions-nous, en 1768, sur la génération des tritons ? Les observations de Maupertuis sur la « viviparité » de la salamandre, celles de Demours, et les expériences de Spallanzani, malgré une certaine inexactitude dans leur interprétation, nous prouvent que la fécondation est bien interne chez les salamandres aquatiques et terrestres. A cette époque, le type de fécondation

(1) V. de Bomare, Dictionnaire raisonné universel d'histoire naturelle, nouv. éd., Lyon, an VIII (1800), t. 12, p. 465.

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chez les tritons aurait dû ne laisser aucun doute, comme pour la grenouille. Mais il n'en sera rien. Nous verrons que le problème sera posé de nouveau, sous bien des formes.

Nous terminerons l'étude du xvnie siècle en donnant l'opinion de deux naturalistes, Lacépède et Bonnaterre, sur la génération des salamandres.

L'Histoire naturelle des Quadrupèdes ovipares (1788), de Lacépède, sera le premier ouvrage important consacré aux Amphibiens, Reptiles et par la suite aux Cétacés. Au chapitre de la salamandre à queue plate (salamandre aquatique des auteurs précédents), Lacépède se réfère, au sujet de la génération, aux observateurs déjà cités ; et si Demours décrivit la liqueur séminale du triton blanchâtre et bleuâtre, Spallanzani la décrira comme blanchâtre et laiteuse ; Lacépède ne la verra plus que bleuâtre : « Cette liqueur... donne à l'eau une légère couleur bleuâtre » (1). A propos de la salamandre terrestre, il cite l'observation d'un bénédictin de la Congrégation de Cluny, dom Saint-Julien, qui confirme la découverte de Maupertuis. Au printemps 1787, dom Saint- Julien trouva une salamandre terrestre femelle dont la grosseur du ventre lui « fit espérer de trouver quelque éclaircissement sur la génération de ce reptile » (2). L'ayant emmenée chez lui pour la disséquer, il trouva des petits vivants qu'il accoucha, puis il les mit dans l'eau « où ils nagèrent très bien » (3).

L'abbé Bonnaterre publia, en 1789, un ouvrage important d'histoire naturelle : Tableau encyclopédique et méthodique des trois règnes de la nature, en plusieurs volumes, dont un fut consacré à l'herpétologie. Bonnaterre, contrairement à ce que l'on tend à imposer aujourd'hui, n'acceptera pas la nomination d'amphibie donnée aux grenouilles et crapauds, car pour lui l'homme est aussi amphibie que ces animaux sans pourtant leur ressembler. Il sera partisan de la fécondation interne chez la salamandre à queue plate, et affirme que les œufs sont pondus ensemble : « Elle pond des œufs qui sont joints ensemble par une matière visqueuse... » (4). Pour la salamandre terrestre, il cite les expériences de Maupertuis

(1) Œuvres du comte de Lacépède, comprenant l'histoire naturelle des Quadrupèdes ovipares, des Serpents, des Poissons, et des Cétacés, Paris, 1836, t. I, p. 129.

(2) Id., ibid., p. 124. (3) Id., ibid., p. 125. (4) Bonnaterre, Tableau encyclopédique et méthodique des trois règnes de la nature,

Htrpétologie, Paris, 1789, p. 64.

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Fig. 2. — Planche extraite des Œuvres du comte de Lacépède

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sur la « viviparité » qu'il reproduisit et qu'il publia le 5 janvier 1788 dans le Journal de Normandie :

« J'ouvris donc le ventre de la victime de ma curiosité ; et après avoir enlevé le rectum qui, dans cet animal, est très gros, je vis, avec autant de surprise que de plaisir, deux grappes d'œufs d'un blanc mat, un peu jaune, gros comme des grains de corriandre, et les deux côtés transparents d'une double matrice, remplis de petits tous vivants... Je les en fis sortir les uns après les autres. Il y en avait sept dans le côté droit, et huit dans le côté gauche ; ils étaient roulés chacun dans leur enveloppe. A mesure que je les en tirais, ils restaient allongés, sans mouvement pendant une seconde ; mais au bout de ce temps, vraisemblablement après avoir respiré, ils devenaient aussi vifs que des petits poissons, et ils sautaient avec tant de promptitude que j'avais de la peine à les reprendre pour les jeter dans l'eau- de-vie..., ces petits ont seize lignes de long ; ils sont gros comme des petits poissons de cette taille ; ils sont gris, tachetés de points noirs. Leurs quatre pattes sont détachées et bien formées, et leur queue est garnie de nageoires perpendiculaires dessus et dessous, comme celle du têtard de la grenouille quand elle a quitté sa couleur noire » (1).

Nous commencerons le xixe siècle avec l'examen du premier livre consacré entièrement à Y Histoire naturelle des salamandres de France, par Pierre-André Latreille (1762-1833). Latreille, l'un des fondateurs de l'Entomologie, s'intéressa aussi aux Amphibiens. Son petit livre (1800) est un ouvrage de vulgarisation sur la classification et les mœurs des salamandres. Si les naturalistes de l'époque rencontraient des difficultés pour comprendre les phénomènes de la génération, chez les Urodèles entre autres, ils n'en rencontraient pas moins en ce qui concernait leur classification. Ce sera Brongniart qui donnera, en 1799, une classification relativement correcte des Amphibiens, en séparant les salamandres d'avec les lézards pour les placer avec les grenouilles et crapauds. Latreille ne persévéra pas dans l'étude des Amphibiens. Il fut traité de « compilateur » par Constant Duméril (2) ; en plus, il classait encore les Cécilies avec les Ophidiens (3) ; mais nous devons cependant noter qu'il fit preuve de hardiesse en classant l'axolotl parmi les Caducibranches (1825), alors qu'à la même époque Cuvier le classait avec les Pérennibranches. Quant à la génération des salamandres, il se référera aux auteurs précités. Puis, quelques années plus tard, le naturaliste italien Rusconi écrivit, en 1821, un très beau livre, Les amours des salamandres aquatiques, orné de gravures joliment dessinées et très exactes, représentant le

(1) Id., ibid., p. 62. (2) A.-M.-C. Duméril, et G. Bibron, Erpétologie générale ou histoire naturelle

complète des Reptiles, Paris, 1841, t. 8, p. 28. (3) Id., ibid., p. 29.

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développement du triton, ainsi que les jeux sexuels des adultes. Rusconi est le premier à observer le déroulement de la ponte du triton ; il dénonce les erreurs de Spallanzani, qui affirmait que les œufs tombent au fond de l'eau sitôt pondus, et celles de Cuvier, qui écrivait dans le Règne animal que les œufs « sortent en longs chapelets » (1). Il note que les femelles déposent les œufs un à un en les enroulant dans les feuilles de plantes aquatiques. Découverte qui émut sa sensibilité de naturaliste : « Je ne dirais quel plaisir j'éprouvais en acquérant cette connaissance » (2).

En regardant les tritons, il fait aussi une observation qui eût permis de donner la réponse au problème de la fécondation chez les Urodèles, mais à laquelle il n'attachera aucune importance ; en parlant du mâle :

« On remarque même sur son tronc, par-ci, par-là, de très légères contractions, enfin les petits flocons de mucus blanc très épais qui, en sortant de l'anus, vont au fond de l'eau, nous prouvent assez que l'animal goûte dans ce moment ces plaisirs de la jouissance que la nature semble avoir préparés à tous les animaux pour les engager à remplir ses vues » (3).

Ainsi Rusconi, en parlant des petits flocons de mucus blanc très épais, nous décrit le mâle en train d'émettre des spermato- phores. Mais il faudra attendre cinquante-trois ans avant que l'on ne fasse de nouveau cette observation en lui donnant une interprétation valable. Rusconi fut aussi le premier à donner une description de l'embryogenèse de la salamandre aquatique (son sujet de recherche fut le triton marbré) :

« Je dirais seulement qu'il n'est pas, à mon avis, de plus agréable et de plus curieux spectacle que celui qu'offre au naturaliste philosophe la petite salamandre, dans l'espace de temps qu'elle est encore dans l'œuf, ou lorsqu'elle en est sortie depuis peu de jours » (4).

Mais, pour mieux décrire le développement du triton, il en fera lui-même toute une série de dessins, car « le plaisir très vif que me procurèrent ces scènes intéressantes me donna sur-le- champ l'idée de les faire connaître aux naturalistes, en publiant un ouvrage sur les salamandres, dans le même genre que celui que nous a donné, sur les grenouilles de son pays, le célèbre naturaliste de Nuremberg, M. Rœsel » (5).

(1) G. Cuvier, Règne animal, nouv. éd., Paris, 1829, t. II, p. 115. (2) M. Rusconi, Les amnurs des salamandres aquatiques, etc., Milan, 1821,

p. 22. (3) Id., ibid., p. 33. (4) Id., ibid., pp. 22-23. (5) Id., ibid., p. 24.

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Mais, plus exactement, « pour suivre en tout point l'exemple de ce célèbre écrivain, je résolus de graver moi-même les planches » (1).

Du reste, ses dessins sont si expressifs et si justes que l'on s'en servira même à notre époque pour illustrer les ouvrages consacrés aux Batraciens. Rusconi fut un critique et c'est dans ce sens qu'il adressa une lettre à С Duméril qui prétend que le germe dans l'œuf des Batraciens est un petit point noir fixé sur l'un des points du vitellus identique à celui des Oiseaux. Or, Rusconi affirme que le « germe est l'œuf tout entier » (2). Il critiquera aussi la découverte du baron de Schreibers, qui observa le premier la viviparité de la salamandre noire. La salamandre noire, qui vit dans les Alpes en altitude, ne met au monde que deux petits à l'état parfait. Ils ne possèdent ni branchies ni nageoires et ne mènent donc pas une vie aquatique comme cela se produit pour les petits de la salamandre terrestre. Rusconi prend cette découverte avec circonspection, car « les taches jaunes qu'offre la salamandre commune, et qui manquent dans celle des Alpes, ne peuvent pas produire une différence si énorme entre ces deux espèces sous le rapport de leurs petits... » (3).

Il est dommage que Rusconi n'ait pas considéré cette découverte de Schreibers ; bien qu'elle fût aussi importante que la sienne lorsqu'il découvrit la façon de pondre des femelles de triton, il reste méfiant à l'égard de ce qu'il ne voit ni ne constate pas lui-même.

Rusconi, qui avait divulgué le résultat de ses recherches sur les mœurs des salamandres avant de les publier en entier, tant il avait hâte de les faire connaître, fut conduit aux réflexions que voici :

« J'ai anticipé sans la moindre défiance sur cette petite découverte, bien persuadé qu'aucun naturaliste, par bienséance au moins, ne viendrait pas moissonner dans un champ que j'avais moi-même défriché et dans lequel j'étais prêt

(1) Id., ibid., p. 24. (2) Lettre de M. Rusconi à M. Duméril sur le mode de fécondation des Batraciens

Urodèles, et sur quelques particularités offertes par la salamandre terrestre, in Giornale délie Scienze Medico Chirurgické, Pavia, 1839, t. X, fasc. LV, p. 12. Duméril fera allusion à cette lettre de Rusconi dans son Erpétologie générale, t. 9, p. 65. « Si M. Rusconi, dont les travaux consciencieux ont acquis à cet auteur une si grande autorité dans la science, avait mieux connu le fait, il n'aurait pas à regretter aujourd'hui les railleries peu obligeantes qu'il s'est permises à notre égard, en exprimant son incrédulité, dans une lettre imprimée que nous n'avons jamais reçue en original, mais dont nous avons pris connaissance à la Bibliothèque de l'Institut. »

(3) Ibid., p. 7.

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à recueillir des fruits dont je devais faire part au public ; j'ai fait connaître d'avance ce qui m'est propre, bien assuré que personne n'aurait envahi un terrein (sic) dont je m'étais déjà emparé et dont l'accès, d'après les choses que j'avais publiées, était devenu, même pour d'autres, extrêmement facile. En faisant part au public de cette découverte, aurais-je compté trop sur ces égards que les hommes en société et surtout qui cultivent les sciences se doivent réciproquement ? Aurais-je fait trop de fonds sur cet amour pour le progrès des Sciences qui doit, en réprimant tout orgueil insupportable, réunir les hommes de lettres, de quelque pays qu'ils soient, en une seule famille et les porter tous à travailler de concert pour atteindre le même but ? Si l'avenir me prouve que quelqu'un ait abusé de ma confiance, j'essaierai de m'en consoler en réfléchissant que j'ai détruit des erreurs, que j'ai enrichi la Science de quelques faits nouveaux, sur lesquels on ne me disputera pas le droit de primauté ; oui, c'est en faisant cette réflexion que je tâcherai d'oublier les torts qu'on m'aura faits. Cultivant, dans ma paisible retraite, une science qui a cessé depuis peu de faire parmi nous partie de l'enseignement public, sans encouragement d'aucune espèce, privé de toutes les ressources, de tous les moyens qu'un simple particulier ne saurait avoir, et que les gouvernements seuls peuvent donner, pourrais-je trouver une autre source de consolation si ce n'est dans la conviction intime d'avoir, en quelque façon, contribué aux progrès de la science à laquelle je me suis entièrement voué par goût ? Je n'espère pas aux récompenses. Dans ma position, l'idée d'une récompense quelconque et de quelque part qu'elle vienne ne saurait trouver place dans mon esprit ; mais si mes faibles travaux devaient en mériter une, je la trouverais toute et suffisante s'ils pouvaient exercer quelques influences sur ces esprits bornés, chez lesquels l'utilité de l'ana- tomie comparée est encore un simple sujet mis en question. Je m'estimerais très heureux si ces travaux pouvaient mettre en évidence l'utilité de l'anatomie comparée en histoire naturelle et en physiologie. Mais comment me flatter qu'une voix aussi faible que la mienne puisse être entendue par des personnes, qui, sourdes à celles du grand Haller, de Scarpa, de Cuvier et de beaucoup d'autres écrivains célèbres, témoignent de l'éloignement pour l'anatomie, dans l'instant même où cette science devient la base du système zoologique ? Non ; c'est peut- être demander l'impossible ; il est des vérités qu'il n'appartient qu'au temps seul de faire connaître et d'établir » (1).

Si la découverte de Schreibers parut douteuse à Rusconi, par contre Darwin, dans son Origine des espèces, se servira de cette découverte comme exemple dans le chapitre « Des organes rudi- mentaires », car si la salamandre terrestre fait des petits avec des branchies, qui mènent une vie aquatique, la salamandre alra fera des petits, sans branchies, directement adaptés à la vie terrestre (mais les petits de la salamandre noire passent aussi par une phase de développement branchial leur permettant de vivre dans l'eau). Ainsi, les branchies organes parfaits nous paraissent inutiles pour la vie uniquement terrestre de l'espèce, mais ils rappellent l'origine ancestrale de l'espèce (2). Quant au mode de fécondation des tri-

(1) M. Ruscom, Les amours des salamandres aquatiques..., etc., Milan, 1821, pp. 25-27. (2) Ch. Darwin, L'origine des espèces, au moyen de la sélection naturelle, par

Ed. Barbier, Paris, 1896, p. 533.

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tons, Darwin se référera à Bell, qui y voit une fécondation externe du type poisson (1).

La plupart des naturalistes de l'époque sont persuadés que les tritons se reproduisent suivant le mode décrit par Demours et Spallanzani. Toutefois, en 1824, E. Home décrit la façon dont les axolotls « s'accouplent » :

« II est curieux que, dans le contact momentané des deux sexes, les organes mâles paraissent entourer et envelopper ceux de la femelle, contrairement à ce qu'on observe chez les autres animaux » (2).

Ici un élément nouveau apparaît : c'est le contact entre les deux sexes — , idée qui sera reprise un peu plus tard.

Constant Duméril (1774-1860), médecin naturaliste, professeur au Muséum de Paris de 1825 à 1857, en collaboration avec Bibron, composa un important traité ď Erpétologie générale (1834-1854). C. Duméril prendra position à la fois pour la fécondation externe et pour la fécondation interne du triton. Tout d'abord, « lorsqu'il (le mâle triton) s'aperçoit qu'un œuf sort du cloaque ou quand il est près d'en franchir l'orifice, on voit jaillir de la fente longitudinale de ses organes génitaux externes, dont à cette époque les bords ou les lèvres sont, comme nous l'avons dit, toujours gonflés et diversement colorés, une petite quantité de son humeur séminale, qui, suspendue et mêlée à l'eau, la trouble et la blanchit comme le ferait un peu de lait. Ce véhicule du sperme vient envelopper l'œuf et le vivifier, très certainement de la même manière que la laitance des Poissons osseux sert à la fécondation des germes, car ils resteraient stériles et seraient bientôt décomposés sans cette intervention de la liqueur prolifique dont le mâle vient les inonder » (3).

Dans un autre chapitre nous pouvons lire : « On s'est assuré que cette humeur absorbée par le cloaque vient féconder

les œufs ou au moins ceux de ces œufs qui sont prêts à sortir, et que la liqueur séminale du mâle arrive ainsi dans l'oviducte sur une assez grande étendue pour y vivifier les germes dans lesquels elle pénètre » (4).

Vivifier les germes, nous retrouvons ici un langage de préfor- mationniste. G. Duméril conclura en pensant qu'il y a une fécondation externe pour les tritons qui pondent des œufs, tandis que la fécondation interne irait forcément de pair avec l'ovoviviparité comme chez la salamandre. Cette idée n'est pas nouvelle, puisque

(1) Ch. Darwin, La descendance de Г homme et la sélection sexuelle, trad. fr. par Ed. Barbier, Paris, 1891, p. 383.

(2) E. Home, Account of the organ generation Mexican Proteus, in Trans, roy. Soc, 1824, p. 420.

(3) A.-M.-C. Duméril, et coll., Erpétologie générale ou Histoire naturelle des Reptiles, Paris, 1854, t. 9, p. 15.

(4) Id., ibid., p. 125.

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Dufay avait parlé dans le même sens quelques années plus tôt. H. Gachet étudia (1832), dans les environs de Bordeaux, le

triton marbré que l'on nomme aussi dans la région « scorpion ». Il s'intéresse aux caractères sexuels secondaires, pousse d'une crête dorsale et caudale, gonflement des lèvres cloacales chez le mâle. Il note que les tritons vont à l'eau au printemps et en res- sortent vers le mois de juin pour mener une vie terrestre. Cependant, certains retournent à Геаи dès le mois d'octobre avec « tous les attributs qui commencent l'époque de la reproduction » (1). C'est là une observation nouvelle que les salamandres (tritons) ont leurs organes génitaux prêts à fonctionner à partir de l'automne.

Le triton présente, dans sa reproduction, bien des particularités que les naturalistes des années 1830 cherchèrent à éclaircir. On étudia ses cellules sexuelles, l'œuf et le spermatozoïde que l'on observait d'un peu plus près, grâce aux appareils d'optique plus perfectionnés. Les spermatozoïdes du triton se distinguent des autres formes jusqu'alors connues. Spallanzani, en 1771-1777, avait vu la queue du spermatozoïde de triton couverte de cils qui

Fig. 3. — Réceptacle séminal du triton; a, a, tubes vides; b, b, tubes renfermant des spermatozoïdes ; c, taches pigmentaires. D'après Siebold.

donnaient un mouvement vibratoire à « l'animalcule ». Ce ne sera qu'en 1841 que Duvernoy leur donnera le nom de spermatozoïde. D'autres auteurs confirmèrent ses vues, mais Siebold (1837) nia la présence de cils pour y voir une membrane qu'il ne sut pas très bien définir. Dujardin (1838) constatera bien les mouvements vibratoires de la queue, mais pensera qu'il s'agit simplement d'un filament et non d'une membrane. C'est à Amici que nous devons

(1) H. Gachet, Notice sur le triton marbré, in Actes de la Société Unnéenne de Bordeaux, 1832, t. V, p. 292.

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la première description exacte (1844) du spermatozoïde de triton avec sa membrane ondulante. Pouchet (1847) et Leuckart (1853) confirmèrent les observations d'Amici.

Siebold, en étudiant les spermatozoïdes du triton, découvrit, en 1858, à la base du cloaque des femelles de salamandre noire, ainsi que chez différentes espèces d'Urodèles, de petites glandes tubuleuses remplies de spermatozoïdes qu'il nomma Receptaculum

h

Fig. 4. — Tube du réceptacle séminal isolé; aa, bb, cellules épithéliales ; c, spermatozoïdes. D'après Siebold.

Seminis (1). Il en fit une étude morphologique et histologique et constata aussi que, lorsque les tubes du réceptacle séminal sont plongés dans l'eau, ils se mettent à gonfler, tandis que les spermatozoïdes qui y sont contenus meurent instantanément. Ce qui fit dire à Balbiani (1879) :

« L'existence d'un réceptacle séminal chez la femelle et l'action de l'eau sur les spermatozoïdes prouvent que chez les Urodèles il y a un véritable accouplement » (2).

Nous retrouvons la notion d'accouplement déjà émise en 1824 par E. Home, à propos des axolotls. Finger (1841) décrit l'accou-

(1) C. T. V. Siebold, Ueber das Receptaculum seminis der weiblichen urodelen, in Zeitschr. Wiss. ZooL, 1858, t. IX, p. 463.

(2) G. Balbiani, Leçons sur la génération des Vertébrés, Paris, 1879, p. 73.

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plement du triton Taeniatus, et vit le mâle appliquer exactement son cloaque sur celui de la femelle. Schreibers parlera de l'accouplement direct de la salamandre noire, et Schnetzler de l'accouplement du triton alpestre. Donc, tous ces auteurs, partisans de la fécondation interne, voient le mâle introduire directement dans la femelle la liqueur séminale. Ce ne peut être l'eau qui véhicule les spermatozoïdes vers le cloaque de la femelle, puisque dès qu'ils y sont plongés ils y meurent.

En conclusion, pour Balbiani : « Les anciens observateurs, entre autres Spallanzani et Rusconi, prenaient

pour l'accouplement de ces animaux les préliminaires de cet acte » (1).

Alfred Duges, en 1852, fit un petit mémoire sur les tritons en prenant position pour une fécondation interne, car « les femelles pondent souvent en captivité des œufs féconds, après avoir été séparées des mâles plusieurs jours, et mises dans une eau où n'a séjourné aucun autre individu de leur espèce. Il est évident qu'ici la fécondation a eu lieu intérieurement, résultat qui confirme les belles observations de Rusconi sur les Salamandra cristata » (2).

Duges ne fait pas progresser les recherches sur la fécondation des Urodèles, mais il était intéressant de le citer car, dans son mémoire, il propose une nouvelle classification des salamandres ; la salamandre commune et le triton ponctué sont les deux extrêmes de sa classification et, entre ces deux extrêmes, sont classés les Urodèles par degré de ressemblance avec la salamandre ou avec le triton. Nous aurons des moitiés de salamandre ou des moitiés de triton suivant qu'ils se rapprocheront de l'un ou de l'autre extrême. Ainsi, le triton alpestre deviendra Hemiirilon alpestris, et le triton crête, Г Hemisalamandra cristata. Ainsi, nous n'en avions pas encore terminé ni avec la classification, ni avec la génération des tritons.

L'arrivée d'axolotls au Muséum d'Histoire naturelle de Paris va permettre à Auguste Duméril (1866), alors directeur de la ménagerie des Reptiles, de donner une version de la fécondation externe chez l'axolotl. Duméril observe les axolotls en train de pondre, et :

« A peine les œufs viennent-ils d'être pondus, que le contact de l'eau sperma- tisée par les mâles suffit pour les féconder dans un espace de temps très court » (3).

(1) Id., ibid., p. 73. (2) A. Duges, Recherches zoologiques sur les Urodèles, in Mém. Se. naî. Zoologie,

t. XVII, p. 262. (3) A. Duméril, Observations sur la reproduction des axolotls sur leur développement

et leur métamorphose, in Nouv. arch, du Muséum, 1866, n° 2, p. 272.

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Donc la notion « d'eau spermatiséc » implique pour Duméril la fécondation externe, mais il ne se contente pas de cette simple observation, il va la prouver, car « à deux reprises, une expérience bien simple en a donné la preuve. Une petite baguette tenue à la main et sur laquelle la femelle vient pondre fut enlevée et déposée dans un autre vase dès qu'elle eut reçu les œufs. Ceux-ci deviennent tous, à l'exception de deux, le siège d'un travail embryogénique complet » (1).

11 semble donc que A. Duméril ignorait les expériences de Spallanzani, et ce qu'il pense nous apporter pour nous convaincre ne peut que nous laisser sceptiques : il lui suffît d'isoler une femelle vivant avec des mâles pour voir que les œufs pondus étaient aussi fécondés, et sa thèse de l'eau spermatisée perdait toute sa signification. A. Duméril a manqué ici de sens critique et s'est empressé de juger valables — comme cela arrive souvent — les résultats de ses expériences qui correspondaient certainement trop bien avec les idées qu'il se faisait sur la fécondation des Urodèles ; on ne saurait lui en vouloir, Rusconi n'a-t-il pas dit que « c'est une prétention bien sotte que celle de vouloir éviter les erreurs en histoire naturelle »... (2).

L'axolotl, nouvel animal de laboratoire grâce à A. Duméril, découvreur de sa métamorphose, sera aussi étudié par Charles Robin (1821-1883) qui, en 1874, vit les animaux par « trois fois... abandonner en fuyant les corps, que pour abréger, je désignerais par le nom connu de spermatophore ; il ne m'a pas été possible de voir lequel des deux laissait tomber ces derniers » (3).

Car Robin pense que le mâle met directement le spermatophore dans le cloaque de la femelle et croit que ceux qu'il a trouvés sont tombés parce que les mâles ont manqué « leur intromission habituelle dans le cloaque de la femelle » (4). En effet, « ces corps peuvent séjourner dans l'eau une semaine environ sans changer d'aspect, ni se dissocier, fait qui prouve que leur chute hors du corps de l'animal est accidentelle, et qu'ils n'ont pas pour usage de disséminer les spermatozoïdes dans l'eau pour opérer une fécondation externe consécutive à la ponte » (5).

(1) Id., ibid., p. 272. (2) M. Rusconi, Les amours des salamandres aquatiques..., etc., Milan, 1821,

p. 32. (3) Ch. Robin, Observations sur la fécondation des Urodèles, ./. anal, et phus., 1874,

t. X, p. 379. (4) Id., ibid., p. 379. (5) Id., ibid., p. 380.

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Robin est pour une fécondation interne avec accouplement, comme E. Home en avait déjà parlé, et « qu'il n'y a plus lieu de discuter les hypothèses anciennes sur leur fécondation extérieure, pouvant se faire comme sur les grenouilles et les poissons »... (1).

Robin, un des précurseurs de l'histologie, a vu sur des coupes d'œufs d'axolotl des phénomènes qu'il ne comprit pas et ne put interpréter comme la polyspermie et la division de l'œuf.

Un autre naturaliste, qui observa beaucoup les tritons sans toutefois donner une solution au problème de la fécondation des Urodèles, est Fernand Lataste. Lataste, en 1878, est convaincu de la fécondation interne chez les tritons, mais il ne réalise pas très bien comment les spermatozoïdes arrivent à pénétrer dans la femelle. En étudiant les Pleurodèles, il pense que « ... les spermatozoïdes moins denses que l'eau remontent à travers le liquide ambiant » (2), et arrivent ainsi à entrer dans le cloaque de la femelle. Il recherche aussi les spermatozoïdes dans la femelle d'Euprocte, et va confirmer la présence du réceptacle séminal découvert par Siebold.

« Sous le nom de Receptaculum Seminis, Siebold a déjà décrit dans le cloaque des femelles des salamandres et des tritons un organe tubuleux et glandulaire dans lequel les spermatozoïdes s'amasseraient et se conserveraient plus ou moins longtemps. L'existence de cet organe, qu'aucun observateur que je sache n'avait vérifiée depuis, et qui m'avait paru douteuse jusqu'à ce jour, me semble confirmée par cette observation » (3).

Lataste s'inspira aussi des observations sur l'accouplement de l'Euprocte faites par le général de Nansouty (1876) (4) et de de L'Isle (1877) (5).

Pour récapituler, que savions-nous en 1878 sur la fécondation des Urodèles ? Les naturalistes savaient que les mâles (axolotls) émettent de petits sacs contenant des spermatozoïdes — sperma- tophores — que les femelles possèdent des organes à l'intérieur desquels ces spermatozoïdes se conservent — Receptaculum Seminis — , enfin que la fécondation est bien interne.. Il ne manquait plus que de découvrir la façon dont les spermatozoïdes arrivaient dans ce réceptacle séminal. Les observateurs n'émettent que des

(1) Id., ibid., p. 377. (2) F. Lataste, L'accouplement chez les Batraciens Urodèles, in Rev. Intern. Sci.,

1878, t. II, p. 496. (3) Id., ibid., p. 499. (4) Id., ibid., p. 498. (5) Id., ibid., p. 498.

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hypothèses sur l'acheminement des spermatozoïdes vers le cloaque de la femelle. Même Lataste, qui avait tous les éléments en main, ignore les spermatophores et parle du sperme s'échappant dans l'eau... ! Que se passait-il ? Jusqu'à présent, les naturalistes observaient les tritons dans de simples aquariums. Ils voyaient leurs pensionnaires soit de côté, soit par-dessus ; ces positions leur masquaient quelque chose et ce sera Francisco Gasco (1880) qui, pour élargir son champ de vision, eut l'ingénieuse idée de suspendre des aquariums à fond transparent. Ainsi, cette observation par en dessous lui révéla les différentes étapes de la reproduction du triton. Gasco nous décrit tout d'abord le couple triton alpestre : « Aphones et immobiles, ils se font les plus intimes confidences » (1), puis il voit l'abandon du spermatophore par le mâle...

« II laisse tomber à quelques centimètres du museau de la femelle un spermatophore blanc, semblable à un petit ruban, long de quatre à cinq et large de 1 à 1/2 millimètre » (2),

et « c'est alors que l'on peut observer un fait important, échappé jusqu'à ce jour à tous ceux qui ont étudié les amours des salamandres aquatiques » (3) :

On voit la femelle s'approcher du spermatophore « soit spontanément, soit sous l'excitation des spermatozoïdes qui titillent la délicate et diaphane surface intime des lèvres cloacales ; un fait que je puis affirmer, c'est que la femelle retire, contracte et referme celles-ci, faisant de la sorte pénétrer dans son cloaque les deux tiers ou la moitié de tous les spermatophores qu'elle a recueillis elle-même » (4).

Le problème est donc résolu, on sait maintenant comment les spermatozoïdes arrivent au réceptacle séminal, ce qui fera dire à Lataste, traducteur de Gasco, cette phrase que n'aurait pas désavouée Lagardère : « Les spermatozoïdes ne pouvant aller vers le cloaque de la femelle, c'est celui-ci qui vient à eux » (5). On connaît à présent le mode de reproduction du triton, mais en est-il de même pour tous les Urodèles, et en particulier pour l'axolotl auquel on attribua d'abord une fécondation interne avec accouplement. Gasco, pour se convaincre qu'il en est de même pour tous les Urodèles, va refaire son expérience avec des axolotls. Il

(1) F. Lataste, Encore sur la fécondation des Batraciens Urodèles, in Rev. Intern, des Sci., 1881, t. VII, p. 158.

(2) Id., ibid., p. 159. (3) Id., ibid., p. 159. (4) Id., ibid., p. 159. (5) Id., ibid., p. 160.

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place deux couples dans un aquarium à fond transparent situé à 1,80 m du sol. Il constate que « les axolotls ne dévoilaient pas leurs amours à la vive lumière du jour » (1) ; alors, il fera ses observations de 22 heures à 2 heures, après avoir habitué ses pensionnaires à une faible lumière lui permettant de les voir sans les déranger. Gasco fit les mêmes observations que pour le triton alpestre. Mais il nous décrira le déroulement de la reproduction de l'axolotl en employant pour le moins un vocabulaire assez surprenant :

« Bientôt pourtant les caresses du mâle s'accentuent tellement que la femelle surprise, je dirais presque par les brûlantes déclarations de son compagnon, devient de plus en plus passive : elle laisse faire » (2).

ou bien « le frottement erotique émeut, excite extraordinairement le mâle » (3).

Si le mâle et la femelle s'éloignent un instant l'un de l'autre de nouveau « se rencontrent-ils, les deux amants reprennent leurs caresses interrompues » (4). En parlant du comportement du mâle seul, Gasco écrira dans une envolée poétique : « ... On dirait une anguille, un serpent, en certains moments il ne nage ni ne marche, il glisse » (5)...

Comme dans toute histoire d'une découverte, surtout si elle s'échelonne sur de nombreuses années, nous avons vu comment Ton peut oublier des faits démontrés et admis, pour en établir de nouveaux, pour tenter de faire admettre des idées qui, à une époque antérieure, s'étaient révélées inexactes, comment des expérimentateurs et des observateurs sont passés à côté de découvertes importantes, soit que les phénomènes observés paraissaient incompréhensibles, soit que les esprits n'étaient pas préparés. Nous pouvons remarquer aussi que l'étude de la génération des Amphibiens en général, et des Urodèles en particulier, donna matière à penser à ceux qui s'en occupèrent. Maupertuis, en découvrant la « viviparité » de la salamandre, laissa suggérer l'importance que serait amenée à prendre l'anatomie comparée, Spallanzani démontra la nécessité de la liqueur séminale pour « vivifier » les germes, Rusconi disserta sur la probité scientifique,

(1) F. Gasco, Les amours des axolotls, in Bull. Soc. Zool. de France, 1881, vol. 6, p. 152. (2) Id., ibid., p. 153. (3) Id., ibid., p. 154. (4) Id., ibid., p. 154. (5) Id., ibid., p. 154.

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l'observation de Schreibers sur la salamandre noire apporta un élément nouveau à Darwin sur l'évolution des espèces, et Gasco prouva l'importance que peut avoir une technique pour le résultat d'une découverte.

Noie : La reproduction chez les Urodèles n'est cependant pas uniforme. Dans le genre Hynobius, les mâles fécondent les œufs au fur et à mesure que les femelles pondent. Dans le genre Megaloba- trachus, les femelles pondent des œufs en chapelet que les mâles fécondent en émettant le sperme dans l'eau. Enfin dans le genre Ranodon les femelles fixent des sacs d'œufs contre un spermato- phore. Les spermatozoïdes filtrent du spermatophore vers les œufs et les fertilisent.

Fécondation externe, œufs en chapelet, notions qui nous sont apparues au cours de cet article, mais qui ne s'appliquent pas aux genres étudiés, c'est-à-dire Salamandra et Triturus.

Jean-Louis Fischer.

BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE

Brongniart (A.), Essai d'une classification naturelle des Reptiles (texte lu à l'Institut national le 1er pluviôse an VIII), Paris, prairial an XIII = 1805.

Dujardin (F.), Sur les zoospermes de la salamandre aquatique, Ann. des Se. Nat., Zoologie, t. X, pp. 21-28, 1838.

Duvernoy (G.-L.), Cours du Collège de France, 1841. Finger, De tritorum genitalibus eorumque functione, thèse de Marburg, 1841. Gasco (F.), Gli amore del tritone alpestre [triton alpestris Laur), e la deposizione

délie sue nova, Annali del Museo civico di storia naturale di Genová, vol. XVI, p. 15 et suiv., 1880.

Latreille (P. -A.), Familles naturelles du règne animal, Paris, 1825. Le и kart, article Zeugung, in Wagner's Handwoerterbuch der Physiologie, t. IV,

1853. Pouchet (Félix), Rapport sur une note relative à la structure et aux mouvements

des zoospermes du triton, Arch. Nat., pp. 165-168, 1844. — Théorie positive de V ovulation spontanée, 1847. Réaumur, Morceaux choisis de Reaumur, par Jean Torlais, coll. « Grandes pages

de la Science », Gallimard. Roesel, Historia naturalis Ranarum nostratium, Nuremberg, 1758. Schreibers (C. de), Sur la salamandre noire, in Naturw. auz. der Schweiz., 2,

p. 54, 1820. Swammerdam (J.), Biblia naturae, t. II, 1737.