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HISTOIRE A LLEZ SAVOIR ! / N°21 O CTOBRE 2001 3 Des siècles avant Harry Potter, des apprentis sorciers étudiaient à l’Ecole des Alpes Des siècles avant Harry Potter, des apprentis sorciers étudiaient à l’Ecole des Alpes Warner Bros L’école d’apprentis sorciers de Poudlard et le professeur Minerva McGonagal, tels qu’ils apparaîtront au cinéma, dès le 5 décembre sur les écrans romands

HISTOIRE: Des siècles avant Harry Potter, des apprentis sorciers

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L’école d’apprentis sorciers de Poudlard et le professeur Minerva McGonagal, tels qu’ils apparaîtront au cinéma,

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L a légende dusabbat que vous

allez découvrir iciremonte à des tempsfort lointains dansl’histoire de la sorcel-lerie. Si lointains quela vénérable Ecole de Poudlard – cellequi accueille aujourd’hui le célèbrehéros de roman et bientôt de film HarryPotter – n’avait pas encore été fondée.

A cette époque que les sorcierspréfèrent oublier, parce qu’ils yétaient trop souvent brûlés, et quia été baptisée Moyen Age par lesMoldus (ce terme courammentemployé à Poudlard désigne tousceux qui ne sont pas sorciers), voilàque l’on colporte une histoire fan-tastique avec des mines inquiètes.

lucernois HansFründ parle d’ailleursde Schule) où lesapprentis sorciersvalaisans, fribour-geois, vaudois, valdo-tains et savoyards

étaient initiés aux plus noirs maléfices.»Ils y apprenaient la fabrication de

potions et de poudres (prenez la peaud’un chat, remplissez-là d’orge, de bléet d’avoine, trempez-là dans une sourcevive, tirez-en une poudre, saupoudrezle champ du voisin et sa fertilité chu-tera). Ils découvraient la préparationd’onguents comme celui à base degraisse d’enfant mêlée aux animaux lesplus venimeux (serpents, crapauds,lézards, araignées), qui assurait unemauvaise mort à la personne visée.

Si l’on en croit les chercheurs de l’Univer-

sité de Lausanne, c’est en Suisse qu’il faut

chercher l’ancêtre de Poudlard, l’académie de

sorcellerie qui forme le magicien le plus popu-

laire de la littérature et du cinéma actuels.

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Une leçon à l’Ecole de Poudlard, pour Harry Potter et ses camarades

Onguents, poudres et potions

«Une rumeur venue des régionsalpestres (lire encore en page 9) décritles premiers sabbats, ces fêtes rassem-blant des norias de sorciers et de sor-cières qui enfourchaient leur balai pourse retrouver nuitamment», racontel’historienne de l’Université de Lau-sanne Martine Ostorero. «L’histoireveut encore qu’il y ait eu – en 1430après J.-C., c’était totalement inédit –une ou des écoles (le chroniqueur

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L’imaginaire de la torture

Cet imaginaire dont les détails sa-voureux n’ont pas grand-chose à envieraux aventures de Harry Potter «estalors colporté par quelques inquisiteurset hommes, tous installés dans ou auxabords de la Suisse actuelle. La rumeurest aussi relayée par les autoritéslaïques, surtout par un homme politiquefondamental pour la région, le duc deSavoie Amédée VIII, qui deviendra

pape sous le nom de Félix V, poursuitMartine Ostorero. Il est étayé par desmilliers de témoignages, des récits arra-chés par la torture à des victimes dénon-cées qui par un voisin jaloux, qui parun autre «sorcier» sommé durant sonsupplice de donner les noms de ses com-plices.» Autant d’épisodes tragiques quiont fait l’objet de procès, lesquels ontété préservés et sont désormais étudiéspar les chercheurs de l’Université deLausanne (lire aussi en page 10).

Ces recherches nous décriventune première école de la sorcellerieque l’on pourrait, avec un minimumd’imagination, considérer commel’ancêtre de Poudlard et baptiserl’Académie des Alpes.

La première école

A cette époque, pas question deprendre le Poudlard Express pour serendre à l’Académie des Alpes. Si lechemin de fer a bien été considérécomme le véhicule du diable, il n’avaitpas encore été inventé au Moyen Age.A défaut, des mages aussi criants queScadeli, le bel Holoz, Catherine Quic-quat ou Jacquet de Panissère, quel-ques-uns des centaines d’adultes, tanthommes que femmes, qui auraient fré-quenté cette école de riches (les accu-sations de sorcellerie visaient plus sou-vent des nantis que de pauvres hères),ont dû recourir aux services du diableou de l’un de ses démons pour aller àleur premier sabbat.

Attention à la poule noire à la croisée des chemins !

«Approchés parce qu’ils étaient ja-loux, malheureux ou parce qu’ils a-vaient invoqué le diable, par exempleen sacrifiant une poule noire au croi-sement des routes, ces candidats étaientconviés à une cérémonie dont ils res-sortaient dûment équipés de l’attirailindispensable à un sorcier qui se res-pecte», explique Martine Ostorero.

La cérémonie d’initiation était célé-brée à la lumière bleue de feux qui seconsumaient sans bois et elle compor-tait un banquet cannibale constitué debrochettes d’enfants et était suivied’une orgie sexuelle où la sodomie étaitde règle. L’affaire se terminait par unultime hommage à rendre au diabletransformé en chat noir ou en bouc, quele candidat devait embrasser sur le pos-térieur ou l’anus.

�La réunion des sorciers, telle qu’on l’imaginait vers 1460 en Europe �

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Tabouret vole !

A l’époque, pas question de filerdans les airs en position de recherchede vitesse sur un Nimbus 2000 commedans les aventures d’Harry Potter. «Lessorciers de nos contrées chevauchaientplutôt un animal noir et capable devoler grâce à des pouvoirs diaboliques,par exemple un cheval, un poulain ouun bœuf», note l’historienne lausan-noise.

Les apprentis sorciers des Alpesrecevaient leur véhicule après avoirsigné leur pacte diabolique. Ils héri-taient le plus souvent d’un bâton quiprenait son envol après une formulemagique ou quand on l’avait enduitd’un onguent constitué de graissed’enfants non baptisés et mijotés dansun chaudron.

La lie de la sorcellerie

La majorité des élèves de la premièreécole en ressortait sur de plus clas-siques balais. Il ne leur restait plus qu’àobserver avec envie les décollagesconfortables des sorciers valaisans qui– c’est une particularité régionale – sedéplaçaient généralement sur unechaise ou un tabouret volant.

Autant de véhicules qui ne devaientpas arriver au sabbat en ligne droite,tant les mages noirs de ce canton

avaient la réputation (selon le chroni-queur lucernois Hans Fründ qui décritcette pratique au XVe siècle) de visi-ter clandestinement les caves de leurscontemporains pour y boire secrète-ment les meilleurs vins avant de pour-suivre leur tournée des grands-ducs.

Sabbat au Grand-Saint-Bernard

Une fois parés pour le vol, les sor-ciers de nos régions pouvaient décol-

Maître sorcier de l’Ecole de Poudlard, hiver 2001

Un sorcier chevauchant un loup,

à Cologne, vers 1460

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ler à leur guise,à condition quece soit de nuit. Car, comme l’a pré-cisé Antoine de Vernex (condamnédans le diocèse de Lausanne en avril1482) à ses juges et tortionnaires, sonbalai volant perdait tout pouvoirmagique dès le chant du coq.

Ainsi équipés, les sorciers pouvaientjoindre au plus vite leur lieu de ras-semblement. Quel cap prendre pourtrouver la première école? Quelquepart au fond d’une vallée ou au hautd’une montagne. Mais où exactement?Les réponses, quand il y en a, restentfloues. «L’auteur anonyme du «Mystèrede Saint Bernard de Menthon», aumilieu du XVe siècle, recommande,mais sans garantie, de rechercher l’éco-le d’ensorceleurs au sommet du col duGrand-Saint-Bernard. Et le chroni-queur Hans Fründ évoque le Val d’Hé-rens et le Val d’Anniviers», note Mar-tine Ostorero.

L’hostie sortilège

Là ou ailleurs, nos sorciers du XVe

siècle se retrouvaient en classe. Et leurmaître en chaire. «Car les enseignantsde la première école, qu’ils soient diableou démons, qu’on les appelle Satan,Rabiel, Robinet ou Maître de la secte,prêchaient la mauvaise parole à desélèves installés comme des ouaillesdevant leur curé», souligne la docto-rante de l’Université de Lausanne.

Les sorciers des Alpesapprenaient alors – c’était mêmeleur principal sujet d’étude – à nepas éveiller les soupçons des

chrétiens. Ils découvraientcomment aller à

l’Eglise sansinquiéter le reste

de la communauté,comment garder le

secret durant la confessionet surtout comment voler les précieuseshosties qui étaient réutilisées par lasuite dans les cours de sortilèges.

Comme de la grêle sur les vendanges

C’est que, à la différence des élèvesde Poudlard, les sorciers des Alpesétaient vivement encouragés à utiliserleurs pouvoirs contre les Moldus. Etne s’en privaient pas. «Un jeune hommed’Epesses, nommé Aymonet Maugetaz,avoue sa participation à une réunionde sorciers sur une montagne derrièreGruyères où de nombreux sorciers ontcassé des blocs de glace qui ont ensuiteété transportés dans un grand nuage

Des sorcières provoquent la tempête

en faisant bouillir un coq et un serpent, en 1489, à Cologne

L’une des plus anciennes

représentations de sorcière volant sur un balais,

vers 1451, à Arras

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noir avant de tomber en tempête au-dessus de Vevey», raconte MartineOstorero.

De quoi effrayer nos ancêtres Mol-dus qui redoutaient encore les sorti-lèges d’épidémie susceptibles de fairepérir le bétail ou de faire disparaîtreun tiers de leur fumier. Et qui crai-gnaient les sortilèges de stérilité quiprovoquaient des fausses couches chezles femmes ou l’impuissance des hom-mes du village.

«Les villageois tremblaient encoredevant les maléfices de catastrophesnaturelles qui faisaient tomber la neigeen plein mois de juillet ou provoquaientdes vents destructeurs accompagnésd’éclairs comme pouvait les déclencherle sorcier bernois Hoppo. Ils appré-hendaient enfin le maléfice de tacitur-nité qui rendait les sorciers muets etleur permettait de résister à l’usage dela torture», précise l’historienne lau-sannoise.

Epilogue sanglant

Reste, malgré ces vapeurs en série,que les plus à plaindre étaient encoreles jeteurs de sorts comme ceux que l’onsoupçonnait de magie noire, car ils ontpayé un terrible tribut à la folie anti-sorcière qui a saisi la Suisse romandedurant plusieurs siècles.

«Pour le seul canton de Vaud, oncompte quelque 1700 accusés de magienoire qui ont terminé leur carrière surun bûcher entre 1580 et 1655», calculeFabienne Taric Zumsteg, une autrechercheuse de l’Université de Lausan-ne, dans «Les sorciers à l’assaut du vil-lage de Gollion».

Jusqu’à ce que, un beau jour de1680, le souverain bernois décide de neplus punir les ensorceleurs de mort, etque le phénomène comme les rumeursconcernant l’Ecole disparaissent.Comme par enchantement.

Jocelyn Rochat

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Martine Ostorero,

chercheuse à l’Université

de Lausanne

Le diable au sabbat à Genève, en 1570

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L’ étude de nombreux procès dontles archives nous sont parvenues

le prouve : le sabbat, ce rituel fantas-matique qui rassemble sorciers et sor-cières dans une communauté parallèle,avec son cortège de balais volants, unpacte que l’on signe avec le diable etun banquet cannibale célébré avant deconclure la cérémonie par une orgiesexuelle, a bien été inventé dans lesAlpes. Et ce, pour l’essentiel, dans lapartie suisse de cette chaîne de mon-tagnes.

«Avant, il y avait bien des sorciersqui agissaient à titre individuel. Maisl’idée d’un fonctionnement commu-nautaire part bien d’ici pour se déve-lopper dans le reste de l’Europe. Ellese répand vers le Lyonnais, le Nordde la France, la Bretagne, les Flandreset l’Allemagne», observe Martine

Ostorero, une chercheuse de l’Uni-versité de Lausanne qui travailleactuellement à une thèse de doctoratsur ce thème.

L’Angleterre préservée

«En fait, seule l’Angleterre résisteà la mode de la chasse aux sorcièresde large envergure, car la torture etla procédure inquisitoire n’y sont pasemployées. Les aveux de pratiquesatanique ne peuvent donc pas êtrefacilement obtenus. De fait, le mythedu sabbat se répand sous une formelittéraire mais n’est guère accepté parles élites, ajoute la chercheuse. Voilàaussi pourquoi les sorciers anglais,dont Harry Potter est un exemplereprésentatif, sont bien moins inquié-tants que ceux de nos contrées.»

Pourquoi le mythe choisit-il les val-lées et les montagnes comme siège descommunautés sorcières? «Parce quecertaines sectes hérétiques s’y sont

réfugiées, répond la doctorante lau-sannoise. Mais aussi parce que, dansl’imaginaire médiéval, ces régions re-présentent un univers non domestiquéet inquiétant. Le diable y règne et pro-voque les éboulements, et desmonstres habitent dans les lacs demontagne, y compris dans le LacLéman.»

Le rôle des inquisiteurs

Le mythe du sabbat doit encoreune large part de son «succès» auxinquisiteurs qui pouvaient faire

avouer ce qu’ils vou-laient aux accusés qu’ils

soumettaient à l’horrible supplicede la corde. «Les préoccupationsde ces enquêteurs se retrouventlargement dans les aveux desaccusés qui décrivent des céré-monies caricaturant plusieurs

institutions médiévales», ajouteMartine Ostorero.

Et de citer, côté laïc, ce baiser del’apprenti sorcier sur le cul du diablequi précède la réception du balaivolant, un rituel grotesque qui res-semble comme deux gouttes de bavede crapaud à l’hommage vassaliquequi voyait le seigneur embrasser lechevalier avant de lui confier une épée.

Coté religieux, on observera que lediable prêche pour enseigner ses malé-fices comme le ferait un hommed’Eglise, et que l’essentiel de son mes-sage concerne le comportement queles sorciers devaient observer par rap-port à la confession, l’hostie ou l’eaubénite.

Autant de préoccupations quidevaient sembler bien bénignes à toutvéritable sorcier, pour autant qu’il aitjamais existé.

J.R.

Le sabbat, une légende née en Suisse

Le supplice de la corde, tel qu’on l’infligeait

aux sorciers pour les forcer à parler

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Les chasses aux sorcières

Gollion, 1615-1631Les sorciers bouteurs de pesteLes faits : Quelque vingt-sept procès poursorcellerie sont instruits de 1615 à 1631par le châtelain de L’Isle contre dix-huithommes et vingt femmes de ce petit vil-lage vaudois. L’anecdote : On y découvre les sorcierset sorcières bouteurs de peste. Ils sontdénoncés en 1616 et surtout en 1630-31,des années d’épidémie. Ce fléau, dit-onau village, provient soit d’une punitiondivine, soit de l’ouvrage de mages noirsqui répandent la maladie en graissant lesportes des maisons.La référence : Fabienne Taric Zumsteg,«Les sorciers à l’assaut du village. Gol-lion (1615-1631)», Etudes d’histoiremoderne 2, Editions du Zèbre, Lausanne,2000.

Dommartin, 1498 L’hostie rebelleLes faits : En automne 1498, le village deDommartin, dans le Jorat vaudois, vit aurythme des dénonciations.L’anecdote : Deux hommes et deuxfemmes détaillent plusieurs rituels cen-sés ridiculiser la pratique liturgique,comme la profanation d’ostie. Les sor-ciers cherchent à la faire frire dans unepoêle, mais cette matérialisation de lanature divine du Christ en sort miracu-leusement, parfois en se mettant à sai-gner ou à crier. Les sorciers tententencore de profaner l’eau bénite en lajetant par-dessus leur épaule au lieu dela verser sur leur visage.La référence : Laurence Pfister, «L’enfersur terre. Sorcellerie à Dommartin(1498)», CLHM 20, Lausanne, 1997.

Dommartin, 1524-1528 Les maléfices tueurs d’animauxLes faits : A l’aube du XVIe siècle, quatreaffaires sont jugées à Dommartin. Lesaccusés ne sont pas de pauvres hèresmais figurent parmi les plus riches despaysans qui sont accusés par leurs pairs.L’anecdote : Ces procès font la place belleaux maléfices, et plus particulièrement auxsorts qui provoquent la mort des animaux.Claude Rolier, un riche paysan, avouenotamment qu’il a tué trois enfants ettrente-huit animaux (chevaux et bovidés),dont «deux bœufs au poil rouge». On l’ac-cuse également d’avoir jeté un maléfice àses propres bêtes pour écarter les soupçons. La référence : Pierre-Han Choffat, «La sor-cellerie comme exutoire. Tensions et con-flits locaux», Cahiers Lausannois d’HistoireMédiévale (CLHM) 1, Lausanne, 1989.

Vevey, 1448 Le sexe froid du diableLes faits : En mars 1448, deux hommeset une femmes sont accusés de sorcelle-rie dans la région veveysanne.L’anecdote : Ces procès font une belleplace à la description d’une spécialité culi-naire régionale: les brochettes d’enfantà l’ail. L’interrogatoire d’une sorcière offreaussi une description gratinée des orgiessexuelles qui clôturent les sabbats. On yapprend que le diable n’est pas aussi brû-lant qu’on pourrait le croire. Une sorcièrequ’il a honorée sous le regard complicede renards et de chats prétend en effetqu’il a le sexe tellement froid qu’elle ena souffert.La référence : Martine Ostorero, «Folâ-trer avec les démons. Sabbat et chasseaux sorciers à Vevey (1448)», CLHM 15,Lausanne, 1995.

Vevey et la Riviera lémanique, 1477-1484 Les enfants à la brocheLes faits : Entre 1477 et 1484, une dou-zaine de procès sont menés dans la régionde Vevey, Montreux comme dans l’arrière-pays, jusqu’aux portes d’Oron.L’anecdote : On y découvre des des-criptions de la cuisson de chair d’enfant,une viande au goût très doux qui se mijotedans une marmite au feu de bois ou quise prépare à la broche. Malgré le savoir-faire des cuisiniers qui enlèvent la tête,jugée non comestible à cause du bap-tême, ce repas laisse les sorciers sur leurfaim, quelle que soit la quantité de viandeingurgitée.La référence : Eva Maier, «Trente ansavec le diable. Une nouvelle chasse auxsorciers sur la Riviera lémanique, 1477-1484», CLHM 17, Lausanne, 1996.

Plusieurs chercheurs de l’Université de Lausanne ont

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de Suisse romande

Lausanne, vers 1460 La marque du diableLes faits : Le diable enrôle des partisansà Henniez, Bulle et La Roche, sur les pos-sessions de l’évêque de Lausanne. Lessorciers présumés sont transférés dansla capitale pour interrogatoire et torture.L’anecdote : Après l’hommage et le bai-ser obscène, le sorcier donne au diableune partie de son corps. Pierre dou Cha-noz donne l’ongle de son petit orteilgauche. Guillaume Girod et JeannetteAnyo promettent un bout de leur maindroite. Détail qui compte : le diable laissesa marque sur les corps des sorcières, unsigne distinctif qui n’a pas d’équivalentchez l’homme.La référence : Georg Modestin, «Lediable chez l’évêque. Chasse aux sorciersdans le diocèse de Lausanne (vers 1460)»,CLHM 25, Lausanne, 1999.

Chermignon, 1467 La rencontre avec LuciferLes faits : Accusée de sorcellerie au prin-temps 1467, la veuve aisée Françoise Bon-vin bénéficie – c’est exceptionnel – del’assistance d’un avocat. Le dossier qu’ilconstitue a été préservé jusqu’à notreépoque. L’anecdote : On y évoque la rencontreavec le diable, appelé Lucifer, Cordan ouJudas qui, dans un cas, présente l’appa-rence d’un tas de laine noire qui prendpeu à peu forme humaine. Dans un autre,il apparaît sous l’aspect d’une corneilleavant de se changer en homme. Cethumain est dans tous les cas noir et poilu,avec des habits immondes et n’a, parfois,pas de genou. Il porte enfin des cornes etdu feu sort de sa bouche.La référence : Sandrine Strobino, «Fran-çoise sauvée des flammes? Une Valai-sanne accusée de sorcellerie au XVe

siècle», CLHM 18, Lausanne, 1996.

Val d’Anniviers et Val d’Hérens, 1428Gare aux loups-garous!Les faits : En 1428, des sorciers sontdécouverts dans le Val d’Anniviers etd’Hérens, puis dans le reste du pays duValais. Le procès dure plus d’une annéeet plus de 100 personnes sont jugées etexécutées.L’anecdote : On y rencontre les «anima-gus» chers à Harry Potter, ces sorcierscapables de se transformer en animaux.Ici, les Valaisans deviennent des loups etcourent après les moutons, les agneauxet les chèvres qu’ils mangent crus, avantde redevenir des hommes quand ils ledésirent.La référence : Martine Ostorero, Agos-tino Paravicini, Kathrin Utz Tremp,«L’imaginaire du sabbat», CLHM 26, Lau-sanne, 1999.

Note :On peut commander les Cahiers lausannois d’histoire médiévale (CLHM) au Bureau d’histoire médiévale, UNIL. Tél. 41 21/ 692 29 39Fax. 41 21/ 692 29 35E-mail : c l hm@his t .un i l . ch

analysé les procès en sorcellerie menés en Suisse romande. Florilège.