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INTRODUCTION La présente étude de l'histoire des diocèses savoyards comprend ceux qui sont à l'heure actuelle inclus dans le département de la Savoie. Elle ne saurait, par conséquent, s'étendre au diocèse d'Annecy qui fait partie de l'ensemble désigné sous le nom de province de Savoie. La partie sud de cette province s'ordonne géographiquement à partir d'une vallée principale, celle de l'Isère entre l'ancienne fron- tière dauphinoise de Pontcharra et Chapareillan, et Albertville. Sur elle débouche la cluse de Chambéry drainant sur Montmélian les routes venant de Paris et de Lyon et elle reçoit d'autre part deux longues vallées, l'une, vers le milieu est celle de l'Arc, l'autre, plus au nord, est celle de l'Isère même en sa partie supérieure. Les massifs ainsi délimités sont à l'ouest les Bauges et la Chartreuse qui ne sont qu'en partie dans le département et, à l'est, pour l'essentiel, le Beaufortain et la Vanoise sans compter les crêtes qui séparent la Savoie de l'Italie, de l'Oisans et des pays du Rhône et de son affluent le Guiers. Toute l'histoire du pays résulte de cette disposition, car ces cou- loirs et vallées ont permis de s'installer à des routes séculaires allant soit des plaines rhodaniennes au Piémont, soit du Dauphiné au Jura et à la Suisse. Dans ce cadre a pu se constituer un Etat original voué au contrôle des passages avec une politique d'expansion naturelle en direction à la fois du nord, de l'ouest et de l'est. Cette politique a été le fruit des efforts de la Maison dite de Savoie et s'est développée huit siècles durant. Marginaux vis-à-vis des terres de France, les divers secteurs de ce domaine, patiemment assemblés au cours du Moyen Age, en ont côtoyé l'histoire sans y participer pleinement, pas plus qu'ils nont subi les aléas de celles de l'Italie et de la Suisse. D'où un son

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INTRODUCTION

La présente étude de l'histoire des diocèses savoyards comprend ceux qui sont à l'heure actuelle inclus dans le département de la Savoie. Elle ne saurait, par conséquent, s'étendre au diocèse d'Annecy qui fait partie de l'ensemble désigné sous le nom de province de Savoie. La partie sud de cette province s'ordonne géographiquement à partir d'une vallée principale, celle de l'Isère entre l'ancienne fron-tière dauphinoise de Pontcharra et Chapareillan, et Albertville. Sur elle débouche la cluse de Chambéry drainant sur Montmélian les routes venant de Paris et de Lyon et elle reçoit d'autre part deux longues vallées, l'une, vers le milieu est celle de l'Arc, l'autre, plus au nord, est celle de l'Isère même en sa partie supérieure. Les massifs ainsi délimités sont à l'ouest les Bauges et la Chartreuse qui ne sont qu'en partie dans le département et, à l'est, pour l'essentiel, le Beaufortain et la Vanoise sans compter les crêtes qui séparent la Savoie de l'Italie, de l'Oisans et des pays du Rhône et de son affluent le Guiers.

Toute l'histoire du pays résulte de cette disposition, car ces cou-loirs et vallées ont permis de s'installer à des routes séculaires allant soit des plaines rhodaniennes au Piémont, soit du Dauphiné au Jura et à la Suisse.

Dans ce cadre a pu se constituer un Etat original voué au contrôle des passages avec une politique d'expansion naturelle en direction à la fois du nord, de l'ouest et de l'est. Cette politique a été le fruit des efforts de la Maison dite de Savoie et s'est développée huit siècles durant. Marginaux vis-à-vis des terres de France, les divers secteurs de ce domaine, patiemment assemblés au cours du Moyen Age, en ont côtoyé l'histoire sans y participer pleinement, pas plus qu'ils nont subi les aléas de celles de l'Italie et de la Suisse. D'où un son

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très particulier, puisque en Savoie n'ont par exemple eu lieu ni la guerre de Cent Ans, ni les tyrannies italiennes ni les guerres de Religion.

L'histoire de l'Eglise, plus ou moins imbriquée dans celle des princes est aussi très particulière. En fait la christianisation des Alpes de Savoie a été moins ancienne que celle du Dauphiné ; les diocèses n'y datent que des Ve et vf siècles, diocèses soumis d'avance à des impératifs géographiques, puisque s'inscrivant dans le cadre et de la vallée de l'Isère supérieure dite Tarentaise et de celle de l'Arc, dite Maurienne. Le diocèse de Tarentaise déborde légèrement sur les pentes des Bauges à la hauteur d'Albertville et celui de Maurienne, franchissant en Piémont au-delà de Suse, se glisse à son autre extré-mité, le long de l'Isère jusqu'aux abords de Pontcharra. Le reste du territoire qui nous intéresse est partagé entre le diocèse de Genève à partir du lac du Bourget, celui de Belley entre la chaîne jurassienne de l'Epine et le Rhône (Petit-Bugey), et de Grenoble pour toute la cluse y compris la Chartreuse, sous le nom de Décànat de Saint-André puis de Savoie, plus le secteur marginal des Echelles. Ces limites rendent le pays tributaire de l'archevêché de Vienne, la partie bugiste relevant même de Besançon.

Cet état de choses a duré sans modification appréciable jusqu'au moment, entre le ix® et le xm!0 siècle, où le Val de Suse a été rattaché au diocèse de Turin et où s'est constitué (xvin® siècle) celui de Chambéry pour la seule partie relevant de Grenoble.

Après une unification arbitraire sous le nom d'évêché du dépar-tement du Mont-Blanc, de 1792 à 1801, puis de Chambéry et Genève de 1801 à 1823, une nouvelle carte ecclésiastique est apparue dans le cadre du département actuel avec les diocèses de Tarentaise et de Maurienne légèrement remaniés et l'archevêché de Chambéry, à l'exclusion de toute appartenance à Belley et à Annecy, sauf les cantons de Rumilly, dépendant de la Haute-Savoie et de ceux d'Ugine et de Flumet, savoyards mais rattachés à Annecy.

Le peuple chrétien vivant dans ce cadre alpin est relativement homogène quant aux conditions de vie, mais est marqué par de fortes nuances tenant au particularisme des secteurs géographiques, d'où il s'ensuit que, même de nos jours, sous une unification de surface (1966), chaque diocèse a conservé son existence et sa person-

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nalité. Histoire originale en bien des points, dans laquelle nous avons voulu introduire le lecteur.

Pour en rassembler les éléments nous avons eu recours à divers spécialistes auxquels nous tenons à rendre hommage. Monsieur l'abbé Jean Prieur, maître-assistant d'Histoire ancienne à l'Université II de Grenoble, a rédigé le premier chapitre allant des origines au x® siècle auquel il faut ajouter une note spéciale, rédigée par Made-moiselle Pierrette Paravy, maître-assistant à la même Université. Monsieur Joannès Chétail, membre de l'Académie de Savoie et secrétaire général de la Société Savoisienne d'Histoire et d'Archéo-logie, a collaboré aux chapitres concernant l'histoire de la Révolution et de l'Empire et Monsieur le chanoine Bellet, membre de l'Académie de Savoie (+), a fourni des notes d'un intérêt de premier ordre relatives à l'histoire du diocèse de Maurienne depuis les origines. Nous regret-tons que des circonstances particulières aient empêché la constitution d'une véritable équipe de travail. Elle eût évité que la rédaction relève par trop d'une plume livrée aux risques de la solitude.

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CHAPITRE PREMIER

Les origines

Les cadres de Tadmimstratian romaine et Torigine territoriale des diocèses de Savoie.

A l'époque romaine, le territoire représenté par l'actuel dépar-tement de la Savoie ne formait pas une unité administrative, mais il était morcelé et réparti sur plusieurs provinces : en effet, l'occu-pation romaine ne s'est pas faite en même temps sur tout le territoire, partagé auparavant entre des peuplades celtiques distinctes (Allo-broges, Ceutrons, Médulles).

C'est à la suite des campagnes du consul Cn. Domitius Ahenobarbus en 122 avant J.-C. et de Q. Fabius Maximus, surnommé l'Allobro-gique, c'est-à-dire vainqueur des Allobroges, que TAllobrogie (ou cité de Vienne), recouvrant la majeure partie de la Savoie, forme alors l'une des vingt cités de la province de Gaule Narbonnaise.

Plus d'un siècle après cette conquête, vers 15 avant J.-C., la Taren-taise et la Maurienne sont à leur tour soumises par Rome, en même temps que l'intérieur des Alpes Occidentales : la Tarentaise forme alors la petite province des Alpes Graies (capitale Aime, puis Daren-tasia ou Moûtiers au Bas-Empire) gouvernée par un procurateur ; la Maurienne fait partie de la province romaine des Alpes Cottiennes (capitale Suse), qui regroupe les hautes vallées de l'Arc, de la Durance et de la Doire Ripaire. Le territoire du département actuel de la Savoie est donc partagé en trois secteurs rattachés à trois provinces romaines différentes.

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Pendant tout le Haut-Empire, c'est-à-dire sur près de trois siècles, cette situation administrative ne varie pas. Les changements au Bas-Empire même sont minimes : Vienne, jusque-là simple chef-lieu de cité, devient capitale dune nouvelle province (la Viennoise) et même capitale de lun des deux « diocèses » civils qui se partageaient la Gaule; quant aux provinces alpestres, la réforme de Dioclétien ou de ses successeurs immédiats a consisté seulement à rattacher les Alpes Maritimes au diocèse de Vienne, les Alpes Graies et Pen-nines au diocèse des Gaules et les Alpes Cottiennes au diocèse d'Italie.

Enfin, à cette époque, une bourgade de la cité de Vienne, Cularo (Grenoble), prend une importance militaire avec le cantonnement des troupes : la Notifia Dignitatum (catalogue des fonctionnaires et des corps de troupes de tout l'Empire) y mentionne la présence d'une cohorte, dont le nom (cohors prima Flavia) rappelle la famille d© Constantin. En 379, l'empereur Gratien, sans doute lors d'un séjour à Grenoble, transforme la bourgade (viens) de Cularo en cité (civitas) et lui donne son nom, Gratianopolis, que la ville a conservé : la nouvelle cité de Grenoble est détachée de celle de Vienne et son territoire englobe une partie de la Savoie qui dépendait précédem-ment de la cité de Vienne.

Les premiers évêchés dont relève le territoire savoyard se consti-tuent dans le cadre des provinces et des cités romaines : la Tàrentaise pour la province des Alpes Graies, avec pour capitale Darentasia ; la Maurienne pour les Alpes Cottiennes, comprenant Suse, Briançon et Saint-Jean-de-Maurienne actuelle ; le Petit-Bugey fait partie de l'évêché de Belley ; les Bauges et la partie située au nord du lac du Bourget (Chautagne, Albanais) appartiennent à la cité, et par conséquent à l'évêché de Genève ; le reste, enfin, d'Aix-les-Bains à Montmélian et Saint-Pierre d'Albigny, relève de la cité et de l'évêché de Grenoble.

La géographie ecclésiastique de la Savoie se trouve fixée pour des siècles. Les anciennes limites des cités gallo-romaines ont pu dispa-raître à la suite des circonstances les plus diverses, les limites corres-pondantes des diocèses ecclésiastiques ont subsisté à peu près sans changement.

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LES ORIGINES il

Les premiers témoignages du christianisme.

La période des origines est toujours la plus mal connue et celles du christianisme ne font pas exception. Si les origines chrétiennes de la Savoie sont obscures, faute de documents, les légendes, par contre, ont fleuri.

En 1670, un religieux du prieuré de Lémenc, Dom Jean-Louis Rochex, publie La Gloire de ïabbaye et vallée de la Novalèse, où aucune distinction n'est faite entre histoire et légende et qui, en conséquence, permet de connaître en détail le passé de la Savoie depuis Fan 2242 de la Création ! Ainsi l'église Saint-Pierre de Lémenc aurait été fondée en l'an 50 par l'apôtre saint Barnabé; la foi chrétienne aurait été apportée en Matirienne par deux disciples de saint Pierre, les saints Elie et Milet ; saint Pierre lui-même serait venu visiter cette première chrétienté, etc... Ces légendes, qui appa-raissent tardivement dans les textes (la Chronique de la Novalaise, au xi® siècle, n'en fait aucune mention), remontent probablement à une époque où tous les diocèses de France revendiquent une origine apostolique. Elles peuvent, cependant, nous fournir certaines indi-cations : par exemple, c'est de l'Italie et non de la Gaule, que le christianisme est arrivé en Maurienne.

Les véritables sources sont rares : si, pour Vienne et Lyon, les témoignages peuvent remonter au second siècle (lettre sur les martyrs de 177 rapportée par Eusèbe de Césarée) ou, pour le Valais, au troisième (massacre de la légion thébaine en 286), en Savoie, en revanche, les premiers documents certains sont tardifs. Le texte littéraire le plus ancien est une anecdote de Sulpice Sévère dans la vie de saint Martin (Vita Martini) publiée en 397 : après avoir décidé de quitter l'armée en 356, Martin fait une visite à saint Hilaire, évêque de Poitiers, avant d'aller à Pavie voir « ses parents encore retenus dans le paganisme » ; en traversant les Alpes il est pris par des brigands. Mais, à supposer un passage, probable, par le col du Petit-Sàint-Bernard, peut-on parler d'une activité apostolique de saint Martin lors de son voyage ?

Un peu plus tard, vers 475-480, Constance de Lyon rédige une Vie de saint Germain : après avoir parcouru les cités gauloises, en 448, Germain traverse les Alpes avant d'aller mourir à Ravenne. Même si l'on trouvé de nombreuses chapelles dédiées à saint Germain

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sur la route de Chambéry ou du Petit-Saint-Bernard, se pose le même problème que pour le voyage de saint Martin.

Le premier texte littéraire précis, concernant de façon certaine la Savoie, est une homélie de saint Avit, métropolitain de Vienne, à loccasion de la dédicace de l'église de Moûtiers en 517. Ce texte nous donne le nom de l'évêque de Tarentaise, Sanctius ; surtout il nous apprend que l'église consacrée en 517 remplace une ancienne église détruite qui, de toutes façons, était devenue trop petite pour la communauté chrétienne, probablement Saint-Etienne, dont le souvenir se retrouve dans la biographie tardive de saint Jacques, publiée par les Bollandistes en 1680. Le christianisme est donc implanté dans la capitale tarine depuis de nombreuses années : d'ailleurs, saint Avit, qui attaque violemment les hérésies, ne dit mot du paganisme.

Enfin vient le récit de Grégoire, évêque de Tours (573-594), sur les reliques de saint Jean-Baptiste dans les Sept livres de miracles, composés après 574, dont l'un, celui qui nous intéresse, est intitulé De la gloire des bienheureux martyrs. En voici le début :

Une certaine femme, venue de la ville de Maurienne, demanda des reliques du précurseur et s'engagea par serment à ne pas s'en aller sans en avoir reçu une. Mais comme les habitants du lieu affirmaient que c'était impossible, elle se prosternait chaque jour devant le sépulcre en priant, comme nous l'avons dit, pour qu'il lui fût accordé quelque chose de ces saints membres. Dans ce but elle passa une année entière, puis une seconde, continuellement en prière. Au commencement de la troisième, comme elle voyait que ses prières n'avaient pas d'effets, elle se coucha devant le sécpulcre et déclara solennellement qu'elle ne se relèverait pas avant d'avoir reçu du saint ce qu'elle demandait. Le septième jour, quand déjà elle tombait d'inanition, un pouce d'une éclatante blancheur et resplen-dissant de lumière apparut sur l'autel. Reconnaissant là un don de Dieu, la femme se releva et plaça dans une petite boîte en or ce qu'elle avait mérité du Seigneur. Et avec une grande joie, elle revint dans son pays... (Cf. G. MONOD, Etudes critiques sur les sources de l'histoire mérovingienne, I , P . 4 4 . )

Puis l'auteur raconte comment par la suite trois évêques obtinrent chacun une goutte du sang de ce pouce, ceux d'Aoste, Belley et Turin sans doute puisque leurs églises cathédrales sont dédiées à

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LES ORIGINES il

saint Jean-Baptiste ; enfin comment Rufus, évêque de Turin, à qui appartenait autrefois ce lieu de Maurienne, y envoya son archidiacre pour emporter la relique à Turin : vaine tentative, car le messager fut puni par le Ciel et, «depuis nul n'osa changer de place les saintes reliques ». Même si ce récit est en partie fantaisiste, il nous apprend que, dès le vi* siècle, le culte des reliques de saint Jean-Baptiste donnait une certaine célébrité à la ville de Maurienne.

A la pauvreté des sources littéraires pourraient suppléer les don-nées de l'archéologie. Mais là encore les vestiges sont peu abondants. Quatre épitaphes ou inscriptions funéraires peuvent être considérées comme les plus anciens témoignages du christianisme en Savoie. L'inscription de Jongieux, conservée au Musée d'Aix-les-Bains, se trouve au dos d'une stèle du dieu Silvain utilisée en remploi sur la tombe d'une femme, Valho, morte à 68 ans le 16 janvier 504. Celle de Yenne, comprise dans le mur de l'église, signalait la tombe d une femme burgonde, Gundefrida, morte à 34 ans, le 15 novembre 521. L'épitaphe de Grésy-sur-Aix, fixée au mur de la tour de Grésy, commémore un certain Annemundus, mort probablement vers 523. Quant à l'inscription de Moûtiers, aii Musée de l'Académie de la Val d'Isère, en l'honneur de Galla, morte à 26 ans, elle est peut-être plus tardive, mais de toute façon antérieure au vnf siècle.

Enfin les restes des premiers édifices chrétiens antérieurs à l'époque carolingienne, sont extrêmement rares ou encore à découvrir. On peut citer à Aime les substructions du chevet d une église paléo-chrétienne à Saint-Sigismond et, sous l'église romane Saint-Martin, les vestiges de deux édifices antérieurs dont une basilique civile romaine et d'une église à nef unique postérieure.

Au chevet de la cathédrale de Moûtiers, les fondations d'un édifice de plan circulaire, découvertes en 1897 par l'architecte Borrel lors de la construction de la chapelle du couvent des sœurs de Saint-Joseph, et considérées comme les restes d'un temple rond dédié à une divinité romaine, sont probablement celles du baptistère du v° siècle signalé par Besson, à moins qu'il ne s'agisse, comme à Saint-Pierre de Lémenc (probablement) ou à Genève (certainement), d'une chapelle funéraire à plan circulaire.

En conclusion, les documents sur les origines chrétiennes en Savoie concernent quelques régions précises : le secteur de Yenne et du lac du Bourget (Jongieux, Grésy-sur-Aix), Moûtiers et Saint-Jean-

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de-Maurienne. C'est là qu'il faut situer les premières communautés chrétiennes de la Savoie.

Mais, bien auparavant, la nouvelle religion était implantée à Lyon et à Vienne, où sévit la fameuse persécution de 177. C'est de Vienne que le christianisme dut se propager le long de la grande voie qui reliait la vallée du Rhône aux postes alpestres de Môûtiers et Aime. C'est la route des marchands et des missionnaires. Par contre, la vallée de l'Arc étant rattachée administrativement à Suse et au diocèse d'Italie, c'est de Turin que le christianisme est arrivé en Maurienne.

La formation des êvêchés.

Les premières communautés chrétiennes de l'ancienne Allobrogie dépendaient toutes de l'évêque de Vienne. Puis, l'élévation de Gre-noble et de Genève au rang de cités, vers 380, est à l'origine des deux premiers sièges épiscopaux concernant la Savoie. Le premier évêque de Grenoble est Domnin : en 381 on le trouve présent au concile d'Aquilée. Vers 400, apparaît le nom d'Isaac, premier évêque connu de Genève. Ces deux évêques sont soumis à la juridiction du métro-politain de Vienne, c'est-à-dire de la province-mère. Et cela pour des siècles, à part une courte période où Vienne est rattaché à Arles.

En 443 les Burgondes s'installent en Savoie et choisissent Genève pour capitale ; mais, en 524, le roi burgonde Sigismond est battu par Clodomir et Thierry : le royaume burgonde passe à la monarchie franque. Lorsqu'ils se partagent le territoire entre eux, les princes francs veulent soustraire leurs sujets à la juridiction d'un évêque étranger. Quand Vienne échut à un autre prince que le pays de Belley, cette dernière région fut détachée de Vienne pour former un évêché comprenant essentiellement le canton de Belley et le Petit-Bugey savoyard. Toutefois les origines de cet évêché restent obscures : le premier évêque de Belley certainement connu assista au concile de Paris en 552.

La Tarentaise, province romaine avec Aime puis Darentasia ou Moûtiers, aurait dû normalement constituer une métropole religieuse. Mais les provinces alpestres sont de petites circonscriptions, ne dépassant guère en étendue les cités gauloises ; de plus, dès avant

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l'an 400, le préfet du prétoire a quitté les bords du Rhin pour Arles. Le rôle politique d'Arles renforce son rôle religieux : saint Honorât, évêque d'Arles, confère l'épiscopat à son disciple, formé au monastère de Lérins, qu'il avait envoyé au pays des Ceutrons, et saint Jacques de Lérins devient ainsi le premier évêque de Tarentaise, vers 427 ou 428. Par la suite, une lettre du pape saint Léon, datée de 450, nous apprend que l'évêché de Tarentaise est alors rattaché à la métropole de Vienne.

Après saint Jacques, les évêques de Tarentaise connus sont Sanctius (dont nous avons parlé à l'occasion de la dédicace de l'église de Moûtiers en 517 et qui, la même année assiste au concile d'Epaone) ; Marcianus, présent aux conciles de Mâcon en 581 et 585 et de Valence en 583 ; Baudoméris, présent au concile de Chalon en 650 ; Andréas, convoqué en 828 au concile de Lyon ; Audax vers 840 et Teutrammus vers 860.

La Tarentaise est constituée en province ecclésiastique par Char-lemagne à la fin du vnf siècle. Elle comprend les évêchés de Taren-taise et du Valais (Sion), correspondant aux deux anciennes provinces des Alpes Graies et Pennines qui, dès la réforme de Dioclétien, vers 300, avaient été regroupées sous la juridiction d'un seul gouverneur. On lui rattacha ensuite l'évêché de Maurienne pour peu de temps, et celui d'Aoste jusqu'au concordat de 1802. La province ecclésias-tique de Tarentaise s'étendait donc sur les deux versants des Alpes.

Les premières communautés chrétiennes de la Maurienne dépen-daient de l'évêché de Turin. En effet, lors de la réforme de Dioclétien, la province des Alpes Cottiennes est rattachée au diocèse d'Italie. D'ailleurs, à propos des reliques de saint Jean-Baptiste, Grégoire de Tours dit expressément que la Maurienne « appartenait autrefois à la cité de Turin au temps de l'évêque Rufus » (mort vers 562). Mais lorsque, vers 574, Gontran, roi franc installé en Bourgogne, défait les Lombards et occupe la vallée de Suse, la frontière franque est alors fixée à la cluse fermant cette vallée vers Avigliana (appelée désormais cluse des Lombards). C'est l'ancienne frontière de la pro-vince romaine des Alpes Cottiennes, dont tout le territoire est alors rattaché au royaume de Gontran. Celui-ci récuse l'autorité de l'évêque de Turin sur cette région qu'il vient de conquérir ; Ursicius, évêque de Turin, proteste et demande l'intervention du pape saint Grégoire

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le Grand : devant l'obstination de Contran, toutes ces tentatives furent vaines.

C'est alors, vers 574, que Gontran fonde un évêché sur le territoire de la province des Alpes Contiennes. Pour le choix du siège épiscopal, entre la ville de Suse, capitale, mais située sur le versant italien, et celle de Maurienne, moins importante mais située sur le versant français, c'est évidemment la dernière qui eut ses préférences. L'affaire des reliques de saint Jean-Baptiste servit de prétexte. L'évêque prit toutefois le titre de « évêque de la cité de Suse et de Maurienne», titre par lequel est encore désigné Asmundus en 887, dans un diplôme du roi Boson faisant une donation au diocèse. De plus, celui-ci avait peut-être un siège double, puisqu'on retrouve en chacune de ces deux villes une « cathédrale double », composée de deux églises distinctes, l'une réservée aux initiés et l'autre aux non baptisés, lune dédiée à la Vierge et l'autre à un martyr (comme Moûtiers à Notre-Dame et à saint Jean-Baptiste).

Le premier titulaire du nouveau diocèse fut probablement Felmase dont le nom, conservé par la tradition, est reproduit dans un manus-crit du x6 siècle seulement. Puis, sur plusieurs siècles, nous ne retrouvons que quelques noms : Hiconius, qui assista aux deux conciles de Mâcoii ; Leporius, présent à celui de Chalon ; Walchunus, mentionné en 726 et en 739 dans deux chartes du patrice Abbon.

Le territoire du premier diocèse de Maurienne correspond exac-tement à celui de l'ancienne province romaine. La Vie de sainte Tygre signale un conflit survenu entre Leporius, évêque de Mau-rienne (donc au vin* siècle), et l'archevêque d'Embrun, au sujet des frontières de leur diocèse. C'est l'occasion de rappeler les limites de celui de Maurienne : du côté italien, Avigliana; dans le Briançon-nais, à un mille de Rama (la Roche-de-Rame) ; à l'ouest Baydra et Briançon en Savoie (Charbonnières, près d'Aiguebelle ?). L'étendue de notre diocèse est confirmée par d'autres documents : un diplôme du roi Boson en 887 ; des bulles du pape Serge III en 904, du pape Calixte II en 1123 et de Lucius III en 1184.