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Université de Rouen – Richard Sabria - Histoire et statut de la LSF 1 Département des Sciences du langage et de la communication Licence Mention Sciences du Langage Option LSF et Diplôme d'Université (DU) LSF Histoire et statut de la LSF LDS3542C Information http://lsh.univ-rouen.fr/les-departements-arts-lettres-et-langues-466608.kjsp?RH=1430209322778 Ce cours est conçu en complémentarité avec un autre cours du programme, intitulé « Sociolinguistique de la LSF ». La fin des deux cours est convergente pour aborder la période contemporaine. Lors des examens, les cours « Sociolinguistique de la LSF » et « Histoire et statut de la LSF » seront traités dans une même épreuve de deux heures. L’hypothèse qui a prévalu est que l’éclairage historique permet de comprendre les enjeux contemporains. La partie bibliographique concerne les deux cours. Elle comprend les ouvrages de référence qui ont été cités. Il n’est pas nécessaire de vous procurer les ouvrages ou revues mentionnés. Les cours constituent une synthèse non exhaustive de la plupart des contributions évoquées. Une bibliographie sommaire est proposée page2 puis reprise en page 57

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Université de Rouen – Richard Sabria - Histoire et statut de la LSF

1

Département des Sciences du langage et de la communication

Licence Mention Sciences du Langage Option LSF et

Diplôme d'Université (DU) LSF

Histoire et statut de la LSF LDS3542C

Information

http://lsh.univ-rouen.fr/les-departements-arts-lettres-et-langues-466608.kjsp?RH=1430209322778

Ce cours est conçu en complémentarité avec un autre cours du programme, intitulé

« Sociolinguistique de la LSF ». La fin des deux cours est convergente pour aborder

la période contemporaine.

Lors des examens, les cours « Sociolinguistique de la LSF » et « Histoire et statut de

la LSF » seront traités dans une même épreuve de deux heures.

L’hypothèse qui a prévalu est que l’éclairage historique permet de comprendre les

enjeux contemporains.

La partie bibliographique concerne les deux cours. Elle comprend les ouvrages de

référence qui ont été cités. Il n’est pas nécessaire de vous procurer les ouvrages ou

revues mentionnés. Les cours constituent une synthèse non exhaustive de la plupart

des contributions évoquées.

Une bibliographie sommaire est proposée page2 puis reprise en page 57

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Histoire et statut de la LSF.

Ouvrages consultés pour réaliser ce cours :

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

BERTIN F., 2015, Auguste Bébian et les Sourds : Le chemin de l’émancipation,

Thèse de Doctorat soutenue le 15 juin 2015 à l’Université de Poitiers.

CANTIN Y., 2014, Les Sourds-Muets de la Belle Époque, une communauté en

mutation, thèse de Doctorat soutenue le 10 décembre 2014 à l’EHESS, Paris. CUXAC C, 1983., Le langage des sourds, Payot, Paris. (ISBN-10: 2228131504,

ISBN-13: 978-2228131506)

FISHER R et LANE H., 1993, Looking back, Signum Press, Hamburg. (ISBN-10:

3927731323, ISBN-13: 978-3927731325)

DELAPORTE Y, SAINT-LOUP DE A, RENARD M, 1997., Gestes des moines,

regards de sourds, Siloë, Nantes. ( ISBN-10: 2842310497, ISBN-13: 978-

2842310493)

PRESNEAU JR, 1998., Signes et institutions des sourds, Champ Vallon, Seyssel.

(ISBN 13 : 978-2876732636, ISBN 10 : 2876732637)

DELAPORTE Y, 2002., Les sourds c’est comme ça. Ethnologie de la surdi-mutité,

Editions de la Maison des Sciences de l’homme, Paris. (ISBN-10: 2735109356,

ISBN-13: 978-2735109357)

MINGUY A, 2009, Le réveil Sourd en France : Pour une perspective bilingue,

l’Harmattan, Paris. (ISBN-10: 2296078982, ISBN-13: 978-2296078987)

BERTIN F, 2010., Les sourds : Une minorité invisible, Editions Autrement,

collection Mutations, Paris. (ISBN-10: 2746713675 , ISBN-13: 978-2746713673) Bertin F., 2010, Ferdinand Berthier ou le rêve d’une nation sourde, Monica

Companys, Angers.( ISBN: 2-9122998-58-1)

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De nombreux ouvrages indiqués en bibliographie ont été édités en tirage

limité. Il est donc difficile de les trouver à l’achat ou au prêt. Le cours a justement

pour vocation de faire une synthèse organisée des différents ouvrages ou articles

mentionnés.

Pour des ouvrages généraux, pas forcément dédiés à la LSF, vous pouvez consulter

le site de la bibliothèque universitaire de Rouen :

http://documentation.univ-rouen.fr/service-commun-de-documentation-

279412.kjsp?RF=1377360751956

D’autres sites peuvent être précieux pour vos recherches :

SUDOC : http://www.sudoc.abes.fr/

BNF : http://www.bnf.fr/fr/acc/x.accueil.html

Mais dans le cadre de ce cours, il n’est pas attendu que vous consultiez tous les

ouvrages cités en bibliographie ou indiqués ci-dessus. Ils sont mentionnés car il y est

fait référence dans le cours.

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DONNEES HISTORIQUES.

Naissance et histoire d'une communauté, d'une langue.

Les Sourds1 existent depuis la nuit des temps. Partout ils ont laissé des traces

abondantes mais dispersées. Leur histoire largement méconnue, reste encore à écrire.

Peu de chercheurs se sont intéressés à l'histoire des Sourds et de la Langue des

Signes.

Les Sourds isolés sans communauté linguistique.

« L'histoire oscille entre d'une part, le désir de différencier ceux qui à la

naissance diffèrent, pour en faire des personnes distinctes dont elle rejette ou

valorise l'originalité, et d'autre part le souci d'intégrer à ces normes ces marginaux

du hasard qui n'ont pas la parole » (MOTTIER, 1978).

Nous trouvons partout trace des Sourds dans l'Antiquité, mais les

représentations des Sourds et de la surdité varient étonnamment selon les peuples et

les moments de l'histoire.

Pour les Égyptiens et les Perses les Sourds étaient l'objet de la sollicitude

religieuse du peuple. Leur surdité et leurs gestes étaient perçus comme les signes

visibles de la faveur céleste.

Pour les Hébreux, la surdité appelait la compassion et le respect

Par contre pour les Grecs et les Romains les Sourds étaient rejetés et

considérés comme relevant d’une imperfection de la nature.

PLATON (vers 427 - vers 346 av. J.-C) admettait l'aspect langagier,

signifiant, des Signes gestuels et en fait même dans Le Cratyle un langage de

remplacement : « Si nous n'avions point de voix, ni de langue et que nous

voulussions nous montrer les choses les uns aux autres, n'essaierions-nous pas

1 Sourds sera mentionné dans ce cours avec un S majuscule lorsqu'il sera fait référence aux Sourds en tant que membres d'une communauté linguistique et culturelle spécifique. Le s minuscule sera réservé aux adjectifs et substantifs non-affectés de l'acception communautaire du terme. Le substantif Entendant sera lui aussi mentionné avec un E majuscule lorsqu'il sera lui porteur de l'idée d'appartenance à un groupe distinct.

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comme le font les muets de les indiquer avec les mains, la tête et le reste du corps ?

(PRESNEAU2, 1989, p 20).

ARISTOTE (384-322 AV-JC) Disciple de PLATON affirmera que la parole

est essentielle, première, elle permet le développement intellectuel, la pensée et

surtout le raisonnement. Le postulat d'ARISTOTE : Parole = Pensée fondera la

philosophie du langage et influencera la pensée des scientifiques et des philosophes

qui s'inspireront des théories d'ARISTOTE. Les Sourds ne parlant pas étaient jugés

hermétiques à la pensée abstraite et à la morale.

« Les sourds de naissance sont également tous muets. Ils émettent des sons mais

n'ont pas de langage » Histoire des animaux, livre IV, ch.9.

« Il est évident que si l'un quelconque des sens a disparu, il est nécessaire qu'un

certain type de science ait disparu avec lui, science dès lors impossible à acquérir ».

Seconds Analytiques II, pp 18-21, 38b9, PUF.

Notons au passage qu'en grec le terme « kophol » a deux significations :

« sourd » et « simple d'esprit ». Pas de parole, pas de pensée, pas de science. De

même, le lien étroit qui relie la parole et l'ouïe n'est qu'ébauché dans les écrits des

disciples d'HIPPOCRATE (460-377 AV JC). Dès le début de notre civilisation

gréco-romaine nous partons sur ce postulat d’ARISTOTE : Parole = pensée. Le

langage crée le raisonnement et les Sourds ne parlant pas, ne sont pas jugés dignes de

faire partie du genre humain, et n'ont ainsi de statut que celui d'aberration de la

nature.

La seule personne sourde connue dans la littérature latine antique est QUINTUS

Piedrus, décrit par PLINE3 comme l'un des plus fameux peintres de Rome.

2 PRESNEAU, JR, 1989., Le son « à la lettre » : l’éducation des sourds et muets avant l’Abbé de l’Epée dans Le pouvoir des signes, INJS, Paris, pp 20-32. 3 Pline l’ancien,( 23 - 79 ap. J.-C). Historiae Naturalis libri XXXVII. Quos recensuit et motis illustravit Gabriel Brottier, Paris, J. Barbou, 1779

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Le rapport entre la langue et le pouvoir est présent dans la philosophie grecque

antique. Les orateurs ont exercé à travers l'histoire un pouvoir sur ceux qui les

écoutaient. Pensons aux hommes politiques actuels. Pourrait-on imaginer qu'un

homme politique ne parle pas bien, bafouille ou ne maîtrise pas bien la langue orale ?

La question de la parole liée à l’oralité marquera l’histoire des Sourds sur les terrains

de l’éducation, de la citoyenneté.

Moyen Age.

Cette période de dix siècles voit ses limites faire l'objet de débats entre historiens.

Le début du Moyen Âge est généralement situé vers 500 ; plusieurs dates

symboliques ont été proposées par les historiens mais nous n’ouvrons pas le débat

dans le cadre de ce cours et avançons les dates les plus connues : 476 ap J-C. Chute

de l'empire romain d'Occident.

La fin du Moyen Âge est généralement située vers 1500 : 1453, chute de l'Empire

romain d'Orient ou 1492, Christophe Colomb débarque en Amérique au mois

d'octobre.

Nous retenons la longueur de la période pour laquelle nous avons assez peu

d'informations sur les Sourds. Selon les auteurs et les ouvrages la distinction n'est

pas toujours faite entre les déficiences physiques, sensorielles et mentales. Les

Sourds étaient globalement marginaux tantôt exclus, tantôt objets de compassion.

Parfois on essaiera de justifier leur existence selon la vérité du moment. Les rares

présences des Sourds se repèrent dans des hagiographies (qui traitent de l'histoire

religieuse et de la vie des Saints). Le but de ces hagiographies consiste à démontrer

l'efficacité d'un Saint par l'intermédiaire duquel se manifeste la puissance divine.

Pour être efficace ces hagiographies devaient choquer, réveiller les âmes endormies.

De nombreux miracles christologiques sont ainsi visuellement transmis. Ces

hagiographies illustraient l'accomplissement de miracles écrits dans la bible où la

puissance divine tantôt ôte la parole, tantôt la restitue.

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« Et l'ange lui répondit : “je suis Gabriel, je me tiens devant Dieu et j'ai été envoyé

pour te parler et t'annoncer cette bonne nouvelle. Et voici que tu vas être réduit au

silence et sans pouvoir parler jusqu'au jour où ces choses arriveront, parce que tu

n'as pas cru à mes paroles, lesquelles s'accompliront en leur temps.

Le peuple cependant attendait Zacharie et s'étonnait qu'il s'attardât dans le

sanctuaire. Mais quand il sortit, il ne pouvait leur parler, et ils comprirent qu'il

avait eu une vision dans le sanctuaire. Pour lui, il leur faisait des signes et

demeurait muet. » LUC1, 19-22.

« Et l'on demandait par signes au père comment il voulait qu'on l'appelât. Celui-ci

demanda une tablette et écrivit : “Jean est son nom” ; et ils en furent tous étonnés. A

l'instant même sa bouche s'ouvrit et sa langue se délia, et il parlait et bénissait Dieu.

» LUC1 ; 62-65.

« Et on lui amène un sourd, qui de plus parlait difficilement, et on le prie de lui

imposer la main. Le prenant hors de la foule, il lui mit ses doigts dans les oreilles et

avec sa salive il lui toucha la langue. Puis, levant les yeux au ciel, il poussa un

gémissement et lui dit : “ephphatha*”, c'est-à-dire : “ouvre-toi !”. Et ses oreilles

s'ouvrirent et aussitôt le lien de sa langue se dénoua et il parlait correctement. Et

Jésus leur recommanda de ne dire la chose à personne ; mais plus il le leur

recommandait, de plus belle ils la proclamaient. Ils étaient frappés au-delà de toute

mesure et disaient : “Il a bien fait entendre les sourds et parler les muets” »

MARC7, 32.

Les exemples de miracles concernant les Sourds sont peu nombreux. Il est plus

spectaculaire de donner la vue à un aveugle ou de faire marcher une personne

paralysée. Les Sourds sont déjà des marginaux parmi les marginaux. Des recherches

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restent à faire dans les archives pour voir quel était le statut des Sourds au Moyen

Age, comment étaient perçus les Signes qu'utilisaient les Sourds. Les Sourds existent

isolés dans les communautés villageoises et ne participent pas pleinement aux

échanges essentiellement oraux. Nous savons l'importance de ces communautés à

cette époque. La France est un pays rural, l'économie est basée sur l'agriculture, les

Sourds peuvent participer aux travaux des champs s'intégrant de fait dans

l'organisation sociale. Le travail au Moyen Age étant principalement manuel, il

n'impose pas comme actuellement les obstacles de la communication orale et écrite.

D'après les documents que nous avons consultés, les Sourds pouvant participer à la

vie économique étaient mieux intégrés dans la société médiévale que les autres

« handicapés » et certainement mieux intégrés qu'aujourd'hui où les communications

orale et écrite sont la condition obligée à tout projet professionnel.

Les premiers regroupements de Sourds se font dans les communautés religieuses

(«Miracles de Saint Philibert» dans POUPARDIN.R4, Monuments de l'histoire des

abbayes de Saint Philibert, 1905). Les enfants sourds sont confiés aux abbayes et dès

le dixième siècle certaines se spécialisent dans la prise en charge éducative des

Sourds. C'est dans les congrégations religieuses, observant la règle du silence

(Bénédictins, Trappistes), que sont élaborés les premiers dictionnaires de Signes

écrits ayant pour objectif la compréhension et la communication entre tous les

moines d'Europe occidentale. Les historiens datent cette règle du silence du IVème

siècle, dans le 33ème précepte de la règle de Saint Pacôme, traduit au Vème siècle par

Saint Jérôme que l'on retrouve au VIème siècle au chapitre 38 de la règle de Saint

Benoît, il est demandé de remplacer la parole par un signum sonitu (un sifflement ou

un coup frappé sur une table).

4 POUPARDIN R, 1905.,.Monuments de l'histoire des abbayes de Saint-Philibert (Noirmoutier, Grandlieu, Tournus). A. Picard et fils, Paris, 137 p.

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Un modèle de dictionnaire de Signes, celui de l'Abbaye de Cluny sera connu au Xème

siècle dans toute la France et même en Europe (Belgique, Grande-Bretagne,

Portugal, Espagne, Suisse). Chaque communauté l'a ensuite enrichi. Ces

dictionnaires n'avaient pas pour finalité de servir spécifiquement aux Sourds, il est

cependant vraisemblable que certains d’entre eux ont du en tirer profit. VAN

RIJNBERK5 (1953) recense dans les coutumiers des ordres Bénédictins 1300 Signes

différents, ordonnés selon une syntaxe présentant de nombreux points communs avec

celle de la Langue des Signes actuelle.

Un ouvrage de DELAPORTE Y, RENARD M, SAINT-LOUP A6 (1997) réédite et

analyse la liste des Signes publiée en 1890 par les moines de La Pierre-qui-vire.

Ces ouvrages rappellent l'importance du geste dans la société médiévale.

Pratiquement en tous lieux et en toutes circonstances le geste se combine à la parole.

GEOFFROY de VINSAUF préconise, dans sa Poetria Nova (vers 1210) : « Que trois

voix se fassent entendre chez le récitant: que la première soit celle de la bouche; la

seconde celle du visage de celui qui parle; la troisième son geste. ».(SAINT LOUP7,

1989).

Ce contexte gestuel n'est pas hostile au mode d'expression signé des Sourds.

S'ils sont sujets à railleries, leurs gestes ne sont pas choquants et la communauté

religieuse y a recours pour communiquer avec les Sourds. Les enfants sourds qui

sont intégrés dans des communautés religieuses bénéficient de conditions de vie

particulièrement favorables, certaines abbayes sont dotées pour l'entretien des

sourds-muets. Il s'agit des abbayes d'Ossiach en Autriche et de Bouxières-aux-Dames

en Lorraine.

L'église et l'autorité laïque vont avoir un regard différent sur les sujets sourds.

La première les autorise à utiliser les Signes pour demander le baptême (Vème siècle,

5 Rijnberk, Van, (G.), Le langage par signes chez les moines. Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1953, 163 p 6 DELAPORTE Y, RENARD M, SAINT-LOUP A, 1997., Gestes des moines, regard des sourds, Siloë, Laval, 110 p. 7 SAINT-LOUP de A, 1989., Les sourds-muets au Moyen Age : mille ans de signes oubliés dans Le pouvoir des signes, Paris, I.N.J.S. pp 11-19.

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concile d'Orange), l'écrit leur est accordé pour les confessions (décrétale de

GREGOIRE IX en 1234) et pour se marier (décrétales d'INNOCENT III, fin XIIème

siècle), (SAINT-LOUP, 1989). Au XIIIème siècle, on demande aux prêtres d'aider les

Sourds à se confesser en ayant recours à la parole, aux gestes (Synodal de Nîmes en

1252).

La deuxième (l'autorité laïque) les écarte du droit civique. Le meilleur exemple

en est au VIème siècle le code des lois de l'Empereur JUSTINIEN.

C'est avec ce code qu'apparaît le premier statut juridique des Sourds. Le

législateur, de façon arbitraire, classe déjà les Sourds en 5 catégories.

Code Justinien VI AP JC. (530 après JC). Suppression des droits civiques pour

certains Sourds.

Les cinq catégories sont les suivantes.

1/ Surdité-mutité naturelle.

2/ Surdité-mutité acquise.

3/ Surdité naturelle.

4/ Surdité acquise.

5/ Mutité acquise.

Ce code stipule que les cas de mutité et de surdité ( catégorie 1) entraînent la

privation des droits civiques. Il nous fournit la première trace écrite du statut

d'infériorité que la société réserve à ceux des siens qui s'écartent d'une certaine

norme. Hors de la langue, point de salut, « les gesticulations » des Sourds ne

sauraient constituer ni un moyen de communication ni un moyen de développement

conceptuel et cognitif. Dès lors ne restait qu'une solution que les politiques

successives tenteront d'appliquer : faire parler les Sourds.

Ainsi que la suite de l'histoire le confirmera des siècles durant, les religieux semblent

avoir été plus ouverts aux Sourds que la société laïque. C'est par eux que les Signes

ont acquis un premier statut de validité. « Par les signes et la conversation

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quotidienne..., par le geste éloquent de tout le corps, les sourds peuvent comprendre

l'évangile. » (SAINT-JEROME, Vème siècle, (SAINT-LOUP, 1989).

Mais s'ils peuvent comprendre grâce aux Signes, ils sont encore considérés comme

incapables d'avoir accès à l’écrit.

Le Moyen Age sera une période difficile pour les Sourds qui sont déchus de

leurs droits civiques, spoliés de leurs héritages, interdits de mariage (jusqu'au XII ème

siècle). Une décrétale du pape INNOCENT III autorise le mariage des Sourds. Il

s'agit toutefois de mariage mixte entre Sourds et Entendants. Jusqu'alors pour qu'un

mariage soit reconnu il fallait que les futurs époux expriment leur consentement par

un « oui » oralement exprimé.

Nous ne savons pas exactement si cette décrétale du pape INNOCENT III a été

répercutée dans toute la chrétienté ou s’il s’agissait d’une faveur exceptionnelle

accordée à un proche. En effet, les seuls mariages connus entre Sourds ou Sourds et

Entendants sont attestés du XIXème siècle. Jusqu'à la Renaissance surdité et mutité

resteront liées. L'éducation des Sourds sera dépendante des progrès de la médecine.

XVI ème siècle : Prise de conscience d'une réalité linguistique.

Au XVI ème siècle, époque de la renaissance, la curiosité s'éveille. En Europe, les

sociétés commencent à s'intéresser aux Sourds et à leur réalité linguistique. Certains

humanistes et savants influencés par le retour des idées de PLATON, et un regain

d'intérêt pour les mathématiques, notent que ceux, qui n'entendent pas, peuvent

communiquer leurs idées non seulement par gestes, mais aussi par l'écriture.

Page 12: Histoire et statut LSF 2015 2016 - universitice.univ-rouen.fr

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Un article de Marie-Luce Demonet-Launay intitulé « Si les signes vous fâchent... »,

inférence naturelle et science des signes à la Renaissance analyse l’importance du

Signe à l’époque de la Renaissance à travers l’étude de la sémiotique de Montaigne8.

www.persee.fr/doc/rhren_0181-6799_1994_num_38_1_1961

J.CARDAN9 (1501-1576), mathématicien italien, rappelle que le mot parlé et le mot

écrit ont « la même valeur » qu'un sourd peut apprendre à lire et à écrire « Nous

pouvons donc mettre un sourd et muet en état d'entendre en lisant, et de parler en

écrivant. Il conçoit par la pensée que le mot « pain », par exemple, signifie cette

chose que l'on mange et sa mémoire retient cette signification. Il contemple dans son

esprit les images des choses...l'écriture s'associe à la parole, et par la parole à la

pensée mais elle peut exprimer aussi directement la pensée, sans l'intermédiaire de

la parole ». (CARDAN10, Paralipomenon, dans PRESNEAU, 1989).

Pour RABELAIS (1494-1553), le langage des Signes apparaît comme semblable au

langage parlé, permettant les jeux de mots, les parodies. C'est un langage

conventionnel, appris et non naturel. (PRESNEAU, 1989). Nazedecabre11, le muet

choisi par Pantagruel, dans le tiers livre pour conseiller Panurge dans le choix de son

épouse lui proféra en Signes un certain nombre de vérités, à savoir qu'il serait marié,

cocu, frappé et volé.

8 Demonet-Launay Marie-Luce. « Si les signes vous fâchent... », Inférence naturelle et science des signes à la Renaissance. In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance, n°38, 1994. pp. 7-44. 9 Gerolamo Cardano (1501-1576) Médecin, mathématicien, astrologue, physicien, « inventeur », philosophe

10 CARDAN J., Paralipomenon, livre 3, chap. 3 11 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1994_num_38_1_1961

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MONTAIGNE (1533-1592) formule un avis comparable : « Nos muets disputent,

argumentent, et content des histoires par signes. J'en ai vu de si souples et formés à

cela qu'à la vérité, il ne leur manque rien à la perfection de se savoir entendre », et

il ajoute « ils ont besoin des alphabets des doigts et grammaire en gestes ».

(Essais,L.II,CH XII).

Cet article de Guylaine Fontaine "traite de la réflexion renaissante sur le langage gestuel telle que cette réflexion s'articule dans les textes de Rabelais et Montaigne. Ces œuvres apparaissent en effet comme de précieuses balises de la période 1540-1580 où se serait manifesté, selon des études récentes, un tournant "empirique" dans la réflexion langagière, amenant les penseurs à délaisser la problématique de l'origine pour s'intéresser davantage à la question de l'universalité du langage, et ainsi au langage non verbal. Les textes montaignien et rabelaisien, qui comportent de nombreux passages apologiques du geste comme acte de communication, seront ici étudiés en parallèle, en suivant les trois axes principaux de la sémiotique gestuelle de la Renaissance, soit l'étude du langage non verbal des enfants, des sourds-muets et des animaux."

Référence bibliographique :

- Fontaine Guylaine, "Du “conseil des muetz” au “taire parlier”: Le langage du geste chez Rabelais et Montaigne", Renaissance et Réforme, Vol 19, No 1 (1995), pp. 21-38.

http://mediatropes.library.utoronto.ca/index.php/renref/article/view/11390

Les Sourds ne sont plus de simples ignorants, mais des hommes doués de langage.

Ce langage est considéré comme purement conventionnel, arbitraire et non naturel.

Si l'écriture « peut exprimer la pensée sans l'intermédiaire de la parole »

(CARDAN), les Sourds peuvent apprendre à écrire. L'éducation des Sourds va

bénéficier de circonstances favorables. Les enfants Sourds de certaines familles de la

noblesse vont avoir des précepteurs. La cour d'Espagne fait appel à des précepteurs

rééducateurs.

Pedro PONCE (1520-1584), moine bénédictin du couvent de San Salvador à Ona,

fut précepteur de deux frères et une sœur du Connétable de Castille et du fils du

gouverneur d'Aragon. Il fut l'un des novateurs en 1545 de la démutisation (éducation

de l'articulation orale) et de la pratique de l'enseignement. PONCE apprenait d'abord

à écrire en montrant du doigt les objets signifiés par des caractères écrits, puis

demandait à ses disciples d'oraliser en leur indiquant des mouvements précis de la

langue. Il empruntait cette méthode aux phonologues de l'Antiquité (Marius

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Victorinus, entre autres) qui préconisaient de donner aux lèvres et à la langue des

positions précises pour moduler les productions orales. Le larynx était comparé à un

instrument à vent comme la flûte. Il a mis en place le premier alphabet manuel.

PONCE eut beaucoup de succès auprès des humanistes de toute l'Europe. Mais après

sa mort ses expériences ne furent pas reprises. « Dans les archives de ce même

couvent, on « trouve l'acte d'une fondation d'une chapelle, fait « consigné par Pedro

de Ponce, lequel atteste que « les sourds-muets ses élèves, parlaient, écrivaient, «

calculaient, priaient à haute voix, servaient la « messe, se confessaient, parlaient le

grec, le latin, « l'italien, et raisonnaient très bien sur la physique et l'astronomie.

Quelques-uns sont même «devenus d'habiles historiens. Ils se sont, dit «quelque part

Pedro Ponce, tellement distingués « dans les sciences, qu'ils eussent passé pour des

« gens de talent aux yeux d'Aristote. », De Gérando (1827, P310) http://books.google.fr/books?id=_p5DymooiIMC&pg=PA310&dq=Pedro+Ponce+sourds&hl=fr&sa=X&ei=WxpIVJ__KdPTaKfugsgG&ved=0CCIQ

6AEwAA#v=onepage&q=Pedro%20Ponce%20sourds&f=false

La fin du XVIème siècle se caractérise par un retour en force des aristotéliciens.

Dans la société, les représentations des Sourds sont généralement négatives. Le droit

coutumier les écarte de l’héritage, la loi leur interdit le mariage. D'une façon générale

cette exclusion est liée au fait qu'ils sont considérés comme incapables de prononcer

des actes de parole performatifs. L'idée, que la surdité et la mutité sont liées, perdure

et perdurera jusqu'au XVIIIème siècle. GALIEN, médecin grec du IIème expliquait la

surdi-mutité par une paralysie commune des nerfs communs à l'audition et à la

parole. C'est la thèse de la paralysie de la cinquième paire des nerfs faciaux. La

dénomination sourd-muet, disparue des textes officiels dans les années 1950, émerge

encore de nos jours aux détours de conversations entretenant la confusion du lien

obligé entre l’ouïe et la parole orale. Nous savons pertinemment que les Sourds ne

sont pas muets et que les réels cas de surdi-mutité sont rarissimes.

Les parents d’enfants sourds, les pédagogues pourraient confirmer ce point sans

hésitation.

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XVII ème-mi-XVIII ème, L'oralisme à l'honneur.

Grâce aux progrès de la médecine qui permettent d’envisager de dissocier parole

orale et ouïe, à mesure des découvertes des anatomistes et physiologistes sur l'oreille

et le larynx, les Sourds ne sont plus comme auparavant rejetés de la société, voire

éliminés, ils deviennent éducables. Il s'agit de l'apprentissage direct de la parole,

l'écriture venant selon l'ordre aristotélicien après l'articulation. En outre, l'éducation

des Sourds bénéficie de circonstances favorables. La cour d'Espagne qui compte des

enfants sourds fait appel à des précepteurs rééducateurs. Ceux-ci s'appuient sur les

pédagogues du XVIème siècle (PONCE) qui suivant les directives des souverains

espagnols, élaboraient des méthodes d'apprentissage rapide du castillan (rendues

nécessaires par la reconquête linguistique, l'unification du peuple, la lutte contre les

maures).

Voir l’article d’Yves Bernard intitulé : « La gestualité des précepteurs espagnols d’enfants sourds aux XVI et XVII siècles : un chemin vers la parole, un vecteur de l’abstraction », dans CONNAISSANCES SURDITÉS, • JUIN 2009, • N°28 http://acfos.org/wp-content/uploads/base_doc/culture_memoire/revue28_yvesbernard.pdf

En 1615, on reparle de la possibilité d'instruire les Sourds. Ramirez de

CARRION éduque le fils de la Duchesse de Frias (veuve du connétable de Castille).

Sa méthode diffère de celle de PONCE. Il préconise l'apprentissage de la parole puis

selon le principe d'ARISTOTE, le reste doit suivre, à savoir la pensée, l'écriture, le

raisonnement.

Pablo BONET (1579-1633) remplace CARRION en 1616. Il est considéré

comme l'initiateur des méthodes d'éducation orales actuelles. Il reprend et

perfectionne en 1620 le codage en gestes de l'alphabet de PONCE. On lui doit un

ouvrage consacré à l'éducation des Sourds intitulé: « Réduction des lettres à leurs

éléments primitifs et art d'enseigner à parler aux sourds-muets ».

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Son enseignement repose essentiellement sur l'apprentissage de la parole

articulée mais en partant des Signes propres aux Sourds et le recours à l'alphabet

manuel. Il met l'accent sur l'intelligence du sourd et sur sa capacité à suppléer à sa

déficience auditive. Le résultat est que ces Sourds de la noblesse sont démutisés,

qu'ils s'expriment par leur voix, qu'ils apprennent à lire et à écrire. Ils sont exhibés à

la cour et dans les Académies. Il en résulte un engouement total pour l'éducation des

Sourds. Toute l'Europe, en commençant par l'Angleterre qui ne peut digérer l'affront

de la prééminence des espagnols dans l'éducation des Sourds, va peu à peu s’y

intéresser. Chaque rééducateur ou éducateur a sa propre méthode et ses propres écrits

portant sur la manière d'éduquer les Sourds. Tout ceci provoque l'admiration des

différentes cours d'Europe et permet de débloquer les crédits nécessaires aux

différents travaux de chacun.

N'oublions pas qu'à cette époque l'homme éduqué est celui qui parle bien. Malgré les

remarques de DESCARTES, formulant dans le Discours de la Méthode, l'hypothèse

d'une raison spécifiquement humaine pouvant s'exprimer autrement que par la parole,

nous sommes toujours dans la pensée d'ARISTOTE: Pas de parole, pas de pensée. La

parole est la condition de tout langage intérieur.

Même si l'intérêt de l'éducation des Sourds est fortement orientée vers la parole, nous

pouvons distinguer en Europe deux tendances :

- Une qui s'intéresse à l'éveil, la personnalité de l'enfant et qui va utiliser tous

les moyens pour le faire (dessin, gestes, alphabet tactile, pédagogie active basée

sur la pantomime, apprentissage de la langue écrite, et surtout rééducation de la

parole, mais pas uniquement articulatoire, avec travail du souffle, contact direct

de la paume sur le larynx pour aider à percevoir le mouvement vibratoire de

certains phonèmes). Le grammairien anglais WALLIS (1616-1703) pratique

cette pluri-intervention. Son but est double :

- Vérifier certaines hypothèses sur la langue anglaise (son caractère

mimologique).

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- Se rendre utile auprès des Sourds.

Il recherche plus la performance que la compétence. Il enseigne la langue

anglaise comme langue seconde à un sujet s'exprimant en langue gestuelle.

- L'autre tendance est représentée par le médecin suisse J.Conrad.AMMAN

(1669-1724) qui avait publié en 1692 Le sourd parlant ou surdus loquens.

AMMAN associait la lecture sur les lèvres à l'écriture. « Toutes les fois que je

montre aux sourds à prononcer quelque lettre, je l'écris sur-le-champ devant

eux, dans la persuasion que je suis qu'autrement ils ne sauraient se graver dans

la mémoire l'idée de cette lettre qui leur est cependant indispensable. Pour

m'assurer davantage de leurs progrès, je leur fais quelquefois répéter quelques

lettres que j'ai écrites sous leurs yeux sans les avoir prononcés et quelquefois

aussi je les leur fais articuler et imiter avec la plume, après que je les ai

simplement prononcées. »

AMMAN eut un grand succès auprès des mécanistes (La METTRIE, 1709-1751) et

des sensualistes comme ROUSSEAU (1712-1778). Il a eu des disciples: KERGER,

RAPHEL et surtout Samuel HEINICKE (1727-1790, fondateur de la méthode dite

allemande) qui s'intéresse uniquement à la parole et rejette tout geste.

Cette dernière tendance, qui prévaut dans toute l'Europe, atteint au XVIIIème

siècle, son degré d'achèvement en France avec PEREIRE (1715-1780) né en

Espagne dans une famille de marranes, il émigre à Bordeaux en 1741. PEREIRE

admiré par BUFFON (1707-1788), DIDEROT (1713-1784). ROUSSEAU qui

s'inspire de ses méthodes pour écrire « Emile », obtient un grand succès, touche une

pension du roi. Il travaille avec une dizaine d'enfants à temps complet, il invente son

propre alphabet manuel et le cornet acoustique pour les enfants ayant des restes

auditifs. Il travaille sur les perceptions vibratoires, les intonations, la lecture labiale,

la démutisation mais en aucun cas il ne tient compte des gestes naturels des Sourds.

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Le 22/11/1746, à l'Académie des Belles Lettres de Caen il conclut ainsi son exposé

« Je suis finalement venu à bout, Messieurs, de pouvoir apprendre aux sourds et

muets de naissance, l'articulation des mots d'une langue, et, ce qui est encore plus

difficile et important, à les mettre en état de comprendre le sens des mots et de

produire d'eux-mêmes, tant verbalement que par écrit, toutes leurs pensées au

moyen de quoi ils seront aussi capables que les autres hommes de tout ce qui ne

dépendra point de l'ouïe ». Il prononça ces paroles après avoir présenté son élève

d'Azy d'Etavigny. Le père d'Azy d'Etavigny le retira du préceptorat de PEREIRE en

avril 1747. Il reprit contact avec PEREIRE le 8 février 1748 car l'articulation de son

fils était « devenue extrêmement vicieuse et très peu intelligible ».

En 1750, le Duc de Chaulnes confia à PEREIRE Saboureux de Fontenay. En 1756, le

Comte de Saint Florentin, Ministre de la Maison du roi, lui adresse Marie Marois et

Marie Lerat de Magnitot. Puis vinrent des enfants de la bourgeoisie d’affaires : De

La Voulte, Solier. Des Enfants de hauts fonctionnaires : Gerde.

PEREIRE meurt en septembre 1780. (Il est le premier à être enterré dans le cimetière

juif qu'il avait obtenu pour ses coreligionnaires, auparavant, ils étaient jetés à la fosse

commune)

Ainsi le XVIII ème siècle, siècle des lumières, voit naître, s'épanouir et s'éteindre une

méthode auditivo-tactilo-phonique que le professeur GUBERINA (1913-2005)

reprendra et perfectionnera en 1959 sous le nom de SGAV (Structuro-Globale-

Audio-Visuelle) au centre SUVAG de Zagreb. La France connaît une période faste

sur le plan intellectuel, les humanistes œuvreront directement ou indirectement à la

reconnaissance et au respect des différences. Rappelons brièvement les auteurs et les

écrits qui marqueront cette époque.

1746 : DIDEROT : Pensées philosophiques.

VAUVENARGUES : Maximes.

CONDILLAC : Essai sur l'origine...

1749 : BUFFON : Théorie de la terre.

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DIDEROT : Lettre sur les aveugles.

1750 : ROUSSEAU : Discours sur les Sciences et les Arts.

1751 Parution du premier volume de l'Encyclopédie.

1754 CONDILLAC : Traité des sensations.

ROUSSEAU : Discours sur l'origine de l'inégalité.

DIDEROT : Pensées sur l'interprétation de la nature.

1756 VOLTAIRE : Essai sur les mœurs.

1761 ROUSSEAU : La nouvelle Héloïse.

1762 ROUSSEAU : Emile. Du contrat social.

1763 VOLTAIRE : Traité sur la tolérance.

1766 TURGOT : Réflexion sur la formation et la distribution des richesses.

Comme nous l'avons vu jusqu'alors les pionniers de l'éducation des Sourds

demeurent des Entendants, précepteurs de familles riches. Leur enseignement très

individualisé, reposant uniquement sur l'éducation de la parole, ne permet aucun

contact avec la communauté des Sourds. Toutefois une exception demeure. A

Amiens, vers 1710, un sourd Etienne de FAY12 (1660-1750), ayant reçu une

instruction très élaborée, tient une petite école où l'enseignement est mené en langue

des Signes. Curieusement, il est connu sans que jamais son nom ne soit cité, il est

désigné par «sourd-mathématicien» ou «le vieux sourd-muet d'Amiens». Il

représentera pour partie le symbole de la revendication des Sourds de bénéficier d’un

enseignement voulu, inventé, dirigé par les Sourds eux-mêmes, un enseignement

construit sur l'écriture, la langue des Signes et non uniquement sur la parole. Mais

une nouvelle doctrine va poindre et éclipse pendant plus d'un siècle les tentatives

orales. C'est l'œuvre d'un nouveau maître en matière d'éducation des Sourds : L'Abbé

de l’EPEE.

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Mi- XVIIIème- XIX ème. Les gestes triomphants

L'Abbé de l’EPEE : reconnaissance d'une communication Visio-gestuelle.

Reconnaissance d’une éducation gestuelle.

Nous nous inspirerons pour cette étude de l'analyse de CUXAC (1983). CUXAC a

publié un ouvrage (épuisé chez l’éditeur) remarquable traitant de cette période:

CUXAC C., 1983, Le langage des sourds, Payot, Paris. Comme nous l’indiquions au

début du cours, l’ouvrage fait partie de ceux qui n’ont pas été réédités.

Rappelons les deux tendances qui prévalent en Europe :

- WALLIS (Angleterre).

- HEINICKE (Allemagne)

En France la tendance oraliste est représentée par PEREIRE. Ce dernier jettera les

bases de la rééducation moderne avec les recherches qu’il effectuera sur :

- le cornet acoustique

- la démutisation

- la lecture labiale

Une autre tendance va émerger représentée par l'Abbé de l'EPEE (Charles Michel de

l'EPEE de son vrai nom LESPEE, né en 1712 à Versailles). Son père était architecte

du roi, sa condition aisée permit à son fils de faire des études de droit (rhétorique,

style...). Il fera partie des jansénistes (opposés à la hiérarchie de l'église).

La petite histoire raconte que l'Abbé de l'EPEE (1712-1789) à partir d'une rencontre

fortuite de deux jumelles sourdes conçoit un vaste projet d'éducation de masse des

Sourds. Il est souvent présenté à tord comme l’inventeur de la Langue des Signes13.

C’est oublier que les LS existent depuis la nuit des temps et que plus près de lui

d’autres personnes se sont intéressées aux Signes des Sourds comme nous l’avons

précisé précédemment (WALLIS au siècle précédent, MONTAIGNE et

DESCARTES, Etienne de FAY au XVIIème siècle).

12 Une association porte actuellement son nom : http://www.asso-etiennedefay.fr/ 13 Langues des Signes désormais LS.

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Ce qui est incontestable par contre c’est qu’avec lui apparaît l'idée d'un pluralisme

linguistique et culturel possible en matière d’éducation. Selon lui, si l'on donne aux

enfants sourds l'occasion de se regrouper en communauté, dans des structures

scolaires, une véritable langue gestuelle ne tardera pas à naître et à évoluer en

fonction des besoins liés à la communication interindividuelle. Pour l'Abbé les

enfants sourds, dès leur plus jeune âge peuvent avoir un accès normal au langage (cet

accès au français se fera par l'écrit, l'oral ne venant que bien après). La langue des

Signes est élaborée par les élèves de l'Institut et non par l'Abbé, mais ce dernier

exerce dans un premier temps une influence certaine sur la structuration sémantique

de cette langue, en s'arrangeant pour qu'il y ait une forte influence entre les signifiés

du français écrit et les signifiés gestuels.

Cet enseignement commence à fonctionner en 1760. Très vite la méthode d'éducation

des Sourds au moyen des gestes est connue de tout Paris. L'Abbé autorise des visites

au cours desquelles sont exécutées des démonstrations de pantomime par les enfants.

Le roi y assiste, donne des subventions à l'Abbé et un local. Malgré cette aide, il y

laissera sa fortune personnelle. Son idée forte réside dans le fait d’avoir pensé une

éducation de masse destinée en premier lieu aux Sourds dont les parents ne peuvent

payer de précepteurs. Sa renommée dépasse les frontières de l'hexagone à l'exception

de l'Allemagne qui maintient une tradition oraliste. De nombreux établissements

utilisant la méthode de l'Abbé appelée «Méthode française» fleurissent dans les

grandes villes françaises et européennes .L'Empereur d'Autriche Joseph II envoie un

ecclésiastique à Paris pour étudier la méthode.

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La méthode française d'éducation des Sourds ?

Elle repose sur le principe suivant : les sourds de naissance ou sourds pré

linguaux, c'est-à-dire dont la surdité survient avant l'acquisition du langage oral ne

peuvent avoir une langue orale comme langue maternelle. Ce point de vue est

confirmé par les théories psycholinguistiques actuelles : un sourd de naissance,

même bien démutisé et qui possède un usage syntaxique correct d'une langue orale,

n'a pas mis en œuvre les mêmes mécanismes d'acquisition qu'un enfant entendant. La

seule langue maternelle de l'enfant sourd par rapport aux structures d'apprentissage,

aux conditions d'utilisation, à la situation même de communication, est une langue

dont le signifiant est gestuel.

Le but de l'Abbé est de rendre les Sourds, quelles que soient leurs conditions

sociales, à la vie active, d'en faire de bons chrétiens craignant Dieu, et de bons

ouvriers. Ainsi une partie de ses cours est centrée sur l'enseignement du catéchisme,

une autre sur l'enseignement du français écrit et une dernière consacrée à

l'apprentissage d'un métier artisanal. Ce type d'éducation permet aux élèves, à leur

sortie de l'institution, d'avoir un statut social supérieur à la moyenne des français.

L'Abbé permet aux élèves de se constituer en communauté, de développer leurs

gestes et d'élaborer une langue, avec comme but de les faire accéder au français écrit.

L'Abbé devient un dictionnaire vivant de cette langue, mais au bout d'une vingtaine

d'années d'enseignement, cette langue échappe de plus en plus à sa compréhension.

En effet, il ne s'agit plus (comme au début) d'un simple stock de gestes groupés dans

une pantomime. Cela entraîne, paradoxalement, des difficultés accrues dans

l'enseignement du français écrit, particulièrement au niveau de l’acquisition de la

syntaxe. L'enseignant a autant de mal à se faire comprendre des enfants qu'il en a de

comprendre leur langue. L'Abbé a alors l'idée de renforcer le contrôle sur l'évolution

de cette langue et il invente les signes méthodiques. Ces Signes visent à faciliter

l'accès au français écrit en modifiant la syntaxe de la langue gestuelle utilisée dans

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l'enseignement. Il s'agit de faire en sorte que la syntaxe de la langue utilisée par

l'enseignant soit calquée sur celle du français : d'où l'apparition d'une liste de Signes

comme certaines prépositions, les articles définis et indéfinis, le genre, un système

aspecto-temporel et modal, calqués sur ceux du français. En plus de ces Signes,

l'instituteur fournit la nature (adjectif, substantif, verbe) des éléments au moyen de

gestes indicateurs de classes supplémentaires.

L'enseignement du français écrit est donné dans une langue gestuelle artificiellement

créée où chaque mot a et son geste correspondant et un geste associé qui effectue un

embryon d'analyse syntaxique. Les élèves connaissant les règles de correspondance,

écrivaient en français sous dictée vraisemblablement sans y comprendre grand chose.

L'idée juste au départ se heurta à deux phénomènes :

- L'évolution d'une langue échappe au contrôle de l'homme et à plus forte raison

d'un individu.

- Les structures de langue ne sont pas indépendantes du canal de

communication qui les véhicule.

La première tentative d'introduire à l'école du français sous forme de gestes, ce que

l'on appelle actuellement le français signé14, se solde par un échec. Mais il est

nécessaire de relativiser cet échec : la réussite complète était impossible. Il aurait

fallu recruter des enseignants bilingues. De plus, il est fort probable que l'Abbé

devait connaître les éléments de base de la langue des Signes pour qu'au cours

d'exercices formels, l'essentiel des structures fondamentales du français écrit soit

bien assimilé par ses élèves. Cependant deux objectifs sont atteints grâce à cet

enseignement, les Sourds communiquent entre eux et ils sortent de l'Institut avec un

métier.

L'autre originalité et nouveauté de cette méthode est le rôle capital dans la formation

intellectuelle de l'enfant sourd que joue la langue écrite. Ce rôle est concevable en

14FS: Français Signé.

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raison de l'extension du phénomène littéraire. Les romans, nouvelles commencent à

foisonner. Les idées, les informations se propagent par l'intermédiaire des gazettes.

L'importance de l'écrit a dans un premier temps pénalisé les Sourds mais a permis de

poser le problème de leur éducation. Le fait de les regrouper sur la base de besoins

éducatifs communs a permis la naissance et l’institution d'une langue signée, langue

d'enseignement. L'Abbé de l'EPEE s'inscrit tout à fait dans le mouvement général de

remise en question des anciennes valeurs (l'idéologie linguistique de Port-Royal: «

Grammaire générale et raisonnée » ), qui secoue tout le XVIII ème siècle en France et

qui s'est traduit par le remplacement de la raison, comme valeur constitutive de

l'homme, par la notion de nature humaine.

Son œuvre connaîtra de fortes oppositions de la part des partisans d’une éducation

essentiellement orale des enfants sourds. Nous citerons, sans détailler la teneur de

leurs contradictions, l’Abbé DESCHAMPS, Saboureux DE FONTENAY (élève de

PEREIRE), HEINICKE.

L'Abbé de l'EPEE devient un personnage essentiel pour les Sourds. C'est leur

sauveur. Ils lui vouent une grande reconnaissance : l'Abbé s'est battu pour eux, il a

réussi à imposer l'idée que les Sourds sont des hommes à part entière. De plus en

1791, après sa mort (23 décembre 1789), l'Assemblée Nationale lui reconnaîtra le

titre de bienfaiteur de l'humanité et déclarera que les Sourds pourront bénéficier des

droits de l'homme. Lorsque les Sourds auront un combat à mener pour le respect de

leur langue et d'eux-mêmes, ils feront souvent référence à l'Abbé de l'EPEE.

Le tricentenaire de la naissance de l’Abbé de l’Epée(2012) aura donné lieu en

France mais aussi dans le monde entier à des commémorations marquant

l’importance du personnage dans l’histoire des Sourds. Ci-dessous, un lien vers le

magazine artistique Art’Pi dont un numéro hors série de 2012 est dédié à l’Abbé de

l’Epée.

http://www.art-pi.fr/public/medias/newsLetters/ArtPiHS%20n%C2%B01-FR-1348919565.pdf

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Le mouvement sourd.

L'Abbé de l'EPEE aura différents successeurs dont le plus célèbre restera SICARD

(1742-1822), nommé directeur de l'école de Bordeaux en 1783.

SICARD œuvrera pour que la langue des Signes soit introduite dans tous les

instituts. Il obtiendra ce que l'Abbé de l'EPEE n'a jamais pu obtenir, la

reconnaissance totale par le gouvernement des institutions scolaires pour les Sourds.

En 1791, la convention décide de prendre en charge les institutions de Paris et de

Bordeaux. Les anciens élèves de l'institut deviennent professeurs et participent à

l'évolution et à la diffusion de cette langue. Mais Sicard ne reconnaîtra pas la langue

des Signes pratiquée par les élèves. Sicard n'a jamais essayé de comprendre cette

langue, lui déniant d'ailleurs le statut de langue. Il va donc renforcer la tentative de

contrôle engagée par l'abbé de l'EPEE et qui s'était soldée par un échec. Dans

« Théorie des signes pour l'instruction des sourds-muets, 2 vol, Paris 1808 » nous

trouvons des exemples aberrants de la tentative de contrôle de la langue des Signes

exercée par Sicard.

Loi 1°/ Figurer Dieu, ou quelque homme constitué en dignité, chef d'Etat, ou à la tête d'une administration quelconque, faisant connaître, ou par inspiration (si c'est Dieu), ou par des paroles, ou par écrit (si c'est un homme) sa volonté absolu sur ce qu'il veut qu'on fasse, ou sur ce qu'il veut qu'on ne fasse point. 2°/ Figurer un écrit quelconque contenant un commandement ou une défense, avec le signe de publication. 3°/ Signe du nom abstractif.

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Avare 1°/ Figurer des richesses en faisant le signe de pièces de monnaie qu'on a l'air de compter et qui forment une somme considérable; on fait aussi le signe de toutes les sortes de propriétés qui font l'homme riche: maisons de campagne, maisons de ville, fermes, etc. 2°/ Exprimer le violent désir de posséder tous ces objets, et l'attachement excessif aux moindres biens. 3°/ Figurer le soin que l'on met à les conserver, et surtout celui de n'en point user, ou de le faire avec une grande parcimonie : tout cela se représente par une pantomime fidèle qui, peu à peu, supprime les détails et ne conserve que les principaux signes. 4°/ Signe d'adjectif.

Chasseur 1°/ Représenter, par gestes, toutes sortes de pièces de gibier, comme daims, cerfs, lièvres, lapins, oiseaux, perdrix, bécasses, merles, etc... Courant dans les champs, volant dans les airs. 2°/ Figurer un homme portant la carnassière, le fusil sur l'épaule, suivi d'un ou plusieurs chiens. 3°/ Action de tirer et de tuer. 4°/ Signe du nom.

Ennuyer 1°/ Figurer plusieurs personnes. 2°/ En figurer une d'entre elles qui fait de longs récits, racontant des choses communes, en termes communs. 3°/ Représenter celles qui l'écoutent, baillant, tournant la tête, regardant le plafond et tout ce qui se trouve autour d'elles. 4°/ Mode indéfini.

Ces exemples permettent de saisir pourquoi SICARD n'a jamais tenté d'apprendre la

Langue des Signes et comment il s'est trompé sur sa nature même de cette langue.

Sicard connaîtra une renommée mondiale, il rencontrera Napoléon, l'Empereur

d'Autriche, le Tsar, le pape. Il aura la mainmise sur l'éducation des Sourds en France

et sera reconnu comme le grand grammairien français du début du XIXème siècle.

Sous l'impulsion de SICARD et de MASSIEU (élève sourd de Sicard, 1772-1846)

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un projet de décret est proposé à l'Assemblée Nationale le 21 juillet 1791 puis adopté

le 29 juillet 1791. L'Institution nationale des sourds-muets est née, elle est basée aux

Célestins. Nous retiendrons les trois points suivants de ce décret:

1°/ La surveillance de l'établissement est officiellement confiée au département

de Paris.

2°/ Le lieu officiellement désigné est les Célestins. L'institution fonctionnera

sur le principe de l'internat pour les élèves.

3°/ Il est nécessaire de réunir dans un même lieu les sourds et les aveugles.

Nous voyons dans le point un les prémices d'une prise en charge de l'État sous

l'autorité du Ministre de l'Intérieur des sourds et des aveugles. Dans le point deux,

nous notons la volonté de créer des lieux où chaque catégorie de population (sourds,

aveugles...) bénéficiera d'un traitement social différencié. Dans le troisième point

nous décelons l'analogie entre les sourds et les aveugles consécutive au déficit

sensoriel. Certains rapports n'hésitaient pas à énoncer : « L'un entend par les yeux,

l'autre ne voit que par les oreilles » ou encore « Rassemblés dans un même local,

réunis aux mêmes ateliers, l'aveugle et le sourd formeront une société aussi parfaite

que celle de l'homme qui voit et de celui qui entend ».

Deux mois après la fondation officielle de l'Institution des sourds-muets, est créée (le

28 septembre 1791) celle des aveugles qui rejoignent les sourds aux Célestins. Cette

cohabitation sera mouvementée car Sicard est un religieux, royaliste, Valentin

HAÜY (premier instituteur des aveugles, 1745-1822) est un laïc, révolutionnaire.

SICARD sera arrêté en août 1792 et échappera de justesse aux exécutions des 1 et 2

septembre 1792. Mais la rupture est consommée avec HAÜY, les deux Institutions se

séparent en mars 1794. Les aveugles restent aux Célestins, les sourds s'installent rue

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Saint-Jacques dans l'ancien séminaire Saint-Magloire (actuel INJS 15: Institut

National des Jeunes Sourds).

Au-delà de l'épisode malheureux de Sicard, les Sourds, dont MASSIEU, ont montré

contrairement aux théories de Sicard qu'ils pouvaient s'organiser. En effet,

MASSIEU et ses élèves ont tout fait pour faire libérer Sicard, ils ont fait pression sur

les députés pour que soient créées des écoles sur tout le territoire. C'est parmi les

élèves de MASSIEU que l'on trouvera les ténors du mouvement sourd: Laurent

CLERC16 (1785-1869), Ferdinand BERTHIER (1803-1886), Claudius FORESTIER

(1810-1891), Pierre PELISSIER (1814-1863).

Un personnage important va apparaître dans le paysage éducatif des Sourds, il s’agit

d’Auguste BEBIAN (1749-1834), fils d'un créole de Guadeloupe, envoyé à l'âge de

12 ans chez son parrain SICARD pour poursuivre ses études. Il partagera la vie des

élèves sourds de l'institution. Il apprendra non pas la langue signée préconisée par

SICARD mais la langue des Signes qu'utilisaient les Sourds entre eux. Il deviendra

l'ami de Laurent CLERC qui l'initiera à la méthode d'éducation préconisée par

SICARD. BEBIAN aura une position très critique à l'égard d'un modèle d'éducation

orale ainsi qu'à l'égard de la méthode d'éducation proposée par SICARD. Il critiquera

donc l'Abbé de l'EPEE, tout en reconnaissant l'importance de son œuvre, sur la mise

en place des Signes Méthodiques. Il s'éloignera des théories de L'EPEE et de

SICARD sur plusieurs points. Il prônera le principe d'une éducation de masse, d'une

éducation bilingue LSF/Français. Il proposera de supprimer les importantes plages

d'enseignement consacrées au catéchisme en argumentant qu'il était plus important

de faire des Sourds des hommes libres plutôt que d'en faire de bons chrétiens.

15 http://www.injs-paris.fr/ 16 Une association porte son nom. http://www.assoc-laurentclerc.fr/

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BEBIAN ayant constaté l'extrême diversité de variétés linguistiques en langue des

Signes aura conscience de la nécessité de dégager une norme.

« Je n'ai pas besoin de développer tous les avantages qui pourraient en résulter pour

l'avancement de l'art:

1°/ Établissement d'un système régulier et uniforme des Signes qui fixerait ce

langage livré, jusqu'ici, aux systèmes, aux caprices et à l'ignorance.

2°/ Formation d'un vocabulaire mimique, aussi utile au maître qu'à l’élève : l'un y

trouverait les signes mimiques des idées, et l'autre la signification des mots.

3°/ Moyen sûr, pour le sourd-muet, de conserver les connaissances acquises et de les

développer par l'étude. ». (BEBIAN, 1825).

Deux ans plus tard, il publiera un ouvrage pédagogique remarquablement bien

illustré : BEBIAN., 1827, Manuel de l'enseignement pratique des sourds-muets

accompagné de planches, Paris, Méquignon l'aîné.

Il consacrera de nombreuses années à une tentative de transcription et de description

de la langue des Signes. Il établira un dictionnaire bilingue qui devait être utilisée par

les professeurs et des élèves. On peut considérer que BEBIAN était en avance sur

son temps puisque ce n'est que 150 ans plus tard que STOKOE reprendra et affinera

les travaux de BEBIAN. BEBIAN restera célèbre pour ses travaux sur l’éducation

des Sourds mais aussi pour ses prises de positions contre l’Institution scolaire. Il

s'insurgera contre les mauvaises conditions de vie des élèves sourds de l'institution

dont les surveillants, anciens militaires, faisaient régner une discipline de fer et

infligeaient de mauvais traitements aux enfants. Cette dénonciation lui vaudra

d’ailleurs d'être renvoyé de l'institution à la mort de SICARD. Peu après son renvoi,

il fondera une institution privée à Paris, puis dirigera une école à Rouen. Mais ses

détracteurs étaient nombreux et puissants dans l'administration, il devra renoncer à

ses activités. Ferdinand BERTHIER, élève sourd de BEBIAN écrira après la mort de

ce dernier qui avait été contraint de quitter la France et d'abandonner l'enseignement

des Sourds: « Avant Bébian, notre faible imagination, s'effrayant de la moindre

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difficulté, repoussait avec horreur les petits livres d'enfants qui tombaient entre nos

mains; nous écrivions sans savoir ce que nous disions. A peine pouvions nous tracer

une ligne correctement; notre mémoire était hérissé de phrases prises çà et là; nous

en composions à tord et à travers des centons sans nœud, sans suite, à peu près

comme font ces perroquets qui, perchés aux fenêtres, répètent sans les comprendre

les paroles des passants.

Aussi, lui fallut-il recommencer, pour ainsi dire, sur nouveaux frais notre

éducation... Qu'on nous pardonne cet élan de reconnaissance que nous n'avons pas

eu le courage de comprimer! Bébian fut notre maître, c'est à lui que nous devons de

pouvoir faire partager à nos frères d'infortune tout ce que nous éprouvons de

jouissances de mille sortes, ou pour mieux dire de pouvoir le continuer lui même

auprès d'eux » . Ferdinand Berthier, Notice sur la vie et les ouvrages d'Auguste

Bébian, Paris, 1839, pp 11-12

Bébian, hier et aujourd’hui :

https://interpretelsf.files.wordpress.com/2013/09/10bulletin-asso-bebian-nc2b0-10-

septembre-2013.pdf

Un Sourd, Pierre DESLOGES (1747-1799), nous livre un témoignage intéressant

dans son livre intitulé, Observations d'un sourd-muet sur un cours élémentaire des

sourds-muets, Paris, Morin, 1779. Il décrit les particularismes de la langue des

Signes en notant les distinctions sociales, le monde du travail, les lieux du travail. Il

exprime une idée qui fera son chemin: il compare les Sourds à une nation étrangère

dont il est souhaitable de connaître la langue.

« Il y a de ces sourds et muets de naissance, ouvriers à Paris, qui ne savent ni lire ni

écrire et qui n'ont jamais assisté aux leçons de M l'Abbé de l'EPEE, lesquels ont été

trouvés si bien instruits de leur religion par la seule voie des signes, qu'on les a

jugés dignes d'être admis aux sacrements de l'Église, même à ceux de l'Eucharistie et

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du Mariage. Il ne se passe aucun événement à Paris, en France et dans les autres

parties du Monde, qui ne fasse la matière de nos entretiens » .

L'idée de DESLOGES se retrouvera actualisée un siècle plus tard dans la prise de

conscience de l'existence d'une communauté particulière regroupée autour d'une

langue des Signes.

Le milieu du XIXème siècle en France est le témoin d'un important développement du

mouvement sourd sous l’impulsion d’un personnage central, Ferdinand Berthier

FERDINAND BERTHIER, LE « NAPOLEON DES SOURDS »

L’apogée du mouvement sourd français au XIXème siècle

Ouvrage de référence : Bertin F., 2010, Ferdinand Berthier ou le rêve d’une

nation sourde, Monica Companys, Angers.

Né le 28 septembre 1803 à LOUHANS, Bourgogne (Saône et Loire). Ses parents lui

ont dit qu’il était né entendant et devenu sourd enfant � mais quand il est à l’institut,

il préfère dire sourd de naissance.

Fils de famille aisée, père chirurgien. D’abord en nourrice puis dans sa famille, son

père essaie de lui apprendre la lecture, ça marche plus ou moins, ca lui permet en tout

cas de pouvoir communiquer avec ses proches.

A 8ans il intègre, l’Institut National de Paris (l’institut St Jacques). Il aura pour

enseignant, entre autres, Roch Ambroise Auguste Bébian (filleul de l’Abbé Sicard

entendant mais vit à l’internat avec des pensionnaires sourds, il est donc très

imprégné de la LSF et favorise les signes naturels aux signes méthodiques).

Berthier est bon élève, il réussit avec succès ses études et devient répétiteur à

l’institut. Son statut évoluera par la suite, il deviendra en 1829 professeur. Il sera

alors un des 1ers sourds à avoir ce statut.

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Il revendique alors un enseignement bilingue LSF /Français et rejette les valeurs

oralistes en revendiquant le droit à la langue des signes en démontrant à la fois son

efficacité et son éloquence.

En plus de son activité de professeur, Berthier est aussi un homme politique. Il est

entre autre à l’origine d’une démarche politique envers le Roi Louis Philippe afin de

dénoncer les conditions de l’institut et le renvoi de Bébian (renvoyé pour avoir

inventé et utilisé une autre grammaire que celle de Sicard).

Il a également écrit de nombreux courriers au parlement pour que certaines

modifications soient apportées à la jurisprudence. Il a obtenu des droits pour que les

sourds soient reconnus comme des citoyens à part entière. Notamment le droit à

l’héritage, le droit au mariage (oui en LSF) et une justice équitable (défense des

sourds si accusés de délit).

En 1868, il publie le Code Napoléonien mis à la portée des sourds-muets, de leurs

familles et des parlants en rapport journalier avec eux, dans cette oeuvre, il met à la

portée des sourds les termes juridiques afin de leur donner la possibilité d’accéder à

leurs droits et à leurs devoirs. D’où son surnom Le napoléon des sourds. Berthier a

donc une réelle position politique, qui se renforce encore en 1848 lorsqu’il se

présente aux législatives.

En plus de ces 2 casquettes, il est aussi un homme de lettres (membres de la société

des gens de lettres et membre de la société des études historiques) qui écrit des

articles pour divers journaux mais aussi un certain nombre d’ouvrage parmi lesquels

on retrouve en 1839 Examen critique de l’opinion de feu, le docteur Itard, médecin

chef de l’institution nationale des sourds-muets de Paris, mais aussi Les sourds-

muets avant et depuis l’Abbé de l’Epée en 1840.

Cet ouvrage a reçu le prix de la société des sciences morales, lettre et arts de Seine et

Oise (prix qui permet de développer et propager dans les départements Seine et Oise

le goût et l’étude de la littérature, philosophie, histoire, beaux-arts…).

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On connait également le livre L’abbé de l’Epée, sa vie, son apostolat, ses travaux, sa

lutte et ses succès avec l’historique des monuments élevés à sa mémoire à Paris et à

Versailles en 1852. En effet Berthier admirait l’Abbé de l’Epée bien qu’il remettait

quelque peu en cause ses méthodes, comme il le disait dans les Sourds-Muets avant

et depuis l’Abbé de l’Epée. « L’Abbé de l’Epée voulut tourmenter la langue des

gestes pour la plier aux habitudes et au génie de la langue conventionnelle sans

réfléchir qui l’une ainsi greffée sur l’autre devenait nécessairement un contre sens.

La mimique ne reconnaît d’autre joug que celui de la nature et de la raison ; elle a

une syntaxe immuable, opposée aux syntaxes capricieuses de nos langues, et

particulièrement à celle de la langue française.

Sa marche est tout à fait indépendante des lois de la grammaire ; son vol aussi

rapide que la pensée […]. Le système de l’Abbé de l’Epée consiste exclusivement à

faire cadrer le signe avec le mot plutôt qu’avec l’idée […]. Les légères erreurs dans

la méthode d l’Abbé de l’Epée ne sont que

d’imperceptibles tâches incapables de ternir la gloire de cet esprit créateur. »

Il avait donc une grande reconnaissance pour cet homme et l’a fait savoir. En 1841 il

fait ériger un monument à l’emplacement de sa tombe et en 1843 une statue à

Versailles.

Parallèlement à ces activités se développent à l’institut de réels problèmes de

reconnaissance des profs sourds et de leur position secondaire dans l’enseignement

puisqu’ils sont souvent recalés au rang de répétiteur. Suite à cela Ferdinand Berthier

crée une association qui s’appelle Comité de Sourds-Muets de Paris. La 1ère

décision de cette association est d’organiser le 30 novembre 1834 un « banquet

silencieux » en l’honneur de 122ème anniversaire de la naissance de l’Abbé de

l’Epée (24 novembre 1712). Berthier organise donc cette hommage avec Alfred

Bocquin (sourd-aveugle) au « Veau qui tête » un restaurant renommé place du

Chatelet. Cette réunion festive est donc un hommage à l’Abbé de l’Epée, mais aussi

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un moyen de faire se rencontrer des sourds, mais aussi de faire découvrir la langue

des signes à un public plus large et ainsi en montrer le caractère indispensable, tout

en montrant également la surdité en relativisant l’infirmité (les sourds-muets sont

aussi cultivés que les entendants et savent parler d’art, de littérature…). Les

participants de ces banquets étaient d’ailleurs l’élite sourde (profs, peintres, graveurs,

administrations, imprimeurs, mais aussi des sourds étrangers).

On retrouve également à ces repas des entendants influents tels que des rédacteurs de

journaux Le temps, Le courrier Français, des fonctionnaires, des responsables

politiques, écrivains (Victor Hugo invité mais n’y est jamais allé, malgré

l’admiration qu’il avait pour Berthier, il lui a écrit « Qu’importe la surdité de

l’oreille quand l’esprit entend ? La seule surdité, la vraie surdité, la surdité

incurable, c’est celle de l’intelligence »).

A travers ces invitations Berthier voulait aussi créer un réseau de contacts et de

soutien avec son association. Ces banquets été aussi un moyen de dénoncer les

difficultés de l’institut à cause de la direction. Ces banquets ont une très grande

importance dans l’histoire des sourds puisque grâce à eux émerge une réelle

affirmation identitaire mais aussi collective. Ils marquent la Naissance de la Nation

Sourde.

Claudius Forestier en 1839 « On vous a restitué le rang qui appartient de droit à

l’intelligence dans la hiérarchie sociale. Vous rencontrez sans cesse, parmi vos

frères parlants, des hommes qui s’empressent de vous offrir leur amitié, leurs

services, de mettre leurs talents à votre disposition. D’où vient un aussi grand

changement ? C’est que vous êtes devenus une nation et que vous avez un chef digne

de vous représenter, un chef dont les nobles qualités et le rare mérite ont su vous

procurer de chauds défenseurs, des amis zélés, sincères. Frères ! Proclamons

solennellement que notre président a bien mérité de la nation exceptionnelle des

sourds-muets, en lui portant ensemble ce toast : A Berthier à Notre Napoléon ! »

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Ces banquets ont toujours lieu. En 1838 le comité devient la Société Centrale des

Sourds-Muets de Paris, et en 1867 la Société Universelle des Sourds-Muets de Paris.

Ce nouveau nom reflète une ouverture internationale et ainsi un élargissement des

revendications et des fonctions. Le but de cette association étant tout d’abord de

réunir des sourds et ainsi de créer un lien solidaire mais aussi d’informer les sourds

sur leurs droits et leurs devoirs. Parallèlement en 1850 est créée la Société Centrale

d’Education et d’Assistance des Sourds-Muets de France dont les tâches essentielles

sont l’éducation des enfants, le travail et le secours matériel pour les adultes, mais

aussi une diffusion de l’information sur la surdité. C’est la plus ancienne association

encore active, elle a été reconnue d’utilité publique en 1870.

Grâce à ce mouvement lancé par Berthier, des journaux publiés par des sourds se

multiplient : Bulletin de la Société Universelle des Sourds-Muets, La Défense des

Sourds-Muets, La Gazette des Sourds-Muets, Le Sourd-Muet illustré.

Il y a une réelle volonté de former une communauté sourde à travers une affirmation

identitaire mais avec également le souhait d’une normalisation (banquets).

Mais la surdité reste un problème, Berthier qui est Doyen des professeurs demande le

titre de censeur qui lui est refusée pour cause de surdité. Il recevra tout de même la

plus grande distinction en 1849 en étant décoré de la Légion d’Honneur par le

Président Napoléon III. C’est le 1er sourd français à recevoir cette médaille. Cette

distinction lui a d’ailleurs donné son signe même s’il en a d’autres.

Il décédera presque aveugle le 12 juillet 1886 à Paris et sera inhumé à Sagy dans sa

région d’origine.

Aujourd’hui il reste dans l’ombre de l’Abbé de l’Épée mais l’association CLSFB

(Culture et Langue des Ferdinand Berthier) dont le directeur est Armand Pelletier

met tout en œuvre pour faire connaitre ce grand homme de l’Histoire (statue, musée,

nom de rue, …).

http://www.clsfb.fr/

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Ferdinand BERTHIER (1803-1886), sourd bilingue (élève de BEBIAN) doyen des

enseignants de l'Institut de Paris entre 1840 et 1850, écrivain, Chevalier de la légion

d'honneur et membre de la Société des gens de lettres crée en 1834 le Comité des

Sourds-Muets avec quelques-uns de ses collègues, LENOIR, FORESTIER qui

deviendra directeur de l'école de Lyon. Parmi les dix membres du comité nous

pouvons citer PEYSSON de Montpellier, peintre, auteur d'un tableau célèbre « Les

derniers moments de l'Abbé de l'EPEE », MOSCA un peintre italien de Turin.

L'une des premières décisions de ce comité sera de fêter chaque année, par un

banquet, l'anniversaire de la mort de l'Abbé de l'EPEE. Ainsi le 30 novembre, deux

semaines après sa création le comité réunit au restaurant de la place du Châtelet une

soixantaine d'invités, des professeurs, des peintres, des graveurs, des fonctionnaires,

des imprimeurs, des ouvriers. Les banquets comptaient parmi les invités, des Sourds

étrangers, quelques Entendants, les initiés (1 ou 2), des journalistes, des responsables

des Ministères de tutelle et des personnalités (écrivains ou hommes politiques

français ou étrangers), comme John O CONNEL, fils du libérateur de l'Irlande. Les

femmes n'assistaient pas aux banquets, il faudra attendre 1883 pour qu’elles y soient

conviées. Ces banquets étaient l'occasion d'organiser des festivals de mimique durant

lesquels on ne manquait pas de souligner le caractère universel de la communication

gestuelle. Le Comité devant le succès observé étendra ses fonctions en devenant en

1838, la Société Centrale des sourds-Muets, puis en 1867, la Société Universelle des

Sourds-Muets. Ces banquets deviennent parallèlement des lieux de riposte et

d'organisation du mouvement sourd réunit en mémoire de leur libérateur, l'Abbé de

l'EPEE, et ce sur les bases de la défense d'une langue, d'une culture et de la défense

des droits des citoyens Sourds (n’oublions pas qu’à l’époque les droits civiques des

Sourds n’étaient pas chose acquise. Pour preuve, en 1855 la cour de Bordeaux

déclare que les Sourds doivent renoncer à leurs droits testamentaires).

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Après la mort de BERTHIER, la Société Universelle des Sourds-Muets redeviendra

plus modestement la Société amicale des sourds-muets. Mais ces banquets vont

fleurir en Province, en France et à l'étranger.

En effet à côté de ce mouvement gestualiste, un autre mouvement, oraliste, formé

uniquement d'Entendants se dessine, prend de plus en plus d'ampleur jusqu'à sa

victoire totale et internationale marquée par le Congrès de Milan (1880).

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Le Congrès de Milan (6-11/09/1880)

Le Congrès de Milan est l'épiphénomène d'un combat déjà joué, les participants sont

triés, le point de vue oraliste est dominant. Le Congrès bénéficie d'appuis financiers

importants, les célèbres banquiers PEREIRE, descendants de J PEREIRE, ont ouvert

deux écoles selon les principes éducatifs de leur aïeul. Le Congrès n'a pas de valeur

exécutive mais devait proposer des résolutions en matière d’éducation. Le Congrès

ne fera que confirmer une prise de position anti-gestes déjà forte. Des indices de

l'opposition à l'éducation gestuelle des Sourds étaient déjà repérables dans le

discours institutionnel.

1829 : Circulaire de l'Institut des Sourds-Muets de Paris qui propose la

disparition progressive de la LSF.

1832 : Le directeur de l'Institut des Sourds-Muets de Paris, Désiré

ORDINAIRE impose le système de la rotation. Ce système permettra à

moyen terme de supprimer le recrutement de nouveau professeurs sourds.

1878 : Mini Congrès International de Paris où l'on préconise l'interdiction

des gestes. L'institution de Bordeaux appliquera ces résolutions avant la

tenue du Congrès de Milan.

Diverses raisons idéologiques et politiques vont favoriser le retour et la victoire de

l'oralisme en Europe, dans la dernière partie du XIXème siècle. Nous en retiendrons

quelques-unes :

- Le rejet du corps lors d'une période pudibonde.

- Le développement de la médecine (c'est l'époque de PASTEUR et PAVLOV)

et surtout de la médecine otologique. Celle-ci naît avec le Traité des maladies

d'oreille du docteur ITARD en 1822. Celui-ci médecin chef de l'Institut de

Paris, s'inquiète de l'influence d'un milieu sourd-muet sur des enfants atteints de

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moindre déficience auditive. Liée à la faiblesse de l'ouïe, l'imperfection du

langage va selon lui affaiblir la pensée, réduire l'abstraction, d'où son souci de

développer un langage verbal dans des classes d'où sera proscrit le langage

gestuel. Pourtant il admet et valorise les capacités intellectuelles des Sourds,

mais celles-ci ne peuvent se développer que par le verbe. Le docteur

BLANCHET poursuit dés 1850 le même but en faisant un certain nombre

d'expérimentations médicales sur les Sourds jusqu'à provoquer scandale. Il

insiste sur les méfaits d'une ségrégation et mène des expériences d'intégration.

- La multiplication des écoles pour Sourds dés 1850 fait que les Entendants

redeviennent majoritaires parmi les enseignants auprès des Sourds (à cette

époque il n'y a pas assez d'enseignants sourds formés).

- La politique de planification linguistique de la France. Après la défaite de

1870, la question de l'unité nationale passe par l'unification linguistique. Depuis

le rattachement de la Savoie à la France, les institutions nationales des sourds-

muets (Paris, Bordeaux, Chambéry) dépendent du Ministère de l'Intérieur.

- La loi GUIZOT et la politique scolaire de Jules FERRY: L'Instruction

obligatoire pour tous, l'uniformisation des matériaux et des méthodes

d'éducation à fin de rentabilisation économique, conduisent à l'étouffement des

langues minoritaires et des particularismes régionaux ou autres.

- Le développement de l'industrialisation amène la conception d'appareillages et

l'espoir aux Sourds de pouvoir rejoindre le monde des Entendants.

En 1878, à l'occasion de l'Exposition Universelle la décision est prise de créer un

Congrès international tous les trois ans pour l'amélioration du sort des sourds-muets.

Le rendez-vous est pris le 6 septembre à Milan en 1880 (du 06 au 11/09/1880).

Pourquoi Milan ? Cette ville compte deux grandes Institutions spécialisées où

l'oralisme règne sans partage. Pourquoi l’Italie ? Les problèmes d'unification

linguistique ne sont nulle part aussi vifs qu'en Italie. A ce Congrès participent 286

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personnes venues de pays divers, toutes sont entendantes à une exception près. Le

but de ce Congrès est de réfléchir sur la méthode à adopter dans l'éducation des

Sourds : Méthode orale? Méthode gestuelle ? A ce congrès les pays étaient

diversement représentés (157 italiens, 98 français, 12 anglais, 8 allemands, 6

américains, 1 belge, 1 canadien, 1 norvégien, 1 russe, 1 suédois). La forte proportion

de participants italiens et français (255/286) nous permet de comprendre que les

recommandations unanimes auront surtout des répercutions en France et en Italie.

La France est le seul pays a avoir envoyé outre les participants, des journalistes, des

rapporteurs officiels mandatés par les Ministères chargés de l'éducation des Sourds

(Ministère de l'Intérieur et de l'Instruction Publique). Le Congrès est en fait une

mascarade puisque participants, rapporteurs des Ministères sont d'avance d'accord

sur les conclusions des débats. L’organisation, le lieu et la composition du congrès

sont autant d’indices d’une mise en scène concertée en faveur de l’éducation orale

des enfants sourds.

Les frais de séjour et le déplacement sont pris en charge par les frères

PEREIRE.

Les pédagogues qui participent au Congrès pratiquent l'oralisme.

Le choix de la ville, Milan est l'une des premières villes d'Europe à avoir

pratiqué la méthode orale pure.

Le choix du pays, l'Italie et les problèmes d'unification linguistique dans un

contexte de planification linguistique défavorable à l’existence des langues

régionales.

Dès l'ouverture du Congrès le ton est déjà donné. Il s'auto célèbre comme une grande

messe de l'oralisme. Il n'y a que le délégué américain Thomas Hopkins

GALLAUDET (1787-1851) qui tente des interventions en faveur de la langue des

Signes. Nous retiendrons quelques-unes des résolutions du Congrès qui ont à voir

avec les choix linguistiques et éducatifs opérés :

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Résolution 1 : « Le Congrès considérant l'incontestable supériorité de la parole sur les Signes pour rendre le sourd-muet à la société et lui donner une plus parfaite connaissance de la langue déclare : que la méthode orale doit être préférée à celle de la mimique pour l'éducation et l'instruction des Sourds ».

Résolution 2 : « Considérant que l'usage simultané de la parole et des signes a l'inconvénient de nuire à la parole, à la lecture sur les lèvres et à la précision des idées, déclare que la méthode orale pure doit être préférée ».

Résolution 3 : « Le Congrès, considérant que l'enseignement des sourds-muets par la méthode orale pure doit se rapprocher, le plus possible, de celui des Entendants-parlants, déclare: 1° que le moyen le plus naturel et le plus efficace par lequel le sourd parlant acquerra la connaissance de la langue, est la méthode objective, celle qui consiste à désigner d'abord par la parole, puis par l'écriture, les objets et les faits mis sous les yeux des élèves » .

Résolution 8 : «Que les élèves nouvellement venus dans l'école...soient absolument séparés des autres sourds-muets qui, étant trop avancés, ne peuvent plus être instruits par la parole et dont l'éducation sera terminée avec les Signes».

Cette dernière résolution implique à terme la mise à pied des professeurs sourds.

Le président du Congrès l'Abbé TARA, clôture le Congrès par cette phrase

historique (qui restera comme une blessure vive au sein de la communauté sourde) :

« Vive la parole pure ». Ce congrès sonnera la fin de l'éducation gestuelle en France

et fera disparaître cette dernière du paysage scolaire des enfants sourds jusque vers

les années 1970. Les Sourds sont mortifiés, ce congrès restera dans leur mémoire

collective la plus grande persécution de leur histoire, le plus grand «génocide

culturel». Le terme de génocide est abusif mais il ne doit pas cacher les

conséquences désastreuses qu’a eu le congrès de Milan sur l’éducation ou plutôt la

sous-éducation des Sourds durant le siècle qui suivra. Le Congrès est rappelé dans

toutes les réunions du monde où il est question de la défense de la langue. Il s'inscrit

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alors comme un mythe avec l'idée d'un avant, période présumée d'or et d'un après

période d'oppression où la langue devient honteuse et se dégénère (MOTTEZ, 1976).

Cette imposition de l'oralisme, comme l'imposition de pouvoir au locuteur de langues

dominées, implique un mépris, un refus à la différence. Et ce droit à la différence les

Sourds le réclameront plus tard. L'affirmation de la préférence pour la méthode

oraliste aura des traductions dans les directives officielles et les circulaires

ministérielles de différents pays. Il s'ensuivra une répression institutionnelle d'une

rare brutalité.

- Les livres relatifs à l'enseignement des Signes sont brûlés.

- Les instituteurs sourds sont mis à pied.

- Les Signes sont interdits durant les cours.

Les enfants doivent s'asseoir sur leurs mains. On les surveille en découpant des

lucarnes dans les classes. Il ne faut absolument pas qu'ils communiquent entre eux en

Signes. A la même époque, on assiste à un endoctrinement des parents Entendants

d'enfants sourds contre l'usage des Signes dans leur vie quotidienne. Cette prise de

position linguistique avait besoin d'une plume pour en légitimer l'essence.

REGNART (Inspecteur général des services administratifs du Ministère de

l'Intérieur) va en donner une justification biologique :

« Tout le monde sait que les sourds-muets sont des êtres inférieurs à tous égards:

seuls, les professionnels de la philanthropie ont déclaré que c'étaient des hommes

comme les autres... » Car le sourd, semblable « à l'homo alalus, à l'homme sans

parole des temps préhistoriques, plus arriéré encore, puisqu'il n'entend pas, passe

au milieu de ses semblables, pour lui pareil à des ombres, sans les entendre, sans les

comprendre: tout ce qui est humain lui reste étranger. Je n'ai pas à étudier ici les

conditions déterminantes de la surdi-mutité, lésion du cerveau, de l'oreille interne,

etc..., héréditaires chez le sourd né, acquises chez les autres (à la suite de méningite,

de fièvre typhoïde, de convulsions, etc...). Dans ces derniers cas même, il doit y avoir

une prédisposition spéciale : l'hérédité, cela n'est pas douteux, domine et dirige la

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biologie toute entière. Il ne s'agit pas d'un rapprochement à établir entre les

criminels et les sourds-muets, mais seulement de ce fait, que dans tous les cas de cet

ordre, la dégénérescence héréditaire est le fait dominant » (GREMION17, 1990).

Au nom de l'égalité, la volonté d'inclure les Sourds dans la société, se traduira par la

mise en place de moyens et de méthodes propres à les rendre conforme, les

normaliser, les fondre dans la masse de leurs concitoyens. L'imposition de l'oralisme

et l'interdiction de la langue des Signes auront de graves conséquences sur les Sourds

qui avaient senti la nécessité, le besoin de se regrouper en communauté linguistique,

sociale et culturelle. La langue des Signes qui connaissait un processus d’affinement

du code linguistique du fait de sa diffusion scolaire, communautaire commence à se

détériorer. Les enfants internes des grandes Institutions scolaires continuent à

communiquer secrètement entre eux avec un langage visuo-gestuel qui leur sera

propre. Ils intériorisent pourtant un sentiment de dégoût pour les gestes, sentiment

transmis par les enseignants et leurs parents. En effet, les Sourds n'arrivant pas à bien

parler sont des personnes « ratées ». A l'aise entre eux, ils éprouvent un sentiment de

honte et de culpabilité quand ils se trouvent en classe ou à la maison. Ces

phénomènes peuvent être rapprochés des termes empruntés à la psychologie sociale

américaine et repris par NINYOLES (1969) : la haine de soi-même (auto-odi). Le

locuteur impliqué dans un conflit, conflit intérieur, conflit socio-idéologique rejette

son identité linguistique et culturelle et tente de se rapprocher désespérément du

modèle oral dominant qu'il pourra difficilement atteindre du fait de sa déficience. Il

ne peut, durant cette période adopter sa langue, (si elle n'est maternelle du moins

naturelle), la langue des Signes, et ainsi se développer en rupture avec les valeurs

d'une société dominante et adopter un comportement revendiquant l'égalité pour son

groupe linguistique. Ce comportement s'observera beaucoup plus tard, vers les

17 GREMION J, 1990., La planète des Sourds" Édition Messinger, Paris, 144 p.

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années 1970, période dite de renouveau où les Sourds revendiqueront le droit à la

différence, leur propre identité, identité culturelle et linguistique à travers un

bilinguisme : LSF, français écrit (et non plus oral), rejetant ainsi tout processus

d'assimilation ou de substitution.

Mais revenons à la situation répressive déclarant la langue des Signes, « langue

stigmatisée » (MOTTEZ, 1976), incapable d'assumer certains domaines de la

communication humaine, l'éducation et le développement cognitif conceptuel. Cette

situation a conduit à une dégradation de l’acquisition langagière chez nombre

d’enfants sourds et par-là même à une construction de la personnalité délicate,

difficile, hétérogène, un appauvrissement conceptuel, une inhibition corporelle, et

surtout à un échec scolaire massif. Les Sourds en France, à quelques exceptions près,

sont massivement et gravement sous-éduqués. Dans le meilleur des cas, ils

obtiennent un CAP (Certificat d'Aptitude Professionnelle) qui leur permet de gagner

leur vie avec un métier manuel. Ces constats, ces conséquences du Congrès de

Milan, toujours vivace aujourd'hui, sont mis à jour dès 1909 par l'enquête des

psychologues BINET et SIMON: « La méthode orale pure nous paraît appartenir à

une pédagogie de luxe qui produit des effets moraux plutôt que des effets utiles et

tangibles. Elle ne sert point au placement des sourds-muets, elle ne leur permet pas

d'entrer en relation d'idées avec des étrangers, elle ne leur permet même pas une

conversation suivie avec leurs proches, et les sourds-muets qui n'ont point été

démutisés gagnent aussi facilement leur vie que ceux qui sont munis de ce semblant

de parole ». (CUXAC, 1989).

BINET et SIMON préconisent le retour à un enseignement par Signes. Leur mise en

garde conseil restera sans effets.

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LA LSF ET LE RENOUVEAU DU MOUVEMENT SOURD EN FRANCE.

L'amitié franco-américaine. Le retour de l'histoire.

Nous nous proposons de retracer de façon chronologique les principaux

moments d'affirmation du mouvement sourd. Nous datons le renouveau du

mouvement sourd français du VIème Congrès de la Fédération mondiale des Sourds

à Paris, en 1971. Une prise de conscience linguistique est née chez les Sourds et

Entendants français face à la richesse et à l'efficacité des traductions simultanées en

langue des Signes. N'oublions pas qu'en 1971 il n'était pas question de LSF mais de

gestuel ou d'expression gestuelle.

Une association fédère alors les différentes associations régionales de Sourds pour

exercer des pressions auprès des instances ministérielles, l'UNISDA (Union

Nationale pour l'Intégration Sociale des Déficients Auditifs) créée en 1973

présentera des propositions en matière d'éducation puis en 1975 obtiendra la création

d'un journal télévisé hebdomadaire en LSF sur la deuxième chaîne télévisée

nationale.

En 1975, le VIIème Congrès de la Fédération Mondiale des Sourds à Washington va

permettre de découvrir le développement social et linguistique des communautés

sourdes américaines.

Les Sourds américains sont alors en pleine recherche de leur héritage

communautaire et linguistique. L'ASL et la LSF ont un passé commun. Laurent

CLERC , disciple sourd de l'Abbé de l'EPEE a quitté la France pour les États-Unis en

1816 pour fonder avec Thomas GALLAUDET des écoles selon le modèle français.

De ces deux Congrès de Paris et Washington, de cette histoire commune va émerger

une solide coopération culturelle et linguistique.

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Émergence d'une langue, d'une communauté linguistique et culturelle.

En 1976, Bernard MOTTEZ , sociologue au Centre d'étude des mouvements

sociaux du CNRS et Harry MARKOWICZ , linguiste américain auteur de plusieurs

études sociolinguistiques sur la Langue des Signes Américaine, ont créé un

observatoire linguistique et sociologique de la communauté sourde en France. Ils

créent un séminaire à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris. Ce

séminaire sera un lieu de contacts et d'échanges pour des Sourds, des Entendants

d'horizons professionnels et géographiques divers. MOTTEZ et MARKOWICZ

rédigent la revue Coup d'œil, 1977. Cette revue hebdomadaire va vite devenir la

chronique et le catalyseur du mouvement français. En 1976, Alfredo CORRADO,

artiste sourd américain et Jean GREMION , metteur en scène français engagé dans

une recherche sur le théâtre non-verbal, créent L'International Visual Théâtre

(IVT) à Vincennes. Ils feront venir Bill MOODY , comédien et interprète

professionnel en Langue des Signes Américaine, puis Ralph ROBBINS, comédien

américain.

Leur compagnie se compose d'une vingtaine de jeunes adultes sourds. Outre les

activités théâtrales, IVT va engager des recherches linguistiques sous l'impulsion de

Bill MOODY. Cette période d'effervescence linguistique et culturelle verra fleurir

des initiatives ayant toute un dénominateur commun : l’affirmation d’une identité

linguistique et culturelle sourde. Nous ne citerons que les principales :

En 1978, création de l'Académie de la Langue des Signes Française, (ALSF).

En 1980, création de L'Association Nationale Française d'Interprètes pour les

Déficients Auditifs (ANFIDA ), devenue depuis l'ANILS, l'Anpils et maintenant

l'AFILS.

La même année le Congrès de Dourdan, organisé par l'ALSF et Jean-Paul MITT

aura pour thèmes la pédagogie et la reconnaissance de la LSF.

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En 1982, premier Congrès national sur l'éducation bilingue de l'enfant sourd à

Toulouse (organisé par 2LPE) et parution du dictionnaire de Poitiers : « Les mains

qui parlent » .

CUXAC et MOODY vont dans ce climat de revendication linguistique et culturelle

engager la description de la LSF jusqu'alors ignorée par les linguistes. Les

dictionnaires et encyclopédies à l'article sourd affichaient des alphabets

dactylologiques. Le mouvement sourd des années 1970-1980 renoue par son

ampleur et son dynamisme avec l’âge d'or de la LS (fin XVIII ème- fin XIX ème)

durant lequel des pédagogues sourds pouvaient dispenser leur enseignement dans

une langue, la LS, qui avait droit de cité dans les écoles. Ce n’est pas un hasard si la

première description linguistique de la LS s’origine en France de cette période faste

pour les Sourds. Il s’agit des travaux de Rémy VALADE (Censeur à l'Institution

impériale des sourds-muets de Bordeaux, professeur à l'Institution impériale des

sourds-muets de Paris) publiée en 1854 sous l’intitulé « Études sur la lexicologie

et la grammaire du langage naturel des Signes ». Ses réflexions, formulées 30 ans

avant l'interdiction de Milan, ne laissaient en rien présager un avenir sombre pour

les locuteurs de la langue des Signes puisqu’il écrivait :

« Les sourds muets ne sont plus condamnés à l’isolement ; les ténèbres se sont

dissipées autour d'eux; la religion verse dans leur cœur sa douce et pure lumière.

En relation par l'écriture avec la société parlante, ils tendent de plus en plus à s'y

fondre. La possession de la langue maternelle permet de puiser dans nos livres les

richesses qui y sont accumulés. Les arts, les sciences, les lettres comptent parmi

eux plus d'adeptes...Il faut donc reconnaître, l'émancipation des sourds-muets, bien

qu'elle n'ait pas donné toutes ses conséquences, est un fait accompli. » (pp 208-

209)

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Statut de la LSF en France.

Comme nous l’avons vu, le Congrès de Milan en 1880 balaie ces acquis,

interdit l'usage scolaire de la Langue des Signes et lui dénie non seulement son

statut de langue maternelle mais son statut tout court.

La politique d’oralisation aura marqué et marque encore les pratiques linguistiques

des établissements d'enseignement ouverts aux Sourds. Jusqu'en 1993, la Langue des

Signes Française non officiellement reconnue par l'Institution scolaire continuait

d'être pratiquée dans les Foyers ou Associations de Sourds. Cette dispersion explique

sans doute le grand nombre de variétés régionales voire locales (un sourd rouennais

ne connaîtra pas le même usage de la Langue des Signes Française qu'un sourd

parisien, marseillais, toulousain). Notons que la variation linguistique en LSF n’est

pas un obstacle à l’intercompréhension dans la mesure où elle porte principalement

sur des éléments de lexique et non sur des structures syntaxiques. L’actuelle diversité

des usages permet de comprendre aujourd’hui que l'histoire de la LSF est liée à

l'histoire d'un regroupement linguistique et culturel. Les progrès technologiques,

internet, les réseaux sociaux permettent la multiplication rapide des informations, des

échanges visuels. Le regroupement linguistique et culturel précédemment évoqué est

renforcé. La variation linguistique connaît une évolution inéluctable, liée à la

confrontation des usages, des expériences, de la circulation des données numériques.

Variété et Norme linguistique de la LSF.

A l’heure actuelle, malgré les progrès technologiques, la LSF va devoir se

poser, comme toute autre langue, le problème de la définition d’une norme

contraignante pour envisager une diffusion et une extension sociale. Mais arrêtons-

nous un moment sur quelques points théoriques ayant trait à la norme linguistique.

* On appelle norme un système d'instructions définissant ce qui doit être choisi

parmi les usages d'une langue donnée, si l'on veut se conformer à un certain idéal

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esthétique ou socioculturel. La norme, qui implique l'existence d'usages prohibés,

fournit son objet à la grammaire au sens courant du terme.

* La langue fait partie de la norme comme ensemble de connaissances

pratiques et théoriques dont dépend l'intégration à une communauté.

En France, la Langue des Signes, est aujourd'hui reconnue institutionnellement

par la loi du 18 janvier 1991 (loi n° 91-73) et par le décret d'application 92-1132 du 8

octobre 1992. Les dispositions législatives de 2005 relatives à l’égalité des chances

confirment l’importance de la LSF dans les parcours de socialisation, d’intégration

sociale des personnes sourdes. La LSF voit confirmé son statut de langue

d’éducation, Cette reconnaissance répond à une demande sociale importante. Les

institutions et personnels spécialisés chargés des problèmes d'éducation de formation

et d'insertion de cette population sont amenés à intégrer cette langue dans leur

pratique professionnelle. Mais force est de constater qu’il ne suffit pas de voter une

loi pour que son application soit effective sur le terrain. La formation des maîtres,

des professionnels de la surdité, les liens entre les services éducatifs, médicaux,

sociaux constituent un vaste chantier pour les décennies à venir.

Notons, au passage, quelques liens électroniques dédiés à la surdité :

Centre d’information sur la surdité http://www.cis.gouv.fr/spip.php?rubrique20

ANPES (Association Nationale de Parents d’Enfants Sourds : http://anpes.free.fr/

FNSF (Fédération Nationale des Sourds de France) : http://www.fnsf.org/

AFILS (Association Française des Interprètes et traducteurs en Langues des Signes) :

http://www.afils.fr/

IVT (International Visual Theatre) : http://www.ivt.fr/

Visuel LSF: http://www.visuel-lsf.org/

Education Nationale: http://www.education.gouv.fr/cid207/la-scolarisation-des-

eleves-handicapes.html

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Enfin, des mesures législatives contradictoires avec la reconnaissance de la

LSF viennent ralentir voire remettre en cause la diffusion et l’extension sociale de la

LSF.

La loi relative au dépistage précoce de la surdité a soulevé un mouvement de

désapprobation chez celles et ceux qui depuis des décennies œuvre pour la

reconnaissance de la LSF. Des points de vue contradictoires actualisent notre

réflexion sur l’existence d’un conflit diglossique (voir cours de sociolinguistique de

la LSF) entre le français et la LSF. Le corps médical est favorable à la loi sur le

dépistage de la surdité. Les associations de sourds refusent pour la plupart la

médicalisation précoce de la surdité. Voici quelques liens qui montrent que le débat

est ouvert sur la diffusion ou la disparition de la LSF.

http://www.unapeda.asso.fr/article.php3?id_article=1349

http://www.rue89.com/2010/12/01/pourquoi-je-suis-contre-le-depistage-precoce-de-

la-surdite-178644

https://www.chu-reims.fr/actualites/depistage-precoce-de-la-surdite-une-realite-au-

chu-de-reims/

http://ramses.asso.free.fr/J2.pdf

Vous trouverez ci-dessous le lien de l’arrêté du 23 avril 2012 relatif à l'organisation

du dépistage de la surdité permanente néonatale. Cet arrêté rend officiel le dépistage

systématique de la surdité en France.

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025794966

&dateTexte=&categorieLien=id

Pour ne pas conclure ce cours, nous revenons sur la question, préalablement

évoquée, de la norme qui se posera à la LSF comme elle se pose et s’est posée pour

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toutes les langues qui ont connu un développement et une extension linguistique et

sociale

- Qui est habilité à définir la norme de la Langue des Signes Française ?

- Comment résoudre le problème de la variation régionale dans l'établissement

d'une norme ?

- Quelle norme pour quel statut linguistique ?

Revenons rapidement à l'histoire de l'imposition du français pour mieux cerner les

enjeux sous-jacents à l'établissement et l'imposition d'une norme linguistique.

« Le législateur parle une langue que ceux qui doivent exécuter et obéir n'entendent

pas... le Comité a pensé qu'il devrait proposer, comme mesure urgente et

révolutionnaire, de donner à chaque commune de campagne des départements

désignés un instituteur de langue française, chargé d'enseigner aux jeunes

personnes des deux sexes, et de lire, chaque décadi, à tous les autres citoyens de la

commune, les lois, les décrets et les instructions envoyés par la Convention.

La France apprendra à une partie des citoyens la langue française dans le livre de

la Déclaration des droits ». (Rapport du Comité de Salut Public présenté à la

Convention le 27/01/1794, p. X).

Le 27/01/1794 le français devient la langue obligatoire dans tous les actes publics.

Au XVII ème siècle le « bon usage », correspond à l'usage linguistique d'une couche

sociale définie, la « bonne société ». Il sera repris après la Révolution française par

une élite culturelle, la bourgeoisie parisienne cultivée pour servir de fondement à la

norme. Le 19/12/1793 l'instruction primaire est déclarée gratuite et obligatoire. C'est

au nom de la liberté et de l'égalité que s'est imposée la « langue de la liberté », au

nom de la démocratie et de la nation qui se veut une et homogène. Il faudra attendre

un siècle pour que soit mis en place les moyens d'une instruction laïque, gratuite et

obligatoire dispensant un français élémentaire, « langue maternelle » des enfants de

France, langue de prestige nécessaire à la promotion sociale. Les autres langues

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devenaient des « patois » chargés d'indices de péjoration linguistique et sociale. La

norme s'impose comme modèle unique à des groupes de locuteurs régionalement,

culturellement, socialement différenciés déterminant des comportements

linguistiques variés dans le rapport consensuel au langage. L'idée d'un

monolinguisme unissant les citoyens selon un principe de liberté et d'égalité se

heurte au paradoxe de la répression de la liberté linguistique et de l'émergence

d'inégalités face au « bon usage » de la langue française institué en norme.

Pour BAGGIONI (1980), la norme s'inscrit dans un processus dont le moteur est la

multiplication des relations sociales entre groupes initialement isolés:

« Ces caractéristiques sont bien connues : la multiplication des moyens de transport

et de communication, mobilité de la main-d’œuvre, développement des rapports

économiques, destruction des corporations, introduction de techniques nouvelles et

de produits standardisés, tous facteurs d'unification linguistique et/ou culturelle.

l'aspiration à l'unité nationale se nourrit de l'unification linguistique, mais en même

temps la variété linguistique qui s'étend dans une sphère d'influence économique

donnée ne devient pas langue nationale par sa seule diffusion géographique, elle

suppose une certaine homogénéisation du monde de production et d'autres facteurs

d'unification tels que le développement du pouvoir d'État avec ce que cela entraîne

d'unification administrative, la pénétration de la sphère du politique dans tous les

secteurs de la vie sociale. On aura reconnu les caractéristiques de l'État bourgeois

moderne. On sait avec quelle cohérence la bourgeoisie révolutionnaire mena à bien

cette tâche dans la France de 1789. Quoi d'étonnant que dans la vigoureuse

politique linguistique conduite par les révolutionnaires, les problèmes de norme

(choix d'une grammaire pour l'école, établissement d'un dictionnaire) aient tenu une

place centrale. La rationalisation et l'accélération du processus de normalisation

(scolarisation, répression linguistique) est une affaire politique et qui doit être

traitée en tant que telle ». (BAGGIONI D., 1980).

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Ce point de vue insistant sur l'aspect hégémonique du processus d'unification

linguistique au sein d'une formation socio-économique instituée n'est évidemment

pas partagé par les défenseurs de la norme du français.

« La thèse selon laquelle une norme linguistique coercitive peut avoir des incidences

répressives est démentie par l’histoire : la Révolution française a cru devoir mener

son combat de libération au nom de « Liberté, Égalité, Fraternité » en instaurant un

seul français pour tous les citoyens de la République. L'histoire lui a donné raison.

Aujourd'hui, la thèse de la répressivité est notoirement mise en échec par le fait

indéniable que la diffusion la plus large possible de la culture et du savoir est, de

l'avis de tous, un moyen de libération pour toute minorité; or, culture et savoir ne

peuvent précisément être acquis qu'à l'aide de normes linguistiques communes qui

en sont les seules porteuses et dispensatrices dans les États civilisés modernes ».

(MULLER W., 1985)

MULLER W. pose que la conformité à la norme permet au citoyen de se situer lui-

même et par rapport aux autres, que sa connaissance et sa maîtrise sont la condition

de la liberté du citoyen, un gage d'indépendance et de continuité des productions

culturelles d'une nation.

« On peut invoquer des arguments divers pour justifier la norme : elle assure la

continuité des productions culturelles d'une nation en maintenant le libre accès aux

œuvres passées; le sentiment de la langue (qui n'est reconnu qu'à certains), la clarté,

la logique du rapport pensée expression, l'histoire de la langue, l'esthétique » .

(MULLER, 1985).

Ces deux approches de la notion de norme bien que divergentes ont en commun la

mise en relief de sa valeur différentielle et de l'importance des enjeux sous-jacents

aux comportements et revendications linguistiques. La Langue des Signes Française,

au même titre que les langues régionales, a connu, entre autre, les effets de la

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planification linguistique de la France. Dans les années 1970-1980, après un siècle

d'interdiction, s'oppose à la glottopolitique officielle le désir et la revendication de la

Langue des Signes Française, se met en place un processus de construction

linguistique fondé sur une réalité langagière empirique.

Comment les locuteurs de la LSF vont-ils penser la diffusion et l’extension de leur

langue ?

Vont-ils tirer les leçons du passé et éviter l’écrasement de la variation régionale ?

Le problème est d’actualité. Les chercheurs, les linguistes devraient observer la plus

grande prudence en cette période délicate pour le devenir de la LSF.

Norme linguistique de la LSF, la prudence des linguistes.

CUXAC, à propos de la Langue des Signes Française, nous amène à réfléchir

sur la polysémie du terme norme :

« Norme peut signifier en effet, ce qui est commun, donc central à un ensemble de

dialectes censés être des variantes d'une même langue.

La norme en ce sens est la structure même, la base nécessaire et suffisante pour

communiquer facilement dans une aire linguistique donnée... A une autre extrémité,

on appelle norme un usage particulier que l'on cherche à imposer ou à faire

reconnaître à un ensemble de locuteurs n'en ayant pas la pratique, c'est-à-dire, en

fait une surnorme ». (CUXAC, 1993).

Comprenons, la prudence que recommande cette dernière définition à savoir, la

difficulté du linguiste à engager une recherche en direction d'une langue en

élaboration, la Langue des Signes Française et dans un climat politique (dans le sens

de politique linguistique) où le désir de la norme est pressant. C'est dans ce contexte

que naît l'idée de la Langue des Signes Française et de son équipement linguistique :

diversification de son emploi, description linguistique, accès à l'enseignement et à la

culture, émergence d'une culture sourde, accès aux institutions d'état, officialisation.

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La normativisation (affinement du code) et l'extension sociale constituent la

normalisation (KREMNITZ , 1981) qui dans le cas de la Langue des Signes

Française se caractérise par une opposition et une radicalisation des positions entre

les Sourds regroupés en minorité linguistique et culturelle et une glottopolitique

d'état niant leur existence. Le processus d'élaboration de la Langue des Signes

Française n'est pas sans rappeler celui de la langue française exprimée d'une part en

normativisation et extension sociale au détriment des langues régionales et, d'autre

part en légitimation des attributs institutionnels de la langue officielle dominante

dans les situations de conflits linguistiques. L'imposition du français, son

positionnement en norme linguistique absolue s'est effectué parallèlement à la

construction de l'Etat-Nation agissant sur la conscience collective des citoyens en

développant une histoire marquée d'événements fondateurs symboliquement chargés

du mythe de l'unité nationale.

L'étude de BALIBAR 18 (1985), à travers trois moments fondateurs démontre la

puissance de l'enjeu du processus de construction de la norme linguistique dans la

mise en place de la construction étatique française : les Serments de Strasbourg

(14/02/842), le Serment du jeu de Paume (20/06/1789) et les événements

révolutionnaires de 1789-1795, l'institution du français scolaire (1882).

L'idéologie de la langue nationale française repose sur la construction historique de

la Nation et sur l'ancienne notion de civilisation modulée en conscience nationale

après la révolution française. Dans le cas de la Langue des Signes Française, nous

pouvons nous interroger sur le fondement idéologique et social de la conscience

linguistique qui marque et dynamise la tentative de normalisation.

Le cours de sociolinguistique et d’histoire se retrouvent sur la question du statut de

la LSF, des enjeux de sa diffusion scolaire, de son extension sociale.

18 BALIBAR R,1985., L'institution du français. Essai sur le coiinguisme des. Carolingiens à la République, Presses Universitaires de France, 1985, Paris, 421 p.

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L’histoire nous a enseigné que rien n’est définitivement acquis. L’actuel débat sur le

dépistage précoce de la surdité qui a précédé et suivi l’adoption du projet de loi

montre que des visions contradictoires de la différence, de l’altérité sont toujours en

concurrence. Cette opposition, très ancienne porte toujours sur la langue, la langue la

plus appropriée à l’existence, à l’accès au savoir, à l’exercice de la citoyenneté.

L’histoire continue au moment où le point final tombe sur ce cours.

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BIBLIOGRAPHIE

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Les indications bibliographiques (pages 2 et 57) concernent deux cours de l’option

LSF de la Licence de Sciences du Langage et du DU LSF. Il s'agit des cours:

LDS3542C Histoire et statut de la LSF.

LDS3543C Sociolinguistique de la LSF.

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Exemples de sujets qui ont été proposés aux candidats

Exemple 1

Histoire et statut de la LSF

Sociolinguistique de la LSF

Situez les deux extraits ci-dessous dans l’histoire de la LSF et de ses locuteurs.

Analysez les enjeux sociolinguistiques liés au choix linguistique dans l’éducation des sourds

Français. Extrait 1 : « Les stimuli qui sont les supports physiques de la langue maternelle ne leur parviennent pas. Il leur est donc impossible de s’initier par imitation aux usages phonématiques de leurs parents ni de s’engager dans les activités associatives qui lient ce système aux signifiés. Ils ne s’entraînent pas à mettre en œuvre les habitudes intellectuelles qui interviennent dans l’interprétation du sens et dans l’organisation du discours. Privés de moyens de réception et d’expression, ils ignorent leur langue maternelle et sont étrangers au langage. On comprendra que l’objectif majeur de leurs maîtres soit de les introduire dans la communauté linguistique, c’est à dire leur enseigner le vocabulaire et les règles d’usage de la langue tout en leur apprenant à parler et à comprendre ce qui leur est dit sans l’entendre. » (HERREN H., 1971, p 23) Extrait 2 : « Une autre caractéristique importante de ce mode de communication est sa structuration très faible relativement au langage oral. Il est facile de constater qu’il est quasiment agrammatical. Qu’on en juge par ces exemples. L’article n’existe pas. Les genres sont indiqués par le geste « monsieur » ou « papa » et « femme » ou « maman ». L’auxiliaire principal est le signe « faire ». Les flexions sont pratiquement absentes. Le temps des verbes est indiqué par un geste exprimant un état ou une action que l’on fait suivre du signe « autrefois » ou « demain » pour respectivement rendre le passé ou le futur. Beaucoup de signes sont affectés tour à tour d’une valeur active ou substantive. Ainsi la succession des gestes indiquant « moi » et mimant l’action de couper peut-elle signifier « mon couteau » et « je coupe ». Les pronoms et les adjectifs possessifs sont confondus, faute de marques distinctives. Les adverbes et les prépositions sont rares ; l’attribution, la localisation sont exprimées par des oppositions calquées sur des proximités concrètes et non par des équivalents des monèmes fonctionnels de la langue parlée ou écrite. Faute de signes pour exprimer des termes relationnels, l’encadrement antithétique est fréquent, tel celui-ci où la succession des signes gestifs « femme, chien, gros, homme, chat, petit » sera interprété, si le contexte s’y prête : « la chienne est plus grosse que le chat ». Enfin la syntaxe est pauvre. Ainsi le geste qui joue le rôle d’un verbe est-il fréquemment placé après son complément ou avant son sujet (…) La mimo-gesticulation des écoliers sourds, en définitive, livre à l’observation des habitudes hétérogènes à celles qui sont requises par et dans la pratique de la langue. Elle reçoit son canevas de contingences qu’elle décalque mais qu’elle ne domine pas. Elle n’en est pas détachée faute d’outils grammaticaux et de schèmes d’organisation soumis à des règles arbitraires. Ce sont elles qui lui confèreraient l’indépendance par rapport à l’expérience vécue. » (HERREN H., 1971, p 35) HERREN H., 1971, Les implications pédagogiques des surdités profondes et précoces, dans Les handicapés sensoriels, les sourds, Encyclopédie Moderne d’Education, tome 3, Les Editions ESF, Paris.

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Exemple 2

Université de Rouen Licence Sciences du langage option LSF (L3). DU LSF

Télé-Enseignement

Histoire et statut de la LSF

Sociolinguistique de la LSF

Durée de l’épreuve : 2 h

Comment expliquer le retard pris dans la diffusion scolaire et sociale de la LSF.

Quels sont les enjeux sociolinguistiques liés à sa récente reconnaissance officielle en

France ?

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Exemple 3

Histoire et statut de la LSF - Sociolinguistique de la LSF Situez et analysez le document ci-dessous. Quels sont les enjeux sociolinguistiques évoqués par le document ?

La communauté Sourde a pris connaissance le 6 Juillet 2010 par une interview vidéo donnée à Edwige Antier, Députée de Paris, de la proposition de loi 2752 « dépistage de la surdité ». Celle-ci a provoqué un véritable choc au sein du monde sourd qui a beaucoup exprimé ses peurs sur Internet, avec notamment une page Facebook ouverte par Eric Lawrin encourageant nombres d’entre nous à contacter directement l’assemblée nationale ou une Lettre rendue publique de l’association nationale 2LPE PB.

Beaucoup ne comprendront peut-être pas au premier abord les raisons de cette peur générale. Nous proposons ici de vous en ébaucher les fondements. Avant toute chose il faut comprendre que ce n’est pas tant l’idée d’un dépistage qui pose ici un réel soucis, c’est tout le processus qui en découle ensuite, ainsi qu’une politique de désinformation appliquée ces dernières années qui va de le sens de l’extinction de la Langue des Signes Française véritable héritage et patrimoine culturel « vital » de millions de citoyens sourds dans notre pays.

1 – (P)RENDRE LA PAROLE AUX SOURDS ! L’Histoire sourde en France a été frappée par de virulents débats sur la nature du langage qui ont conduit en 1880 lors d’un Congrès à Milan à l’interdiction généralisée dans les écoles de la Langue des Signes. Médecins, Religieux et Scientifiques se sont ligués contre une langue gestuelle selon eux archaïque et définitivement nocive. Une écrasante majorité a alors prôné la méthode ORALISTE. La volonté étant selon eux de « rendre la parole aux sourds ». En voici un extrait saisissant, 1880 – Congrès de Milan, Résolution I : « Le Congrès, considérant l’incontestable supériorité de la parole sur les signes pour rendre le sourd-muet à la société et lui donner une plus parfaite connaissance de la langue, Déclare : Que la méthode orale doit être préférée à celle de la mimique pour l’éducation et l’instruction des sourds-muets ». C’est ainsi que durant, tenez-vous bien, 1 siècle entier, l’interdit a été maintenu en France. Nos parents témoignent qu’ils ne pouvaient signer entre eux qu’en cachette ou dans la cour de récréation ! C’est seulement La loi du 11 février 2005 qui met fin officiellement à l’obligation de la méthode

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orale pour l’éducation des sourds en France (l’amendement de 1991 avait déjà autorisé les parents à choisir entre une éducation bilingue ou orale uniquement). Désormais, la langue des signes est considérée au même titre que la langue française et les sourds ont le droit de bénéficier d’une éducation en langue des signes dans n’importe quelle école en France. Aujourd’hui, les écoles donnant accès à une éducation en Langue des Signes Française se font de plus en plus rares et ceci a pour effet de causer l’échec scolaire retentissant de bon nombre de personnes sourdes.

2 – MÉDICALISER LA SURDITÉ ! Dans la plupart des cas, pour des parents entendants, apprendre que leur nouveau-né est diagnostiqué sourd est vécu comme un drame. Savoir très tôt que l’enfant est sourd, pourquoi pas mais ceci implique alors sur lui un regard médical très souvent déformé. Le bébé est alors vu comme malade à guérir à tout prix et non plus comme être humain doté d’autres moyens de communication pour s’épanouir pleinement. Ce regard médical remonte ai XIXe siècle et est porté par les travaux d’Itard et de Ménières, tous deux médecins chefs de l’Institut des sourds de Paris. Itard donnant lieu à la première classification audiométrique de la surdité en 1842. Ces recherches ont révélé un véritable acharnement de la part des scientifiques à vouloir soigner, éradiquer la surdité par le biais de traitements expérimentaux faisant des enfants sourds de véritables souris de laboratoire (hypnose, trépanation, bains forcés dans la Seine à Paris…). Aujourd’hui L’implant cochléaire posé sur les enfants sourds profonds dévoile un refus de la part de la médecine à accepter une organisation biologique différente de la norme (voir les travaux de Harlan Lane, 1992). C’est un entêtement de la médecine à faire des personnes sourdes des entendants (ou sourds selon le regard) contrariés. L’implant cochléaire complètement infructueux dans de nombreux cas (les témoignages pleuvent), fatal dans certains (décès, séquelles violentes), est pourtant la solution systématiquement proposée aux parents entendants par les médecins, lorsque l’enfant atteint l’âge de 3 mois.

Il est avéré que depuis 30 ans les organisations en place passent outre la loi de 2005 en mettant des pressions sur les familles vers une décision oraliste, et thérapeutique.

Le dépistage en soit n’est pas un problème, qu’il soit précoce ne regarde que les parents, mais n’oubliez pas d’INFORMER, l’implant est peut-être une solution pour certains mais la Langue des signes est officiellement aussi pour des millions. Nous espérons que cette ébauche aura réussi à informer le lecteur curieux, et nous nous battrons pour le maintien de la Langue des Signes Française.

Nous pourrions développer ces points davantage, mais notre message doit être clair :

LE COLLECTIF DE SOURDS , MALENTENDANTS et ENTENDANTS MAINS

DIAMANT DIT NON AU DEPISTAGE SYSTÉMATIQUE DE LA SURDITE CAR

ELLE MENACE L’EPANOUISSEMENT DES PERSONNES SOURDES EN

FRANCE.

Source : http://www.mainsdiamant.com/2010/11/19/non-au-depistage-systematique-de-la-surdite/

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Table des matières

Table des matières

INFORMATION .............................................................................................................................................................. 1

HISTOIRE ET STATUT DE LA LSF. ........................................................................................................................... 2

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE ............................................................................................................................................ 2

DONNEES HISTORIQUES. ................................................................................................................................................. 4

Naissance et histoire d'une communauté, d'une langue. ......................................................................................... 4

Moyen Age. .............................................................................................................................................................. 6

XVIème siècle : Prise de conscience d'une réalité linguistique. .............................................................................. 11

XVIIème-mi-XVIIIème, L'oralisme à l'honneur. ........................................................................................................ 15

Mi-XVIIIème-XIX ème. Les gestes triomphants ............................................................................................................. 20

Le mouvement sourd. ............................................................................................................................................. 25

Le Congrès de Milan (6-11/09/1880) .................................................................................................................... 38

LA LSF ET LE RENOUVEAU DU MOUVEMENT SOURD EN FRANCE. ................................................................................ 45

L'amitié franco-américaine. Le retour de l'histoire. .............................................................................................. 45

Variété et Norme linguistique de la LSF. .............................................................................................................. 48

BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................................................... 57

TABLE DES MATIERES .............................................................................................................................................. 65