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Le passé éclaire le présentwww.historia.fr MAI 2015 - N° 821
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SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 3
ÉDITORIAL
Éric PincasRédacteur en chef
HISTORIA – 8, rue d’Aboukir, 75002 Paris. Tél. : 01 70 98 19 19. www.historia.fr Pour joindre votre correspondant, veuillez composer le 01 70 98 suivi des quatre chiffres figurant à la suite de chaque nom.Président-directeur général et directeur de la publication : Thierry Verret. Directeur éditorial : Maurice Szafran. Directeur délégué : Jean-Claude Rossignol. Secrétaire général : Louis Perdriel. Assistante de direction : Gabrielle Monrose (19 06).Abonnements : Historia service abonnements, 4, rue de Mouchy, 60438 Noailles Cedex. Tél. France : 01 55 56 70 56. Étranger : 00 33 1 55 56 70 56. E-mail : [email protected] France : 1 an, 10 nos + 1 no double Historia : 60 € ; 1 an, 10 nos + 1 no double Historia (mensuel) + 6 Historia Spécial (bimestriel) : 88 €. Tarifs pour l’étranger : nous consulter. Anciens numéros : Sophia Publications, BP 65, 24, chemin Latéral, 45390 Puiseaux. Tél. : 02 38 33 42 89.RÉDACTION Rédacteur en chef : Éric Pincas (19 39). Rédacteur en chef adjoint chargé des Spéciaux : Victor Battaggion (19 40). Assistante : Florence Jaccot (19 23). Secrétaires de rédaction : Alexis Charniguet (19 46) ; Xavier Donzelli (19 45) ; Jean-Pierre Serieys (19 47). Directeur artistique : Stéphane Ravaux (19 44).Rédacteur graphiste : Nicolas Cox (19 43). Rédactrices photo : Annie-Claire Auliard (19 42), Claire Balladur Segura (19 41).Conception de la couverture : Dominique Pasquet.Conseillère éditoriale : Georgette Elgey.Comité éditorial : Georgette Elgey, Patrice Gélinet, Rémi Kauffer, Catherine Salles, Laurent Vissière, Olivier Coquard.La rédaction est responsable des titres, intertitres, textes de présentation, illustrations et légendes.Responsable de la comptabilité : Sylvie Poirier ; comptabilité : Teddy Merle (19 15).Ressources humaines : Agnès Cavanié (19 71).Directeur des ventes et promotion : Valéry-Sébastien Sourieau (19 11) ; ventes messageries : À juste titres – Benjamin Boutonnet – Réassort disponible : www.direct-editeurs.fr – 04 88 15 12 41. Agrément postal Belgique n° P207 231.Responsable marketing direct : Linda Pain (19 14) ; responsable de la gestion des abonnements : Isabelle Parez (19 12).Communication : Florence Virlois (19 21).Fabrication : Christophe Perrusson.Activités numériques : Bertrand Clare (19 08).RÉGIE PUBLICITAIRE : Mediaobs – 44, rue Notre-Dame-des-Victoires, 75002 Paris. Fax : 01 44 88 97 79. Directeur général : Corinne Rougé (01 44 88 93 70, [email protected]) ; directeur commercial : Jean-Benoît Robert (01 44 88 97 78, [email protected]) ; publicité littéraire : Pauline Duval (01 70 37 39 75, [email protected]). www.mediaobs.comImpression : G. Canale & CSPA, via Liguria, 24, Borgaro T. se 10071, Turin (Italie). Imprimé en Italie/Printed in Italy. Dépôt légal : septembre 2015. © Sophia Publications. Commission paritaire : n° 0316 K 80413. ISSN : 0018-2281. Historia est édité par la société Sophia Publications.Ce numéro contient un encart abonnement Historia sur les exemplaires kiosque France + Etranger (hors Suisse et Belgique). Un encart abonnement Edigroup sur les exemplaires kiosque Suisse et Belgique. Un encart National Geographic sur une sélection d’abonnés.
Photomontage de couverture : Christoph Gerigk ©Franck Goddipo/Hilti Foundation
La passion envers et contre tout
Égyptomaniaques ! Depuis le début du XIXe siècle et la campagne d’Égypte conduite par Bonaparte, les Français nourrissent une fascination sans bornes pour le pays aux sables d’or irrigués par les eaux du Nil. Dieux aux visages étranges, rituels religieux recou-
verts du sceau du secret, magie noire, pratiques funéraires synonymes de vie éternelle… Autant de curiosités qui ont su nous rendre ce pays irrésistible.Avec l’émergence du tourisme de masse dans les années 1960, les avions en partance pour Le Caire ne désemplissent plus. Une attractivité brisée net en 2011, au lendemain des révolutions du Printemps arabe et de la montée du radica-lisme religieux. Le spectre du terrorisme a fait fuir les visi-teurs. Les temples millénaires renouent désormais avec leur silence originel, et les bateaux longeant les rives du Nil sont pour beaucoup devenus des coquilles vides. Pour combien de temps encore ?Qu’à cela ne tienne. L’Égypte ne se résigne pas, ses institu-tions culturelles non plus, déterminées qu’elles sont à pro-mouvoir son exceptionnel patrimoine archéologique. Pour preuve, l’exposition « Osiris, mystères engloutis d’Égypte », qui s’ouvre à Paris à partir du 8 septembre à l’Institut du monde arabe. Nul doute que le succès populaire sera une fois de plus au rendez-vous, perpétuant une tradition initiée en 1967 avec l’exposition sur Toutankhamon, qui avait attiré plus de 1,2 million de curieux au Petit Palais. Pour la pre-mière fois en France, plus de 250 objets mis au jour dans les fonds marins de la baie d’Aboukir témoignent du culte mys-térieux rendu à Osiris dans les cités de Thonis-Héracléion et de Canope, aujourd’hui englouties.Historia passe au révélateur ces indices qui nous renseignent sur l’un des cultes fondateurs de la civilisation égyptienne. Au-delà de cette exposition, nous vous invitons à une immersion dans l’Égypte des cérémonies secrètes et de la magie. Pour enfin comprendre ce qui se passait, à l’abri des regards, dans l’obscurité des temples, là où se tissait au quo-tidien ce lien indéfectible entre les dieux et les hommes. Avec, pour seul souci, le maintien de l’harmonie du monde. Vaine espérance ?
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Pascal Marchetti-LecaProfesseur de lettres à l’université de Corse, il revient sur le pro-cès qui a marqué les années 1930, celui de Violette Nozière, 18 ans et parricide (p. 62).
Yetty HagendorfL’archéologue Franck Goddio s’est entretenu avec notre journaliste et lui a relaté les secrets d’Osiris, engloutis et redécouverts dans la baie d’Aboukir (p. 34).
Joëlle ChevéCette grande spécia-liste du Grand Siècle nous conte l’agonie et le crépuscule du Roi-Soleil, qui s’éteignit il y a tout juste trois cents ans (p. 56).
Claudine Le Tourneur d’IsonIsis, magicienne et protectrice du peuple de Pharaon, nous est évoquée par cette égyptologue et grand reporter (p. 28).
Anne Gros de BelerArchéologue, éditrice et chargée de cours en égyptologie à l’uni-versité de Nîmes, elle révèle les croyances religieuses des anciens Égyptiens (p. 22).
6 ActualitésÀ quoi servent les historiens ?
12 À l’afficheExpositions, cinéma, théâtre…La sélection d’Historia
18 L’art de l’HistoireFragonard, esprit galant et libre pinceau
56 Ce jour-làLa mort de Louis XIV
62 PortraitViolette Nozière, fleur du mal et parfum de scandaleCondamnée à mort en 1934, l’étudiante voit sa peine allé-gée par Lebrun puis Pétain, avant d’être graciée par de Gaulle…
68 Les hauts lieux de la préhistoireStonehenge
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DossierÉgypte, les mystères d’Osiris révélésÀ l’occasion de l’ouverture de l’exposition consa-crée aux récentes découvertes archéologiques faites par Franck Goddio, Historia se penche sur les grandes cérémonies qui perpétuaient les mythes fondateurs de la civilisation égyptienne.
// 22 Les Égyptiens, « les plus religieux des hommes »
// 28 Les secrets du culte d’Isis
// 34 Les mystères d’Osiris sauvés des eaux
// 40 Le dieu du Nil entre en Seine
// 42 Passeport pour l’étrange pays des morts
// 48 La magie noire, arme fatale contre les forces du mal
70 L’inédit du moisJean Carmet échappe au STO
71 Un mot, une expressionMédusé
72 Pas si bête !Le rhésus, un singe positif
74 L’air du tempsEt moi, et moi, et moi…
77 Un illustre inconnuCincinnatus
78 MythologieLe chant des Sirènes
80 ReportageLes églises de boisEn Norvège, le christianisme médiéval a, là aussi, bâti des temples à la gloire du Christ… mais d’une façon bien particulière, où le pin remplace la pierre.
88 Mots croisés
90 Livres
98 Les couacs de l’HistoireQuand Rousseau se liquéfie
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ACTUALITÉS/ ENTRETIEN
Le projet de programme d’histoire a déclenché la polémique : la France y serait négligée, voire dénigrée. Claude Gauvard et Jean-François Sirinelli profitent du débat pour s’interroger sur le rôle actuel de l’historien.
À quoi servent les historiens ?
Propos recueillis par Véronique Dumas
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 7
À quoi sert l’histoire, quel est le rôle des historiens et quelle est leur place dans la société ? Claude Gau-vard, professeur émérite d’histoire du Moyen Âge à la Sorbonne, et
Jean-François Sirinelli, professeur d’his-toire contemporaine à Sciences po, égale-ment rédacteurs en chef de la Revue histo-rique , sont particulièrement qualifiés pour répondre à ces questions. Ils publient ce mois-ci aux Presses universitaires de France le Dictionnaire de l’historien. Fruit de quatre années de travail collectif qu’ils ont dirigé, cette somme, riche de 355 entrées – d’ « Absolutisme » à « Vulgarisation », d’ « Émo-tions » à « Mondialisation » en passant par « Réseau » –, rédigées par 200 auteurs, s’ins-crit dans la tradition des dictionnaires thé-matiques destinés aussi bien aux lecteurs curieux qu’aux spécialistes. Cet ouvrage, qui dresse un état des lieux de la recherche, paraît au moment même où la discipline his-torique traverse une forte crise d’identité.
Historia – Depuis quand l’existence de l’historien est-elle attestée ?Claude Gauvard – Tout dépend de ce que l’on entend par historien ! Nous désignons le grec Hérodote (v. 484 - v. 420 avant notre ère) comme le premier, parce qu’il répond à un cer-tain nombre de critères définissant celui qui recherche la vérité historique : il est en quête de preuves, décrit ce qui l’entoure et replace les faits dans le passé. Le métier d’historien, au sens professoral du terme, n’apparaît qu’au XIXe siècle, mais il serait faux de dire que l’his-toire est née à cette époque.C’est en fait une question de jugement, une construction de notre part. Les historiens médiévaux, outre la collecte d’« histoires » et d’anecdotes, se donnent pour mission de mon-trer le déroulement des faits depuis l’origine du monde, grâce à l’établissement d’une chro-nologie, ce qui n’a pas été sans difficultés (il suffit de consulter l’entrée « Chronologie » de notre ouvrage pour s’en rendre compte !). Ils partent des origines, du péché originel, pour montrer la voie vers un monde consi-déré comme meilleur et salvateur, avec des perspectives eschatologiques. Leur objectif : que l’histoire contribue au salut des hommes.
H. – Quel a été son rôle à travers les siècles ? A-t-il rempli une fonction politique ?Jean-François Sirinelli – L’historien, même si le mot peut paraître parfois anachronique, est un intellectuel. Comme il donne du sens à un passé aboli et met en circulation des idées, le pouvoir politique a intérêt, à certaines époques tout au moins, à diriger l’histoire, à la mettre en musique et en scène.C. G. – Au Moyen Âge, l’historien appartient au clergé. Et il a pour mission de dire le vrai, donc il s’engage forcément en politique. L’historien est toujours engagé dans son temps. Celui du Moyen Âge n’est pas plus niais que celui du XXIe siècle. Il répond aux exigences de son époque en étant impliqué dans la réflexion sur le devenir de la civilisation.
H – Quel a été son impact sur l’évolution de la société ?J.-F. S. – Tout dépend du régime politique et du statut de l’historien. Certains appartenaient
DICTIONNAIRE DE L’HISTORIEN (éd. PUF, sept. 2015) 355 grands thèmes
(les sensibilités, la
culture de masse, la
mondialisation…)
traités en respectant
la chronologie
et la diversité
historiographique.
LU ET APPROUVÉ À partir du XIIe s., les moines de Saint-Denis rédigent les Grandes Chroniques de France, recueil officiel de l’histoire de France.• Présentation des Grandes Chroniques à Philippe III, miniature de Jean Fouquet (XVe s.).
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8 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
ACTUALITÉS/ ENTRETIEN
« L’objectivité n’existe pas. Nous sommes partie prenante de notre temps, mais notre vertu première, c’est la tolérance. »Claude Gauvard
réception. Il faut que la chaîne soit complète et réunie dans un régime de libre expression – pour la période contemporaine – pour que l’historien ne risque ni sa vie ni sa liberté. Lorsque les maillons deux et trois sont cana-lisés et contrôlés par le pouvoir, l’histo-rien risque parfois sa liberté, voire sa vie.
H. – Un historien peut-il être objectif ? J.-F. S. – Fénelon a dit que « le bon historien n’est d’aucun temps ni d’aucun pays ». En soi, ce devrait être sa ligne d’horizon dans la pratique de son métier, sauf qu’elle se dérobe toujours ! Car il est rattaché à son milieu, à son pays, à son époque par de multiples adhérences. Plus que de l’objectivité, la société est en droit d’attendre de nous de la « subjectivité bridée », c’est-à-dire connue, assumée, et en partie neutralisée, et de l’équanimité. Il faut connaître son for inté-rieur… et le maîtriser !C. G. – C’est que l’objectivité n’existe pas ! Nous sommes partie prenante de notre temps. Il y a des entrées dans ce dictionnaire, comme « Réseau », qui n’auraient jamais existé vingt ans auparavant. L’une des plus grandes vertus de l’homme, et de l’historien, c’est la tolérance. Sans quoi, par exemple, on ne peut comprendre le Moyen Âge, une civilisation si différente de la nôtre. Poser un regard sur le passé, c’est aussi poser un regard sur l’Autre et essayer de trouver la vérité tout en ayant du recul.
H. – Quelles ont été les écoles historiques françaises ? Et quelle a été la plus pérenne ?C. G. – Les premières grandes écoles sont celles qui, d’une certaine façon, ont fondé au XIXe siècle la discipline historique. Il y a tout d’abord la recherche façonnée par l’École des chartes (1821), puis l’école méthodique de la Revue historique de 1876, fondée par Gabriel Monod – c’est celle de la IIIe République, des programmes d’histoire voulus par Jules Ferry et donc de la fameuse Histoire de France de Lavisse (10 tomes, 1900-1912). Cette école his-torique a ensuite dérivé vers l’institutionnel : faire de l’histoire, c’était chercher des archives et décrire les institutions, d’où la création, en réaction, de l’école des Annales en 1929 avec
aux élites et avaient un pouvoir d’influence, d’autres n’étaient que des porte-voix. Il y a tout de même une ère que l’on pourrait appeler celle des libertés publiques. En France, elle s’ouvre à partir des dernières décennies du XIXe siècle. La liberté d’opinion et d’expression s’affirme alors. À partir de là, les historiens ont, il est vrai, parfois joué un rôle dans une vision répu-blicaine du passé.
H. – Peut-il y exister des historiens sans démocratie ? C. G. – Bien sûr ! Prenez ceux qui sont au ser-vice du roi ou de la noblesse. Les Grandes Chro-niques de France ont été traduites à la demande de Saint Louis du latin vers le français par le moine Primat de Saint-Denis. Elles débutent avec les origines troyennes de la royauté et de Paris. C’est de l’histoire vue par quelqu’un convaincu que Dieu est le pivot du monde et que c’est vers Dieu qu’il faut aller pour expliquer l’histoire. La démocratie a permis à celle-ci de se diffuser, ce qui n’est pas la même chose.J.-F. S. – À l’âge démocratique, la démocratie libérale a été confrontée à des régimes auto-ritaires, voire totalitaires, sous lesquels les historiens n’ont pas pu exercer véritablement leur métier. C’est alors presque une histoire des catacombes. À l’époque contemporaine, les grands systèmes historiographiques se sont construits dans les régimes démocratiques, pas dans les régimes totalitaires.Faire de l’histoire, c’est en effet un acte cultu-rel qui s’effectue en trois phases : la créa-tion du savoir, la circulation des idées et leur
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« Les sociétés n’aimant pas leur passé sont malades. L’historien est une bouée de sauvetage empêchant le naufrage. »Jean-François Sirinelli
Marc Bloch et Lucien Febvre. Elle mettait, pour la première fois, au cœur de l’histoire les événements sociaux-économiques et les structures. Puis on a évolué vers le structu-ralisme. Faire de l’histoire politique, c’était ringard à la fin des années 1960. Je suis une élève du médiéviste Bernard Guenée (1927-2010). Sa recherche s’est enrichie des apports de l’anthropologie et de la sociologie. On a alors davantage étudié le lien entre l’homme et le politique puis, aujourd’hui, entre le politique et les acteurs sociaux : le politique n’est pas seu-lement le fait des élites, mais celui du peuple, au sens le plus noble du terme.
H – Quel peut être, aujourd’hui, le rôle de l’historien ?J.-F. S. – L’historien essaie de restituer un passé aboli, qui fut et qui n’est plus. Par la pra-tique d’un certain nombre de règles, il tente de le reconstituer – même s’il sait que c’est tou-jours partiel – et de lui donner du sens. Les sociétés qui ne se soucient pas de leur passé, ou qui ne l’aiment pas, sont malades, amné-siques. Cela va même plus loin à l’heure d’In-ternet. L’historien est une bouée de sauvetage pour empêcher un naufrage des sociétés dans l’espace-temps. Aujourd’hui, il doit relever des défis de natures très différentes : il est le citoyen d’un État-nation et d’un monde qui est en complète mutation, notamment culturelle, la plus rapide qu’ait connue notre histoire, au moins depuis la Renaissance. Disons le tout clair : je n’exerce plus mon métier comme je le faisais à mes débuts. Prenons l’exemple de l’informatique. Par le passé, nous restions des heures dans les archives à chercher un document. Aujourd’hui, la numérisation sur place et à distance nous fait gagner un temps précieux, mais elle pose, elle aussi, un pro-blème : qu’est-ce qu’une archive numérisée dans un régime non démocratique ? Puis-je avoir confiance dans les services archivis-tiques d’une dictature ?Se pose aussi la question de la sociabilité des historiens. Avant 1914, il y avait une Europe des historiens. Elle a disparu à cause de la guerre et des luttes idéologiques du XXe siècle.
L’histoire est devenue internationale et l’his-toriographie européenne n’est plus qu’un finistère de la production historiographique mondiale. Le dernier changement concerne les thèmes d’étude. L’histoire dite « globale » ou « connectée » est quelque chose d’incon-testable. Ce n’est pas qu’une mode. Même lorsque l’on étudie l’histoire franco-française, elle doit être prise en compte. Lorsque j’étu-diais par exemple l’évolution du Front natio-nal dans les années 1980, je pouvais encore m’en tenir à la France. Aujourd’hui, c’est impossible. On ne peut pas ne pas prendre en compte le populisme européen. Même chose pour l’histoire culturelle française, dans laquelle vient s’imbriquer la culture-monde.C. G. – Une autre question se pose : dans quelle langue les historiens français doivent-ils écrire ? C’est un problème essentiel. Aucune bibliographie française n’est citée dans les publications internationales. L’anglais est la langue de la mondialisation. C’est un défi de nous faire reconnaître. L’école française est incontournable mais nous sommes obligés de faire des résumés en anglais de nos articles. L’idéal serait de les traduire en entier et de les publier dans une revue bilingue.J.-F. S. – L’historien est engagé dans la défense de sa langue. Pour rendre compte d’une réa-lité abolie, il a besoin de la nuance des mots. Cet anglais international permet la communi-cation mais il appauvrit le vocabulaire. À un moment donné, c’est la discipline elle-même qui s’appauvrit.
PILIERS Marc Bloch (1886-1944, en haut) et Lucien Febvre (1878-1956), fondateurs de l’école des Annales, qui tournera le dos à l’« histoire-bataille » en mettant au centre de la recherche les sujets économiques et culturels.
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ACTUALITÉS/ ENTRETIEN
H. – Les historiens sont-ils suffisamment sollicités dans l’élaboration des programmes scolaires ?J.-F. S. – Le travail de l’historien est d’établir le passé, mais il n’en est pas propriétaire. Il est non seulement un savant, mais aussi un agent de transmission. On sait bien que pour des rai-sons de volume on ne pourra pas tout mettre dans les programmes. On débouche sur la notion de choix et donc de tri. C’est à ce moment que les difficultés commencent. La connais-sance historique est au cœur de la culture générale et c’est là qu’elle devient un enjeu politique. Que doit-on transmettre ? Ce qui est compliqué, c’est la chaîne de commandement et les choix des programmes, d’autant plus que l’histoire se retrouve écartelée entre des impé-ratifs devenus contradictoires – notions d’his-toire nationale d’une part et d’histoire globale d’autre part en sont deux exemples. L’histoire mondiale a le vent en poupe, alors qu’est-ce qu’une histoire nationale ? L’historien ne peut trancher mais souhaite, en revanche, être associé à la réflexion.C. G. – C’est une question complexe parce qu’il y a des informations fausses qui circulent – par exemple à propos de l’Islam. Il a tou-jours été enseigné. Il est évident que l’histoire nationale, lorsqu’elle n’est pas confondue avec l’histoire de la nation France, c’est l’histoire d’un territoire qui s’est construit à travers les siècles et s’appelle la France. Il est fondamen-tal que ses habitants connaissent son passé. Mais il faut apporter un bémol, car ce territoire est traversé, depuis les origines, de migrations successives. Ce qui fait l’unité de ces migra-tions, c’est que les habitants ont vécu des événe-ments communs. On ne peut pas, au XXIe siècle, ne pas savoir qu’il y a une circulation des idées et des hommes à l’échelle mondiale.J.-F. S. – Le débat porte aussi sur la chronolo-gie. Les historiens ont le sentiment qu’elle est malmenée, mais également qu’elle est absente ! Il ne faut pas oublier que faire de l’histoire, c’est faire l’histoire de groupes humains dans le temps. C’est cela, la fonction de l’histoire ! L
HISTORIA – Beaucoup de critiques ont été for-mulées contre le premier projet réformant le pro-gramme d’Histoire au collège…MICHEL LUSSAULT – C’est surtout sur le pro-gramme des classes de 5e, 4e et 3e que les critiques se sont concentrées. Les principales étaient de deux ordres : d’une part, le fait que nous avions proposé des choix aux professeurs en matière d’entrée dans des thématiques ; l’autre point concerne ce qui est censé n’être plus enseigné. Il y a eu une polémique sur l’idée que l’on imposerait l’étude de la naissance de l’islam et que l’on rendrait facultative celle de la chré-tienté. Elle est rocambolesque et absente des textes. Il y avait aussi une mise en accusation d’une vision repentante et trop peu nationale de l’histoire. Les pro-grammes sont au contraire plutôt attentifs à suivre l’évolution de l’histoire de France. Ces débats révèlent surtout les tensions de la société actuelle. HUBERT TISON – La première critique, et non des moindres, porte sur les questions de cours obliga-toires et facultatifs. En classe de 5e, l’enseignant pou-vait choisir d’enseigner ou non, par exemple, « La société rurale encadrée par l’Église », « Les Empires byzantin et carolingien entre Orient et Occident » ou
COLLÈGES : FIN DE L’HISTOIRE ?En 2009, avec sa campagne « Sauvons l’histoire », Historia a été le premier magazine à alerter l’opinion sur les menaces pesant sur l’enseignement de cette matière. Où en sommes-nous en cette rentrée 2015 ? Le point avec Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes (CSP), et Hubert Tison, secrétaire général de l’Association des professeurs d’histoire-géographie, réservé quant à la pertinence des choix opérés par le CSP.
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 11
MICHEL LUSSAULT Géographe,
président du
Conseil supérieur
des programmes,
chargé d’émettre
des propositions
sur la conception
des enseignements.
HUBERT TISON Secrétaire général
de l’Association
des professeurs
d’histoire-
géographie,
rédacteur en chef de
la revue Historiens et géographes.
« Le monde vers 1500 » ; en quatrième, même chose pour « Sociétés et cultures au temps des Lumières » et « La révolution américaine ». Ces choix auraient créé des disparités sur le territoire entre les élèves. Deu-xième point : le fait de placer la Première Guerre mon-diale en fin de classe de 4e serait malvenu à l’heure de la célébration du centenaire. Enfin, la réforme du collège applicable en un an. Cela entraînerait notam-ment un problème majeur pour la mise au point des cours et la livraison des manuels scolaires.
H. – À l’occasion du colloque organisé en juin pour apaiser les tensions, quelles modifications ont été apportées ?M. L. – À l’heure où je vous réponds, les modifica-tions ne sont pas toutes terminées, mais nous allons insister sur le fait que les professeurs puissent exer-cer leur liberté en matière de thèmes tout en la limi-tant à ce domaine. Nous allons renforcer certains points concernant la classe de 5e. Le thème 1 (« La Méditerranée, un monde d’échanges : VIIe-XIIIe s. ») sera présenté comme une étude des relations entre, d’une part, l’Islam et ses différentes formes de gou-vernement et, d’autre part, entre l’Empire islamique et ses homologues byzantin et carolingien. Pour le second thème (« Société, Église et pouvoir politique dans l’Occident chrétien, XIe-XVe s. »), nous allons insister sur ce qui renvoie à la vie religieuse et au rôle de l’Église dans la société. Nous allons aussi modi-fier « Le monde vers 1500 » – désormais intitulé « Le monde de Charles Quint et de Soliman le Magni-fique » – afin qu’il y ait une ouverture sur l’Empire ottoman. Et l’enseignement de la Première Guerre, prévu en quatrième, repassera en troisième.H. T. – Une réécriture a été entreprise par le Conseil supérieur des programmes pour tenir compte des cri-tiques. Les propositions privilégient désormais les questions obligatoires, repositionnent en troisième l’enseignement de la Première Guerre mondiale, pré-conisent des liens plus stricts avec le programme dans le cadre des enseignements pratiques inter-disciplinaires (EPI) et militent pour un échelonnement de l’application des programmes.
H. – Suffiront-elles à rassurer les historiens ?M. L. – Cela ne rassurera pas tous ceux qui sont de mauvaise foi ! En revanche, cela assurera aux profes-seurs et aux familles un programme équilibré, sérieux, qui permettra aux élèves d’appréhender des grands traits de l’Histoire, nécessairement de manière chro-
nologique mais lacunaire. Il est impossible d’avoir une couverture exhaustive de l’histoire universelle. H. T. – Nous sommes vigilants et nous attendons le projet définitif début septembre pour juger sur pièce. Ce qui n’a pas été rassurant a été la remise en ques-tion de la culture générale. La création des EPI a été vécue comme une volonté d’amoindrir le disciplinaire et de rogner sur un horaire déjà amoindri.
H. – N’y a-t-il pas une autre solution que de choi-sir entre histoire globale et histoire nationale ?M. L. – Nous essayons de ne pas choisir. C’est une contradiction artificielle. Nous essayons de montrer que l’histoire nationale est toujours une histoire glo-bale et que l’histoire globale est toujours une histoire de sociétés situées dans le temps et l’espace. Il faut trouver le bon équilibre entre histoire nationale et his-toire de l’Europe et du monde, entre histoire sociale et culturelle et histoire politique… Ce n’est pas facile.H. T. – Il est possible de concilier les deux approches selon les thèmes abordés. Ainsi l’Europe et le monde du XVIe siècle et du XIXe siècle, en quatrième, montre l’ouverture. Mais à côté du point de vue occidental, il faut montrer l’Autre, son histoire, sa culture, ses échanges, par exemple, avec les peuples d’Amérique latine. Il faut croiser les regards. Étudier l’histoire de France est nécessaire, pour la cohésion nationale, pour les jeunes qui ont besoin de repères dans le temps et l’espace. Mais l’étude doit être ouverte sur les apports des migrations, sur l’Europe et le monde. Elle ne doit pas être repliée sur elle-même.
H. – Est-il possible d’alléger les programmes – ce que tous les intervenants réclament – sans déva-loriser cette discipline ?M. L. – Un programme scolaire, c’est la quadrature du cercle. Les contraintes l’emportent sur les capa-cités d’expression. Si l’on veut l’alléger, il faut renon-cer à aborder certains faits historiques. Dans notre scolarité obligatoire, nous sensibilisons les élèves à une histoire à spectre large. Il ne s’agit pas non plus de leur fournir uniquement une vague frise chronolo-gique commentée. Les programmes d’histoire et de géographie ne servent pas qu’à apporter des connais-sances chronologiques, mais à aussi donner à l’élève des outils qui lui permettent de comprendre le récit que les sociétés produisent sur leur propre passé.H. T. – C’est possible, mais il sera difficile de le faire dans un cadre horaire réduit à la portion congrue… ■ Propos recueillis par Véronique Dumas
COLLÈGES : FIN DE L’HISTOIRE ?
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À L’AFFICHE
12 HISTORIASEPTEMBRE 2015
Le face-à-face entre le conquistador Francisco Pizarro et le souverain inca Atahualpa, le 16 novembre 1532, dans la cité de Cajamarca, est un événement qui tient encore une très grande place dans l’imaginaire des Péruviens. Nostalgiques d’une monarchie andine idéalisée et héri-tiers – malgré tout – d’une culture ibé-rique, ils ont construit leur identité sur ce double legs. Le dialogue entre 125 œuvres incas et hispaniques, rarissimes pour certaines – cartes de parchemin enluminées, gravures, peintures, sculptures, céramiques, textiles (très importants dans la culture inca), armes, livres, etc. – et mises en perspective par des anthro-pologues, des archéologues et des historiens, dévoile une histoire com-plexe, d’une violence inouïe, tissée de malentendus, de trahisons et de guerres fratricides, qui se solde en 1572 par la disparition du dernier sou-verain inca. Effarement des Incas devant les chevaux et les armes des
conquistadors, semblables au « ton-nerre du ciel », mais qu’ils apprivoi-sèrent très vite l’effet de surprise passé. Émerveillement des Espagnols pour les mirifiques trésors d’or et d’argent dont regorgeait le Pérou. Le choc des civilisations est brutal, et plus encore à la contemplation de ces étranges quipus, cordelettes tordues et nouées qui tenaient lieu d’écriture et de système de comptabilité pour les Incas. De même de ces illustra-tions montrant la colère d’Atahualpa, jetant la Bible qu’on lui présente en lui demandant de se soumettre à la cou-ronne espagnole et de se convertir au christianisme. Comment aurait-il pu savoir ce qu’était un livre ? L’incident servira de prétexte à son emprison-nement et au massacre de plusieurs milliers de personnes. De belles gra-vures péruviennes du XVIe siècle et de nombreux récits et chroniques, pour la plupart d’origine hispanique, décrivent ces affrontements. Le pre-mier récit inca a été dicté à un scribe espagnol par un neveu d’Atahualpa
et donne une version différente de l’entrevue, insistant sur la colère de l’Inca devant le refus des Espagnols de partager rituellement une coupe de bière. Mais ce sont les peintres du XIXe siècle qui façonnent les images légendaires les plus prégnantes de la conquête. Magnifique généalo-gie illustrée de portraits des souve-rains incas et de leurs épouses, scène romancée par le peintre britannique John Everett Millais de l’entrevue de Cajamarca, profil altier et cruel d’Atahualpa par un anonyme péru-vien, ou Veille de la mort d’Atahualpa, par Alexandre Marie Colin, où il apparaît étrangement méditatif, plus oriental qu’inca. À chaque époque sa vision. Reste, à travers la confron-tation de ces deux conquérants, le sentiment qu’aucune histoire « vraie » de la conquête n’est possible, car il n’y eut ni vainqueurs ni vaincus… L Joëlle Chevé
Musée du Quai-Branly, Paris (7e), jusqu’au 27 septembre. Rens. : 01 56 61 70 00 et www.quaibranly.fr
L’Inca et le conquistador
Expositions,
théâtre, cinéma,
DVD, jeux, télévision…
La sélection d’Historia
Modèle de figurine andine déposée en offrande dans des sépultures (XVe s.).
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SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 13
La découverte excep-tionnelle, en 2012, d’empreintes de pas d’adultes et d’enfants datant de 110 000 ans a été un moment très émou-vant pour les préhistoriens fouillant le site du Rozel, dans la Manche. Il s’agit de traces d’hommes de Nean-dertal, très présents dans ce qui était alors l’un des foyers européens les plus septentrionaux de présence humaine : des hommes de Tautavel et de Neandertal à Homo sapiens. Quelques frag-
ments osseux – un bras, des dents… – et de nombreux ves-tiges lithiques retrouvés sur les sites de Saint-Pierre-lès-Elbeuf et de Saint-Germain-de-Vaux ont permis de réaliser cette belle exposition, très pédagogique, présentant dans le temps et dans l’espace les modes de vie du Neandertal de type « normand » entre – 300 000 ans et – 40 000 ans. Évo-cation des paysages et de la faune adaptée aux glaciations successives, reconstitutions de campement, démonstra-tion du fonctionnement d’un atelier de taille de pierre ou du traitement des produits de la chasse – boîte à odeurs en prime ! –, mise en scène des rites funéraires, reconstitution en 3D de la grotte ornée de Gouy et représentations de néan-dertaliens par des artistes reconnus sont quelques-unes des approches imaginées pour s’approprier l’essentiel des connaissances scientifiques sur ces chasseurs-cueilleurs de la préhistoire. Et pour ceux qui souhaiteraient se fondre incognito dans cette nature encore vierge, ils peuvent, par traitement informatique des traits de leur visage – ou mor-phing – voir à quoi ils ressemblent en néandertalien. Rajeu-nissement de 300 000 ans garanti ! L J. C.
Les premiers hommes en Normandie (de 500 000 à 5 000 ans avant notre ère). Musée de Normandie, Caen, jusqu’au 3 janvier. Rens. : 02 31 30 47 60 et www.musee-de-normandie.fr
Dans les pas de Neandertal
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Représentation d’un enfant néandertalien par la « paléo-artiste » de renom Élisabeth Daynès.
Une des empreintes découvertes en 2012 sur le site du Rozel (Manche).
À L’AFFICHE
14 HISTORIASEPTEMBRE 2015
Du 27 août au 24 septembre, les jeudis> 22 h 45 Heimat, une chronique allemande.Version restaurée et remontée en 7 épisodes de la saga culte.
Mardi 1er septembre > 23 h 45 Aptes au service. Les recrues fascistes et nazies de la CIA, doc. de Dirk Pohlmann (All., 2012, 52 min, rediff.). Comment la
CIA a recruté de grands criminels de guerre au nom de la lutte contre le communisme. Samedi 5 septembre > 20 h 50 Les Grandes Reines d’Égypte, doc. de Ian A. Hunt (R.U., 2014, 57 min, inédit). La découverte de quatre femmes de pouvoir, dont l’influence et la liberté étaient uniques dans le monde antique (voir
aussi p. 16). > 21 h 45 Les Chars des pharaons, doc. de Martin O’Collins (É.U., 2013, 52 min). L’apparition de ce véhicule, dont certaines représentations datent de 3 600 ans, aurait permis aux rois d’Égypte de multiplier les conquêtes et de consolider les frontières du Nouvel Empire. Qu’en estil exactement
de cette « révolution technologique » ? Mardi 8 septembre > 22 h 45 Klaus Altmann alias Barbie, doc. de Peter F. Müller et Michael Mueller. (All., 2015, 52 min, inédit). Réfugié en Bolivie à partir de 1951, Klaus Barbie met au service des dictatures locales, des trafiquants d’armes et des barons de la
drogue ses compétences de tortionnaire. Un nouvel aspect du « Boucher de Lyon ».
Mardi 29 septembre > 22 h 20 et 23 h 15 Les Dossiers secrets du Vatican, doc. de Jan Peter (All., 2015, 2 x 50 min, inédit). Focus sur le plus petit État du monde, tenu par Ronald Reagan comme une grande puissance.
Chaque mois, Arte vous donne rendez-vous avec l’Histoire.
Le Grand Trianon de Louis XIV à de GaulleConçu par Jules Har-douin-Mansart sur l’emplace-ment du Tria-non de porce-laine, ce beau palais de marbre rose a conservé son décor de boiseries et de tableaux du Grand Siècle. Résidence privée de Louis XIV, il incarne, avant Marly, la recherche de divertissement et de détente du roi en compagnie d’une société de privilégiés. Occupé par Mme de Pompadour, par Napoléon Ier qui le remeuble pour l’impératrice MarieLouise, puis par LouisPhilippe, il devient musée à la fin du XIXe siècle. Plans, gravures, mobilier, portraits, objets d’art rappellent la splendeur intime de ses appartements jusqu’aux travaux entrepris par le président de Gaulle pour y loger les personnalités étrangères. L J. C.
Musée national du château de Versailles, jusqu’au 8 novembre. Rens. : 01 30 83 78 00 et www.chateauversailles.fr
Café, coton, chocolat. 300 ans de négoce au HavreC’était le temps des trois C : café, coton, cacao, qui ont fait la fortune du Havre, de ses armateurs, négociants, marins, dockers, ouvriers, qui travaillaient le coton ou torréfiaient les fèves de cacao et de café, et entrepreneurs en tout genre. Sous la houlette d’Élisabeth Leprêtre, directrice des musées du Havre, l’exposition se déploie dans trois lieux symboliques. La Maison de l’armateur, dont l’extraordinaire architecture en spirale vaut à elle seule le déplacement, présente l’histoire des grandes
familles de négociants. Portraits de famille, mobilier, porcelaines et objets divers évoquent le luxe de leur cadre de vie, entre exotisme et mode parisienne. L’hôtel Dubocage de
Bléville illustre, notamment par de magnifiques photos « ouvrières »,
la grande époque des usines de transformation des matières premières, à partir de 1850. Quant à l’abbaye de Graville,
riche de très belles collections de marines et de maquettes,
elle présente des ports et des navires, du voilier au cargo en
passant par les vapeurs du XIXe siècle. L J. C.
Musées d’Art et d’Histoire du Havre, jusqu’au 8 novembre. Rens. : 02 35 42 27 90 et www.lehavre.fr
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Chaise basse (ci-dessus) ayant appar tenu à la princesse Clémentine d’Orléans et mobilier divers d’époque nap o léonienne – dont un buste de l’Empereur.
Moule à chocolat en métal en
forme de poisson (XIXe siècle).
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Moulin à café en bakélite
de la marque DMR (v. 1950).
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À VOS AGENDAS
RE TROUVEZ L A SUITE DES EXPOS SUR www.historia.fr
TEMPS DE LA BATAILLE D’AZINCOURT. À l’occasion du 600e anniversaire de la bataille, retour sur la vie militaire et civile pendant la guerre de Cent Ans. Musée de l’Hôtel Sandelin, Saint-Omer, jusqu’au 20 septembre.
• LE GÉNOCIDE DES ARMÉNIENS DE L’EMPIRE OTTOMAN. Stigmatiser, détruire, exclure. Présentation du contexte de guerre qui a favorisé le génocide et le déni qui persiste encore en Turquie.
• CULTURE TV. SAGA DE LA TÉLÉVISION FRANÇAISE. Un grand zapping à travers les époques et les générations. Historial de la Vendée, Les Lucs-sur-Boulogne, jusqu’au 13 septembre.
• TRÉSORS DU GHETTO DE VENISE. Chefs-d’œuvre d’orfèvrerie cachés pendant la période nazi et récemment redécouverts. Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, Paris, jusqu’au 13 septembre.
• SAINT-OMER AU
Mémorial de la Shoah, Paris, jusqu’au 27 septembre.
• ALEXANDRE, NAPOLÉON ET JOSÉPHINE : UNE HISTOIRE D’AMITIÉ, DE GUERRE ET D’ART. Une évocation des années précédant Waterloo. Musée de l’Hermitage, Amsterdam (Pays-Bas), jusqu’au 18 octobre.
• TRÉSORS ROYAUX. LA BIBLIOTHÈQUE DE FRANÇOIS IER. Des livres somptueux et tout ce qui fait une bibliothèque « royale ». Château royal de Blois, jusqu’au 18 octobre.
La mort de Louis XIV (en septembre 1715) fut précédée de huit mois par celle d’un de ses adver-saires les plus prestigieux, l’archevêque Fénelon, dit « le Cygne de Cambrai ». Les Aventures de Télé-maque, critique du des-potisme et du bellicisme du roi, puis la défense des
quiétistes lui ont valu l’exil. À l’occasion du tri-centenaire de sa mort, le magnifique château de Fénelon, où il est né, pré-sente une belle collection de tableaux, d’objets, d’édi-tions originales, de lettres de Louis XIV, etc., dans le cadre d’un parcours thé-matique et biographique rappelant l’importance de ce grand seigneur ecclé-siastique, précepteur du petit-fils du roi, le duc de Bourgogne, et conseiller de Mme de Maintenon pour l’éducation des jeunes filles de Saint-Cyr. L J. C.
Château de Fénelon, Sainte-Mon-dane, exposition permanente. Rens. : 05 53 29 81 45 et châ[email protected]
François de Salignac de La Mothe-Fénelon
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A U T E U R Les découvertes archéologiques récentes ont profondément renouvelé la vision que nous avions de la Gaule et de ses habitants. Loin des mythes et des images forgées entre xixe et xxe siècle, c’est un autre monde qui se dessine. Une civilisation infiniment plus élaborée qu’on ne le croit, que ce soit sur les plans politique, économique ou religieux. Guerriers recherchés, les Gaulois se révèlent aussi être des agriculteurs et des éleveurs inventifs, des artisans ingénieux, voire des artistes.
MAI | JUIN 2015
11,80 € DIRECTION DE L’INFORMATION LÉGALE ET ADMINISTRATIVELa documentation Française 01 40 15 70 10
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Bertrand Munch
Photogravure : Dila Flashage et impression : Corlet (Condé-sur-Noireau) Dépôt légal 2e trim. 2015DF 2DP81050 ISSN : 0419-5361
NUMÉROS À PARAÎTREN° 8106 – LE SAHARA, UN DÉSERT EN CRISEN° 8107 – LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DEPUIS 1945N° 8108 – LA CHINE, PUISSANCE MONDIALE
LE REGARD DES AUTRESGrecs et Celtes Un “ethnologue” chez les barbares La Gaule, un espace politique Les druides, hommes de pouvoirRegards sur la femme gauloiseCésar, historien de sa propre conquête
TRACES MATÉRIELLESUn univers ruralLa maison gauloiseL’oppidum et l’impossible urbanitéLes lieux de culte Les sépultures
LES OBJETS ET LEUR LECTURELes armes et la guerre Un art décoratif ? Plus qu’une monnaieLa mesure du tempsOutils et technologie
LES GAULOIS HORS DE GAULEDe prétendues invasionsLa Cisalpine gauloise Les Galates en Grèce et en Asie mineure
DES HÉRITAGES À REDÉCOUVRIRDes chevaliers gaulois ? Une histoire longtemps refuséeDeux figures d’histoireLes Gaulois et la langue française
JEAN-LOUIS BRUNAUX est directeur de recherche au CNRS et membre du laboratoire d’archéologie de l’École normale supérieure. Il a dirigé de nombreux chantiers de fouilles sur les sites gaulois de Picardie. Parmi ses publications récentes : Alésia, Paris, Gallimard, 2012 ; Les Celtes, Histoire d’un mythe, Paris, Belin, 2014.
JEAN-LOUIS BRUNAUX
BRUNO LECOQUIERRE
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A U T E U R Sahara. Des mots émergent dès son évocation : désert, dunes, nomades, oasis, mais aussi, aujourd’hui, terrorisme, trafics, migrations, matières premières. Cette évolution du vocabulaire traduit parfaitement les mutations en cours dans cette région du monde. Auparavant marginale, elle est désormais affectée par les dynamiques de la globalisation. Le Sahara est un désert mondialisé !Ce numéro offre une riche synthèse à toute personne curieuse d’en savoir plus sur ce désert. Bonne lecture… et bon voyage !
JUILLET | AOÛT 2015
11,80 € DIRECTION DE L’INFORMATION LÉGALE ET ADMINISTRATIVELa documentation Française 01 40 15 70 10
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Bertrand Munch
Photogravure : Dila Flashage et impression : Corlet (Condé-sur-Noireau) Dépôt légal 3e trim. 2015DF 2DP81060 ISSN : 0419-5361
NUMÉROS À PARAÎTREN° 8107 – LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DEPUIS 1945N° 8108 – LA CHINE, PUISSANCE MONDIALEN° 8109 – LE MONDE INDIEN
LE PLUS GRAND DÉSERT DU MONDEUn désert à géométrie variableLe règne de l’aridité Des paysages variés Plantes et animaux : la vie adaptée au désert
UN DÉSERT HABITÉLe Sahara avant le désertL’oasisPeuples nomades et commerce caravanierLes Touaregs, culture et politique Le littoral mauritanien : quels usages ?Théodore Monod, grande figure saharienne
ÉTATS ET VILLESUnité coloniale et clivages post-indépendancesDes États dans tous leurs états Printemps arabe et crises politiquesL’Algérie, un colosse aux pieds d’argile ?Le Sahara occidentalUne urbanisation en marche
UN DÉSERT DANS LA MONDIALISATIONMiracle ou mirage des ressources naturellesTraverser le Sahara : quels enjeux ? Les hauts et les bas du tourisme saharienUne terre d’accueil et de passage pour les migrants Darfour, crise humanitaire aux portes du SaharaUn refuge pour les réseaux djihadistesLa France au Sahara, une présence persistante
BRUNO LECOQUIERRE est professeur de géographie à l’université du Havre.Ses recherches portent sur les mobilités (transport et tourisme) et sur le rôle des interfaces dans l’espace géographique, plus particulièrement au Sahara.
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A U T E U R S Dans ce dossier, ce sont les Français, leurs attentes, leurs combats, leurs modes de vie,qui sont à l’honneur. Du plein emploi au chômage de masse, de l’explosion de la consommation aux nouvelles formes de précarité, de la démocratisation de l’enseignement aux mutations technologiques, sans oublier les métamorphoses de la famille, l’irruption de l’écologie... le trio d’auteurs de ce numéro parvient à dégager les lignes de force qui ont fait passer la société française d’un monde à l’autre sur un peu plus d’un demi-siècle.
SEPTEMBRE | OCTOBRE 2015
11,80 € DIRECTION DE L’INFORMATION LÉGALE ET ADMINISTRATIVELa documentation Française 01 40 15 70 10
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Bertrand Munch
Photogravure : Dila Flashage et impression : Dila Dépôt légal 3e trim. 2015DF 2DP81070 ISSN : 0419-5361
NUMÉROS À PARAÎTREN° 8108 – LA CHINE, PUISSANCE MONDIALEN° 8109 – L’UNION INDIENNEN° 8110 – L’ÉCONOMIE MONDIALE DEPUIS 1945
SORTIE DE GUERRE, ENTRÉES EN GUERREAu sortir de la guerre : traumatismes et espoirs Les Français de la LibérationReconstruction et modernisation Espoirs déçus : les sociétés coloniales après-guerre Sociétés coloniales et guerres de décolonisationLa société française dans les guerres colonialesLa guerre froide vue d’en bas
AU TEMPS DES TRENTE GLORIEUSESLa fin des paysans ?Les “Trente Rugueuses”Démocratisation du savoir et de la culture ?Fractures et contestations : mai/juin 1968 La jeunesse, les jeunessesQuelle révolution sexuelle ?Vie matérielle : innovation et consommationGrands ensembles et bidonvilles
LA CRISE ET SES EFFETS INDUITSChômage de masse, précarité, flexibilité Immigration, racisme, discriminations Le nouvel esprit du capitalismeRenouveau des mouvements sociauxLes sociétés cybernétiquesLa famille en débat Les nouveaux espaces de l’écologieEntre panne de l’ascenseur social et inégalités
LUDIVINE BANTIGNY est maître de conférences en histoire contemporaine, université de Rouen
JENNY RAFLIKest maître de conférences en histoire contemporaine, université de Cergy-Pontoise
JEAN VIGREUXest professeur des universités en histoire politique du xxe siècle, université de Bourgogne
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# DÉCOUVREZ
ÉGALEMENT
LES COMPLÉMENTS
NUMÉRIQUES
sur www.ladocumentationfrancaise.fr/numerique/documentation-photographique-
numerique/presentation
L’HISTOIRE ET LA GÉOGRAPHIE À PARTIR DE DOCUMENTS
VENTE EN KIOSQUE, CHEZ VOTRE LIBRAIRE, SUR WWW.LADOCUMENTATIONFRANCAISE.FRET PAR CORRESPONDANCE : DILA - 26, RUE DESAIX - 75725 PARIS CEDEX 15
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À L’AFFICHE
16 HISTORIASEPTEMBRE 2015
Miraculée des camps, Nelly rentre à Berlin à la fin de la
guerre. Une blessure l’a défigurée. Après une chirurgie réparatrice, l’héroïne tente de se reconstruire… Beaucoup de films racontent l’hor-reur des camps, plus rares sont ceux qui évoquent la quête d’une identité perdue. Rares aussi sont ceux qui racontent la culpabilité, notamment celle du survivant. Dans une interview, Christian Petzold compare la reconstruction d’un individu ou d’un pays après un conflit à celle d’un bateau après un naufrage : on peut récupérer les débris et fabriquer une nouvelle embar-cation, mais qui voudra monter à bord ? L C. V.-B.
Film��de�Christian�Petzold,�95�min,�Diaphana,�19,99�euros.
O-Ei est la fille d’Hoku-sai (1760-1849),
un fou du dessin célèbre dans tout le Japon. C’est une femme au caractère bien trempé, qui vit avec son père dans un improbable atelier. « Nous sommes père et fille, déclare-t-elle en 1814, et nous avons deux pinceaux et quatre baguettes. Je pense qu’on peut s’en sortir d’une façon ou d’une autre. » Réalisés à deux ou quatre mains, les œuvres font le tour du
monde, influençant des Gauguin, Van Gogh ou Monet, qui possède des planches du maître japo-nais. Le film raconte la complicité artistique, les affres de la création, les chagrins familiaux. D’un parti pris poétique évident, sans véritable fil narratif, il envoûte le spectateur pour lui permettre d’appri-voiser l’incroyable finesse de l’art d’Hokusai. LYetty Hagendorf
Film��de�Keiichi�Hara,�90�min.��Sortie�le�2�septembre.�
Dans le monde antique, seule l’Égypte accordait aux femmes autant de liber-tés et de droits. Elles pouvaient atteindre
les plus hautes sphères du pouvoir. L’égyptologue Joann Fletcher esquisse un portrait vivant de quatre d’entre elles : Hétephérès (– 2600), la mère de Kheops ; Hatchepsout (– 1505), la grande bâtisseuse et chef militaire ; Néfertari (– 1290), l’épouse de Ramsès II ; et Arsinoé (– 316), qui régna en Grèce et en Égypte. Ces reines restent un modèle de force et d’indépendance. L Clémentine Vieillard-Baron
Documentaire��de�Caterina�Turroni,�58�min,�sur�Arte�le�5�sept.�à�20�h�50.
PhoenixMiss Hokusai
Les reines d’Égypte
Le rêve d’un homme peut changer l’his-
toire. En 1965, le pas-teur Martin Luther King prêche pour sa commu-nauté. Depuis un an, les Noirs américains sont autorisés à voter. En Ala-bama, la réalité est tout autre. Malmenés par l’ad-ministration, humiliés et terrorisés, seuls 2 %
d’entre eux s’inscrivent sur les listes électorales. Le docteur King entame un combat pacifique pour faire céder le président Johnson. Il organise une marche de protestation entre les villes de Selma et Montgomery. Les larmes et le sang seront le prix de la liberté… L C. V.-B.
Film��d’Ava�Duvernay,�140�min,�Pathé,�14,99�euros.
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Un mot d’ordre pour cette nouvelle émission : être passionné et passionnant ! Chaque soir, Sidonie Bonnec, Thomas Hugues et leurs invités se penchent sur des grands thèmes, tels que la science, l’art, la culture, les grands événements historiques ou encore les faits de société. La curiosité ne sera pas tant un défaut, mais plutôt une vertu indispensable au cours de ces deux heures d’émission en direct. Mercredi 2 septembre, à partir de 20 heures sur RTL, Sidonie Bonnec et Thomas Hughes recevront Éric Pincas, rédacteur en chef d’Historia, pour aborder notre dossier sur l’Égypte et les mystères d’Osiris.
LUNDI-JEUDI�20�H-22�H�–�«�LA CURIOSITÉ EST UN VILAIN DÉFAUT »
David Oyelowo (au centre) convainc en pasteur qui a un rêve…
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 17
Comme son nom l’indique,
Verdun nous plonge dans la der des ders. Dans ce jeu d’action à vue subjective, il n’y a pas de campagne scénari-sée à la mode Call of Duty mais les affrontements multijoueurs méritent le détour : les combats, bru-taux, nécessitent la mise en place d’une stratégie. Un système d’escouades persistantes permet de tis-ser des liens avec les autres joueurs. Et « l’enrobage » historique (armements…) confirme un souci bien-venu du détail. L Guil-
laume Nerces Tutundjian
Jeu vidéo de Blackmill Games, disponible sur PC via Steam, 21,50 euros.
À la croi-sée de trois styles – le RPG,
le combat tactique et le jeu de gestion –, Legends of Eisenwald rappelle les excellents Heroes of Might & Magic. Mais il n’est pas ici question d’heroic fan-tasy. Nous sommes en 1422, et l’Allemagne vit sous la menace de mercenaires et de baronnets, qu’il faut mettre au pas. Avec ce qu’il faut de quêtes secondaires, de combats tactiques et de renversements de situa-tion, voilà un petit bijou qui vous tiendra en haleine une bonne cinquantaine d’heures. L G. N. T.
Jeu vidéo d’Aterdux, disponible sur PC via Steam, 27,99 euros.
Vingt ans après le massacre de Srebre-nica, soixante-dix ans après l’effondrement du nazisme, ce spectacle sur l’unification de l’Eu-
rope et le problème identitaire se tourne vers l’histoire récente des Balkans et conduit à un tableau de l’Europe aujourd’hui. Un podium dans le style du culte de la repré-sentation, cher au national-socialisme, révèle en tour-nant cinq acteurs. Leurs visages projetés en gros plan parlent, en confidence. Leurs histoires se rejoignent en se connectant aux événements historiques. Un Bosniaque qui raconte le siège de Sarajevo et la crise qui s’ensuivit, une Serbe qui danse sous les bombardements de l’Otan, un Bos-niaque rescapé des massacres et des camps, une Russe et un Allemand, qui vécurent les bombardements de Brême. The Dark Ages, second volet d’un triptyque, démontre que le docu-théâtre politique est possible. Milo Rau tend un miroir, puissant, poignant, pour une catharsis qui fouille l’homme et l’Histoire, et démonte les mécanismes des conflits. Le tout sur la musique du groupe slo-vène Laibach. L Évelyne
Sellés-Fischer
Pièce de Milau Rau, théâtre Vidy Lausanne, le 24 sept. à 19 h et le 25 sept. à 20 h. Rens. : 0041 (0) 21 619 45 45.
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L’ART DE L’HISTOIRE
Passionnés par le XVIIIe siècle, les frères Goncourt tenaient Jean Honoré Fragonard
(1732-1806) pour le meil-leur illustrateur des rela-tions amoureuses, déli-cieusement licencieuses, qui, à leurs yeux, défi-nissaient les codes de la séduction au temps des Lumières. L’amour et ses égarements occupent en effet une grande place dans l’œuvre élégant de celui que l’on appelait le « divin Frago ». Fil rouge de son art, à la fois fougueux et délicat, le thème des élans amoureux, timides ou brû-lants, traverse ses compo-sitions, depuis les scènes champêtres de ses débuts jusqu’aux allégories de la fin de sa carrière. Tour à tour galant, libertin, auda-cieusement polisson ou, au contraire, soucieux d’une nouvelle éthique amou-reuse, cet ambassadeur de l’émoi des sens traduit, avec grâce, les subtiles variations des jeux de rôles attribués aux hommes et aux femmes.
Pour Fragonard, le che-min paraît tout tracé : né à Grasse, il entre, à 16 ans, en apprentissage à Paris et suit, durant plusieurs années, l’enseignement de François Boucher. Inspi-rées, entre autres sources, du roman pastoral L’As-trée, d’Honoré d’Urfé, publié entre 1607 et 1627, mais aussi des Églogues, de Jean Regnault de Segrais (1658) et des poèmes pasto-raux de Fontenelle (1688), ses compositions séduisent amateurs et intellectuels. Car l’amour galant à la française dépasse large-ment le cadre de l’intime. Il est considéré comme le socle de l’identité fran-çaise. Célébré à Versailles sous Louis XIV, avant la réforme rigoriste des der-nières années, il revient en force sous Louis XV. Selon le Dictionnaire de l’Aca-démie française, en 1694, le galant homme est celui qui a « de la probité, civil, sociable, de bonne com-pagnie, qui a la conver-sation agréable ». Nou-veauté : les femmes sont les arbitres de cette rela-
tion exquise, ce qui leur garantit un certain res-pect, voire de la tendresse, sans pour autant que soit exclue l’inclination des sens. Au XVIIIe siècle, ce goût partagé pour les jeux amoureux entre personnes de sexe opposé gagne en légèreté et en frivolité. Le libertin triomphe. S’il se conforme aux signes exté-rieurs de la galanterie – politesse, conversation spi-rituelle, respect affecté –, il en trahit l’esprit en reje-tant la fidélité, l’amour sin-cère, le respect mutuel et la discrétion. Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos, éditées en 1782, en dévoilent la version per-verse et cruelle.Ayant pris son envol vers 1750, Fragonard épouse parfaitement la tendance. Sur le sujet des amours galantes, il se montre plus explicite que son maître : un souffle charnel tra-verse ses scènes idylliques. Son Arcadie abrite des jeux coquins – et des détails sug-gestifs. Ses productions rencontrent un franc suc-cès. Alexandre Lenoir,
l’un de ses premiers bio-graphes, écrit en 1816 : « Il sentit combien il lui serait difficile d’occuper la pre-mière place s’il consacrait ses pinceaux à la représen-tation des grands sujets d’histoire : il s’adonna au genre érotique, dans lequel il réussit parfaitement. Sacrifiant ainsi la gloire au plaisir et au badinage, Fragonard fut un peintre à la mode. »L’artiste suivait-il ses pen-chants ? Pas du tout : les historiens ne trouvent aucun écart dans la vie sage de l’artiste. Les petites peintures, lavis et autres aquarelles si singulières, délicates et poétiques, seront réalisés presque à la chaîne. Le marché est alors florissant pour ce type de travaux. Et les nom-breuses gravures tirées de ses peintures et circulant dans toute la France lui offrent une vraie notoriété. Jusqu’à ce que la Révolu-tion couvre ces amours d’un voile puritain. L’heure n’étant décidément plus aux galipettes. L Élisabeth Couturier
FragonardEsprit galant et libre pinceauSa touche enlevée et gracieuse a illuminé le XVIIIe siècle. Lyrique, polisson ou érotique, le « divin Frago » a décliné l’amour sous toutes ses facettes. Le musée du Luxem-bourg lui rend hommage à partir du 16 septembre.
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� LE DÉCOR. Le tableau a été peint pendant le séjour en Italie de Fragonard comme pensionnaire de l’Académie de France à Rome (ancien nom de la Villa Médicis), de fin 1756 à 1761. Il y rencontre Hubert Robert et, en sa compagnie, parfait ses talents de paysagiste. Il associe ici l’univers pastoral de convention hérité de François Boucher à la pratique du jeu de société. Ainsi, l’Arcadie amoureuse que Fragonard met en scène se déroule-t-elle dans une nature luxuriante qui évoque les parcs vénérables et ombrés des alentours de Rome.
1 LE JEU DE LA PALETTE. Ce tableau fut
décrit, pour la première fois, lors de son passage en vente en 1786, comme représentant une « assemblée de bergers » pratiquant le « jeu de la palette ». Or aucun jeu n’étant répertorié sous ce nom au XVIIIe siècle, l’historienne d’art américaine Jennifer Milam a établi de façon convaincante qu’il devait s’agir en fait du jeu du furet. Celui-ci se pratique dans un groupe placé en cercle où l’un des participants doit désigner sur qui se trouve un objet (souvent une bague) qui passe de joueur en joueur. Le jeu autorise le « furetage » (la fouille), et, en cas de victoire, le vainqueur utilise une « palette », long instrument en bois, pour administrer une tape qui sert de punition pour le fureté démasqué. Ici, le jeune homme au centre s’apprête à donner un coup sur la paume de la jeune fille qui se penche sur l’épaule d’une de ses compagnes.
2 UNE SENSUALITÉ REVENDIQUÉE.
Si les vêtements et les types physiques des personnages évoquent encore Boucher, Fragonard, avec sa palette plus chaude et contrastée, est en train de trouver sa propre voie, plus franche et sensuelle, où les corps partagent une certaine intimité et sont au cœur d’une nature caressante. L’Arcadie de Fragonard excède l’éthique de la galanterie.
3 DES VOYEURS. En haut, à gauche,
cachés dans l’ombre, deux hommes regardent la scène. Leur attitude ajoute à la charge sensuelle de la composition. Derrière les jeux innocents se préparent d’autres rapprochements moins avouables.
« LE JEU DE LA PALETTE », huile sur toile (67,5 x 114,5 cm) de Jean Honoré Fragonard (1732-1806). Chambéry, musée des Beaux-Arts.
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20 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
DOSSIER
INÉDITES. Une qua-rantaine d’œuvres des musées du Caire et d’Alexandrie, encore jamais vues en France, sont à découvrir, comme ce buste d’Osiris.
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SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 21
ÉgypteLES MYSTÈRES
D’OSIRIS RÉVÉLÉSLes chercheurs, en déchiffrant une stèle découverte
en 1881, savaient que, dans le grand temple d’une ville
nommée Héracléion, étaient célébrés des rites secrets
en l’honneur du dieu Osiris… Disparue sous les eaux de
la baie d’Aboukir, cette cité est explorée depuis sept ans
par l’archéologue Franck Goddio. Plus de 250 pièces
retrouvées lors de ces fouilles sous-marines sont
visibles à l’Institut du monde arabe, dans ce qui consti-
tue l’exposition événement de la rentrée : au-delà de la
beauté des objets, c’est toute la légende d’Osiris – l’un
des mythes fondateurs de la civilisation égyptienne –
qui renaît sous nos yeux. Alors, pour dévoiler ce pan
inédit de l’Égypte ancienne, Historia vous convie à par-
courir ce riche dossier, dans lequel Franck Goddio et de
nombreux spécialistes nous dévoilent les cérémonies
les plus cachées des anciens prêtres d’Héracléion…
DOSSIER ÉGYPTE
22 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
Par Aude Gros de Beler
C’est ainsi qu’Hérodote définit les fils du Nil au Ve siècle avant notre ère. Et il n’a pas tort. Tant la religion apparaît comme la pierre angulaire de leur civilisation. Divinités, temples, dogme, rite, sacre… Quelles sont les principales
caractéristiques de ce culte ? Éléments de réponse.
Les Égyptiens, « les plus religieux
des hommes »
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 23
Au pays des dieux mortels
Contrairement aux religions monothéistes, où la foi repose sur une révélation, en Égypte ancienne, la réalité des dieux se place sur le même plan que celle des éléments naturels et des êtres vivants. Donc, puisque les divinités sont des entités qui appartiennent à la dynamique de l’Univers, il n’y a pas lieu de croire ou de ne pas croire en eux : c’est un fait. Aussi, on n’ac-cepte ni ne refuse cette foi : on l’admet. Dans le polythéisme égyptien, et c’est là sa caractéris-tique, chaque dieu peut adopter plusieurs noms, images, fonctions ou formes. Ils sont représentés par des icônes anthropomorphiques ou zoomor-phiques, mais les Égyptiens savent parfaitement qu’elles doivent être considérées comme des images décrivant leurs dieux de manière impar-faite, car ceux-ci possèdent par ailleurs un ba (ou âme) dans le ciel et un corps dans la Douat (mot employé pour désigner l’au-delà).
En réalité, ces icônes n’ont d’utilité que parce qu’elles permettent aux hommes de commu-niquer avec les dieux. À travers les différents écrits religieux, on apprend que les divinités égyptiennes sont mortelles : comme n’importe
quel être humain, elles naissent, vieillissent et meurent. N’ayant plus de fidèles, elles se sont définitivement éteintes en même temps que la civilisation pharaonique, celle-là même qui les avait créées. Cela apparaît très clairement dans Asclepius, d’Hermès Trismégiste, texte prophé-tique superbe : « Ô Égypte ! Il ne restera de tes cultes que des fables, et tes enfants, plus tard, n’y croiront même pas ; rien ne survivra que des mots gravés sur les pierres, qui raconteront tes pieux exploits. » L
Une civilisation des livres et non du Livre
Contrairement aux rituels, décrits sur les papyrus ou sur les parois des sanctuaires, les mythes ne nous sont connus que par des allu-sions ou des versions tardives. Les premiers textes religieux, les Textes des pyramides (vers 2350 av. J.-C.), n’apparaissent que près de sept siècles après l’invention de l’écriture en Égypte, dont les hiéroglyphes – les « paroles divines » – constituent à eux seuls un savoir divin transmis
Égyptologue, elle s’inté-resse parti-culièrement à tous les as-
pects de la vie quotidienne
dans l’Égypte ancienne.
L’auteur
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ZOOLÂTRIE Certains animaux sont considérés comme des personnifications de dieux. C’est le cas du taureau Apis, « statue vivante » de Ptah. • XXIe dynastie, temples de Sérapis, Mem-phis (musée du Louvre).
DOSSIER ÉGYPTE
24 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
aux hommes. On imagine que, avant d’être repro-duit dans les tombes royales, ce corpus funéraire composait un ensemble de formules à réciter transmises oralement. Ainsi, puisant leur ins-piration dans les civilisations préhistoriques et les traditions religieuses des premières dynas-ties, les prêtres commencent à formaliser les cos-mogonies et à raconter l’existence des dieux. Au Moyen Empire apparaissent les premiers textes magiques et les premiers rituels, rendant la pen-sée religieuse plus explicite.
Avec le temps, les récits sont plus nombreux et se complexifient, fournissant tous types d’in-formations concernant les divinités, leur diver-sité, leur existence et leur destin, les mythes, les rites… Or, les Égyptiens n’ont jamais souhaité fixer de textes canoniques, auxquels il est fait indiscutablement référence. Comme l’explique l’égyptologue Christiane Zivie-Coche : «Ils ont préféré conserver les textes ouverts sur lesquels pouvait s’exercer leur méthode de réflexion par association et accumulation, comme si le réseau d’approche du divin se resserrait de plus en plus en multipliant les combinaisons. » Outre les textes inlassablement recopiés et remaniés, cer-taines inscriptions évoquent un savoir caché à ne pas divulguer, parce qu’il touche à l’essence même de la divinité, réputée impénétrable. Les prêtres qui en ont la connaissance ou qui pra-tiquent ces rites secrets indispensables au bon déroulement du culte se transmettent sans doute ces connaissances oralement. L
Pharaon, l’inter-médiaire avec le monde divin
Placé sur le trône d’Égypte, il doit faire res-pecter la Maât, déesse incarnant la Vérité, la Jus-tice et l’Ordre, dont la fonction consiste à réguler les phénomènes cosmiques, à veiller au respect des règles sociales et à contrôler tous les facteurs d’équilibre qui rendent le monde habitable. À lui seul, Pharaon incarne l’État et il en assume les principales fonctions. Devant les dieux, sa mission consiste à assurer la bonne marche des mécanismes qui garantissent la vie. Pour ne pas provoquer la colère des dieux, qui n’hésiteraient pas à ordonner un retour au chaos s’ils étaient insatisfaits, le roi se doit de veiller constamment à leur bien-être. Il existe ainsi un échange perpé-tuel entre la royauté et le monde divin : le souve-rain fonde des sanctuaires et les entretient par ses immenses largesses, de même qu’il offre à ses pairs tous les actes notables qu’il accomplit au quotidien. En retour, les dieux le comblent de leurs bienfaits, lui assurent la prospérité et lui garantissent la domination universelle. Dès que ce contrat n’est plus rempli, les répercussions sont d’ordre cosmique. L
Les habitants sacrés du temple
Loin d’être un lieu de prière ou de prédica-tion, le temple n’est autre que le réceptacle des forces divines qui peuplent le monde organisé ; c’est la maison du dieu, qui habite physiquement dans son sanctuaire, par sa statue et parfois sous forme animale. Cet édifice doit assurer le main-tien de l’ordre universel, sans lequel tout retour-nerait au chaos initial, le Noun. En effet, ce qui précède la création n’est pas annihilé par l’action du démiurge ; il est repoussé aux confins de l’Uni-vers, constituant une menace contre laquelle il faut lutter chaque jour. Aussi l’équilibre du monde repose-t-il sur un processus de création sans cesse renouvelé : chaque soir, le soleil dis-paraît à l’horizon, laissant planer le doute d’un retour au chaos ; le lendemain, la réapparition de l’astre dissipe ces craintes. Dans cette optique, seule l’activité continuelle des dieux permet à l’Univers de se maintenir dans son intégrité. Cette harmonie du monde est symbolisée par Maât, principe incontournable dont se nour-
COMMIS D’OFFICE Le clergé se compose de laïques désignés par le souverain. Ils sont les seuls autori-sés à assurer, à l’abri du public et en son nom, la célébra-tion du culte. • Prêtre pra-tiquant une purification, nécropole des artisans, Louqsor.
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SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 25
AMONFiliation : époux de la déesse vautour Mout, père du dieu lunaire Khonsou. Rôle : dieu de l’Air, du Vent et des Bateliers, créateur allié avec le dieu solaire d’Héliopolis en la forme d’Amon-Rê. Attributs : croix ansée ankh, sceptre ouas (symbole de force, de puissance), fouet rituel ou harpée (glaive incurvé), couronne divine atef, pschent (double couronne).
THOTFiliation : « né de l’œuf », époux de Nehemet-âouay, père d’Hornefer. Rôle : inventeur du temps, créateur des sciences et de l’écriture, il intervient comme juge dans la pesée des âmes, et on lui attribue aussi des vertus de magicien. Attributs : palette de scribe, œil oudjat, clepsydre.
ANUBISFiliation : fils de la vache Hesat, ou de Baset, ou d’Osiris et Nephthys ; sa parèdre est Inpout ; père de Kehebout. Rôle : dieu des Morts, embaumeur d’Osiris (avec Isis) et conducteur des âmes. À tête de chacal, il veille au bon déroulement de la psychostasie (pesée des âmes) et sur les défunts. Attributs : croix ansée ankh, sceptre ouas.
HORUSFiliation : fils d’Osiris et Isis. Rôle : dieu du Ciel, ses yeux figurent le Soleil et la Lune. Guerrier et protecteur de Pharaon, il incarne la loyauté. Multiples représentations et attributions. Attributs : pschent, sceptre ouas, croix ansée ankh, armes (lance, harpon).
RÊFiliation : se serait créé ou fils de Noun (le Chaos) et de Nout ou de Mehe-touret (vache divine). Rôle : démiurge, créateur de l’Univers, dont il est l’âme cosmique. Assimilé au Soleil, il voyage dans sa barque du jour puis dans celle de la nuit. Il est source de lumière, de vie et de chaleur. Attributs : homme à tête de faucon coiffé d’un disque solaire.
ISISFiliation : fille de Geb et de Nout, épouse d’Osiris. Rôle : déesse-reine, pro-tectrice des mères et des enfants. Elle veille sur les morts, et ses pouvoirs de magi cienne raniment les défunts. Modèle de piété conjugale, elle engendre Horus en redonnant vie à son mari assassiné. Attributs : amulette tit (nœud d’Isis), sceptre (floral ou ouas), croix ansée, coiffe khat.
MAÂTFiliation : fille de Rê.Rôle : symbole de la Vérité et de la Justice, elle incarne l’équilibre et la stabilité du monde, par opposition au chaos incréé. Son image est aussi utilisée comme fléau de la balance lors de la pesée des âmes des dé-funts. Attributs : plume d’autruche hiéroglyphe, croix ansée ankh.
HATHORFiliation : fille de Noun (le Chaos), épouse d’Horus d’Edfou.Rôle : force cosmique créatrice, matrice universelle, déesse de la Musique et de la Danse. Figure tutélaire de l’Occident, elle recueille le Soleil dans sa course descendante et protège les défunts dans leurs pérégrinations. Attributs : croix ansée ankh, sceptre floral, sceptre ouas, clepsydre…
PTAHFiliation : fils et époux de Sekhmet, père de Nefertoum. Rôle : dieu-roi, patron des orfèvres et des artisans, il règne sur les génies et les animaux des profondeurs de la terre. Démiurge, il conçoit le monde en son cœur puis le façonne par la parole. Attributs : gaine momiforme, croix et sceptre ouas insérés dans un pilier djed (symbole de stabilité).
SETHFiliation : fils de Geb et de Nout (déesse du Ciel), frère d’Isis, d’Osiris. Pas de descendance. Rôle : à la fois bienfaiteur (il est le bras armé de Rê sur son char) et malfaisant (il s’acharne contre son frère Osiris), ce dieu impétueux est assimilé aux forces violentes ou stériles de la nature. Attributs : croix ansée, sceptre ouas, pschent, couronne blanche ; arc et flèches.
KHNOUMFiliation : époux de Satis et père d’Anoukis. Rôle : potier divin. Il a créé l’œuf primordial, dont est issu l’Univers, et façonne les hommes à partir du limon du Nil. Dieu bélier, il est aussi celui de la Fécondité et est appelé le « beau copulateur ». Attributs : tour de potier, couronne hemhem.
OSIRISFiliation : fils de Geb et de Nout, époux d’Isis, père d’Horus. Rôle : incar-nation des puissances végétantes de la nature. Il aurait enseigné aux hommes l’agriculture et les arts. Assassiné par Seth, revenu à la vie grâce à Isis, il devient ensuite le dieu des Morts. Attri-buts : couronne blanche, crosse royale (heka), fouet de rituel, sceptre ouas, croix ansée.
Les douze déités du panthéon
DOSSIER ÉGYPTE
26 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
rissent les divinités. Conformément à l’idée qui veut que l’on donne au dieu ce que l’on cherche à recevoir en retour, l’offrande à Maât est destinée à obtenir le maintien de la création et le retour des phénomènes naturels qui garantissent la vie. Dans le culte divin journalier, elle demeure l’un des actes fondamentaux : s’y soustraire, c’est ris-quer une victoire des forces du chaos.
En tant que fils des dieux, dont il est le repré-sentant sur terre, seul Pharaon est habilité à offi-cier dans les temples. Les prêtres n’agissent que par délégation royale : dans l’esprit de mainte-nir l’intégrité de la présence divine sur terre, ils assurent la pratique journalière du culte au nom du souverain, même si, sur les reliefs, seul figure le roi dans l’accomplissement de ces rites. Le rôle du clergé consiste donc à servir la divinité, maté-rialisée dans le sanctuaire par sa statue : cette dernière est un être vivant, vulnérable et pourvu des mêmes besoins qu’un homme. Il faut donc maintenir cette statue, et surtout son occupant, en bonne santé : le vêtir, l’entretenir et le proté-ger de toute atteinte extérieure susceptible de réduire son efficacité. L
Pour expliquer la naissance du monde, les grandes
écoles théologiques élaborent des systèmes cosmogoniques mettant en scène, comme divinité créatrice, le dieu de tutelle de leur ville : Ptah à Memphis, Rê à Héliopolis, Thot à Hermo polis… Ces systèmes sont nombreux et variés, même si certaines cosmogonies, où interviennent des divinités plus influentes, priment sur d’autres, trop spécifiques pour être vulgarisées. Malgré cette diversité, on peut dégager un schéma de création idéal. Avant que le monde n’existe, on trouve le Noun. Il
s’agit d’un chaos désorganisé, d’un espace illimité plongé dans une obscurité absolue, qui représente le non-être, le néant, ce qui préexiste à toute chose et qui n’existe pas. Celui-ci contient toutes les virtualités de l’être : la stimulation de cet énorme potentiel doit permettre l’acte de création. On comprend que le Noun abrite en son sein une force qui se matérialise par un être inerte et inconscient : le démiurge, dieu créateur qui va sentir la vie s’animer en lui. Au départ, le Noun n’a pas conscience que le démiurge est en train d’accéder à l’existence,
mais cette transformation conduit le dieu créateur à se dissocier du Noun pour devenir un être à part entière. Son premier acte consiste à se modeler un corps physique car le démiurge, qui est son propre créateur, « est venu à l’existence de lui-même ». Ensuite, il s’attelle à une tâche énorme : celle de la création du monde orga nisé. Ce schéma initial est généralement respecté ; les variantes entre les différentes cosmogonies résident essentiellement dans les méthodes et les outils utilisés par le démiurge pour organiser sa création. A. G. B.
À l’origine, un océan de ténèbres…
Le culte au quotidien
Dès les premières lueurs de l’aube, les arti-sans s’affairent pour préparer la nourriture de la divinité (viande, volaille, pains, gâteaux, légumes, fruits, bière, lait, vin…). Parallèle-ment, on extrait du puits creusé à l’intérieur de l’enceinte sacrée les quantités d’eau néces-saires au déroulement du culte, car tout ce qui approche le dieu doit être purifié par l’eau, les
NOURRITURES SPIRITUELLES Chaque matin, la divi-nité honorée dans un sanctuaire est lavée, purifiée, nourrie pour qu’elle conserve son pouvoir protecteur. • Offrandes à Rê-Horakhty, bois peint, XXe dynastie.
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SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 27
Les dieux familiers, choyés dans chaque foyer, voient ce qui se passe ici ou là. Ils aiment leur fidèles, les aident, à l’occasion les punissent, puis leur pardonnent aussitôt[
fumigations d’encens et le natron (carbonate de sodium). Commence alors la cérémonie de l’« éveil du dieu », dominée par la présentation de la statuette de Maât à la divinité maîtresse du sanctuaire, une fois les premières incantations prononcées et le sceau du naos (la châsse abritant la statue du dieu) descellé. Pour que le rite soit parfait, il faut que la révélation du visage divin se fasse au moment du lever du soleil. Suivent les offrandes de nourriture, épisode qui consti-tue l’apogée du rituel, où il est dit que le ba divin vient rejoindre sa statue pour consommer les offrandes. Les officiants peuvent alors se retirer pour laisser « déjeuner » la divinité. Lorsqu’elle aura « consommé » la matière invisible de ces aliments, les offrandes seront déposées sur les autels des divinités secondaires et seront ensuite rapportées dans les ateliers où les prêtres se les partageront.
Au repas succède la toilette : la statue est lavée, purifiée, vêtue de neuf, parée et parfumée. S’étant muni d’un f lacon d’onguent, le grand prêtre s’enduit le petit doigt de la main droite et touche le front de la statue, qui, régénérée, est prête à assumer la présence du divin sur terre. Puis il scelle le naos, tout en prononçant la for-mule rituelle : « Qu’aucun être maléfique ne pénètre dans ce sanctuaire. » La cérémonie est terminée ; le grand prêtre quitte le sanctuaire en effaçant ses propres traces de pas et referme la porte du saint des saints, inaccessible jusqu’au lendemain matin.
Le service du midi est plus rudimentaire : il ne prévoit pas de repas et consiste en aspersions d’eau et fumigations d’encens. Quant au service du soir, il répète les cérémonies du matin ; toute-fois, celles-ci ne se déroulent plus dans le sanc-tuaire lui-même, mais dans les chapelles laté-rales. Lors des fêtes, qui sont organisées tout au long de l’année selon un calendrier complexe, un service plus solennel est célébré, où inter-viennent de nombreux officiants, musiciennes, chanteuses. Il comprend une liturgie adaptée à l’événement commémoré, prévoit un volume d’offrandes amplifié et, parfois, organise la pro-cession de l’effigie divine dans sa barque por-tative, soit dans les cours à ciel ouvert du sanc-tuaire, soit sur le lac sacré situé dans l’enceinte cultuelle, soit sur le Nil. L
Piété populaireLe culte divin journalier, rendu dans tous
les temples d’Égypte au nom du roi, est un acte sacré accompli dans l’obscurité du saint des saints, sans public. Là, chaque matin, se répète un événement cosmique d’importance : la créa-tion du monde. Seuls quelques initiés y parti-cipent. Les questions théologiques sont réser-vées aux prêtres ; dans les enceintes sacrées abritant les dieux cosmogoniques, ils effectuent les rites journaliers nécessaires à l’équilibre du monde. Cela ne signifie pas qu’il n’existe aucun contact entre les gens ordinaires et les dieux nationaux. Régulièrement, des manifestations publiques montrent au peuple ces hôtes cachés des temples, en particulier quand les divinités quittent leur demeure pour se rendre dans un autre lieu cultuel : c’est le cas lors de la « belle fête d’Opet », où Amon délaisse son temple de Kar-nak pour celui de Louqsor. Au quotidien, l’Égyp-tien préfère adorer des divinités plus proches de ses préoccupations. Ainsi, chaque foyer honore des entités dont le rôle se limite à protéger les habitants : le dieu voit ce qui se passe ici ou là et, lorsque le besoin s’en fait sentir, sait remettre chacun dans le droit chemin. Il aime ses fidèles, les aide, à l’occasion les punit, puis leur pardonne aussitôt. Ce type de piété a existé dans l’ensemble du pays, mais n’a pas toujours laissé de traces. L
DISQUE D’OR Rê, le Soleil, créateur de l’Univers, des dieux et des hommes, n’a pas besoin d’autre image que son disque pour être vénéré. • Toile de Vladislavovich Bakalowicz (1857-1947).
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ÉGYPTE
L’auteur
Écrivain, égyptologue
et journa-liste, elle se passionne
depuis l’ado-lescence pour l’étrange et mystérieuse civilisation égyptienne.
Dè s l e s o r i g i n e s d e l ’ h u m a n i t é , l ’ hom me a t e nt é de r ép ond r e au x questions qu’a fait
naître en lui la contemplation du monde. Notre civilisation a perdu le sens des mythes, par lesquels les Anciens tentaient de comprendre et d’expliquer les phénomènes naturels qui les entouraient. Les certitudes des religions révélées puis la science les ont fait peu à peu disparaître de notre univers contemporain. Pour l’historien des religions Mircea Eliade, le mythe « est une histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des “com-mencements”. » Ainsi le mythe d’Isis, dont le récit est lié à celui d’Osiris, s’est-il métamorphosé en légende. Et les mystères liés à ce dernier ne peuvent être compris sans que soit évoqué le rôle de sa sœur et épouse.
Un couple populaireDans le monde antique, la
popularité du couple se répand dans tout l’Empire romain. À cette époque, son culte offre aux croyants une promesse de salut personnel, absente des autres religions. La dévotion à Isis, symbole de la déesse mère, persiste malgré la mon-tée du christianisme et par-vient jusqu’au Moyen Âge sous les traits de la Vierge noire. Cette divinité égyptienne, dont
le nom signifie « trône », est la fille de Geb et Nout, le Ciel et la Terre, la sœur et la femme d’Osiris, ainsi que la mère d’Horus. Si les Textes des pyra-mides font d’Osiris une entité modèle du devenir royal post mortem (lire p. 34-39), on sait en fait peu de chose sur les ori-gines du couple, car les écrits égyptiens ne contiennent que des allusions.
Le culte d’Isis apparaît sous l’Ancien Empire, vers le XXIVe siècle avant notre ère. La légende a été transmise sous forme d’un récit homogène par Plutarque vers 100 apr. J.-C. Ce texte en résume l’histoire et permet de suivre la chrono-
Par Claudine Le Tourneur d’Ison
Sur l’île de Biggeh, à l’abri des regards, le grand prêtre honore la déesse. Une grande
magicienne qui a ressuscité son époux, Osiris, et offert aux hommes le salut éternel.
Les secrets du culte
d’Isis
logie des événements… sans pour autant dévoiler les clés du secret divin que recouvre le mythe. Selon cette version, Geb et Nout, pendant les jours épagomènes (c’est-à-dire ceux ajoutés aux 365 de l’année pour la faire coïncider avec l’année solaire), mettent au monde, comme le relate la cosmogonie d’Héliopolis, Osiris, Isis, Seth et Nephthys, de même qu’Ha-roëris, qui provient déjà d’un rapport prénatal entre Osiris et Isis. Puis Osiris épouse sa sœur Isis et reçoit de Geb la riche vallée du Nil, alors que Seth et Nephthys héritent des vastes déserts environnants. Il est précisé que, à sa naissance,
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Seth a déchiré les entrailles de sa mère – il incarne déjà la violence et la perturbation, et entraîne dans son tragique des-tin sa sœur Nephthys. Devenu roi d’Égypte, Osiris place son règne sous le signe de l’harmo-nie cosmique et apporte la civi-lisation aux Égyptiens. Il leur apprend à cultiver les champs et leur donne des lois, avant de s’en aller de par le monde répandre ses bienfaits, laissant la régence à Isis.
Dès son retour au pays, son frère et ennemi Seth, jaloux de sa position et de son rayon-nement , foment e u n c om-plot. Comme Isis surveil le attentivement le règne de son époux et le protège, Seth est obligé de recourir à la ruse : avec soixante-douze conspi-rateurs, i l confectionne un cof fre mag ni f ique exacte -ment aux mensurations d’Osi-ris, qu’il promet d’offrir, lors d’un banquet, à « quiconque,
s’y allongeant, le trouverait à sa taille », écrit Plutarque. Bien sûr, aucun des participants ne satisfait à cette condition. Osi-ris s’y allonge à son tour, et, avant même qu’il se relève, les compagnons de Seth referment le couvercle et le clouent, avant de le sceller « avec du plomb fondu », rapporte Plutarque, qui ajoute : « On le porte ensuite au fleuve, et on le fait descendre jusque dans la mer. » Le coffre devient ainsi le cercueil du
FEU SACRÉ Un officiant, reconnaissable à sa tenue en lin et à son crâne rasé, apparaît devant un temple de la divinité au son des sistres, tandis que les fidèles, hommes et femmes, sont réunis autour de l’autel. • Fresque (v. 60-80).
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roi, qui périt noyé. Pourtant, l’historien grec n’évoque pas la mort d’Osiris. Le coffre-cer-cueil est « en soi révélateur du contenu réel du mythe, écrit l’égyptologue Isabelle Franco. Enfermé dans un coffre soi-gneusement clos, le dieu repose au sein d’un réceptacle propre à lui redonner la vie. » Désespé-rée, en proie à un profond cha-grin, Isis part à la recherche de son mari. Après de longues et vaines recherches, « un souffle surnaturel » l’amène sur le lieu où a échoué son époux, et elle retrouve le coffre à Byblos. Entre-temps, il a été pris dans le tronc d’un arbuste de la famille des éricacées (probablement
une bruyère arborescente) que le roi de Byblos a employé comme pilier pour son palais. On peut y voir ici le lien profond qui a toujours uni le dieu égyp-tien aux arbres, rituellement représentés sur les cénotaphes.
Puzzle mythiqueIsis rapporte le corps de son
bien-aimé en Égypte. Furieux, Seth profite d’un moment de distraction d’Isis et découpe la dépouille de son frère en qua-torze morceaux (ou seize selon les textes) qu’il disperse à tra-vers tout le pays. Éplorées mais déterminées, Isis et Nephthys embarquent sur une barque de papyrus et naviguent dans
les marais à la recherche des morceau x du cor ps d’Osi-ris, qu’elles finissent par ras-
sembler petit à petit. Dans chaque lieu qui livre un morceau de corps, on élève un temple. Ainsi, à Philae, se trouve une jambe, l’île de Biggeh abrite un tombeau du dieu, Busiris possède la colonne vertébrale,
l’épaule gauche est à Leto-polis, et à Abydos repose la
tête. Tous les morceaux sont récupérés, excepté le phallus, que Seth a jeté dans le Nil et qui fut avalé par un poisson, l’oxy-rhinque. Avec les fragments du corps de son époux, Isis remo-dèle Osiris, qu’elle enveloppe de bandelettes. Elle fabrique ainsi la première momie, exacte reconstitution du défunt, à qui il manque cependant le phal-lus. Après avoir exprimé leur chagrin et rendu hommage à leur époux et frère, Isis et Neph-thys s’allongent de chaque côté du corps pour l’aider à renaître. Mais Isis ne s’arrête pas en si bon chemin. Ayant recours à la magie, elle se transforme en faucon et, agitant ses ailes au-dessus de l’enveloppe char-nelle de son époux, lui rend le souffle. Puis elle descend sur le corps, dont elle a remplacé le membre viril manquant, et, s’unissant à la momie, conçoit leur fils, Horus.
R e f u s a n t d e s ’a v o u e r vaincu, Seth poursuit Isis, qui est obligée de se cacher avec son en fant dans les ma ré -cages du Delta. Là, elle l’élève et l’aide à grandir en le forti-fiant avec son lait maternel. Une fois adulte, Horus, exhorté
VITALITÉ� En se transformant en faucon, elle parvient, en battant l’air de ses puissantes ailes, à insuffler la vie dans le corps reconstitué de son défunt époux, Osiris. • Détail d’un sarcophage de pa-di-Khonsu (v. 1069-945), musées Sforza, Milan.
Non contente de concentrer en elle toutes les vertus d’une mère et d’une épouse exemplaire, elle concourt à sauver la royauté divine, et donc l’ordre cosmique[
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par sa mère, part venger son père et recueillir l’héritage royal. Isis incarne donc le prin-cipe actif du couple divin. Elle symbolise la féminité divine, non dans le contexte cosmique mais social : elle est l’épouse attentionnée, la veuve fidèle, la mère aimante et nourricière. Son couple devient le modèle de la famille égyptienne. « Leur union garantit la pérennité de la vie dans le monde des hommes au-delà de la mort, dans laquelle l’union des époux permet la fusion avec les êtres divins dont ils reproduisent les gestes », écrit encore Isabelle Franco. La déesse, issue du feu divin du Soleil, est la « grande magicienne », celle qui trans-met l’énergie vitale.
Isis a été dépeinte dans sa forme humaine, couronnée
ADORATEURS� La faveur d’Isis s’étend bien au-delà du Nil : les Hilaria (des fêtes en son honneur) ont lieu dans tout l’Empire romain. • Mosaïque (v. 222-235), maison des Mois, El-Djem, Tunisie.
Une Vierge à l’Enfant
venue du Nil
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380 avant notre ère. Le grand temple d’Isis est ajouté plus t a r d , s ou s l a dom i n at ion grecque. Une petite chapelle dans la cour du temple sert aux représentations des mys-tères de la naissance divine. Sa façade extérieure est surmon-tée de l’effigie d’Hathor, déesse de l’Amour, de la Beauté, de la Maternité, assimilée à Isis. Son culte s’y maintient jusqu’au VIe siècle de notre ère.
Reine des mersTous les dix jours, l’effigie
d’Isis quitte son temple pour rejoindre son époux sur l’île voisine de Biggeh, où nul n’a le droit de se rendre, à l’exception du grand prêtre et de son clergé. Après la mort d’Isis, les Égyp-tiens la vénèrent ainsi qu’Osi-ris. Les Égyptiens célèbrent
par un trône ou par des cornes de vache incluant le disque du Soleil. Un vautour est parfois incorporé à sa couronne. Elle est aussi symbolisée par un cerf-volant au-dessus du corps momifié d’Osiris. Comme per-sonnification du trône, elle est une source importante du pou-voir du pharaon. Son culte est populaire dans toute l’Égypte, les sanctuaires les plus impor-tants étant à Gizeh et à Behbeit el-Hagar, dans le delta du Nil.
Mais c’est sur l’île de Phi-lae que son culte a été célébré jusqu’à l’époque chrétienne. Les Blemmyes, tribu établie en Nubie et devenue égyptienne de religion et de culture, en font leur principal sanctuaire. Ce temple de Philae a été érigé tar-divement, sous la XXXe dynas-tie, sous Nectanebo Ier, vers
la fête d’Isis au moment de la crue du Nil. Les eaux montent, alimentées par les larmes de la déesse pleurant son défunt mari. Tous les ans, au mois de mars, pour le retour de la navigation, une grande célé-bration, baptisée « fête du vais-seau d’Isis », rend hommage à la reine des mers. Elle débute par un carnaval, avec des déguise-ments cocasses.
Une g ra nde procession se met en marche. En tête, les femmes couronnées de fleurs, suivies de la foule, portant cierges et f lambeaux, puis vient le groupe des mystes (les fidèles qui ont reçu le premier degré d’initiation), vêtus de lin blanc et agitant des sistres sonores. Les prêtres, crâne rasé et tout de blanc vêtus, avec les instruments de leurs fonc-tions, lampes et caducées, gros-sissent le cortège. Ils précèdent les porteurs des effigies des dieux et les vases d’or conte-nant l’eau osirienne du Nil. Le grand prêtre ferme la marche, coiffé d’une couronne de roses, un sistre d’or entre les mains.
Au bord de la mer, un vais-seau décoré de peintures et d’inscriptions est amarré. Autour de lui sont disposées toutes les figures des dieux. Puis les prêtres le purifient avec du feu, des œufs et du soufre, avant de le consacrer à Isis et de le charger des diverses of frandes apportées par la foule. Enfin, l’amarre jetée, le navire s’en va au gré des cou-rants. Sur la voile blanche sont inscrits en grosses lettres les vœux, renouvelés chaque année, pour une navigation heureuse et prospère. L
La puissance magique de celle qui mit au monde Horus fait d’elle la protectrice des mères et de la petite enfance, ce qui accroît encore le nombre de ses fidèles[
PAÏEN� Sur l’île de Philae se dresse le plus célèbre des temples dédiés à la « vénérable puissante ». Son culte s’y maintient jusqu’au VIe s., avant d’être remplacé par les hymnes chrétiens. Régulièrement envahi par les eaux depuis la création d’un barrage à Assouan (1902), le sanctuaire est déplacé en 1974, pierre par pierre, sur l’îlot voisin d’Agilkia.
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IDOLE� À la suite des campagnes du Direc-toire, l’Égypte est à la mode, et les loges s’inspirent librement des savoirs antiques. • « Isis maçonnique », XIXe s., musée de la Franc-Maçonne-
rie, Paris.
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A u cours du Siècle des lumières, des philosophes francs-maçons, épris d’égyptomanie, portent leur attention sur
les mystères d’Isis et tentent de les réinventer dans le cadre des rituels de leurs loges initiatiques. Les symboles hérités de l’Égypte antique dans le temple maçonnique sont le culte de la lumière solaire (que l’on retrouve dans les rituels), la figure de l’œil d’où partent trois rayons (en l’occurrence, l’œil d’Osiris, père de la lumière) et le cabinet de réflexion (reflet moderne des cryptes des mystères d’Isis et d’Osiris).Comme dans le mythe d’Osiris – dans lequel Isis, l’épouse et veuve fidèle, rassemble les morceaux de son mari puis insuffle une étincelle de vie pour être fécondée –, les francs-maçons, pour contribuer à la réalisation de leur idéal, doivent rassembler, en eux, ce qui est épars. Cela est donc un moyen, et c’est le symbolisme qui en donne la mesure. Car « faire symbole », c’est étymologiquement rapprocher les deux morceaux d’un même objet par deux individus différents afin qu’ils se rejoignent et se reconnaissent. « Faire symbole », c’est déjà poser un acte pour retrouver l’unité. Ce qui présuppose que cette unité a existé, a été perdue, qu’elle est reconstructible et qu’il existe une démarche pour la retrouver, comme Isis le fit dans sa quête des fragments du corps de son époux, Osiris.Le symbolisme maçonnique est un moyen, une démarche unificatrice qui permet l’échange au-delà des différences de culture, de religion ou d’opinion. Il conduit à ce que Jung appelait l’inconscient collectif et reconnecte les êtres au sens le plus secret des représentations archétypales auxquelles ils peuvent accéder par l’intermédiaire du symbole. « Rassembler ce qui est épars » revient à passer du multiple à l’unité ; c’est atteindre la sagesse par la connaissance, la tolérance et l’amour fraternel. C’est toucher en somme le centre de l’être, où brille cette lumière qu’il pourra, alors, répandre autour de lui.Isis, à la fois divinité guerrière et grande magicienne, symbolise également, pour les frères de la
franc-maçonnerie, l’alternative nomade, le voyage initiatique qui lui permet « de rassembler les membres dispersés de son époux et de lui rendre son intégrité ; ce faisant, elle relie les villes entre elles et reconstitue le corps symbolique du dieu ». Rassembler, réunir, réanimer sont les trois temps de l’œuvre isiaque, un procès alchimique dans lequel larmes, souffle, sang, verbe, semence et lait, notamment, sont des composants essentiels. Isis est aussi la veuve, celle qui est vecteur de résurrection et d’énergie. L�C.�L.�T.�I.
Quand Isis entre en�franc-maçonnerie
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34 HISTORIASEPTEMBRE 2015
Par Yetty Hagendorf
Des fouilles sous-marines près d’Alexandrie lèvent le voile sur la plus énigmatique cérémonie religieuse de l’Égypte ancienne. L’archéologue Franck Goddio nous révèle ce rite fondateur.
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DE PROFUNDIS Tête-à-tête insolite entre un plongeur
de l’Institut européen d’archéo logie
sous-marine (IEASM) et une figure de prêtre
en granit noir de l’époque ptolémaïque
(IVe-Ier s. av. J.-C.).
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36 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
Em mai l loté dans des bandelet tes comme une momie, coiffé de la mitre blanche ornée de plumes de la Haute-Égypte, les bras croisés sur la poitrine, Osiris est facile à reconnaître. C’est le
dieu des morts, le seigneur de l’au-delà, le juge des défunts. Personnage énigmatique qu’Héro-dote désignait comme « Celui dont la piété ne me permet pas de prononcer ici le nom », cette divinité apparaît dans le panthéon à la fin de la Ve dynastie (v. 2400 av. J.-C.). Pourtant, « tout porte à croire que les processions ont débuté avec l’histoire égyptienne, puisque Osiris est le dieu civilisateur, celui qui apporte l’abon-dance à l’Égypte, celui qui, tué et démembré par son frère (Seth), revivra grâce aux pouvoirs magiques de sa sœur et épouse (Isis), le temps d’engen-drer leur fils (Horus), qui combattra Seth et les forces du mal et deviendra pharaon d’Égypte », explique Franck Goddio. Mais il n’est fait mention de la célébration des mystères d’Osi-ris qu’à partir de la XIe dynastie (v. 1980 av. J.-C.).
Lutter contre les forces du malPar « mystère » (un dérivé du grec muein, « se
fermer »), il faut entendre ici une grande céré-monie commémorant et renouvelant annuel-lement cette légende divine. Composé d’ensei-gnements secrets, le mystère n’est expli-qué qu’aux seuls initiés. Raison pour laquelle la complexité du mythe osirien et de ses rites ne peut être évoquée qu’à grands traits : l’af-frontement contre les forces du mal, la mort et le retour du dieu (archétype du pharaon promis à la résurrection). Il devient donc rapidement, pour tous les Égyp-tiens, la divinité du salut post mortem.
C é l é b r é s d a n s plusieurs cités égyp-tiennes, les mystères d ’ O s i r i s – e t l e u r calendrier – nous sont connus par quelques rares textes tardifs. La stèle dite « de Canope »
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L’auteur
Journaliste, collabora-trice régu-
lière de notre magazine, elle s’est
plongée dans la malle au trésor des
archéo logues de l’IEASM.
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[Le culte d’Osiris est célébré à partir du Moyen Empire (v. 2060-1765 av. J.-C.), d’abord à Abydos, ville sacrée de cette déité, puis dans tous les grands temples d’Égypte
BIENFAITEUR La légende osirienne reproduit le cycle de l’agriculture, qui s’achève avec la moisson et renaît avec la germination. Revenu à la vie, le dieu arbore le disque solaire, qui repose sur deux cornes de bélier, symbole de fécondité. • « Le Réveil d’Osiris », sculpture datant du VIIe-VIe s. av. J.-C.
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 37
(238 av. J.-C.), découverte à Kôm el-Hisn en 1881, indique que dans le temple d’Amon Gereb, dans la ville d’Héra cléion, comme dans la plupart des grands temples d’Égypte, sont célébrés, au mois de Choiak (le quatrième mois de l’inondation du calendrier de l’Égypte, qui correspond aux mois d’octobre et de novembre), les mystères d’Osiris. Ils s’achèvent en ces lieux par une longue proces-sion nautique jusqu’au sanctuaire de la cité de Canope. Celle-ci et Héracléion, situées dans la baie d’Aboukir et englouties à la fin du VIIIe siècle de notre ère à la suite de plusieurs cataclysmes, ont été redécouvertes respectivement en 1997 et en 2000 par l’Institut européen d’archéologie sous-marine, dirigé par Franck Goddio. Elles ont dévoilé une richesse archéo logique telle qu’il est aujourd’hui possible de retracer, malgré quelques zones d’ombre qui subsistent, le dérou-lement de ces cérémonies secrètes.
Incarnation de la vie renouveléeDans les profondeurs marines, sous les algues
et les sédiments, les archéologues de l’équipe de Franck Goddio ont mis au jour des centaines de pièces (statues, offrandes, objets liturgiques – et même les fondations d’un temple) qui racontent l’incroyable dévotion des Égyptiens pour Osiris, la sophistication de la procession divine et le rôle central joué par ce dieu bienveillant. Au cours du Moyen Empire à Abydos (nord-ouest de Thèbes), ville sacrée d’Osiris – dont le clergé local s’hono-rait de détenir la tête du dieu –, ainsi que dans l’ensemble des grandes cités, des cérémonies sont organisées chaque année pour célébrer la renaissance d’Osiris. Les reliefs des chapelles osiriennes du temple d’Hathor, à Dendérah, au nord de Louqsor, décrivent en détail une partie des mystères qui se déroulent à cette occasion au mois de Choiak (le quatrième de l’année), à la fin de la saison de l’inondation, lorsque la décrue du Nil précède la germination des semences.
Cette fête commémore, nous l’avons dit, la mort et la renaissance du dieu. Le cérémonial pratiqué a donc pour but de reconstituer l’in-tégrité physique d’Osiris. À côté de festivités publiques, des rituels se déroulent à l’abri des regards, dans les temples. Ils célèbrent moins l’humanité du dieu ressuscité que les fonctions originelles d’Osiris, véritable dieu de la Terre
et des Forces végétales, qui assure les cycles récurrents de la vie. Des prêtres initiés, agis-sant au nom du pharaon, modèlent dans le plus grand secret deux idoles du dieu. La première statuette, appelée « Osiris végétant », est compo-sée d’un savant dosage de limon et de grains pla-cés dans deux demi-moules puis déposés dans une cuve, entre deux couches de joncs, et arrosés d’eau jusqu’à germination – un symbole de la vie éternellement renouvelée. Prières et libations accompagnent ces cérémonies. Le 21 du mois de Choiak, les deux parties sont démoulées, séchées au soleil puis réunies avec des bandelettes de lin cultivé dans un champ sacré dans l’enceinte du temple et labouré par un bœuf.
La seconde statuette, « Osiris Sokaris », est élaborée à partir de limon, d’onguents, de résine, de pierres semi-précieuses broyées et de diffé-rentes substances aromatiques, réparties dans 14 vases représentant les 14 fragments d’Osiris démembré. Mélangée avec une louche appelée « grande réunisseuse », la pâte est malaxée et
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PROCESSION Lors des fêtes en l’honneur du « Maître univer-sel », des prêtres portent au Nil des effigies à son image faites de limon et remplies de grains. • Détail d’une mosaïque du IIe s. av. J.-C.
ÉCLAT Le saint patron des morts est aussi assimilé à l’astre du jour, qui s’éteint le soir et rejaillit à l’aube. C’est d’ailleurs dans une barque sacrée qu’il effectue son retour parmi les vivants. • Pectoral du Xe s. av. J.-C. représentant le char du Soleil, entouré d’Isis et de Nephthys, aux ailes déployées.
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pétrie jusqu’à prendre la forme d’un œuf. Elle repose ensuite durant sept jours sur les genoux d’une statue représentant Nout, la déesse du Ciel, mère d’Osiris, dans un vase d’argent. Sept jours nécessaires à la transmutation de la matière pour la gestation du dieu. Sept jours, un jour valant un mois, car Osiris aurait été engendré en sept mois. Les deux parties du moule sagittal (les demi-silhouettes) sont remplies avec le savant mélange puis séchées au soleil sur un socle d’or, avant d’être assemblées et enveloppées de bande-lettes de lin suivant le rituel funéraire. Les sta-tuettes incarnent le dieu revenu à la vie et la terre égyptienne, périodiquement tuée par l’aridité de l’été et renaissant après la crue du Nil.
Le 22 du mois de Choiak, une procession nau-tique de l’Osiris végétant a lieu autour du temple d’Amon Gereb. Posé sur sa barque, le dieu, non encore achevé, est escorté par 33 autres barques en papyrus occupées par des divinités protec-trices (Horus, Thot, Anubis, Isis, Nephthys). Le cortège est illuminé par 365 lampes à huile repré-sentant les jours de l’année. Des barques votives
de plomb représentant exactement les barques divines de papyrus ont été retrouvées au fond des canaux, sacralisant le parcours. Au terme de cette procession, l’Osiris végétant regagne le saint des saints. Une fois la statuette de l’Osiris Sokaris achevée, le prêtre ritualiste remplace les deux statuettes de l’année précédente reposant dans un endroit secret du temple par ces deux nouveaux simulacres du dieu. Aucun texte n’ex-plique pourquoi les Égyptiens fabriquent deux et non un seul simulacre d’Osiris.
Le 29 du mois de Choiak commence, dans la liesse populaire, une nouvelle procession nau-tique qui transporte d’Héracléion à Canope (distantes de 3,5 kilomètres) les deux statuettes de l’année précédente et le dieu Osiris. La navi-gation s’effectue au coucher du soleil. Le canal est bordé d’oratoires, d’offrandes et de sacri-fices. Des prêtres miment la passion du dieu ou chantent la victoire d’Osiris. Ces fêtes rituelles attirent de nombreux pèlerins, certains psal-modient des incantations extraites du Livre de la sortie au jour, d’autres font des offrandes. La
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Les mystères traversent les époques. À son retour d’Égypte, en 131, l’empereur romain Hadrien construit, en Italie, le temple de Sérapis, sur le modèle du Serapeum de Canope[
FONDS SOU-VERAINS Divinités mises au jour dans la baie d’Aboukir. Les offrandes et simulacres d’Osiris utilisés lors des cérémonies tapissent l’embou chure du Nil entre les cités de ThônisHéracléion et de Canope.
INDICES De nombreux instruments ayant servi à la fabrication des effigies du dieu (bols, passoires, ustensiles de fumigation…) ont été retrouvés enfouis dans le limon, de même que des dépôts votifs (comme cette barque en plomb, dont le cisèlement évoque le tressage des papyrus) ou des vestiges de sacrifices d’animaux.
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 39
cérémonie des mystères est célébrée dans tous les grands temples d’Égypte. Elle dure vingt et un jours et perpétue le renouvellement de la légende osirienne. Dans la baie d’Aboukir, les archéologues ont découvert des dizaines d’exvoto, plats à offrandes, louches au long manche terminé par une tête de canard, restes de sacrifices et même l’épave d’un bateau de 11 mètres de longueur, probablement une des barques processionnelles du dieu, pieusement sabordée près d’un oratoire… « À l’arrivée à Canope, deux scénarios sont possibles, explique Franck Goddio. Les effigies sont enterrées dans l’enceinte du grand temple de Sérapis, rejoignant une nécropole osirienne, comme celle qu’on a trouvée à Karnak. Seconde hypothèse : elles sont jetées dans l’eau du canal sacré de la ville, assimilée à l’eau primordiale. »
Dynastie et ordre cosmiqueLe simulacre du dieu est enterré à la neu
vième heure de la nuit. Les textes évoquent même l’attitude du prêtre qui doit feindre de ne pas savoir – pour respecter le secret de sa localisation – où se trouve le tombeau du dieu puis le croiser par hasard. La tenue des mystères d’Osiris promet l’abondance, la stabilité du pouvoir dynastique et celle de l’ordre cosmique. Grâce aux écrits et à la durabilité de la théocratie pharaonique, ils traversent les époques : pharaonique, grecque et romaine. Il est plus que probable, par exemple, qu’Hadrien, qui séjourne en 131 à Alexandrie, les a célébrés, en tant que pharaon d’Égypte. À son retour, il construit dans la villa Hadriana, en Italie, le Canope et le temple de Sérapis sur le modèle du fameux Serapeum de Canope. « En 391, le grand temple de Sérapis de Canope a été mis à sac par des hordes exhortées par l’évêque Théophile. Les chrétiens édifièrent ensuite avec ses pierres le monastère de la Métanoia », ajoute Franck Goddio.
Si l’on dispose aujourd’hui d’une telle abondance de pièces d’époque, c’est parce que les villes d’Héracléion et de Canope ont été submergées par les flots il y a douze siècles, sans doute le même jour, à la même heure. « Comme la cité de Pompéi, qui fut préservée des intempéries et des pillages, les villes de la baie d’Aboukir ont été épargnées. Une chance inouïe », précise, toujours émerveillé, l’archéologue. LFr
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Deux décenniesde recherches
En 1996, Franck Goddio se lance dans
une vaste prospection géophysique pour
cartographier la région canopique probablement
submergée en baie d’Aboukir, à 30 km au nord-
est d’Alexandrie. Jusque-là, les recherches
archéologiques s’appuyaient sur les textes anciens
(stèle du décret de Canope, textes d’Hérodote,
Diodore de Sicile, Strabon) et des découvertes
faites non loin de la côte. Un an plus tard, Franck
Goddio redécouvre la ville de Canope et entame
une reconnaissance de terrain pour repérer
des vestiges enfouis. Les fouilles débutent en
1999. En 2000, la cité de Thônis-Héracléion
est localisée. Des recherches menées en 2001
permettent d’identifier le temple d’Amon Gereb
grâce aux inscriptions de son naos (tabernacle
au sein du temple). Une topographie de la ville
est élaborée, qui révèle les bassins portuaires,
les quartiers d’habitation, les sanctuaires. Une
cuve-jardin dans laquelle étaient fabriquées
les figurines d’Osiris végétant est retrouvée
dans le temple. Des barques votives en plomb
témoignent de la navigation sacrée autour du
grand sanctuaire d’Osiris végétant, et plus de
100 grandes réunisseuses (louches rituelles)
servant au culte des mystères sont extraites des
eaux. Le potentiel du site est tel qu’il nécessite
encore des années de fouille… L Y. H.
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DOSSIER ÉGYPTE
40 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
Quelque 300 objets, trésors enfouis depuis douze siècles dans le limon du fleuve égyptien, refont surface pour cette exposition inédite sur le culte, nimbé de mystère, d’Osiris.
�Le dieu du Nil entre en Seine
Le prologue est spectaculaire, mêlant, dans une même scénographie, l’évo-cation du mythe d’Osiris, la célébra-tion de ses mystères et la stupéfiante vision des cités englouties de Thonis-
Héracléion et de Canope. Sommes-nous dans le royaume des morts d’Osiris, dans les profon-deurs limoneuses du Nil ou dans celles de la baie d’Aboukir ? Sur d’immenses parois de tulle, zébrées de lumières vertes et dorées et frisson-nant du flux des vagues, du souffle du vent ou de celui du dieu ressuscité, s’étire une longue pro-cession de divinités et de prêtres – les images projetées proviennent des chapelles osiriennes de Dendérah –, procession qui s’avance vers une colossale statue de granit rose du dieu Hâpi, représenté avec des seins volumineux, symbole du Nil et de ses inondations fécondes.
Remontée vers la lumière du jourO n i m a g i ne l ’émot ion de s plon geu r s
lorsqu’ils découvrirent ce colosse reposant au fond des eaux depuis plus de douze siècles ! Les explorations sous-marines menées par Franck Goddio et son équipe, présentées en fin de par-cours dans un documentaire sur grand écran, sont à l’origine de cette exposition qui présente quelque 250 objets provenant de ces fouilles – et que complète une quarantaine de chefs-d’œuvre des musées du Caire et d’Alexandrie, dont la majorité n’est jamais sortie d’Égypte. Tout d’abord est évoqué le mythe fondateur, une séquence illustrée par de superbes statues d’Osiris, d’Isis et de sa sœur Nephthys, d’Horus, de Sérapis. Les cérémonies des mystères et les questions qui les entourent encore font l’objet
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 41
d’une deuxième séquence, qui baigne le visiteur d’une « lumière obscure » chargée de limons, de plancton, où l’on distingue les plongeurs au tra-vail sur les sites des villes de Thonis-Héracléion et de Canope – associées dans la célébration des mystères. Mobilier cultuel, statuettes, dépôts votifs, barques funéraires, amulettes, vaisselle liturgique, papyrus de prières… l’abondance des objets témoigne de la ferveur qui montait vers Osiris. La célébrissime statue de gneiss du musée du Caire le montrant s’éveillant après une période de « germination », évoquée à travers des effigies et une surprenante cuve-jardin, est une image inoubliable de sérénité et de joie solaire. La troisième séquence est une remontée vers la
Historia – Comment est née l’idée de cette exposition ?Jack Lang – L’IMA alterne les
manifestations patrimoniales ou historiques et les événements plus actuels, comme l’exposition consa-crée cette année au Maroc contem-porain. Sans crainte d’aller très loin dans le passé ni très en avant dans le futur. Je connaissais le travail remarquable accompli par Franck Goddio et ses équipes. J’ai appris qu’ils avaient découvert des pièces attestant la célébration des cérémo-nies de résurrection d’Osiris. L’idée d’organiser une exposition majeure, séduisante et scienti f iquement exceptionnelle, s’est imposée.
H. – Quelles sont les prin-cipales difficultés que vous avez rencontrées ?J. L. – Nous avons dû convaincre
les autorités du service des antiqui-tés égyptiennes d’accepter que, pour la première fois, des pièces quittent le territoire égyptien. Qu’il s’agisse d’objets découverts par Franck God-dio ou d’œuvres provenant d’institu-tions ou de musées locaux. Au total, ce sont plus de 250 objets retrouvés par
l’archéologue qui seront transpor-tés à l’IMA, auxquels s’ajoutent une quarantaine d’œuvres issues des musées du Caire et d’Alexandrie. Aucune de ces pièces n’a jamais été présentée en France, certaines sont même inconnues des Égyptiens !
H. – Avant cet événement, étiez-vous féru de mytho-logie égyptienne ?J. L . – Je suis un amoureux
de l’Ég ypte ancienne depuis la sixième ! Un vrai passionné ! Avec le temps, j’ai noué des liens avec de nom-breux artistes contemporains, des peintres, des écrivains égyptiens, notamment le grand Alaa al-Aswany. La légende d’Osiris et la tenue des mystères ne me sont pas étrangères, mais j’en ignorais tous les secrets. Par exemple, le fait que les cérémo-nies avaient lieu dans de nombreuses villes du territoire égyptien.
H. – Que vous inspire la célé-bration de ces mystères ?J. L. – La résurrection est un
temps consubstantiel à la pensée hu mai ne et com mu n à de nom-breuses religions, mais, dans le cas
d’Isis et Osiris, s’y ajoute une dimen-sion affective – on pourrait presque dire amoureuse –, passionnée et pas-sionnelle. Cette relation à la mort, à la momification, au passage d’une vie à une autre, est fascinante.
H. – D’où vient la passion des Français pour l’Égypte ?J. L. – Le mystère et la splendeur
des temples et des pyramides, Cham-pollion, qui a déchiffré les hiéro-glyphes, Auguste Mariette, mais sur-tout Bonaparte, expliquent, à mon avis, cette curiosité permanente des Français pour ce pays. L
Propos recueillis par Yetty Hagendorf
lumière du jour et vers les représentations d’Osi-ris et des divinités qui lui sont associées jusqu’à la fin de l’époque romaine. Splendide Taureau Apis du musée d’Alexandrie, image de la suc-cession royale et de la renaissance d’Osiris, Isis allaitant Horus, et son étonnant avatar de pierre noire, la déesse hippopotame Thouëris, symbole de la fécondité des sombres limons du fleuve, ou émouvante statuette d’Antinoüs, le favori d’Ha-drien qui fut divinisé pour avoir trouvé la mort dans le Nil, comme Osiris… Pour conclure, une statue d’Osiris enveloppé de bandelettes rap-pelle qu’il ne dut sa survie éternelle qu’à l’amour d’Isis et à l’ingéniosité du dieu chacal Anubis, qui inventa la momification. L Joëlle Chevé
« Des œuvres iné dites en France »
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INTERVIEW Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe
DOSSIER ÉGYPTE
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Par Claudine Le Tourneur d’Ison
L’embaumement est la marque de fabrique du rite funéraire égyptien. Un savoir-faire hérité d’Isis et pratiqué
avec l’espoir de redonner vie aux disparus, tel Osiris.
Passeport pour l’étrange pays
des morts
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 43
Les Égyptiens de l’An-tiquité sont ferme -ment convaincus que l’homme continue à vivre après la mort.
Même s’i ls n’ont pas pou r autant une idée très claire de la nature de cette existence ni de l’endroit précis où elle se déroule. Dans les temps primi-tifs, ils croient que le défunt – au premier rang desquels, le roi – trouve sa place parmi les étoiles, les oiseaux, ou tout simplement là où reposent ses ossements. Ils imaginent éga-lement qu’il habite le monde souterrain que parcourt le dieu solaire dans sa barque pendant la nuit. Au cours de cette pro-menade nocturne, il évolue en compagnie de ceux qui l’ont précédé dans la mort, « sur les beaux sentiers où cheminent les bienheureux ».
lisée par les prêtres embau-meurs des nécropoles. Elle n’est pas qu’une technique de préservation. Son but est de transfigurer la dépouille en un corps glorieux et éternel assi-milé à Osiris, le premier mortel à avoir bénéficié de ce rituel de revivification.
Symboles d’éternité, les momies comptent parmi les témoins les plus embléma-tiques de la civilisation égyp-tienne. Elles semblent être la réponse à des questions exis-tentielles : Qu’est-ce que la mort ? Qu’y a-t-il après ? La volonté des Anciens de recher-cher l’immortalité de l’enve-loppe terrestre est proprement fascinante. Les embaumeurs défient les lois de la nature en vue d’atteindre ce rêve impos-sible : conserver le corps au-delà de la mort.
La survie du corps est un élément essentiel pour vivre d a n s l ’au- del à . L e s Ég y p -tiens pensent qu’un homme est constitué de trois éléments immatériels : le ba (la pensée) ; l’akh (l’esprit lumineux) ; le ka (la force vitale).
Embellir la dépouillePour s’animer et garantir
la vie éternelle après le trépas, ces trois éléments ont besoin du corps. Dès 3500 avant notre ère, les embaumeurs s’emploient à arrêter le processus naturel de décomposition par l’utilisa-tion de produits divers. Pour conserver le corps des défunts, les Égyptiens mettent au point des techniques d’une impres-sionnante sophistication, qui ne cessent d’évoluer au cours des millénaires. Rituel reli-gieux, la momification est réa-
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GISANT Le corps du défunt est allongé, afin d’être protégé, dans deux cercueils emboîtés l’un dans l’autre. Sur la momie est déposé le masque du mort dans la force de l’âge. • Toile d’Edwin Longsden Long.
DOSSIER ÉGYPTE
44 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
Le premier geste de l’em-baumeur vise à purifier, par une lustration rituelle, l’enve-loppe terrestre du défunt. Puis le cerveau est retiré à l’aide d’un crochet de fer et détruit. Si nous attribuons au cerveau une importance vitale, pour les anciens Égyptiens, c’est le cœur qui abrite le siège de la pensée et des émotions. Selon son poids, celui-ci doit décider de la culpa-bilité du défunt devant Osiris lors du jugement au tribunal des morts. Il est alors extrait du corps et remplacé par un sca-rabée en pierre. Cet insecte est considéré comme un animal mystérieux et sacré. Son image était aussi forte pour la religion égyptienne que la croix pour le christianisme. Si l’on substi-tue au cœur, chargé de péchés, ce symbole vénéré, et si on l’ad-
jure au moyen d’une inscrip-tion de « ne pas se lever comme témoin » contre son possesseur, le mort doit en retirer un avan-tage très important.
Purification parfuméeDès l’époque très ancienne,
l e s É g y p t i e n s é p r o u v e nt une forte crainte à l’idée que leurs morts soient torturés par la faim et la soif. Très tôt, ils prennent des mesures de conservation en faveur des viscères. Ils sont extraits du cadavre par une incision dans le flanc droit faite à l’aide d’une pierre d’Éthiopie, puis l’abdo-men est nettoyé et purifié avec du vin de palmes et des aro-mates broyés. Les viscères sont ensuite déposés dans quatre vases en pierre dont chacun est sous la protection d’une divi-
nité particulière : Amset, Hâpi, Douamoutef et Kebehsenouf, vus comme les quatre fils d’Ho-rus préservant le mort de la faim. Ces récipients, appelés vases « canopes », sont initiale-ment fermés par un couvercle, en pierre lui aussi, et, plus tard, au Nouvel Empire, par un cou-vercle à l’effigie du proprié-taire du tombeau.
Le corps est de nouveau nettoyé, lavé, purifié, recou-vert de natron (carbonate de sodium) et laissé ainsi pendant soixante-dix jours, avant d’être emmailloté dans des bande-lettes de lin très fin. Lors de la momification, des amulettes sont glissées entre les bande-lettes pour favoriser la renais-sance du défunt et sa survie dans l’au-delà. Ainsi enveloppé de ses linceuls de lin, le corps
UN VOYAGE CORPS ET ÂMELa conservation de l’enveloppe charnelle est la clé de la survie de l’esprit. Un processus complexe et ritualisé qui peut durer soixante-dix jours.
VISCÈRES Les embaumeurs prélèvent, à l’aide d’un couteau (ci-dessous), les organes vitaux (cœur, poumons, foie, intestin), qu’ils stockent dans des urnes funéraires, les canopes (ci-contre), représentant les quatre fils d’Horus : Amset,
Hâpi, Doua moutef et Kebehsenouf.
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est placé dans deux cercueils de bois, ou dans un cercueil de bois et un sarcophage de pierre, afin d’être parfaitement pro-tégé. Sur la momie est déposé un masque funéraire représen-tant le mort idéalisé et dans la force de l’âge.
Un périple dangereuxLes funérailles se déroulent
selon un rituel décrit dans le Livre des morts. Elles sont le pré-lude à la renaissance du défunt. Toujours en vu de son bien-être, les Égyptiens ont recours à des formules magiques qui font référence à Osiris, assas-siné par son frère Seth, vengé par son fils, Horus, avant d’être rappelé à une vie nouvelle. Un tel sort est désiré pour tout homme sur le point de mourir qui espère s’éveiller, comme
Osiris, tout en souhaitant que son fils prenne soin de son tom-beau et honore sa mémoire. À cette assimilation sont adap-tées les formules magiques récitées dans le tombeau.
D’ailleurs, dès le Moyen Empire, le mort est appelé « Osi-ris N.N. », comme s’il était le dieu lui-même, et reçoit l’épi-thète « justifié », car Osiris a pu justifier sa lutte contre ses en nemis devant le tribu-nal divin. Le prêtre qui tient le cadavre avant sa mise au tom-beau porte le masque d’Anu-bis, qui a tenu Osiris. Sur les bas-reliefs et les peintures du tombeau, Isis et Nephthys sont représentées en train de se lamenter, comme si le défunt était l’époux d’Isis. Nout, la déesse du Ciel, devient la mère du nouvel arrivant au pays des
morts. Avant la descente de la momie dans son tombeau, le prêtre célèbre une cérémonie emblématique et fondamen-tale, l’une des plus connues de celles de l’Égypte : le rituel de l’ouverture de la bouche. Acte hautement symbolique, prati-qué par un prêtre à l’aide d’une herminette, ce geste magique redonne la parole, l’ouïe, l’odo-rat et la vue au défunt afin qu’il accomplisse son périple dangereux avant d’accéder au royaume des morts. Il est le symbole de la résurrection et de la vie après la mort.
En réalité, il ne s’agit là que de l’acte final d’un rite com-plexe et long. Les chercheurs considèrent pour leur part qu’il existait 75 scènes de ce rite, même si, comme le note l’égyptologue allemand Jan
MOMIE Après avoir été déshydraté, le cadavre, abondamment aspergé d’essences et d’huiles, est recouvert de bandelettes de lin puis placé dans un sarcophage à son effigie.
MAGIE Pleuré par ses proches, le défunt est présenté par Anubis pour le rituel de l’ou ver ture de la bouche, qui lui permet de recouvrer ses cinq sens pour les épreuves qui l’attendent.
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46 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
Assmann, aucun document, aucune tombe ne fournit ces 75 chapitres. Le récit le plus complet en possède seulement une cinquantaine.
Sur les décors des tombes du Nouvel Empire et sur les vignettes décorées des papy-rus du Livre des morts, l’ouver-ture de la bouche se déroule tou-jours dans l’entrée de la tombe. La momie, une fois le cortège funèbre arrivé à destination, est sortie du cercueil et dépo-sée debout devant la sépulture. Le prêtre, vêtu d’une peau de léopard, pratique le rituel en récitant les formules appro-priées. Le visage du mort doit être orienté au sud en raison de la densité solaire à une cer-taine heure de la journée. Cette intensité joue un rôle dans le
culte solaire. La momie doit êt re mise deva nt Rê. Et i l semble que l’omniprésence du culte solaire, à partir de la fin de la XVIIIe dynastie (v. 1320-1300 av. J.-C.), modifie le rite de l’ouverture de la bouche (qui se déroule désormais dans la tombe du mort). Surtout, il pro-voque un agencement plus pré-cis de la sépulture.
Sacrifice à chaudLa momie est peu à peu sépa-
rée, protégée du monde mortel, impur, par un mur. Assmann rappelle que les Textes des pyramides font état du même procédé : la momie est dressée devant le soleil. Au cours de l’ouverture de la bouche, un des passages les plus impor-tants est celui de l’offrande, à
la momie comme à la statue, du cuisseau et du cœur d’un veau, encore chauds. Il ne s’agit pas ici d’un don de nourriture. Le prêtre ne présente pas le cuis-seau et le cœur en offrande mais en rite de l’ouverture de la bouche. Assmann explique que la forme du cuisseau et son hié-roglyphe ressemblent à l’her-minette utilisée par les prêtres. Cette « offrande » est cruelle car les bouchers coupent le cuis-seau sur un veau vivant puis lui ôtent le cœur. Surtout, cela se déroule à proximité de la vache, qui, effrayée, se met à beugler, tandis que le prêtre présente au visage du mort cette « nourri-ture » encore chaude. Pour Ass-mann, cela doit aider à rendre vie au défu nt , juste ava nt l’usage de l’herminette…
Un ensemble de textes funéraires, tel un livre de prières, accompagne le trépassé dans son voyage vers l’au-delà, où des dangers risquent de le faire mourir de nouveau[
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ESPRITS Après le décès s’opère, dans la salle des Deux-Vérités, la pesée des âmes, un rituel présidé par Osiris (à g.) et auquel participent (de g. à dr.) Thot, le dieu de l’Écriture, Anubis, préposé à la balance, Maât, la déesse de la Justice, dont la plume sert comme mesure étalon pour cette pesée. • Papyrus, XXXe dynastie.
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 47
Le rite de l’ouverture de la bouche joue donc un rôle cen-tral dans le Livre des morts et dans les décors funéraires du Nouvel Empire. Il permet de préparer le défunt pour sa future vie et aux différentes épreuves auxquelles il va être confronté : tribunal de l’au-delà, passage des gardiens des portes, pesée de l’âme. Celles-ci l’obligent à parler, à entendre, à voir. Grâce à la magie, le prêtre lui redonne les cinq sens.
La mort sans recoursPour se défendre contre
les dangers qui le guettent dans l’au-delà et risquent de le faire mourir une seconde fois, ce qui serait alors « la mort sans recours », un ensemble de textes funéraires doit assurer sa protection : les Textes des pyramides. Source importante de notre connaissance de l’au-delà royal, ils forment le pre-mier corpus de textes de la litté-rature égyptienne. Au Moyen Empire, ils sont remplacés par les Textes des sarcophages, plus exclusivement réservés au roi, qui donnent des conseils pour que se déroule au mieux la vie dans le monde supra-terrestre. Au Nouvel Empire, le Livre des morts offre au défunt une aide concrète pour qu’il y évite les dangers et y obtienne des avantages. Plus ancien livre illustré, il porte le nom et les titres du mort. Ces textes l’accompagnent dans la tombe comme un livre de prières. Rou-lés et scellés, ils sont posés sur le sarcophage, ou bien enfer-més dans une statuette d’Osiris en bois, ou encore glissés dans les bandelettes de la momie. L
Le ka en quête de corps
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Ce que les Égyptiens appellent le ka est le
souffle divin, parcelle de la conscience
divine, sans lequel il n’y a pas d’individualité
possible. Pour les hommes comme pour les
dieux, il est l’élément spirituel, issu de Rê, qui
constitue la condition même de la vie. Lorsque
l’homme engendre des enfants, ce n’est pas son
corps qui crée la vie, mais le ka qui l’anime. Les
hommes sont donc des ka vivants. Ils vivent tant
qu’ils sont avec leur ka. Pourtant, le sort du ka
n’est pas indéfiniment uni à celui dans lequel il
s’est incarné. Tuer quelqu’un, c’est par exemple
chasser le ka de son corps. Après la mort, ce ka
continue d’être considéré comme le représentant
de la personne humaine. Il faut donc conserver
le corps afin que le ka en reprenne possession
et, pour qu’il identifie le disparu, on place dans
la tombe une statue, comme celle du ka royal
de Toutankhamon (photo), retrouvée dans sa
chambre funéraire. C. L. T. I.
DOSSIER
48 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
ÉGYPTE
Da n s l ’ É g y p t e a n c i e n n e , q u i demeure une réfé-rence incontou r-nable dans le monde
de l’occulte, il n’existe pas de frontière bien définie entre religion, médecine et magie. Chacun en use régulièrement, quel que soit son rang ou sa fonc-tion. Si les représentations et les hiéroglyphes ont le pouvoir de capter l’essence des choses – donc d’agir efficacement sur elles –, la véritable magie, elle, est défensive et doit être consi-dérée comme une arme offerte aux hommes par les dieux pour se prémunir contre l’ensemble des menaces qui peuplent le monde organisé.
Cette puissance magique – le heka – est personnalisée pa r u n dieu du même nom (voir p. 51). Si son rôle appa-
quant des pratiques magiques se multiplient et montrent à quel point l’Égyptien se sent men ac é pa r tout e s sor t e s de dangers qu’i l cherche à contrecarrer : les génies émis-saires des dieux provoquent désordres et maladies, que le magicien doit alors identifier pour mieux les chasser.
Aussi celui-ci utilise-t-il deux types de rites, qui doivent rester secrets pour être effi-caces : le rite oral (les paroles à réciter pour transposer l’évé-nement fâcheux dans le monde des dieux) et le rite manuel (les objets à fabriquer et à accom-pagner de manipulations). Le magicien est donc un prêtre let-tré, ayant accès aux recueils de textes magiques, qu’il adapte au cas vécu par la personne en souffrance. Or, l’Égyptien ne parvient à combattre le mal par
r a ît d è s l ’A ncie n E mpi r e (2686-v. 2200 av. J.-C.), il faut attendre les Textes des sar-cophages, au Moyen Empire (2046-1710 av. J.-C.), pour com-prendre que la puissance de ce dieu (considéré comme le fils de Rê) agit sur diverses causes – malchance, maladie, ani-maux venimeux et agressions diverses – et permet d’en atté-nuer leurs effets négatifs.
Désordres et maladiesMême après la mor t , le
défunt doit s’identifier au dieu Heka pour accéder à la sur-vie dans le royaume d’Osiris, comme le stipule le titre du cha-pitre 24 du Livre de la sortie au jour : « Formule pour apporter le heka à l’Osiris N [le défunt] dans l’empire des morts. » À partir du Nouvel Empire (1543-1070 av. J.-C.), les textes évo-
Par Aude Gros de Beler
L’ennemi, insidieux comme la malchance, menaçant comme les armées adverses, est partout.
Et pour s’en prémunir, tous les moyens sont bons.
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ROYAUME OCCULTE Pour le paysan comme pour Pharaon, les coups du sort sont repoussés avec des pratiques qui reposent sur deux principes : les textes « à dire » (formules, etc.) et le recours (appelé par les égyptologues « rite manuel ») à des objets qui renforcent l’action du magicien. • Figurine d’envoûtement (v. – 2000) et fragment du papyrus Ebers (v. - 1550).
DOSSIER ÉGYPTE
50 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
le biais du heka qu’en « visuali-sant » son adversaire : il s’agit de doter la menace invisible d’une apparence humaine et de la représenter réduite à l’im-puissance. L’un des usages les plus fréquents de la magie est l’assujettissement des enne-mis : adversaires cosmiques (Seth, l’assassin d’Osiris, et le
serpent Apophis, qui font l’objet d’un rituel de destruction spé-cifique) ; ennemis de l’État (les « Neuf Arcs », un terme géné-rique désignant les peuples étrangers adversaires héré-ditaires de l’Égypte, qui per-turbent l’ordre universel ins-tauré lors de la création) ; enne-mis personnels, que l’on confie à des praticiens privés. Dans tous les cas, la menace est sym-bolisée par l’image du captif – représenté entravé et privé de sa faculté de déplacement (par une posture de génuflexion).
Rituels d’exécrationOutre les figurines d’exé-
cration – celles que l’on sus-pend à une cordelette, que l’on empale (voir ill . p. 53 ), que l’on foule au pied ou que l’on brûle… –, l’iconographie royale propose de multiples scènes, notamment sur les pylônes des temples, où le captif est empoigné par les cheveux et piétiné. Son image apparaît sur les semelles du pharaon, qui « foule sous ses sandales les ennemis ». La tombe de Toutan-khamon contient de nombreux objets de ce type : sandales et repose-pieds sont tous ornés de prisonniers vaincus, de telle sorte qu’en marchant ou en s’asseyant Pharaon accomplit un acte de défense magique.
BNF/
RMN
FOULER AU PIED Afin de neutraliser dans l’au-delà les esprits maléfiques, le défunt emporte ces papyrus (en forme de chaussons) qui portent l’image d’un prisonnier syrien ligoté et sont accompagnés de l’inscription : « Que tes ennemis soient sous tes sandales. »
Pour vaincre les nombreux maux qui accablent l’Égyptien, on choisit de leur donner une forme humaine : ils seront réduits à l’impuissance par des mots et des coups[
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 51
Si ces pratiques de malédic-tion ne réclament aucune céré-monie particulière pour être efficaces, il existe des rituels d’exécration très complexes, sur lesquels nous ne savons pas grand-chose, mais dont les quelques vestiges mis au jour – notamment dans la puis-sante forteresse de Mirgissa, au Soudan, où a été découvert le seul dépôt d’objets de ce genre retrouvé in situ – suggèrent des actions élaborées et de nom-breuses récitations.
Le heka utilise divers usten-siles, qui s’accompagnent de « formules à prononcer » pour que le charme agisse : ivoires magiques, amulettes apotro-païques (qui détournent vers d’autres les inf luences malé-f iques) , statuettes g uéris -seuses, stèles magiques, figu-rines d’envoûtement, dieux
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Le tout-puissant dieu Heka
Heka, dont le nom peut être traduit par
« ce qui stimule le ka » – l’énergie vitale
contenue dans chaque chose –, est l’une des
armes les plus puissantes du démiurge. Fils aîné
du dieu solaire, c’est un auxiliaire du Créateur.
Il est généralement figuré sous la forme d’un
homme portant le némès (la coiffe de tissu des
pharaons) et serrant deux serpents contre sa
poitrine, interprétés comme les insignes de
son pouvoir. À partir du début du Ier millénaire
avant notre ère, sa tête est surmontée de deux
hiéroglyphes, l’un servant à écrire son nom,
l’autre le mot « dieu ». Le premier signe, qui
représente la partie postérieure d’un lion couché,
permet également d’écrire les mots « force » et
« puissance ». Il peut aussi adopter l’iconographie
d’un enfant, avec la mèche latérale et le doigt
dans la bouche (ill. ci-dessus). Mais même sous
cette forme enfantine, sa filiation avec le dieu
solaire est souvent suggérée par le disque qu’il
porte sur la tête. A. G. B.
PROTECTEUR Ce signe, oudjat, signifie « celui qui est en bonne santé ». Œil d’Horus, il symbolise la fécondité, la bonne constitution et la voyance. Très populaire, il se retrouve partout en Égypte, sous la forme de peintures et d’amulettes.
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DOSSIER ÉGYPTE
52 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
panthées (qui réunissent les attributs de plusieurs divini-tés)… Le rite manuel doit com-pléter les paroles récitées par des gestes précis effectués sur des objets spécifiques – la for-mule magique indiquant clai-rement le matériel nécessaire à sa mise en œuvre. L’objet est souvent couvert de noms ou de dessins de divinités, dont la représentation est parfois fantastique : le griffon, le génie Aha (« Combattant »), les dan-gereuses déesses lionnes, le dieu hippopotame, la pan-thère à cou de serpent… Les êtres redoutables sont figurés à l’encre rouge – une couleur qui passe pour écarter les dan-
gers –, parfois en intercalant le mot « ennemi » pour éviter le maléfice. Lorsque l’on utilise des hiéroglyphes pour écrire leur nom, ils sont transpercés de couteaux ou tronqués pour minimiser l’effet de leurs éven-tuelles attaques. Les textes doivent être rédigés « avec de l’encre fraîche sur une feuille de papyrus n’ayant jamais servi », les écrits antérieurs pouvant en affaiblir l’effica-cité. Toutefois, le recours au heka n’est pas gratuit : les situa-tions au cours desquelles on l’invoque doivent présenter les caractéristiques permettant de l’assimiler à un événement mythologique semblable.
Comme l’explique l’égypto-logue Yvan Kœnig, « il y a donc un déplacement, ou plutôt un transfert, entre un événement se produisant dans le monde des humains et un événement archétype se produisant dans le monde divin ». Ainsi, en cas de piqûre de scorpion ou de serpent, on récite des for-mules rappelant les maux subis par Horus : « N [le malade] a été piqué comme Horus a été piqué dans le désert. » Néanmoins, le rite oral n’ayant laissé aucune trace, il nous est difficile de savoir si ces formules sont pros-pectives ou curatives.
Double actionNombre de rituels sont diri-
gés contre le serpent Apophis, l’ennemi cosmique qui émerge chaque nuit du Noun (l’Océan pri mordia l) pou r engager un combat contre Rê, mais qui replonge à nouveau dans l’abîme, vaincu. Le rite passe pour être utile dans l’au-delà comme dans la vie terrestre. Un texte précise que celui qui le récite peut espérer de l’avan-cement et occuper le poste de son supérieur hiérarchique ! Si l’envoûtement concerne ini-tialement les ennemis de Rê, le « transfert » permet de le diri-ger aisément contre les enne-mis d’un particulier. Et la fron-tière se brouille alors un peu plus entre usages honorables (lutter contre une maladie, une épidémie…) et fins plus dou-teuses, destinées à affaiblir un rival ou provoquer sa mort. Un usage dévoyé pour une pra-tique qui passe avant tout chez les Égyptiens pour une source primordiale de sagesse. L
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[Le magicien n’est pas redouté et n’agit pas en secret. Au contraire, mi-prêtre, mi-médecin, il est révéré pour sa sagesse et son grand savoir, dignes des dieux
FLUIDE� Pour que l’eau acquière des vertus curatives et protectrices, on y dissout l’encre d’une formule magique ou on la fait couler sur une stèle d’Horus. Ici, le liquide ainsi obtenu est déversé dans un camp militaire pour éloigner les esprits malfaisants.
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 53
A u Nouvel Empire, la magie par envoûtement s’adapte à de nouveaux besoins individuels, notamment pour
contraindre des individus rétifs à devenir des partenaires sexuels ou pour attirer l’attention de l’être aimé. Si celui-ci a le cœur déjà pris, on n’hésite pas à faire appel à la magie. De même, il existe des formules pour « faire que le cœur d’une femme s’intéresse à un homme ». Les préparatifs sont parfois compliqués, mais le narrateur assure que le charme agit immédiatement. Ainsi cet onguent à base d’hirondelle, de pâte de lotus et de peau d’âne. On prend une hirondelle et une huppe vivantes, et on badigeonne leur tête avec de la pâte de lotus. Au lever du soleil, on pousse un cri, on coupe la tête aux volatiles et on leur arrache le cœur, que l’on enduit de sang d’âne et de sang d’une vache noire. Puis on place le tout dans une peau d’âne que l’on expose au soleil pendant quatre jours. Expiré ce délai, on broie le cœur des oiseaux, on les met dans une boîte et on les laisse dans sa maison. Il n’y a plus qu’à attendre que la femme convoitée se manifeste.Parfois, on en vient à menacer les dieux. C’est ce que montre un texte magique d’époque ramesside : « Salut à toi, Rê-Horakhty, Père des dieux ! Salut à vous, les sept Hathor, qui êtes parées de rubans rouges ! Salut à vous, divinités, seigneurs du Ciel et de la Terre ! Faites que [N] fille de [nom de la mère] me suive, comme un bœuf suit son fourrage, comme une servante suit ses enfants, comme un berger suit son troupeau ! Si vous ne faites pas
qu’elle me suive, je jetterai [le feu] contre Busiris. Et je la brûlerai ! »Prescriptions médicales et formules magiques sont regroupées dans des recueils – les « papyrus médicaux » – où vieux textes, recettes nouvelles et thérapeutiques contradictoires se côtoient dans une extrême confusion. Car les maladies sont l’effet de puissances hostiles, en particulier les « émissaires de Sekhmet », la déesse lionne responsable des épidémies, qui errent à travers le monde et répandent la pestilence par leur bouche, d’où la nécessité de porter un talisman, de réciter des textes de protection, de peindre en rouge ses huisseries ou d’avoir dans sa maison des représentations de génies armés de couteaux et de divinités protectrice du foyer.Sous le Nouvel Empire apparaissent les stèles d’« Horus sur les crocodiles ». Ces monuments présentent le jeune Horus nu, piétinant des crocodiles et serrant dans la main des reptiles et des fauves ; la scène est surmontée d’une figuration de Bès (protecteur des femmes en couches), tandis qu’au dos des textes magiques sont gravés. Ces stèles, utilisées pour se préserver contre les morsures d’animaux venimeux, pourraient également avoir servi à protéger les femmes enceintes – l’enfant à venir étant assimilé à Horus, le fils d’Isis : pour s’assurer cette protection, la femme doit boire l’eau avec laquelle on a aspergé le monument. Par ces gestes, on entend repousser les démons susceptibles de compromettre le bon déroulement de la naissance. L A. G. B.
Charmes d’amour et formules thérapeutiques
PIQUER AU CŒUR Cette figurine égyptienne à envoûtement rappelle le désir éternel de prendre le contrôle d’autrui par la magie.
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Année 2013 N° 793 Le 36, quai des Orfèvres N° 794 La mode : l’élégance sous toutes ses coutures depuis le Moyen Âge N° 795 Terroir : Chroniques millénaires de nos campagnes N° 796 Attila prétendument barbare N° 797 La presse : une aventure millénaire à la Une N° 798 Vive les mariés ! Les différentes façons de s’unir depuis la Rome antique N° 799 Le premier tour de France N° 800 L’étonnante histoire des bains de mer N° 801 Colbert
N° 802 Le crépuscule de Rome N° 803 IIIe Reich : comment on embrigade un peuple N° 804 L’autre histoire du harem
Année 2014 N° 805 Les contes de fées N° 806 Les archives du Vatican N° 807 La Grande Guerre N° 808 Vercingétorix : le Gaulois qui a trahi César N° 809 Au cœur de l’Histoire : les prouesses des images 3D N° 810 Ils débarquent… Ces heures qui ont changé la face du monde N° 811 Ceux qui font trembler les rois N° 812 La grande aventure des Celtes N° 813 Louis XIV : sa passion pour la Chine N° 814 Sacré Saint Louis ! N° 815 François 1er, un grand roi ? N° 816 Résistants. La France qu’ils nous ont léguée
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SP 03 La justice aux ordres SP 04 Les années folles SP 05 Spartacus : l’esclave qui fait trembler Rome SP 06 À l’origine des superstitions SP 07 Le Moyen Âge a tout inventé ! SP 08 Les grands espions du XXe siècleAnnée 2013 SP 09 Les citations célèbres SP 10 Les grands personnages de l’Histoire de France SP 11 Ceux qui ont changé le monde SP 12 La légende dorée des grandes fortunes SP 13 Les nouveaux mystères de l’Égypte SP 14 De quand ça date ?
Année 2014 SP 15 Napoléon : la gloire et la honte SP 16 Les Français contre les Français SP 17 Le Moyen Âge libère la femme SP 18 Les Super-Héros : sentinelles de l’histoire du XXe siècle
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Tintin et la mer Prenez le large avec Tintin et le capitaine Haddock !Réf. HA05 8,90s
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La Révolution française Découvrez les événements de 1789 illustrés par les créateurs d’Assassins Creed.Réf. HA04 13,90s
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Année 2012
SP 03 La justice aux ordres SP 04 Les années folles SP 05 Spartacus : l’esclave qui fait trembler Rome SP 06 À l’origine des superstitions SP 07 Le Moyen Âge a tout inventé ! SP 08 Les grands espions du XXe siècleAnnée 2013 SP 09 Les citations célèbres SP 10 Les grands personnages de l’Histoire de France SP 11 Ceux qui ont changé le monde SP 12 La légende dorée des grandes fortunes SP 13 Les nouveaux mystères de l’Égypte SP 14 De quand ça date ?
Année 2014 SP 15 Napoléon : la gloire et la honte SP 16 Les Français contre les Français SP 17 Le Moyen Âge libère la femme SP 18 Les Super-Héros : sentinelles de l’histoire du XXe siècle
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56 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
CE JOUR-LÀ
SOLEIL COUCHANT L’agonie du monarque va durer trois semaines. Un délai qui lui permet de préparer l’échéance, de mettre
de l’ordre dans sa succession et de se consacrer, enfin, au salut de son âme. • Peinture de Thomas Jones Baker (1815-1882).
1ER SEPTEMBRE 1715
La mort de LOUIS XIV
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SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 57
Depuis plus d’un an,
Louis XIV, qui va sur ses
77 ans, maigrit et montre
des signes de fatigue. En
mai 1715, son premier chirur-
gien, Mareschal, remarque
« une petite fièvre lente
interne », qu’il signale à son
premier médecin, Fagon.
Le 10 août, alors qu’il est à
Marly et s’apprête à regagner
Versailles, le roi est saisi
d’une forte douleur au ventre
et d’une soif inextinguible,
puis il se plaint, le 12, d’une
douleur à la jambe. Fagon
diagnostique une sciatique
et prescrit… purges, eau de
Bourbon et lait d’ânesse !
Le 19, Mareschal remarque
une noirceur au pied du roi,
dont les souffrances augmen-
tent, à tel point qu’il propose
aux chirurgiens de l’amputer.
Le 24, plus aucun doute :
il s’agit d’une gangrène.
Louis XIV a compris. Il fait
appeler son confesseur, le
père Le Tellier, qui désormais
ne le quittera plus. Le rideau
se lève sur le dernier acte du
règne… J. C.
Dans la nuitDepuis deux jours, il flotte entre la
vie et la mort, ne montrant signe de conscience que par des prières de plus en plus faibles et tremblantes. À son chevet,
son confesseur jésuite, le père Le Tellier, l’exhorte
à la patience et à l’espérance en la miséricorde de
Dieu. Dans la chambre royale, tous retiennent leur
souffle en guettant celui du roi. Tous, à savoir, outre
son confesseur, son grand aumônier, le cardinal
de Rohan, le curé de Versailles et quelques autres
ecclésiastiques. Ils ont entamé la prière des agoni-
sants dès la veille au soir, alors que Mme de Main-
tenon est repartie à Saint-Cyr sans avoir pu parler
à Louis. Dans leurs derniers entretiens, du 26 au
29 août, au cours desquels le roi a fait brûler des
papiers, il lui a dit en pleurant le regret qu’il avait de
la quitter et de ne pas l’avoir rendue heureuse, l’as-
surant qu’il l’avait toujours aimée. Et il s’inquiète :
« Qu’allez-vous devenir, car vous n’avez rien ? – Je
suis un rien, ne vous occupez que de Dieu. » Mais,
« dans l’incertitude du traitement que lui feraient les
princes », elle se ravise et lui demande de la recom-
mander au duc d’Orléans, futur régent, ce qu’il fait
le jour même. Après le 29 août, elle ne le reverra ni
vivant ni mort.
Tous ses médecins sont là aussi, dont le pre-
mier d’entre eux, Fagon, qui s’est entêté à ne pas
écouter les avis de Mareschal. Et puis il y a les gar-
çons de la Chambre, empressés auprès de leur
maître, dont ils humectent régulièrement le visage
et la poitrine et qui tentent de lui faire absorber
quelques gouttes de gelée. Le 28 août, Louis XIV
leur a adressé un émouvant adieu : « Pourquoi pleu-
rez-vous ? Est-ce que vous m’avez cru immortel ?
Pour moi, je ne l’ai jamais cru être, et vous avez dû
vous préparer depuis longtemps à me perdre dans
l’âge où je suis. » La nuit bourdonne du murmure lan-
cinant des prières et des chuchotements, scandés
par les profonds soupirs du roi sur son lit de douleur.
5 heures du matinSon souffle devient inaudible, sa pâleur
et ses yeux clos annoncent une fin immi-nente. Mareschal entreprend alors de débander
sa jambe gangrenée jusqu’en haut de la cuisse,
dont la puanteur est devenue insoutenable. On sait
aujourd’hui que cette gangrène était d’origine dia-
bétique. Le maréchal-duc de Villeroy, auquel le roi
a confié la charge de gouverneur du futur Louis XV,
assiste, pénétré de douleur, à ces derniers soins.
En ce jour où la famille royale fêtait jadis son anniversaire, celui de la reine et du Grand Dauphin, le RoiSoleil achève sa course de quelque soixantedouze années sur le char de l’État. Par Joëlle Chevé
COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?
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58 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
Vers 6 h 30Louis XIV sombre dans un coma qui
s’achève deux heures plus tard « par quelques petits
soupirs et deux hoquets, sans agitation ni convul-
sion », comme « une chandelle qui s’éteint », note le
marquis de Dangeau.
8 h 23« Sire, voilà l’heure. » Non de se lever,
comme l’y engageait cette formule murmurée chaque
matin par le valet chargé de le réveiller, mais de
se présenter devant le juge suprême, dont il a tant
redouté le verdict mais auquel il s’abandonne désor-
mais avec la foi de son enfance. Le saint sacrement,
qui avait été exposé dans la chapelle de Versailles
comme dans toutes les églises parisiennes depuis
le 26 août, est renfermé dans le tabernacle, et le
duc de Bouillon, grand chambellan du souverain, pro-
clame sur le balcon donnant sur la cour de marbre :
« Le roi Louis XIV est mort ! Vive le roi Louis XV ! Vive
le roi Louis XV ! Vive le roi Louis XV ! » Le spectacle
continue, doit continuer…
Tandis que les courriers, qui piaffaient dans les
écuries du château, se lancent sur les routes de
France pour annoncer la nouvelle dans tous les dio-
cèses, les garçons de la Chambre ferment les yeux
du roi, et le duc de Villeroy les aide à changer ses
vêtements et à bloquer sa mâchoire avec un linge
noué dissimulé par un bonnet de nuit. À moitié assis
sur son lit, Louis XIV est prêt à recevoir les derniers
hommages des princes, seigneurs, courtisans, offi-
ciers et gens de toutes les conditions. Sous la hou-
lette du maître des cérémonies, Desgranges, la
chambre est transformée en chapelle ardente, et,
tout le jour, les officiers et les ecclésiastiques de la
maison du roi prient autour de son lit, tandis que
la foule, canalisée par des barrières, défile jusqu’à
8 heures du soir.
Vers 9 heuresLe duc d’Orléans, après s’être recueilli
sur la dépouille de son oncle, court saluer le nouveau petit roi. Genou à terre, il lui baise
la main puis lui présente les princes du sang et les
courtisans. Louis XV fond en larmes dès qu’il s’en-
tend appeler « Sire » ou « Majesté ». Il a compris qu’il
ne reverrait plus son arrière-grand-père, la tradition
imposant à un roi de France de ne pas séjourner
dans la maison d’un mort. Leur dernière entrevue
date du 26 août. Accompagné de sa gouvernante,
Mme de Ventadour, le dauphin ne comprit probable-
ment pas grand-chose au « discours du trône », grave,
solennel et repentant, que lui tint le vieux monarque,
ému par sa fragilité, et sans doute aussi par tout ce
qu’elle lui rappelait de la sienne, au même âge, à la
mort de Louis XIII. La version de Dangeau est la plus
connue : « Mignon, vous allez être un grand roi, mais
tout votre bonheur dépendra d’être soumis à Dieu
et du soin que vous aurez à soulager vos peuples. Il
faut que vous évitiez autant que vous le pourrez de
faire la guerre : c’est la ruine des peuples. Ne suivez
pas le mauvais exemple que je vous ai donné sur
cela. J’ai souvent entrepris la guerre trop légèrement
et l’ai soutenue par vanité. Ne m’imitez pas, mais
soyez un prince pacifique et que votre principale
application soit de soulager vos sujets. »
Ce même 26 août, Louis XIV a aussi fait ses
adieux à ses filles et ses fils légitimés, nés de ses
amours avec la duchesse de La Vallière et la mar-
quise de Montespan. Sa belle-sœur, la princesse
Palatine, est pétrifiée par l’émotion : « Il m’a dit adieu
En septembre 1715…1 6 12 15 18
Après la mort de Louis XIV, les Espagnols proposent un pacte d’amitié à la Grande-Bretagne.
Naissance à Amiens de Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval, officier et ingénieur, qui réformera l’artillerie française – à l’origine du succès des armées révolutionnaires et napoléoniennes.
Le parlement de Paris déclare Philippe d’Orléans régent, aux dépens de son rival, le duc du Maine (fils légitimé de Louis XIV).
Soutenus par la France, les jacobites, partisans de Jacques Stuart, le fils de Jacques II, se soulèvent contre George Ier, premier souverain de la maison de Hanovre.
Mort du sculpteur Girardon. On lui doit, entre autres, à Versailles, Apollon servi par les nymphes et Le Bassin de Saturne, ainsi que le tombeau de Richelieu à la Sorbonne.
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avec des paroles si tendres que je m’étonne encore
moi-même de n’être pas tombée droit sans connais-
sance. Il m’a assuré qu’il m’avait toujours aimée et
plus que je ne le pensais moi-même, qu’il regrettait
de m’avoir parfois causé du chagrin. »
Princes et princesses sont réunis dans le cabi-
net du Conseil lorsque tombe la nouvelle, ce qui
fait dire à l’abbé Mascara : « Il y avait déjà quatre
jours que le monde ingrat l’avait abandonné, cha-
cun avait pris son parti et s’était retiré ci et là. On
l’avait laissé seul pour lutter contre les attaques
de la mort. » En réalité, depuis le 25 août n’entrent
dans la chambre du roi que ceux qu’il fait appeler.
Le 26, il a dit adieu au monde pour ne se consacrer
qu’à son salut. Le 27, il a dicté ses dernières volon-
tés à son ministre Ponchartrain pour le dépôt de son
cœur à la maison professe des jésuites, et ses der-
nières paroles à Mme de Maintenon montrent assez
combien il est désormais calme et décidé à mourir :
« J’ai toujours ouï dire qu’il est difficile de mourir. Pour
moi, qui suis sur le point de ce moment si redou-
table aux hommes, je ne trouve pas que ce soit dif-
ficile. » Cependant, à l’extérieur, les commentaires
vont bon train et les allées et venues aussi entre son
antichambre et celle du duc d’Orléans, selon que
les nouvelles sont bonnes ou mauvaises. Ce qui fait
dire à ce dernier, non sans cynisme : « Si le roi mange
encore une fois, je n’aurai plus personne ! »
GLAS� Le 9 septembre, le convoi funèbre fait route vers Saint-Denis au son d’une marche composée par André Philidor. Le cercueil royal sera exposé au chevet de l’abbatiale pendant quarante-trois jours avant d’être déposé dans le caveau des Bourbons. • Toile de Pierre Denis Martin (1663-1742).
19 20 22 24 30Naissance d’Étienne Bonnet de Condillac, futur philosophe et académicien français.
Mort de dom Pierre Pérignon, le fameux bénédictin qui améliora les techniques de fabrication du champagne.
Naissance de Joseph Claude Boucher de Niverville, à Chambly, en Nouvelle-France. Il sera, à sa mort (en 1804), le dernier chevalier de Saint Louis (ordre créé par Louis XIV au Canada).
Les Français s’emparent d’une île, ancienne possession hollandaise, dans le sud-ouest de l’océan Indien, qu’ils baptisent Isle de France – la future Maurice.
Naisance du futur géologue Jean-Étienne Guettard. En 1752, il sera le premier à émettre l’hypothèse que les puys d’Auvergne sont d’anciens volcans.
60 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
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Mais désormais il est le maître et le fait savoir.
Après sa visite à Louis XV, qu’il a ordonné de ne
pas conduire immédiatement à Vincennes, comme
l’avait demandé son aïeul, il règle l’ordonnance-
ment des funérailles avec le marquis de Dreux-Brézé,
grand maître des cérémonies, et le duc de Bour-
bon, grand maître de France. La décision est prise
de s’en tenir au cérémonial utilisé soixante-douze
ans plus tôt pour Louis XIII, qui avait exigé la plus
grande simplicité. Saint-Simon, adepte du respect
des usages plus anciens, ne manque pas d’ironi-
ser sur ce paradoxe : « Tout fut donc exécuté sur le
modèle des obsèques de Louis XIII, c’est-à-dire de
toute l’épargne, de toute la modestie, de toute l’hu-
milité qui peuvent être observées pour un roi ; toutes
vertus si aimées et si pratiquées mais en grand, par
le père, toutes si inconnues du fils. »
Vers midiLe duc d’Orléans présente à Louis XV le
cardinal de Noailles, archevêque de Paris, grand absent des derniers jours du roi. Depuis dix-
huit mois, il est exilé de la cour pour avoir refusé la
bulle Unigenitus, qui condamne le jansénisme. Le
voici reçu en triomphe, tandis que le père Le Tel-
lier se retire à Amiens, pour ne rien dire du médecin
Fagon, qui s’est réfugié honteusement au jardin des
simples. Jusqu’à 21 heures, le duc d’Orléans s’entre-
tient avec des magistrats du parlement de Paris et
avec le chancelier d’Aguesseau. Dès le lundi 2 sep-
tembre, l’ouver ture du testament de Louis XIV et la
revendication du régent d’exercer le pouvoir, au nom
du roi et sans partage avec le duc du Maine, bâtard
légitimé de Louis XIV, donnent le ton du nouveau
règne. La fête commence.
Comme il avait vécu sa vie, Louis XIV a « vécu »
sa mort avec une majesté et une théâtralité specta-
culaires. Il est vrai que le temps lui a accordé trois
semaines de répétition entre les premiers signes
de sa maladie apparus à son retour de Marly et son
décès. Ses derniers jours, décrits par les frères
Anthoine, garçons de la Chambre du roi, par le mar-
quis de Dangeau, le commissaire de police Nar-
bonne, le mémorialiste Saint-Simon et par divers
mémoires et correspondances, notamment celles
de Mme de Maintenon et de la princesse Palatine,
ont pris la dimension d’une passion presque chris-
tique dont chaque station est marquée par une
parole mémorable du souverain. Apothéose dont il
est malaisé de démêler ce qui relève de la volonté
du monarque de maîtriser son image jusqu’à son
dernier souffle et ce qui relève davantage de la révé-
rence poussée jusqu’à l’hagiographie. L
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VU DE L’ÉTRANGER
Soulagement et affliction en Europe
La mort de Louis XIV, saluée comme
celle d’un saint et d’un héros par la cour et par l’Église, réjouit en revanche une bonne partie du peuple, écrasé d’impôts et de souf-frances dues aux guerres et aux aléas climatiques de la fin du règne. Chansons et pamphlets cir-culent dès avant sa mort, que résument ces deux vers : « À Saint-Denis comme à Versailles/Il est sans cœur et sans entrailles. »À l’étranger, les réac-tions sont mitigées. En Angleterre, le roi George, peu satisfait du traité d’Utrecht (1713), ne montre pas un chagrin excessif à être débarrassé de son pire ennemi. À Rome, le pape Clément XI déplore la perte de ce roi soucieux des inté-rêts de l’Église et de l’unité de la foi, mais c’est tardivement et dans une cérémonie très modeste qu’il célèbre sa mémoire. À Berlin, l’heure
est au respect pour celui qui incarne la monarchie absolue, respect que Frédé-ric-Guillaume Ier exprime en une seule phrase : « Messieurs, le Roi est mort. » À Vienne, le Très Ca-tholique Charles VI, qui s’est rapproché du Très Chrétien depuis la paix de Rastadt (1714), impose le deuil à sa cour. Mais c’est bien sûr en Espagne, où trône le petit-fils de Louis XIV, Phi-lippe V, que le deuil se fait grandiose.Si la question de la succession d’Espagne entre la France et l’Empire n’est pas réglée, celle de la succession au trône de France l’est encore moins, et déjà se trament, derrière la pompe des cérémonies et la solennité des hom-mages, négociations et conspirations pour éliminer le régent et le remplacer par Philippe V, qui serait représenté en France par le duc du Maine, fils légitimé de Louis XIV. J. C.
www.egypt.travel
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Portrait
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 63
«Tu tueras ton père… » Par quel séisme l’œdi-pien augure tombé du ciel de Delphes a-t-il trouvé un écho dans
un quartier populaire parisien, au début des années 1930 ? Les Nozière, à coup sûr, ne savent rien des Labdacides, et le deux-pièces du 9 de la rue de Madagascar, où ils logent, n’a rien à voir avec la cour de Thèbes. Tout est propret dans leur logis. Un air de javel ne manque pas d’y flotter, la cre-tonne et la toile cirée y ont imposé leurs lois. Il n’empêche. Mine de rien, l’humble décor deviendra scène de drame. Comme quoi, parfois, les cheminots n’ont rien à envier aux monarques. Pour le pire, du moins. Bien évidem-ment, Baptiste Nozière et son épouse, née Germaine Hézard, ne le supposent même pas. Par trop soucieux d’échapper au des-
potisme paternel, lui a déserté plaine de Limagne et fournil pour apprendre la mécanique et, consé-cration suprême, entrer à la Com-pagnie des chemins de fer Paris-Lyon-Méditerranée – la célèbre PML –, qui le recrute d’abord en tant qu’ajusteur. Lingère méticu-leuse, économe et volontaire, Ger-maine, elle, est montée à la capi-tale pour mieux oublier l’expé-rience désastreuse d’un premier mariage et, plutôt douée pour le bonheur, elle jure de rebondir au plus vite. Promesse tenue puisque ses pas croisent bientôt ceux du vigoureux Auvergnat, avec qui elle convole le 17 août 1914.
Force est d’admettre que, tout à leur embrasement, les tourte-reaux en ont oublié les principes corsetés d’une société tradition-nelle qui – en apparence tout au moins – se drape volontiers dans les convenances. Au point de faire Pâques avant les Rameaux et, loin de tout conformisme, d’en appor-ter le témoignage radieux… cinq mois seulement après un mariage aux faux airs de régularisation ! Ainsi, le 11 janvier 1915, dans la maison familiale de Neuvy-sur-Loire (Nièvre), Germaine n’a-t-elle pas fini de jeter une fillette en travers du lit que Baptiste nour-rit d’ores et déjà de grandes ambi-tions pour l’enfant. Pour elle, d’emblée, il décide de bannir l’or-
ELLE GRANDIT SAGEMENT JUSQU’AU MOMENT OÙ TOUT SE DÉTRAQUE : AMANTS, ALCOOL ET MENUS LARÇINS. IL LUI FAUT DE L’ARGENT. SES PARENTS EN ONT, ELLE LES EMPOISONNERA. MAIS TOUT N’EST PAS SI SIMPLE DANS CETTE HISTOIRE DE FAMILLE…
PAR PASCAL MARCHETTI-LECA
Violette NozièreFleur du mal et parfum de scandale
Bio express 1915 : naissance à Neuvy-sur-Loire.
1926 : la brillante élève se transforme en une jeune fille délurée et mythomane.
1933 : après un premier échec, elle assassine son père. Elle sera condamnée à mort.
1934 : sa peine est commuée. Elle est graciée (1945) et réhabilitée avant sa mort (en 1966).
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Portrait
64 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
L’ENTOURAGE DE
VIOLETTE NOZIÈRELes surréalistes la baptisent
« l’Ange noir » et dénoncent à travers son cas l’ordre bourgeois
Convoquée à la barre, sa mère – qui a survécu au poison – l’accuse et rejette les soupçons
d’inceste qui pèsent sur son mari.
Camelot du roi, étudiant en droit et bellâtre, Jean Dabin abuse de sa faiblesse et la contraint au vol et à la prostitution.
dinaire. Le plus naturellement du monde, il lui donne un nom de fleur, Violette. Violette Nozière, une identité qui claque et détonne. Ce pourrait être celle de l’héroïne d’un roman. Pas de celles qu’on oublie, en tout cas. Les prémices sont plutôt engageantes. Souvent rompu par son travail, le méca-nicien-conducteur de locomotive n’en dorlote pas moins sa fille. Quant à sa couturière chevronnée d’épouse, sempiternellement pen-chée sur des travaux d’aiguille, aucun ouvrage ne la rebute et rien n’est assez beau pour sa « prin-cesse chérie ».
Il faut dire qu’en dépit de fré-quents accès de colère, que rien ni personne n’explique et qui, du reste, se dissipent avec sa scola-risation, Violette se montre d’une intelligence vive, moissonne les bons points et attire les compli-ments. Qui plus est, le soin de sa mise aimante les regards. De l’avis général, si le diable n’y met son grain de sel, la gamine au che-veu d’ébène et au regard ardoisé
fera son che-min. De fait, pour cette pas-sionnée de lec-ture et de poésie, le très prisé certifi-cat d’études, qu’elle décroche en 1926, n’est qu’une simple formalité. En toute logique, elle intègre un établissement privé, l’école supé-rieure de jeunes filles Sophie-Germain, dans le 4e arrondisse-ment, réputée pour la qualité de son enseignement et sa discipline. Cependant, contre toute attente, à l’insu de ses parents, tout se délite en un tournemain. « Aucun doute ne les effleure jamais. Leur confiance envers leur grande fille est immense », commente Jean-Marie Fitère, biographe de Violette Nozière. Même si elle continue d’exceller en composi-tion française, la collégienne a la tête ailleurs. Elle se moque des reproches comme de colin-tam-pon et ne s’inquiète plus que des garçons, à qui Sophie-Germain, dans son refus de toute mixité,
ferme résolument ses portes. Qu’à cela ne tienne ! C’est elle qui tra-quera leurs pas. Elle hante ainsi les salles de cinéma, fréquente les fêtes, écume les bals, passe le plus clair de son temps à la terrasse des cafés à aguicher les messieurs et, la nuit venue, tandis que la maisonnée verse dans le sommeil du juste, elle n’hésite pas à faire le mur pour courir la prétentaine. Connue comme le loup blanc dans tout Picpus, elle se forge une répu-tation détestable d’incorrigible « coureuse ». Il est vrai que, flan-quée de Madeleine Debize, dite « Mado », son âme damnée, l’atti-tude délurée de Violette donne du grain à moudre aux méchantes langues… Même si, longtemps,
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La jeune étudiante
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 65
hante les rues du Quartier latin
Chargé de l’affaire – dont il pressent le doulou-reux secret –, le commissaire Guillaume a
derrière lui une carrière fameuse.
Le détective Laplace, témoin au pro-cès, n’a pas de mal à révéler la tapa-geuse réputation de l’accusée.
et collectionne les amants
ils n’y voient que du feu, un beau jour pourtant, non sans chagrin, les yeux de Germaine et Baptiste se dessillent. Quel qu’en soit le prix, ils se rendent à l’évidence et, tant bien que mal, pour restaurer l’image de leur fille, choisissent de l’éloigner du quartier. Autant dire qu’ils partent chercher de la laine pour revenir tondus ! Transbahu-tée d’un lycée à l’autre, Violette n’en continue que plus aisément ses frasques. De Voltaire, elle passe à Fénelon. Rien n’y fait. Et qu’importe si, à la maison, le ton monte. L’indocile se cramponne à la double vie qu’elle s’est forgée : toujours lycéenne pour la galerie, volontiers catin pour l’alcôve. Plus que jamais clandestine, elle a ses habitudes dans quelques hôtels où ses « clients » se montrent plus ou moins généreux. Un cadeau par-ci, un cadeau par-là. Ou bien des bil-lets, c’est encore préférable. Épi-centre du libertinage parisien, le Quartier latin, il est vrai, se prête mieux que tout recoin à ces per-ditions consenties. Violette en a ainsi fait son repaire, son terrain
de chasse. Une étourdissante valse de rencontres. Des visages, il en faut pour l’accroche. Des corps, comment faire autrement ? Des cœurs, pratiquement jamais ; des cœurs, pour quoi faire ?
Toutefois, de temps à autre, au-delà de la rencontre charnelle, l’il-lusion d’une communion et, au creux rare d’une épaule, comme une brûlure qui lui déchire les entrailles, une confidence muette et chavirée : « Mon père oublie par-fois que je suis sa fille ! » Malaise. Rideau. Les amants les plus bien-veillants n’ont plus qu’une hâte : prendre leurs distances avec cette racoleuse pour le moins pertur-bée. D’ailleurs, elle ne les revoit pas… et ne s’en plaint guère ! Paul, Pierre, Jean L., les autres… tant d’autres. Et, pour chacun d’eux, un scénario mytho maniaque improvisé qui n’abuse plus grand monde ou, suivant le mot de l’his-torien Bernard Hautecloque, une série d’« autoportraits à géo-métrie variable » : bâtarde d’un général pour les uns, fille d’in-génieur au PML ou de capitaine
d’industrie pour les autres ; étudiante
en sciences natu-relles ou en anglais,
c’est selon ; auto-rebapti-sée « Nozière de Brioude »
ou « Christiane d’Arfeuil », simple question de panache ;
nièce de commissaire de police ou mannequin de haute couture,
tout y passe. La spirale s’accélère. Et la descente aux enfers dans laquelle Jean Dabin, un étudiant en droit peu porté sur le scrupule, va bientôt la précipiter, se profile bientôt comme l’envers inéluc-table d’une dérive lente et obsti-née. De son propre aveu, Violette est « hypnotisée » par la lèvre bla-sée et la suffisance farouche de ce fils de famille qui, narcissique en diable, s’offre à son admiration, la met à résipiscence et sait qu’il n’a plus rien à exiger d’elle pour tout attendre et tout accepter. En un mot comme en cent, gigolo au petit pied croulant sous les dettes de jeu, Dabin vit aux crochets de sa maîtresse, qui est prête à tout entreprendre et tout sacrifier pour le suivre dans ses chimères. Après tout, n’a-t-elle pas quelque espérance ? Ses parents, dont elle est l’unique héritière, disposent d’un bas de laine qui devrait la placer au-dessus du besoin…
Le seul inconvénient est qu’ils ne se sont jamais aussi bien por-tés ! Début juillet 1933, fort appré-cié de sa hiérarchie, Baptiste est choisi pour conduire le train pré-sidentiel d’un Albert Lebrun en visite dans le Doubs. Dans la fou-
Portrait
66 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
Ce document non signé, écrit en 1935 par Violette Nozière, alors âgée de 20 ans, sur-
prend par le côté adulte de son graphisme. Un orgueil démesuré tout autant qu’un système de pensée extrêmement rigide sont les clés de voûte de la personna-lité. Dans cette grande écriture raide et très surélevée, aux mots étrécis, inclinés, serrés les uns contre les autres et enchevêtrés,
l’impression d’étouffement est manifeste. Des caractéristiques qui rendent évidente une ten-dance à tourner en circuit fermé avec une incapacité à se décen-trer, à se remettre en question et à tenir compte de l’autre.Sa haute idée d’elle-même entraîne le sentiment de n’être jamais considérée à sa juste valeur, ce qui engendre suscep-tibilité et méfiance. Tout est
abordé, perçu, pensé à travers son propre prisme. Elle raisonne habilement selon une logique implacable fondée sur des pré-mices erronées dont rien ne la fait dévier. Sa façon de fonction-ner : une capacité à tout justi-fier avec force détails, à rendre l’autre responsable. L’insatisfac-tion permanente, doublée d’une forte anxiété (perceptible dans le trait), devient un levier d’action qui la pousse à « rem-plir » sa vie pour combler ses manques. Toujours très impli-quée, quel que soit le but recher-ché, elle déploie la même déter-mination, la même ténacité pour l’atteindre.Ni dans la nuance, ni dans la mesure, cette jeune femme entière, secrète, obstinée, faci-lement exaltée est tributaire de son propre aveuglement. L Monique Riley et Myriam Surville, graphologues-conseils
lée, on épingle la médaille d’hon-neur des chemins de fer au revers de son veston, et son salaire s’en trouve bonifié. Que demander de plus ? Justement rien. Si ce n’est que – selon la revue à sensa-tion Police Magazine, qui rendra compte du procès – la jeune Vio-lette cultive de tout autres ambi-tions : « Supprimer [s]es parents qui l’adoraient, simplement pour pouvoir vivre sa vie et dépenser dans les boîtes de nuit les écono-mies amassées pour elle par les pauvres vieux », écrit un jour-naliste à la pointe acérée. Non contente de les torpiller, n’a-t-elle pas déjà, le 23 mars 1933, tenté de les empoisonner en prenant soin de camoufler son crime par un incendie ? Depuis, circonstance aggravante, elle aime et se croit aimée. Dabin rêve vacances au bord de l’eau et Bugatti. Cette fois, elle n’a donc pas droit à l’erreur.
Le 21 août, elle passe à l’acte en leur administrant une dose de somnifères bien plus forte que la précédente. Germaine, qui n’en a absorbé que la moitié, s’en tire. Baptiste, lui, n’a pas cette chance. Quant à Violette, qui a pris soin de simuler un double suicide par gaz, elle fait main basse sur une somme rondelette et dispa-raît. La presse se déchaîne contre « cette épouvantable figure ». Le 28 août, après une semaine de cavale, elle est arrêtée à la ter-rasse d’un café, sur dénoncia-tion d’un fils de famille, André de Pinguet. Condamnée à mort le 12 octobre 1934, au terme d’un réquisitoire sans appel (« Le crime de Violette Nozière est de ceux qui écartent de la pensée et du cœur la moindre indulgence… »), la plus médiatisée des parricides voit sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité par le pré-
sident Lebrun. En 1942, le maré-chal Pétain réduit sa condamna-tion à douze années de détention et, trois années plus tard, le géné-ral de Gaulle finit par lui accorder sa grâce. Violette Nozière a ainsi bénéficié de la clémence de trois chefs d’État. Mieux. Le 13 mars 1963, jugement exceptionnel dans les annales judiciaires françaises pour un crime de droit commun, le tribunal de Rouen prononce sa réhabilitation. À croire que, dans son cri indigné, Céline, alias Bardamu, ne s’était pas trompé : « Cette affaire est une aubaine, pour la foule qui renifle le sang et le sperme, pour la presse qui la triture, pour le juge qu’elle met en vedette. Nozière est en terre et Violette est en taule. L’un est en proie aux helminthes, l’autre aux remords. Deux victimes dont l’une est enterrée, l’autre vivante. Deux victimes du milieu social. » L
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Une autre façon de raconter l’Histoire.
« Un livre
incroyablement
original. » THE NEW YORK TIMES
« Une extraordinaire
reconstitution. »
L’EXPRESS
« Entre histoire
et littérature,
un livre étonnant. » ARLETTE FARGE
« Greenblatt
est un conteur
d’exception. » CLAUDE ARNAUD
« Un thriller captivant.
À lire absolument. » JOHN LE CARRÉ
Flammarion
LES HAUTS LIEUX DE LA PRÉHISTOIRE
68 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
SANCTUAIRE ET CUISINE BRETONNEPéniblement appuyé sur deux bâtons, l’homme souffre d’une blessure à la jambe qui ne guérit pas. Il vient du nord et a bravé le froid pour arriver jusqu’au village où des milliers de personnes se pressent, ce matin de solstice, dans les rues pavées, bordées de maisons en bois. Ici, c’est jour de fête. Des lentilles mijotent dans des mar-mites de terre cuite et des cochons rôtissent sur de grands feux de bois, tandis que d’autres grouinent en attendant leur tour. Dans cette région fertile, la terre donne aussi des pois et de l’épeautre ; et les nombreux étangs bordés d’arbres, qui ne gèlent jamais, regorgent de grenouilles, des frian-dises que la population affectionne.Le moment est venu. Tous se dirigent vers le grand cercle de poteaux de bois, situé au bout du village. En procession, ils empruntent la large route qui mène à la rivière. Ils la longent, sous les aulnes aux feuilles jaunes prêtes à tomber, jusqu’à une autre route, parallèle à la première, qui permet d’accéder, après un virage, au grand monument de la plaine. Les cromlechs de pierres bleues – cet alignement
de monolithes verticaux – scintillent dans la lumière brumeuse de fin d’après-midi. L’entrée principale surplombe le fossé qui entoure l’ensemble et mène droit au centre, face au soleil couchant. À la tombée de la nuit, la plus longue de l’an-née, ils allument des torches qui illuminent les grandes arches de pierre et commencent à chan-ter, accompagnés par l’étrange musique du vent. La fête durera jusqu’au petit matin. Bercé par la musique, l’homme s’adosse à l’une des pierres bleues. Avec le silex qu’il trans-porte dans sa besace, il en prélève un fragment, qu’il garde dans la main pour apaiser sa douleur. Il sait maintenant que c’est son dernier voyage ; demain, il rejoindra les dieux.
MÉGALITHES VOYAGEURSAchevé voici 4 000 ans environ, après un millé-naire de travaux, le site de Stonehenge n’est plus qu’une ruine de 84 pierres, 65 blocs de grès sarsen très durs et 19 « pierres bleues » (de la dolérite). Selon sa reconstitution virtuelle, 160 pierres y étaient dres-sées, supportant des lin-teaux ou assemblées en trilithes et disposées en
fer à cheval, en ovale ou en cercle. Les plus impo-santes, les sarsens, ont été extraites des Marlbou-rough Downs, un ensemble montagneux distant de 32 kilomètres du site. Cer-taines pèsent plusieurs dizaines de tonnes et font plus de six mètres de hau-teur. Les pierres bleues sont, elles, originaires des monts Preseli, dans le sud-ouest du pays de Galles, situé à 250 kilomètres de là. Plus petites, mais pesant chacune plusieurs tonnes, elles ont pu être charriées par les glaciers de ces mon-tagnes ou, hypothèse plus incroyable, être achemi-nées par des hommes. En 2013, des analyses géo-chimiques montrent que
certaines proviennent du Carn Goedog, une mon-tagne des Preseli, dont les alentours n’ont pas encore été fouillés par les archéo-logues. Ceux-ci espèrent y trouver des traces d’oc-cupation humaine datant des premiers temps de la construction de Stonehenge.Les premières fouilles, menées au XVIIe siècle par John Aubrey, évoquent un lieu de culte druidique. Celles du XIXe et du début du XXe siècle, un centre de calcul astronomique ou un cimetière : 240 tombes y ont d’ailleurs été découvertes dans les années 1950, avec de nombreux objets. Stonehenge n’était pas un site isolé, comme on l’a
Stonehenge
Depuis 5 000 ans, ce site se dresse dans la plaine de Salisbury, dans le sud de l’Angleterre. Ses « pierres suspendues », qui lui ont donné son nom, questionnent encore et toujours les archéologues.
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 69
Un documentaire de la BBC, diffusé sur France 5 en début d’année, présente les dernières découvertes des scientifiques sur le site de Stonehenge. Elles permettent de comprendre comment ce lieu a évolué au cours du temps, par qui et pourquoi il a été construit. Opération Stonehenge, documentaire de Jeremy Turner (G.-B., 2014, 82 min).
La Seconde Naissance de l’homme : le néolithique (Odile Jacob, 2015). Jean Guilaine, longtemps professeur au Collège de France, s’attache dans ce livre à mettre en lumière les comportements individuels et collectifs des temps néolithiques (9 000 ans av. J.-C.), dont il est spécialiste. Il souligne le poids de l’imaginaire, des symboles et des rites dans le fonctionnement de ces communautés anciennes qui ont posé les bases des sociétés actuelles.
Le site de Stonehenge, facilement accessible depuis Londres, se visite toute l’année. Le billet est à réserver en ligne.
Outre le monument, on peut y visiter des maisons néolithiques ainsi qu’un musée présentant des objets retrouvés sur place et la reconstitution 3D d’un homme vieux de 5 500 ans. Pour en savoir plus : www.english-heritage.org.uk
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À FAIRE
À VOIR
longtemps cru : les fouilles menées dans le cadre du Stonehenge Riverside Pro-ject, le long des berges de l’Avon (proche rivière de Stonehenge), ont permis à Mike Parker Pearson, de l’université de Sheffield, de mettre au jour en 2007 une immense zone d’habitat à Durrington Walls (à trois kilomètres du site), dispo-sée le long d’une grande route pavée de 30 mètres de large, qui relie les restes d’un cercle de poteaux de bois à la rivière Avon. Pour Pearson, ce site, composé d’une centaine de mai-sons, représente la vie ; Stonehenge, la mort ; et le bras de rivière reliant les deux sites, le passage de vie à trépas. Des processions
devaient s’y dérouler lors du solstice d’hiver, l’entrée principale de Stonehenge faisant alors face au soleil couchant. Cependant, Geoffrey Wainwright, président de la Société des archéolo-gues de Londres, s’oppose à cette théorie : en 2008, il découvre, avec son col-lègue Timothy Darvill, de l’université de Bourne-mouth, la sépulture d’un jeune homme contenant des fragments de pierre bleue. L’analyse des nom-breux ossements humains retrouvés à Stonehenge témoigne de la présence de nombreux malades. Les chercheurs sont donc convaincus que le site est un centre de guérison :
les populations anciennes ont peut-être prêté des vertus cura-tives à ces pierres à cause de leur
couleur bleue et les ont peu à peu débi-
tées – ce qui expli-querait pourquoi il en
reste si peu sur place…
DU NOUVEAU SOUS LE SOLDepuis 2010, le Stonehenge Hidden Landscapes Pro-ject (« Projet d’étude des paysages cachés »), mené par plusieurs universités britanniques et celle de Gand, en Belgique, réalise une cartographie numé-rique tridimensionnelle du sous-sol de la région à l’aide d’un multirécepteur à induction électromagné-tique : il permet de faire fi des nombreuses canettes et capsules de bouteille laissées par les manifes-tations des années 1970 (jusqu’en 1985, de nom-breux festivals de musique s’y déroulaient), et qui entravaient jusqu’alors les investigations. En 2014, les premiers résul-tats ont révélé l’existence de 17 monuments rituels et de douzaines de tertres funéraires – dont un gigan-tesque de 33 mètres de lon-gueur. S’y ajoute la décou-verte, fin 2013, du cam-pement de Blick Mead, situé à trois kilomètres de Stonehenge. On y a trouvé des dizaines de milliers de silex taillés et de très nombreux restes de repas, qui témoignent de la vie quotidienne des premiers occupants du site, 2 000 ans avant l’érection des méga-lithes. Stonehenge est donc loin d’avoir livré tous ses secrets ! LClara Delpas, journaliste scientifique
TEMPLE DU ROC. Du néolithique
ancien à l’âge du bronze, cette prairie est utilisée à des fins
cérémonielles et funéraires : le sque-lette d’un homme, enterré à quelques
centaines de mètres de là il y a 5 500 ans
(époque qui vit la première occupation du lieu), a été récem-ment retrouvé et son
visage reconstitué.
70 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
L’INÉDIT DU MOIS en partenariat avec les Archives nationales
Historia propose, chaque mois, un document jamais publié dans la presse grand public, commenté par son conservateur.
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Jean Carmet échappe au STO
La loi du 16 février 1943 instaure le Service du travail obligatoire (STO) en Allemagne, pour tous les hommes des classes 1940, 1941 et 1942, nés entre 1920 et 1922.
Face aux exigences allemandes tou-jours plus élevées – sous la pression du gauleiter Fritz Sauckel, le « négrier de l’Europe » –, un mouvement de résis-tance se met en place. Les réfractaires, obligés de se cacher, sont nombreux, tandis que des initiatives isolées, au sein parfois de grandes firmes fran-çaises, tentent de réduire le nombre de requis par tous les moyens légaux. Les commissions d’appel créées par l’inspecteur du travail Jean Isméolari en sont un exemple. Ces commissions se penchent sur les cas médicaux, sociaux, économiques ou spéciaux et, à grand renfort de contre-visites médi-cales, de certificats d’employeur ou de sursis pour remplacement, décèlent
dans le dossier des requis des motifs prévus par la loi pour annuler ou repousser leur départ.Parmi les 13 000 dossiers nominatifs versés aux Archives nationales par Jean Isméolari, le cas du comédien Jean Carmet, né en 1920, fut examiné le 30 avril 1943. Il contient la déci-sion de la commission, dactylogra-phiée sur un formulaire type, et des pièces annexes. La première est une attestation du Théâtre des Mathu-rins, où Carmet est régisseur tech-nique et assistant du directeur, Marcel Herrand. La seconde, reproduite ici, confirme l’engagement de Jean Car-met pour le film Les Mystères de Paris, de Jacques de Baroncelli, d’après Eugène Sue, du 10 mai au 20 juin 1943.Le tournage commence bel et bien dix jours plus tard sur la Côte d’Azur, où les bas-fonds de la capitale sont recons-titués dans les studios de la Victorine
à Nice. Le héros du film, Rodolphe, est incarné par Herrand, comédien fétiche de Marcel Carné – il est Lace-naire dans Les Enfants du paradis. Il interprète un prince à la recherche de sa fille perdue dans les quartiers mal famés de Paris. Parmi les personnages qu’il rencontre, tous plus menaçants les uns que les autres, on aperçoit Jean Carmet en Tortillard, bandit boiteux et fils d’un caïd parisien.Ces deux contrats de travail per-mettent à l’acteur d’être maintenu dans son emploi par la commission. Les Mystères de Paris, s’ils ne l’ont pas rendu célèbre (il faut attendre Le Grand Blond, en 1972, pour cela), ont toutefois un autre mérite, et non des moindres : celui d’avoir aidé le comédien à échapper au STO. LCécile Bosquier-Britten, Départe-ment de la culture, de l’éducation et des affaires sociales
TYPE DE DOCUMENTLettre à l’en-tête de la Société parisienne de distribution cinématographique Discina, signée par Marcel Baldet, secrétaire général de la production.
FORMAT25 x 20 cm.
DATE ET LIEU24 avril 1943, à Paris.
LIEU DE CONSERVATIONPierrefitte-sur-Seine.
COTE ARCHIVES NATIONALESF/22/ISMEOLARI/31.
UN MOT, UNE EXPRESSION
“ “SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 71
LÉGENDELa figure de Méduse va ensuite, par antonomase, donner son nom au verbe « méduser », qui, à partir du XVIIe siècle, continue d’exprimer le pouvoir de la Gorgone antique. La pétrification devient symbolique, mais ce verbe retrace parfaitement les effets physiologiques et psychologiques du regard de Méduse : figer, sidérer, stupéfier.Si ce terme est peu usité avant le XIXe siècle, il garde toute sa force évocatrice dans la littérature, comme chez Colette, où, dans son roman Claudine à l’école, paru en 1900, il tra-duit parfaitement la force du regard autoritaire d’une maî-tresse sur des élèves quelque peu dissipées : « Ce bavardage jette mes voisines dans une gaieté immodérée […] puis toutes deux s’arrêtent figées au milieu de leur joie – car la terrible paire d’yeux brasillants de mademoiselle Sergent les méduse du fond de la salle. Et la séance s’achève au milieu d’un silence irréprochable. »Le verbe « méduser » déborde pourtant le domaine de la peur, pour qualifier une émotion due à l’admiration, au sentiment amoureux ou à la surprise, que cela soit devant une personne, un monument ou un paysage à « couper le souffle », qui laisse alors « sans voix », comme si toutes les facultés d’expression étaient anéanties. LSonia Darthou, maître de conférences à l’université d’Évry, a écrit Les Dieux de l’Olympe : les mythes dans la cité (Perrin, 2012).
ORIGINEQuiconque est médusé est comme frappé de stupeur. Le temps semble suspendu, et l’esprit paralysé, tandis que le corps s’immobilise. L’origine de ce terme se cache dans la mythologie grecque, sous la figure de Méduse, seul monstre mortel parmi les trois Gorgones. Ces sœurs, dont le cou est recouvert d’écailles, sont représentées avec des mains de bronze et des ailes d’or, leur visage est déformé par un sourire grimaçant d’où sortent deux défenses de sanglier qui bordent une barbe masculine. Méduse incarne pour les Grecs l’archétype de la monstruosité en conjuguant hybridité et ambivalence sexuelle, car elle est à la fois humaine et animale, masculine et féminine. Mais la Gorgone a surtout le regard pétrifiant. Elle détient le terrible pouvoir de transformer en pierre tous ceux qui osent la dévisager : elle a la mort dans les yeux. Seul Persée réussit à prendre le dessus sur elle ; il la décapite grâce à Athéna, qui lui prête son bouclier poli comme un miroir. Le héros peut alors sans danger trancher la tête de la Gorgone, car il n’a croisé que le reflet, inoffensif, de son regard. Persée donne ensuite son trophée à Athéna, et ce gorgoneion devient une arme pour la déesse guerrière. En effet, la tête de Méduse peut à l’occasion se faire protectrice : représentée en épisème sur les boucliers des combattants, elle concourt à méduser les ennemis.
MéduséAujourd’hui, un individu sous le coup de cette émotion risque, au pis, de rester sans voix. Comparé à autrefois, il s’en sort plutôt bien.
Des gorgones océaniquesAu XVIIIe siècle, le naturaliste
suédois Carl von Linné attribue
le nom vernaculaire de « méduse » aux organismes
translucides, d’aspect gélatineux, qui hantent
les profondeurs marines. Un hommage à leurs longs
tentacules flottants et filandreux, qui lui rappellent
les cheveux reptiliens de l’antique Gorgone.
72 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
PAS SI BÊTE ! par Frédérick Gersal DR
Non, le facteur Rhé-sus n’est pas un employé des Postes ! C’est un terme médical qui met en
scène notre sang humain et un drôle de petit singe… Mais commençons par le commencement.L’ordre des primates comprend pas moins de 13 familles et 233 espèces. Ce mot « primate » vient du latin primas, dérivé de pri-mus, qui signifie « qui est au premier rang ». Dans cet ordre de mammifères se trouvent les singes, un terme générique qui regroupe tout à la fois le ouistiti (le lilliputien de la catégorie, avec sa taille de 20 cm) et le gorille (un géant de 1,80 m et 200 kg). Mammifère le plus évolué après l’homme, il est lar-gement représenté dans toutes les régions chaudes de la planète.Au fil du temps, les rap-ports entre les hommes et les singes se sont modifiés. Les Égyptiens en ont fait des dieux. Leurs artistes représentaient jadis deux de ces mammifères, le cer-copithèque et le babouin. Ils étaient associés aux dieux Thot, Horus ou Hâpi. On retrouve ces primates, considérés comme des ado-rateurs du Soleil, près de certains temples, autour de l’astre du jour ou face à lui. Les Romains, eux, se sont amusés des grimaces des simiens, mais n’hésitaient pas à les envoyer dans l’arène affronter les fauves.
De nombreuses espèces de singes sont devenues des intimes des êtres humains. Si le sapajou est désor-mais associé à une insulte célèbre du capitaine Had-dock, le sagouin est entré dans notre langue pour désigner une personne
négligée – comme dans le roman homonyme de François Mauriac paru en 1951… Dans ce registre, on trouve en français beau-coup d’expressions ou de mots péjoratifs : « singe-ries », « singer quelqu’un » ou « faire le singe ».
Les macaques forment une famille de 16 espèces dif-férentes. Ils sont connus dans le monde entier grâce aux trois petits singes sym-boles de la sagesse orien-tale : celui qui se bouche les oreilles avec les mains pour ne rien entendre, celui qui met la main devant sa bouche pour ne pas trop parler et le troi-sième qui masque ses yeux pour ne rien voir. Parmi les espèces de macaques, il y a le magot – rien à voir avec un trésor. Et puis, il y a le rhésus, au pelage gris-jaune, que l’on trouve notamment dans le nord de l’Inde. Il vit en bande res-treinte et se montre plutôt colérique. Ce ne sont donc pas ces caractéristiques qui le rendent proche des êtres humains. C’est plu-tôt la découverte, en 1940, dans le sang du Maca-cus rhesus, d’un facteur agglutinogène également présent dans les globules rouges de 85 % des sangs humains – et absent chez les autres. Ce facteur Rhé-sus a permis de définir les sangs humains compa-tibles entre eux – ce qui est primordial en cas de trans-fusion. Que ne doit-on à ces milliers de singes sacri-fiés dans les laboratoires ! Notamment l’infortuné Macacus rhesus, qui a payé un lourd tribut, puisqu’il figure aujourd’hui sur la liste des espèces menacées établie par l’Union interna-tionale pour la conserva-tion de la nature. L
La grande famille des simiens comprend plus de 200 espèces. Certaines vénérées, d’autres sacrifiées par son « descendant » et principal
prédateur : l’homme. Pour son plaisir ou sur l’autel de la science.
Le rhésus, un singe positifJe
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HÉROS MALGRÉ LUI. C’est grâce à des expériences menées sur des Ma-cacus rhesus qu’en 1940 les biologistes Karl Landsteiner et Alexander Wiener identifient le facteur qui porte ce nom. Une découverte clé qui permettra de réduire les risques liés aux transfusions sanguines.
AVEC LE SOUTIEN DE :
Prix de laBIOGRAPHIE HISTORIQUE• Victor-Emmanuel III : un roi face à Mussolini,
de Frédéric Le Moal (Perrin).• Berthier. L’ombre de Napoléon, de Franck Favier (Perrin).• Zénobie. De Palmyre à Rome, d’Annie et Maurice Sartre
(Perrin).
Prix duROMAN POLICIER HISTORIQUE• La Pyramide de glace, de Jean-François Parot (JC Lattès).• Black-out, de John Lawton (10/18).• La Fille du bourreau, d’Oliver Pötzsch (Jacqueline
Chambon-Actes Sud).
Prix duROMAN HISTORIQUE• Alexis ou la Vie aventureuse du comte de Tocqueville,
de Christine Kerdellant (Robert Laffont).• L’Instant de grâce, d’Yves Viollier (Robert Laffont).• La Première Femme nue, de Christophe Bouquerel
(Actes Sud).
Prix deL’EXPOSITION• « Filmer la guerre : les Soviétiques face à la Shoah
(1941-1946) » (Mémorial de la Shoah).• « 18e : aux sources du design. Chefs-d’œuvre
du mobilier, 1650-1790 » (château de Versailles). • « Du côté de chez Jacques-Émile Blanche »
(Fondation Pierre-Bergé).
Prix duLIVRE JEUNESSE• Les Grandes Grandes Vacances. Les cahiers
d’Ernest et Colette : 1939-1945, de Pascale Hédelin (Bayard jeunesse).
• Le Mystère Velázquez, d’Eliacer Cansino (Bayard).• Dans les yeux d’Anouch. Arménie, 1915, de Roland Godel
(Gallimard jeunesse).
Prix duJEU VIDÉO• Ultimate General : Gettysburg (Game-Labs).• Company of Heroes 2 : Ardennes Assault
(Sega, Relic Entertainment).• This War of Mine (11 Bit Studios).
Prix deLA BANDE DESSINÉE• Angel Wings, (t. 1), de Romain Hugault et Yann (Paquet).• Le Caravage (t. 1), de Milo Manara (Glénat).• Waterloo, le chant du départ, de Maurizio Geminiani
et Bruno Falba (Glénat).
PrixSPÉCIAL DU JURY• La Caverne du Pont d’Arc (Ardèche).• Le bosquet du Théâtre d’eau, à Versailles.• L’Hermione, la frégate de la liberté.
SONT NOMMÉSCETTE ANNÉE POUR LES
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L’AIR DU TEMPS
74 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
PIED DE NEZPour un coup d’es-sai, c’est un coup de maître. Ce premier tube de Dutronc, sorti en 1966, s’écoule à 300 000 exem-plaires. Le texte est un pied de nez à ces artistes enga-gés qui parlent du monde et des minorités. Et du monde, il y en a sur Et moi, et moi, et moi : 700 millions de Chinois, 900 millions de crève-la-faim… Dutronc y « pense puis oublie ». Plus que le sort de ses contempo-rains sous le feu de l’actua-lité, ce qui le préoccupe, avec un égoïsme patenté, c’est son mal de tête, son point au foie, son chien, « son Canigou quand il aboie ».
COUP DE VIEUXCes paroles – qui res-semblent tant à son interprète – ne sont pour-tant pas de Dutronc, mais du journaliste et écri-vain Jacques Lanzmann. Et moi, et moi, et moi ne lui était d’ailleurs pas des-tiné. Il en a, en quelque sorte, hérité par hasard. Dire qu’en 1966 Dutronc est un perdreau de l’année serait mensonger. Il a beau-coup tourné comme guita-riste (avec Les Cyclones) puis accompagné le jeune Eddy Mitchell. Après la scène, Jacques Wolfsohn, directeur artistique de la maison de disques Vogue, l’embauche comme colla-borateur. Wolfsohn est un
incomparable dénicheur de talents – Johnny et Françoise Hardy figurent à son tableau de chasse. Jacques compose pour les artistes de la maison. En 1966, l’équipe de Wolf-sohn se fait souffler la vedette par Antoine, jeune trublion aux cheveux longs qui, avec ses Élucubrations au texte gentiment corro-sif, file un vilain coup de vieux aux yéyés. La mode est à la protest song améri-caine des Bob Dylan, Joan Baez et consorts. Dans une Amérique ébranlée par l’assassinat de JFK, la lutte pour les droits civiques et l’embrasement au Viêt Nam, les chanteurs folk dénoncent le conformisme de la société bourgeoise et prônent un monde nou-veau sur fond de para-dis artificiels. Wolfsohn n’aime pas se faire damer
le pion, surtout par ce fre-luquet d’Antoine, créature de Christian Fechner, son rival à Vogue.
GRAINE DE STARIl sollicite Lanzmann, qui officie alors comme rédacteur en chef de Lui, « le magazine de l’homme moderne ». Ce dernier exhume de ses tiroirs le texte de ce qui devien-dra Et moi, et moi, et moi. Dutronc se charge de la musique. Pour l’interpré-tation, Wolfsohn mobi-lise ses poulains : Benja-min, Hadi Kalafate. Las ! La meilleure maquette est encore celle chantée par Dutronc. C’est donc lui qui enregistre au studio de la rue d’Hauteville au prin-temps 1966. Une prise, trois pistes, quatre musiciens. Le 45 tours est sous presse pour l’été. C’est un carton.
Les radios le passent en boucle. En septembre, l’in-connu Dutronc fait sa pre-mière télé. Avec son allure smart et dégingandée, son air timide et goguenard, ses yeux clairs et cette impression qu’il donne d’être revenu de tout sans être allé nulle part, il a trouvé son style. Le cigare sera pour plus tard. «Cinq cents milliards de petits Martiens/Et moi, et moi, et moi…/Comme un con de Parisien/J’attends mon chèque de fin de mois.» On est à des années-lumière de la chanson engagée et contestataire. Dutronc lorgne plutôt du côté de la farce, comme lorsque, enfant de chœur à l’église de la Trinité, il faisait tour-ner l’encensoir, comme une rock star son micro au bout du fil. L Xavier Donzelli
En 1966, Jacques Dutronc s’essaie au chant et raille gentiment l’individualisme petit-bourgeois…
Et moi, et moi, et moi…
Le saviez-vous ?
Johnny Halliday a aussi réagi au célèbre tube d’Antoine, Les Élu-
cubrations, avec qui il a un compte à régler, brocar dant dans Cheveux longs
et idées courtes les donneurs de leçon vaguement contestataires,
« assis sur [leur] derrière, les bras croisés ».
Sept cents millions de ChinoisEt moi, et moi, et moi
Avec ma vie, mon petit chez-moiMon mal de tête, mon point au foie
J’y pense et puis j’oublieC’est la vie, c’est la vie
Quatre-vingts millions d’IndonésiensEt moi, et moi, et moi
Avec ma voiture et mon chienSon Canigou quand il aboie
J’y pense et puis j’oublieC’est la vie, c’est la vie
…
Le magazine d’histoireau cœur de l’actualité
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Les Super-HérosLes super-héros, de Captain America à Superman, ont fait une entrée fracas-sante, au milieu du XXe siècle, via l’uni-vers des « comics » américains, dans l’imaginaire collectif. Ce dossier investi de super-pouvoirs met en lumière le sens caché de leurs exploits.
Les bonnes et les mauvaises manièresCe numéro d’Historia Spécial, plein d’humour, va vous surprendre, sans jamais vous faire bâiller - attention, on met sa main devant la bouche !
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Une histoire qui fait partie de l’histoire.
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Portrait d’un(e) inconnu(e) célèbre dont la postérité a retenu le nom…sans vraiment savoir de qui il s’agissait ! Ce mois-ci :UN ILLUSTRE INCONNU
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SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 77
Cincinnatus
travail champêtre », détaille l’auteur de l’Histoire de Rome. L’homme des
champs est élu dictateur pour six mois. Il ne lui faudra que seize jours pour sau-
ver la jeune République. Après avoir maté les factieux, il conduit lui-même les troupes, bat les
Èques. Sitôt sa mission accomplie, il s’empresse de reve-nir à ses sillons. C’est que sa famille ne survivrait pas à une saison sans récolte !
Il n’en a pourtant pas fini avec les affaires de l’État. Vingt ans plus tard, en – 439, on vient le chercher pour une seconde dictature. À presque 80 ans, l’homme providentiel reprend du service pour calmer les ardeurs de la plèbe, excitée par Spurius Maelius, un démagogue distribuant du blé et les germes d’une potentielle lutte des classes. Fidèle à sa conduite expéditive, Cincinna-tus le fait assassiner. Acquitté de sa tâche, il abdique de nouveau et retourne à son lopin de terre, laissant l’image d’un personnage pétri des vertus romaines, d’un authentique homme politique, à la différence du politicien professionnel. Depuis, les républicains ne cessent de se réclamer de lui, comme George Washing-ton. L’une des plus importantes villes de l’Ohio, Cincin-nati, lui doit d’ailleurs son nom. Mais se souviennent-ils que ce fier patricien est avant tout le héros conservateur d’une république aristocratique, dont la « démocratisa-tion » démagogue lui inspirait suffisamment de dégoût pour en fuir les honneurs ? L Vincent Mottez
Au mois d’août 2014, Arnaud Montebourg faisait référence à cet homme poli-tique romain du Ve siècle avant notre ère. Lors de son départ de Bercy, l’ex-ministre de l’Économie fit sensa-
tion en annonçant qu’il entendait « prendre exemple sur Cincinnatus, qui préféra quit-ter le pouvoir pour retourner à ses champs et à ses charrues ». Cette allusion en dit long sur le symbole qu’est devenu ce héros des pre-miers temps de la République antique. Elle nous rappelle aussi qu’un dictateur peut être un modèle de vertu ! Si ce mot est aujourd’hui souvent confondu avec celui de « tyran », il revê-tait un sens institutionnel précis au temps de la Rome républicaine. La dictature désignait une magistrature exceptionnelle, où un seul homme se voyait confier les pleins pouvoirs de façon légale – et temporaire – afin de résoudre une crise. Bien avant Sylla et, bien sûr, Jules César, il y eut Cincinnatus.
Sa vie quasi légendaire n’est rela-tée que par des sources indirectes. Nous la connaissons surtout grâce à Tite-Live, dont la plume hérissée de poésie patrio-tique a parfois tendance à forcer le trait. Né en 519 avant notre ère, sous le règne de Tarquin le Superbe (dernier roi de Rome), membre de la gens Quinctia, Lucius Quinctius doit probablement son patronyme à sa chevelure bou-clée (cincinnus, en latin). Le patricien vit les débuts chaotiques de la République, et c’est d’abord son fils, Kaeso, qui en fit les frais. Ce dernier s’oppose aux plé-béiens, qui réclament une loi capable de limiter le pou-voir des consuls. Sur la foi d’un témoignage accablant, les tribuns de la plèbe lui intentent un procès pour meurtre. Une belle occasion de se débarrasser du jeune aristocrate intrépide. Ayant fui chez les Étrusques sans attendre le verdict, il revient alors à son père de payer sa condamnation. Cincinnatus est contraint de vendre ses biens. Ruiné, il s’en va cultiver un lopin de terre au-delà du Tibre avec sa famille.
Aux querelles entre patriciens et plébéiens s’ajoutent les attaques des peuples voisins, dont les Volsques et les Èques. En – 460, le Sabin Appius Her-donius, à la tête d’une armée d’esclaves et de bannis, menace Rome, minée par les guerres de factions. Il devient vital de restaurer l’ordre. Cincinnatus apparaît comme « le dernier espoir du peuple », selon Tite-Live. « C’est là que les députés le trouvèrent, creusant un fossé, selon les uns, et appuyé sur sa bêche, selon d’autres, der-rière sa charrue ; mais, ce qui est certain, occupé d’un
« L’unique espoir du
peuple romain cultivait, de l’autre
côté du Tibre, un champ de quatre
arpents. » Tite-Live
78 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
MYTHOLOGIE par Sonia Darthou
Chavirant les cœurs, et les navires, ces créatures féminines subjuguent, pour les dévorer, les navigateurs passant à leur portée. Un lourd passif propre à faire endosser à ces ensorceleuses tous les maux de l’homme.
Le chant des Sirènes
Parmi les créatures mysté-rieuses et terrifiantes de leur mythologie, les Grecs redoutent particulièrement les Sirènes, qui guettent cruel-
lement les navigateurs pour les char-mer avant de les entraîner vers la mort. Le corps hybride de ces figures monstrueuses est composé d’un buste de femme perché sur un corps d’oi-seau, que parachèvent des serres de rapace. Leur puissance de séduction réside dans leur chant, et non dans
leur corps, comme ce sera le cas plus tard dans l’Histoire.Elles ont en effet hérité de leur mère, la Muse lyrique Melpomène, une voix envoûtante. Leurs noms évoquent d’ailleurs leur pouvoir : les poètes mentionnent Aglaophonè (« à la voix brillante »), Thelxiépie (« aux paroles enchanteresses »), Pisinoè (« qui persuade les esprits ») ou Molpo (« le chant »). Mais leur chant mélodieux est en réalité doublement mortel, car un oracle leur a prédit qu’elles mour-
raient le jour où elles n’arriveraient plus à arrêter les navigateurs. Elles passent donc leur temps, juchées sur des rochers, à essayer d’atti-rer les marins avec leurs mélodies pleines de promesses : les malheu-reux, ensorcelés, ne peuvent résister et viennent immanquablement jeter leurs bateaux sur les récifs. Quant aux rares rescapés, ils sont dévorés sans pitié par ces monstres aviaires anthropophages qui accumulent les cadavres putréfiés.
DES DIEUX ET DES HOMMES
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 79
FASHIONISTASMais quelle mélodie entonnent donc les Sirènes pour que leurs auditeurs, envoûtés, en perdent la raison ? Mystère. Là réside le pouvoir d’attraction de ces créatures, qui relèvent de l’imaginaire et du fantasme. Leurs avatars médiévaux, ne dévorant plus leurs proies que des yeux, incarnent le péché de la chair. La notion d’attrait irrésistible et néfaste qui faillit perdre Ulysse perdure au fil des siècles et se retrouve aujourd’hui dans la convoitise mercantile propre à la société de consommation, où l’on cède aux sirènes de la tentation.
Les Sirènes apparaissent dans L’Odyssée, l’épopée d’Homère qui narre le périlleux voyage de retour d’Ulysse dans sa patrie, Ithaque, après la guerre de Troie. Ce héros, appelé dans ce récit « l’homme aux mille tours », incarne pour les Grecs l’intelligence et la ruse : il fait partie de ceux qui participent au stratagème du cheval de Troie, mais il déjoue éga-lement des pièges innombrables au cours de son périple. Dans cette nouvelle épreuve, Ulysse fait preuve d’une curiosité avisée, après avoir été mis en garde par la magicienne Circé, qui lui a déclaré : « Elles charment tous les mortels qui les approchent. Mais bien fou qui relâche pour entendre leurs chants ! Jamais en son logis, sa femme et ses enfants ne fêtent son retour. » Souhai-tant entendre la voix merveilleuse des Sirènes mais conscient de leur charme funeste, il demande à son
équipage de le ligoter au mât de son navire avec interdiction de le déta-cher, tandis que les marins doivent se boucher les oreilles avec de la cire. Les Sirènes manient la flatte-rie avec brio pour attiser l’orgueil de leurs futures victimes et leur désir de gloire. Quand elles font résonner leurs voix enchanteresses en remé-morant à Ulysse ses exploits passés, celui-ci, envoûté, est pris du désir irrésistible de les rejoindre. Mais il a beau menacer ses compagnons de voyage, personne ne le libère : il écoute, le bateau passe, et les Sirènes, vaincues, se suicident dans la mer.Ulysse n’a pas cédé à la tentation, il a choisi de continuer sa route de mor-tel, d’époux et de père. En attachant son corps, il a résisté au chant des Sirènes et réussi à dompter ses désirs. Quelques siècles plus tard, ces créa-tures mythiques vont symboliser une autre tentation, et Ulysse une nou-
velle résistance. Au début du chris-tianisme, les Sirènes perdent leur identité divine en se voyant retirer leur majuscule. Leur nature aviaire se fait marine, et leur corps se pro-longe d’une queue de poisson. Elles se féminisent, arborent des seins nus voluptueux et une longue cheve-lure dénouée qui évoquent leur puis-sance érotique. Elles incarnent alors le péché capital de la luxure – qui peut perdre le croyant. D’ailleurs, elles ne tiennent plus dans leur main la flûte ou la lyre, mais un miroir ou un peigne, qui symbolisent leur coquet-terie et leur séduction, voire leur vice. Le mythe homérique se prête alors parfaitement à une métaphore chré-tienne. Comme un nouvel Ulysse, le chrétien est invité à s’attacher au mât de la Croix pour éviter la mer de la tentation et sauver son âme. Quant aux sirènes, elles personnifient une vision pécheresse de la femme. L
80 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
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Par Moïna Bellac
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LES ÉGLISES DE BOIS
Entre le XIIe et le XIVe siècle, conséquence de la christianisation du pays, ces fascinants lieux de culte en pin se multiplient. Inédit camaïeu blond
au cœur des blanches cathédrales d’Europe.
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 81
Prenez un bateau – un drakkar (ou snekkja), cela va de soi en pays viking ! – et retournez-le : vous avez une église en bois debout ! La formule est à l’em-porte-pièce, mais elle illustre bien la place symbolique qu’oc-cupent en Norvège ces étranges vaisseaux voguant sur les eaux mêlées du paganisme, du catho-licisme et du protestantisme. L’église de Fantoft, à Bergen, résume les incroyables tribula-tions de ses consœurs. Grands
arbres aux racines noueuses bruissant du vent tombant des grands monts de Norvège, fjord étin-celant tout proche, sombres rochers surgissant du sol : un lieu sauvage et enchanté pour une saga scandinave où ne manquent que trolls grimaçants et elfes dansant… Un tumulus surmonté d’une croix de pierre du XIe siècle provenant de Sola, dans le comté de Rogaland, rappelle les rites chré-tiens primitifs. Toute proche, l’église impose son étonnante silhouette de pagode. Mais quelle his-toire pour en arriver à cette perfection irréelle ! L’église de Fantoft n’est en effet qu’un fantôme.
Édifiée vers 1150 à Fortun, près du Sogne-fjord, elle est transférée à Bergen en 1883 puis reconstruite sur le modèle de l’église de Borgund, archétype des premières stavkirke du XIIe siècle, entourées d’un déambulatoire extérieur et ornées de dragons et de serpents – que l’Église jugera peu compatibles avec le dogme catholique. Le sata-niste Varg Vikernes entend bien, au contraire, ressusciter le paganisme. Le 6 juin 1992, date choi-sie en référence au pillage de Lindisfarne, le 6 juin 793, qui inaugure l’ère viking, il incendie l’église.
FONDATION. L’église haute de Borgund, ceinte d’une galerie extérieure couverte typique des premières constructions du XIIe siècle, est bâtie à un endroit où se pratiquaient, du temps du paganisme, des rites sacrificiels.
EidsborgEidsborg
RøldalRøldal
UvdalUvdal
TorpoTorpoGolGol
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UrnesUrnes
KaupangerKaupanger
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BorgundBorgund
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KvernesKvernes
GripGrip
HøreHøre HeggeHegge
RollagRollagFlesbergFlesberg
HeddalHeddal
HøyjordHøyjord
NORVÈGE
CHÂTEAUX DE CARTES. Sur près de mille édifices, seuls vingt-huit ont résisté à l’épreuve du temps. Les autres ont été dévorés par les flammes – matériau de construction oblige – ou remplacés par des bâtiments en pierre, plus grands, plus lumineux et plus résistants.
82 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
REPORTAGE
Reconstruite en 1997, Fantoft, quoiqu’elle soit totalement neuve et la seule à appartenir à une personne privée, incarne désormais, tel le Phénix renaissant de ses cendres, un lieu de mémoire et d’identité très fort pour les Norvégiens.
Ces stavkirke – de stav (« pi l ier ») et kirke (« église ») – doivent leur nom aux immenses fûts de pin sylvestre qui arment leurs nefs et sur lesquels
reposent, imbriqués, toits, clochetons, pignons, arcs, tribunes, galeries, portails sculptés, et, pour certaines, telles Rødven ou Kvernes, contreforts extérieurs qui semblent autant de rames leur per-mettant de naviguer sur le fjord tout proche. Le tout recouvert de goudron à base de résine de pin, ce qui explique leur couleur sombre, leur éton-nante conservation et aussi leur vulnérabilité au feu. Parfois dénommées « églises vikings », elles ne le sont pas au sens où nous l’entendons, l’ère conquérante des hommes du Nord s’étant achevée avec la christianisation tardive de la Norvège, au début du XIe siècle. Pour autant, elles sont vikings par leur technique de construction, qui doit tout à la maîtrise du bois héritée des charpentiers de marine des siècles précédents, et par leurs sculp-tures d’une grande virtuosité, inspirées des ani-maux mythiques et des motifs végétaux ornant les drakkars, les chars ou les traîneaux. Et elles le sont aussi, de façon plus subtile : si l’on se réfère à l’étymologie retenue par certains linguistes, « viking » ne désigne pas une ethnie ou une natio-nalité, mais l’état d’itinérance d’une personne,
ORIGINAL. Détériorée et inadaptée à l’affluence grandissante des paroissiens, l’église de Gol (photos) est déconstruite en 1881 puis rebâtie près d’Oslo, dans le parc du Musée folklo rique. La ville de Gol accueille aujourd’hui une réplique, plus vaste.
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Ces fragiles bâtisses ne doivent leur survie qu’à leur mobilité, facilitée par leur mode de construction. Certaines ont même été déplacées hors du pays
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 83
d’un peuple et, pourquoi pas ?, d’une église. Car les itinérances, les stavkirke, elles connaissent ! Les 28 spécimens ayant subsisté, sur plus d’un millier érigé entre le XIIe et le XIVe siècle, ne doivent leur survie qu’à leur mobilité, facilitée par leur mode de construction. Certaines ont été déplacées, d’autres ont même émigré, telle l’église de Vang, achetée par Frédéric-Guillaume IV de Prusse en 1841 et remontée à Karpacz, en Silésie, aujourd’hui province polonaise.
À Oslo se situe la stavkirke la plus visitée de Norvège. Encore une immigrée, provenant de Gol, à quelque 200 kilomètres à l’ouest d’Oslo. Sauvée en 1882 par le roi de Suède et de Norvège, Oscar II, elle est reconstruite, elle aussi, sur le modèle de Borgund, dans le parc du musée des Arts et Traditions populaires. Elle a conservé sa structure d’origine aux grands piliers ornés de masques étranges, son portail ouest aux magni-fiques sculptures et aux pentures de fer forgé et ses fresques murales du XVIe et du XVIIe siècle. Le centre de la Norvège – le Sogn – abrite la perle des perles noires, déjà évoquée, l’église de Bor-gund. Elle n’est pas la plus ancienne : sa voisine, la petite église d’Urnes dominant le Lustrafjord, construite vers 1130 et inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, est son aînée d’une cinquan-taine d’années. Toutefois, Borgund a été érigée sur un lieu de culte très ancien où l’on pratiquait des sacrifices, ce dont témoigne la pierre placée à l’intérieur, unissant paganisme et christia-nisme dans un même respect des mystères sacrés. Elle n’est pas la plus grande non plus. Celle de
COIN DE PARADIS. Nichée dans le superbe cadre du comté de Sogn og Fjordane, Urnes mêle avec grâce « art celtique, traditions vikings et structures spatiales de l’architecture romane », selon l’Unesco, qui l’a classée monument historique en 1979.
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84 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
REPORTAGE
Kaupanger, son autre voisine, installée dans un riche terroir du Sognefjord, lui rend quelques mètres avec sa nef surélevée, ornée de portraits de pasteurs et de propriétaires fonciers dont les descendants continuent de s’y marier, d’y baptiser leurs enfants et de se contempler, sous le porche d’entrée, dans un miroir aussi insolite qu’incon-gru en ces terres d’austère luthéranisme ! L’église de Heddal, dans le Telemark, rousse et blonde, avec sa cascade de toits qui dardent leurs flèches, est très imposante. Mais Borgund est authentique et saisissante, telle une apparition, avec son noir clocher séparé et ses toits hérissés de dragons bra-vant aux quatre vents les mauvais génies rôdant autour des pierres tombales de son vieux cime-tière enfoui sous la neige.
D’autres sont plus ornées, telle Uvdal, sou-tenue par un poteau central et offrant une bigarrure de frises et de masques médiévaux peints de vives couleurs,
comme sur les murs et les plafonds des XVIIe et XVIIIe siècles. Qui croirait que la Réforme est pas-sée par là, tant ces églises abondent en retables, en baptistères et en chaires aux teintes éclatantes ? Et si leurs fenêtres sont étroites, leurs bancs sont
BOIS MASSIF. La plus imposante de ces structures norvé giennes, Heddal, célèbre toujours des offices. Une magnifique chaise en bois sculptée et des peintures du XVIIe s. – sous lesquelles se distinguent par endroits celles d’origine (XIIIe s.) – comptent parmi ses trésors.
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SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 85
bien fermés pour passer, à l’abri du froid, de lon-gues heures à l’écoute de la parole divine. Fleurs et fruits, si rares en Norvège, semblent des dons miraculeux, et ce sont même des fleurs d’acanthe qui envahissent les églises du Gudbrandsdal au XVIIIe siècle.
Seule note sévère, d’émouvants crucifix médiévaux, très proches par leur masque de souf-france et l’étirement de leurs formes des christs catalans. Borgund a perdu ses bancs, son mobilier sacré, ses tableaux ; le retable et la chaire qu’elle a conservés sont modestes. Mais elle peut se pré-valoir d’une structure intacte, un peu lourde et fruste, qui contraste avec les extra ordinaires enlacements de serpents, de dragons et de lions ornant ses portails. Tout proche, un centre d’ac-cueil ouvert sur le majestueux panorama mon-tagneux montre, à grand renfort de maquettes, plans, cartes, techniques de construction et objets anciens, l’étonnante évolution des stavkirke. Construites par des catholiques encore impré-gnés des légendes scandinaves, mais aussi de la culture orientale des Vikings, grands voyageurs ayant abordé jusqu’aux rives du Bosphore, épu-rées par les constructeurs des périodes romane et gothique, inspirés par les édifices de l’Europe occidentale, et remodelées par des luthériens certes puritains mais en quête de lumière et de couleurs, elles incarnent, dans leur extrême fra-gilité, posées au bord de fjords éblouissants et glacés ou blotties dans l’ombre de montagnes redoutables, la nécessité ultime de la culture pour résister à l’âpre beauté de la nature. L
FUTAIE. Près du village de Kaupenger trône ce bel édifice construit en 1184 et remanié au XVIIe siècle. Encadrant l’autel, 2 des 18 piliers qui composent l’essentiel de la structure porteuse – inflexibles fûts ambrés (stav) formant le nom norvégien de ces monuments : stavkirke.
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Leurs architectes : des catholiques imprégnés des légendes scandinaves et de la culture orientale des Varègues, et des luthé riens en quête de couleurs
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86 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
REPORTAGE- Tourisme
À l’assaut d’Oslo Entre fjord grandiose et collines verdoyantes, la nature, intacte, vous attend
à quelques minutes des rues animées d’une capitale qui ne ferme jamais l’œil.
À savourerFROGNERSETEREN RESTAURANT € € Pour prolonger « l’ambiance stav-kirke », ce restaurant en rondins de bois et à toiture ornée de dragons, situé entre ville et forêt au-dessus du fjord, est l’adresse « viking » idéale. Élan, renne, poissons et fruits de mer sont au programme, mais la bière n’est pas servie dans des crânes humains ! Holmenkollveien 200, Oslo, (+47) 22 92 40, www.frognerseteren.no
MAGIC ICE BAR € €Ici, le verre est en glace, comme le bar, sculpté en forme de cercle… polaire. Peuplez cette banquise en prévoyant doudoune, gants et chapka. Le chauf-fage est assuré par un éclairage bleuté spectaculaire et, bien sûr, par la fameuse aquavit norvégienne, qui n’a d’eau que le nom ! Kristian IV’s gate 12, Oslo, (+47) 92 03 13 00, www.magicice.no
Se logerHÔTEL CONTINENTAL € € €Situé en face du théâtre d’Oslo, le plus ancien et luxueux établissement de la ville, géré depuis 1900 par quatre générations de femmes, a reçu de nombreuses personnalités. Si vous le trouvez trop cher, allez au moins y prendre le thé et admirer le décor Belle Époque et les œuvres avec lesquelles le peintre Munch payait ses tournées ! Startingsgaten 24/26 0117 Oslo, (+47) 22 88 40 00, www.hotelcontinental.no
HÔTEL BONDEHEIM € €Moins coûteux, cet établissement construit en 1913 jouit aujourd’hui d’un confort moderne, typiquement scandinave. En plein centre, il consti-tue le point de chute idéal pour visiter Oslo. Rosenkrantz’ gate 8, 0159 Oslo, (+47) 23 21 41 00, www.bondeheimen.com
Votre séjourPARTIR Office du tourisme de Nor-vège. Bureaux fermés au public. Ren-seignements par tél. : 01 53 23 00 50, et www.visitnorway.com.fr. Centre de visite d’Oslo : Osbanehallen (près de la gare d’Oslo). Tél. : (+47) 815 30 555 ; www.visitoslo.com. La monnaie est la couronne norvégienne (NOK). Taux de change : 1 €= 8 NOK.
EN AVION Par la compagnie SAS (Scandinavian Airlines System), plusieurs vols par jour au départ de Paris, Nice ou Bruxelles. Il n’existe pas de ligne directe de ferry entre la France et la Norvège. Départs à partir de la Suède ou du Danemark : www.aferry.fr et www.euromer.com
CIRCUIT En cinq jours, l’été, on peut découvrir en voiture les principales stavkirke de la Norvège méridionale, de Gol (Oslo) à Fantoft (Bergen), en passant par Heddal, Borgund, Urnes, Kaupanger, Hundredal et Hopper-stad. On peut aussi suivre le circuit Norway in a nutshell – « la Norvège dans une coquille de noix » –, qui com-bine avec ponctualité bus, chemin de fer – le petit train de Flam, entre montagnes, cascades et fjords, est le plus haut d’Europe – et ferry depuis Flam jusqu’à Gudvangen. Sous la neige, les stavkirke impressionnent et émeuvent, mais, attention, la plupart n’ouvrent qu’à partir de mai.
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SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 87
Aux alentours
Dans la valise
1. MUSÉE DES BATEAUX VIKINGS Trois bateaux magnifiques des IXe et Xe siècles, chambres funéraires de deux femmes et deux hommes entourés d’un somptueux mobi-lier, de chevaux, de chiens et même d’un paon. Et la révélation d’une civilisation très éloignée des clichés sur les Vikings.
2. MUSÉE DE LA VILLE D’OSLO Chaleureux dans son écrin de bois, ce petit musée,
riche de cartes, de plans, de mobiliers, d’objets, de vêtements, de tableaux, etc., nous plonge dans l’histoire passionnante d’une bourgade médiévale devenue une métro-pole de près de 600 000 habitants.
3. MUSÉE MUNCH Le Cri ne résume pas son œuvre. Plus de 2 000 toiles et dessins révèlent toutes ses facettes, et notam-ment le Parisien qu’il fut, inspiré par
l’impressionnisme et le symbolisme. À ne pas manquer, l’expo-sition le confrontant à Van Gogh, jusqu’au 6 septembre.
4. PARC VIGELAND Gustav Vigeland (1875-1948), grand sculpteur norvé-gien, a peuplé ce parc de 200 bronzes d’hommes, de femmes et d’enfants nus, jouant, luttant, s’aimant… Son Bébé en colère est devenu l’emblème de la ville.
KRISTIN LAVRANSDATTER, de Sigrid Und-set, Prix Nobel de littérature en 1928. Chef-d’œuvre d’un auteur méconnu en France, qui évoque la vie d’une femme dans la Norvège du XIVe siècle.
POLICE, de Jo Nesbø. Le spécia-liste du cliffhan-ger à la norvé-gienne ressuscite son célèbre héros alcoolique, Harry Hole, et révèle, derrière ses apparences sages et lisses, les sombres dessous d’Oslo.
CuriositéHÔTEL DE VILLE Cet immense édifice de brique encadré de deux tours monumentales abritant un carillon de 49 cloches a été construit à partir de 1930 au fond du fjord d’Oslo. Décoré par les plus grands artistes nationaux de l’époque, il offre une extraordi-naire galerie de personnages légen-daires et historiques, jusqu’aux souverains actuels, le roi Harald V et la reine Sonja. Des bas-reliefs mytho-logiques et des centaines de fresques évoquent l’ancienne société norvé-gienne, ses coutumes, son folklore
et ses rois, le tout rutilant de couleurs et de nudités bleutées sous le regard pro-
tecteur du fondateur de la ville, saint Hallvard. Depuis 1990, la grande salle de la nation accueille la cérémonie du seul prix Nobel remis en dehors de la Suède, celui de la Paix.
À CHACUN SON VOYAGE
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〉 EN SOLOPour les fous de bateaux et d’aventures, visiter, après celui des Vikings, les musées marins d’Oslo, sur les traces du Kon-Tiki et de l’anthropologue Thor Heyerdahl, du vaisseau polaire Fram et de l’explorateur Roald Amundsen.
〉 EN DUODécouvrir le nouvel Opéra d’Oslo, étincelant comme un diamant. On peut l’escalader, s’y promener, y bronzer, y faire du ski, y contempler l’iceberg de verre flottant sur les eaux du fjord, et éventuellement y écouter… de la musique.
〉 EN FAMILLEEmbarquer pour la presqu’île de Bygdoy pour visiter le Musée folklorique norvégien et son parc. Forts de 158 bâtiments, dont la stavkirke de Gol, ils donnent à voir l’architecture en bois de la Norvège.
MOTS CROISÉS Par Pascal Wion
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 88
Horizontalement : A. Per-sonnage en illustration. Un de nos ancêtres. Député de la Seine qui, en 1880, fit voter la loi sur l’enseignement secondaires des jeunes filles. – B. Ville grecque entourée de mystères. Dieu égyptien. Un des pères fonda-teurs des États-Unis et qui en fut le second président (1735-1826). – C. Divi-nités guerrières de la mythologie nor-dique. Terme désignant les forces alle-mandes qui, à partir de 1941, luttèrent en Libye et en Afrique du Nord. – D. Dans les intentions de César. Le petit Nicolas devenu grand. Personnage de Walter Scott. – E. Abbaye où Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste se donnèrent rendez-vous en 1190 au départ de la troisième croisade. Font un nouveau semis. Toujours d’actua-lité. – F. Archevêque du Minnesota qui fut l’instigateur de l’américanisme (1838-1918). Ville légendaire de Bre-tagne. – G. Faisait force de loi sous l’Ancien Régime. Homme de jugement, selon la Bible. – H. Ingénieur français qui, le premier, utilisa le gaz issu de la distillation du bois pour l’éclairage et le chauffage en 1799. Fleuve de Sibérie qui se jette dans la mer des Laptev. - I. Se suivent en carrosse. Étape de bagnards en partance pour Cayenne. Ville de Suisse où, en 1925, furent signés des accords garantissant la paix en Europe. – J. Naturaliste fran-çais qui a rédigé une Histoire naturelle en 36 volumes. Compositeur allemand dont l’œuvre la plus connue est Car-mina Burana. – K. Mer de sable. Ville d’Italie célèbre pour son circuit auto-mobile. Une des îles du Vent. Exprime le doute. - L. Il fut nommé gouverneur général de l’Algérie en 1840. Est muet d’admiration. Système d’unités de mesure qui fut utilisé de 1874 à 1946. Ancien nom de l’île d’Hokkaido. – M. Concerto de Vivaldi. Il fut deux fois président du Conseil sous la IIIe Répu-blique (1841-1929). Une matière dont on fait des f lûtes. Préposition. – N. Pas un grand des cours. Champion olympique français qui fut nommé
ministre de la Jeunesse et des Sports en 1995. Héroïne de Polanski. Comte de Paris qui défendit sa ville contre les Normands en 885-887. – O. Poste aban-donné. Quartier de Brest ou à la sortie de Nantes. Village pittoresque des Alpes-Maritimes. Astronome français qui nous a laissé son Traité de méca-nique céleste (1845-1896).
Verticalement : 1. Station bal-néaire que le personnage en illus-tration créa en 1860. Il fut en 1918 le premier président allemand de la république de Weimar. – 2. Province historique d’Irlande. Un des assas-sins de Jules César. – 3. Elle est née avec le traité de Rome en 1957. Port de Belgique où les Allemands avaient installé une base de sous-marins pen-dant la Première Guerre mondiale. – 4. Ville d’Allemagne célèbre pour son vampire. – 5. Mention sur un diplôme. Philosophe français auteur de Propos sur le bonheur en 1928. Saint patron des jardiniers. – 6. Plus d’un a débarqué à Lampedusa ! Un des fon-dateurs de Rome. – 7. Travaille au bas de l’échelle. Auteur dramatique anglais (1558-1594). Station balnéaire du Finistère proche de Fouesnant. – 8.
Traverse les plaines lombardes. – 9. Lac du Soudan. Le zirconium. Il fut l’ambassadeur de l’Allemagne à Paris pendant la Seconde Guerre mondiale. – 10. Violoniste et compositeur belge (1858-1931). Prince troyen. – 11. Por-teur de cadavres. Types populaires. – 12. Origine de Bidasse. Cardinal de Strasbourg. – 13. Napoléon n’alla jamais au-delà. Plante potagère ori-ginaire du Pérou. – 14. Les gens du Nord ! Ville du Var connue pour sa col-légiale Saint-Martin. – 15. Salut impé-rial. Archipel de l’océan Atlantique. Survivances du passé. – 16. Conven-tionnel qui fut le président du comité d’Instruction publique (1762-1845). Peut se dire en parlant des francs. Spé-cialité de Pindare. – 17. Duquel. Nom de souverains scandinaves. Fleuve qui fut le théâtre d’une bataille acharnée en octobre 1914. – 18. Ville du Tchad autrefois appelée Fort-Archambault. Géant de la mythologie scandinave. Toujours à gauche de l’hémicycle. Les Chemises brunes de Röhm. – 19. Marie Besnard fut celle de Loudun. – 20. Berceau de la Grosse Bertha. Cap sur la Méditerranée. Naturaliste français qui explora le Sahara à de multiples reprises (1902-2000).
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LIVRES
90 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
PORTRAIT
JULIETTE BENZONI
Un aussi long chemin… C’est le titre d’un de ses romans historiques, paru en 1983, qui conte les aventures, au XIIe siècle, de la belle Marjo-laine sur le chemin de Com-postelle. Le 23e ou le 24e depuis ses débuts, en 1962, et des millions de lec-teurs dans le monde entier. Juliette Benzoni pensait-elle que, trente ans plus tard, elle serait toujours sur ce chemin, et qu’elle l’aurait jalonné de plus de 80 titres, à raison d’un tous
les sept mois ? Non, elle ne se doutait pas, mais, en revanche, elle ne doute pas ! Une assurance qu’elle doit à une éducation bourgeoise dans une famille parisienne aisée et catho-lique puis à des études secondaires et supérieures auxquelles peu de jeunes filles ont accès à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Et, déjà, la passion de l’Histoire depuis la décou-verte, à 9 ans, de Jeanne d’Arc, puis des Trois Mousquetaires. Un premier mariage avec un médecin de Dijon
La diva des grandes sagas
et la naissance de deux enfants, et la voilà partie pour une vie provin-ciale, souvent synonyme, à cette époque, d’horizons culturels limités. Mais pas question pour elle de trom-per l’ennui entre thés mondains et parties de bridge. La Bourgogne pos-sède un trésor, l’histoire de ses ducs et de leur célèbre ordre de la Toison d’or, dans laquelle elle plonge avec délices. Juliette a aujourd’hui 94 ans, mais le récit de sa carrière a toujours pour elle un caractère d’évidence
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SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 91
Ces femmes du Grand Siècle. Espionnes, maî-tresses et courtisanes à la cour de Louis XIVde Juliette Benzoni (Perrin, 352 p., 20 €).
Parmi les nombreuses nouvelles historiques écrites pour la revue Confidences, dans laquelle Juliette Benzoni a fait ses débuts dans les années 1960, quelques-unes sont res-tées inédites. Retrouvées au fond d’une malle, elles permettent de découvrir les qualités de style, de sobriété, d’élégance, d’ironie légère et de talent descriptif qui ont fait le suc-cès de leur auteur il y a près de soixante ans. Et, au-delà d’une chronique amoureuse bro-dant sur les sempiternelles Montespan, La Vallière ou Ninon de Lenclos, de faire connais-sance avec de petites ou grandes dames bien oubliées, auxquelles elle redonne la beauté, le piquant, l’audace, l’esprit qui firent le lit de leur bonheur, de leur malheur, voire de leur déshonneur. Juste pour le plaisir de raconter ! L Joëlle Chevé
tranquille, au-delà du drame qui l’a contrainte à changer de vie : la mort de son mari. En 1953, elle rencontre le second, le séduisant capitaine Ben-zoni, dont elle veut, avec cet humour qui ne l’a pas quittée et qui donne de l’élégance à toutes ses amertumes, ne retenir que le nom. Accolé à son prénom d’héroïne shakespearienne à la blondeur vénitienne, il sonne déjà comme une promesse. Mais la réalité, c’est qu’il faut gagner sa vie et, pour celle qui s’essayait dans son adolescence à la tragédie grecque, il n’est pas d’autre voie que l’écriture. Les petites annonces du Figaro font le reste ! Elle oublie Clytemnestre pour Confidences, la revue féminine fondée par Paul Winkler en 1938 et qui tire alors chaque semaine à plus d’un million d’exemplaires ! Elle écrit aussi dans Histoire pour tous et dans Le Journal du dimanche, imposant déjà dans un genre, si propice à la niaiserie, à l’affabula-tion ou à la vulgarité, un style tenu, des récits construits, fondés sur des sources historiques fiables. À l’imagination de semer ensuite ses graines de folie… Puis il y eut le fameux jeu télévisé de Pierre Sab-bagh, Le Gros Lot, qu’elle ne rem-porte pas – elle ne répond qu’à cinq questions sur six – mais qui lui vaut d’être remarquée par le directeur de l’agence de presse Opera Mundi qui n’est autre que… Paul Winkler. Il lui propose d’écrire un roman his-torique. Juliette est aux anges, mais redescend vite sur terre, car il s’agit de faire vite et bien pour répondre aux attentes d’hommes d’affaires avisés et exigeants qui ont parié sur elle pour faire pièce à l’immense suc-
cès de la série Angélique marquise des anges, d’Anne et Serge Golon. Et c’est là que la Bourgogne lui sauve la mise en lui inspirant le personnage de la belle Catherine Legoix, convoi-tée par le duc Philipe le Bon et qui, dans la tourmente de la guerre de Cent Ans, rencontre… Jeanne d’Arc. La boucle est bouclée : Juliette a trouvé sa « voix ». La série des Cathe-rine est traduite en 20 langues, suivie bientôt des Marianne, du Gerfaut des brumes, des Loups de Lauzargues, de La Florentine, de Marie, du Sang des Kœnigsmarck et de tant d’autres, romans isolés ou sagas, qui ont fait d’elle la reine du roman historique
populaire et du feuilleton télévisé. Le mot « populaire » ne lui plaît guère et la rend même « furax » lorsqu’elle évoque, au regard de ses tirages, le peu d’écho que lui réservent les journalistes… Mais qu’importe ! Sa foi et sa passion de l’écriture l’em-portent sur ses désillusions. Juliette Benzoni est une force qui va et que rien n’a pu arrêter, à l’exception, quelque temps, de l’immense chagrin d’avoir perdu son fils. Et lorsqu’on lui demande la raison d’une telle continuité, la réponse tombe, ferme et sans détours : « Écrire, c’est vivre. » Écrire pour amuser ses lecteurs et les faire rêver tout en leur apprenant quelque chose, son ambition ne va pas au-delà.
Si la plupart de ses personnages sont des femmes, elle ne prétend à aucune revendication « féministe » et ne cache pas sa préférence pour son prince italien détective, Aldo Morosini, le « boiteux de Varsovie », avec lequel elle conjugue sa pas-sion des pierres précieuses et son goût pour Agatha Christie. À Saint-Mandé, où elle réside depuis l’âge de 15 ans, elle évoque sa passion pour le XVIIIe siècle, le seul où il lui semble qu’il eût fait bon vivre. Elle ne voyage plus à travers le monde, comme autre-fois, mais les livres sont partout dans sa belle demeure ouverte sur un jar-din. Sa fille, Anne, est devenue sa
précieuse collaboratrice et, dans son bureau, trône sa compagne de toujours, une machine à écrire sur laquelle chaque matin elle tape trois heures durant, sans brouillon ni pré-paration autre que la rumination noc-turne de ses personnages et de leurs aventures. Juliette Benzoni ne vit pas dans le passé, mais le passé vit en elle avec une familiarité stupéfiante. « J’aime beaucoup la reine et la plains beaucoup », dit-elle, lorsque nous évoquons l’épouse de Louis XIV. « La reine » ! Comme si elle venait de boire un chocolat avec Marie-Thérèse d’Au-triche lui confiant ses déboires conju-gaux. N’est-ce pas la plus jolie raison de retourner prendre le thé avec la reine de Saint-Mandé ? L Joëlle Chevé
Elle évoque la reine Marie-Thérèse d’Autriche comme si l’épouse de Louis XIV était sa confidente
LIVRES
92 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
Le Siècle d’or de l’Espagne. Apogée et déclin. 1492-1598,
de Michèle Escamilla (Tallandier, 848 p., 29,90 €).
LE DOCUMENT DU MOIS
Le Siècle d’or de l’Espagne est celui de l’arrivée massive des métaux précieux en pro-venance du Nouveau Monde, qui a durablement et complètement modifié l’équilibre économique mon-dial. Naturellement, l’Espagne, à l’origine de la conquête du conti-nent américain avec le Portugal, tira la première les bénéfices de cette expansion, d’autant qu’entre 1580 et 1640 les Portugais furent gouver-nés par leurs voisins. Les Espagnols préfèrent définir le Siglo de Oro comme le temps d’un rayonnement culturel exceptionnel par l’art (Diego Velázquez), la littérature (Miguel de Cervantès) et la vie religieuse (Thé-rèse d’Avilla et Jean de La Croix). Bartolomé Bennassar, auteur d’Un Siècle d’or espagnol (Robert Laf-font, 1982), pense, lui, que cette prospérité s’étend jusqu’en 1648, tandis que Michel Devèze englobe le règne de Philippe IV, de 1621 à 1665. Il n’est donc pas simple de s’entendre sur la durée et les modalités de cet apogée.Ce livre vient magistralement clore le débat. Professeur émérite d’études ibériques à l’université de Paris X-Nanterre, Michèle Esca-milla – à qui l’on doit, en collabora-tion avec Pierre Chaunu, un magni-fique Charles Quint (Fayard, 2000) – renouvelle en profondeur le sujet, en choisissant un angle d’approche inédit : les relations internatio-nales. Elle se place sous l’angle des « luttes qui ont absorbé toutes les énergies », selon l’expression de Fer-nand Braudel, et redonne toute leur place aux Rois Catholiques. Elle explique de manière convaincante
comment l’hégémonie espagnole s’est amorcée au début du XVIe siècle et pourquoi elle a décliné dès le règne de Philippe II, le fils de Charles Quint et d’Isabelle du Portugal, qui monte sur le trône d’Espagne en 1556.La première partie, « Les Rois Catho-liques », évoque en quatre chapitres leur héritage, leur politique afri-caine, leur politique italienne et la conquête de la Navarre. La deu-xième partie, en deux rapides cha-pitres, est la clé d’explication de l’his-toire à venir : elle montre comment l’on passe « d’une dynastie à l’autre ».
La troisième partie, très longue, le « Règne de Charles Quint », est décou-pée en neuf chapitres consacrés à l’avènement du Habsbourg comme roi d’Espagne, puis comme empereur, à sa politique impériale, à sa lutte contre le roi de France, à celle contre les Ottomans, dans les Balkans puis en Méditerranée, à ses combats à travers l’Allemagne luthérienne et, enfin, à « la passation des pouvoirs » d’un homme usé et épuisé, qui trans-met pourtant un héritage intact. La quatrième partie s’intéresse au règne de son fils, Philippe II. Un premier chapitre en expose une intéressante synthèse, puis les grandes victoires de Lépante, des Flandres et du Portu-gal sont expliquées, avant le moment où l’histoire s’infléchit, la défaite de
l’Invincible Armada, prélude à la « fin du règne ».Le moindre des mérites de l’auteur est de mettre de l’ordre dans cette histoire foisonnante, de restituer de belles personnalités (les relations de Jeanne la Folle et de ses fils sont évo-quées avec tact ; la vision impériale de Charles Quint, incompatible avec les nouvelles mentalités, est enfin élucidée) et de s’appuyer sur des sources multiples qui traduisent les mentalités et les représenta-tions politiques (le rôle des guerres pour l’avenir de la monarchie d’un point de vue politique aussi bien qu’administratif est bien souligné). C’est dense, parfois complexe, par-fois elliptique, mais la réussite est immense, car ce livre se démarque d’un sage manuel par sa profondeur de réflexion et sa connaissance du monde ibérique. C’est une somme qui fera date. L Éric Mension-Rigau
Le Siècle d’or de l’Espagne. Apogée et déclin. 1492-1598
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 93
5 COUPS DE CŒURTous les mois, retrouvez nos bonheurs de lecture : document, BD, roman, policier, livre jeunesse.
Le Baron fou (t. 2)de Rodolphe et Michel Faure
(Glénat, 48 p., 13,90 €).
Prise dans le chaos de la guerre en Asie centrale, une jeune Anglaise devient la confidente de Roman von Ungern-Sternberg. En 1920, le dernier géné-ral blanc mène une guerre personnelle et s’empare d’Ourga, capitale de la Mongolie. L’album clôt un très beau diptyque, qui n’est pas sans rappeler Corto Maltese en Sibérie. L
Laurent Vissière
BD
Les Médicis d’Henri Pigaillem
(Pygmalion, 645 p., 25,90 €).
De Laurent le Magnifique à la reine Catherine, en pas-sant par le pape Léon X, cette illustre lignée a marqué l’Histoire. Henri Pigaillem retrace l’ascen-sion des anciens banquiers florentins. Entre complots mystérieux et drames san-glants, de génération en génération, leur influence grandit, et leurs aventures se succèdent, tels les cha-pitres d’un roman. L
Clémentine Vieillard-Baron
Essai
PolicierLe Sceau du diable de Peter Tremayne
(10/18, 362 p., 13,90 €).
Irlande, VIIe siècle. L’ar-rivée à Cashel d’une délé-gation de religieux aux motivations aussi tem-porelles que spirituelles s’accompagne d’une série de meurtres. De nouvelles aventures sanglantes à souhait pour Fidelma, au cœur du conflit entre représentants du clergé local et partisans de l’Église de Rome. L
Isabelle Mity
RomanIllska. Le mal d’Eiríkur Örn Norddahl
(Métailié, 596 p., 24 €).
Le mal, c’est la Shoah, dont Agnès, une jeune juive, a fait le sujet de sa thèse d’histoire. Mais comment garder sa lucidité quand on aime un immigré litua-nien et que l’on couche avec un néonazi ? Un roman his-torique intelligent, déran-geant, provocant et… déli-cieusement excitant et exotique, comme tout ce qui nous vient du froid… L
Joëlle Chevé
Les camps de la mort sous l’angle de la fiction :
vif, cru et dérangeantLa Zone d’intérêtde Martin Amis (Calmann-Lévy,
392 p., 29,50 €).
Auteur anglais, Martin Amis tente de restituer par la voie du roman l’univers des camps de la mort nazis. À cette fin, il s’attache à fouiller la psycho logie de quatre acteurs clés : le chef d’un camp situé en Pologne œuvrant à la fabri-
cation d’une essence synthétique pour le compte du trust chimique IG Farben ; son épouse, autrefois compagne d’un militant communiste allemand, père de jumelles mysté-rieusement disparu ; un officier SS, dragueur impénitent, neveu du secrétaire particulier de Hitler, Martin Bor-mann, mais qui réserve quelques surprises ; et, du côté des victimes, un déporté juif voué pour survivre à prêter la main à l’extermination des siens. Sans compter ce cin-quième personnage, moins voyant mais pas moins pré-sent : l’odeur insupportable des chambres à gaz.En 1952, Robert Merle, avec La mort est mon métier, choisit déjà la fiction pour exprimer l’inexprimable : le mental spé-cifique du bourreau nazi – en l’occurrence, Rudolf Höss, le chef du camp d’Auschwitz. Dans cette entreprise formida-blement réussie, Merle jouait la carte de la sobriété. Amis, lui, opte pour un style plus proche de celui de beaucoup de romans actuels : ton vif, crudité, allusions sexuelles expli-cites, dialogues. De ce fait, La Zone d’intérêt pourra sur-prendre les uns et choquer les autres. Certains lui repro-cheront une individualisation des personnages masquant parfois le côté systématique, planifié, bureaucratique de l’entreprise d’extermination nazie. Loin d’être négligée, cette dimension apparaît pourtant bien, mais par petites touches parfois si subtiles que le lecteur ne les perçoit pas forcément. Quelques-uns d’entre eux en ressentiront peut-être un malaise : l’ouvrage se veut instrument de prise de conscience plus que de plaisir littéraire. L Rémi Kauffer
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LIVRES
94 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
DR
Les Folles Espérances, d’Alessandro Mari
(Albin Michel, 983 p., 27 €). Avec ce premier roman, l’écrivain transalpin signe une fresque palpitante, à quatre « voies », sur l’Italie du XIXe siècle. Souffle épique et poésie de la grande aventure amoureuse garantis.
Quatre destins s’entre-croisent, quatre person-nages inoubliables unis par une même soif de liberté dans une épopée traversent le XIXe siècle italien. Tel est le propos du premier roman – magistral – de cet auteur italien spécialiste de Thomas Pynchon. Alessandro Mari a une passion pour les idiots de la littéra-ture. Les naïfs, les candides. Colom-bino, le héros de son premier roman, le hante depuis longtemps. Sans qu’il ait la moindre idée de l’époque dans laquelle il souhaite le faire évoluer. Parce qu’il éprouve une vraie nostal-gie pour le XIXe siècle et une solide connaissance de la vie de Garibaldi, il opte pour l’unification de l’Italie. Les autres personnages surgissent inexplicablement de son esprit. Pour rédiger son livre, Alessandro a quitté son travail dans l’édition. Il reste enseignant à l’école Holden, à Turin, et conserve ses activités de traduc-tion anglais-italien. Plus un jour ne passe sans qu’il écrive. Le geste est instinctif. Le souci de précision, per-manent. Le recueil de documenta-tion le fait voyager. Il sillonne l’Italie de long en large : la Biblio-thèque nationale de Turin, la Sormani à Milan, Rome, Pise, Naples et Gênes, la patrie de Garibaldi. Dans sa mallette, il y a du tabac à rouler et trois Moleskine : le premier contient l’histoire du personnage ; le second, les repères historiques ; le troisième, plus petit, une foule de détails et beaucoup
de photos prises dans les musées. Il achète beaucoup de livres, souligne au crayon pour pouvoir effacer, évite le surligneur de couleur, trop gros-sier. Ses ouvrages sont garnis de marque-pages de fortune, napperons déchirés ou bouts de papier attrapés à la volée. Dans le train, il écrit tout petit pour décourager les regards curieux des voisins – à qui il tourne souvent le dos. Deux ou trois cafés de Milan qu’il connaît bien lui servent de bureau d’appoint, mais jamais le bistro d’une ville inconnue. La nuit est propice aux idées ; la première page d’un livre arrive souvent le soir. Sa femme, écrivaine elle aussi, accepte sans sourciller ses réveils soudains. À Milan, dans leur mai-son minimaliste où seul l’essentiel
a droit de cité, la journée commence toujours par une promenade avec le chien, Guerello – le même nom que celui de Garibaldi. Puis un petit déjeuner composé de lait de soja, céréales et fruits, accompagné d’un long café – américain.Il peut enchaîner douze heures de tra-vail sans souci… si quelqu’un sort le chien. Sur son bureau, un casque de maçon, prévu pour arrêter les bruits des marteaux-piqueurs, lui permet de s’isoler quand la tâche nécessite concentration. À midi, il cuisine. Les repas sont végétariens et plein d’ima-gination, sans quoi « la nourriture est vite triste et monotone ». Après chaque séquence narrative, Alessan-dro relit à voix haute. Plusieurs fois. Il veut entendre le rythme, savourer la musique des mots. Comme Hemin-gway, il estime que le premier jet est le plus mauvais. La réécriture est pour lui une réjouissance. Le soir venu, il pose ses manuscrits le temps de plon-ger une tête dans la piscine ou de pra-tiquer un sport de lutte. La matura-tion est indispensable, mais le stylo n’est jamais loin, comme un ami qu’il a plaisir à retrouver ou une maîtresse avec qui il aimerait s’éterniser. L
Nina Sorel
COMMENTALESSANDRO MARITRAVAILLE
SEPTEMBRE 2015 HISTORIA 95
Mémoires sur la cour de Louis XIV, de Primi Visconti, préfacé par Jean-François Solnon (Perrin, coll. « Tempus », 280 p., 8 €).
Des mémorialistes du règne du Roi-Soleil, Jean-Baptiste Primi Visconti Fassola de Rasa (1648-1713), dit « Primi Vis-conti », n’est pas le plus illustre, mais sûrement le plus inattendu. Ce gentilhomme piémon-tais, poussé par l’envie « de voir des empires et des royaumes », arrive à Paris en 1673, à 25 ans. Sans rang ni position offi-cielle, il parvient pour-tant à devenir un habitué de la cour de Louis XIV. Son talent ? La divination. Loti d’une intelligence et d’une clairvoyance hors pair, il construit sa réputation sur quelques heureuses prédictions et attire à lui toutes les sollicitations… et confi-dences. Dans ce qu’il considère comme « la plus belle comédie du
monde », nulle intrigue, amoureuse ou poli-tique, ne lui échappe. Ses Mémoires retracent les années 1673-1681. Entre Paris, Versailles et Saint-Germain, l’Italien témoigne, avec extrava-gance mais sans trahir l’Histoire, des mœurs de la noblesse gravitant autour du roi. De l’ascen-sion de la Montespan à la rivalité entre Colbert et Louvois, de la guerre de Hollande à l’affaire des Poisons, il décrypte les dessous de ce théâtre du paraître. Sur près de dix années, c’est la transformation des men-talités qu’il dévoile, les galanteries légères de la cour itinérante du jeune Louis XIV ayant laissé la place à une austère mora-lité religieuse. L Mathilde Sambre
S u i v e z t o u t e l ’ a c t u a l i t é d e v o s B D s u r w w w . a n g l e . f r
CHARLES DE GAULLELe Naour & Plumail
Volume 1Sortie en août
En 1916, prisonnier des Allemands, De Gaulle avait déjà une obsession : résister et s’évader…
Inclus : un cahier documentaire de 8 pages rédigé par Jean-Yves Le Naour.
Quand De Gaulle n’était pas encore le grand Charles…
JEAN-YVES LE NAOUR CLAUDE PLUMAIL
1916 - 1921 | Le prisonnier
Char
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LIVRES
96 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
Jeunesse dorée, romance noire
LES DÉBUTS DE…ANNE PERRY
Elle écrit des polars mais tait les mystères de son parcours. Aux journalistes d’en parler s’ils le désirent, elle a tourné la page, payé pour ses erreurs passées et reconstruit sa vie. Et quelle vie ! Anne Perry est une septuagénaire fascinante, née en 1938 à Black heath, près de Londres, sous le nom de Juliet Hulme. Une vraie famille anglaise sans aïeux gallois ni écossais. « J’aurais tant aimé avoir du sang irlan-dais », confie-t-elle. Son père est un astro-nome et physicien célèbre. Juliet a 4 ans et demi quand elle entre à l’école. Elle sait déjà lire et raffole des histoires que lui raconte sa mère, où les dragons sont tous gentils. Un an plus tard surgissent les premiers tourments. L’arrivée d’un frère, puis la tuberculose, qui manque de l’emporter. À la recherche d’un climat plus clément pour la soigner, ses parents l’envoient aux Antilles, en Afrique du Sud, puis aux Bahamas chez leurs amis. Quatorze mois dans les Caraïbes. Le bonheur de nager dans l’eau claire et de suivre les poissons. Elle se sou-vient avec précision de l’horizon infini et du clapotis de l’eau : « J’avais appris à pêcher, à faire du bateau et je lisais Charles Dickens. » Le retour à Londres est rude. Trois ans de scolarité lui restent à accomplir. « J’étais persuadée d’être bête, je détestais être la nouvelle élève et, quand je faisais le premier pas,
je m’y prenais maladroitement. » Début des années 1950, toute la famille démé-nage en Nouvelle-Zélande. Son père est nommé recteur de l’université de Can-terbury ; le pays comporte de nombreux sanatoriums pour soigner la tuberculose. En classe, Juliet se lie avec sa camarade Pauline Parker. Elles deviennent insépa-rables. Mais les Hulme divorcent, et le père accepte un poste en Afrique du Sud. Pauline décide de suivre le père et la fille. La mère de l’adolescente s’y oppose. Les deux amies décident de la suppri-mer. L’affaire Parker-Hume défraie la chronique en 1954. Âgées de 15 et 16 ans, les filles échappent à la peine de mort. Libérée en 1959, Juliet Hulme devient Anne Perry. Elle a 21 ans. Hôtesse de l’air, secrétaire, vendeuse dans un grand magasin, agent en assurances, elle cumule les petits boulots, jusqu’en Cali-fornie, où elle s’installe quelques années. L’idée d’écrire ne cesse de la tarauder. Elle mettra vingt ans pour franchir le pas. Et c’est un thriller qui finalement lui donne raison. « Tellement plus facile à écrire ! » dit-elle. L’Étrangleur de Cater Street est le premier d’une longue série. Anne partage son temps entre Inver-ness, en Écosse, où elle vit depuis vingt-cinq ans, et la Californie « parce que [s] a carrière est là ». Ses livres ne sont pas là pour soigner son passé, mais, confesse-t-elle, « il faut avoir vécu pour pouvoir écrire et raconter ». L Nina Sorel
Figure incontour-nable du roman policier à l’ère victorienne, reine du best-seller avec plus de 26 millions d’exemplaires vendus, l’écrivaine nous entraîne, avec cette nouvelle enquête du célèbre détective William Monk, dans l’uni-vers hospitalier. Haletant.
Le Couloir des ténèbres, d’Anne Perry (10/18,
364 p., 13,90 €).
DR
Par Véronique Dumas
Paris au fil du temps de Jean-Michel Billioud, illustr. de Simone Massoni (Gallimard jeunesse, coll. « Le monde animé », 20 p., 13,90 €).
Cahier d’activités du Louvre de Cécile Guibert Brussel, illustr. de Loïc Froissart (Actes Sud junior, 48 p., 12,50 €).Reconstituer l’histoire du bâtiment du plus beau musée du monde, identifier les rois de France, réaliser un collage imitant la série de tableaux d’Arcimboldo sont quelques-unes des activités proposées aux artistes en herbe à partir de 7 ans. L
Le Petit Louis XIV (t. 1), de Christophe Cazenove, dessin de Peral (Bamboo, 48 p., 10,60 €).Cancre, le jeune Louis fait tourner en bourrique son précepteur, et la reine, d’origine espagnole, l’oblige à manger de la paella. Du moins, selon les auteur de cette BD amusante, complétée par un cahier documentaire, qui ravira les enfants à partir de 7 ans. L
Le Feuilleton d’Ulysse de Murielle Szac, illustr. de Sébastien Thibault (Bayard, 280 p., 19,90 €).Troisième volet de la série très réussie « La mytho-logie grecque en cent épisodes ». Passionnant et à la portée des 10 ans et plus. L
Nouvelles égyptiennes. Vivez au temps des pharaons ! de Marwan el-Ahdab, illustr. de Clément Chassagnard (Samir, 129 p., 9 €).Ces six nouvelles évoquent le Nouvel Empire. L’auteur déroule avec habileté le papyrus de ses récits, passant d’une histoire d’amour fou à celle d’une malédiction, du destin d’un pilleur de tombes à l’exécution d’une vengeance. Un recueil ciselé et très documenté.
Les Bosquets de Versailles. d’Annie Pietri (Bayard jeunesse, 264 p., 13,90 €).Dans cette nou-velle enquête, les deux héros du premier épisode sont sur les traces d’un assassin accompagné d’un loup. Un suspens à partir de 10 ans. L
Pour les 6-9 ans, voici un album aux illustrations soignées et aux textes courts montrant Paris, de la Lutèce gallo-romaine au futur Grand Parisaux en passant par les travaux d’Haussmann. Un bel objet muni de volets à soulever et de dépliants pleins de surprises. L
Sans titre-26 1 27/07/15 15:58
LES COUACS DE L’HISTOIRE Par Joëlle Chevé
98 HISTORIA SEPTEMBRE 2015
Assoiffé de reconnaissance, il enchante la reine et ses hôtes et gagne enfin le précieux sésame qui lancera sa carrière : être présenté au roi
À l’automne 1752, Louis XV et sa cour sont à Fontai-nebleau. Les soirées sont consacrées au théâtre et à la musique, dont raffolent
la reine, Marie Leszczynska, mais aussi la favorite en titre, la marquise de Pompadour. Rameau règne depuis plusieurs années sur l’opéra lyrique français. Mais, en cette nuit du 18 octobre, c’est un compositeur quasi inconnu qui est à l’affiche, un certain Jean-Jacques Rousseau. Sa première œuvre, Les Muses galantes, a déçu, mais l’intendant des Menus-Plaisirs du roi, M. de Cury, a assisté aux répé-titions de son nouvel opéra en un acte, Le Devin du village, et il l’a convaincu de le présenter devant la cour. C’est un triomphe ! Rousseau est ému aux larmes lorsqu’il évoque, dans les Confessions, ces dames « belles comme des anges et qui s’entre-disaient à demi-voix : “Cela est char-mant, cela est ravissant ! Il n’y a pas
un son, là, qui ne parte du cœur.” » Quant à Louis XV, il n’a cessé, le len-demain de la représentation, de fre-donner le refrain : « J’ai perdu mon serviteur/J’ai perdu tout mon bon-heur. » Il ne croyait pas si bien dire, ou plutôt si mal chanter !En effet, alors qu’il a chargé le duc d’Aumont de convier Jean-Jacques Rousseau au château pour lui être présenté et pour lui offrir une pen-sion, ce dernier refuse, au grand dam des gens de cour, mais aussi de ses amis de l’Encyclopédie, qui le savent réduit à un travail de copiste de par-titions. De surcroît, ce refus paraît incohérent de la part d’un homme qui souhaite être reconnu comme com-
positeur, et ce, par un public aristo-cratique de connaisseurs. Car Rous-seau n’est pas encore à cette époque le contempteur du despotisme monar-chique, et la personne du roi lui ins-pire respect et admiration.Il a passé, écrit-il, une nuit d’angoisse et de perplexité à s’imaginer devant Louis XV, incapable de répondre à l’honneur qui lui est fait en termes convenables. Il invoque aussi le désir de rester indépendant et de ne rien devoir à personne : « Mon obscu-rité me plaît trop pour me résoudre à en sortir, écrit-il à un ami, quand même je perdrais les infirmités qui me la rendent nécessaires. » Mais quelles sont donc ces infirmités qui le contraignent à la solitude alors même qu’il n’a guère plus de 40 ans ?Parmi tous les maux dont il se dit accablé et dont il n’épargne aucun détail à ses correspondants, Jean-Jacques Rousseau est atteint d’une maladie qui l’oblige à s’échapper au plus vite dès que « l’ardeur d’uriner » s’empare de lui en société. Depuis plus de deux cents ans, les urologues ne cessent de s’interroger sur ses symp-tômes sans jamais démêler ce qui relève d’un réel vice de conformation ou de fantasmes hypocondriaques ou névrotiques. Reste que la principale raison pour laquelle Rousseau n’a pas rencontré Louis XV a tenu à cette ter-reur de ne pouvoir se contenir devant Sa Majesté. Ce qui lui valut de ne pas faire la carrière de musicien dont il rêvait, mais pour laquelle il man-quait de carrure, et de devenir l’im-mense philosophe des Lumières que l’on sait. La gloire ne coule pas tou-jours de source ! L
Le philosophe en devenir croit un temps laisser son nom à la cour comme compositeur. C’est compter sans un étrange délit de fuite.
Quand Rousseau se liquéfie
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