De la chambre noire au cinématographeDe la chambre noire au cinématographe

HISTOIRE DU CINEMA D'ANIMATIONCours 5 – OCTOBRE 2014 – Maurice Corbet

Une chronophotographie d'Etienne-Jules Marey

« Lorsque des images d’objets illuminés pénètrent par un petit orifice dans une chambre très obscure, captez-les sur une feuille de papier blanc [...], ils auront diminué de grandeur et ils se présenteront dans une position inversée, à cause de l’intersection des rayons lumineux [...] »Léonard de Vinci, 1515

La camera obscura, ou chambre noire

Anastasius Kircher, 'Ars Magna Lucis Et Umbra', 1646

De la chambre noire au cinématographe

Giambattista della Porta (1535 - 1605) perfectionne la camera obscura ou chambre noire décrite par Leonard de Vinci en ajoutant une lentille convexe à l'orifice par où entre la lumière. A partir de là, la chambre noire sera utilisée par les artistes pour « copier » la nature.

Tente chambre noire, vers 1825

Camera obscura portable,fin dix-huitième siècle

Chambre photographique de Nicéphore Niépce, vers 1825

La première photographie...

Joseph Nicéphore NiépcePhoto prise en 1826 à Saint-Loup-de-Varennes (France)

Les sujets des premières photographies sont de préférence des natures mortes...

Ou particulièrement dociles ! Honoré Daumier, Le Charivari, 5 juin 1856

Louis et Auguste Lumière, "Auguste Lumière lançant un seau d'eau", 1888

« Les histoires de la photographie font coïncider l’accès à l’instantanéité avec l’apparition du gélatino-bromure d’argent, proposé en 1871 par Richard Leach Maddox, [mais plus] d’une quinzaine d’années séparent cette date du véritable essor d’une iconographie du mouvement, à partir de 1886. »André Gunthert, www.arhv.lhivic.org

Etienne-Jules Marey et l'enregistrement du mouvementEtienne-Jules Marey et l'enregistrement du mouvement

Sphygmographe de Marey,pour l’observation du pouls par la méthode graphique, 1860.Gravure extraite de l'ouvrage La machine animale, Marey, 1873

Enregistrement de la course par la méthode graphique.Étienne-Jules Marey, 1872Gravure extraite de l'ouvrage de Marey La machine animale.

Le galop du cheval analysé par Marey

« Le corps un instant détaché du sol, retombe et c'est un seul pied qui soutient ce choc »Etienne-Jules MareyLa Machine animale. Locomotion terrestre et aérienne (1873-1874)

Théodore GÉRICAULT (1791 – 1824)Course de chevaux (ou Le derby de 1821 à Epsom)Musée du Louvre

Les analyses du mouvement faites par Marey contredisent les grands peintres...

Eadweard MUYBRIDGEpremiers instantanés photographiques de phases successives du mouvement obtenus en 1878

Installation de Muybridge à Palo Alto, La Nature, 1882

Installation de Muybridge à Palo Alto, La Nature, 1882

Séquence d'animation d'un cheval au galopphotographié par par Muybridge,images publiées en 1887 dansAnimal Locomotion(premiers instantanés obtenus en 1978)

Analyse du mouvement...

... et synthèse du mouvementgrâce au phénakistiscope

Zoopraxiscope inventé par Eadweard Muybridge (1830-1904) en 1879Kingston Museum

Zoopraxiscope, Hieronim Neumann, 2005

Marey, Le vol des oiseaux (Paris, 1890)

Le fusil photographique de MareyLa Nature, 1882

Mécanisme du fusil photographique etphotographie d'une mouetteLa Nature, 1882

Le mécanisme du fusil photographique s'inspire du révolver photographique mis au point par Janssen en 1874 pour photographier le passage de Vénus devant le soleil, lui-même dérivé de l'invention de Samuel Colt en 1835...

Fusil photographique conservé par le musée Marey de Beaune

Etienne-Jules MAREY, 1882Chronophotographies obtenues au moyen du fusil photographique1. diam. 10,7 cmBeaune, Musée E.J. MareyDépôt du Collège de France

Étienne-Jules Marey : zootrope dans lequel sont disposées dix images en relief d'un goéland dans les attitudes successives d'un vol, 1887

Chronophotographie de la course d'un hommeÉtienne-Jules Marey, 1883Collection et cliché : Musée Marey, Beaune

Les images du coureur sont réduites à des lignes brillantes pour faciliter l'analyse des positions successives de ses membres.

Enregistrements du mouvement avec le chronophotographe à plaque fixe (Marey, 1882)

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Le chronophotographe à pellicule de MareyLa Nature, 1890

Les travaux de Muybridge et de Marey influenceront beaucoup les artistes au début du vingtième siècle...

Nu descendant un escalier,Marcel Duchamp, 1912

Dynamisme d'un chien en laisse, Giacomo Balla, 1912

Fillette courant sur un balcon, Giacomo Balla, 1912

Umberto Boccioni (1886-1916)Formes uniques de la continuité dans l'espace , 1913 bronze

Norman McLaren (1914 – 1987), cinéaste expérimental, s'inspire dans « Pas de deux » (1968) des travaux de Marey

Sur les traces de Marey et Muybridge de nombreux inventeurs mettent au point divers appareils capables d'enregistrer le mouvement et de projeter les images animées. Voici quelques exemples :

- Louis Le Prince dépose en 1888 le brevet d’une caméra de projection cinématographique...

- Edison invente le Kinétograph (pour la prise de vues) et le Kinétoscope (pour le visionnement individuel) en 1888. Brevets homologués en 1893 et 1897.

- William Friese-Greene en Angleterre dépose en 1889 un brevet de caméra

- Léon Bouly dépose en 1892 le brevet d'un appareil « réversible de photographie et d'optique pour l'analyse et la synthèse des mouvements, dit le Cynématographe Léon Bouly ». Il le nommera Cinématographe en 1893

- Les frères Lumière reprennent cette appellation pour leur « chronophotographe réversible » breveté en mars 1895. Première projection publique le 28 décembre.

- En Allemagne, c'est Max Skladanowsky qui serait l'inventeur du cinéma avec son brevet de Bioskop avec lequel il fait une démonstration publique en 1895, un peu avant les frères Lumière...

- En 1896 Edison brevète le Phantascope puis le rebaptise Vitascope, pour la projection des vues animées.

Sur les traces de Marey et Muybridge

Le kinetoscope Edison (gravures extraites de la revue « La Nature »)

Le cinématographe des frères Lumière,La Nature, 1995

La course à l’invention du cinéma

A la suite des travaux de MAREY et de MUYBRIDGE, de nombreux chercheurs s'orientent vers la chronophotographie et la synthèse du mouvement. Des quantités d'appareils sont brevetés.MAREY poursuivant des buts scientifiques est sans doute le plus inventif et donne en 1894, dans son ouvrage "Le Mouvement", toutes les caractéristiques théoriques nécessaires à l'invention du cinéma. Mais c'est à l'ingénieur américain Thomas EDISON que l'on doit, en 1889, le film sous sa forme moderne. Enfin, en 1895, le cinématographe des français Louis et Auguste LUMIÈRE est certainement la plus aboutie des solutions d'enregistrement et de restitution du réel par la projection.

chronophotographe Demeny,La Nature, 1896

"On conservera l'expression de la physionomie comme on conserve la voix dans le phonographe. On pourra même joindre ce dernier au phonoscope pour conserver l'illusion. On fera plus, désormais, qu'analyser, on fera revivre."Georges DEMENŸ, collaborateur de MAREY et inventeur du phonoscope, 1892

Une autre technique pour faire la synthèse du mouvement :

l'animation par feuilletage

Le flip book a été breveté en 1868 par un imprimeur anglais, John Barnes Linnett, sous le nom de « The Kineograph a new optical illusion »

Dessin © Pierre CHEVRIER

Mutoscope Casler

Le Mutoscope

En 1894, l'américain Hermann Casler invente le Mutoscope. C'est l'appareil le plus perfectionné utilisant l'animation par feuilletage.

A la fin du dixneuvième siècle, plusieurs techniques de restitution du mouvement enregistré étaient en concurrence.

Ausgespielt (Le jeu est fini)Basil Vogt, 1995Machine à sou en bois et métal,basée sur le fonctionnement du mutoscope,permettant de visionner un dessin animé original de Basil Vogtréalisé sur plexiglas peint à l'acrylique.

La « Motion capture » enregistre les mouvements d'un acteur et les transmet à un personnage en images de synthèse.

L'enregistrement du mouvement par la méthode graphique de Marey...

… à l'enregistrement du mouvement par la moition capture

Georges Méliès (1861-1938)Le père des effets spéciaux

Du trucage cinématographique au cinéma d'animationDu trucage cinématographique au cinéma d'animation

Escamotage d'une dame au théâtre Robert Houdin, Georges Méliès, 1896Trucage par substitution (arrêt de la caméra ; substitution de l'objet filmé par un autre ; reprise de la prise de vue.)

Le cinématographe comme instrument de trucageLe cinématographe comme instrument de trucageGeorges MélièsGeorges Méliès

L'homme-orchestre, Georges Méliès, 1900Trucage par surimpression (la pellicule est impressionnée plusieurs fois. Entre chaque prise de vue le même personnage joue un autre rôle)

Réalisateur espagnol, il s'installe à Paris en 1905 et travaille pour Pathé sous le nom de Chaumont comme spécialiste du trucage.

Segundo de ChomónLes Kiriki, acrobates japonais, 1907Production:Pathé Frères(Trucage par position de la caméra : placée ici sur un axe vertical)

Segundo de Chomón (1871-1929).

7 Fragments for Georges Méliès ( Invisible Mending ) William Kentridge, 2003Le film est projeté en partant de la fin.

Exemple de films contemporains revisitant les premiers trucages du cinéma

Walerian BorowczykRenaissance (1963)La poupée et la trompette (objets du film, collection Musées d'Annecy)

Une explosion à l'envers : tournée image par image et projetée en commençant par la fin...

Cinéaste anglais, pionnier de l'animation, aurait été le premier à réaliser un film en « stop motion », en 1899, avec Matches: An Appeal, film de propagande utilisant l'animation d'allumettes. Mais sa date de réalisation, fondée sur la guerre des Boers, serait peut-être plus récente...

Arthur Melbourne-Cooper (1874–1961)

A Dream of Toyland, Arthur Melbourne-Cooper, 1907

Matches: An Appeal, Arthur Melbourne-Cooper, 1899 ?

Premiers balbutiements d'un cinéma image par image

James Stuart Blackton(1875 – 1941)

Producteur et cinéaste américain (né en Angleterre), fondateur des studios Vitagraph

En 1900 il réalise « The enchanted drawings ». Ce film n'est pas vraiment un dessin animé. Blackton n'utilise pas la prise de vue image par image, mais comme Méliès, il arrête la caméra, modifie le dessin et redémarre la prise de vue en continu.

En 1906 il réalise « Humorous phases of funny faces ». Cette fois il utilise bien l'animation image par image même si la plus grande partie du film est basée sur des effets de « live action »

James Stuart Blackton,The enchanted drawings, 1900

James Stuart Blackton,Humorous phases of funny faces, 1906

Emile Cohl (1857 – 1938)du caricaturiste élève d'André Gill au cinématographiste

Portrait-charge d'Emile Cohl par UzèsLes Hommes d'aujourd'hui, n°288, 1886

Emile Cohl caricaturiste

Quand il découvre l'animation image par image, ÉmileCOHL, de son vrai nom ÉmileCOURTET, a déjà une carrière bienremplie. Caricaturiste de presse élèved'André GILL, il a également tenu unatelier de photographe, s'est intéresséau théâtre, a imaginé des jeux pour les journaux auxquels il a collaboré…C'est un esprit inventif, curieux de toutesles nouveautés.

Émile Cohl Hydropathe et Incohérent

Première page de l'Hydropathe, 1880Émile Cohl caricaturé par Cabriol

« Un seul but te proposera, rire et t’égayer franchement », tel est le commandement fondateur du mouvement des Incohérents. En 1882, pour rassembler ses anciens compagnons hydropathes, artistes de tous bords dont faisait partie Émile Cohl, Jules Lévy organise une exposition de tableaux « exécutés par des gens qui ne savent pas dessiner ». Ainsi naît le mouvement des Incohérents, une occasion de « rigolade sans méchanceté »Émile Cohl rejoint activement l’entreprise en 1883 en présentant 6 œuvres au côté des monochromes d’Alphonse Allais. Jusqu’à la dernière exposition de 1893, il expose une cinquantaine d’œuvres. Parallèlement aux expositions, se déroulent les bals incohérents.

La jeune génération de l'après guerre de 1870 veut exister et s'exprimer en toute liberté, hors des contraintes des censeurs et des conventions académiques.

Expositions des Arts Incohérents, de 1882 à 1893

De 1883 à 1893, Émile Cohl y expose une cinquantaine d’œuvres.

« Un seul but te proposera, rire et t’égayer franchement »

La Salle Graffard – Exposition des arts incohérents 1884(reproduction dans le catalogue d'une œuvre d'Émile Cohl.Dans l'œuvre exposée, la fumée était figurée par du coton collé sur la toile.

Émile Cohl photographe

Émile Cohl dans son studio photo (de 1884 à 1887)

« J’ai photographié toute la Jeune littérature, l’Ancienne, et les Inconnus, les Victor Hugo d’après-demain » Émile Cohl

Georges Lorain Paul Verlaine

L.-G. Mostrailles, Têtes de pipes, Paris, Léon Vanier, 1885Avec 21 photographies par Emile Cohl

Théâtre, costume, chansons...

Émile Cohl acteur dans Melle Fifi, une adaptation de Maupassant, au théâtre du Grand Guignol, 1896 Deux jours à Paris, chanson créée par

Debailleul à la Scala, 1881, paroles d’Émile Cohl et Ed. Norès

La passion du jeu

A travers les jeux de toutes sortes qu’il propose, notamment à Nos Loisirs, le journal-revue de la famille, on découvre un infatigable inventeur de « colles », puzzles, jeux de logique, anagrammes, jeux mathématiques, casse-tête, illusions d’optiques, anamorphoses…

Jeu de l'oie, par Emile CohlCollection Musée d'Annecy

Les autres passions d’Émile Cohl :philatélie, histoire, généalogie, pêche à la ligne…

Les collaborations régulières d’Émile Cohl aux journaux de son époque dévoilent ses multiples vies. Outre la caricature et le jeu, il écrit des articles en tant qu’expert en philatélie, de pêche à la ligne ou de cyclisme !

Émile Cohl et la bande dessinée

Dessins originaux, encre et aquarelle sur papier, coll. Musée d’Annecy. Histoire humoristique publiée dans la presse Britannique vers 1895 (journal Pick me Up).

Dessins originaux, encre et aquarelle sur papier, coll. Musée d’Annecy. Histoire humoristique en 7 vignettes publiée dans la presse Britannique vers 1895 (journal Pick me Up).

Émile Cohl et son opérateur Le Saint, travaillant sur le premier banc titre de l'histoire du cinéma, 1909

Émile Cohl inventeur et expérimentateur

La prise de vues image par image

Vue d'ensemble du système imaginé par Emile Cohl en 1908

L'invention d'un nouveau langage

Fantasmagorie, 1908