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A la découverte de l’Histoire Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand HISTOIRE DE LA MESOPOTAMIE COURS 2 : L’EMPIRE D’AKKAD L'empire d'Akkad (ou empire akkadien) est un État fondé par Sargon d'Akkad qui domina la Mésopotamie de la fin du XXIVe siècle av. J.-C. au début du XXIIe siècle av. J.-C. selon la chronologie la plus couramment retenue, même s'il est possible qu'il se soit épanoui environ un siècle plus tard, les datations étant incertaines pour une période aussi reculée dans le temps. Cet État a profondément marqué l'histoire de la Mésopotamie. Le souvenir de ses rois les plus prestigieux, Sargon et son petit-fils Naram-Sin, a duré de nombreux siècles et donné lieu à différentes légendes, plus qu'aucune autre dynastie mésopotamienne. Bien qu'il soit difficile de démêler la réalité de la légende dans ces récits, d'autant plus que la documentation écrite datant de cette époque est essentiellement de nature administrative (tablettes de gestion et de comptabilité), la période de l'empire akkadien semble avoir marqué un profond changement dans le domaine politique, perceptible tant dans l'organisation du pouvoir et son idéologie que dans l'art officiel. Les évolutions sociales et économiques en Basse Mésopotamie sont en revanche moins marquées, tout comme dans la plupart des aspects de la culture matérielle, ce qui explique pourquoi il est encore impossible d'identifier des niveaux archéologiques de la période d'Akkad dans cette région. La constitution et l’essor du royaume d’Akkad L'empire d'Akkad est avant tout l'oeuvre d'un homme, passé à la postérité comme un des plus grands rois de l'histoire de la Mésopotamie : Sargon d'Akkad. De nombreuses choses ont été écrites à son propos par différents textes de la tradition mésopotamienne postérieure, à tel point qu'il est souvent difficile de distinguer la réalité historique de la légende. Un fait reste certain car présent dans plusieurs traditions : Sargon est un usurpateur. Son nom de règne (le seul qui lui soit connu), Šarrum-kîn, signifie en akkadien « le roi est stable », comme s'il avait cherché à faire oublier qu'il n'est pas roi par droit de naissance. La légende racontant sa naissance et son enfance ne le cache pas : Sargon serait le fils d'une prêtresse, qui l'aurait abandonné, avant qu'il ne soit récupéré puis élevé par un puisatier. C'est grâce à l'aide de la déesse Ishtar que Sargon, devenu ministre du roi Ur-Zababa de Kish, serait devenu roi. C'est donc un usurpateur qui prend le pouvoir dans la vénérable cité de Kish après un coup d'État vers 2334 (ou plus tard vers 2285). Mais à cette période, le roi le plus puissant est Lugal-zagesi, qui règne depuis Uruk. D'après les copies de ses inscriptions postérieures à son règne, Sargon le bat, plaçant toute la Basse Mésopotamie jusqu'au golfe Persique sous sa coupe. Le vaincu est capturé, forcé à porter un carcan et exhibé lors du triomphe de Sargon. Celui-ci met en place des gouverneurs fidèles à sa cause dans plusieurs des vieilles cités-États de Sumer et d'Akkad, constituant un vaste royaume qui a pour centre une ville qu'il élève au rang de capitale, Akkad. Après avoir soumis le Sud de la Mésopotamie, Sargon dirige des expéditions en direction des régions adjacentes du nord-ouest et de l'est. Vers la Haute Mésopotamie, il a probablement soumis le royaume de Mari, et peut-être celui d'Ebla en Syrie. Mais la chronologie des conquêtes des rois d'Akkad vers l'ouest reste confuse, et on ne sait pas si les destructions attestées sur les sites de la région sont dues aux conquêtes de Sargon, de Naram-Sin, ou bien à des conflits entre royaumes locaux. Une inscription de Sargon dit qu'il s'est rendu jusqu'à Tuttul sur le moyen Euphrate, où il rend hommage au grand dieu Dagan, qui lui aurait alors conféré la domination des terres allant jusqu'à la mer Méditerranée. Un

HISTOIRE DE LA MESOPOTAMIE COURS 2 : L’EMPIRE D’AKKADroyaume d'Akkad. Selon la tradition, Naram-Sin n'aurait pas rendu convenablement le culte à Enlil, le plus grand dieu de la

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A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand

HISTOIRE DE LA MESOPOTAMIE

COURS 2 : L’EMPIRE D’AKKAD

L'empire d'Akkad (ou empire akkadien) est un État fondé par Sargon d'Akkad qui domina la Mésopotamie de la fin du XXIVe siècle av. J.-C. au début du XXIIe siècle av. J.-C. selon la chronologie la plus couramment retenue, même s'il est possible qu'il se soit épanoui environ un siècle plus tard, les datations étant incertaines pour une période aussi reculée dans le temps. Cet État a profondément marqué l'histoire de la Mésopotamie. Le souvenir de ses rois les plus prestigieux, Sargon et son petit-fils Naram-Sin, a duré de nombreux siècles et donné lieu à différentes légendes, plus qu'aucune autre dynastie mésopotamienne. Bien qu'il soit difficile de démêler la réalité de la légende dans ces récits, d'autant plus que la documentation écrite datant de cette époque est essentiellement de nature administrative (tablettes de gestion et de comptabilité), la période de l'empire akkadien semble avoir marqué un profond changement dans le domaine politique, perceptible tant dans l'organisation du pouvoir et son idéologie que dans l'art officiel. Les évolutions sociales et économiques en Basse Mésopotamie sont en revanche moins marquées, tout comme dans la plupart des aspects de la culture matérielle, ce qui explique pourquoi il est encore impossible d'identifier des niveaux archéologiques de la période d'Akkad dans cette région.

La constitution et l’essor du royaume d’Akkad

L'empire d'Akkad est avant tout l'œuvre d'un homme, passé à la postérité comme un des plus grands rois de l'histoire de la Mésopotamie : Sargon d'Akkad. De nombreuses choses ont été écrites à son propos par différents textes de la tradition mésopotamienne postérieure, à tel point qu'il est souvent difficile de distinguer la réalité historique de la légende. Un fait reste certain car présent dans plusieurs traditions : Sargon est un usurpateur. Son nom de règne (le seul qui lui soit connu), Šarrum-kîn, signifie en akkadien « le roi est stable », comme s'il avait cherché à faire oublier qu'il n'est pas roi par droit de naissance. La légende racontant sa naissance et son enfance ne le cache pas : Sargon serait le fils d'une prêtresse, qui l'aurait abandonné, avant qu'il ne soit récupéré puis élevé par un puisatier. C'est grâce à l'aide de la déesse Ishtar que Sargon, devenu ministre du roi Ur-Zababa de Kish, serait devenu roi. C'est donc un usurpateur qui prend le pouvoir dans la vénérable cité de Kish après un coup d'État vers 2334 (ou plus tard vers 2285). Mais à cette période, le roi le plus puissant est Lugal-zagesi, qui règne depuis Uruk. D'après les copies de ses inscriptions postérieures à son règne, Sargon le bat, plaçant toute la Basse Mésopotamie jusqu'au golfe Persique sous sa coupe. Le vaincu est capturé, forcé à porter un carcan et exhibé lors du triomphe de Sargon. Celui-ci met en place des gouverneurs fidèles à sa cause dans plusieurs des vieilles cités-États de Sumer et d'Akkad, constituant un vaste royaume qui a pour centre une ville qu'il élève au rang de capitale, Akkad. Après avoir soumis le Sud de la Mésopotamie, Sargon dirige des expéditions en direction des régions adjacentes du nord-ouest et de l'est. Vers la Haute Mésopotamie, il a probablement soumis le royaume de Mari, et peut-être celui d'Ebla en Syrie. Mais la chronologie des conquêtes des rois d'Akkad vers l'ouest reste confuse, et on ne sait pas si les destructions attestées sur les sites de la région sont dues aux conquêtes de Sargon, de Naram-Sin, ou bien à des conflits entre royaumes locaux. Une inscription de Sargon dit qu'il s'est rendu jusqu'à Tuttul sur le moyen Euphrate, où il rend hommage au grand dieu Dagan, qui lui aurait alors conféré la domination des terres allant jusqu'à la mer Méditerranée. Un

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texte hittite plus tardif raconte que Sargon aurait soumis le royaume de Purushanda en Anatolie centrale, mais il est impossible de déterminer si ce récit fait référence à un événement réel ou légendaire. Quoi qu'il en soit, il transparaît de ces sources que Sargon a effectué bien plus de conquêtes que les rois l'ayant précédé, ce qui a fortement marqué les esprits.

Étendue approximative du royaume d'Akkad à son apogée sous le règne de Naram-Sin, et direction des

campagnes militaires extérieures.

Sargon meurt vers 2279 (ou 2229) et lui succèdent deux de ses fils, Rimush et Manishtusu. Il est habituellement considéré que le premier a régné avant le second, mais il se pourrait que ce soit l'inverse car c'est de cette façon que la plus ancienne version connue de la Liste royale sumérienne présente l'ordre successoral des rois d'Akkad. Rimush (« Son cadeau »), qui aurait régné neuf ans, fait face à une rébellion dès son intronisation. Il tient bon, soumet les rebelles dirigés par Kaku d'Ur qui a rallié à lui plusieurs cités (Adab, Lagash, Zabalam, Kazallu). Il a également mené des campagnes contre des royaumes du plateau Iranien (Élam, Awan, Marhashi). Durant ses quinze années de règne, Manishtusu (littéralement « Qui est avec lui ? », c'est-à-dire « Qui est son égal ? ») mène également à son tour des campagnes en direction du plateau Iranien (contre Anshan, Sherihum), et aussi du golfe Persique puisqu'il prétend avoir soumis le pays de Magan (Oman). Quoi qu'il en soit de l'ordre de succession de ces deux souverains, il apparaît qu'ils sont en mesure de préserver l'héritage laissé par leur père et même de l'agrandir. Pour la première fois, les conquêtes d'un grand roi ne sont pas perdues à sa mort. Naram-Sin (« Aimé de Sîn ») monte sur le trône vers 2254 (ou 2202). C'est lui aussi une grande figure de l'histoire mésopotamienne, mais qui a laissé une image plus négative que son grand-père. Dès son intronisation, il a dû faire face à une grande rébellion en Basse Mésopotamie, menée par deux personnages : Iphur-Kish à Kish qui rallie des cités voisines (Sippar, Eresh, Kazallu) et Amar-girid d'Uruk accompagné par d'autres cités du Sud (Ur, Lagash, Adab, Shuruppak, etc.). D'après les traditions se rapportant à cette grande révolte, la répression fut terrible. Naram-Sin fut un grand conquérant, même si la chronologie de ses conquêtes est difficile à reconstituer. Son règne est marqué par des expéditions en Haute Mésopotamie et en Syrie du Nord, vraisemblablement dans la continuité de son grand-père, même s'il est possible qu'il soit le premier roi d'Akkad à soumettre fermement cette région. Comme pour Sargon, des traditions postérieures lui attribuent des victoires sur des rois

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anatoliens (notamment ceux de Kanesh et du Hatti) dont la réalité reste sujette à caution. Naram-Sin a aussi remporté des victoires sur l'Élam et Marhashi et aurait à son tour soumis Magan. C'est sous ce règne qu'ont lieu différentes réformes et des constructions qui renforcent le caractère impérial du royaume d'Akkad. Selon la tradition, Naram-Sin n'aurait pas rendu convenablement le culte à Enlil, le plus grand dieu de la Basse Mésopotamie. Les générations postérieures ont condamné cet évènement, qui aurait jeté une malédiction sur le roi d'Akkad et ses successeurs, parce qu'il a suscité l'ire des dieux. Dans les faits, il se trouve que ce roi a fait reconstruire le grand temple du dieu. Mais les dernières années de son règne marquent effectivement le début de la fin de l'empire d'Akkad. Pour réaliser leurs conquêtes, les rois d'Akkad se sont appuyés sur une armée très efficace leur permettant de triompher sur des champs de bataille loin de leur base, ce qui n'était pas possible pour les cités-États qu'ils ont supplanté. Les représentations iconographiques de soldats de cette période, notamment la stèle de victoire de Naram-Sin, semblent indiquer une évolution de l'armement des soldats et des techniques de combat par rapport à ce qui apparaît dans les scènes militaires de la période des dynasties archaïques (étendard d'Ur et stèle des vautours de Girsu). Les chars de combats semblent perdre de l'importance au profit de l'infanterie. Cette dernière est dotée d'un équipement plus léger que précédemment, ce qui facilite sans doute sa mobilité au détriment de sa protection. L'armement de base est constitué de masses d'armes, poignards et de lances comme précédemment, mais aussi de l'arc qui était auparavant absent des scènes militaires. L'analyse des représentations semble indiquer l'usage d'un arc composite, disposant d'une longue portée de tir, permettant la mise en place de nouvelles tactiques de combat à distance. Les soldats d'élite (ceux que les textes désignent comme LÚ.TUKUL, « ceux de l'arme », et les nisk/qu dont le rôle n'est pas clair) constituent une armée permanente qui est entretenue grâce à la concession de champs appartenant aux domaines des institutions, comme les autres serviteurs de l'État ; ils sont renforcés par des contingents de conscrits fournis par les différents domaines institutionnels et enregistrés sur des listes, servant sans doute de façon périodique. Les troupes semblent organisées dans des unités de base de vingt hommes dirigées par des « lieutenants » (UGULA), regroupées en bataillons de soixante puis en régiments de quelques centaines de soldats (peut-être 600). Le haut commandement est constitué par des « généraux » (sumérien ŠAGIN /akkadien šakkanakkum) formant l'entourage proche du roi, puis des « capitaines » (NU.BANDA/lapputāu).

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stèle de victoire de Naram-Sin, calcaire, 200 cm x 105 cm, vers 2254-2213, Louvre

Le règne de Naram-Sin voit l'arrivée d'une nouvelle menace : les Gutis. Ce peuple, considéré comme barbare par les Mésopotamiens et originaire des régions occidentales du Zagros, lance plusieurs raids meurtriers en Mésopotamie durant les dernières décennies de l'empire d'Akkad, et la tradition mésopotamienne que rapporte la Liste royale sumérienne lui a imputé la responsabilité de la chute de cet État, marquée par de nombreux actes de violence et d'impiété. Le règne de Shar-kali-sharri (« Roi de tous les rois »), fils de Naram-Sin qui prend le pouvoir vers 2217 (ou 2165), est peu documenté. Ce roi a été oublié dans les récits postérieurs sur la chute d'Akkad qui ne font référence qu'à son père. Les inscriptions de son temps mentionnent certaines de ses campagnes vers l'Anatolie du sud-est, ainsi que des victoires en Haute Mésopotamie contre les Amorrites, peuple sémite qui apparaît alors. Aux abords immédiats du pays d'Akkad, à l'est, il doit repousser une attaque élamite, ainsi qu'une autre des Gutis. Cela pourrait indiquer un affaiblissement du royaume. Shar-kali-sharri semble avoir des ambitions plus modestes que son père, se proclamant simplement « roi d'Akkad ». Pourtant, l'État d'Akkad semble bien survivre quelques décennies après sa mort qui survient vers 2193 (ou 2140), même s'il est considérablement réduit en taille et se limite probablement au nord de la Babylonie autour d'Akkad et Kish, puisque la Liste royale sumérienne lui attribue plusieurs successeurs. De l'un d'entre eux, Dudu, sont connues quelques inscriptions d'offrandes et des mentions de campagnes militaires sans doute destinées à préserver les restes de son royaume, tandis que son successeur Shu-turul est connu seulement par une poignée d'inscriptions votives. La chute d'Akkad fut donc progressive. Idée, image et exercice du pouvoir Avec Akkad, pour la première fois dans l'histoire du Moyen-Orient apparaît une grande construction étatique englobant pour plusieurs décennies un ensemble d'anciens micro-États. Cela entraîne progressivement un changement dans la conception de la fonction du souverain. Auparavant lié au cadre de la cité-État, celui-ci avait un rôle limité dans l'espace. Avec la constitution d'un vaste

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royaume sous la dynastie d'Akkad, le souverain prend peu à peu une nouvelle dimension. Cela est surtout perceptible sous le règne de Naram-Sin, qui développe une véritable pensée « impériale ». Il se dit « Roi des quatre rives (de la terre) » (c'est-à-dire de tout le monde connu), ce qui traduit une ambition de domination universelle, inédite dans le monde mésopotamien. De plus, nouveauté là aussi, dans ses inscriptions officielles il fait précéder son nom du déterminatif de la divinité, se fait à plusieurs reprise qualifier de « dieu d'Akkad », et dans les représentations il porte la tiare à cornes, attribut des dieux : le roi est donc d'essence divine. Même s'il n'est pas forcément considéré comme une divinité à part entière, il est au-dessus des autres hommes. On a donc les traits d'un « empereur » qui veut se démarquer des autres rois par son essence, son charisme et ses ambitions. L'apparition d'une idéologie de nature impériale à l'époque d'Akkad n'est cependant pas une véritable révolution. On a longtemps voulu voir en Sargon un pionnier, mais il se situe en fait dans la continuité de plusieurs souverains de Basse Mésopotamie dont la puissance avait déjà excédé celle des rois de cités-États ordinaires. Une grande place doit être accordée à Lugal-zagesi, roi originaire d'Umma mais établi à Uruk, et prédécesseur direct de Sargon, dont il a vraisemblablement inspiré l'œuvre politique. De plus, Sargon débute ses conquêtes à partir du royaume de Kish, qui est depuis plusieurs siècles l'un des plus puissants de la Basse Mésopotamie et a une grande influence politique voire culturelle36. Du reste, la tradition idéologique n'est réellement bousculée que sous les successeurs de Sargon, particulièrement Naram-Sin. Progressivement un nouvel art royal apparaît, suivant l'évolution de la conception de la royauté, et on met en place une administration centralisée sur les cadres territoriaux anciens. On effectue une standardisation des textes administratifs, qui sont écrits dans tous les centres provinciaux de l'empire avec une même graphie et dans un même type d'akkadien, pour être plus facilement compris et contrôlés par un personnel homogène sur tout le territoire, alors que pour les textes non officiels subsistent les habitudes locales. Les continuités semblent importantes, le souverain continuant à diriger l'État de manière traditionnelle. Comme les rois précédents, il se présente comme étant l'élu des dieux, cherchant à accomplir leur volonté. La grande divinité patronnant la dynastie d'Akkad est Ishtar (Inanna pour les Sumériens), qui dispose d'un grand temple dans la capitale du royaume. Mais le pourvoyeur de la royauté reste le grand dieu sumérien Enlil, comme le veut la tradition de Basse Mésopotamie. Dans la pratique, le souverain gouverne entouré de ses fidèles, auxquels il octroie de nombreux présents (notamment des terres) et il contrôle les temples qui sont les institutions majeures dans la société. Les personnages les plus hauts placés et les gouverneurs des régions-clés sont souvent issus de la famille royale ou liés de près à elle. Les princes sont parfois nommés gouverneurs, comme les fils de Naram-Sin placés à Marad (en), Tuttul et Kazallu (en). Les princesses étaient souvent consacrées prêtresses des grands temples du sud mésopotamien : Enheduanna fille de Sargon (connue par les poèmes qui lui sont attribués) dans le temple de Nanna à Ur, Enmenana fille de Naram-Sin dans le même temple, et sa sœur Tuta-napshum, grande prêtresse d'Enlil à Nippur. L'élite de la puissante armée akkadienne est encadrée par les proches du roi (en premier lieu les généraux) et constitue une sorte de garde royale. La question de savoir dans quelle mesure on peut qualifier l'État d'Akkad de « premier empire » reste donc débattue : il est moins novateur qu'on ne l'a longtemps pensé, et est une construction peu durable dont les structures ont été garantes d'une stabilité limitée. Si par bien des traits il a de fait les attributs traditionnellement attribués à un empire par les historiens, archéologues et anthropologues, il en manque cependant certains : en particulier, l'influence de la culture matérielle du centre sur les territoires conquis et voisins semble limitée alors que les empires ont généralement un rayonnement fort, tandis que son autorité n'a jamais été fermement établie et durablement assurée, même dans les régions centrales. La véritable révolution est plutôt à chercher dans l'apparition d'un « impérialisme ».

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Ce dernier se retrouve dans la façon dont est pensé et exercé le pouvoir : la centralisation autour de la figure royale qui incarne le royaume, prétend à la divinité et à la domination universelle ; la nécessité de la victoire militaire qui assure l'existence et la survie de l'État et de la famille royale ; l'acquisition (grâce aux conquêtes) d'une importante assise foncière pour le régime incarné par le roi et son entourage. On peut donc considérer que s'il y a bien un aspect impérial dans cette construction politique, il se trouve dans le cercle du pouvoir et dans l'idéologie qu'il cherche à répandre par le biais des inscriptions et des réalisations artistiques officielles. Ces dernières ont servi à faire survivre aux époques postérieures le modèle politique façonné par cet État, qui a ainsi été une étape décisive dans l'affirmation d'une idéologie impériale dans l'histoire mésopotamienne. Et on peut se demander si cette glorification posthume n'influence pas aussi la perception que les chercheurs actuels ont de la construction politique des « empereurs » d'Akkad. L’art officiel

Détail du fragment d'une stèle datant du règne de Rimush ou de Naram-Sin, musée du Louvre.

La domination de l'empire d'Akkad entraîne donc la création d'un art officiel qui, tout en reprenant l'héritage des Dynasties archaïques, apporte des modifications notables. Le règne de Sargon d'Akkad est marqué par de timides évolutions. Il reste néanmoins mal connu du point de vue artistique, car les stèles datant de son temps sont toutes en état fragmentaire. Elles sont encore très proches de celles des dynasties archaïques, comme la Stèle des vautours du roi E-anatum de Lagash et dérivent peut-être d'une tradition artistique propre à la région de Kish, dont Akkad serait l'héritière. Le rendu des personnages est souvent caractérisé de manière plus réaliste que dans les œuvres de l'époque antérieure, même si en fait il semble plutôt plus stylisé pour mettre en avant les qualités des personnages représentés (exagération des muscles, de la chevelure). Pour permettre une meilleure compréhension des scènes représentées, les vaincus des pays étrangers ont des costumes ou parures caractéristiques. Les scènes de combat semblent en tout cas déjà le sujet de prédilection des bas-reliefs. Sous le règne de ses fils Rimush et surtout Manishtusu, l'évolution est plus marquée, inaugurant le style « classique » de l'art akkadien. Les artistes développent en outre l'emploi de la diorite, pierre dure qui caractérise la sculpture de l'époque. Plusieurs statues représentant Manishtusu en grandeur nature ont été exhumées sur divers sites, ce qui indique une production nombreuse, en série, servant une propagande. Mutilées durant l'Antiquité, il leur manque systématiquement la tête44.

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Du règne de Naram-Sin date une des œuvres les plus connues de la période, la Stèle de victoire, commémorant une campagne victorieuse de ce roi contre les Lullubis, un peuple du Zagros. Bien que fragmentaire, on y voit clairement l'exaltation du roi. Surplombant ses soldats et les ennemis vaincus, il dirige son regard vers des symboles astraux situés sur le haut de la stèle et évoquant la présence divine : cette construction verticale tranche avec les représentations traditionnelles, horizontales. La représentation du roi est idéalisée, présentant un corps jugé comme parfait qui dégage une impression de puissance et de vigueur.

La Stèle de victoire du roi Naram-Sin, musée du Louvre.

Photographie d'un grand fragment de stèle présentant à la fois une scène de combat et de victoire. La moitié gauche de la scène présente en haut le roi Akkad, représenté beaucoup plus grand que les autres personnages et en bas ses soldats marchant vers l'ennemi. La débandade de ce-dernier est représentée sur la moitié droite de la scène par des hommes morts, blessés ou suppliants. L'ensemble de la scène se déroule sur une montagne et est

surmontée d'astres.

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Tête en bronze d'un roi d'Akkad retrouvée dans le temple d'Ishtar de Ninive, vers 2250 av. J.-C.,

Bagdad, musée national d'Irak.

Une autre grande œuvre des artistes officiels d'Akkad est la tête royale en alliage cuivreux retrouvée à Ninive (Bagdad, musée national d'Irak). Comme toutes les sculptures de la période d'Akkad, elle a été mutilée, mais cette fois-ci c'est la tête qui reste, bien que détériorée. On ne sait pas quel roi elle est censée représenter. Elle est remarquable par le souci du détail typique de la période dans la représentation de la chevelure et la barbe du roi. Elle concentre plusieurs des traits caractéristiques de la représentation du souverain dans l'iconographie mésopotamienne depuis le IVe millénaire : le bandeau frontal, la longue barbe finement peignée et le chignon noué derrière la nuque46. Cette tête illustre la grande maîtrise de la technique de fonte à la cire perdue des métallurgistes mésopotamiens, attestée par d'autres fragments de statues datés de la période d'Akkad ou de ses environs, comme la base de statue en alliage cuivreux retrouvée à Bassekti représentant un personnage nu assis. Par sa qualité plastique et notamment son souci du détail anatomique, la sculpture de cette époque est une des plus brillantes de l'histoire mésopotamienne et annonce celle de la période néo-sumérienne, connue par les statues du roi Gudea de Lagash. Mais c'est dans la thématique que les évolutions sont les plus profondes. L'art officiel des rois d'Akkad se distingue clairement de celui créé pour les notables du royaume, alors que durant la période présargonique l'art royal et l'art des élites étaient similaires. Désormais est réalisé un art ayant pour but d'exalter seulement la personne royale, d'en faire un personnage à part. L'art de la période d'Akkad est donc représentatif de l'évolution idéologique qui touche le pouvoir : le roi n'est plus seulement un homme plus important que les autres, il est au-dessus du reste des humains et accède au rang divin49. Cela se voit surtout à l'apogée de l'art d'Akkad sous Naram-Sin qui est aussi le souverain aux ambitions impériales les plus évidentes. L'art est attaché à la personne royale et a clairement un but de propagande. Le roi est souvent représenté comme un guerrier victorieux soumettant ses ennemis. Cet art émane manifestement de véritables ateliers royaux. Mais cela n'entrave en rien l'évolution qualitative que l'on remarque notamment dans le rendu anatomique des personnages sur les sculptures.

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La période d'Akkad voit enfin le développement dans la glyptique d'un art religieux représenté sur les sceaux-cylindres des personnages importants du royaume, très souvent gravés dans de la chlorite50. L'exaltation de la monarchie est totalement absente de ce type de support, mais la volonté d'uniformiser les thèmes religieux vient peut-être du pouvoir et de ses tendances centralisatrices. C'est en tout cas par ces sources que nous sommes le plus documentés sur la religion de cette période, étant donné que les inscriptions font défaut sur ce point. Cet art, s'il s'inspire de quelques thèmes des périodes précédentes, est également très novateur et là aussi se veut plus détaillé dans la représentation des personnages. Certaines scènes représentent simplement des divinités, avec leurs attributs caractéristiques : il y a apparemment une volonté de mieux les individualiser que précédemment. Les plus couramment représentées sont : Enki/Ea, le dieu des flots souvent accompagné de son acolyte Ushmu, le dieu aux deux visages ; la divinité solaire Utu/Shamash ; et la grande déesse Inanna/Ishtar. Deux grands thèmes faisant référence à la mythologie sont récurrents dans la glyptique de l'époque. Le premier est celui d'un combat mettant en scène une divinité affrontant un animal réel ou imaginaire, inspiré de scènes de combats héroïques déjà présentes dans la glyptique des siècles précédents. L'autre thème est celui que P. Amiet a qualifié de « Grande Épiphanie », qui met en scène plusieurs divinités se manifestant sur Terre dans le but d'apporter des forces revitalisant la Nature, en la fertilisant (notamment Enki apportant ses flots). Cela renvoie peut-être à un rituel de fête du Nouvel An, qui a alors lieu au début du printemps. En dehors de ces thèmes, l'un des plus remarquables sceaux de la période est celui d'Ibni-sharrum, scribe de Shar-kali-sharri : deux personnages nus nommés lahmu, en train d'abreuver deux buffles, la scène étant organisée de façon symétrique autour du cartouche portant le nom et la fonction du détenteur du sceau. Sa qualité plastique en fait un chef-d'œuvre de la glyptique d'Akkad et même de la Mésopotamie antique.

Empreinte du sceau-cylindre d'Ibni-sharrum, scribe de Shar-kali-sharri, chef-d’œuvre de la glyptique

akkadienne. Musée du Louvre.

Structures administratives et économiques

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Détail du texte gravé sur la stèle de Manishtusu, Musée du Louvre

Les structures administratives de l'État d'Akkad sont peu documentées et donc mal connues. Il est organisé en provinces, dirigées dans le Sud par des gouverneurs parfois appelés ENSÍ, titre sumérien auparavant utilisé pour désigner les souverains de certaines cités-États (notamment Lagash). Elles correspondent apparemment dans cette région aux anciennes limites des États annexés lors des conquêtes de Sargon, dont les souverains ont été remplacés par des fidèles du roi, originaires d'Akkad. D'une manière générale, l'élite du royaume est faite et défaite par le roi, et elle est dominée par la famille royale qui accapare les charges les plus importantes comme vu précédemment. Le souverain attribue aussi de nombreuses terres à ses fidèles, comme le montre l'obélisque de Manishtusu, stèle en diorite conservée au Musée du Louvre, qui porte une attestation d'achats de terres réalisés par le roi dans la région de Kish, 3 500 hectares environ, redistribués ensuite à des officiers, les « fils d'Akkad », c'est-à-dire ses proches. Carte de la basse Mésopotamie à l'époque d'Akkad, indiquant l'ancien tracé approximatif des fleuves et de la côte du golfe Persique ainsi que la localisation des villes principales. La localisation d'Akkad elle-même, incertaine, y est supposée au Nord de Kish, à peu près à l'emplacement de l'actuelle ville de Bagdad. La Basse Mésopotamie, cœur de l'empire d'Akkad, peut être divisée en deux grandes régions qui sont appelées plus tard Sumer et Akkad. La première est majoritairement peuplée de Sumériens, comme le révèle l'étude des noms de personnes provenant des archives de cette région, dont plus de 80 % sont dans leur langue. Dans le pays d'Akkad en revanche, on trouve environ 80 % de noms en akkadien, langue sémitique, celle de la dynastie d'Akkad, ce qui en fait la langue principale de l'administration, cohabitant avec le sumérien dans le Sud. La question de savoir dans quelle mesure la domination des sumérophones par les akkadophones a pu être ressentie est souvent posée. Il a parfois été tenté de voir les révoltes ayant embrasé le Sud de la Mésopotamie comme des soulèvements pour l'indépendance de Sumer contre Akkad, mais en réalité les rebelles sont aussi bien originaires du pays de Sumer que de celui d'Akkad. De fait, même s'ils privilégient les gens de la noblesse d'Akkad et leur langue, en raison de leurs origines, rien n'indique que les rois d'Akkad aient cherché à exclure les Sumériens, dont ils ont repris certaines des traditions notamment en matière religieuse. Cela se voit dans le destin d'Enheduanna, fille de Sargon portant un nom sumérien, placée à la tête d'un des grands sanctuaires de Sumer, et rédigeant peut-être même des œuvres littéraires dans la langue de cette région. En fin de compte, le facteur ethnique a pu être pris en compte dans certains cas, mais on ne peut déterminer dans quelle mesure. Rien n'indique qu'il ait été décisif dans des politiques impériales ou le déclenchement

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de révoltes ; il n'a sans doute été qu'un facteur parmi d'autres (identités et traditions locales, intérêts économiques, etc.). Dans les régions conquises, de nouveaux centres administratifs étaient créés quand il n'y en avait pas déjà en place, ainsi que des forteresses ; d'autres fois on construisait de nouveaux palais et habitats dans des villes conquises, peut-être sur un modèle identique à celui des marches militaires périphériques que l'on connaît par la suite pour la troisième dynastie d'Ur. C'est le cas à Tell Brak en Haute Mésopotamie, où a été mis au jour un vaste bâtiment dont les inscriptions de fondation sont au nom de Naram-Sin, servant sans doute de résidence à un gouverneur local, entouré d'autres constructions de la même époque et témoignant d'un réaménagement de la ville après sa conquête. D'autres bâtiments d'époque akkadienne ont été fouillés à Tell Leilan et Tell Beydar dans la même région. En revanche, on ignore si les rois d'Akkad ont entrepris des travaux à Ninive, comme une tradition locale postérieure le prétend61. Les provinces hors de Basse Mésopotamie sont contrôlées par des gouverneurs qui ont une fonction militaire importante, surtout dans les périphéries de l'empire. Ce sont souvent des membres de la famille royale.

Traité d'alliance entre Naram-Sin d'Akkad et un roi d'Awan, c. 2250, Suse, Musée du Louvre.

Les rois d'Akkad peuvent également passer des accords politiques avec les royaumes situés à leurs frontières pour leur sécurité. On dispose ainsi d'une tablette d'un traité de paix passé entre Naram-Sin et un roi d'Awan, retrouvé à Suse et rédigé en élamite, qui semble faire du second un vassal du premier, l'obligeant à suivre sa ligne politique, à ne pas le trahir, et à lui apporter une assistance militaire si nécessaire62. À Urkesh (Tell Mozan), la présence de scellements au nom d'une fille de Naram-Sîn semble indiquer qu'elle avait été mariée au roi local (d'ethnie hourrite), sans doute dans le cadre d'une alliance entre celui-ci et le monarque akkadien. La diplomatie devait donc être essentielle dans la stratégie de stabilisation des frontières de l'empire. Les gouverneurs d'Akkad avaient des prérogatives judiciaires, devaient prélever les impôts et étaient chargés de la gestion de domaines royaux souvent immenses. Il s'agit des domaines des souverains déchus, gérés selon la tradition locale de trois façons : directement par les dépendants du palais contre

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des rations d'entretien, indirectement par des métayers, ou encore concédés à des fonctionnaires ou militaires comme rétribution pour un service accompli pour l’État. Les artisans étaient également rétribués en rations d'entretien. Des intendants (ŠABRA) s'occupaient de l'administration de ces domaines. De telles institutions sont attestées en plusieurs endroits par des archives : à Lagash, à Umma, mais aussi hors de Basse Mésopotamie, à Gasur. Un des domaines les mieux connus est celui qui était dirigé par Mesag, peut-être le gouverneur d'Umma, situé vers la limite entre cette province et celle de Lagash. Il couvrait environ 1 270 hectares et employait 300 dépendants. Cela correspond à des domaines tels que celui du temple de Ba'u à Girsu durant la période précédant les conquêtes de Sargon. Les structures économiques et sociales de la Basse Mésopotamie n'ont donc pas été fondamentalement modifiées par l'empire d'Akkad ; le grand changement semble être le passage d'une prédominance des domaines des temples à une prédominance des domaines royaux, apparemment à la suite de rachats et peut-être de confiscations. Les travailleurs des grandes institutions étaient des dépendants ou des travailleurs indépendants recrutés occasionnellement pour des tâches spécifiques et rémunérés par des rations et plus rarement des esclaves qui ne constituaient pas une force de travail importante. Les temples disposaient toujours de domaines importants là où ils en avaient auparavant, c'est-à-dire dans la région de Sumer et dans la Diyala, et ce en dépit de leur recul face aux domaines royaux. Cela est attesté notamment par les archives de l'Ekur de Nippur et un autre lot provenant d'Eshnunna. Leur administration semble généralement chapeautée par le gouverneur local, sauf dans le cas de l'Ekur, temple du grand dieu Enlil, principale divinité de la Mésopotamie à Nippur. L'Ekur était dirigé par un administrateur spécifique choisi par le roi et non par le gouverneur dirigeant le reste de la cité de Nippur : cette situation particulière était sans doute due au statut du temple qui était le sanctuaire de tout le pays sumérien. Le roi participait à l'entretien courant des temples et la reconstruction de l'Ekur entreprise par Naram-Sin et poursuivie par son fils Shar-kali-sharri est bien connue grâce aux tablettes exhumées dans ce temple. Des artisans spécialisés étaient mobilisés dans tout leur royaume à cet effet, charge à l'administration du temple de les entretenir pendant la durée des travaux. En tant qu'organisme économique, le temple fonctionnait suivant le même principe que le palais. Les dépendants de l'Ekur étaient organisés en équipes de travailleurs dirigées par des chefs (UGULA), eux-mêmes commandés par des administrateurs supervisant les travaux (NU.BANDA) et rémunérés par des rations d'entretien. Le sanctuaire était aussi amené à jouer un rôle de « protection sociale » pour des individus isolés et démunis (orphelins, veuves) qu'il entretenait. D'autres activités sont attestées par un nombre plus réduit de tablettes. Certains documents provenant de Suse montrent l'activité de marchands (DAM.GÀR) qui agissaient sous le contrôle de l'État et dont les réseaux commerciaux avaient pour but d'acheminer des matières premières vers la Mésopotamie qui en est très pauvre. D'autres textes montrent quant à eux l'existence d'activités privées à cette période, certains marchands ou autres agents de l'État pouvant également agir pour leur propre compte. Le commerce international était très actif vers le plateau Iranien, mais aussi le golfe Persique, allant jusqu'à Oman (Magan) et la vallée de l'Indus (Meluhha), régions riches en matières premières dont les Mésopotamiens étaient très demandeurs (métaux, pierres). Mais on ne sait pas bien ce qu'ils exportaient en retour : sans doute du grain, des étoffes et huiles parfumées. On trouve aussi dans les archives de la période des documents concernant des activités locales : commerce de produits agricoles, achat et vente de champs, d'esclaves, ainsi que des opérations de prêts. La richesse des notables entreprenant ces opérations paraît liée au pouvoir central. Ainsi, à Umma, un certain Ur-Shara prenait en charge du bétail appartenant au palais. Son épouse Ama-é, véritable femme d'affaires, louait des terres du palais et menait d'autres activités avec des personnes privées, notamment l'octroi de prêts. De plus, il semble que les terres concédées par le palais à ces notables furent progressivement

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patrimonialisées par leurs détenteurs, qui les considéraient comme des biens familiaux, sans que cela n'affaiblisse forcément le pouvoir central. Comme souvent dans l'histoire mésopotamienne, les limites entre public et privé sont très floues. Postérité de l’Empire d’Akkad L'expérience qu'a constitué l'empire d'Akkad a profondément marqué l'histoire de la Mésopotamie. L'ancien système des cités-États laisse place à une nouvelle forme étatique qui se donnait pour vocation la domination universelle. Le royaume de la troisième dynastie d'Ur, formé quelques décennies après la chute d'Akkad, se situe dans la continuité de ce « premier empire ». À partir de ce moment, les rois d'Akkad, en premier lieu Sargon et Naram-Sin, deviennent les héros de véritables épopées qui servent d'illustration à l'idéologie royale mésopotamienne qu'ils ont eux-mêmes contribué à forger. Dès les débuts d'Ur III, les cercles royaux ressentent le besoin de justifier la chute d'Akkad par une explication théologique, et procèdent à la rédaction d'un texte en sumérien, appelé par les historiens actuels la Malédiction d'Akkad. Ce récit raconte que Naram-Sin a perdu le soutien des dieux et que le plus grand d'entre eux, Enlil, ne lui donne pas le droit de reconstruire son temple à Nippur. De rage, Naram-Sin le fait détruire et s'attire la malédiction des dieux, qui condamnent son royaume à la destruction, les Gutis jouant le rôle d'exécuteur inconscient du châtiment divin. Cette justification de la chute d'Akkad permet de légitimer le pouvoir des rois d'Ur III. C'est cette image de roi orgueilleux et pécheur qu'a forgé la tradition mésopotamienne à propos de Naram-Sin. Elle se retrouve dans la Légende de Kutha, dans laquelle le roi refuse d'entendre les mauvais présages à propos d'une bataille qu'il va mener et perd. Mais il finit par l'emporter en combattant quand les présages lui sont favorables. La grande révolte qui a lieu au cours de son règne a également donné naissance à une tradition littéraire comme vu précédemment. Sargon a également été à l'origine d'une abondante littérature, qui est parfois sur-interprétée par les historiens modernes car on dispose de peu d'inscriptions et de textes datant de son règne. Il est difficile de savoir dans quelle mesure ces récits, attestés jusqu'à la fin de l'époque néo-assyrienne (VIIIe et VIIe siècles), sont fidèles à la réalité historique. C'est le cas du plus célèbre, l'Autobiographie de Sargon, récit racontant comment Sargon est abandonné à sa naissance par sa mère (une prêtresse qui ne doit pas avoir d'enfants), qui le place dans un panier en osier sur l'Euphrate, sur lequel il dérive jusqu'à Kish où il est recueilli par un puisatier, avant d'être plus tard soutenu par la déesse Ishtar, qui l'aide à prendre le pouvoir. Plusieurs récits racontent ses exploits guerriers, notamment celui intitulé Sargon, roi de la bataille. Il relate une campagne, sans doute légendaire, qu'il aurait menée en Anatolie, contre la ville de Purushanda. Un exemplaire en hittite a été mis au jour à Hattusha, capitale des Hittites, ainsi qu'une version akkadienne du récit à Tell el-Amarna, en Égypte, ce qui montre que la légende de Sargon trouvait un écho au-delà de la Mésopotamie. La tradition mésopotamienne a donc distingué deux rois d'Akkad, Sargon et Naram-Sîn, symbolisant toute l'importance qu'ils ont eue dans son histoire et dans la construction idéologique de la fonction royale et de l'impérialisme dans la région. Elle a surtout retenu d'eux leur puissance militaire, aspect qu'ils ont eux-mêmes le plus mis en avant. Au long de l'histoire mésopotamienne les scribes ont recopié les inscriptions des souverains d'Akkad, en plus des légendes les concernant. Plusieurs souverains reprennent au cours des deux millénaires suivants le titre de « roi d'Akkad », se plaçant dans la continuité de leurs illustres prédécesseurs. Sargon et Naram-Sîn ont également fait l'objet d'un culte, sans doute dès la période d'Ur III, et leurs statues sont encore vénérées sous la domination des

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Perses achéménides (VIe et Ve siècles). Un peu auparavant, des prêtres de Sippar de la période précédente créent une fausse charte de donation qu'aurait octroyé Manishtusu à leur temple.