Historia Special Sep Oct 2015

7/24/2019 Historia Special Sep Oct 2015

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La Sicile, l o tout a commencLucky Luciano et les cousins dAmrique

Les juteux business de Cosa Nostra

ALL 7.45 / BEL 6 .95 / ES P 6.9 5 / ITA 6 .95 / GR 6.95 / P ORT C ONT 6. 90 / LUX 6.95 / C H 11. 80 FS / MA R 65 DH / T UN 6. 90 TND / CA N 9.9 5 $ C AD / DOM/S 6.85 / M AY 8. 25 / TOM/ A 165 0 XPF / TOM/ S 900 XPF

S P C I A L

DCOUVERTE :RHODES, LA BELLE HOSPITALIRE

NUMRO 25 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015

LA VRITABLE HISTOIREDES PARRAINS

MAFIA

";M 08183- 25 - F: 5,95E- RD


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Enventeactuellement

www.historia.fr

Lepassclaireleprsent

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MAI2015-N821

ALL7,20/BEL6,50/ESP6,70/GR6,70/ITA6,70/LUX6,70/PORT-C

ON

T6,70/CH11FS/DOM/S6,70/MAY8,10/TOM-A1570XPF/TOM-S880XPF/MAR6

0DH/TUN6,80TND/CAN9,99$CAN

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3LA MAFIASEPTEMBRE-OCTOBRE 2015

DITORIAL

Victor BattaggionRdacteur en chef adjointcharg des Spciaux

Affaire de familles

S

ICILE, BEAUT LTALE. Ses terres arides sont,depuis le XIXesicle, irrigues par le sang din-nocents et hantes par des mes damnes. Les

femmes vtues de noir y pleurent leur mari tr-pass ; les pierres y gmissent sous un soleilimplacable. Aussi implacable que ses hommes dhonneur au regard froid, corps de l honorable socit , dont luniquedessein est dexercer un pouvoir total sur les individus instal-ls sur son territoire. La Mafia, la sicilienne, avec un grand Mpour la distinguer de toutes les autres, est ne sur cette le. Pieuvre insaisissable, dont les tentacules sinsinuent dansles failles de la socit, elle asphyxie la rgion en profitant duchaos qui suit lavnement du royaume dItalie dans les annes1860. Sans plus jamais lcher prise. Mussolini essayera plustard de sen dbarrasser. En vain. Le problme se dplace ail-leurs, comme souvent.

En Amrique, o lalcool frelat coule flots et o lesballes ne sont pas perdues pour tout le monde. Luciano etassocis y btissent des empires La Seconde Guerre mon-diale termine, les affaires reprennent plus que jamais. Letrafic dhrone, manne financire inespre, est loriginede sanglantes tueries entre les diffrentes familles sici-liennes. Cosa Nostra, que lon peut traduire par Notreaffaire , se sent trs concerne par celles des autres

Ltat italien, trop souvent accus de collusion avec lesmafieux, et face la monte des violences, se voit oblig dedclarer une guerre sans merci contre cette entreprise illi-cite. Au-del des clichs vhiculs par des films de lgendequi, commeLe ParrainouLes Affranchis, ont mythifi la Mafia,

voici la vritable histoire de cette organisation


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SOMMAIRE

LES AUTEURS

6CINMA 8INTRODUCTION

GEORGES AYACHE Ancien diplomateet universitaire, avocat, il a publiplusieurs ouvrages sur les tats-Unis,dont Frank Sinatra. La voix de lAmrique(Perrin, 2015). Il prpare une histoiredes prsidents amricains ainsi quunebiographie de Joe Kennedy.

MARTINE BARTOLOMEI Urbanisteet journaliste, elle a cocrit La Mafiase met table(Actes Sud, 2000).

JOHN DICKIE Historien et journaliste,auteur de Cosa nostra : lhistoirede la mafia sicilienne de 1860 nos jours(Perrin, 2007), un best-seller mondial.

VRONIQUE DUMASJournaliste, respon-sable du site Historia.fr, elle retrace les

premires heures du combat contre la Mafia.

PHILIPPE DI FOLCO Ex-journaliste pourle groupe Novapress, crivain, enseignantet scnariste, il a crit plusieurs ouvrages,

dont Les Secrets de la Mafia(La LibrairieVuibert, 2012) et Criminels, histoires vraies(avec Yves Stavrids Sonatine, 2014).

HLNE HARTER Historienne, spcialistede lhistoire des tats-Unis, elle enseigne luniversit Rennes 2. Elle a sign en

2010 Les Incorruptibles contre Al Capone(Larousse).

DENIS LEFEBVRE Journaliste et historien,spcialiste du XXesicle. On lui doitnotamment Les Secrets de lexpditionde Suez(Perrin, 2010).

SOUS LE SOLEIL DE SICILE16 LIRRSISTIBLE ASCENSION

DE LA MAFIALisolement de lle permet la noblessepuis la bourgeoisie de faire rgner lordre.Son ordrepar Fabrice Rizzoli

24 LE PACTE FAUSTIENDE NICOTERALe ministre de lIntrieur engage la lutte. Uncombat perdu davance, qui sachve par unedrle dalliance,par Vronique Dumas

26 LE DUCE SEN VA-T-EN GUERRESous le fascisme, la Mafia fait profil bas. Mus-solini envoie le prfet de fer nettoyer la Sicile.Pour quels rsultats ?par Olivier Tosseri

LES COUSINS DAMRIQUE

34 FARE LAMERICA Chasss par la pauvret ou motivs parlappt du gain, ils sont des milliers tenterle voyage,par Marie-Christine Michaud

38 PROHIBITION : FLOTS ET SANGEn 1919, le 18eamendement ouvre la porteaux trafics, pour le bonheur des truandsitalo-amricains,par Hlne Harter

44 LUCKY LUCIANO : ENTREVRITS ET MENSONGES

Vritable lgende dans le milieu, il a marqulhistoire de l honorable socit des deuxcts de lAtlantique,par Philippe Di Folco

50 HOLLYWOOD SOUS EMPRISEPour le public, les grands studios sont desmachines rves. Pour la Mafia, une usine cashpar Michael Munn

56 FRANK SINATRA,LA VOIX DU CRIMELes hommes dhonneur sont les meilleursagents du crooner et lui permettent de grerau mieux sa carrire,par Georges Ayache

MFV-FOSCOMARAINI/GABINETTOVIEUSSEUXPROPERTY/FRATELLIALIN

ARI,

DISTR.

RMN-

GRANDPALAIS

STILLFX/SHUTTERSTOCK



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N 25 SEPTEMBRE- OCTOBRE 2015

MARIE-CHRISTINE MICHAUD Professeurdes universits, elle est spcialiste en

tudes nord-amricaines. Elle est lauteur

de plusieurs ouvrages, dont Columbusday et les Italiens de New York(Presses

de luniversit Paris-Sorbonne, 2011).

MICHAEL MUNNJournaliste, spcialiste delhistoire du cinma, auteur de nombreuses

biographies dacteurs, il a aussi publi

Hollywood connection : lhistoire vraie

du crime organis Hollywood(La LibrairieVuibert, 2013).

STPHANE QUR Criminologue, il estauteur de trs nombreux ouvrages, dont

La Ndrangheta(2009) et Les Nouveaux

Parrains(2014), tous deux dits La Manufacture de livres. Il anime

aussi le site Internet sur le crime organiswww.crimorg.com.

FABRICE RIZZOLI Politologue, enseignantet chercheur, ancien secrtaire gnral

de lObservatoire gopolitique des

criminalits, il est prsident de CrimHaltet reprsentant franais de lONG Flare

(qui constitue le premier rseau de lasocit civile contre le crime organis).

Il a publi un Petit dictionnaire nervde la Mafia(LOpportun, 2012).

OLIVIER TOSSERIJournaliste et crivain,il est correspondant Rome pour iTl,

Canal +, RMC et LOpinion. Auteurde plusieurs livres, il a particip louvrage collectif 150 ides reues

sur lHistoire(First, 2013) et a galementsign le romanLe Bal des hommes

(Robert Laffont, 2014).

APOGE ET DCADENCE

64 LE RETOUR AUX AFFAIRESLe dynamisme conomique de laprs-guerre touche aussi la Sicile et ses organisa-tions criminelles,par Stphane Qur

70 LE RGNE DE LA TERREURLambition de lune des familles de lle

va faire vaciller ltat et ravager les clansadverses et allis,par Denis Lefebvre

76 LA PIEUVRE SACCROCHE SON ROCHER

Aprs le Maxi-Procs, lorganisation rangeles armes, sembourgeoise, joue en Bourse etmaintient son emprise,par Fabrice Rizzoli

82 CARTOGRAPHIE :LINTERNATIONALE DU CRIMELa Mafia partage ses activits avec biendautres socits . Tour du monde peu recommandable de ces cartels.

84 LINVIT DU SPCIAL :LE PRE CIOTTIPour ce prtre, la victoire contre Cosa Nostrase fera en gagnant les curs et en assurantle dveloppement de lle,propos recueillispar Olivier Tosseri

DCOUVERTE

88 RHODES, LA BELLEHOSPITALIREPar Jolle Chev, Vronique Dumaset Robert Kassous

106 MOTS FLCHS

GEORGEPAPAPOSTOLOU/SHUTTERSTOCK



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UNE EXCEPTIONNELLE FICTIONNul na oubli les ordres murmurs par un crpusculaire donCorleone, interprt par Marlon Brandon. Second par son fils Al Pacino , cest un homme dhonneur qui refuse de verserdans le trafic de drogue. Bref, Coppola pose en 1972 les ingrdientsdu mythe dune contre-culture criminelle ptrie dhonneur. Le filmcorrespond bien peu la ralit mais obtiendra trois oscars.

LE MAFIEUX DES DEUX MONDESN Naples, Francesco Rosi traitesouvent de la Mafia, comme dansCadavres exquis(1976) et Oublier

Palerme(1990). En ralisant ce filmen 1973, il dclare ne pas faire undocumentaire mais un cinma

document ; il nen reste pas moinsquil dvoile, travers le clbre Italo-

Amricain (lire sa carrire p. 44-49),les rapports existant des deux cts delAtlantique entre crime et politique.

BOURRE-PIF LITALIENNELa maison de production isralienne Cannon a

bti sa rputation sur des films de srie B, fondssur des intrigues bancales, nourries par les pires

clichs et lieux communs. Profitantde la vague engendre par le succs duParrain,

voici, en 1986, la version sauce tomatede la mafia napolitaine.

6 LA MAFIA HISTORIA SPCIAL

LA MAFIA CRVE LCRAN

COLLECTIONCHRISTOPHELP

ARAMOUNTP

ICTURES

COLLECTIONCHRISTOPHELH

ARBORPRODUCTIONS

COLL

ECTIONCHRISTOPHELI

TALIANINTERNATIONALFILM


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DU RVE AUCAUCHEMARHenry Hill de preirlandais et de mresicilienne dsire depuisson enfance devenir truandau service des Lucchese,lune des cinq familles de lamafia amricaine Ralisen 1990 par Martin Scorseseet tir des confessions dunauthentique gangster, cefilm dvoile, avec noirceuret non sans humour, lemoteur qui fait la loi dans cemilieu : largent.

TAT DMESi Scorsese exposait les motivationsfinancires des gangsters, cette srie(86 pisodes tourns entre 1999 et2007) explore la psych de TonySoprano, un mafieux du New Jersey.

Souffrant de crises de panique, cedernier se rsout sallonger sur le divandun analyste Cette srie, qui puisedansLe ParrainetLes Affranchis, a faitlobjet dun engouement plantaire

ANNES FOLLESRetour une grande priode delhistoire de la mafia amricaineavec cette autre srie (Boardwalk

Empire, 2010-2014) qui revientsur lpoque de la Prohibition.Entre Atlantic City, New Yorket Chicago, les personnagescroisent, au long des 56 pisodes,des figures inspires de mafieuxbien rels, comme Al Capone, Joe

Masseria et Lucky Luciano.

7LA MAFIAMOIS-MOIS 2015

COLLECTIONCHRISTOPHELW

ARNERBRO

S


BO


BO


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BRUCEGILDEN/MAGNUMP

HOTOS


INTRODUCTION

Mafia. Rares sont lesmots dune telle

puissance voca-

trice. Le cinma,

les romans et plus

rcemment les sries tlvises ont

contribu le charger dune foule

dimages et de noms qui surgissent

notre esprit ds quil est prononc.

On voit immdiatement un borsa-

lino surmontant une silhouette glis-

se dans un costume crois, on

entend le crpitement dune mitrail-

lette pointant de la fentre baissedune voiture ou le bruit touff

dun silencieux uvrant dans une

salle de restaurant. Marlon Brando

ou Al Pacino prennent placidement

des dcisions pour faire rgner la

terreur dans le clair-obscur de leur

bureau ou de larrire-salle dun tri-

pot clandestin. Entendre ou lire le

mot mafia , cest aussi se plonger

dans un paysage aride et rocailleux

o ne poussent que quelques lau-

riers sauvages brls par le soleil.

Des hommes taciturnes en cavalesont terrs dans des cabanons ou

dans des caves do ils rgnent sur

lempire du crime. Car si le terme

mafia dsigne dsormais plthore

de gangs criminels, de la Russie

lAmrique Latine et des Balkans

la Chine (voir carte p. 82-83), cest

son lieu de naissance quil reste

intimement li, la Sicile.

Cest sur cette le mditerra-

nenne, changeant trop de fois de

matre au fil des sicles pour se plier

MAFIAUNE HONORABLE

SOCIT

Par John Dickie

tat dans ltat, lentreprise criminelle est ne en Sicile lafin du XIXesicle. Cest une famille ptrie dimmuablesrites dinitiation et rgie par un code dhonneur. Son but ?

tendre son pouvoir et faire de largent.


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MythologieO sarrte lHistoire

et o commencela lgende ? La

structure criminelle

sicilienne, en jouant

sur des valeurs

locales dhonneur,

de bravoure et

dindpendance,

sest, ds sa

naissance, entoure

dun halo de mystre,

qui ne cache quune

entente sur les crimes

commettre


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INTRODUCTION

toute domination, qumerge lafin du XIXesicle un modle inditdassociation de malfa iteurs (lire

p. 16-23). Pour assouvir leur soif depouvoir et dargent et contrler le

juteux commerce des agrumes, i lsmettent au point un modle de fonc-tionnement combinant les attributs

dun tat dans ltat, dune entre-prise illgale et dune socit secrtede type maonnique.

PROTGER VOLEURS ET VOLS

Une organisation dont lexistence at, pendant des dcennies, mini-mise voire dnie. Le mot mafiosotait, jusqu ce quil se teinte desang, un terme parfaitement ano-din. Dans le dialecte palermitain, ilsignifiait beau , hardi , sr de

soi (lire p. 21). Un homme mri-tant ce qualificatif pouvait senor-gueillir de jouir de ce surplus decharme, cette classe dirait-onaujourdhui. Le mafioso, un crimi-nel ? Plutt larchtype du Sicilienrebelle, habit par ses passions etportant haut un ego sans limites. LaMafia ntait donc, pour ceux quisvertuaient la nier, quune men-talit. Une simple caractristiquequi serait aux Mridionaux ce que

le flegme est aux Britanniques. Etdinvoquer pour cela, chez lesdfenseurs de cette thse, ltymo-logie. Mafia viendrait de larabemarfud, signifiant une conscienceexagre de sa propre identit et lerefus de se soumettre au plus fort.

Parce que justement les plus fortssur lle ne sont pas les fonction-naires de ladministration centralemais les mafiosiqui imposent la loide Cosa Nostra, un vritable tat

parallle. Avec laccord de la Mafia

dans son ensemble, chaque famille(coscaen italien) exerce une domi-nation tatique sur les personnes

vivant sur son territoire. Et cela se

manifeste avant tout par la pre-mire prrogative de tout pouvoir :le prlvement de limpt. Le racket(pizzo) permet ainsi de taxer toutelactivit conomique, aussi bienlgale quillgale, la diffrence dugouvernement lgitime : ils pour-ront ainsi protger la fois leconcessionnaire automobile et legang de voleurs de voitures dont ilest la victime. Largent extorqu enchange dune protection sera

ensuite rinject dans les trafics en

tout genre et utilis pour cor-rompre. Tout comme ltat quelleconcurrence, la Mafia sarroge lemonopole de la violence avec droit

de vie et de mort sur ses sujets. Maisconcurrence ne veut pas dire subs-titution. Elle a besoin dinfiltrer lesadministrations pour les utiliser son propre usage.

Entreprise criminelle, la Mafiaest enfin une socit secrte. Sesaffids sont slectionns avec leplus grand soin (il faut tre siciliende pre et de mre, de sexe mascu-lin et catholique, obligation de nepas tre divorc, ni tre proche

parent dun policier, magistrat ou

DEBIASI/MP/LEE

MAGE

Ide courteSur le terrain, lesmafiosifont rgner lordre jusque dans les annes 1970 avec unoutil privilgi, le lupara, un fusil de chasse canon sci. Car lobjectif de lorganisationcriminelle est de remplacer ltat dans lexercice de la fiscalit et de la violence


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tout autre fonctionnaire). On

exige deux trois qualits : la discr-

tion, lobissance et limplacabilit.

Elles caractrisent lhomme dhon-neur . Lhonorable socit ,

comme aiment lappeler ceux qui en

font partie, est rgie par un code

donnant cette valeur un sens qui

lui est propre. Pas de socit secrte

sans rite dinitiation.

UN SERMENT DALLGEANCECest aux traditions maonniques et

catholiques que la Mafia puise pour

donner au rituel son aura et sa

sacralit. Il se droule dans unendroit sombre clair la lueur

dune bougie ou dun feu. Sur une

table autour de laquelle se ras-

semble le groupe demafiosiprts

accueillir un nouveau membre, des

poignards ou des pistolets sont

dposs en croix. Le futur affid

sapproche accompagn de son

futur chef (capo). Celui-ci le pr-

sente lassemble et fait figure de

parrain dans ce baptme qui

marque son entre dans la commu-naut des criminels. Lhomme le

plus important de lassistance lui

explique alors les rgles de Cosa

Nostra, dont celles de ne pas tirer

de revenus de la prostitution, ne pas

voler, ne pas dsirer la femme dun

autre mafioso, ne pas sadonner au

vice du jeu et de lalcool preuves

certaines dun manque de fiabilit.

Le serment dallgeance et de

silence jusqu la mort est alors pro-

nonc. Lindex de laspirant mafieux,

HO/ITALIANPOLICE/A

FP

FOTOTECA/LEEMAGE

Billets perdantsDepuis toujours, les hommes dhonneur parlent peu mais crivent beaucoup. Il peut sagir

de lettres de menace, comme (ci-dessus) celle adresse par Don Vito lagent de police

amricain Joe Petrosino en 1909 (dont nous relatons lphmre mission p. 37). Mais,

encore aujourdhui, lheure du tlphone portable et de lInternet, on peut aussi avoir

affaire de vritables ordres de mission, comme ces instructions (ci-dessous) crites par le

capopalermitain Salvatore Lo Piccolo et saisies par les carabiniers en novembre 2007.

la carrire nest pas ouverte nimporte qui.on exige du candidat trois qualitS ESSENTIELLES,LA DISCRTION, LOBISSANCE ET LIMPLACABILIT


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INTRODUCTION

le doigt qui presse la gchette, estensuite piqu et quelques gouttes desang verses sur une image sainte,le plus souvent celle de la Vierge delAnnonciation. Elle est brle dansses mains, symbole de la disparitionde lhomme ordinaire et de sarenaissance en tant quhommedhonneur. Lapprenti mafiosoestensuite observ, surveill et mis lpreuve. Son admission dfinitive

sera conditionne la perptrationdun meurtre, le plus souvent celuidun tratre ou dun rival dune autrefaction. Respectueuse des conve-nances, la Mafia dispense dun telacte les membres de professionslibrales, les ecclsiastiques, lesfonctionnaires et les entrepreneurs.Le nophyte devra ensuite se plier une exigence, celle de toujoursdire la vrit aux autres affilis, res-pectant son serment de ne jamais

mentir prononc lors du rite dini-

tiation. La vrit est en effet la den-re la plus prcieuse et la plus dan-gereuse qui soit dans le contexte deparanoa aigu rgissant les rela-tions au sein de Cosa Nostra.

LOMERTA OU LA MORT

Le mensonge dcouvert est un rac-courci vers le bain dacide, maisbien cach, cest une arme redou-table dans les luttes intestines qui

agitent lorganisation. Il devient,ainsi, indispensable dexceller danslart de se taire. La communicationest base de codes. Une allusion,un regard impntrable ou unsilence significatif valent bienmieux quun long discours.

Briser lomerta, enfreindre cetteloi du silence vitale pour la Mafiaquivaut signer son arrt de mort.

lorigine du mot, vraisemblable-ment le mot umilt( humilit en

italien), umirten sicilien. Lhomme

dhonneur est un homme humblemarquant son respect et sa dvotionenvers la secte quil sert. Personne

ne doit fournir qui que ce soit etsurtout pas la police ou la jus-tice le moindre renseignementsusceptible daider dmasquerlauteur dun dlit ou dvoiler lesarcanes de Cosa Nostra. Certainslont pourtant fait comme TommasoBuscetta, surnomm le boss desdeux mondes pour avoir t actifaussi bien en Italie quaux tats-Unis. En 1984, il se livre au jugeantimafia Giovanni Falcone. Un

tmoignage crucial qui ouvrira lavoie bien dautres et qui a permisde mieux comprendre le fonction-nement de Cosa Nostra.

Sa structure est pyramidale. Lacellule de base est constitue par la famille , mais au sens mtapho-rique du terme. Le cinma et le filmde Coppola,Le Parrain, ont vhiculcette erreur dinterprtation. Plusde deux personnes ayant des liensde sang ne peuvent dailleurs pas

faire partie dune mme famille

FARABOLA/LEEMAGE

Coup de tonnerreTommaso Buscetta (1928-2000) ose ce que nul mafieux na os faire avant lui : briser la

loi du silence. En 1984, il dvoile aux enquteurs lexistence de la Coupole , permet une

vague darrestations et devient un modle pour les futurspentiti( repentis ).


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mafieuse pour viter les risquesdhgmonie. Cette structure debase contrle un territoire, un quar-

tier, une ville. Elle est constitue de soldats , rassembls par groupesde dix sous lautorit dun chef lupar les membres de la cosca.

ENTREPRISE ET LIENS DU SANG

Pas de dmocratie pour autant maisjuste la reconnaissance de sa capa-cit dinf luence et de son autorit

vis--vis des autres factions. Troisfamilles ou plus, territorialementcontigus, constituent un manda-

mento( canton ) la tte duquelest lu un chef appel reprsen-tant car il sige avec tous les autresresponsables de mandamenti la Commission ou Coupole ,conseil souverain de la Mafia. Plusquun conseil dadministration, cestune cour suprme statuant sur lesdiffrends entre mafieux, dcidantdes homicides importants ou rpar-tissant les marchs lis aux trafics.Cette structure de coordination et

de supervision est indispensable la bonne marche dune organisationconstamment sujette aux tensionset la violence. Quelles soient liesaux conflits latents ou aux guerresciviles ouvertes, ces tensions sontrgles le plus souvent grce auxmariages, conus dans une perspec-tive dynastique permettant gale-ment de transmettre le capital co-nomique et social de gnration engnration comme au Moyen ge

ou la Renaissance

Lune des premires uvres artis-tiques voquant la Mafia est dail-leurs lopra bouffe Cavalleria Rus-ticana, ( chevalerie rustique ), joupour la premire fois en 1890. Ellela prsentait alors comme unenotion primitive de lhonneur, uncode rudimentaire de chevalerieauxquels obissaient les paysanssiciliens. Un sicle plus tard, avecles enqutes des juges Giovanni Fal-cone et Paolo Borsellino tus dans

deux attentats la voiture pige

en 1992 (lire p. 76-81), la Mafia sevengeait de ceux qui avaient russi dcrypter cette association deporte internationale, sophistiqueet aux puissantes connexions poli-tiques et conomiques. Mais si lestentacules de la pieuvre Cosa Nos-tra stendent sur le monde entier,cest en Sicile que se trouvent sa tteet son cur. Ce numro sonde cettehydre en plongeant dans les bas-fonds de son histoire. Propos recueillis par Olivier Tosseri

ALISAFOTO/FRANCO

LANNINO

Mauvais genrePatriarcale la socit sicilienne ? Les femmes ont combl les vides dans les familles

affaiblies par les arrestations massives des annes 1990, comme Giusy Vitale (ci-dessus),

un temps parrain . Cependant, prise de remords, elle collabore en 2005 avec la justice.

les chefs jugent les diffrents, sattribuentles marchs, DCIDENT DE QUI DOIT MOURIRetORGANISENT LE MARIAGE DE LEURS ENFANTS


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MFV-FOSCOMARAINI/GABINETTOVIEUS

SEUXPROPERTY/FRATELLIALINARI,DISTR.

RMN-

GRANDPALAIS

SOUS LE SOLEILDE SICILE

Cest une le qui oscille entre paradiset enfer. Si, ds le XIXesicle, elle sduit

les voyageurs par sa beaut, elle cache derrireses collines une contre rude et pauvre.

Un terrain propice lapparition de lune des plusorganises, prospres et dangereuses organi-

sations criminelles de tous les temps : la Mafia.Une histoire dnue de tout folklore.


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ROGER-VIOLLET


SOUS LE SOLEIL DE SICILE

H

iver 1893, Sicile. De la

fentre du train, Ema-

nue le Notarbar to lo

admire le paysage. Mais

lhomme est inquiet. Cest

un cadavre ambulant .Il le sait. Dans le couloir, deux picciotti(litt-

ralement, petits , dsigne, dans lle, les sol-

dats de la mafia) attendent le moment pro-

pice. Pass Termini Imerese, 30 kilomtres

de Palerme, la locomotive sengouffre dans un

tunnel. Les deux hommes pntrent dans le

compartiment. Pendant que le premier le ma-

trise, le second lui assne 27 coups de couteau.

En ce 1erfvrier 1893, la mafia sicilienne vient

de signer le premier meurtre dune trs haute

personnalit et dans un train, symbole de la

seconde rvolution industrielle. Ds le lende-

main, la presse livre le nom du commanditaire :

Raffaele Palizzolo. Membre du conseil dadmi-

nistration de la Banque de Sicile, ce dput a

spcul, avec dautres, en empruntant neuf

millions de lires et une rserve dor dont le

montant slve treize millions. Quand Notar-bartolo, directeur de ltablissement, coupe la

pompe fric , Palizzolo dcide de le suppri-

mer. Tout simplement. Un dput sicilien vient

de faire assassiner lancien maire de Palerme.

UN BEL EXEMPLE DIMPUNIT

Emanuele Notarbartolo, issu de laristocratie

palermitaine, devient assesseur de la police

urbaine Palerme en 1865, puis est lu maire

en 1873 ; un dile anticorruption, soit dit en

passant. La capitale de lle est cette poque

un port dynamique, en lien avec la Grande-

Par Fabrice Rizzoli

Des gangs de voleurs et de ranonneurs aux premiers hommes dhonneur , voici la gense dune socit

secrte ne dans les annes 1860 des carences dunouvel tat italien. Un tat sur lequel elle ne va pas

tarder sappuyer. Pour mieux prosprer.


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Les raisons de la colre

Vers 1892, les paysans victimes de la mal nomme honorable socit se

regroupent en organisations appelesFasci. Lun deux, Bernardino Verro,

interrog sur le crime organis, rpond : Les vrais criminels, ce sont certainspropritaires [], protecteurs des bandits. Leurs revendications sociales

exasprent lesdits propritaires, qui somment le gouvernement de mater la

gronde. Des meutes clatent. Elles seront rprimes dans le sang.



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Bretagne, premire puissance conomique

mondiale les douaniers y ont lhabitude,

moyennant rtribution, de ne pas percevoir les

droits de douane. Le notable prend la tte de

la banque et lutte contre la spculation. Ses

ennemis, au sein du conseil dadministrationcompos de politiciens vreux, sappuient alors

sur des professionnels de la violence, les

mafieux, pour len empcher. En 1882, ceux-ci

organisent son enlvement, titre davertisse-

ment (il sera rapidement libr contre une ran-

on). Obstin, Notarbartolo persiste, met un

coup de frein la fraude et entreprend dautres

rformes qui sauvent lconomie sicilienne.

Mais le prsident du Conseil, le Sicilien Fran-

cesco Crispi, le pousse dmissionner : cest le

signal envoy la mafia sicilienne pour lassas-

siner Dabord reconnu coupable, Palizzoloest acquitt lors dun troisime procs, Flo-

rence, en 1903. Un bel exemple dimpunit poli-

tico-mafieuse qui profite une nouvelle classe,

la bourgeoisie mafieuse . Ce corps social a

des origines lointaines, mais il doit srement

sa modernit la fin de la fodalit.

DES SORTES DE SECTES SANS BUT POLITIQUE En abolissant le systme fodal, le 4 aot 1812,

le parlement de Sicile autorise la proprit pri-

ve. Les 10 % de nobles possdants mettent

tout en uvre pour prserver leur statut declasse dominante, devant les 90 % de paysans,

dartisans et de pauvres. Dans lest de la Sicile,

les biens domaniaux ne sont pas une source de

conflit : la structure y demeure fodale. Dans

louest, la privatisation des terres voit les

barons, nouveaux grands propritaires, lutter

pour lappropriation et la gestion des res-

sources. Une lutte lorigine de nombreuses

atteintes la proprit prive (vols de grain,

de btail, etc.), mais aussi la personne (enl-

vements, ranons, meurtres, etc.). De cette

concurrence acharne naissent des gangs : cest

LUISARICCIARINI/LEEMAGE

lan nationalPartis de Quar to, prs de Gnes, Giuseppe Garibaldi et plus de 1 000 volon-

taires, les fameuses chemises rouges , dbarquent Marsala, en Sicile, en

mai 1860. En quelques mois, ils chassent les Bourbons de lle. La prise de

Venise et de Rome viendront achever lunit du pays.

Il ny a ni comploteurs ni malfaiteurs, COncluent

des dputs EN 1867, JUSTE LA DSILLUSION DUNpeuple dont les besoins ne sont pas considrs


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la protomafia . En 1838, le procureur gn-

ral de Trapani dcrit ce phnomne politico-

criminel, qui na pas encore le nom de mafia :

Dans de nombreuses communes [], des

unions ou des fraternits, des sortes de sectes

[] sans but politique [], sans autre lien que

celui de la dpendance un chef, ici un pro-

pritaire, l un archiprtre [] sont spciali-

ses dans le vol et lextorsion. De 1812 1860, le nombre des grands pro-

pritaires passe de 2 000 20 000. Pour se pro-

tger du brigandage et des masses paysannes,

ils emploient des campieri, des gardes arms,

ou louent leur terre des gabelloti, des fer-

miers. Ces mtayers, de vrais capitalistes peu

intresss par les transformations productives,

divisent en petits lots les fiefs et les sous-louent

des paysans pauvres. Ils profitent dune main-

duvre bas prix et en tirent des revenus

consistants. Une fois les terres partages, ils

emploient leur tour des gardes arms Aveclavnement de la proprit prive, une nou-

velle classe dirigeante citadine achte des

terres laristocratie, affaiblie, puis met ces

terres en gabelle afin dtendre son inf luence.

Le gabellotoscelle ce moment des alliances

avec les brigands pour crer un besoin de scu-

rit et ainsi lgitimer sa position. En cela, le

mafieux est au cur du systme daccapare-

ment des richesses, quon mesure par lagran-

dissement des proprits. Entre 1860 et 1900,

la surface des proprits prives en Sicile passe,

en moyenne, de 250 000 650 000 hectares.

ARCHIVESALIN

ARI,FLORENCE,

DISTR.

RMN-

GRAND-PALAIS/FRATELLIALINARI

La fin dune poqueGrce labolition du systme fodal (1812), une nouvelle classe dirigeante,

bourgeoise et citadine, voit le jour. Au cours du XIXesicle, elle rachte une

aristocratie fragilise(photo)ses domaines agricoles. Au sein de cette lite,

qui bnficie bientt dappuis politiques, prend forme la mafia des villes .

LE PIZZOOU LINDUSTRIE DE

LA PROTECTION OBLIGATOIREMot dorigine sicilienne, pizzudsigne le bec dun oiseau. En

Sicile, on dit : Fari vagnari u pizzu( tremper le bec , cest--

dire demander un petit service). Aujourdhui, le pizzodsigne

la somme dargent verse sous la contrainte en change

dune protection. Cet impt tablit le pouvoir de la mafia

sur un territoire. Au XIVesicle, la croissance conomique

des zones ctires et des marchs urbains de Palerme Trapani aiguise dj les apptits. Dans cette Sicile

des moulins et des pressoirs, le mafieux assure, contre

rmunration, la protection du transport du grain, de la farine

et de lhuile vers les marchs urbains. Laristocratie de

Palerme, confronte aux fauteurs de troubles , a recours

laguardiana, anctre du pizzo. Vivant en ville et fort de

sa rputation, le gardien-mafieux diversifie son activit en

accompagnant des femmes de notable le soir dans Palerme.

Dans ces zones fortunes, les protecteurs sont dj des

gens importants. Ils sont notaires, avocats, mdecins La

bourgeoisie mafieuse se rince dj le bec ! F. R.


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Le mafieux ne descend pas seulement dugabelloto. Il est aussi issu des administrateursde mines de soufre et des gardiens de vergers.Entre les marchs urbains grande chelle etles latifundia, lorganisation des acteurs co-nomiques sont autant de terrains fertiles laprotection mafieuse. De 1860 1885, llargis-

sement de la dmocratie par le cens ne faitquexacerber les tensions dues la concurrenceconomique. Les factions locales en conflitpour le pouvoir font appel aux activits de pro-tection de mafieux. Lalliance entre mafia etlites siciliennes forme ce nouveau corps socialdj voqu, la bourgeoisie mafieuse , aveclaquelle le nouvel tat italien doit composer.

QUINZE ANS DE GOUVERNEMENTS DEXCEPTION

En Sicile, lpoque moderne, le banditismeen tant que rbellion des pauvres ne fait

pas le poids face aux seigneurs locaux. Ceux-ci rivalisent entre eux pour affirmer leur sei-gneurie territoriale et saccorder, jusquau

XVIIIesicle, sous la domination espagnole. Lesbarons siciliens forment des armes prives ousappuient sur desmanutengoli, des possdants,complices vritables, cls de vote dun brigan-dage sicilien non autonome. Quand les bri-gands se rebellent, ils sont excuts en placepublique. De son ct, le pouvoir central espa-gnol puis franais, narrivant pas imposerlordre lgal en priphrie du royaume, opte

pour une realpolitik .Afin de jouir des ressources conomiques de

lle et dy collecter des impts, les monarchiessuccessives sappuient sur des potentats locaux, qui elles dlguent le monopole de la violence

ARCHIVESALINARI,FLORENCEDIST

R.

RMN-

GRAND-PALAIS

ROGER-VIOLLET

Souffre-douleurLes mineurs des

soufrires, une desprincipales sourcesde richesse, ne sont

pas mieux lotis,travaillant dans desconditions prochesde lesclavage. tre

affids la mafiasicilienne permet leurs tortionnaires,

comme auxgabellotti,de profiter de ses

contacts Palerme,centre conomique, et

dhommes de main.

Chane alimentaireLe propritaire terrien loue son domaine ungabellotto, un intendant sans scrupuleet de mche avec les bandits qui cument les campagnes. Lexploiteur senrichitsur le dos des paysans (photo), qui, aprs avoir su sang et eau toute lanne, il nereste souvent quun peu de bl pour nourrir toute la famille.

corleone, une VILLE de la province de palerme, lespaysans, AUX YEUX CREUSS, AFFIRMENT qunpatron

honnTe est aussi rare Quune mouche blanche


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tout en leur assurant limpunit. Au cours deloccupation espagnole, par exemple, le tribu-nal de lInquisition Palerme relaxe les noblesqui ordonnent des crimes.

En 1820, en 1848 et en 1860, la Sicile tra-verse des crises rvolutionnaires au cours des-

quelles des brigades de paysans et dartisansproposent leurs services aux plus offrants. Lesrvolutionnaires comme les forces de lordre seservent de ces groupes en pensant les manipu-ler. En 1860, lunification de lItalie dmarreen Sicile. Le 11 mai, cest lexpdition des Mille :Garibaldi dbarque Marsala. Le patriote ita-lien conquiert lle en deux mois. Le royaumedes Deux-Siciles intgre le nouveau royaumedItalie, proclam le 17 mars 1861.

Les Siciliens, qui participent cette rvolu-tion, esprent une meilleure gouvernance que

celle des Bourbons. Or, le nouveau gouverne-ment libral (de 1860 1876) nest pas lahauteur de leurs attentes. Linscurit rgne auquotidien. Face au brigandage, sujet considrdordre public parce quil gne les baronsagraires sans appui, les leaders politiques nontquune rponse : larme. Pendant quinze ans,les Siciliens ne connaissent que des gouverne-ments dexception et la force prive, ce qui ren-force leur dfiance envers ltat de droit. De1862 1866, cinq questeurs se succdent Palerme, et font alliance avec les mafieux en

leur confiant la gestion de lordre public.

DR

Au gr de 2 000 reprsen-tations, un mafieux napolitainemprisonn rvle au grandpublic ses codes et lestonnantes rgles de vie quilimpose ses codtenus.

La piceI mafiusidi la Vicaria

EN 1863, GIUSEPPE RIZZOTTO ET GASPARE MOSCA

PRSENTENT UNE PICE DE THTRE qui voquela vie des mafieux dans la prison de la Vicaria, Palerme. Cest cette occasion que le nom mafieux

dsigne pour la premire fois des criminels en association.Ces sayntes issues de la tradition thtrale populaire de laSicile deviennent une comdie grand succs dans les annes1870 : 2 000 reprsentations sont donnes dans toute lItalie.Le roi Humbert Ierassiste dailleurs une reprsentation Naples. Le personnage principal impose ses rgles au seinde ltablissement pnitentiaire, notamment en faisant payerle droit dutiliser une paillasse (lire lencadr sur le pizzo ,

page 19). Il dfend les plus faibles, prne le respect des morts,met en scne un rite daffiliation pour les nouveaux venus dansun clan rgi par ses propres lois.

CE SPECTACLE PRSENTE NOTAMMENT LINTRTDE NOUS RENSEIGNER SUR LTYMOLOGIE du mot mafia ainsi que sur la dimension culturelle du phnomnemafieux. Trs vraisemblablement, ce terme vient de ladjectifmafioso, dont les deux origines connues sont opposes. Laversion florentine propose, au XVesicle, malfusso, qui dsigneun infidle ou un dlinquant. la mme poque, une versionsicilienne voque mafiusu, qui qualifie un homme arrogant, maisaussi courageux. Deux sicles plus tard, mafiusuprend le sens

de beau , fort , gracieux , parfait , hardi le vocablemafiusuviendrait lui-mme de marfud, mot dorigine arabo-andalouse signifiant refuser , rcuser .

LE TRIOMPHE QUE REMPORTE LA PICE QUI ASSURELA DIFFUSION DU MOT SANS QUIL SOIT PRONONC ! serait d son criture, pour la premire fois attache auxvaleurs populaires, que partagent parfois les criminels. Lundes auteurs tenait mme ses sources dun mafieux . Mme siles faits sont imaginaires, la pice est crdible, notamment enraison de la pertinence des personnages. Seul problme : ellese concentre sur les us et coutumes dun mafieux napolitain.Surtout, elle ne dit rien des complicits politiques Luvre

fait involontairement la promotion dun produit criminel enracindans la Sicile fodale antidmocratique et oppos lunit. Son

immense succs rend lemafieux sympathique auxyeux de toute lItalie, quinavait jusqualors jamaisentendu parler de mafia. Lever est dans le fruit ! F. R.

G OS PLAN SU


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P

alerme, mai 1860. Dans le tourbillondes bals qui marquent lentredans la belle saison, on ne voit plusla vie quen vert-blanc-rouge, les

couleurs du drapeau de lItalie nouvelle. Unnom est sur toutes les lvres : GiuseppeGaribaldi, ce mercenaire barbu qui veutoffrir un royaume unifi au roi de Sardaigneet prince de Pimont Victor-Emmanuel II.Pleine dun denthousiasme patriotique,la jeunesse dore de la ville, entranepar limptueux Tancrde de Lampedusa,attend fbrilement le dbarquement desgaribaldiens. Seuls quelques princes,ducs ou barons vieillissants, par peurde perdre les privilges exorbitantsque leur a accords le trait de Viennede 1738, osent encore se dclarer les

partisans de Francesco II, lusurpateur

bourbon qui trne sur le royaume desDeux-Siciles. Sentant le vent de lHistoiretourner, la noblesse palermitaine sestfinalement rallie la cause aux cts dela Mafia, dont les reprsentants, cettepoque, ne sont autres que ses propresintendants. Cest eux qui dtiennent unpouvoir local quasi absolu, grce auxcolossales richesses quils ont amassesdans lombre pendant que leurs matressamusaient et brlaient leur hritage.Pour lorganisation , qui attend loccasionde tisser sa toile, la tempte nationalistequi gagne la Sicile est une aubaine, carla monarchie parlementaire annonceentranera des lections. Et, avec delinfluence et de largent, les lections, ase fabrique ! En juillet, Messine est libre,

et Garibaldi a hte de rejoindre la Calabre

pour marcher ensuite sur Rome et les tatspontificaux. Victor-Emmanuel ne sait pluscomment retenir cet entt dont lentrepriseva coaliser contre lItalie lAutriche,lEspagne, le Portugal, et mme la Francede Napolon III. La Mafia vole sonsecours en offrant au librateur un banquetmmorable. Un festin gal celui queCarthage avait offert aux chefs barbares. Ouplutt un traquenard, dans lequel Garibaldiva tomber avec dlices. Poulardes, jambons,agnelets, cuissots de chevreuil servis volont, voil le stratagme quimagine laMafia pour engourdir lardeur de Garibaldiet sattirer les bonnes grces du futur roidItalie. Devant une telle abondance demets, le gnral, qui a un solide coup defourchette, est aux anges, ses officiers plusencore. Si bien que, quand ses htes luiproposent de prolonger dune semaine sonsjour, il na pas le courage de refuser. Unesemaine. Juste le temps pour les troupespimontaises de barrer la route de laVille ternelle. Garibaldi se battra sansconviction, capitulera sans regret, maisgardera une dent contre ceszii( oncles )de Messine, qui, par faiblesse gourmande,il avait offert, sans le vouloir, la Sicile tout

entire. Martine Bartolomei

LA GOURMANDISEEST UN VILAIN DFAUT

La conqute de la Sicile vaut bien que lon fasse ripaille. Romepeut attendre. Les htes sont fort aimables, et la bombancejoyeuse Las, les portes de la Ville ternelle vont se refermer.

Menu du banquet de Messine,

offert en 1860 par les ziisiciliens

Garibaldi et ses officiers

aprs la libration de lle

Jambon fum de la conca dOro

Espadon agghiotta

Merluche la mode de MessinePoulardes farcies de truffes

ltouffe

Cuissot de chevreuil faisand leau-de-vie de prunes dAgrigente

Agnelet rti lhuile vierge deCaltanisetta

Chou-fleur, artichaut et cleripochs

Fromages de chvre

Crmes

Glaces

Pice monte

Pignolata

Pommes ventres

Vins : bazia et gebbia trs fraispour les poissons, des faro etdes corvo, deux rouges secs,

pour accompagner les viandes,marsala all uovo pour les

desserts sucrs.

LA TABLE DES MAFIEUX

DIDIERC

OCATRIX


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t 1875, Sicile. Une commis-

sion parlementaire italienne

est charge denquter sur

les troubles qui agitent lle.

Dans le cadre de leurs inves-

tigations, ses neuf membres

sillonnent le territoire. Accueillis au son des

fanfares dans les villes o ils viennent interro-

ger les reprsentants de lautorit, les enqu-

teurs coutent des discours difiants. Pendant

les entretiens que leur accordent snateurs et

dputs, nombre dentre eux tentent de leur

Par Vronique Dumas

Au lieu dradiquerla Mafia, le systme

politique italien se fait,au contraire, complicede son expansion entre1875 et 1890. Le ministrede lIntrieur dcide de

prendre les choses enmain. Pour le meilleur etsurtout pour le pire

expliquer la diffrence entre bonne et mau-

vaise Mafia et dexcuser les agissements de la

premire. Dautres politiciens, mais aussi des

avocats, des fonctionnaires ou de simples

citoyens tmoignent au contraire de son

emprise tentaculaire dans la socit, tous les

niveaux, en particulier dans le domaine de la

culture des agrumes ou celui des mines de

soufre ainsi que dans dautres secteurs essen-

tiels de lconomie sicilienne. Les rsultats de

cette enqute, la premire sattaquer la

question mafieuse, ordonne dun commun FOTOTECA/LEEMAGE

Realpolitikou pari fou ?Sa carrire politique,

ennoblie par ses

faits darmes aux

cts de Garibaldi,

est encourage parla mafia napolitaine.

Cest donc, lorsquil

sattaque la

question sicilienne,

un homme bien au

fait des questions

criminelles

LE PACTEFAUSTIEN

DE NICOTERA


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accord par la droite, alors au pouvoiren Italie, et lopposition de gauche, neseront prsents quen janvier 1877devant une Chambre des dputsaux trois quarts vide.

RAPPORT ET RAFLES

Lanne prcdente, la coali-tion de droite a t remplace

par une formation de gauche,et aucun des partis italiens quil soit de lun ou lautrebord ne souhaite lvidenceprendre connaissance du rap-port de la commission. Lequelne sera dailleurs jamais publi.

Quelles en sont les conclusions ?Inexact, il minimise lorganisa-

tion mafieuse, la rduisant unesimple association de malfaiteurs

maladroits. Or, lune des forces de la

Mafia est davoir toujours t, ds sonorigine, sous-estime. Elle sest rendueparticulirement redoutable en adoptant

habilement tous les principes de fidlit dela culture sicilienne et en les dtournant desfins criminelles servant ses intrts et ceux deses affilis. Enfin, les lois rpressives, votes grand renfort de rodomontades, ne serontdans les faits jamais appliques.

En vrit, la Mafia a dj russi infiltrer,avec une redoutable efficacit, le systme par-lementaire grce la complicit de reprsen-

tants du monde politique. Le ministre de lInt-rieur du nouveau gouvernement, GiovanniNicotera (1828-1894) est un avocat ayant com-battu dans les rangs garibaldiens. Trs au faitdu systme clientliste du sud de lItalie orgne la Camorra, lquivalent napolitain de laMafia puisquil en a t le premier en bn-ficier et le faire prosprer il va pourtantlancer en Sicile une nergique campagne anti-mafia et nomme Palerme un nouveau prfetde police dot de pouvoirs tendus. Des raflesrvlent lexistence de nombreuses associa-

tions criminelles de type mafieux. Et, contrai-

rement aux actions menes auparavant, cellede Nicotera se rvle efficace contre touteattente et il peut annoncer triomphalementen 1877 la dfaite des bandits qui sment laterreur depuis dix-sept ans.

Mais le secret de cette russite tient au mar-ch pass entre le ministre et les hommes poli-tiques locaux. Aussi longtemps que ces derniersparviendront contrler, dans des limites rai-

sonnables, cest--dire politiquement accep-tables, les agissements de leurs amis mafiosi(tels que la pratique de lenlvement de person-nalits contre demande de ranon), le gouver-nement sengage les couter favorablement.

Laccord conclu marque une tape dcisivedans la perversion du systme politique italiendans son ensemble. Rome, les gouverne-ments successifs sengagent collaborer avecles politiciens siciliens, jusqualors tenus lcart de la vie politique nationale, mais sou-tenus par la Mafia. Les reprsentants de cette

dernire, pris dagir discrtement, ont ainsiles coudes franches pour faire prosprer leursaffaires. De plus, le gouvernement de gaucheinvestit massivement en Sicile dans des travauxpublics. Ces derniers constituent vite unesource de revenus aussi bien pour les politiqueslocaux que pour les mafiosi, libres de dvelop-per leur systme dextorsion. Ces derniers sontdsormais considrs et utiliss comme de trsutiles instruments de gouvernement local.

Pour ramener lordre,il accorde plus de poidsaux politiciens siciliens,MAIS CHARGEPOUR EUX DE

contenir La violence dansles limites du raisonnable


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Opration coup de poingPrsident du Conseil en 1922, le Guideimpose son rgime fasciste, qui, loin de se

normaliser, se transforme progressivement

en dictature. Lorganisation criminelle que

lon appelle Mafia lui apparat ds lors

comme un ennemi potentiel, la manire

des socialistes, avant elle, dans le nord du

pays. Soccuper de la Sicile en frappant

les bandits, mais aussi les opposants

politiques, souvent compromis lui permet

dy asseoir son autorit tout en donnant de

son gouvernement une image de srieux.


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CORBIS

CORBIS

CORBIS



Par Olivier Tosseri

Mussolini est ulcr par lomniprsence de la Mafia sur

lle. Pour y rtablir absolument lautorit de ltat etdamer le pion larrogante organisation, il lui faut unhomme qui nait pas froid aux yeux. Il lui faut Cesare Mori.

M

ai 1924. Une voituredcapotable traverse la

ville de Piana dei Greci,dans la province dePalerme. Le prsident

du Conseil, Benito Mussolini, visite la Sicile.Sur les trottoirs, la foule se masse pour accla-mer le chef du gouvernement, qui sest fait liretriomphalement le mois prcdent. Aprs un

an et demi au pouvoir, le fascisme est sur lepoint dimposer sa dictature au pays. Assis ses cts, le maire mafieux de Piana dei Grecise penche son oreille aprs avoir jet unregard ironique sur lescorte policire. Voustes avec moi, sous ma protection, pourquoiavez-vous besoin de tous ces f lics ? Humili,Mussolini convoque ds son arrive Palermele prfet, qui lui confirme lanmie de lautoritde ltat face aux apptits politiques et cono-miques de la Mafia. Les chefs rgnent en ville,et leurs brigands dominent les campagnes.

Cette situation constate sur place ne sera pas

oublie par le Duce. Rien ni personne ne doitsaper la lgitimit de sa dictature naissante, ousimplement remettre en question son autorit.La guerre est donc dclare aux organisationscriminelles. Celui qui va la mener est uninflexible serviteur de ltat, qui connat par-faitement lennemi qui grangrne lle sanspourtant tre lun de ses fils : Cesare Mori.

300 ARRESTATIONS EN UNE NUIT

N en 1871, Pavie, en Lombardie, il entredans la police aprs avoir un moment song une carrire militaire. En 1904, il arrive Cas-telvetrano, dans la province de Trapani, enSicile. Il y livre ses premires batailles au senspropre contre le crime organis : arpentantla campagne cheval, un fusil en bandoulire,il ne recule pas devant laffrontement direct.Et chappe plusieurs attentats. Deux ans deratissage, de reprsailles et de guet-apens. Sonnergie et ses arrestations muscles plus de

300 personnes en une seule nuit une fois pro-


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duisent leurs premiers effets et sont salues parla presse comme le coup mortel port laMafia avec la f in du rgne des brigands . Mori

nest pas dupe. Ceux-l nont pas encore com-pris que les brigands et la Mafia sont deuxchoses diffrentes, confie-t-il ses collabora-teurs. Nous avons touch les premiers, indubi-tablement, ils reprsentent laspect le plus

visible de la pgre sicilienne, mais pas le plusdangereux. Le vrai coup mortel, nous le don-nerons quand nous serons autoriss agir passeulement entre les figues de Barbarie, maisdans les promenoirs des prfectures, des com-missariats, des grands palaces et, pourquoi pas,dans certains ministres. Des ministres,

justement, arrive la rcompense pour ce servi-

teur un peu trop zl. Mdaille dargent de lavaleur militaire et affectation Turin, puis Rome, et enfin Bologne, o il est promu pr-fet en 1922. Lagitation est son comble ; uneguerre civile larve oppose communistes etbandes fascistes se livrant aux pires exactionset intimidations. Mais il en faut davantage pourlimpressionner. Il rprime sans se soucier deleur appartenance politique ceux quil consi-

dre comme des subversifs . Une dfenseacharne des prrogatives de ltat et un sensdu devoir dont se souviendra le nouveaurgime. Dispens de service actif, il est mis la retraite ds 1922.

PRISONNIERS TORTURS, FEMMES ABUSES

Lorsque Benito Mussolini revient Rome,furieux aprs son voyage en Sicile, il convoqueune runion durgence laquelle participent lechef de la police et le futur ministre de lInt-rieur. Je veux porter un coup mortel la

Mafia, hurle-t-il dans son bureau, il me faut un

M

P/LEEMAGE

Police monteEn mai 1926, 1 200 gardiens de domaine agricole (photo), jusqualors acquis la cause mafieuse, prtent serment de loyaut ltat et sont rejoints unan plus tard par leurs redoutables homologues des vergers de la Conca dOro(Palerme). Une habile opration de propagande pour rallier les propritairesterriens, sensibles au revirement de ces sbires suffisants, aux ides du parti.

mon nom est mori et je ferai mourir [morIRE,

en italien]les bandits, qui disparatront COMMEdisparat cette poussire emporte par le vent


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homme qui connaisse parfaitement la Sicilesans tre sicilien. Un seul nom simpose :Cesare Mori. Ds le 2 juin 1924, il est nommprfet de Trapani, avant de devenir, le20 octobre 1925, prfet de Palerme et de jouirde pouvoirs extraordinaires sur toute lle. Sonordre de mission est un tlgramme envoy

par Mussolini : Votre Excellence a carteblanche, lautorit de ltat doit tre absolu-ment, je rpte, absolument rtablie en Sicile.Si les lois actuellement en vigueur la bloquent,cela ne constituera pas un problme, nousferons de nouvelles lois. Les lois, le nou-

veau prfet veut les faire appliquer sansse soucier de les respecter. Si les Sici-liens ont peur des mafieux, je leurprouverai que je suis le plus fort desmafieux , annonce-t-il. Et, pourcela, rien de mieux quune opra-

tion denvergure deux mois aprssa prise de fonctions.Le 1erjanvier 1926, la tte

de quelque 1 000 policiers, cara-biniers et militaires cheval, ilprend la direction de Gangi, vil-lage fortifi du massif des Mado-nie, austres montagnes sur-plombant la cte nord de lle. Cefief mafieux est pass au peignefin. Les hommes de Mori arpententles ruelles escarpes, forcent les

portes des maisons et arrtent denombreux mafiosi ainsi que leursfamilles. Mais les criminels les plusimportants chappent au ratissagemticuleux et se terrent dans descaches, sous de faux planchers, oufuient par des passages secrets. CesareMori a compris quil fallait affronter laMafia sur ses deux terrains de prdilec-tion : la violence et lhonneur. Commele premier a donn des rsultats limits,malgr un sige et une occupation de

dix jours, il passe au second.

Il fait courir le bruit que les prisonniers quildtient sont torturs en prison et que les poli-ciers abusent des femmes des criminels. Lesquelques redditions obtenues sont peu satisfai-santes. Alors il va plus loin : Si la vertu deleurs femmes ne les intresse pas, nous verronsce quils feront lorsque nous toucherons leurs

intrts. Un dcret de confiscation des biensest adopt, puis le btail des criminels estabattu sur la place publique. La viande estensuite gratuitement distribue la populationau cours dun banquet.

JE LATTENDS, SEUL AVEC UN FUSIL

Dernire tape de cette guerre psy-chologique : Cesare Mori autorise sescollaborateurs dfier en duel leschefs mafieux. Il se rserve le plusprestigieux dentre eux, Gaetano

Ferrarello. Quon lui fassesavoir que je lattends ce soir 6 heures, seul avec un fusil. Sicest un homme, il viendra. Undfi qui ne peut videmment pas

tre relev et qui ruine le prestigeet lhonneur du roi des Madonie .

Un ultimatum porte le coup de gr-ce : les fugitifs ont douze heures pourse constituer prisonniers, sans quoi la

vengeance frappera leurs familles etleurs biens. Gaetano Ferrarello se sou-

met, et ses acolytes avec lui. Cesare Mori

FARABOLA/LEEMA

GE

Homme de ferBrillant mais dorigine modeste, le jeune

Cesare Mori a le choix entre larme ou la

police. Il opte pour la seconde une dcision

payante : en octobre 1925, 54 ans,

il est nomm prfet de Palerme et dot des

pleins pouvoirs. Violente et spectaculaire,

sa premire opration frappe les esprits :

le sige du bourg de Gangi, fief mafieux.


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a triomph et gagne son surnom de prfet defer . Flicit par le Duce et adul par la presse,il rentre Palerme et lance la population

venue lovationner : Aux malfaiteurs, j an-nonce quil est inutile quils se fassent des illu-

sions. Cette victoire nest pas un coup de ventmais un authentique cyclone qui les balaieratous. Les arrestations pleuvent.

En 1928, plus de 11 000suspects sont sousles verrous. Les confessions sont parfois extor-ques sous la torture et les coups. Prs de1 200condamnations sont prononces, et lesexils pour chapper la prison se multiplient.Destination de prdilection, les tats-Unis (lire

p. 34). Carlo Gambino ou encore JosephBonanno, surnomm Joe Bananas, trouventrefuge New York, o ils deviennent patrons

de la puissante mafia locale. Frank Coppola

quitte la Sicile en 1926 et prend le contrledune branche mafieuse Kansas City. Le ten-tacule amricain de la pieuvre sicilienne ensort renforc. Mais, en Sicile, la furie anti-mafieuse commence gner. Surtout lorsqueles enqutes rvlent les liens entre mafiosi ethommes politiques du rgime, dont AlfredoCucco, lment central du nouveau fascismepalermitain, que Cesare Mori russit faireexclure du parti en 1927. Pour la propagandedu rgime, la Mafia est vaincue, et luniquebnficiaire doit tre Benito Mussolini.

En 1929, il nomme le prfet de fer snateuret le met au repos pour anciennet de service.Loin de la Sicile, il continue pourtant soule-

ver le problme du crime organis dans sesMmoires, publis en 1932, couteaux tirsavec la Mafia. Il est pri de ne plus parler d unehonte que le fascisme a efface . Marginalis,il meurt en 1942, Udine, dans le plus parfaitanonymat. Lanne suivante, les Amricainsdbarquent en Sicile grce, notamment, lap-pui dune Mafia affaiblie mais pas radique.Le prfet de fer a gagn une bataille mais a

perdu la guerre.

BETTMANN/CORBIS

EncagsEntre 1925 et 1928, 11 000

hommes sont arrts, dont 5 000 pour la seule

province de Palerme. Des chiffres exorbitants qui inclinent un des magistrats

instruisant cette guerre antimafia penser que tous ne peuvent pas tre

des malfaiteurs. Cela nempche en rien la tenue de grands procs, dont les

comptes rendus daudience sont censurs pour viter toute intimidation.


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31LA MAFIASEPTEMBRE-OCTOBRE 2015SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015

Quelle lubie est passe par latte de Mussolini pour dcidersoudainement dune incursiondans la misrable bourgade de

Piana dei Greci, en mai 1924, et pourexiger dy djeuner 13 heures prcises ?Cette localit est certes un ancien bastionsocialiste, mais elle ne compte quunepoigne de fascistes. Et, de surcrot, ellea pour dile un petit homme agit dontle sans-gne est dj lgendaire : donCiccio Cuccia, le chef incontest de lamafia locale. Le Duce ne tarde pas senrendre compte quand ledit maire, quil na

jamais vu, monte dautorit dans sa Bugattiblanche pour entrer triomphalement dans

le bourg au milieu de fervents Viva il Duce,Viva don Ciccio Cuccia ! .Le djeuner confirme limpression premire.Coinc entre ce maire gesticulant et unpatibulaire vque pas trs net sur lui,Mussolini fulmine. Un premptoire Bonapptit ! lanc la cantonade, suivi dunbndicit vite expdi, lui a coup lherbesous le pied, lempchant de prononcer lemoindre discours protocolaire.Tout aussi sommaire est le service quisuit cette entre en matire et quassureune vingtaine dhommes de main portantsabre et coutelas la ceinture. Mussolini,qui se pique de bonnes manires, manquestouffer la vue de ces quartiers de

viande jets en pture, dchirs pleinesdents puis vertigineusement engloutis. Si

vous nen avez pas assez, il y en a encore ! rassure don Cuccio, qui se vante davoirrafl toutes les victuailles chez lhabitantpour improviser ces agapes.Mais le coup de grce vient audessert, quand don Cuccio, sous lildu photographe, pose sa main surlpaule du Duce pour fixer limage quiimmortalisera ce moment : Mussolinisous la protection dun petit chef de laMafia ! Cest une provocation lgarddu nouveau matre de lItalie, qui sest

jur dradiquer lhonorable socit .Comme la vengeance, surtout en Sicile,est un plat qui se mange froid, le Ducequitte Piana dei Greci sans broncher. Aprs

son retour, il chargera son excuteur desbasses besognes, le prfet Mori, de rglerson compte ce personnage dcidmentinfrquentable. Et de donner par la mmeoccasion une leon la Mafia.Deux jours plus tard, don Cuccio recevra,par son intermdiaire, un mot de son ami Mussolini, qui linvite, aux fraisdu gouvernement , manger dans lesgamelles de ltat . Ne saisissant paslallusion, gonfl dorgueil, il se laisseraconduire, en cortge prfectoral, tout droitau quartier des mafieux de la prison dePalerme, o lattend un menu spcial,prpar par une police dont la sauvageriena rien envier celle des piccioti, lessoldats de la Mafia. M. B.

LA SOUPE LAGRIMACE DU DUCEQuest venu faire le Guide dans cette galre ? En visiteen Sicile, il sinvite djeuner dans un village la tteduquel fanfaronne un maire mafieux aux manirescavalires Coinc entre ldile volubile et un vquelouche, le dictateur frise lindigestion.

Menu du banquet organis par

don Ciccio Cuccia en lhonneur

de Mussolini Piana dei Greci

au mois de mai 1924.

Jambon de mulet

Saucisson dne

Paupiettes la sicilienne

Poulet fioro

Courge laigre-douce

Mouton en ragot et moutonrti aux ceps de vigne

Fromages

Fruits frais

Cuccia

ufs la neige

Vins : un traceno rougeservi avec les paupiettes,un pachino rouge de 12.

DIDIERC

OCATRIX

LA TABLE DES MAFIEUX


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RUEDESARCHIVES/TALLANDIER

-STILL

FX/SHUTTERSTOCK


Des millions dItaliens, contraints parla misre, partent tenter leur chance ailleurs,de lautre ct de lAtlantique, aux tats-Unis.

L-bas, ils auront une vie meilleure, pensent-ils.Pour beaucoup, le rve amricain vire

au cauchemar. Pour dautres, plus enclins sedtourner des lois, cest Byzance. Les mafieuxtrinquent la sant de la Prohibition, arrosent

gnreusement leurs ennemis de grles deballes et rackettent les studios dHollywood


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CORB

IS


Les cousins dAmrique

D

es rues paves dor ! Voil

limage quont les Italiensde lAmrique, notam-ment les habitants desrgions mridionales et deSicile qui, la fin du

XIXesicle, au moment de lunification de lIta-lie, vivent dans la misre et subissent de pleinfouet les bouleversements politiques delpoque. Entre 1860 et 1920, attirs par cepays de cocagne, plus de 4,5 millions dItalienstentent leur chance outre-Atlantique : princi-palement de jeunes adultes la recherche dun

emploi, mais aussi daventures. Les Sicilienssont les plus nombreux 33 % , car leursconditions de vie sont les plus mauvaises ; etleurs espoirs dans les terres arides, vains.

Fare lAmerica(littralement, faire lAm-rique ) est dans tous les esprits : les lettres queles paesani( paysans ) reoivent de leursparents ou amis migrs, le rcit de ceux quisont de retour nourrissent leurs rves ; ils nersistent alors gure aux promesses du Nou-

veau Monde. Ils se pressent, entre crainte etespoir, sur le pont des navires, pour finir entas-

ss dans les quartiers pauvres des grandes

villes amricaines. En quittant famille et vil-

lage, les paysans italiens fournissent aux tats-Unis en pleine industrialisation un vivier dou-vriers, outils de la prosprit amricaine, queles historiens qualifient d esclaves blancs .

UN DANGER POUR LIDENTIT NATIONALE

Les Amricains sont nombreux les nommermacaroniou dagos(une insulte raciale), car ilsmprisent ces trangers aux murs si diff-rentes, qui, selon eux, reprsentent un dangerpour lidentit nationale, lordre social et le sta-tut de la classe ouvrire. Aussi, aprs la Pre-

mire Guerre mondiale, des lois pour limiterle flux migratoire sont adoptes (notammentleNational Origin Act, en 1924). Les tats-Unis,terre promise des pauvres, des extnus, desdshrits, des masses innombrables aspirant vivre libres , daprs le pome dEmma Laza-rus grav sur le socle de la statue de la Libert,ferment leurs portes. Mais, pour ceux qui par-

viennent franchir ltape ultime dEllis Island,une nouvelle vie commence.

Limmigration italienne est une immigrationen chane : les nouveaux arrivants simplantent

l o leurs parents, amis ou connaissances sont

Par Marie-Christine Michaud

Pousss par la pauvret et les soubresautspolitiques,des millions dItaliens prennent la direction des

tats-Unis, eldorado prsum. Pass Ellis Island, cesprtendants une vie meilleure dchantent vite


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Le bon grainet livraieEntre 1876

et 1925, prs

de 1 500 000

Siciliens traver-

sent lAtlantique.

Des paesani

( paysans ), pour

la plupart, que

la faim tenaille,

mais aussi des

repris de justice

et des criminelsen cavale.


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Les cousins dAmrique

dj installs afin de limiter le choc culturel etsocial. Les premires vagues de migrantsaident les suivantes trouver un logement, unemploi ; tous ces hommes travaillent ensemble,

en quipes, en gangs .

BASILIC, SAUCE TOMATE ET TARENTELLE

Cet instinct grgaire conduit ces individus former des quartiers italiens dans les villes ole travail les appelle. Dans ces petites Italies ,le basilic et la sauce tomate embaument leddale des rues, o courent les airs de taren-telle, o clatent les rires des joueurs de bris-colaet o bourdonnent les prires des femmes.Les divers dialectes imports de la pninsulese rpondent dans cette mosaque linguistique

et culturelle qui fait cho au systme rgiona-liste traditionnel de socialisation. On sinter-pelle en napolitain, en calabrais, en sicilien. New York, par exemple, les Napolitains seconcentrent dans Mulberry Street, les Siciliensdans Prince, Thompson et Elizabeth Streets,

les Calabrais dans Broome et Grand Streets.Ceux originaires des Pouilles rsident de pr-frence dans Hester Street, tandis que ceux qui

viennent de Basil icate se retrouvent dansPrince et East Houston Streets. Mais les Am-ricains ne font pas de distinction. leurs yeux,tous ces Italiens sont proches dun point de vueculturel, soumis des conditions de vie iden-tiques et donc victimes des mmes prjugs :

les petites Italies ne seraient que des repairesde criminels et de gauchistes. la fin du XIXesicle, les Italiens font la une

des journaux, comme si la menace samplifiait.Lorsque le chef de la police de La Nouvelle-Orlans est assassin, en 1891, des Italiens sontaccuss et lynchs. En 1909, sitt arriv enSicile pour enquter sur les liens entre les cri-minels et les anarchistes, linspecteur JoePetrosino est tu, crime attribu la Mafia (lireci-contre). Ces meurtres perptuent la mau-

vaise image des Italiens, vus comme dternels

fauteurs de troubles. Mais cest surtout partirde la Prohibition, en 1919, que le crime dferleen Amrique (lire p. 38). En raction linter-diction de fabriquer et de vendre de lalcool sedveloppent la prostitution, les jeux clandes-tins et les trafics en tout genre (cest le dbut

KHARB

INE-TAPABOR

CORBIS

Le cauchemar amricainQuils soient issus dune immigration clandestine (photo)ou lgale, les

nouveaux arrivants sont parqus dans des logements insalubres, affubls

de sobriquets racistes et accuss de jouer facilement du couteau.

Les tats-unis, en pleine industrialisation,

PIOCHENT DANS CE VIVIER D esclaves blancs ,SUR LE DOS DUQUEL LE PAYS VA PROSPRER


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de celui des stupfiants). Des bars clandestins(lesspeakeasies) souvrent. Chacun flirte aveclinterdit : les hommes boivent ; les femmesfument ; on danse le charleston. Pendant cetemps, dans lombre de ces annes folles , aucur des petites Italies , la Prohibition appa-rat certains comme loccasion de sortir de lamisre. Comme la structure clanique italiennesapplique parfaitement lorganisation des

activits criminelles dans le contexte de la Pro-hibition, rivalits et violences se propagent.

EN QUTE DARGENT ET DE RESPECTABILIT partir des annes 1920, les parrains, pour-chasss par un Mussolini agac par ce contre-pouvoir, gagnent le Nouveau Monde (lire

p. 27). Ils grossissent les rangs des clans pr-sents. En Amrique, ces mafiosi appliquent denouvelles mthodes, amricanisent leurs pra-tiques. Leur but est de gagner en respectabilittout en continuant de senrichir. Ils tendent

modifier le paysage social, politique et culturelpuisquils sont pauvres, catholiques, latins, pro-pagent le crime organis et soutiendraient lesidologies socialistes, voire anarchistes. Les

Amricains, souc ieux de sen protger,envoient, avec laffaire Sacco et Vanzetti (dunom de deux immigrants italiens et anarchistesexcuts sans preuves en 1927), un signal.Pourtant, pour certains, les parrains sont desbienfaiteurs, car ils rpondent aux demandesdalcool et de plaisir de la population. Ils four-nissent un service public . Cest en tout cas

ce que dclare Al Capone la presse

Joe Petrosinoun flic abattre

PALERME, 12 MARS 1909, 20 H 45. Lhomme, g dunequarantaine dannes, brun et trapu, semble attendrele tramway, au pied de la statue de Garibaldi, sur laPiazza Marina. Deux individus font feu sur lui quatre

reprises. Deux balles latteignent dans le dos et traversent lespoumons. La troisime, mortelle, le frappe la tempe gauche.La note rdige par le consul amricain Palerme adresseau commissaire divisionnaire de la police de New York prcisequil ne porte aucune arme sur lui mais quun revolver Smith &Wesson a t trouv, dans sa malle, lhtel o il est descendusous un faux nom. Le lieutenant Joe Petrosino, fondateur etpatron du dpartement dvolu la lutte contre la Mafia New York, nomm la tte dun nouveau service secret du

NYPD, tait en mission en Sicile pour infiltrer la pgre locale,mettre en place un rseau de renseignements et recueillir desinformations destines faire tomber pour de bon les chefsmafieux new-yorkais et leurs relais dans la pninsule. Identifids son arrive par ses ennemis, lhomme, qui avait russi faire diminuer de 50 % la criminalit mafieuse New York, avaitrendez-vous ce soir-l avec un indic. Il est le premier tomber auchamp dhonneur de la guerre contre la Mafia.

N EN 1860 PADULA, PRS DE SALERNE, en Italie duSud, il nest quun adolescent lorsquil arrive aux tats-Unis avec sa famille. Le gamin grandit New York, apprend lire et crire, puis dbute dans la vie comme balayeur. Devenu

contrematre dune quipe dboueurs, il sympathise avec lespoliciers chargs de surveiller la collecte des ordures et entredans la police. Il est la premire recrue dorigine italienne dansun corps comprenant alors une majorit dIrlandais et devient aufil des ans, pour les mafiosi quil poursuit sans relche, lhomme abattre. 250 000 citoyens new-yorkais assisteront sesfunrailles. Le procs qui a suivi son assassinat na pas permisdlucider laffaire. En 2014, le nom de lun des meurtriers,Paolo Palazotto, homme de main du parrain de Cosa Nostra VitoCascio Ferro, lun des suspects palermitains relchs faute depreuves, un associ du gang italo-amricain Morello combattupar Petrosino, a t enfin rvl. Par son propre neveu, mafieux

lui-mme et trs fier de son anctre. Vronique Dumas

COSTA/LEEMAGE

Pour quil infiltre la pgresicilienne, comme il taitprvu, il et fallu quelarrive incognito Palerme du lieutenant(ci-contre)ne ft pas talequelques jours plus ttdans la presse amricaine.Une indiscrtion due uncommissaire de police.

G OS PLAN SU

Impts locauxVers 1890, lescommerants etpetits entrepreneursdu quartier italien deManhattan (photo)commencent recevoir des lettresde menaces signesde la Main noire,une organisationsicilienne frache-ment constitue et

spcialise danslextorsion de fonds.


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PETE

RNEWARKAMERICANPICTURES/BRIDGEMANIMAGES



L

e 18 dcembre 1917, en pleineguerre, le Congrs des tats-Unis adopte une propositiondamendement la Constitu-tion qui interdit la fabrica-tion, la vente ou le transport

de produits spiritueux lintrieur des tats-Unis [] ainsi que leur importation ou leur

exportation . Les tats lapprouvent ds jan-vier 1919, et le texte devient le 18eamende-ment. Il est complt le 28 octobre 1919 par laloi Volstead, qui fixe le seuil dalcool autoris 0,5 % et interdit la production de vin, debourbon, de whisky ou encore de bire. Cestle dbut de la Prohibition. Le camp des dry( secs ) lemporte sur celui des wet ( mouil-ls ), les conservateurs sur les partisans dune

Amrique moderne. Rapidement, lapplicationde la loi suscite des rsistances, chez ceux quisont hostiles lintervention de ltat dans la

sphre prive, chez les citadins convertis une

socit de consommation et de plaisirs ou chezles immigrants europens, pour qui lalcool faitpartie des usages. Si peine 5 % des habitantsdu Kansas rural transgressent la loi Volstead,ils sont 65 % le faire dans la rgion deChicago. LAmrique est divise.

LES RADES DES CHAMPS

Pour rpondre la demande des nombreuxconsommateurs, un march illgal se met enplace. Il est dabord aliment par les moon-shiners, ces petits fermiers qui distillent clan-destinement depuis des dcennies pour chap-per limpt. Leur faible production les rendcependant incapables de rpondre aux besoins.Peu peu, de nouveaux acteurs entrent enscne : les bootleggers. Ils sinspirent du fonc-tionnement de la filire des spiritueux tellequelle existait avant la Prohibition en ladap-tant aux impratifs de la clandestinit : ils

achtent des matires premires transformer,

Adieu ivresse, bonjour tristesse Cest compter sansle business illicite qui sorganise. Et juteux, avec a.

Concurrence oblige, les esprits schauffent. Bientt,rasades et rafales se mlent en un dtonant cocktail.

Par Hlne Harter


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Ferm pour travauxRatifi le 16 janvier 1919, le 18eamendement la

Constitution amricaine interdit la production et la distribution

des produits spiritueux. Le rsultat dune longue croisade

contre ces pratiques immorales , entame au dbut du sicle

prcdent par les milieux vangliques et accentue

la fin de la guerre de Scession (1865), quand sont fonds,

notamment, le Syndicat fminin chrtien pour la temprance

et la Ligue contre les saloons. La bonne marche de lindustrie,pense-t-on alors, rclame des travailleurs sobres


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SUDDEUTSCHEZEITUNG/R

UEDESARCHIVES

LA MAFIA HISTORIA SPCIAL


comme lorge, importent massivement de lal-cool du Canada, du Mexique et des Carabes,recrutent des brasseurs et distillateurs mis auchmage par la loi, ouvrent de nouvelles bras-series, constituent des rseaux de distribution,qui passent notamment par louverture de barsclandestins, lesspeakeasies. Les bootleggerstra-

vaillent grande chelle. En 1929, on compte

prs de 20 000 bars Chicago. Un crneaufructueux : leurs revenus qui chappent limpt se chiffrent cinq milliards de dol-lars. Devenu illgal, lalcool est plus difficile produire et distribuer. Son prix augmente enconsquence (600 % pour la bire), sans quecela dcourage les amateurs. Le trafic est dau-tant plus lucratif que linterdiction des impor-tations protge le march amricain de laconcurrence europenne. Prompts saisir les

possibilits quoffre lpoque, les distributeursreprennent les codes du capitalisme triom-phant des annes 1920.

LAUTRE CONFRENCE DE LA PAIXMais ces hommes daffaires sont dun genreparticulier. Le monde des bootleggerset celuides gangsters sont, en effet, troitement mls.Habitus voluer hors la loi et risquer leur

vie, ces derniers sont les mieux placs pourconstituer des rseaux clandestins. Ils pros-prent en ayant peu craindre des autorits.

Lapplication de la prohibition relve duneunit du fisc qui ne compte que 2 800 agents.Quant aux polices locales, elles sont en sous-effectif, parfois corrompues. Cest le cas Chicago, o Al Capone sassure la protec-tion des policiers et des lus en leur versantun tiers de ses revenus.

En fait, la concurrence est le principaldanger des trafiquants. ce titre, Chicago

est une ville emblmatique. Chaque gangessaye dy tendre son territoire au dtri-ment des autres, les armes la main. Dail-

leurs, les gangsters sy dchirent, en 1923,

CORBIS

Open barLe clan deswet

( mouills )

porte un toast aux

bootleggers, cescontrebandiers

qui importent

ou fabriquent

toutes sortes

de tord-boyaux,

consomms

dans des troquets

clandestins,

lesspeakeasies,

aux mains

des truands.

40

JOE KENNEDY A-T-IL TREMPDANS LE TRAFIC DALCOOL ?En 1957, le magazine Fortune classe Joseph Kennedy

dans le top 15 des plus grandes fortunes amricaines.

Aujourdhui, il est frquent de lire que Joseph a import

de lalcool pendant la Prohibition. La rumeur nat dans les

annes 1960, sous la plume de ceux pour qui lassassinat

de JFK sexplique par les liens que sa famille entretenait

avec la Mafia. Elle sappuie sur des tmoignages nonrecoups de mafieux, comme Frank Costello. En fait,

aucune preuve ne permet dtayer cette thorie. Seule

certitude : Joseph a obtenu, juste aprs la fin de la

Prohibition, des droits dimportation sur le whisky cossais

et les spiritueux canadiens en misant sur laugmentation

de la consommation aprs des annes dinterdiction et

donc sur la certitude dengranger des profits importants.

Sa rputation dhomme daffaires agressif, ses

investissements Chicago et ses liens avec la machine

dmocrate de la ville, proche des gangsters locaux, ont fini

dalimenter la rumeur. H. H.


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dans une guerre de la bire qui place Al

Capone la tte dune organisation criminelle

de plusieurs centaines dhommes. Seul un indi-

vidu fait obstacle son hgmonie : George

Bugs Moran. Cest pour se dbarrasser de lui

que le massacre de la Saint-Valentin est com-

mandit en fvrier 1929 (lire p. 43). Les armesautomatiques remplacent dsormais les cou-

teaux et les revolvers. La guerre des gangs

devient si froce quelle conduit les gangsters

chercher une forme dautorgulation.

Cest lobjectif de la confrence de la paix qui

se tient Atlantic City en mai 1929. Al Capone,

Lucky Luciano, Frank Costello, Johnny Torrio

sy partagent leurs zones dinf luence respec-

tives. La position dAl Capone est conforte

lchelle locale, mais galement lchelle

nationale. Les revenus annuels de son organi-

sation dpassent la barre des 120 millions de

dollars. Sous la houlette du truand, Chicago

dtrne New York comme capitale du crime.

Cette dernire est galement secoue par des

guerres de gangs, comme celle des Castellam-

marese, qui oppose deux familles de la CosaNostra entre 1927 et 1931, mais les activits

criminelles y occupent moins de place que sur

les bords des Grands Lacs.

Toutefois, la position des trafiquants se fra-

gilise la fin de la dcennie. Le massacre de la

Saint-Valentin a suscit une vive motion, et

de plus en plus dAmricains rclament une

raction des pouvoirs publics. Devant lineffi-

cacit des acteurs locaux, les autorits fd-

rales, sous la houlette du nouveau prsident,

Tout lgoutLes trafiquants

pris la main dans

le tonneau sont

contraints par les

forces de lordre

de dtruire leur

marchandise.

Certaines des

distilleries qui

prolifrent dans

tout le pays

produisent

jusqu plusieurs

centaines de

litres par jour.

les combines pour duper la police sont lgion,COMME CES CANONS DE PISTOLET BRICOLS POURCONTENIR DES BOUTEILLES DE GIN MINIATURES


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Herbert Hoover, dcident en 1929 de prendre

linitiative. Le procureur fdral George E. Q.

Johnson est charg de faire condamner

Capone. Comme un procs pour violation de

la loi Volstead risque de ne pas suffire (les jurs

peuvent subir des pressions ou tre hostiles

la prohibition), on lui demande de constituer

en parallle un dossier de fraude fiscale. Onlui adjoint dans le plus grand secret une quipe

spciale dagents fdraux. Son objectif : fer-

mer un maximum de brasseries pour faire res-

pecter la loi, bien sr, mais aussi pour tarir les

revenus et les moyens daction dAl Capone tout

en collectant des preuves en vue du procs.

La direction de cette unit est confie un

jeune agent de 26 ans, Eliot Ness. Il a t choisi

pour son efficacit, son audace et sa probit.

Ness runit une dizaine dhommes : des enqu-

teurs, des agents de terrain qui rivalisent phy-

siquement avec les gros bras de Capone, des

experts de la conduite automobile et des sp-

cialistes des coutes tlphoniques. Lquipe

entre en action en octobre 1929, au moment

mme o lAmrique est secoue par le terriblekrach de Wall Street. Elle multiplie les opra-

tions contre les brasseries, ce qui lui vaut dat-

tirer lattention de la presse. En septembre 1930,

le Chicago Tribunecrit : Une brigade spciale

dagents de la prohibition a prouv Al Capone

que ses membres taient incorruptibles. Lex-

pression fera date. Dans lesprit du public,

lagent fdral nest plus incomptent et cor-

rompu. Il est le nouveau shrif, le garant de la

loi et de lordre.

DCLIN ET CHUTE DUN EMPIREEn plus de commencer perdre la bataille de

limage, Al Capone voit son rseau se dsorga-

niser au rythme des descentes des forces de

lordre. Il a du mal fournir ses clients et faire

entrer de largent frais. Son destin se joue fina-

lement devant les tribunaux. Le procureur

fdral obtient une premire inculpation en

mars 1931. Trois autres suivent. Capone se

retrouve jug pour fraude fiscale en

octobre 1931. Reconnu coupable, il est

condamn onze ans de prison et une

amende de 80 000 dollars. Certains craignent

CORBIS

PETERNEWARKAMERICANPICTUR

ES/BRIDGEMANIMAGESAttrape-moi si tu peux

Alcool, prostitution, jeu : Al Capone (ci-dessus, au milieu)se voit comme unhomme daffaires qui se contente de satisfaire les dsirs des gens . Ayant

peu craindre dune justice corrompue, le Balafr nargue les tribunauxjusqu la fusillade de trop. Sous la pression de lopinion, excde, une quipedagents tris sur le volet est forme en 1929. sa tte, un certain Eliot Ness.

sept jours durant, lincorruptible ness reoitle mME APPEL : COMMENT A FAIT DATTENDRE de

MOURIR ?RASSURE-TOI, A NE SERA PAS LONG


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quil tire les ficelles depuis le pnitencier. Il nenest rien. Ses proches sapproprient son empiretandis que sa sant dcline. sa mort, en 1947,les Amricains ont depuis longtemps tourn lapage de cette priode dinterdiction. En ralit,ds les annes 1930, la question devient trssecondaire dans un pays frapp par la GrandeDpression. Surtout, les Amricains estimentque la prohibition est un chec : au lieu de

moraliser les murs, elle favorise le dvelop-pement de la pgre. Cest pourquoi, en 1933,les tats-Unis adoptent le 21eamendement, quiannule les dispositions du 18etout en laissantaux tats le choix de lgifrer en la matire (untiers dentre eux maintiendra linterdiction).

Quant Eliot Ness, il a du mal sadapter.Il meurt dans loubli, en 1957. Les bootleggersrussissent mieux leur reconversion. Les bn-fices engrangs pendant la Prohibition sontinvestis dans le blanchiment dargent, puisdans le trafic de drogue. Une nouvelle gnra-

tion est en train de prendre le pouvoir.

BETTMANN/CORBIS

Son compte est bon lautomne 1930, ladministration Hoover, reprsente parle procureur George Johnson (photo), donne la priorit lvasion fiscale pour coincer Capone. Lenqute des agents

du Trsor aboutit sa condamnation en octobre 1931.

Le massacrede la Saint-Valentin

EN RAISON DUN VENT GLACIAL, LACTIVIT ESTFAIBLE CHICAGO CE 14 FVRIER 1929. Celanarrte pas les principaux lieutenants de George Bugs Moran, le chef du gang de North Side, qui se

pressent vers un garage situ au 2122 North Clark Street enfait, un entrept clandestin servant aux trafiquants dalcool. Lessept hommes viennent rcuprer une cargaison. lheure dela prohibition, la contrebande dalcool constitue une importantesource de revenus pour les gangsters dans une ville au systmepolicier et judiciaire corrompu. Dailleurs, les hommes de

Moran ne sinquitent pas lorsque des flics se prsentent.Ils se laissent dsarmer et aligner contre le mur. Quelquessecondes plus tard, pourtant, le bruit des mitrailleuses retentitfurieusement. Les tirs durent de longues minutes. Le traquenardest pens dans ses moindres dtails. Pour retarder linterventiondes forces de lordre, les agresseurs simulent mme une faussearrestation. Leur succs est cependant incomplet.

EN RETARD, BUGS MORAN, LEUR CIBLE PRINCIPALE,CHAPPE AU CARNAGE. Lorsque les vrais policiersarrivent, ils dcouvrent, baignant au milieu dune mare de sang,six corps dchiquets et un mourant cribl de 22 balles, PeterGusenberg. Lenqute conclut un rglement de comptes entre

gangsters, mais aucun des coupables ne sera inquit. Lacrainte des reprsailles est trop forte, comme le rappellent lesdernires paroles de Gusenberg : Je ne parlerai pas. Personnene ma tir dessus. Tout le monde suspecte cependant le chefdu gang rival, Al Capone, dtre le commanditaire. Celui-ci nese fait pas de souci. Il sait pouvoir compter sur ses soutiensdans la police et, par ailleurs, il tait en Floride au momentdes faits. Cette excution naurait pu tre quun fait diversde plus, mais les mdias sen emparent. Cest dailleurs un

journaliste de Chicago qui invente lexpression massacre dela Saint-Valentin . lissue de cette sinistre affaire, le nombredAmricains sinterrogeant sur le bien-fond de la prohibition

augmente considrablement. H. H.

RUEDESARCHIVES/RDA

G OS PLAN SU


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BRID

GEMANIMAGES

44 LA MAF

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Historia Special Sep Oct 2015