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Rev Mal Respir 2005 ; 22 : 11-2 © 2005 SPLF, tous droits réservés 11 Notice biographique Hommage au Professeur Jean-Claude Yernault Jean-Claude Yernault est né le premier janvier 1943 à Bassilly, petit village du Hainaut. Il fut médecin dès 23 ans, pneumologue à 28 et défendit sa thèse à 35 ans. Il fut formé en médecine interne et en pneumologie à l’hôpital Saint Georges à Mons, puis à l’Hôpital Saint Pierre à Bruxelles, sous la houlette des Professeurs Armand De Coster, figure légendaire de la pneumologie bruxelloise, et Henri Denolin, pionnier de la physiologie cardio-respira- toire. Jean-Claude Yernault a très tôt acquis la réputation d’un excellent clinicien et d’un physiologiste novateur, dou- blée de celle d’un grand « guindailleur », connu dans les milieux folkloriques estudiantins sous le surnom de Philibert. En 1979, il devint, à 36 ans, le premier Chef de Service de Pneumologie de l’Hôpital Erasme, le tout nouvel hôpital aca- démique de l’Université Libre de Bruxelles. Il fut le professeur de Pneumologie de cette même université de 1987 à 2000. Sa carrière fut exceptionnelle et rares sont ceux ou celles dont le palmarès pneumologique soit si prestigieux. Cette car- rière n’est pas le fruit du hasard. Elle résulte d’une très grande intelligence, d’une capacité de travail hors normes, de la lec- ture assidue et critique de la littérature scientifique et de la collaboration toujours dévouée de son épouse, Béatrice, qui a été sa secrétaire pendant plus de 30 ans. Dans l’exercice de la médecine, Jean-Claude Yernault était un très fin clinicien : curieux, astucieux, répétant tou- jours qu’il fallait en premier lieu écouter le patient et privilé- gier sa volonté. Lorsqu’une décision, même collégiale, s’avérait difficile, il posait très souvent la question de savoir ce que voulait le malade, argumentant que celui-ci avait toujours raison. Il était passionné de sémiologie et d’exploration fonc- tionnelle. Il insistait pour que les internes et les assistants s’expriment correctement. Par exemple, il répétait souvent que la dyspnée étant invisible et elle ne pouvait donc faire partie de l’examen physique ; que le bronchospasme étant une obstruction réversible, il ne pouvait être perceptible à l’auscul- tation, contrairement aux sibilances qui s’écoutent ! Privilé- giant la clinique, il était peu attiré par les techniques invasives. Par exemple, il ne recourait aux biopsies pulmonaires chirur- gicales qu’en cas d’absolue nécessité. Il venait régulièrement en salle d’hospitalisation pendant la pause de midi, alors que nous étions à la cantine. Il profitait de ces moments pour écrire ses remarques et corrections dans les dossiers des patients. Plus d’un se souviennent de sa petite écriture régu- lière et de quelques corrections sévères. En autodidacte convaincu, il préférait laisser à ses élèves le soin de découvrir par eux-mêmes ce qu’ils auraient préféré écouter sans effort. Lorsque l’un d’entre nous lui posait une question, il proposait volontiers au curieux le sujet de la ques- tion comme objet de séminaire. L’organisation du service, qu’il a créé de novo, est mar- quée par ses intérêts successifs : la physiologie respiratoire et en particulier la mécanique thoracique, la médecine nucléaire qui fut à la base de sa thèse, les maladies professionnelles, la transplantation pulmonaire, la mucoviscidose, le sommeil, l’imagerie thoracique, la tuberculose, les essais cliniques dans l’asthme et la BPCO, l’evidence-based medicine, tous ces sujets ayant bien sûr donné lieu à de nombreuses publications. Il était un initiateur, changeant de centre d’intérêt dès qu’un de ses collaborateurs s’y était investi, dégageant son énergie au profit d’une nouvelle activité. En 1978, avant de débuter nos travaux de recherche en minéralogie pulmonaire, il m’avait accompagné au cours d’un Tour de France et nous avions visité les laboratoires d’Études des Particules Inhalées alors, dirigé par le Professeur Sébastien, l’Unité INSERM du Professeur Bignon et le CERCHAR à Verneuil en Halatte, chez le Professeur Le Bouffant. Jean-Claude Yernault, très enthousiaste, obtint dès 1985 les fonds nécessaires pour acquérir un microscope électronique et engager un minéralo- giste, qui est toujours parmi nous et probablement le seul géologue employé d’un hôpital ! Son caractère convivial et sa bonhomie l’avaient rendu populaire et très apprécié dans les nombreuses sociétés scienti- fiques qu’il fréquentait. Diplomate, évitant les conflits, spécia- liste du « compromis à la belge », main de fer dans un gant de velours, il a assumé de nombreuses fonctions dirigeantes au sein de ces sociétés.

Hommage au Professeur Jean-Claude Yernault

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Page 1: Hommage au Professeur Jean-Claude Yernault

Rev Mal Respir 2005 ; 22 : 11-2 © 2005 SPLF, tous droits réservés 11

Notice biographique

Hommage au Professeur Jean-Claude Yernault

Jean-Claude Yernault est né le premier janvier 1943 àBassilly, petit village du Hainaut. Il fut médecin dès 23 ans,pneumologue à 28 et défendit sa thèse à 35 ans.

Il fut formé en médecine interne et en pneumologie àl’hôpital Saint Georges à Mons, puis à l’Hôpital Saint Pierreà Bruxelles, sous la houlette des Professeurs Armand DeCoster, figure légendaire de la pneumologie bruxelloise, etHenri Denolin, pionnier de la physiologie cardio-respira-toire. Jean-Claude Yernault a très tôt acquis la réputationd’un excellent clinicien et d’un physiologiste novateur, dou-blée de celle d’un grand « guindailleur », connu dans lesmilieux folkloriques estudiantins sous le surnom de Philibert.En 1979, il devint, à 36 ans, le premier Chef de Service dePneumologie de l’Hôpital Erasme, le tout nouvel hôpital aca-démique de l’Université Libre de Bruxelles. Il fut le professeurde Pneumologie de cette même université de 1987 à 2000.

Sa carrière fut exceptionnelle et rares sont ceux ou cellesdont le palmarès pneumologique soit si prestigieux. Cette car-rière n’est pas le fruit du hasard. Elle résulte d’une très grandeintelligence, d’une capacité de travail hors normes, de la lec-ture assidue et critique de la littérature scientifique et de lacollaboration toujours dévouée de son épouse, Béatrice, qui aété sa secrétaire pendant plus de 30 ans.

Dans l’exercice de la médecine, Jean-Claude Yernaultétait un très fin clinicien : curieux, astucieux, répétant tou-jours qu’il fallait en premier lieu écouter le patient et privilé-gier sa volonté. Lorsqu’une décision, même collégiale,s’avérait difficile, il posait très souvent la question de savoir ceque voulait le malade, argumentant que celui-ci avait toujoursraison. Il était passionné de sémiologie et d’exploration fonc-

tionnelle. Il insistait pour que les internes et les assistantss’expriment correctement. Par exemple, il répétait souventque la dyspnée étant invisible et elle ne pouvait donc fairepartie de l’examen physique ; que le bronchospasme étant uneobstruction réversible, il ne pouvait être perceptible à l’auscul-tation, contrairement aux sibilances qui s’écoutent ! Privilé-giant la clinique, il était peu attiré par les techniques invasives.Par exemple, il ne recourait aux biopsies pulmonaires chirur-gicales qu’en cas d’absolue nécessité. Il venait régulièrementen salle d’hospitalisation pendant la pause de midi, alors quenous étions à la cantine. Il profitait de ces moments pourécrire ses remarques et corrections dans les dossiers despatients. Plus d’un se souviennent de sa petite écriture régu-lière et de quelques corrections sévères.

En autodidacte convaincu, il préférait laisser à ses élèvesle soin de découvrir par eux-mêmes ce qu’ils auraient préféréécouter sans effort. Lorsque l’un d’entre nous lui posait unequestion, il proposait volontiers au curieux le sujet de la ques-tion comme objet de séminaire.

L’organisation du service, qu’il a créé de novo, est mar-quée par ses intérêts successifs : la physiologie respiratoire eten particulier la mécanique thoracique, la médecine nucléairequi fut à la base de sa thèse, les maladies professionnelles, latransplantation pulmonaire, la mucoviscidose, le sommeil,l’imagerie thoracique, la tuberculose, les essais cliniques dansl’asthme et la BPCO, l’evidence-based medicine, tous ces sujetsayant bien sûr donné lieu à de nombreuses publications.

Il était un initiateur, changeant de centre d’intérêt dèsqu’un de ses collaborateurs s’y était investi, dégageant sonénergie au profit d’une nouvelle activité. En 1978, avant dedébuter nos travaux de recherche en minéralogie pulmonaire,il m’avait accompagné au cours d’un Tour de France et nousavions visité les laboratoires d’Études des Particules Inhaléesalors, dirigé par le Professeur Sébastien, l’Unité INSERM duProfesseur Bignon et le CERCHAR à Verneuil en Halatte,chez le Professeur Le Bouffant. Jean-Claude Yernault, trèsenthousiaste, obtint dès 1985 les fonds nécessaires pouracquérir un microscope électronique et engager un minéralo-giste, qui est toujours parmi nous et probablement le seulgéologue employé d’un hôpital !

Son caractère convivial et sa bonhomie l’avaient rendupopulaire et très apprécié dans les nombreuses sociétés scienti-fiques qu’il fréquentait. Diplomate, évitant les conflits, spécia-liste du « compromis à la belge », main de fer dans un gant develours, il a assumé de nombreuses fonctions dirigeantes ausein de ces sociétés.

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P. De Vuyst

Rev Mal Respir 2005 ; 22 : 11-2 12

Il fut le premier président étranger de la Société dePneumologie de Langue Française en 1988 et le président dela Société Belge de Pneumologie en 1989. Il fut à l’origine del’European Respiratory Society (ERS) dont il a été un fonda-teur, le second président en 1991 et le président du premiercongrès organisé à Bruxelles la même année. Il avait aupara-vant été un membre influent des deux sociétés mères del’ERS : la Societas Europea Pneumologiae et la Societas EuropeaPhysiologiae Clinicae Respiratoriae. Il était convaincu del’importance de la formation continue, en particulier dans despays moins favorisés que les nôtres. Il a ainsi fondé l’EuropeanSchool of Respiratory Medicine, dont il a été, pendant six ans, lepremier président. Il dirigea aussi l’European Respiratory Jour-nal dont il fut l’éditeur en chef en 1988 et 1989. Il dirigeal’European Respiratory Review, l’European Respiratory Topic,toujours pour mieux distribuer l’information scientifique versles pneumologues européens. Pour l’ensemble de ses contri-butions à l’ERS, il reçut, lors du congrès de Madrid en 1999,le Presidential Award des mains du professeur Loddenkemper,alors président de la société. De toutes les fonctions et desnombreuses responsabilités qu’il avait eues dans ces sociétés, ilavait conservé des amitiés sincères, indépendantes du pays etde la langue de ses collègues.

Jean-Claude Yernault a été premier auteur ou auteurassocié de plus de trois cents articles et chapitres de livres. Il aété le promoteur ou membre du jury de 13 thèses à l’Univer-sité libre de Bruxelles et d’autant dans d’autres universités. Sesconnaissances statistiques et son expérience dans l’édition dejournaux scientifiques en faisaient un juge strict, impartial etrespecté.

En 1993, il est devenu le Médecin-Directeur de l’HôpitalErasme, après s’être impliqué de nombreuses années dans lesstructures dirigeantes de cette institution : Conseil Médical,Union Professionnelle des Médecins et Conseil de Gestion.

À côté de son caractère rabelaisien et épicurien appréciéde tous ceux qui l’ont côtoyé, Jean-Claude Yernault était unhomme d’une très grande simplicité, extrêmement pudique,même secret. Considérant l’effort, le travail, la modestie etl’honnêteté, comme valeurs morales, il agissait en considérantque tout le monde partageait ses propres valeurs. Il se méfiaitdes honneurs et de l’argent. Il n’aimait ni les menteurs, ni lesparesseux, ni les collègues âpres au gain, et surtout pas les pré-tentieux.

Il aimait les bons vins, la bonne chère et les vieux livresde médecine qu’il allait volontiers acquérir à Paris qu’il ado-rait. Il aimait aussi se détendre « à la mer », comme disent lesBelges et il possédait un pied à terre à Ostende.

Personnellement, je lui dois énormément et lui serai tou-jours reconnaissant, car sans lui, je ne serais pas celui que jesuis devenu. Il m’a initié à la pneumologie, à la recherchescientifique, aux pathologies professionnelles, à la bonne tableet aux bons vins, et à bien d’autres choses.

Il a assumé une terrible maladie en l’affrontant avecforce et courage, à son image, tout en continuant à assurer sesfonctions de Médecin-Directeur, fonctions souvent ingratesdans une période financièrement difficile de l’institution. Ilne parlait jamais de sa maladie, sauf en clinicien, analysant lessymptômes ou les effets secondaires des traitements trèslourds tout en restant attentif aux autres.

Jean-Claude Yernault nous a quittés le 21 septembre2004. Il laisse derrière lui sa femme Béatrice, son fils Dimitriet ses petits enfants Alice et Lucien.

C’était un humaniste, un honnête homme, une forcetranquille, bref un homme remarquable.

Paul De Vuyst