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Harry Potter et la Coupe de Feu par J. K. Rowling Traduit de l'anglais par Jean-François Menard A Peter Rowling, en souvenir de Mr Ridley et à Susan Sladden, qui a aidé Harry à sortir de son placard.

Harry potter et la coupe de feu

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  • Harry Potter et la Coupe de Feu par J. K. Rowling

    Traduit de l'anglais par Jean-Franois Menard

    A Peter Rowling,

    en souvenir de Mr Ridley et Susan Sladden,

    qui a aid Harry sortir de son placard.

  • 1 LA MAISON DES JEUX DU SORT

    Les habitants de Little Hangleton l'appelaient toujours la maison des Jeux du sort , mme s'il y avait de nombreuses annes que la famille Jedusor n'y vivait plus. Elle se dressait au sommet d'une colline dominant le village, certaines de ses fentres condamnes par des planches, le toit dpourvu de tuiles en plusieurs endroits, la faade envahie d'un lierre pais qui poussait en toute libert. Autrefois, le manoir avait eu belle apparence, c'tait sans nul doute le plus grand et le plus majestueux difice des kilomtres la ronde mais, prsent, la maison des Jeux du sort n'tait plus qu'une btisse humide, dlabre, dserte.

    Les villageois s'accordaient dire que la maison faisait froid dans le dos . Un demi-sicle plus tt, un vnement trange et terrifiant s'y tait produit, quelque chose que les plus anciens du village se plaisaient encore voquer lorsqu'il n'y avait rien de plus rcent pour alimenter les potins. L'histoire avait t raconte tant de fois, enjolive si souvent, que plus personne n'aurait su dire o tait vraiment la vrit. En tout cas, toutes les versions du rcit commenaient de la mme manire : cinquante ans plus tt, l'aube d'une belle matine d't, alors que la maison de la famille Jedusor tait encore une imposante rsidence soigneusement entretenue, une servante tait entre dans le grand salon et y avait trouv les cadavres des trois Jedusor.

    La servante s'tait prcipite au village et avait alert grands cris tous ceux qu'elle rencontrait sur son passage.

    Ils sont allongs par terre les yeux grands ouverts ! Froids comme la glace ! Encore habills pour le dner !

    On avait appel la police et tout le village de Little Hangleton avait bouillonn d'une curiosit indigne et d'une excitation mal dguise. Personne, cependant, n'avait gaspill sa salive dplorer la disparition des Jedusor qui n'avaient jamais suscit une grande sympathie alentour. Mr et Mrs Jedusor, un couple g, taient riches, arrogants, mal levs, et leur fils dj adulte, Tom, se montrait encore pire que ses parents. Tout ce qui importait aux villageois, c'tait de connatre l'identit du meurtrier le crime ne faisant aucun doute, car trois personnes apparemment en bonne sant n'auraient pu mourir subitement de mort naturelle le mme soir.

    Au Pendu, le pub du village, le commerce avait bien march, ce soir-l; tout le monde s'y tait rassembl pour parler du triple meurtre. Et personne n'avait regrett d'avoir abandonn son fauteuil au coin du feu lorsque, en plein milieu des conversations, la cuisinire des Jedusor avait fait une entre spectaculaire pour annoncer l'assistance soudain silencieuse qu'un homme du nom de Frank Bryce venait d'tre arrt.

    Frank ! s'taient cris plusieurs clients. C'est impossible !

    Frank Bryce tait le jardinier des Jedusor. Il vivait seul dans une maisonnette dlabre situe dans le domaine qui entourait le manoir. Frank tait revenu de la guerre avec une jambe raide et une profonde aversion pour la foule et le bruit. Depuis, il travaillait au service des Jedusor.

    Tout le monde s'tait prcipit pour offrir boire la cuisinire et obtenir d'autres dtails.

  • J'ai toujours pens qu'il tait bizarre, avait-elle dit aux villageois pendus ses lvres, aprs avoir vid son quatrime verre de xrs. Pas trs aimable, pour tout dire. Je crois mme qu'il ne m'est jamais arriv de lui offrir la moindre tasse de th. Il ne voulait pas se mler aux autres, jamais.

    Faut le comprendre, avait dit une femme accoude au comptoir, Frank, il a beaucoup souffert pendant la guerre. Maintenant, il aime bien tre tranquille. Ce n'est pas pour a qu'il aurait...

    Et qui donc possdait la cl de la porte de service ? l'avait interrompue la cuisinire. Il y a toujours eu une cl de cette porte dans la maison du jardinier ! Personne n'a forc la serrure, la nuit dernire ! Il n'y a pas de carreau cass ! Tout ce que Frank a eu besoin de faire, c'tait de se glisser dans la maison pendant qu'on tait tous en train de dormir...

    Les villageois avaient alors chang de sombres regards.

    Moi, je lui ai toujours trouv l'air mauvais, avait grogn un homme au comptoir.

    La guerre lui a fait un drle d'effet, si vous voulez mon avis, avait ajout le patron du pub.

    Je te l'ai souvent dit que j'aimerais mieux ne jamais l'a voir contre moi, pas vrai, Dot ? avait lanc une femme surexcite, assise dans un coin.

    Un caractre pouvantable, avait approuv la dnomme Dot en hochant vigoureusement la tte. Je me souviens, quand il tait petit...

    L lendemain matin, il n'y avait quasiment plus personne, Little Hangleton, pour douter que Frank Bryce ft bel et bien l'assassin des Jedusor.

    Mais dans la ville voisine de Great Hangleton, dans le poste de police sombre et miteux o il tait interrog, Frank rptait obstinment, inlassablement, qu'il tait innocent et que la seule personne qu'il avait vue s'approcher de la maison, le jour de la mort des Jedusor, tait un jeune homme ple aux cheveux bruns, tranger au village. Personne d'autre n'avait vu ce garon et la police tait persuade que Frank l'avait tout simplement invent.

    Puis, au moment o la situation devenait vraiment grave pour Frank, les conclusions de l'autopsie pratique sur les cadavres des Jedusor taient arrives et avaient tout boulevers.

    La police n'avait jamais lu un rapport aussi trange. Une quipe de mdecins lgistes avait examin les corps et en avait conclu qu'aucun des trois membres de la famille Jedusor n'avait t ni empoisonn, ni poignard, ni tu avec une arme feu, ni trangl, ni touff. Apparemment, personne ne leur avait fait le moindre mal. Pour tout dire, concluait le rapport sur un ton qui ne cherchait pas dissimuler la stupfaction de ses auteurs, les Jedusor paraissaient en parfaite sant en dehors du fait qu'ils taient morts. Les mdecins notaient toutefois (comme s'ils avaient voulu tout prix trouver quelque chose d'anormal) que les Jedusor avaient tous les trois sur le visage une expression de terreur mais, comme l'avaient fait remarquer les policiers passablement contraris, qui donc avait jamais entendu dire qu'on puisse provoquer la mort simultane de trois personnes en se contentant de leur faire peur ?

  • Comme il n'existait aucune preuve d'assassinat, la police avait d relcher Frank. On avait enterr les Jedusor dans le cimetire de Little Hangleton, derrire l'glise, et leurs tombes taient restes pendant longtemps un objet de curiosit. A la grande surprise de tous, et dans une atmosphre de suspicion, Frank Bryce tait retourn vivre dans sa maisonnette, sur le domaine qui entourait la rsidence des Jedusor.

    Si vous voulez mon avis, c'est lui l'assassin et je me fiche bien de ce que dit la police, avait comment Dot au pub du Pendu. Et s'il avait un peu de dcence, il partirait d'ici. Il sait bien que tout le monde est au courant que c'est lui qui les a tus.

    Mais Frank n'tait pas parti. Il avait continu s'occuper du jardin pour le compte de la famille qui avait rachet la maison des Jedusor, puis pour la famille qui lui avait succd car personne n'y restait bien longtemps. Peut-tre tait-ce en partie cause de Frank que chaque nouveau propritaire affirmait se sentir mal l'aise dans cet endroit qui, en l'absence d'occupants, avait commenc tomber en ruine.

    Le riche propritaire qui possdait prsent la maison des Jedusor n'y habitait pas et ne la destinait aucun usage; dans le village, on disait qu'il la gardait pour des raisons fiscales , mme si personne ne savait exactement ce que cela pouvait bien signifier. En tout cas, il continuait de payer Frank pour s'occuper du jardin. Frank approchait prsent de son soixante-dix-septime anniversaire. Il tait sourd et sa jambe tait devenue plus raide que jamais. Pourtant, les jours de beau temps, on le voyait encore s'affairer autour des massifs de fleurs, mme si les mauvaises herbes commenaient l'emporter sur lui.

    Les mauvaises herbes n'taient d'ailleurs pas le seul souci de Frank. Les enfants du village avaient pris l'habitude de jeter des pierres dans les carreaux de la maison des Jeux du sort et roulaient bicyclette sur les pelouses que Frank s'efforait d'entretenir avec tant de constance. Une ou deux fois, par dfi, ils taient mme entrs dans la maison en forant la porte. Ils savaient que le vieux Frank tait trs attach au domaine et ils s'amusaient beaucoup le voir traverser le jardin en boitant, un bton la main, hurlant contre eux de sa voix rauque. Frank, pour sa part, pensait que les enfants s'acharnaient ainsi contre lui parce que, comme leurs parents et leurs grands-parents, ils le prenaient galement pour un assassin. Aussi, lorsque le vieil homme se rveilla une nuit du mois d'aot et vit que quelque chose de trs bizarre se passait dans la vieille maison, il crut simplement que les enfants avaient franchi un pas de plus dans leurs tentatives de le punir du crime qu'ils lui attribuaient.

    Ce fut la jambe raide de Frank qui le rveilla; elle lui faisait de plus en plus mal dans ses vieux jours. Il se leva et descendit l'escalier en claudiquant, dans l'intention d'aller la cuisine remplir nouveau sa bouillotte d'eau chaude pour soulager la douleur de son genou. Debout devant l'vier pendant qu'il faisait couler l'eau dans la bouilloire, il leva les yeux vers la maison et vit une lumire scintiller derrire les plus hautes fentres. Frank devina tout de suite ce qui devait se passer. Les enfants taient nouveau entrs dans la maison et, en juger par cette lueur tremblotante, ils avaient allum un feu.

    Frank n'avait pas le tlphone et, d'ailleurs, il s'tait toujours mfi de la police depuis qu'elle l'avait accus du meurtre des Jedusor. Il posa la bouilloire, remonta l'escalier aussi vite que le lui permettait sa jambe raide puis redescendit dans la cuisine aprs s'tre habill et avoir pris

  • une vieille cl rouille, pendue un crochet prs de la porte. Au passage, il saisit sa canne pose contre le mur et sortit dans la nuit.

    Ni la porte d'entre de la maison ni les fentres ne semblaient avoir t fractures. Frank fit le tour par-derrire et s'arrta devant une porte presque entirement dissimule par le lierre. Il sortit alors sa vieille cl, la glissa dans la serrure et ouvrit la porte sans faire de bruit.

    Il pntra dans la cuisine, aussi vaste qu'une caverne. Il y avait des annes qu'il n'y tait plus entr; pourtant, malgr l'obscurit qui y rgnait, il se rappelait o se trouvait la porte donnant sur l'entre et il s'avana ttons, dans une odeur de moisi, l'oreille tendue pour essayer de percevoir des bruits de pas ou des voix au-dessus de sa tte. Il atteignit le vestibule, un peu moins sombre grce aux grandes fentres meneaux qui encadraient la porte d'entre, et commena monter l'escalier aux marches recouvertes d'une paisse poussire qui touffait le bruit de ses pas et de sa canne.

    Parvenu sur le palier, Frank tourna droite et vit tout de suite o se trouvaient les intrus : au bout du couloir, une porte tait entrouverte et la mme lueur tremblotante brillait par l'entrebillement, projetant une longue trane d'or sur le sol obscur. A petits pas, Frank s'approcha, empoignant fermement sa canne. Lorsqu'il ne fut plus qu' quelques dizaines de centimtres, il aperut l'intrieur de la pice dans l'espace que dlimitait l'troite ouverture de la porte.

    Il eut alors la confirmation de ce qu'il avait devin : quelqu'un avait allum un feu dans la chemine. Il s'immobilisa et couta attentivement, car une voix lui parvenait de la pice; pas une voix d'enfant, mais une voix d'homme, qui semblait timide, craintive.

    Il en reste un peu dans la bouteille, Matre, si vous avez encore faim.

    Plus tard, rpondit une deuxime voix.

    C'tait aussi une voix d'homme mais elle tait trangement aigu, et froide comme un coup de vent glac. Quelque chose dans cette voix fit se dresser les quelques cheveux pars qui restaient sur la nuque de Frank.

    Rapproche-moi du feu, Queudver.

    Frank tourna vers la porte son oreille droite, celle avec laquelle il entendait le mieux. Il y eut le tintement d'une bouteille qu'on pose sur une surface dure, puis le son sourd d'un gros fauteuil tran sur le sol. Frank aperut un petit homme qui poussait le fauteuil en tournant le dos la porte. Il portait une longue cape noire et avait le crne un peu dgarni. Bientt, il disparut nouveau de son champ de vision.

    O est Nagini ? demanda la voix glaciale.

    Je... je ne sais pas, Matre, rpondit la premire voix d'un ton mal l'aise. Je pense qu'il a d partir explorer la maison...

    Il faudra le traire avant de se coucher, Queudver, reprit la deuxime voix. J'aurai besoin de me nourrir au cours de la nuit. Ce voyage m'a grandement fatigu.

  • Le front pliss, Frank inclina sa bonne oreille un peu plus prs de la porte, essayant d'entendre le mieux possible ce qui se disait dans la pice. Il y eut un silence, puis l'homme qui s'appelait Queudver parla nouveau :

    Matre, puis-je vous demander combien de temps nous allons rester ici ?

    Une semaine, rpondit la voix glaciale. Peut-tre plus. Cet endroit offre un confort relatif et il n'est pas encore temps de mettre le plan en action. Il serait stupide d'agir avant que la Coupe du Monde de Quidditch soit termine.

    Frank enfona dans son oreille un doigt noueux et le fit tourner plusieurs reprises. C'tait sans doute cause d'un bouchon de cire qu'il avait entendu prononcer le mot Quidditch , qui ne voulait rien dire du tout.

    La... la Coupe du Monde de Quidditch, Matre ? dit Queudver. (Frank enfona encore plus vigoureusement son doigt dans l'oreille. ) Pardonnez-moi, mais... je ne comprends pas... Pourquoi faudrait-il attendre que la Coupe du Monde soit termine ?

    Parce que, espce d'idiot, c'est le moment o les sorciers du monde entier vont se prcipiter dans le pays et o tous les fouineurs du ministre de la Magie seront sur le qui-vive pour dceler le moindre signe d'activit anormale. Ils vont passer leur temps contrler et recontrler toutes les identits. Ils seront obsds par la scurit, de peur que les Moldus remarquent quoi que ce soit. Nous allons donc attendre.

    Frank renona dboucher son oreille. Il avait entendu distinctement les mots ministre de la Magie , sorciers et Moldus . De toute vidence, chacun de ces termes possdait un sens secret et, pour Frank, il n'y avait que deux sortes de gens qui aient besoin d'un code pour parler entre eux les espions et les criminels. Frank serra plus fort sa canne entre ses doigts et couta avec plus d'attention que jamais.

    Vous tes donc toujours aussi dcid, Matre ? demanda Queudver d'une voix douce.

    Je suis trs dcid, sans nul doute, Queudver.

    Il y avait prsent quelque chose de menaant dans la voix glaciale.

    Un bref silence suivit, puis Queudver reprit la parole, les mots s'chappant prcipitamment de ses lvres, comme s'il se forait dire tout ce qu'il avait en tte avant que ses nerfs le trahissent.

    Il serait possible de le faire sans Harry Potter, Matre.

    Nouveau silence, plus prolong, puis :

    Sans Harry Potter ? dit la deuxime voix dans un souffle. Vraiment ?

    Matre, je ne dis pas cela par souci de protger ce garon ! assura Queudver, sa voix montant dans les aigus, comme un grincement. Il ne reprsente rien pour moi, rien du tout ! Simplement, si nous nous servions d'une autre sorcire ou d'un autre sorcier n'importe quel sorcier la chose pourrait tre accomplie beaucoup plus vite ! Si vous m'autorisiez vous

  • laisser seul pendant un bref moment vous savez que j'ai une facult de dguisement trs efficace je pourrais tre de retour ici en deux jours seulement avec la personne qui conviendrait...

    Je pourrais me servir d'un autre sorcier, dit doucement l'autre voix, c'est vrai...

    Ce serait judicieux, dit Queudver qui semblait soudain profondment soulag. Mettre la main sur Harry Potter prsenterait de terribles difficults, il est si bien protg...

    Et donc, tu te proposes d'aller me chercher un remplaant ? Je me demande... Peut-tre que la tche de me soigner a fini par te lasser, Queudver ? Cette suggestion de renoncer au plan prvu ne serait-elle qu'une tentative de m'abandonner ?

    Matre ! Je... je n'ai aucun dsir de vous abandonner, pas du tout...

    Ne me mens pas ! siffla la deuxime voix. Je le sais toujours lorsqu'on me ment, Queudver ! Tu regrettes d'tre revenu auprs de moi. Je te dgote. Je te vois tressaillir chaque fois que tu me regardes, je te sens frissonner quand tu me touches...

    Non ! Ma dvotion Votre Excellence...

    Ta dvotion n'est rien d'autre que de la couardise. Tu ne serais pas ici si tu avais un autre endroit o aller. Comment pourrais-je survivre sans toi, alors qu'il m'est impossible de rester plus de quelques heures sans nourriture ? Qui va traire Nagini ?

    Mais vous avez l'air d'avoir repris beaucoup de forces, Matre...

    Menteur, dit la deuxime voix dans un souffle. Je n'ai pas repris de forces et quelques jours de solitude suffiraient me dpouiller de la maigre sant que j'ai retrouve par tes soins maladroits. Silence !

    Queudver, qui avait commenc balbutier des paroles incohrentes, se tut aussitt. Pendant quelques secondes, Frank n'entendit rien d'autre que le craquement du feu dans la chemine. Le deuxime homme reprit alors la parole dans un murmure qui ressemblait presque un sifflement.

    J'ai mes raisons pour vouloir me servir de ce garon, comme je te l'ai dj expliqu, et je ne me servirai de personne d'autre. J'ai attendu treize ans. J'attendrai bien quelques mois de plus. Quant la protection dont il bnficie, je suis convaincu que mon plan parviendra la neutraliser. Il suffit que tu fasses preuve d'un peu de courage, Queudver un courage que tu devras trouver en toi, moins que tu ne souhaites subir dans toute son ampleur la colre de Lord Voldemort...

    Matre, il faut que je vous parle ! dit Queudver d'une voix qui trahissait prsent la panique. Tout au long de notre voyage, j'ai retourn ce plan dans ma tte Matre, la disparition de Bertha Jorkins ne passera pas longtemps inaperue et si nous continuons, si je jette un sort...

    Si ? murmura la deuxime voix. Si ? Si tu suis le plan prvu, Queudver, le ministre ne saura jamais que quelqu'un d'autre a disparu. Tu le feras tranquillement, discrtement; je voudrais pouvoir le faire moi-mme, mais dans l'tat o je me trouve... Allons, Queudver,

  • encore un obstacle supprimer et le chemin qui mne Harry Potter sera libre. Je ne te demande pas d'agir seul. Lorsque le moment sera venu, mon fidle serviteur nous aura rejoints...

    Je suis un fidle serviteur, dit Queudver d'un ton o perait un trs net dsenchantement.

    Queudver, j'ai besoin de quelqu'un d'intelligent et de quelqu'un dont la loyaut n'ait jamais faibli. Malheureusement, tu ne remplis aucune de ces deux conditions.

    J'ai russi dcouvrir votre retraite, rpondit Queudver, la voix un peu boudeuse. Je suis celui qui vous a retrouv. Et c'est moi qui vous ai amen Bertha Jorkins.

    C'est vrai, admit l'autre d'un ton amus. Une ide brillante que je n'aurais jamais attendue de toi, Queudver. Mais, en vrit, tu ne savais pas quel point elle me serait utile lorsque tu l'as capture, n'est-ce pas ?

    Je... je pensais qu'elle pourrait vous servir, Matre...

    Menteur, rpta la deuxime voix avec un amusement de plus en plus cruel. Je reconnais cependant qu'elle nous a rvl quelque chose d'inestimable. Sans elle, je n'aurais jamais pu chafauder notre plan et tu recevras ta rcompense pour cela, Queudver. Je vais te laisser le soin d'accomplir pour moi une tche essentielle. Nombre de mes partisans seraient prts donner leur main droite pour se voir confier une telle mission...

    Vr... vraiment, Matre ? Qu'est-ce que... ?

    Queudver paraissait nouveau terrifi.

    Allons, Queudver, tu ne voudrais pas que je gche la surprise ? Ton rle viendra tout la fin... mais je te le promets, tu auras l'honneur de m'tre aussi utile que Bertha Jorkins.

    Vous... Vous...

    La voix de Queudver tait devenue brusquement rauque, comme s'il avait la gorge sche.

    Vous... allez... me tuer aussi ?

    Queudver, Queudver ! dit la voix glaciale d'un ton doucereux. Pourquoi te tuerais-je ? J'ai tu Bertha parce que j'y tais oblig. Elle ne pouvait plus servir rien aprs avoir subi mon interrogatoire, elle tait devenue tout fait inutile. De toute faon, on lui aurait pos des questions trs embarrassantes si elle tait revenue au ministre en racontant qu'elle t'avait rencontr pendant ses vacances. Les sorciers qui sont censs tre morts devraient viter de croiser des sorcires du ministre de la Magie dans les auberges de campagne...

    Queudver marmonna quelque chose voix si basse que Frank ne put l'entendre, mais l'autre homme clata de rire un rire totalement dpourvu de joie, aussi froid que sa faon de parler.

    Nous aurions pu modifier sa mmoire ? Mais les sortilges d'Amnsie peuvent trs bien tre rompus par un mage aux pouvoirs puissants comme j'en ai donn la preuve lorsque je l'ai

  • interroge. Ce serait justement une insulte sa mmoire de ne pas se servir de ce que j'ai russi lui arracher, Queudver.

    Dans le couloir, Frank se rendit soudain compte que la main qu'il tenait serre sur sa canne tait devenue moite. L'homme la voix glaciale avait tu une femme. Il en parlait sans la moindre nuance de remords il en parlait mme avec amusement. C'tait un homme dangereux un fou. Et il prparait d'autres crimes. Ce garon, Harry Potter de qui s'agissait-il, il n'en savait rien , tait en danger.

    Frank savait ce qu'il devait faire. C'tait le moment ou jamais d'aller prvenir la police. Il allait ressortir sans bruit de la maison et se prcipiter vers la cabine tlphonique du village... Mais la voix glaciale reprit la parole et Frank resta fig sur place, l'oreille tendue.

    Un autre sort jeter... mon fidle serviteur de Poudlard... Harry Potter sera entre mes mains, Queudver. C'est dcid. Il n'y aura plus de discussion. Mais, chut... Il me semble entendre Nagini...

    Et aussitt, la voix de l'homme changea. Il se mit faire des bruits que Frank n'avait encore jamais entendus; il sifflait, crachait, sans reprendre son souffle. Frank pensa qu'il devait avoir une crise de quelque chose, une attaque, peut-tre.

    Puis Frank entendit un bruit derrire lui, dans le couloir obscur. Lorsqu'il se retourna, il fut paralys de terreur.

    Quelque chose ondulait sur le sol, quelque chose qui s'avana peu peu dans la faible lueur que diffusaient par la porte entrebille les flammes de la chemine. Frank vit alors avec pouvante qu'il s'agissait d'un gigantesque serpent d'au moins trois mtres de long. Horrifi, ptrifi, il regarda d'un air hbt son long corps ondoyant dessiner dans l'paisse poussire du sol une large trace sinueuse mesure qu'il approchait. Que fallait-il faire ? La seule issue, c'tait d'aller se rfugier dans la pice o deux hommes tranquillement installs s'entretenaient des meurtres qu'ils prvoyaient de commettre; pourtant, s'il restait l o il tait, le serpent allait srement le tuer...

    Avant qu'il ait eu le temps de prendre une dcision, le reptile tait arriv sa hauteur. Incrdule, il le vit alors passer devant lui sans le toucher; un vritable miracle ! Le serpent se laissait guider par les sifflements et les crachotements que produisait la voix glaciale, l'intrieur de la pice et, en quelques secondes, le bout de sa queue aux cailles en losanges disparut par la porte entrouverte.

    Frank avait maintenant le front aussi moite que sa main, qui tremblait en serrant sa canne. Dans la pice, la voix continuait de siffler et Frank eut soudain une trange pense, une pense absurde... Cet homme avait la facult d parler aux serpents.

    Frank ne comprenait pas ce qui se passait. Il ne souhaitait plus qu'une seule chose, prsent : retourner dans son lit avec sa bouillotte d'eau chaude. Mais ses jambes ne semblaient pas dcides bouger. Tandis qu'il restait l trembler en essayant de reprendre ses esprits, la voix glaciale recommena parler normalement :

    Nagini a des nouvelles intressantes nous apprendre, Queudver, dit-elle.

  • Vr... vraiment, Matre ? balbutia Queudver.

    Vraiment, oui, reprit la voix. A l'en croire, il y a derrire la porte un vieux Moldu qui coute tout ce que nous disons.

    Frank n'avait aucune possibilit de se cacher. Des bruits de pas retentirent et la porte s'ouvrit brusquement.

    Un petit homme au front dgarni, les cheveux grisonnants, se tenait devant lui. Son visage exprimait une inquitude mle de terreur.

    Invite-le donc, Queudver As-tu oubli les bonnes manires ?

    La voix glaciale s'levait du vieux fauteuil, prs de la chemine, mais Frank ne parvenait pas voir l'homme qui parlait. Le serpent tait devant l'tre, lov sur le tapis mang aux mites, comme une horrible caricature de chien.

    Queudver fit signe Frank d'entrer dans la pice. Bien qu'il ne ft pas encore remis du choc, Frank se cramponna fermement sa canne et franchit la porte de son pas claudicant.

    Les flammes de la chemine constituaient la seule source de lumire, projetant sur les murs des ombres qui s'tiraient comme des toiles d'araigne. Frank fixa du regard le dos du fauteuil. L'homme qui y tait assis devait tre encore plus petit que son serviteur car on ne voyait mme pas le sommet de sa tte dpasser du dossier.

    Tu as tout entendu, Moldu ? demanda la voix glaciale.

    Comment m'avez-vous appel ? lana Frank sur un ton de dfi car, maintenant qu'il tait dans la pice, maintenant que le moment tait venu d'agir, il se sentait plus courageux, comme lorsqu'il avait fait la guerre.

    Je t'ai appel Moldu, rpondit tranquillement la voix. Cela signifie que tu n'es pas un sorcier.

    J'ignore ce que vous entendez par sorcier, rpliqua Frank, la voix de plus en plus ferme. Tout ce que je sais, c'est que j'en ai suffisamment entendu ce soir pour intresser la police, croyez-moi. Vous avez commis un meurtre et vous avez l'intention d'en commettre un autre ! Et je vais vous dire une chose, ajouta-t-il sous l'effet d'une soudaine inspiration, ma femme sait que je suis ici et si je ne reviens pas...

    Tu n'as pas de femme, dit la voix glaciale d'un ton parfaitement calme. Personne ne sait que tu es ici. Tu n'as dit personne o tu allais. Ne mens pas Lord Voldemort, Moldu, car il sait toujours tout...

    Voyez-vous a ? rpliqua Frank d'un ton abrupt. Un Lord, vraiment ? Eh bien, permettez-moi de vous dire que vos manires laissent dsirer, Mylord. Vous pourriez au moins vous tourner et me regarder en face, comme un homme, vous ne croyez pas ?

  • Justement, je ne suis pas un homme, Moldu, rpondit la voix glaciale qui parvenait peine dominer le crpitement du feu. Je suis beaucoup, beaucoup plus qu'un homme. Mais finalement, pourquoi pas ? Je vais te regarder en face... Queudver, viens tourner mon fauteuil.

    Le serviteur laissa chapper un gmissement.

    Tu m'as entendu, Queudver ?

    Lentement, les traits de son visage contracts, comme s'il aurait prfr faire n'importe quoi d'autre que d'approcher son matre et le serpent lov sur le tapis, le petit homme s'avana et entreprit de tourner le fauteuil. Le reptile leva son horrible tte triangulaire et mit un lger sifflement lorsque les pieds du fauteuil se prirent dans son tapis.

    Enfin, Frank se retrouva face au fauteuil et vit ce qui y tait assis. Sa canne lui glissa alors des doigts et tomba par terre avec un bruit sec. La bouche grande ouverte, il laissa chapper un long hurlement. Il cria si fort qu'il n'entendit jamais les mots que la chose assise dans le fauteuil pronona en brandissant une baguette magique. Il y eut un clat de lumire verte, un souffle semblable un brusque coup de vent, puis Frank Bryce s'effondra. Il tait mort avant d'avoir heurt le sol.

    A trois cents kilomtres de l, le garon qui s'appelait Harry Potter se rveilla en sursaut.

  • 2 LA CICATRICE

    Harry tait allong sur le dos, la respiration haletante comme s'il venait de courir. Il s'tait veill d'un rve particulirement saisissant en se tenant le visage entre les mains. Sur son front, la vieille cicatrice en forme d'clair brlait sous ses doigts comme si quelqu'un lui avait appliqu sur la peau un fil de fer chauff au rouge.

    Il se redressa dans son lit, une main toujours plaque sur son front, l'autre cherchant ttons ses lunettes poses sur la table de chevet. Aprs les avoir mises sur son nez, le dcor de sa chambre lui apparut plus nettement, dans la faible lueur orange projete travers les rideaux par le rverbre qui clairait la rue.

    Harry caressa nouveau sa cicatrice. Elle tait encore douloureuse. Il alluma la lampe, ct de son lit, s'arracha de ses couvertures, traversa la chambre, ouvrit son armoire et regarda dans la glace fixe l'intrieur de la porte. Il vit face lui un garon de quatorze ans, trs maigre, avec des yeux verts et brillants qui l'observaient d'un air perplexe sous ses cheveux noirs en bataille. Il examina de plus prs la cicatrice en forme d'clair que prsentait son reflet. Elle paraissait normale mais elle tait encore brlante.

    Harry essaya de se rappeler le rve qu'il venait de faire. Il lui avait sembl si rel... Il y avait deux personnes qu'il connaissait et une autre qu'il n'avait jamais vue... Il se concentra, les sourcils froncs, essayant de rassembler ses souvenirs...

    L'image d'une pice plonge dans la pnombre lui revint en mmoire... Il y avait un serpent sur un tapis, devant une chemine... Un petit homme qui s'appelait Peter et qu'on surnommait Queudver... et puis une voix froide, aigu... La voix de Lord Voldemort. A cette pense, Harry eut soudain l'impression qu'un cube de glace lui descendait dans l'estomac...

    Il ferma troitement les paupires et s'effora de se rappeler quelle apparence avait Voldemort, mais il n'y parvint pas... La seule chose certaine c'tait que, au moment o le fauteuil de Voldemort avait pivot et que Harry avait vu ce qui y tait assis, il avait t secou d'un spasme d'horreur qui l'avait rveill en sursaut... Ou bien tait-ce la douleur de sa cicatrice ?

    Et qui tait donc ce vieil homme ? Car il y avait un vieil homme prsent dans son rve. Harry l'avait vu s'effondrer sur le sol. Tout devenait confus dans son esprit. Il plongea son visage dans ses mains, effaant la vision de sa chambre, essayant de se concentrer sur l'image de cette pice faiblement claire, mais c'tait comme s'il avait essay de retenir de l'eau entre ses doigts. Les dtails lui chappaient mesure qu'il essayait de les saisir... Voldemort et Queudver avaient parl de quelqu'un qu'ils avaient tu, mais Harry ne parvenait pas se souvenir du nom de la victime... Et ils avaient projet de tuer quelqu'un d'autre... Lui...

    Harry releva la tte, ouvrit les yeux et jeta un regard autour de sa chambre comme s'il s'attendait y dcouvrir quelque chose d'inhabituel. En fait, il y avait beaucoup de choses inhabituelles dans cette pice. Une grosse valise en forme de malle tait ouverte au pied du lit, laissant voir un chaudron, un balai, des robes de sorcier noires et des livres de magie. Des rouleaux de parchemin s'entassaient sur une partie de son bureau, ct de la grande cage vide dans laquelle Hedwige, sa chouette aux plumes blanches comme la neige, tait

  • habituellement perche. Sur le plancher, ct de son lit, le livre qu'il avait lu la veille, avant de tomber endormi, tait encore ouvert. Les photos qui illustraient ses pages ne cessaient de bouger. Sur chacune d'elles, des hommes vtus de robes orange vif filaient d'un bord l'autre du cadre, sur des balais volants, en se jetant une balle rouge.

    Harry ramassa le livre et regarda un des sorciers marquer un but particulirement spectaculaire en lanant la balle travers un cercle situ quinze mtres au-dessus du sol. Puis il referma le volume d'un geste sec. Mme le Quidditch qui tait, ses yeux, le plus beau sport du monde n'aurait pu le distraire en cet instant. Il posa En vol avec les Canons sur sa table de chevet, traversa la pice en direction de la fentre et carta les rideaux pour regarder dans la rue.

    Privet Drive avait exactement l'apparence qu'on peut attendre d'une petite rue de la banlieue rsidentielle, aux premires heures d'un samedi matin. Tous les rideaux alentour taient tirs. D'aprs ce que Harry pouvait voir en scrutant l'obscurit, il n'y avait pas le moindre tre vivant en vue, pas mme un chat.

    Et pourtant... et pourtant... Incapable de tenir en place, Harry revint s'asseoir sur son lit et caressa nouveau sa cicatrice. Ce n'tait pas la douleur qui le tracassait; la douleur et les blessures ne lui taient pas trangres. Un jour, il avait perdu tous les os de son bras droit et avait d passer une longue nuit de souffrance attendre qu'ils repoussent sous l'effet d'un traitement spcial. Le mme bras avait t transperc peu aprs par l'norme crochet venimeux d'un monstrueux serpent. L'anne prcdente, il avait fait une chute de quinze mtres en tombant d'un balai en plein vol. Il avait l'habitude des accidents et des blessures bizarres; il fallait s'y attendre lorsqu'on tait lve l'cole de sorcellerie de Poudlard et qu'on avait un don indiscutable pour s'attirer toute sorte d'ennuis.

    Non, ce qui tracassait Harry c'tait que, la dernire fois qu'il avait eu mal sa cicatrice, Voldemort se trouvait proximit... Pourtant Voldemort ne pouvait tre ici, en ce moment... La pense que Voldemort se cache dans Privet Drive tait absurde, impossible...

    Harry couta attentivement le silence qui rgnait autour de lui. S'attendait-il plus ou moins entendre une marche craquer ou une cape frler le sol ? Il eut un lger sursaut lorsque son cousin Dudley poussa un ronflement sonore dans la chambre voisine.

    Harry dcida de se secouer un peu, mentalement tout au moins. Il tait stupide. En dehors de lui, il n'y avait personne d'autre dans cette maison que l'oncle Vernon, la tante Ptunia et Dudley et, de toute vidence, tous trois dormaient encore, plongs dans des rves paisibles et sans douleur.

    C'tait quand ils dormaient que Harry aimait le mieux les Dursley. Lorsqu'ils taient veills, ils ne lui taient jamais d'aucun secours. L'oncle Vernon, la tante Ptunia et Dudley taient les seuls membres de sa famille encore vivants. C'taient des Moldus (des gens dpourvus de pouvoirs magiques) qui dtestaient et mprisaient la magie sous toutes ses formes, ce qui signifiait que Harry tait peu prs aussi bienvenu sous leur toit qu'une colonie de termites. Au cours des trois dernires annes, ils avaient justifi les longues absences de Harry, lorsqu'il se trouvait au collge Poudlard, en racontant tout le monde qu'il tait en pension au Centre d'ducation des jeunes dlinquants rcidivistes de St Brutus. Ils savaient parfaitement que, tant sorcier de premier cycle, Harry n'avait pas le droit de faire usage de magie en dehors de Poudlard, mais ils ne manquaient pas pour autant de rejeter sur lui la responsabilit de tout ce

  • qui n'allait pas dans la maison. Harry n'avait jamais pu se confier eux, ni leur raconter quoi que ce soit de sa vie dans le monde des sorciers. La seule pense d'aller voir son oncle et sa tante pour leur parler de sa cicatrice douloureuse et de ses inquitudes concernant Voldemort tait risible.

    Pourtant, c'tait cause de Voldemort que Harry avait t oblig d'aller vivre chez les Dursley. Sans Voldemort, il n'aurait pas eu de cicatrice en forme d'clair sur le front. Sans Voldemort, il aurait encore des parents...

    Harry avait un an le soir o Voldemort le plus puissant mage noir du sicle, un sorcier qui, pendant onze ans, avait vu son pouvoir s'accrotre rgulirement tait arriv dans la maison de ses parents et avait tu son pre et sa mre. Voldemort avait ensuite tourn sa baguette magique vers Harry et lui avait lanc un sort auquel de nombreux sorcires et sorciers d'ge mr avaient succomb au cours de son ascension vers le pouvoir suprme. Mais, si incroyable que cela puisse paratre, le sortilge n'avait pas eu l'effet escompt. Au lieu de tuer le petit garon, il avait ricoch et frapp Voldemort lui-mme. Harry avait survcu sans autre blessure qu'une entaille en forme d'clair sur le front, tandis que Voldemort, lui, avait t rduit quelque chose d' peine vivant. Ses pouvoirs anantis, sa vie quasiment teinte, le mage malfique s'tait enfui. La terreur dans laquelle la communaut secrte des sorcires et sorciers avait vcu pendant si longtemps n'avait plus de raison d'tre. Les partisans de Voldemort s'taient disperss et Harry Potter tait devenu clbre.

    Harry avait reu un grand choc en dcouvrant qu'il tait un sorcier le jour de son onzime anniversaire. Il avait t encore plus dconcert en s'apercevant que son nom tait connu de tous dans le monde cach de la sorcellerie. A son arrive Poudlard, il s'tait rendu compte que les ttes se tournaient sur son passage et que des chuchotements le suivaient partout o il allait. Mais prsent, il s'y tait habitu. A la fin de cet t, il entamerait sa quatrime anne d'tudes Poudlard et il comptait dj les jours qui le sparaient de son retour dans le vieux chteau.

    Il restait deux semaines passer avant la rentre scolaire. Harry jeta nouveau un regard autour de lui et ses yeux se posrent sur les cartes d'anniversaire que ses deux meilleurs amis lui avaient envoyes la fin du mois de juillet. Que diraient-ils s'il leur crivait pour leur raconter que sa cicatrice lui faisait mal ?

    Il lui sembla aussitt entendre la voix perante d'Hermione Granger, saisie de panique.

    Ta cicatrice te fait mal ? Harry, c'est trs grave... cris tout de suite au professeur Dumbledore ! Moi, je vais consulter le trait des Indispositions et affections magiques les plus communes... Il y a peut-tre quelque chose sur les cicatrices dues aux sortilges...

    Oui, tel serait le conseil d'Hermione : s'adresser au directeur de Poudlard en personne et, en attendant, consulter un livre. Harry contempla par la fentre le ciel d'un noir bleut, comme de l'encre. Il doutait fort qu'un livre puisse lui tre d'aucun secours en cet instant. A sa connaissance, il tait la seule personne encore vivante qui ait jamais rsist un sortilge aussi puissant que celui lanc par Voldemort. Il tait donc hautement improbable qu'il trouve la description de ses symptmes dans Indispositions et affections magiques les plus communes. Quant au directeur du collge, Harry n'avait aucune ide de l'endroit o il passait ses vacances d't. Il s'amusa un instant imaginer Dumbledore, avec sa grande barbe argente, sa longue robe de sorcier et son chapeau pointu, allong sur une plage, enduisant

  • son long nez aquilin de crme solaire. Pourtant, quel que soit l'endroit o tait parti Dumbledore, Harry tait sr qu'Hedwige serait capable de le retrouver. Sa chouette dcouvrait toujours le destinataire d'une lettre, mme sans adresse. Mais que pourrait-il lui crire ?

    Cher professeur Dumbledore, je suis dsol de vous importuner mais ma cicatrice me fait mal, ce matin. Avec mes salutations respectueuses, Harry Potter.

    Ces mots lui paraissaient stupides avant mme de les avoir crits.

    Il essaya alors d'imaginer la raction de son autre meilleur ami, Ron Weasley, et presque aussitt, le long nez et le visage constell de taches de rousseur de Ron, avec son air songeur, apparurent devant ses yeux.

    Ta cicatrice te fait mal ? Mais... Tu-Sais-Qui ne peut pas tre proximit, n'est-ce pas ? Tu le saurais, non ? Il essaierait encore une fois de te tuer, tu ne crois pas ? Je ne sais pas, Harry, peut-tre que les cicatrices dues un mauvais sort font toujours un peu mal... Je vais demander papa...

    Mr Weasley tait un sorcier hautement qualifi qui travaillait au Service des dtournements de l'artisanat moldu du ministre de la Magie, mais il n'avait pas de comptence particulire en matire de mauvais sorts, d'aprs ce que Harry savait. En tout cas, Harry n'avait pas envie que toute la famille Weasley sache qu'une brve douleur au front suffisait le rendre aussi anxieux. Mrs Weasley serait encore plus inquite qu'Hermione, et Fred et George, les frres de Ron, des jumeaux de seize ans, penseraient peut-tre que Harry avait les nerfs fragiles. Les Weasley taient la famille prfre de Harry; il esprait qu'ils allaient bientt l'inviter passer quelque temps chez eux (Ron en avait parl propos de la Coupe du Monde de Quidditch) mais il ne voulait pas que son sjour soit ponctu de questions angoisses sur l'tat de sa cicatrice.

    Harry pressa ses poings contre son front. Ce qu'il voulait (et il avait presque honte de se l'avouer), c'tait parler ... un parent : un sorcier adulte qui il pourrait demander conseil sans se sentir idiot, quelqu'un qui chercherait vraiment l'aider et qui aurait dj eu l'exprience de la magie noire...

    La solution lui vint alors l'esprit. Elle tait si simple, si vidente, qu'il ne comprenait pas pourquoi il avait mis si longtemps la trouver. Sirius.

    Harry sauta de son lit et courut s'asseoir son bureau. Il prit un morceau de parchemin, trempa sa plume d'aigle dans l'encre, crivit Cher Sirius, puis s'arrta, cherchant la meilleure faon d'exposer la situation. Il tait encore stupfait de n'avoir pas pens tout de suite lui crire. Mais aprs tout, peut-tre n'tait-ce pas si surprenant : deux mois peine s'taient couls depuis qu'il avait appris que Sirius tait son parrain.

    Il y avait une raison l'absence totale de Sirius dans la vie de Harry depuis cette date Sirius avait t dtenu Azkaban, la terrifiante prison des sorciers, garde par des cratures qu'on appelait des Dtraqueurs, sortes de dmons sans yeux, capables d'aspirer l'me des vivants, et qui taient venus Poudlard pour rechercher Sirius aprs son vasion. Pourtant, Sirius tait innocent les meurtres dont on l'avait accus avaient t commis par Queudver, un fidle de Voldemort, que presque tout le monde croyait mort prsent. Harry, Ron et

  • Hermione savaient que ce n'tait pas vrai, ils s'taient retrouvs face face avec lui l'anne prcdente, mais le professeur Dumbledore avait t le seul les croire.

    Pendant une heure qui avait t l'une des plus belles de sa vie, Harry avait cru qu'il allait enfin quitter les Dursley, car Sirius lui avait propos de l'accueillir sous son toit une fois que son nom aurait t rhabilit. Mais cette chance s'tait soudain envole Queudver tait parvenu prendre la fuite avant qu'ils aient eu le temps de l'amener au ministre de la Magie et Sirius avait d s'vader nouveau pour chapper la mort. Harry l'avait aid s'enfuir sur le dos d'un hippogriffe du nom de Buck. Depuis lors, Sirius se cachait. La pense qu'il aurait pu vivre dans une autre maison si Queudver n'avait pas russi disparatre l'avait hant tout l't. Retourner chez les Dursley s'tait rvl d'autant plus difficile qu'il avait failli en tre dbarrass tout jamais.

    Malgr tout, Sirius avait t d'un certain secours Harry, mme s'il avait d renoncer vivre sous le mme toit que lui. C'tait grce lui que Harry avait maintenant le droit de conserver dans sa chambre tout son matriel scolaire. Auparavant, les Dursley ne lui en avaient jamais donn l'autorisation : leur volont de gcher la vie de Harry, associe leur crainte de ses pouvoirs magiques, les avaient amens jusqu'alors enfermer chaque t dans le placard situ sous l'escalier la grosse valise qui contenait ses affaires d'cole. Mais leur attitude tait trs diffrente depuis qu'ils avaient dcouvert l'existence de son parrain qu'on prsentait comme un criminel dangereux par commodit, Harry ne leur avait pas dit que Sirius tait innocent.

    Harry avait reu deux lettres de lui depuis son retour Privet Drive. Toutes deux avaient t apportes non par des hiboux (comme il tait habituel chez les sorciers) mais par de grands oiseaux tropicaux aux couleurs tincelantes. Hedwige n'avait gure approuv l'arrive de ces intrus au plumage tapageur. Elle ne les avait autoriss qu'avec rticence boire un peu de son eau avant de reprendre leur vol. Harry, lui, les aimait bien. Ils voquaient ses yeux des plages de sable blanc plantes de palmiers et il esprait que Sirius, quel que soit l'endroit o il se trouvait (il ne le prcisait jamais de peur que ses lettres soient interceptes), menait la belle vie. Harry avait du mal imaginer que des Dtraqueurs puissent survivre longtemps sous un soleil radieux. C'tait peut-tre pour a que Sirius tait parti vers le sud. Ses lettres caches sous la lame de parquet branlante que dissimulait son lit et qui tait dcidment bien utile avaient un ton joyeux. Sirius rappelait Harry qu'il pouvait toujours faire appel lui s'il en avait besoin. Or, justement, aujourd'hui, il en avait besoin...

    La lampe de Harry semblait peu peu perdre de son clat mesure que la lumire grise et froide qui prcde l'aube se rpandait dans sa chambre. Enfin, lorsque le soleil se fut lev, teintant d'une lueur dore les murs de la pice, et qu'il entendit l'oncle Vernon et la tante Ptunia bouger dans leur chambre, Harry dbarrassa son bureau des morceaux de parchemin froisss qui l'encombraient et relut la lettre qu'il avait termine.

    Cher Sirius,

    Merci pour ta dernire lettre. Cet oiseau tait norme, il a eu du mal se glisser travers ma fentre.

  • Ici, c'est comme d'habitude. Le rgime de Dudley se passe assez mal. Hier, ma tante l'a surpris en train d'emporter en douce des beignets dans sa chambre. Ses parents lui ont dit qu'ils allaient lui supprimer son argent de poche s'il continuait comme a et il s'est mis tellement en colre qu'il a jet sa PlayStation par la fentre. Il s'agit d'une sorte d'ordinateur pour jouer des jeux lectroniques. C'tait plutt bte de sa part, maintenant il ne peut mme plus jouer Mga-Mutilation III pour se changer les ides.

    Pour moi, les choses vont bien, surtout parce que les Dursley sont terrifis l'ide que tu puisses revenir et les transformer en chauves-souris si je te le demande.

    Il s'est quand mme pass quelque chose de bizarre ce matin. Ma cicatrice a recommenc me faire mal. La dernire fois que a s'est produit, c'tait parce que Voldemort tait Poudlard. Mais je ne pense pas qu'il puisse se trouver prs de chez moi en ce moment, qu'est-ce que tu en penses ? Est-ce que tu sais si les cicatrices provoques par un mauvais sort peuvent encore faire mal des annes plus tard ?

    J'enverrai Hedwige te porter cette lettre quand elle reviendra. Elle est partie chasser pour le moment. Dis bonjour Buck de ma part.

    Harry

    Oui, pensa Harry, elle tait trs bien, cette lettre. Inutile de parler du rve, il ne voulait pas paratre trop inquiet. Il plia le parchemin et le posa sur son bureau pour le donner Hedwige ds qu'elle reviendrait. Puis il se leva, s'tira et retourna devant son armoire. Sans jeter un coup d'il son reflet, il commena alors s'habiller pour aller prendre son petit djeuner.

  • 3 L'INVITATION

    Lorsque Harry arriva dans la cuisine, les trois Dursley taient dj assis autour de la table. Personne ne leva les yeux quand il entra et s'assit son tour. Le gros visage violac de l'oncle Vernon tait cach derrire le Daily Mail et la tante Ptunia tait occupe couper un pamplemousse en quatre, les lvres retrousses sur ses dents de cheval.

    Dudley avait un air furieux, boudeur, et semblait prendre encore plus de place qu' l'ordinaire. Ce qui n'tait pas peu dire car, en temps normal, il occupait dj lui seul tout un ct de la table. Lorsque la tante Ptunia posa un quart de pamplemousse sans sucre sur son assiette en disant d'une voix tremblante : Tiens, mon petit Duddy chri , Dudley lui lana un regard noir. Sa vie avait pris un tournant passablement dsagrable depuis qu'il avait rapport son bulletin, la fin de l'anne scolaire.

    Comme d'habitude, l'oncle Vernon et la tante Ptunia avaient russi lui trouver toutes sortes d'excuses pour justifier ses mauvaises notes; la tante Ptunia rptait que Dudley tait un garon trs dou, incompris par ses professeurs, tandis que l'oncle Vernon affirmait que, de toute faon, il ne voulait pas pour fils d'un de ces premiers de la classe avec des manires de fillette . Ils avaient galement gliss sur les accusations de brutalit qui figuraient dans le bulletin. C'est un petit garon turbulent, mais il ne ferait pas de mal une mouche ! avait dit la tante Ptunia, les larmes aux yeux.

    A la dernire page du bulletin, cependant, l'infirmire de l'cole avait ajout quelques commentaires bien sentis que ni l'oncle Vernon, ni la tante Ptunia ne pouvaient balayer d'une de leurs explications simplistes. La tante Ptunia avait beau se lamenter que Dudley avait les os pais, que ses kilos n'taient dus qu' son jeune ge et que c'tait un garon en pleine croissance qui avait besoin de manger beaucoup, il n'en restait pas moins que l'cole avait du mal trouver des pantalons d'uniforme suffisamment grands pour lui. L'infirmire avait vu ce que les yeux de la tante Ptunia si perants d'habitude pour dceler une trace de doigt sur ses murs tincelants ou pour observer les alles et venues des voisins avaient refus d'accepter : que, loin d'avoir besoin de manger davantage, Dudley avait atteint peu de chose prs la taille et le poids d'un jeune cachalot.

    Aussi aprs d'innombrables crises de colre, des disputes qui faisaient trembler le plancher de la chambre de Harry et des flots de larmes verss par la tante Ptunia , un nouveau rgime avait commenc pour Dudley. Les conseils dittiques envoys par l'infirmire de l'cole avaient t affichs sur la porte du rfrigrateur, aprs qu'il eut t vid des aliments prfrs de Dudley sodas sucrs, gteaux, barres de chocolat, hamburgers et rempli de fruits, de lgumes et de toutes sortes de choses que l'oncle Vernon appelait de la nourriture pour lapin . Afin d'attnuer les souffrances de son fils, la tante Ptunia avait oblig toute la famille suivre le mme rgime. Elle donna Harry un quart de pamplemousse et il remarqua que sa part tait beaucoup plus petite que celle de Dudley. La tante Ptunia semblait penser que le meilleur moyen de soutenir le moral de Dudley, c'tait de s'assurer qu'il ait toujours davantage manger que Harry.

    Mais la tante Ptunia ignorait ce qui tait cach sous la lame de parquet, au premier tage. Elle ne se doutait pas que Harry ne suivait pas du tout le rgime. Ds qu'il avait su qu'on prtendait lui faire passer l't en le nourrissant exclusivement de carottes crues, Harry avait

  • envoy Hedwige porter ses amis des appels au secours et ils s'taient tous montrs la hauteur de la situation. Hedwige avait rapport de chez Hermione une grande bote remplie d'aliments sans sucre (ses parents taient dentistes). Hagrid, le garde-chasse de Poudlard, lui avait fait parvenir un sac plein de biscuits durs comme la pierre qu'il prparait lui-mme (Harry n'y avait pas touch; il avait suffisamment eu l'occasion d'exprimenter sa cuisine). Mrs Weasley, en revanche, lui avait envoy Errol, le hibou de la famille, charg d'un norme cake et de diverses sortes de pts. Vieux et fragile, le malheureux Errol avait d se reposer cinq jours entiers pour se remettre du voyage. Puis, le jour de son anniversaire (que les Dursley avaient compltement ignor), Harry avait reu quatre magnifiques gteaux envoys respectivement par Ron, Hermione, Hagrid et Sirius. Il lui en restait encore deux; aussi, sachant qu'un petit djeuner digne de ce nom l'attendait sous la lame de parquet, il mangea son pamplemousse sans protester.

    L'oncle Vernon reposa son journal en reniflant longuement pour exprimer sa dsapprobation et contempla son propre morceau de pamplemousse.

    C'est tout ? lana-t-il avec mauvaise humeur la tante Ptunia.

    Celle-ci lui jeta un regard svre puis fit un signe de tte vers Dudley qui avait dj mang son quart de pamplemousse et dont les petits yeux porcins observaient avec dpit celui de Harry.

    L'oncle Vernon poussa un long soupir qui agita les poils de sa grosse moustache et prit sa cuillre.

    Au mme instant, la sonnette de la porte d'entre retentit. L'oncle Vernon se souleva de sa chaise et se dirigea vers l'entre. Rapide comme l'clair, pendant que sa mre s'occupait de la bouilloire, Dudley vola ce qui restait du pamplemousse de son pre.

    Harry entendit une conversation en provenance de la porte. Quelqu'un clata de rire et l'oncle Vernon rpondit quelque chose d'un ton sec. La porte se referma puis il y eut un bruit de papier qu'on dchire.

    La tante Ptunia posa la thire sur la table et regarda avec curiosit en direction de l'entre pour voir ce que faisait son mari. Elle n'eut pas attendre longtemps pour le savoir. Une minute plus tard, il tait de retour, le teint livide.

    Toi, aboya-t-il en s'adressant Harry. Dans le salon. Tout de suite.

    Dconcert, se demandant de quoi on pourrait bien l'accuser cette fois-ci, Harry se leva et suivit dans la pice voisine l'oncle Vernon qui referma brusquement la porte sur eux. Il se dirigea vers la chemine, puis se tourna face Harry comme s'il s'apprtait lui annoncer qu'il tait en tat d'arrestation.

    Alors... dit-il. Alors ?

    Harry aurait t ravi de rpondre : Alors quoi ? , mais il prfrait ne pas provoquer l'oncle Vernon une heure aussi matinale, surtout lorsqu'un rgime strict mettait ses nerfs si rude preuve. Il lui parut donc plus sage d'afficher un tonnement poli.

  • Voici ce qui vient d'arriver, dit l'oncle Vernon en brandissant une feuille de papier violet. Une lettre. A ton sujet.

    Harry sentit s'accrotre son malaise. Qui donc pouvait bien crire l'oncle Vernon son sujet ? Qui donc, parmi les gens qu'il connaissait, aurait l'ide d'envoyer une lettre par la poste ?

    L'oncle Vernon lana un regard furieux Harry, puis lut la lettre haute voix :

    Chers Mr et Mrs Dursley,

    Nous n'avons jamais eu le plaisir de faire votre connaissance mais je suis sre que Harry vous a beaucoup parl de mon fils Ron.

    Comme Harry vous l'a peut-tre dj dit, la finale de la Coupe du Monde de Quidditch aura lieu lundi prochain et mon mari, Arthur, a russi obtenir d'excellentes places grce ses relations au Dpartement des jeux et sports magiques.

    J'espre vivement que vous voudrez bien nous permettre d'emmener Harry voir ce match, car il s'agit d'une occasion unique qui n'a lieu qu'une fois dans la vie; en effet, la Grande-Bretagne n'avait pas accueilli la Coupe du Monde depuis trente ans et les billets sont extrmement difficiles obtenir. Bien entendu, nous serions trs heureux de prendre Harry chez nous pour le reste des vacances d't et de l'accompagner au train qui doit le ramener au collge.

    Il serait prfrable pour Harry que vous nous adressiez votre rponse le plus vite possible par la voie normale car le facteur moldu n'a jamais apport de courrier chez nous et je ne suis mme pas sre qu'il sache o se trouve notre maison.

    En esprant voir Harry trs bientt,

    Je vous prie d'agrer mes sentiments trs distingus.

    Molly Weasley

    PS : J'espre que nous avons mis assez de timbres sur l'enveloppe.

    L'oncle Vernon acheva sa lecture, plongea la main dans sa poche et en retira autre chose.

  • Regarde a, grogna-t-il.

    Il montrait l'enveloppe dans laquelle la lettre de Mrs Weasley tait arrive et Harry dut rprimer un clat de rire. Elle tait entirement recouverte de timbres part un carr de deux ou trois centimtres de ct dans lequel Mrs Weasley avait russi faire tenir l'adresse des Dursley.

    Finalement, elle avait mis assez de timbres, dit Harry, comme s'il s'agissait d'une simple erreur que n'importe qui aurait pu commettre.

    Le regard de l'oncle Vernon flamboya.

    Le facteur l'a remarqu, lana-t-il entre ses dents serres. Il tait trs intrigu par la provenance de cette lettre, tu peux me croire. C'est pour a qu'il a sonn la porte. Il avait l'air de trouver a drle.

    Harry ne rpondit rien. D'autres que lui auraient peut-tre eu du mal comprendre pourquoi l'oncle Vernon faisait tant d'histoires pour quelques timbres en trop, mais Harry avait vcu suffisamment longtemps chez les Dursley pour savoir quel point ils taient sensibles tout ce qui sortait si peu que ce soit de l'ordinaire. Leur pire crainte, c'tait que quelqu'un leur dcouvre des relations (si distantes soient-elles) avec des gens comme Mrs Weasley.

    L'oncle Vernon continuait de lancer des regards furieux Harry qui s'efforait de conserver un air parfaitement neutre. S'il ne faisait pas de btises, peut-tre allait-il connatre une des plus grandes joies de sa vie. Il attendit que l'oncle Vernon dise quelque chose mais celui-ci se contenta de l'observer d'un il noir. Harry dcida alors de rompre le silence.

    Alors... Est-ce que je peux y aller ? demanda-t-il.

    Un lger spasme contracta le gros visage violac de l'oncle Vernon. Sa moustache frmit. Harry croyait savoir ce qui se passait derrire cette moustache : un furieux combat entre deux aspirations fondamentales de l'oncle Vernon. S'il donnait son autorisation, Harry en prouverait un grand bonheur, ce que son oncle avait tout fait pour viter depuis treize ans. D'un autre ct, si Harry disparaissait chez les Weasley pendant le reste des vacances d't, il serait dbarrass de lui deux semaines plus tt que prvu ; or, l'oncle Vernon dtestait par-dessus tout la prsence de Harry sous son toit. Pour se donner le temps de rflchir, il regarda nouveau la lettre de Mrs Weasley.

    Qui est cette femme ? demanda-t-il en contemplant la signature d'un air dgot.

    Tu l'as dj vue, dit Harry. C'est la mre de mon ami Ron. Elle est venue le chercher l'arrive du Poud... l'arrive du train qui nous ramenait de l'cole pour les vacances.

    Il avait failli dire Poudlard Express , ce qui aurait t le moyen le plus sr de dclencher la colre de son oncle. Personne ne prononait jamais le nom de l'cole de Harry chez les Dursley.

    L'oncle Vernon contracta les traits de son norme visage, comme s'il essayait de se rappeler quelque chose de particulirement dsagrable.

  • Une petite femme grassouillette ? grogna-t-il enfin. Avec toute une bande de rouquins ?

    Harry frona les sourcils. Il trouvait un peu exagr de la part de l'oncle Vernon de traiter quiconque de grassouillet alors que son propre fils, Dudley, avait finalement atteint l'objectif qu'il semblait s'tre fix depuis l'ge de trois ans, c'est--dire devenir plus large que haut.

    L'oncle Vernon examina nouveau la lettre.

    Quidditch, marmonna-t-il. Quidditch... Qu'est-ce que c'est que cette idiotie ?

    A nouveau, Harry ressentit une pointe d'agacement.

    C'est un sport, rpliqua-t-il d'un ton sec. a se joue sur des bal...

    C'est a, c'est a ! dit l'oncle Vernon d'une voix sonore.

    Harry remarqua avec une certaine satisfaction que son oncle paraissait vaguement affol. Apparemment, ses nerfs ne supporteraient pas d'entendre parler de balais volants dans son propre salon. Il se rfugia une nouvelle fois dans la lecture de la lettre et Harry vit se former sur ses lvres les mots que vous nous adressiez votre rponse par la voie normale .

    Qu'est-ce que a veut dire, la voie normale ? lana-t-il d'un air svre.

    Normale pour nous, rpondit Harry, et avant que son oncle ait pu l'interrompre, il ajouta : tu sais bien, les hiboux, c'est a qui est normal chez les sorciers.

    L'oncle Vernon parut aussi scandalis que si Harry venait de prononcer le plus grossier des jurons. Tremblant de colre, il jeta un regard inquiet en direction de la fentre, comme s'il s'attendait voir un de ses voisins l'oreille colle contre le carreau.

    Combien de fois faudra-t-il que je te rpte de ne jamais faire allusion au surnaturel sous mon toit ? dit-il d'une voix sifflante, tandis que son teint prenait une couleur de prune trop mre. Tu portes sur le dos les vtements que nous t'avons donns, Ptunia et moi...

    Parce que Dudley n'en voulait plus, rpliqua froidement Harry.

    Il tait en effet vtu d'un sweat-shirt si grand pour lui qu'il tombait sur les genoux de son jean trop large et qu'il devait retrousser cinq fois ses manches pour pouvoir dgager ses mains.

    Je n'accepterai pas qu'on me parle sur ce ton ! protesta l'oncle Vernon, frmissant de rage.

    Mais Harry n'avait pas l'intention de se laisser faire. Fini le temps o il tait oblig d'observer scrupuleusement les rgles stupides imposes par les Dursley. Il ne suivait pas le rgime de Dudley et mme si l'oncle Vernon essayait de l'en empcher, il ferait tout pour assister la Coupe du Monde de Quidditch.

    Harry prit une profonde inspiration pour essayer de se calmer, puis rpondit :

  • D'accord, je n'irai pas la Coupe du Monde. Est-ce que je peux remonter dans ma chambre, maintenant ? Je dois terminer une lettre pour Sirius. Tu sais... mon parrain.

    C'tait gagn. Il avait prononc les mots magiques. Il voyait prsent la couleur violace du visage de son oncle perdre de son clat et disparatre par endroits, donnant son visage l'aspect d'une mauvaise glace au cassis.

    Tu... Tu vas lui crire ? dit l'oncle Vernon d'une voix qu'il s'efforait de rendre la plus calme possible mais Harry avait remarqu que les pupilles de ses yeux minuscules s'taient contractes sous l'effet d'une peur soudaine.

    Oui, bien sr, rpondit Harry d'un ton dtach, a fait longtemps qu'il n'a pas eu de mes nouvelles et, si je tarde trop lui en donner, il va finir par croire que quelque chose ne va pas.

    Il s'interrompit pour savourer l'effet de ses paroles. Il voyait presque les rouages tourner sous les pais cheveux bruns, spars par une raie bien nette, de l'oncle Vernon. S'il empchait Harry d'crire Sirius, celui-ci penserait que son filleul tait maltrait. S'il lui interdisait d'assister la Coupe du Monde de Quidditch, Harry l'crirait Sirius qui saurait alors qu'il tait vritablement maltrait. Il ne restait donc plus l'oncle Vernon qu'une seule solution. Harry avait l'impression de voir la conclusion de ses rflexions se former dans son esprit, comme si son gros visage moustachu avait t transparent. Harry s'effora de ne pas sourire, de paratre le plus neutre possible. Alors...

    Bon, trs bien, tu n'as qu' y aller ce fichu... ce stupide... ce machin de Coupe du Monde. cris donc ces-ces Weasley qu'ils viennent te chercher. Moi, je ne vais pas passer mon temps te conduire je ne sais o travers tout le pays. Tu peux aussi rester l-bas jusqu' la fin des vacances, par la mme occasion. Et dis-le-lui ton... ton parrain... n'oublie pas de lui dire... que tu y vas.

    D'accord, rpondit Harry d'un ton clatant.

    Il tourna les talons et se dirigea vers la porte du salon en se retenant de sauter en l'air et de pousser des cris de joie. Il y allait... Il allait chez les Weasley, il verrait la Coupe du Monde de Quidditch !

    Dans l'entre, il faillit renverser Dudley qui s'tait cach derrire la porte dans l'espoir clairement affich d'entendre Harry subir les foudres de l'oncle Vernon. Il parut indign en voyant Harry le regarder avec un grand sourire.

    C'tait un excellent petit djeuner, tu ne trouves pas ? dit Harry. J'ai vraiment bien mang, pas toi ?

    clatant de rire devant l'expression stupfaite de Dudley, Harry monta l'escalier quatre quatre et se prcipita dans sa chambre.

    Il vit tout de suite qu'Hedwige tait de retour. Elle tait perche dans sa cage, fixant Harry de ses normes yeux couleur d'ambre et faisant claquer son bec pour manifester son agacement.

    AE ! s'exclama Harry.

  • Quelque chose qui ressemblait une petite balle de tennis grise couverte de plumes venait de heurter de plein fouet la joue de Harry. Il se massa vigoureusement et regarda ce qui l'avait frapp : c'tait un minuscule hibou, assez petit pour tenir au creux de sa main, et qui volait tout autour de la pice d'un air surexcit, comme une fuse de feu d'artifice devenue folle. Harry s'aperut alors que le hibou avait laiss tomber une lettre ses pieds. Il se pencha pour la ramasser et reconnut l'criture de Ron. A l'intrieur, il trouva un petit mot htivement rdig.

    Harry, PAPA A EU LES BILLETS. Irlande contre Bulgarie, lundi soir. Maman a crit tes Moldus pour leur demander qu'ils te laissent venir chez nous. Ils ont peut-tre dj eu sa lettre, je ne sais pas combien de temps met la poste des Moldus. Moi, en tout cas, je t'envoie Coq.

    Harry s'arrta sur le mot Coq puis il leva les yeux vers le minuscule hibou qui volait toute vitesse autour de l'abat-jour accroch au plafond. Il se demandait en quoi il pouvait bien ressembler un coq. Peut-tre avait-il mal lu l'criture de Ron. Il poursuivit la lecture de la lettre :

    Nous allons venir te chercher, que a plaise ou non tes Moldus. Il n'est pas question que tu manques la Coupe du Monde, mais papa et maman pensent que ce serait mieux de faire semblant de leur demander la permission d'abord. S'ils sont d'accord, renvoie-moi Coq avec ta rponse illico presto et on viendra te chercher cinq heures de l'aprs-midi dimanche prochain. S'ils ne sont pas d'accord, renvoie-moi Coq illico presto et on viendra quand mme te chercher cinq heures de l'aprs-midi dimanche prochain.

    Hermione arrive cet aprs-midi. Percy a commenc travailler au Dpartement de la coopration magique internationale. Surtout, ne lui parle pas de quoi que ce soit qui concerne des pays trangers, si tu ne veux pas touffer sous des discours mourir d'ennui.

    A bientt,

    Ron

    Du calme ! dit Harry au minuscule hibou.

    Celui-ci volait au-dessus de sa tte en poussant de petits cris triomphants, apparemment trs fier d'avoir russi apporter la lettre son destinataire.

  • Viens l, il faut que tu repartes avec ma rponse ! Dans un bruissement d'ailes, le hibou voleta au-dessus de la cage d'Hedwige qui lui lana un regard glacial comme pour le mettre au dfi d'approcher davantage.

    Harry prit sa plume d'aigle et un morceau de parchemin puis se mit crire :

    Ron, tout est d'accord, les Moldus ont dit que je pouvais venir. On se voit demain cinq heures. Vivement demain !

    Harry

    Il plia le parchemin pour qu'il soit le plus petit possible et, au prix d'immenses difficults, le fixa la patte du minuscule hibou qui sautait sur place, tout excit par sa nouvelle mission. Ds que le parchemin fut soigneusement attach, l'oiseau se prcipita au-dehors et disparut l'horizon.

    Harry se tourna alors vers Hedwige.

    Tu as envie de faire un long voyage ? lui demanda-t-il. Hedwige hulula d'un air digne.

    Tu peux apporter a Sirius de ma part ? dit-il en prenant sa lettre. Attends une minute... j'ai quelque chose ajouter.

    Il dplia le parchemin et rdigea htivement un post-scriptum.

    Si tu veux me joindre, je serai chez mon ami Ron Weasley jusqu' la fin des vacances. Son pre a russi nous avoir des billets pour la Coupe du Monde de Quidditch !

    Sa lettre termine, il l'attacha la patte d'Hedwige qui resta parfaitement immobile, bien dcide lui montrer comment une chouette postale digne de ce nom devait se comporter.

    Je serai chez Ron quand tu reviendras, d'accord ? lui dit Harry.

    Elle lui mordilla affectueusement le doigt puis, dans un bruissement feutr, elle dploya ses ailes immenses et s'envola par la fentre ouverte.

    Harry la regarda s'loigner jusqu' ce qu'elle soit hors de vue, puis il se glissa sous son lit, souleva la lame de parquet et retira de sa cachette un gros morceau de gteau d'anniversaire. Il resta assis par terre pour le manger, savourant l'impression de bonheur qui le submergeait. Il mangeait du gteau alors que Dudley devait se contenter de pamplemousse, c'tait une magnifique journe d't, il allait quitter Privet Drive ds le lendemain, sa cicatrice tait redevenue parfaitement normale et il assisterait bientt la finale de la Coupe du Monde de Quidditch. En cet instant, il aurait t difficile de s'inquiter de quoi que ce soit y compris de Lord Voldemort.

  • 4 RETOUR AU TERRIER

    Le lendemain, vers midi, Harry avait fini d'entasser dans sa grosse valise ses affaires d'cole et les objets personnels auxquels il tenait le plus : la cape d'invisibilit qu'il avait hrite de son pre, le balai volant que lui avait offert Sirius, la carte magique de Poudlard dont Fred et George Weasley lui avaient fait cadeau l'anne prcdente. Il avait vid sa cachette sous la lame de parquet, vrifi soigneusement chaque recoin de sa chambre pour tre sr de ne pas y oublier une plume ou un grimoire et avait t du mur le calendrier sur lequel il barrait les jours qui le sparaient de son retour Poudlard.

    L'atmosphre qui rgnait au 4, Privet Drive tait extrmement tendue. L'arrive imminente dans la maison d'une famille de sorciers rendait les Dursley nerveux et irritables. L'oncle Vernon avait paru trs inquiet lorsque Harry l'avait inform que les Weasley viendraient le chercher cinq heures le lendemain aprs-midi.

    J'espre que tu leur as dit de s'habiller convenablement, ces gens, avait-il aussitt grommel d'un air mprisant. J'ai vu le genre de choses que vous portez, vous autres. La moindre dcence consisterait mettre des vtements normaux.

    Harry avait un vague pressentiment. Il avait rarement vu les Weasley porter quelque chose que les Dursley auraient pu trouver normal . Leurs enfants mettaient parfois des vtements de Moldus pendant les vacances mais Mr et Mrs Weasley portaient gnralement de longues robes de sorcier plus ou moins limes. Harry ne se souciait gure de l'opinion des voisins mais il s'inquitait de la grossiret dont les Dursley pourraient faire preuve l'gard des Weasley si ces derniers ressemblaient trop l'ide qu'ils se faisaient des sorciers.

    L'oncle Vernon avait revtu son plus beau costume. Certains auraient pu voir l un geste de bienvenue, mais Harry savait que c'tait seulement parce qu'il voulait paratre impressionnant, intimidant mme. Dudley, lui, semblait plutt diminu, non pas en raison de son rgime qui n'avait encore aucun effet, mais par la peur. Sa dernire rencontre avec un sorcier lui avait valu de se retrouver affubl d'une queue de cochon en tire-bouchon qui dpassait de son pantalon et ses parents avaient d l'emmener dans une clinique prive de Londres pour la faire enlever grands frais. Il n'tait donc pas surprenant de voir Dudley passer fbrilement la main dans son dos en marchant de ct afin de ne pas prsenter la mme cible l'ennemi.

    Le djeuner se droula dans un silence quasi complet. Dudley ne protesta mme pas contre la composition du menu (fromage blanc et cleri rp). La tante Ptunia ne mangea rien du tout. Elle avait les bras croiss, les lvres pinces et semblait mchonner sa langue comme si elle s'efforait de retenir la furieuse diatribe qu'elle brlait de prononcer contre Harry.

    Ils vont venir en voiture, bien entendu ? aboya l'oncle Vernon, assis de l'autre ct de la table.

    Heu..., dit Harry.

    Il ne s'tait pas pos la question. Comment les Weasley allaient-ils venir le chercher ? Ils n'avaient plus de voiture : la vieille Ford Anglia qu'ils possdaient tait retourne l'tat sauvage dans la Fort interdite de Poudlard. L'anne dernire, cependant, Mr Weasley avait

  • emprunt une voiture au ministre de la Magie. Peut-tre allait-il faire la mme chose aujourd'hui ?

    Je pense, oui, rpondit enfin Harry.

    L'oncle Vernon renifla d'un air mprisant. Normalement, il aurait d demander quelle tait la marque de la voiture de Mr Weasley. Il avait tendance juger les autres d'aprs la taille et le prix de leurs voitures. Mais Harry doutait que l'oncle Vernon puisse jamais prouver de la sympathie pour Mr Weasley, mme si celui-ci avait roul en Ferrari.

    Harry passa la plus grande partie de l'aprs-midi dans sa chambre. Il ne supportait pas de voir la tante Ptunia regarder travers les rideaux toutes les trente secondes, comme si on avait signal qu'un rhinocros chapp du zoo se promenait dans les parages. Enfin, cinq heures moins le quart, il redescendit dans le salon.

    La tante Ptunia tapotait machinalement les coussins. L'oncle Vernon faisait semblant de lire le journal, mais ses yeux minuscules restaient immobiles et Harry tait persuad qu'il guettait le moindre bruit de moteur en provenance de la rue. Dudley tait tass dans un fauteuil, assis sur ses petites mains dodues fermement serres sur son derrire. La tension qui rgnait dans la pice devenait insupportable; Harry prfra sortir dans l'entre et s'asseoir sur les marches de l'escalier, les yeux fixs sur sa montre, le cur battant.

    Cinq heures sonnrent, puis les minutes passrent. L'oncle Vernon, transpirant lgrement dans son costume trop chaud, alla ouvrir la porte, regarda des deux cts de la rue puis rentra vivement la tte.

    Ils sont en retard ! lana-t-il Harry.

    Je sais, rpondit Harry. Peut-tre que... il y avait de la circulation.

    Cinq heures dix... cinq heures et quart... Harry aussi commenait tre inquiet. A la demie, il entendit l'oncle Vernon et la tante Ptunia marmonner quelques remarques lapidaires :

    Aucune considration pour les autres.

    Nous aurions pu avoir quelque chose faire tout de suite aprs.

    Ils pensent peut-tre que, s'ils arrivent suffisamment tard, on les invitera dner.

    Il ne manquerait plus que a ! s'indigna l'oncle Vernon.

    Harry l'entendit se lever et faire les cent pas dans le salon.

    Ils emmnent ce garon et ils s'en vont, pas question de les laisser traner dans la maison. Si toutefois ils viennent. Ils se sont probablement tromps de jour. On peut dire que la ponctualit n'est pas une valeur essentielle, chez ces gens-l. Ou peut-tre qu'ils roulent dans un vieux tas de ferraille qui est tomb en pa... aaaaaaaarrrrgh !

  • Harry se leva d'un bond. De l'autre ct de la porte du salon, il entendit les trois Dursley pris de panique se prcipiter l'autre bout de la pice. Un instant plus tard, Dudley surgit dans l'entre, l'air terrifi.

    Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui s'est pass ? s'inquita Harry.

    Mais Dudley semblait incapable de parler. Les mains toujours crispes sur ses fesses, il se dandina aussi vite que possible vers la cuisine pendant que Harry se ruait dans le salon.

    Des coups frapps contre le mur et des raclements sonores s'levaient dans la chemine que les Dursley avaient condamne et devant laquelle ils avaient install un faux feu de bois lectrique.

    Qu'est-ce que c'est ? balbutia la tante Ptunia, le dos plaqu contre le mur, son regard pouvant fix sur le faux feu. Qu'est-ce qui se passe, Vernon ?

    La rponse ne se fit gure attendre. Un instant plus tard, des voix retentirent l'intrieur de la chemine.

    Ae ! Fred, non... Recule, recule, il y a eu une erreur quelque part... Dis George de ne pas... AE ! George, non, on n'a pas assez de place, retourne vite dire Ron...

    Peut-tre que Harry nous entend, papa ? Peut-tre qu'il va pouvoir nous faire sortir d'ici ?

    Il y eut un martlement assourdissant sur les planches qui masquaient la chemine, derrire le feu de bois lectrique.

    Harry ? Harry, tu nous entends ?

    D'un mme mouvement, les Dursley se tournrent vers Harry comme un couple de belettes furieuses.

    Qu'est-ce que c'est que a ? gronda l'oncle Vernon. Qu'est-ce qui se passe ?

    Ils... ils ont voulu venir avec de la poudre de Cheminette, rpondit Harry en rprimant un fou rire. Ils peuvent se dplacer d'une chemine l'autre grce un feu spcial mais, comme la vtre est condamne, ils n'arrivent plus sortir... Attendez...

    Il s'approcha de la chemine et appela :

    Mr Weasley ? Vous m'entendez ?

    Le martlement cessa. A l'intrieur, quelqu'un fit : Chut !

    Mr Weasley, c'est Harry. La chemine a t condamne. Vous n'allez pas pouvoir passer par ici.

    Allons bon ! dit la voix de Mr Weasley. Pourquoi donc ont-ils condamn cette chemine ?

    Ils prfrent les feux lectriques, expliqua Harry.

  • Vraiment ? dit la voix de Mr Weasley, soudain intresse. Comment tu dis ? Ecklectic ? Avec une prise ! Il faut absolument que je voie a... Voyons, rflchissons... Ae, Ron !

    La voix de Ron se joignit aux autres :

    Qu'est-ce qu'on fait tous l ? Il y a quelque chose qui ne va pas ?

    Mais si, tout va trs bien, Ron, dit la voix de Fred d'un ton sarcastique, on n'aurait pas pu rver mieux.

    Oui, on s'amuse comme des petits fous, ici, dit George d'une voix compltement touffe, comme s'il tait cras contre le mur.

    Allons, allons... dit Mr Weasley d'un ton indcis. J'essaye de trouver un moyen... Oui... Il n'y a qu'une seule chose faire... Recule-toi, Harry.

    Harry battit en retraite en direction du canap. L'oncle Vernon, en revanche, s'avana.

    Attendez un peu ! s'cria-t-il en parlant au faux feu. Qu'est-ce que vous avez l'intention de... ?

    BANG !

    Le feu lectrique vola travers la pice, souffl par l'explosion de la chemine. Mr Weasley, Fred, George et Ron surgirent alors au milieu d'un nuage de dbris divers. La tante Ptunia poussa un hurlement suraigu et tomba par-dessus la table basse. L'oncle Vernon la rattrapa avant qu'elle ne heurte le sol et regarda bouche be les Weasley qui arboraient tous une chevelure d'un roux vif. Fred et George, les jumeaux, taient parfaitement identiques, jusqu' la moindre tache de son.

    a va mieux, dit Mr Weasley d'un ton haletant.

    Il pousseta d'un revers de main sa longue robe verte et redressa ses lunettes sur son nez.

    Ah, vous devez tre l'oncle et la tante de Harry !

    Grand, mince, le front dgarni, Mr Weasley s'avana, la main tendue vers l'oncle Vernon, mais celui-ci recula de plusieurs pas, entranant avec lui la tante Ptunia. L'oncle Vernon tait incapable de prononcer un mot. Son plus beau costume tait couvert d'une poussire blanche qui s'tait galement rpandue sur sa moustache et dans ses cheveux. Il avait l'air d'avoir brusquement vieilli de trente ans.

    Ah, heu... oui... dsol pour tout ce drangement, dit Mr Weasley qui laissa retomber sa main en jetant un coup d'il vers la chemine dvaste. C'est entirement ma faute. Je n'avais pas pens que nous ne pourrions pas sortir une fois arrivs destination. Figurez-vous que j'ai fait connecter votre chemine au rseau de la poudre de Cheminette oh, bien sr, c'tait simplement pour l'aprs-midi, afin que nous puissions venir chercher Harry. Normalement, les chemines de Moldus ne doivent pas tre connectes, mais je connais quelqu'un au Service de rgulation des dplacements par chemine qui m'a arrang a pour me rendre service. Je remettrai tout en ordre en un clin d'il, ne vous inquitez pas. Je vais allumer un feu pour

  • renvoyer les garons la maison et ensuite, je rparerai la chemine avant de transplaner moi-mme.

    Harry tait prt parier que les Dursley n'avaient pas compris un mot de ce qu'il venait de dire. Ils continuaient de regarder Mr Weasley bouche be, comme frapps par la foudre. La tante Ptunia se redressa tant bien que mal et se cacha derrire l'oncle Vernon.

    Bonjour, Harry, dit Mr Weasley, avec un sourire rayonnant, tes bagages sont prts ?

    Tout est l-haut, rpondit Harry en lui rendant son sourire.

    On va s'en occuper, dit aussitt Fred.

    Adressant un clin d'il Harry, il sortit du salon en compagnie de George. Ils savaient o se trouvait sa chambre pour l'avoir un jour aid s'chapper en pleine nuit. Harry souponnait Fred et George d'avoir envie de jeter un coup d'il Dudley. Il leur en avait souvent parl.

    Voil, voil, lana Mr Weasley d'un ton un peu gn.

    Il balana lgrement les bras en cherchant quelque chose dire pour essayer de rompre le silence de plus en plus pesant.

    C'est... c'est trs charmant, chez vous.

    En voyant leur salon habituellement immacul recouvert de poussire et de morceaux de briques, les Dursley ne furent gure sensibles sa remarque. Le visage de l'oncle Vernon redevint violac et la tante Ptunia recommena mchonner sa langue. Mais ils semblaient trop effrays pour oser dire quoi que ce soit.

    Mr Weasley regardait autour de lui. Il avait toujours manifest beaucoup d'intrt pour les inventions des Moldus et Harry sentait qu'il brlait d'envie d'aller examiner de prs le poste de tlvision et le magntoscope.

    a marche l'eckeltricit, n'est-ce pas ? dit-il d'un ton d'expert. Ah, oui, je vois les prises. Je fais moi-mme collection de prises, ajouta-t-il l'adresse de l'oncle Vernon. Et de piles. J'ai une trs belle collection de piles. Ma femme pense que je suis fou, mais voil bien la preuve du contraire.

    L'oncle Vernon paraissait lui aussi clairement convaincu que Mr Weasley tait fou. Il se glissa lgrement vers la droite, cachant la tante Ptunia derrire lui, comme s'il avait peur que Mr Weasley se prcipite soudain sur eux pour les attaquer.

    Dudley rapparut soudain dans la pice. Harry entendit le son de sa grosse valise qu'on tranait dans l'escalier et il comprit que c'tait ce bruit qui avait fait peur Dudley et l'avait chass de la cuisine. Dudley longea le mur, observant Mr Weasley d'un regard terrifi, et s'effora de se cacher derrire son pre et sa mre. Mais le corps massif de l'oncle Vernon, suffisant pour dissimuler la tante Ptunia, n'tait quand mme pas assez volumineux pour cacher Dudley.

  • Ah, voil ton cousin, c'est bien a, Harry ? dit Mr Weasley en essayant courageusement de relancer la conversation.

    Ouais, rpondit Harry, c'est Dudley.

    Ron et lui changrent un regard puis dtournrent les yeux pour chapper la tentation d'clater de rire. Dudley se tenait toujours le derrire comme s'il avait peur qu'il se dtache de son corps et tombe par terre. Mr Weasley paraissait s'inquiter de son comportement.

    Tu passes de bonnes vacances, Dudley ? demanda-t-il avec douceur.

    A en juger par le ton de sa voix, Harry se doutait que, aux yeux de Mr Weasley, Dudley devait sembler aussi fou que lui-mme le paraissait aux Dursley, la diffrence que Mr Weasley prouvait pour lui de la compassion plutt que de la peur. En l'entendant s'adresser lui, Dudley laissa chapper un gmissement et Harry vit ses mains se serrer encore davantage sur son norme postrieur.

    Fred et George revinrent dans la pice en portant la grosse valise de Harry et leur regard se posa aussitt sur Dudley. Le mme sourire malicieux apparut alors sur leur visage.

    Ah, vous voil, parfait, je crois que nous ferions bien d'y aller, dit Mr Weasley.

    Il retroussa les manches de sa robe de sorcier et sortit sa baguette magique. Harry vit les trois Dursley reculer d'un mme mouvement vers le mur du fond.

    Incendio ! s'exclama Mr Weasley en pointant sa baguette vers le trou dans le mur.

    Des flammes s'levrent aussitt dans la chemine en craquant allgrement, comme si le feu brlait depuis des heures. Mr Weasley sortit de sa poche un petit sac ferm par un cordon, l'ouvrit, retira une pince de poudre et la jeta dans les flammes qui prirent une teinte vert meraude en ronflant de plus belle.

    Vas-y, Fred, dit Mr Weasley.

    J'arrive, rpondit Fred. Oh, non, attends...

    Un sac de bonbons venait de tomber de sa poche en rpandant son contenu par terre de grosses et apptissantes pralines enveloppes de papiers aux couleurs vives.

    Fred se prcipita pour les ramasser et les remettre dans sa poche puis, l'air enjou, il adressa un signe de la main aux Dursley et s'avana dans les flammes en annonant : Le Terrier ! La tante Ptunia, parcourue d'un frisson, touffa une exclamation apeure. Il y eut un bruit de bourrasque et Fred disparut.

    A toi, George, dit Mr Weasley, vas-y avec la valise.

    Harry aida George porter sa valise dans les flammes et la mettre debout pour qu'il puisse la tenir plus facilement. Puis, aprs s'tre cri : Le Terrier ! , George disparut son tour dans le mme bruit de bourrasque.

  • Ron, toi maintenant, dit Mr Weasley.

    A bientt, lana Ron aux Dursley d'un ton joyeux.

    Il adressa un large sourire Harry, puis s'avana dans le feu qui continuait de brler et cria : Le Terrier ! avant de disparatre comme ses frres.

    Il ne restait plus prsent que Harry et Mr Weasley.

    Bon, eh bien, au revoir, dit Harry aux Dursley.

    Ils restrent silencieux et Harry s'approcha des flammes. Mais au moment o il arrivait devant l'tre, Mr Weasley tendit la main et le retint par l'paule. Il regardait les Dursley d'un air stupfait.

    Harry vous a dit au revoir, fit-il remarquer. Vous ne l'avez pas entendu ?

    a ne fait rien, murmura Harry Mr Weasley. Sincrement, a m'est gal.

    Mais Mr Weasley ne lcha pas l'paule de Harry.

    Vous n'allez plus voir votre neveu jusqu' l't prochain, dit-il l'oncle Vernon, d'un ton quelque peu indign. Vous ne pouvez quand mme pas le laisser partir sans lui dire au revoir ?

    Le visage de l'oncle Vernon trahissait une furieuse agitation. L'ide de recevoir une leon de politesse de la part d'un homme qui venait de dvaster la moiti de son salon lui causait de toute vidence une souffrance cuisante.

    Mais Mr Weasley avait toujours sa baguette la main et les yeux minuscules de l'oncle Vernon s'y posrent un instant avant qu'il se dcide lcher contrecur un timide :

    Eh bien, oui, au revoir.

    A un de ces jours, dit Harry en posant un pied dans les flammes vertes qui dgageaient une agrable tideur.

    A cet instant, un horrible hoquet retentit derrire lui et la tante Ptunia poussa un hurlement.

    Harry fit aussitt volte-face. Dudley n'tait plus derrire ses parents. A genoux prs de la table basse, il suffoquait, crachait, s'touffait, tandis qu'une horrible chose gluante et violace de trente centimtres de long pendait de sa bouche. Harry, stupfait, s'aperut qu'il s'agissait tout simplement de la langue de Dudley et qu'un des papiers aux vives couleurs qui enveloppaient les pralines tait tomb par terre devant lui.

    La tante Ptunia se prcipita sur Dudley. Elle attrapa le bout de sa langue enfle et essaya de l'arracher de sa bouche. Dudley se mit alors hurler et crachoter de plus belle, en essayant de repousser sa mre. L'oncle Vernon, pris de panique agitait les bras et vocifrait si fort que Mr Weasley fut oblig de hurler pour se faire entendre.

  • Ne vous inquitez pas, je vais arranger a ! s'exclama-t-il en s'approchant de Dudley, sa baguette magique pointe sur lui.

    Mais la tante Ptunia poussa des cris plus perants que jamais et se jeta sur Dudley pour le protger de son corps.

    Allons, voyons, dit Mr Weasley d'un ton dsespr. C'est un simple phnomne de... c'est cause de la praline... mon fils, Fred... un vrai farceur... il s'agit simplement d'un sortilge d'Engorgement... c'est du moins ce que je crois... Laissez-moi faire, je peux tout arranger...

    Loin d'tre rassurs, les Dursley avaient l'air de plus en plus terroriss et la tante Ptunia poussait des sanglots hystriques en tirant sur la langue de Dudley comme si elle voulait tout prix l'arracher. Dudley touffait sous l'effet conjugu des efforts de sa mre et du volume de sa langue qui ne cessait de grandir. L'oncle Vernon, quant lui, avait perdu le contrle de ses nerfs : il attrapa une figurine en porcelaine pose sur le buffet et la jeta de toutes ses forces la tte de Mr Weasley qui se baissa temps. L'objet poursuivit sa course et se fracassa dans la chemine dvaste.

    Allons, voyons ! rpta Mr Weasley avec colre en brandissant sa baguette magique. J'essaye au contraire de vous aider !

    Meuglant comme un hippopotame bless, l'oncle Vernon saisit un autre objet dcoratif.

    Harry, vas-y ! Vas-y ! s'cria Mr Weasley, sa baguette pointe sur l'oncle Vernon. Je vais arranger tout a !

    Harry ne voulait pas tre priv du spectacle mais la deuxime figurine que lana l'oncle Vernon lui frla l'oreille et il estima prfrable de laisser Mr Weasley dnouer seul la situation. Il s'avana dans les flammes et jeta un coup d'il par-dessus son paule en annonant : Le Terrier ! Il eut encore le temps d'apercevoir Mr Weasley, qui faisait exploser entre les mains de l'oncle Vernon une troisime figurine de porcelaine, et la tante Ptunia, toujours allonge sur son fils, qui ne cessait de hurler tandis que la langue de Dudley serpentait hors de sa bouche comme un grand python gluant. Un instant plus tard, Harry se mit tournoyer sur lui-mme de plus en plus vite et le salon des Dursley disparut dans un tourbillon de flammes vertes comme l'meraude.

  • 5 FARCES POUR SORCIERS FACTIEUX

    Harry, coudes au corps, tournoyait toujours plus vite. Des chemines dfilaient devant lui, dans une succession d'images floues qui finirent par lui donner mal au cur et l'obligrent fermer les yeux. Lorsque, enfin, il se sentit ralentir, il tendit les mains devant lui juste temps pour viter de s'craser face contre terre dans la chemine de la cuisine des Weasley.

    Alors, il en a mang ? demanda Fred d'un ton surexcit en tendant une main Harry pour l'aider se relever.

    Oui, dit Harry. Qu'est-ce que c'tait ?

    Des Pralines Longue Langue, rpondit Fred d'un air satisfait. C'est George et moi qui les avons