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Objectifs Plan 3 1 Histoire du médicament Cours 1. Le médicament, de l’Antiquité à la Renaissance 2. XVII e et XVIII e siècles : les préludes scientifiques 3. XIX e siècle : le médicament, objet scientifique 4. XIX e siècle : le médicament, objet indutriel 5. Quelques défis thérapeutiques pour le XXI e siècle QCM Corrigés Situer l’évolution de la connaissance du médicament au cours des siècles Situer le médicament dans le contexte de l’évolution des sciences chimiques et naturelles Situer l’évolution de l’industrie pharmaceutique Rendre hommage aux principales personnalités qui ont marqué ces évolutions Cours L’origine du médicament est l’utilisation empirique sur les divers continents de substances naturelles dans le but de lutter contre la maladie, en liaison étroite avec des pratiques incantatoires et religieuses. Cet héritage antique a traversé les millénaires par la tradition orale dont on cherche toujours à recueillir les témoignages chez les peuples autochtones des divers continents par les recherches d’ethnopharmacologie. La transmission écrite des pratiques thérapeutiques, depuis environ 6 000 ans seulement, a été restreinte à quelques sites privilégiés, notamment le long de grands fleuves assurant une économie prospère, comme les cités-États sumériennes entre le Tigre et l’Euphrate et l’Empire égyptien sur le Nil, mais aussi le long de l’Indus en Inde et dans les vallées du Fleuve Jaune et du Fleuve Bleu en Chine. Cet héritage antique, patrimoine de l’humanité, traversa les siècles moyenâgeux sans grands nouveaux apports. La Renaissance vit quelques évolutions dans les sciences

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ObjectifsPlan

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1Histoire du médicament

Cours1. Le médicament, de l’Antiquité

à la Renaissance2. xviie et xviiie siècles : les préludes

scientifiques3. xixe siècle : le médicament,

objet scientifique4. xixe siècle : le médicament,

objet indutriel5. Quelques défis thérapeutiques

pour le xxie siècle

QCM

Corrigés

• Situer l’évolution de la connaissance du médicament au cours des siècles

• Situer le médicament dans le contexte de l’évolution des sciences chimiques et naturelles

• Situer l’évolution de l’industrie pharmaceutique

• Rendre hommage aux principales personnalités qui ont marqué ces évolutions

Cours

L’origine du médicament est l’utilisation empirique sur les divers continents de substances naturelles dans le but de lutter contre la maladie, en liaison étroite avec des pratiques incantatoires et religieuses. Cet héritage antique a traversé les millénaires par la tradition orale dont on cherche toujours à recueillir les témoignages chez les peuples autochtones des divers continents par les recherches d’ethnopharmacologie. La transmission écrite des pratiques thérapeutiques, depuis environ 6 000 ans seulement, a été restreinte à quelques sites privilégiés, notamment le long de grands fleuves assurant une économie prospère, comme les cités-États sumériennes entre le Tigre et l’Euphrate et l’Empire égyptien sur le Nil, mais aussi le long de l’Indus en Inde et dans les vallées du Fleuve Jaune et du Fleuve Bleu en Chine.Cet héritage antique, patrimoine de l’humanité, traversa les siècles moyenâgeux sans grands nouveaux apports. La Renaissance vit quelques évolutions dans les sciences

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de base de la médecine comme l’anatomie, et une première remise en cause des dogmes antiques. Le xviiie siècle inaugura l’ère des sciences physiques et chimiques. Elles permirent au xixe les premières études scientifiques des remèdes anciens, la purification des substances actives et l’étude de leurs effets sur les animaux.Ainsi naquit la pharmacologie, science du médicament, nourrie de la thérapeu-tique empirique dont le but était d’améliorer la santé, mais nourrie aussi des drogues traditionnelles utilisées pour augmenter les performances physiques ou de modifier l’état psychique, comme les extraits de pavot ou de coca, ou encore des poisons de flèche utilisés pour faciliter la capture des animaux, comme le curare venu des Amériques et la strychnine extraite de la noix vomique, Strychnos nux-vomica, venue de Bornéo.Le xxe siècle vit l’explosion de l’industrie pharmaceutique, avec la mise sur le marché de très nombreuses molécules de synthèse, puis de substances biologiques fabriquées par les techniques de biotechnologie.

L’histoire du médicament est indissociable de celle de l’ensemble des sciences physiques, chimiques et naturelles. Nous n’en donnerons que les éléments principaux et d’intérêt culturel pour toutes les professions de santé. Cette évolution concerne essentiellement les pays occidentaux et moyen-orientaux ainsi que le Japon pour le siècle dernier.L’Inde et la Chine ont aussi accumulé des connaissances très vastes. Cependant les pratiques traditionnelles asiatiques ont peu participé à l’évolution récente de la connaissance des médicaments.En chine, le Pen T’sao Kang Mu, paru en 1596, après le décès de son auteur, le naturaliste et médecin Li Shin-Chen (1518-1593), est considéré en tant que pharma-copée, mais c’est aussi un traité de botanique, de zoologie et de minéralogie. Il comporte 1 892 substances dont 1074 végétales, 443 animales et 354 minérales, ainsi que 8 160 prescriptions différentes. Cet ouvrage n’est parvenu en occident qu’au xixe siècle avec des traductions partielles. Plusieurs médecins célèbres ont précédé Li Shin-Chen, dont Qin Yue-Ren (407-310 av. J.-C.), Hua Tuo (141-208), pionnier de la chirurgie chinoise, et Sun Si-Miao (581-682), considéré comme l’Hippocrate chinois pour son code d’éthique médicale.

En Inde, l’Ayurveda, Ayur-Véda ou médecine ayurvédique, repose sur deux ensembles de textes rédigés en sanskrit, le Charaka-samhitâ et le Sushruta- samhitâ, ce qui signifie livre, collection ou corpus (samhitâ) de Charaka ou Sushruta, noms des rédacteurs supposés. Ces deux œuvres ont un même fonds doctrinal ancien de tradition orale, probablement de plusieurs millénaires avant notre ère.Le Charaka-samhitâ aurait été rédigé vers 300 av. J.-C. à partir de manuscrits plus anciens et a été remanié au ixe siècle, par Drdhabala, un auteur du Cachemire. Il cite 500 plantes à intérêt thérapeutique.La date de la rédaction du Susbruta-samhitâ n’est pas connue, probablement plusieurs siècles av. J.-C. Le texte primitif aurait été remanié et augmenté par un auteur appelé Nâgârjuna que la tradition a identifié au philosophe bouddhiste du

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même nom (ier-iie siècles apr. J.-C.). C’est principalement un ouvrage de chirurgie qui comprend 184 chapitres décrivant de nombreuses maladies ainsi que 700 plantes médicinales, 64 préparations de substances minérales et 57 préparations à base de substances animales.La médecine ayurvédique est toujours pratiquée en Inde avec un regain d’intérêt depuis son indépendance. Des molécules, comme la curcumine extraite du curcuma, issues de la tradition indienne font l’objet de recherches cliniques récentes. La réser-pine, extraite du Rauwolfia serpentina, utilisée dans les années 1950-1960 comme antipsychotique et antihypertenseur est aussi d’origine indienne.

1. LE MÉDICAMENT DE L’ANTIQUITÉ À LA RENAISSANCE

1.1. L’Antiquité sumérienne et égyptienneLes traces écrites de thérapeutique traditionnelle précédant l’époque gréco-romaine sont limitées.• Les tablettes d’argile sumériennes (Mésopotamie), avec leur écriture cunéi-

forme. Une tablette d’argile trouvée dans les ruines de la ville de Nippur et datant de la fin du IIIe millénaire av. J.-C. fait état d’une douzaine de remèdes. Un ensemble, connu sous le nom de Traité de diagnostics et pronostics, devait comporter quarante tablettes, et près de trois mille entrées correspondant à une liste de diagnostics et pronostics de maladies. Il s’agit d’une compilation de textes

Figure 1.1 Tablette d’argile summérienne, écriture cunéiforme (© Marie-Lan Nguyen).

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remontant au début du IIe millénaire (période paléo-babylonienne sous le règne du roi babylonien Adad-alpa-iddina (1069-1046 av. J.-C.) par Esagil-kin-apli, un médecin lettré de Borsippa, correspondant au site actuel de Birs Nimrud, à 20 km au sud-ouest de Babylone. Elles révèlent les prescriptions de très nombreuses préparations à base d’organes animaux et de nombreux végétaux, difficilement identifiables, et leurs indications. Les prescriptions thérapeutiques mélangent des incantations et rituels à côté des procédés d’élaboration de remèdes pharmaceu-tiques. Six cents tablettes ayant trait à la médecine ont été découvertes (parmi vingt mille autres) dans les ruines de la bibliothèque construite par Assurbanipal (668-626 av. J.-C).

• Les papyrus de l’Égypte ancienne découverts au xixe siècle. Les plus célèbres, le papyrus Ebers et le papyrus Brugsch, datent de la xviiie dynastie (1500-1292 av. J.-C.). Le papyrus Brugsch (ou papyrus de Berlin 3027), traduit par l’égypto-logue allemand Heinrich Karl Brugsch (1827-1894), date d’environ 1300 av. J.-C. Le papyrus Smith, conservé à New York, a été découvert par Edwin Smith à Thèbes en 1862. Il aurait été rédigé au xviie siècle av. J.-C. d’après des sources plus anciennes (environ –3500). Il s’agit d’un traité sur les traumatismes qui décrit avec détails les observations cliniques, le diagnostic et le pronostic associé au traitement appliqué.

• Le papyrus Ebers, conservé à Leipzig, a été acheté à Louxor en 1873 et traduit par l’égyptologue et romancier allemand Georg Ebers (1837-1898). Il date approxi-mativement de 1500 av. J.-C. Ces papyrus ont augmenté largement la connaissance des pratiques égyptiennes transmises par les auteurs grecs de l’Antiquité. Ainsi, le papyrus d’Ebers, qui mesure environ 20 mètres de long sur 30 cm de large, présente 875 formules de remèdes, par exemple une préparation à base de foie animal proposée pour les difficultés de vision nocturne préludant à la découverte des propriétés de la vitamine A.

Figure 1.2 Fragments du papyrus Smith.

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1.2. L’époque gréco-romaineLes pratiques thérapeutiques mésopotamiennes et égyptiennes étaient empreintes de pratiques religieuses et de croyances ancestrales du surnaturel. En Grèce, alliant philosophie et médecine, l’homme prit progressivement la place des dieux, son discours remplaçant la prière, la critique se substituant partiellement au dogme, prémices d’une démarche scientifique.

Hippocrate (460-377 av. J.-C.) est né dans l’île de Cos en mer Égée. Il est le succes-seur d’une longue lignée de médecins enrichis par les observations de plusieurs siècles. Il complète ses connaissances au cours de voyages à Athènes, en Thrace, Thessalie, Macédoine, Asie Mineure et Égypte. Hippocrate a rassemblé et réformé ce que ses ancêtres et contemporains appliquaient parfois sans discernement.Sa réputation commence à s’établir pendant la guerre du Péloponnèse entre 431 et 404 av. J.-C. À cette époque, les médecins sont souvent associés aux prêtres dans des temples dédiés aux malades, les asclépeions. Mais ces établissements de soins ont une démarche irrationnelle, contraire à celle souhaitée par Hippocrate. Ainsi, vers 420 av. J.-C., il fonde sa propre école et son centre médical dans son île natale. Hippocrate est à la fois un grand philosophe et un habile médecin et Socrate le donne en exemple aux futurs médecins.

Figure 1.3 Buste d’Hippocrate (460-377 av. J.-C.).

L’œuvre écrite d’Hippocrate, collection hippocratique, Hexacontabiblos ou Corpus Hippocraticum, a rassemblé jusqu’à 72 ouvrages à la bibliothèque d’Alexandrie. Elle représente actuellement 45 ouvrages, mais une partie seulement lui serait

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attribuable, par exemple : Aphorismes ; Le Serment ; De la Nature de l’Homme ; Des Airs, des Eaux et des Lieux ; Traité sur les Articulations ; Traité sur les Fractures ; Traité sur les Maladies de la Tête ; Traité du Pronostic ; Régime ; Maladies de la Femme ; Le Livre des Épidémies ; Maladies Sacrées. Les autres seraient l’œuvre de ses fils Thessalus et Dracon, de son gendre Polybe qui lui succéda dans l’enseigne-ment de la médecine à Cos, et de ses élèves. Une dizaine d’ouvrages sont attribués aux médecins de l’école de Cnide, voisine et rivale de l’école de Cos. Les écrits hippocratiques devinrent la base de l’enseignement dogmatique de Platon, Aristote et Théophraste.

Théophraste (372-288 av. J.-C.) est né à Erésos sur l’île de Lesbos. Son nom de naissance était Tyrtamos. Il fut surnommé Theophraste, divin parleur, et Aristote en fit son successeur à la tête du Lycée de 322 à 288. Sa spécialité est la botanique, sujet de deux ouvrages, Histoire des plantes et Causes des plantes. On lui prête souvent la paternité de la théorie des signatures, signatura rerum, qui se retrouve en fait aussi dans la tradition chinoise. Cette théorie veut que les propriétés physiques (forme, couleur, odeur, goût) d’une plante ou d’une partie d’une plante évoquent un intérêt thérapeutique. Cette théorie est à la source d’utilisations empiriques multiples dont très peu sont scientifiquement justifiables.

La théorie des signatures fut reprise par Paracelse à la Renaissance et ne cesse d’alimenter l’empirisme latent et le marketing grand public.

Dioscoride, Pedanius Dioskoridês (40-90 apr. J.-C. environ) est né à Anazarbe en Cilicie, dans l’actuelle Turquie. Médecin et botaniste grec, son l’œuvre a été la source principale de connaissance des plantes médicinales jusqu’au xvie siècle. Il aurait été médecin militaire sous les règnes de Claude Ier et de Néron et ses déplacements lui auraient permis de rassembler de nombreuses informations sur les plantes médici-nales collectées dans toute l’étendue de l’empire romain. Son ouvrage, De materia medica, présente environ 500 plantes et décrit leur utilisation médicale avec au total 1 600 préparations à base de végétaux, d’animaux et de minéraux.

Pline l’Ancien, Caius Plinius Secundus (23-79 apr. J.-C) est né à Novum Comum (l’actuelle Côme) et mort à Stabies, près de Pompéi, lors de l’éruption du Vésuve. Il adopta son neveu qui prit le nom de Caius Plinius Caecilius Secundus (Pline le Jeune). Pline l’Ancien a compilé le savoir et les croyances de son époque sur des sujets aussi variés que l’astronomie, l’anthropologie, la psychologie ou la métal lurgie. Il est l’auteur de la monumentale encyclopédie en 37 volumes intitulée Histoire Naturelle. Des traductions en sont disponibles en livres de poche, notamment, La vertu des plantes, livre XX, qui comporte la description des plantes utilisées dans l’alimenta-tion et les vertus thérapeutiques qui leur sont attribuées, et Magie et pharmacopée, livre XXX, dont les recettes et indications prêtent à sourire (encart 1.1) mais ont inspiré bien des thérapeutes et charlatans divers.

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Encart 1.1Extraits du livre XXX de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien

« § XXVI. Pour ceux qui craignent la paralysie, on préconise comme très utile la graisse de loir et de souris bouillis, les mille-pattes en boisson comme nous l’avons indiqué pour l’angine ; pour les phtisiques, un lézard vert bouilli dans trois setiers de vins réduits à un cyathe et dont on prend une seule cuillerée par jour, jusqu’à complet rétablissement ; la cendre d’escargot prise dans du vin.§ XXXIV. On guérit, dit-on, les furoncles, en y appliquant, avant d’en avoir prononcé le nom, une araignée qu’on enlève au bout de trois jours ; une musa-raigne tuée par pendaison et qui ensuite ne doit pas toucher la terre, promenée trois fois autour du furoncle, tandis que le médecin et le malade crachent autant de fois.§ XXXV. Quant aux brûlures, on les soigne avec la cendre de la tête de chien, de la cendre de loir dans de l’huile ; de la fiente de brebis avec de la cire ; de la cendre de rat, celle aussi d’escargot, qui ne laisse même pas de cicatrices ; de la graisse de vipère ; de la cendre de fiente de pigeon appliquée avec de l’huile. »

Galien, Claudius Galenus (129 ou 131 - 201 ou 216), né à Pergamum (actuellement Bergama, province d’Izmir, Turquie), il exerça la médecine à Rome. (Le prénom Claudius n’existe pas dans les textes grecs. Il a été mentionné pour la première fois dans les textes de la Renaissance et serait une interprétation erronée de l’abréviation Cl. pour clarissimus.) Galien serait l’auteur de 400 à 640 ouvrages recouvrant tous les domaines médicaux dans lesquels il cite de nombreux remèdes dont 473 végé-taux. Vers 148, il quitte Pergamum où se trouve la plus importante école de médecine de l’époque pour étudier à Smyrne, Corinthe et Alexandrie pendant les douze années qui suivent. Il s’installe à Rome en 162. Il y donne des conférences et réalise des démonstrations publiques de ses connaissances en anatomie et en physiologie, deux disciplines dont il pense qu’elles sont à la base de toute bonne médecine. Très jalousé, car peu modeste et critique, il doit quitter Rome vers 167 mais y revient deux ans plus tard et devient médecin de Marc Aurèle puis de Commode.

Galien affirma l’importance de la théorie issue de l’observation clinique et l’importance de l’expérimentation : « … nous pensons que les découvertes résultent en partie de la théorie. En effet, ni l’expérience seule, ni la théorie seule ne permettent d’aboutir. »

Il fallut 18 siècles pour que l’expérimentation l’emporte sur l’empirisme, mais des pratiques irrationnelles nouvelles ne manqueront pas de resurgir, comme l’homéopathie depuis le xixe siècle.

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Figure 1.4 Galien (129 ou 131-201 ou 216).

Encart 1.2Le serment d’Hippocrate et le serment de Galien

Hommages à l’Antiquité, les serments d’Hippocrate et de Galien sont prêtés à l’issue de leur thèse, respectivement par les médecins et les pharmaciens. Ces serments n’ont pas de valeur juridique mais correspondent à la déontologie professionnelle qui est d’autre part inscrite dans le Code de la santé publique (CSP Art. R. 4127- et R-4235-).C’est le serment des apothicaires datant de 1608 qui a été rebaptisé serment de Galien au xxe siècle.

Le serment originel attribué à Hippocrate a été traduit par Émile Littré :« Je jure par Apollon, médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l’engagement suivants : je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon savoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins. Je tiendrai ses enfants pour des frères et, s’ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part des préceptes, des leçons orales et du reste de l’enseignement à mes fils, à ceux de mon maître, et aux disciples liés par un engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre. Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces ➙

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et mon jugement, et je les écarterai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion. Semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans l’innocence et la pureté. Je ne pratiquerai pas l’opération de la taille, je la laisserai aux gens qui s’en occupent. Dans quelque maison que j’entre, j’y entrerai pour l’utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves. Quoi que je voie ou entende dans la société pendant l’exercice ou en dehors de l’exercice de ma profession je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discré-tion comme un devoir en pareil cas. Si je remplis ce serment sans l’enfreindre, qu’il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais parmi les hommes, si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire ! »

1.3. Le Moyen Âge, l’école arabe et byzantineDurant les siècles qui suivirent la chute de l’empire romain, c’est à l’abri des monastères que furent conservés les écrits de l’Antiquité non sans subir quelques mutilations du fait de l’antihellénisme doctrinal du christianisme naissant. Mais durant cette période, ce sont les Arabes qui perpétuèrent et enrichirent au mieux les pratiques antiques et permirent leur plus large divulgation. La traduction, entre 830 et 870 à Bagdad, de 129 œuvres de Galien en arabe par Hunayn ibn Ishaq (médecin, fils de pharmacien, 809-873) et ses assistants, a établi le modèle de la médecine islamique. Contrairement à Galien, chrétiens et musulmans ont aboli la chirurgie à la fois comme connaissance et comme pratique, ce qui explique la stagnation des connaissances en anatomie jusqu’à la Renaissance.De nombreux auteurs musulmans ont cependant complété l’œuvre de Galien avec :

• les médecins arabes et perses de l’école byzantine, avec Alexandre de Tralles (525-605), Zakaria al-Razi (Rhazes, médecin de l’hôpital de Bagdad, 865-925), Ali ibn Abbas al-Majusi (Haly Abbas, mort entre 982 et 994) et Ibn Sina (Avicenne, 980-1037) ;

• les médecins andalous, Abu Al-Qasim (Abulcasis, 936-1013) et Ibn Zuhr (Avenzoar, 1173-1162) et les médecins arabes et perses de l’école byzantine. Les chemins de la connaissance partaient alors du Proche et Moyen-Orient pour converger vers Cordoue, au cœur de l’Andalousie, et irriguer alors toute l’Europe.

Avicenne et le Canon de la médecine

Avicenne, Ibn Sina (980-1037), l’un des représentants de l’école byzantine, est né en 980 près de Boukhara (aujourd’hui en Ouzbékistan), sa langue maternelle est le persan. À 14 ans, il étudie seul les sciences naturelles et la médecine. À 16 ans, Avicenne a déjà sous sa direction des médecins célèbres. Ayant guéri un prince

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Encart 1.3Bagdad, sayadila et grabadins

C’est sous le règne des califes Abbassides (750-1258), descendants d’Al-Abbâs, oncle du prophète Mahommet, qu’est née la profession spécialisée dans la fabrication et la délivrance des médicaments, sayadila, apothicaires puis phar-maciens. L’existence des sayadila (pluriel de saydali), tenant officine ouverte à Bagdad, est signalée dès le viiie siècle, sous le califat d’Al-Mahdi (775-785) ou d’Harun al-Rashid (786-809). Ces premiers apothicaires ou pharmaciens, furent aussitôt soumis à des règles strictes. Ainsi, le calife Al-Ma’Moun (814-833) ordonna l’inspection des officines par le muhtasib chargé de détecter les fraudes éventuelles sur la qualité des drogues. L’activité des sayadila devait être conforme aux grabadins (de agrabadhin, terme issu du persan), ancêtres des pharmacopées (Chap. 3). Le Grabadin ou Grand Grabadin de Sapur ibn Sahl († 865) dont la deuxième édition fut appelée parfois Antidotaire de Mésué, parut au xiie siècle sous les directives d’un médecin du Calife de Bagdad.

samanide (dynastie iranienne qui régna au Khurasan et en Transoxiane de 819 à 1005) d’une grave maladie, il est autorisé à fréquenter la très riche bibliothèque du palais. Il écrit à 21 ans son premier livre de philosophie. Il entre à 22 ans dans l’administration, travaille la nuit à ses nombreux ouvrages, le jour aux affaires de l’État. Plusieurs fois ministre, il jouit d’une telle influence qu’il devient l’objet de pressions, sollicitations, jalousies, tantôt poursuivi par ses ennemis, tantôt convoité par des princes adversaires de ceux auxquels il veut rester fidèle. Il se réfugie en 1023 auprès de l’émir d’Ispahan (actuelle Esfahan, Iran) et trouve là une certaine tranquillité durant quatorze ans. Il meurt en 1037 d’une affection intestinale.

Figure 1.5 Avicenne (980-1037).

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