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Travail & Sécurité 05 - 07 21 Les 500 000 salariés de l’activité « cuisine » sont exposés à des risques professionnels nombreux. Dans un secteur qui connaît de réelles difficultés de recrutement, la qualité de l’emploi devient un enjeu. Ces dernières années, l’idée d’une « démarche ergonomique » pour l’hôtellerie-restauration s’est frayé un chemin entre les fourneaux. Avec l’appui des syndicats professionnels et d’un cabinet conseil spécialisé, la CRAM Aquitaine a fait du concept l’un de ses chevaux de bataille. Son principal enjeu – adapter les lieux de travail aux pratiques – est repris au niveau national. HÔTELLERIE-RESTAURATION Les ergonomes en cuisine

HÔTELLERIE-RESTAURATION Les ergonomes › dms › ts › ArticleTS › TS-TS673page... · 2013-12-09 · vel organe de contrôle par une profession déjà fortement sur-veillée

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Travail & Sécurité 05 - 07 21

Les 500 000 salariés de l’activité

« cuisine » sont exposés à des

risques professionnels nombreux.

Dans un secteur qui connaît

de réelles difficultés de

recrutement, la qualité

de l’emploi devient un enjeu.

Ces dernières années, l’idée

d’une « démarche ergonomique »

pour l’hôtellerie-restauration

s’est frayé un chemin entre

les fourneaux. Avec l’appui

des syndicats professionnels

et d’un cabinet conseil

spécialisé, la CRAM Aquitaine

a fait du concept l’un de ses

chevaux de bataille.

Son principal enjeu – adapter

les lieux de travail aux pratiques –

est repris au niveau national.

HÔTELLERIE-RESTAURATION

Les ergonomes en cuisine

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22 Travail & Sécurité 05 - 07

■ Travail et Sécurité : Comment

la CRAM Aquitaine s’est-elle

intéressée aux restaurateurs ?

Serge Coubes, ingénieur-

conseil : Le premier constat est

celui des chiff res. L’indice de

fréquence (1) dans la profession

est de 44 pour les hôtels-res-

taurants et de 47 pour les res-

taurants et cafés-restaurants

alors qu’au niveau national,

toutes activités confondues,

il est de 39. En 1989, une pre-

mière convention régionale

est signée avec un syndicat de

l’hôtellerie de l’Aquitaine pour

une période de trois ans. Un

avenant la prolonge de douze

mois. Ce sont les premiers

balbutiements… La CRAM est

alors perçue comme un nou-

vel organe de contrôle par une

profession déjà fortement sur-

veillée par les services vétéri-

naires, l’hygiène, les fraudes,

le fi sc. Le terrain préparé, une

seconde convention régio-

nale, signée en 1995, connaît

un meilleur impact, notam-

ment auprès des entreprises

de petite taille. Elle s’inscrit

dans une démarche en amont

de la rénovation globale ou de

la conception. Les conditions

de travail dans les cuisines et

la formation sont abordées.

À l’époque, nous interpellons

des organismes spécialisés

dans l’hygiène alimentaire et

leur demandons d’assurer leur

démarche qualité en appli-

quant les règles de sécurité

au travail. En 1996 à Talence,

sur la plate-forme agroalimen-

taire AGIR, des rencontres avec

les consultants hygiénistes les

sensibilisent à la sécurité du

personnel. Il apparaît qu’en

dépit de nos différences de

langage, les approches conver-

gent. Cette convention nous

permet de fi nancer aussi des

diagnostics.

■ Cette émulation a-t-elle été

suivie à l’échelle nationale ?

S.C. : En tant que correspon-

dant national Service com-

merce alimentaire et industrie

de l’alimentation (Scial), j’ai

souhaité faire connaître cette

démarche. En 2001, la Caisse

nationale de l’assurance mala-

die des travailleurs salariés

(CNAMTS) signe une charte de

partenariat avec l’Union des

métiers de l’industrie hôtelière

(UMIH), concrétisée par une

convention nationale d’objec-

tifs pour quatre ans. Dès lors,

toutes les CRAM commencent

à établir des contrats de préven-

tion avec l’hôtellerie-restaura-

tion. Les partenariats avec les

professionnels se multiplient,

ainsi que le travail en pluridis-

ciplinarité avec des services de

santé au travail, des cabinets

d’ergonomes, des consultants

spécialisés ou même des écoles

de management dans l’hôtel-

L’Aquitaine met les pieds dans le platDepuis plus de

quinze ans, la CRAM

Aquitaine observe

l’activité « cuisine »

et sa « casserole » de

risques : glissades,

chutes de plain-pied,

manutentions, coupures,

brûlures, bruit…

Un long partenariat

avec la branche

professionnelle a

permis de promouvoir

une « démarche

ergonomique pour

l’hôtellerie-restauration »

qui depuis fait recette.

Ingénieur-conseil en

prévention des risques

professionnels, Serge

Coubes s’en explique.

La CRAM Aquitaine s’est très

tôt penchée sur les risques

professionnels des restaurateurs.

Depuis 2001, c’est devenu un enjeu

national avec la signature d’une

convention nationale d’objectifs.© V

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t

lerie et la restauration. Cette

convention, reconduite début

2007, intègre la prévention du

tabagisme passif. Les contrats

de prévention ne pourront

être signés qu’avec des établis-

sements non-fumeurs.

■ Le regard de la profession

sur vos services a-t-il changé ?

S. C. : Complètement. Nous

sommes désormais perçus

comme des partenaires. Aux

assemblées générales de

l’UMIH, la CRAM intervient au

même titre que les hygiénistes

et autres spécialistes. Comme

en Aquitaine, les CRAM de

Nord-Picardie, du Sud-Est, de

l’Ile-de-France, de la région

Rhône-Alpes, de l’Auvergne

ont multiplié les opérations

avec la profession. La restau-

ration n’est plus considérée

comme une activité exempte

de risques. Un CDRom (2), réa-

lisé avec le service de santé au

travail de Périgueux et les res-

taurateurs de Dordogne, a été

présenté et diff usé au salon

Équip’hôtel l’an dernier : il est

constitué de témoi gnages de

chefs d’entreprise, qui sont

les plus à même de diffu-

ser le mes sage. Un guide (3)

édité en 5 000 exemplaires a

été envoyé aux médecins et

inspecteurs du travail d’Aqui-

taine, aux enseignants de la

restauration, ainsi qu’à toutes

les CRAM et CGSS. Il est pré-

senté et distribué aux diff é-

rentes assemblées générales

de l’UMIH dans tous les dépar-

tements de l’Aquitaine. Enfi n,

nous intervenons à l’École de

management hôtelier interna-

tional de Savignac-les-Églises

pour sensibiliser les étudiants

à la sécurité dès la conception

des locaux. Ces principes fon-

damentaux, intégrés lors de

la formation initiale, doivent

ensuite être repris régulière-

ment dans la formation conti-

nue du métier. ■

1. Nombre d’accidents avec arrêt pour

1 000 salariés.

2. « Démarche ergonomique dans

l’hôtellerie-restauration. Une nouvelle clé

de progrès ».

3. « Guide pratique de l’ergonomie dans

l’hôtellerie et la restauration » produit

en collaboration avec l’UMIH, la DRTEFP,

la CRAM Aquitaine et le cabinet François

Tourisme Consultants (se renseigner auprès

de l’UMIH).

Pour en savoir plus…

• « Santé et sécurité dans les métiers de la restauration », DVD vidéo (DV 1575) de l’INRS qui illustre les problématiques santé et sécurité du secteur par un ensemble de bonnes pratiques de travail.

• « Conception des cuisines de restauration collective - repères en hygiène et prévention des risques professionnels », INRS, ED 6007.

CDRom, guide, formation... de nombreux moyens ont été mis en place

pour sensibiliser les personnes travaillant dans la restauration.

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24 Travail & Sécurité 05 - 07

L’amélioration passe par

l’observation. À Berenx,

alors que sa cuisine a

besoin d’un coup de neuf,

l’Auberge du Relais (1) fait appel

au cabinet François-Tourisme

Consultants pour un audit

d’établissement. À son arrivée,

Delphine Vilatte, consultante

en tourisme et ergonomie-

sécurité, doit très vite s’inté-

grer au personnel, assimiler les

méthodes de travail et déni-

cher les failles et dysfonc-

tionnements. Une expérience

nouvelle dans le secteur, plus

souvent audité sur sa qualité

de service que sur ses pratiques

professionnelles. S’engageant

dans cette démarche, Yves

Larrouture, chef d’établis-

sement et président de l’UMIH

du Béarn et de la Soule, n’ima-

gine d’ailleurs pas mettre en

route un tel projet d’entreprise

monté autour de l’ergonomie.

En 2005, l’auberge rejoint un

groupe pilote de quinze restau-

rants audités. « Ce travail devait

servir à la rédaction d’un guide

pratique de l’ergonomie diff usé

par l’UMIH régio nale », témoi-

gne Serge Coubes, ingénieur-

conseil prévention. L’analyse

du cabinet, pilote du projet

régional, doit couvrir toutes les

dimensions de l’ergonomie :

port de charges, postures, ges-

tes, architecture des postes de

travail, environnement sonore,

thermique et lumineux, com-

munication, circulations… À

son terme, des solutions sont

suggérées. « Il ne s’agit pas de

remettre en cause les savoir-

faire, explique Delphine Vilatte.

En arrivant dans l’établissement,

j’ai informé les salariés des objec-

tifs de ma mission : les aider à

améliorer leurs conditions de

vie au travail, leur organisation,

réduire les pertes de temps, les

contraintes de fonctionnement...

La démarche ergonomique est

participative, les meilleures pré-

conisations et améliorations

ayant été for mulées par les

salariés eux-mêmes. Une rela-

tion de confi ance s’est instau-

rée. » Certains salariés, comme

le chef, travaillent ici depuis

plus de 30 ans. Leur demander

de réfl échir à leur métier peut

être perturbant. Pourtant, cha-

cun y trouve vite son intérêt.

L’établissement voit également

dans ce projet une aide à la

mise en œuvre de son docu-

ment unique.

Le nécessaire

et le possible

Dans le même temps, un

contrat de prévention est

signé avec la CRAM Aquitaine.

La demande initiale de l’as-

sureur vise les sols, avec un

projet de décaissement pour

RÉNOVATION

L’ergonomie prend le RelaisÀ Berenx (64), l’Auberge

du Relais a bénéficié

pour la réfection

de sa cuisine d’un

contrat de prévention

avec la CRAM Aquitaine

et de l’intervention

du premier cabinet

d’ergonomie spécialisé

dans l’hôtellerie-

restauration.

Les aménagements,

pensés en fonction

des méthodes de travail,

y sont résolument

tournés vers le

personnel.

L’Auberge du Relais a fait appel à un cabinet d’ergonomie

qui a analysé toutes les situations. Ici, la desserte mobile est adaptée

au plan de travail. Le chef fait glisser sa marmite sans eff ort.©

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une meilleure accessibilité et

la mise en place d’un carre-

lage anti-dérapant homologué

selon une liste CNAMTS/DGAL.

« La rénovation soulève des

problèmes différents de la

conception. Pour autant, régler

la question des niveaux au

sol était impératif », précise

Raymond Payneau, contrô-

leur de sécurité à la CRAM

Aquitaine. D’autres aména-

gements sont également pré-

vus : une tourelle d’extraction

et d’induction d’air sur le piano

de cuisson, des formations SST

et affilage des couteaux, un

éclairage naturel et une vue sur

l’extérieur, des plans de travail

en inox réglables en hauteur,

des laveuses à brosses tour-

nantes et le traitement pho-

nique des plafonds, les deux

derniers points ayant provisoi-

rement été mis de côté. « On

ne peut pas tout exiger trop

vite. L’hygiène alimentaire est

déjà une contrainte forte. Il faut

trouver des compromis », recon-

naît Serge Coubes. Au total, la

CRAM a fourni une aide d’envi-

ron 30 000 € pour un investis-

sement en prévention de plus

de 140 000 €. « Techniquement,

il a fallu trouver le juste milieu

entre le nécessaire et le possi-

ble, poursuit Delphine Vilatte,

l’entre prise ayant une archi-

tecture destructurée due aux

modifi cations apportées au fi l

des ans. » Le changement s’est

révélé brutal. « On a cassé les

murs et les habitudes, explique

Véronique Larrouture. Mais

le manque de repères ne dure

qu’un temps. » Très vite, la cui-

sine adopte une « marche en

avant » qui lui permet de tenir

une progression continue et

rationnelle dans l’espace des

diff érentes opérations d’élabo-

ration des plats.

Cloisonner les activités

Comme beaucoup d’établisse-

ments, les zones de stockage

étant éloignées du pôle de

production principal, l’Auberge

du Relais souff rait de problè-

mes chroniques de circulation.

« Les postes du chaud et du

froid n’étaient pas séparés. Il n’y

avait pas de lieu défi ni pour la

pâtisserie », reprend Delphine

Vilatte. La plonge, initiale-

ment située dans un couloir

majeur de circulation et d’ac-

cès aux zones de sto ckage,

est maintenant isolée. Les

diff érents secteurs sont cloi-

sonnés. L’acquisition de frigos

indépendants et de chambres

froides par produits réduit les

croisements parasites et amé-

liore l’hygiène. La construction

d’un accès livraison couvert et

indépendant va aussi dans ce

sens. « Avec l’offi ce et le passe-

plats, on ne fait plus de kilomè-

tres inutiles », ajoute Véronique

Larrouture. « Les conditions

actuelles sont nettement plus

satisfaisantes, se réjouit Jean-

Charles Garaté, chef cuisi-

nier. Ce sont des petites choses

qui, cumulées, diminuent les

contraintes et le mal de dos. On

travaille avec le même type de

matériel, mais les postes sont à

hauteur, les branchements élec-

triques accessibles, les surfaces

planes et faciles à nettoyer. » Un

projet ambitieux auquel a par-

ticipé toute l’équipe. La clé de

son succès ? Sans doute… ■

1. L’Auberge du Relais emploie 8 ou 9

salariés. L’établissement compte 2 étoiles

et deux cheminées aux Logis de France.

Une dynamique régionale

Le cas de l’Auberge du Relais illustre le projet régional de sensibilisation à l’ergonomie conduit en 2005-2006 avec

l’UMIH, la direction régionale de l’emploi et de la formation professionnelle et de la CRAM. Dans l’hôtellerie, la thématique est plus que nouvelle. À la suite d’une large action de communication, les établissements ont envoyé leur candidature pour participer au projet. Quinze entreprises pilotes représentatives (hôtels, restaurants, brasseries, bars…) ont été auditées. Objectif : mutualiser l’ensemble des bonnes pratiques et des dysfonctionnements pour créer le guide pratique de l’ergonomie dans l’hôtellerie-restauration. Loin d’être dupe, la profession a compris que ce type de démarche aidait à diminuer les accidents du travail et permettait de fidéliser les salariés et de les impliquer dans l’entreprise. En outre, un salarié bien dans son poste assure un service de qualité. À la grande satisfaction du client... ©

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À présent, les zones de préparation

chaudes et froides sont séparées.

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La plonge est isolée

et l’évier équipé

d’un jet amovible.

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■ Travail et Sécurité : L’Auberge

de la Truff e a connu des pha-

ses successives de rénovation,

dans le cadre d’un grand pro-

jet de restaurant. Comment en

êtes-vous arrivés là ?

Jacqueline Leymarie, pa tronne

de l’Auberge de la Truffe :

L’établissement a ouvert ses

portes en 1983. Au début, il a

fallu fonctionner « en l’état »,

avec des locaux qui n’étaient

pas vraiment adaptés. J’ai com-

mencé par interroger les clients

sur ce qu’ils jugeaient bon de

faire pour s’améliorer. En 1985,

nous installons la télévision

et le téléphone direct dans les

chambres, ce qui est novateur

pour l’époque. La réfection de

la cuisine est envisagée après.

Plusieurs plans sont étudiés,

mais il se posait des problèmes

d’adéquation avec le lieu. Dans

le projet retenu, la création

d’une entrée et sortie pour le

personnel permet de simpli-

fi er l’organisation globale des

coulisses pour travailler sans

gêner l’autre. Dans le même

temps, nous interrogeons les

salariés sur leurs besoins. Lors

des concertations collectives

avec le personnel et la méde-

cine du travail, il est question

d’ergonomie. Un mot nou-

veau. La CRAM nous conseille

et fi nancera (3) une partie du

projet à travers un contrat de

prévention. Plusieurs architec-

tes sont alors mis en concur-

rence et la démolition débute

en 2003.

■ Quels sont les principaux

eff ets de cette remise à neuf ?

J. L. : Moins de stress, pratique-

ment plus d’absentéisme et

un travail plus serein dans l’en-

semble… La cuisine béné fi cie

d’un éclairage naturel, le sol

est antidérapant, les plafonds

sont insonorisés, les tables à

hauteur, des points d’eau pré-

sents à chaque poste, la cen-

trale de nettoyage accessible…

Nous avons veillé à limiter le

bruit. Par ailleurs, un travail

Berceau des saveurs,

la Dordogne regroupe

plus de 700 entreprises

de l’hôtellerie-

restauration.

Un secteur qui évolue

sur le terrain des

risques professionnels

et de l’amélioration

des conditions de

travail. Rencontre avec

Jacqueline Leymarie (1),

patronne de l’« Auberge

de la Truffe » (2) à Sorges

(24).

AUBERGE DE LA TRUFFE« Travailler sans gêner l’autre »

Des stages

de formation ont

eu lieu pour affi ler

et aff ûter les

couteaux et objets

tranchants.

Les améliorations

sont permanentes,

avec toujours

le souci d’optimiser

les fl ux et

les déplacements.

« Tout a été refait à

l’envers et pourtant,

j’ai vite vu le côté pratique.

Notamment, le fait de ne

plus avoir à bouger pendant

le service. L’été, on travaille

à la lumière du jour, ce qui

n’a l’air de rien mais joue

sur le moral. Quant

au fourneau central,

c’est une révolution !

Chacun tourne autour sans

jamais se gêner. »

(Pierre Corre, cuisinier

depuis 1983)

« C’est deux fois plus grand et on a tout à portée

de main ! Une fois que la mise en place est faite,

on travaille exclusivement avec ce dont on a besoin,

sans avoir à courir chercher nos produits dans

une chambre froide. Les frigos sont associés

aux différents postes. Pour le nettoyage,

il n’y a ni recoin ni angle dans lesquels la crasse

pourrait s’incruster. »(Nicolas Rousseau, cuisinier)

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Travail & Sécurité 05 - 07 27

plus global a été entrepris sur

la sécurité routière (ho raires

d’approvisionnement), les

formations SST et les for-

mations affilage et affûtage

du couteau. Il a fallu faire des

compromis et les expliquer.

Le chef demandait par exem-

ple à avoir plus d’éléments à

vue, mais ça compliquait le

nettoyage. Ce dialogue est

primordial et on le maintient.

Chaque semaine, je continue

à faire le tour et je note ce qui

ne me plaît pas et doit être

amélioré, avec le même souci

apporté à l’optimisation des

flux et déplacements. Cette

cuisine est conçue pour per-

mettre de travailler ensemble

sans se rencontrer. Sa gestion

est à l’image du restaurant. ■

« Les risques sont limités.

On ne croise plus quelqu’un

avec une poêle, une casserole.

Psychologiquement,

on est moins stressé :

on ne se heurte pas,

on ne crie pas… » (Sophie Bastide,

directeur de salle)

Pour éviter les blessures, les angles

du fourneau central sont équipés

de coins arrondis.

1. Jacqueline Leymarie exerce depuis 1976

un métier où elle met en œuvre

« toutes ses possibilités de femme

orchestre ». Elle est présidente

de la branche hôtellerie de l’UMIH

et des Logis de France de la Dordogne,

ainsi que de l’association Dordogne

Formation, chargée d’intervenir auprès

des écoles hôtelières. Elle a fait partie

du groupe de pilotage qui a travaillé

sur le CDRom « Démarche ergonomique

dans l’hôtellerie-restauration.

Une nouvelle clé de progrès ».

2. L’établissement emploie 17 personnes.

Il sert 80 couverts par jour et

affiche 75% de remplissage annuel

de ses 26 chambres.

3. Investissement de l’entreprise :

195 000 €, participation de la CRAM :

29 400 €.

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Faites marcher les patien-

ces. » À peine enregistré

sur la console par le per-

sonnel de salle, le message

parvient aux fourneaux. Les

mises-en-bouche peuvent être

servies. À Coly (24), le restau-

rant gastronomique du Manoir

d’Hautegente – qui propose

aussi des chambres – accueille

les gourmets en escale entre

la vallée de la Vézère et la

vallée de la Dordogne. En se

dotant d’un système informa-

tisé de commande, l’établis-

sement s’est facilité la tâche.

« Table 6, attention : allergie

aux noix. » De la préparation

des hors-d’œuvre à la pâtis-

serie, tous les cuisiniers reçoi-

vent l’avertis sement. Un plus

pour la communication, mais

pas seulement… L’ensemble de

l’organisation en profi te pour

une sérieuse réduction du cré-

dit fatigue. Un bilan fortement

apprécié, dans un secteur où

les manutentions et les sta-

tions debout prolongées sont

nombreuses et peuvent géné-

rer l’apparition d’atteintes à

la santé telles que lombalgies

et dorsalgies. L’impact sur le

stress, qu’il s’agisse de celui du

coup de feu ou de la course à

la satisfaction du client, est lui

aussi bien réel.

Avant d’en arriver là, Patrick

Hamelin, directeur de l’établis-

sement, évoque un projet de

réaménagement et de mise

aux normes de sa cuisine en

matière d’hygiène et de sécu-

rité. La maison est alors visitée

par un ergonome du service de

santé au travail de Périgueux

qui interroge les salariés, ana-

HAUTEGENTE

Faciliter les échanges, réduire la fatigueNiché au cœur

d’un vaste domaine

du Périgord noir,

le Manoir d’Hautegente

a profité d’un projet

de réaménagement

de sa cuisine pour

revoir son organisation

globale. L’installation

d’un réseau

informatique facilite

désormais les échanges

entre la salle

et la cuisine.

Au cœur du Périgord noir,

le Manoir d’Hautegente

dresse 20 tables chaque soir.

La mise en œuvre d’un outil informatique a réduit la circulation...

Dès que l’assiette est prête, le chef bipe le serveur.

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Travail & Sécurité 05 - 07 29

ue

lyse les postes et habitudes de

travail et établit des proposi-

tions. Un contrat de prévention

sur la rénovation du site, signé

avec la CRAM Aquitaine, fi xe

les objectifs : mise en place de

sols antidérapants, effi cacité

des aspirations, accès à la for-

mation et à l’information et

surtout mise en œuvre d’un

outil informatique visant à

réduire la circulation. La cui-

sine est totalement détruite

et un architecte travaille sur

un nouvel espace pour les 9

salariés qui l’occupent. Le chef

cuisinier, Ludovic Lavaud, suit

le projet de A à Z. « J’ai fait

connaître mes souhaits avec

en tête la double problémati-

que hygiène et sécurité, expli-

que-t-il. Le piano était vieux de

trente ans, étroit, diffi cile à net-

toyer, avec des coins saillants.

Il était impossible de se croi-

ser et d’avoir une progression

de type “marche en avant”.

L’installation d’un piano central

avec multiplication des arrivées

d’eau à une distance minimale

de 80 cm des postes froids

libère véritablement l’espace et

facilite la coactivité. »

Une économie de pas

À partir de là, le regard se

porte sur les interactions cui-

sine/salle. C’est là qu’inter-

vient le réseau informatique.

« Le personnel de salle prend les

commandes sur papier, puis les

transfère sur un ordinateur tac-

tile. L’information est transmise

à la réception et en cuisine, à

un interlocuteur choisi. On se

parle sans se voir. Du coup, on

court moins. L’ambiance est

plus calme », explique Marie-

José Hamelin, responsable de

salle. Deux consoles sont éga-

lement installées sur la ter-

rasse. En cuisine, on attend le

feu vert avant de lancer la pré-

paration. Dès que l’assiette est

prête, le chef bipe le serveur.

Pour le personnel, c’est une

économie de pas considéra-

ble, car si la demeure off re de

beaux volumes, cela se payait

parfois en termes de fatigue.

« Le service est plus efficace.

Nous commettons moins d’er-

reurs et le temps gagné est mis

au service du client », témoigne

Franck Guinez, maître d’hôtel

depuis quatre ans. « Après une

saison de mise en place, pen-

dant laquelle la direction essuie

quelques regards noirs, ce sont

fi nalement les salariés qui en

parlent le mieux », témoigne

Patrick Hamelin.

Sans regret donc, même si ce

petit plus pour les conditions

de travail a un coût. « Il ne faut

pas se mentir, sans la participa-

tion de la CRAM (21 000 € pour

69 000 € d’investis sement)

nous n’en aurions pas fait

autant. Qu’il s’agisse du maté-

riel informatique comme de

notre nouvelle centrale d’aspi-

ration. » ■

Pour en savoir plus…

Ancienne forge du XIIIe siècle

transformée en hôtel-restaurant d’avril à octobre, le Manoir d’Hautegente se consacre, le reste de l’an-née, à la préparation de plats cuisinés à base de foie gras d’oie et de canard. Au cœur du Périgord noir, l’établissement dresse 15 à 20 tables chaque soir dans ses salles à manger et une vingtaine en terrasse, au pied de l’ancien moulin à draps. 15 chambres tournées vers le parc et la rivière offrent à la clientèle la possibilité d’une halte alliant charme et confort dans la région.

« On communique sans se voir,

du coup on court moins... »

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30 Travail & Sécurité 05 - 07

Son restaurant, Patrick

Gullenmuller l’a long-

temps rêvé. Plombier

de métier, il repère début

1999 l’emplacement idéal. Un

ancien hangar municipal, à

proximité d’un bassin d’entre-

prises à Artix. Rapidement, la

CRAM Aquitaine le conseille

dans son projet. Il est formé au

risque routier, suit un stage de

sauveteur secouriste du travail

(SST). Sensibilisé aux risques

côtoyés dans le secteur de la

restau ration, il se forge une

idée assez précise de sa cui-

sine « idéale ». Un contrat de

prévention lui permet d’ob-

tenir une aide fi nancière à la

conception de son établisse-

ment. Le Kitch – ce sera son

nom – verra le jour au terme

d’aména gements faciles à

intégrer et pris en compte dès

la conception, qui bénéfi cient

en premier lieu aux salariés.

Le contrat insiste sur la prise

en charge des risques liés à la

circulation des personnes (glis-

sades, chutes de plain-pied,

fatigue…) grâce à la mise en

place d’un carrelage anti-déra-

pant. Des systèmes d’extraction

adaptés, un éclairage naturel

et artifi ciel de plus de 400 lux

sur tous les postes de travail et

l’instal lation de cinq Velux de

toit et trois portes vitrées sont

prévus. Côté machines et équi-

pements, l’établissement mise

sur l’ergonomie des postes en

se fournissant en matériel de

préparation et rangements

en inox et investit dans une

centrale de nettoyage et de

désinfection et deux lavabos à

commande optique.

Une affaire de famille

Enfin, le contrat précise les

impératifs de formation :

deux sauveteurs SST et l’en-

semble du personnel formé à

l’hygiène alimentaire et aux

risques professionnels avec

l’Abioc, organisme d’hygiène

alimentaire sensibilisé à la

sécurité et conventionné par

la CNAMTS pour la démar-

che du « couteau qui coupe ».

« On s’y est tous mis », commen-

te le restaurateur. Le Kitch est

une petite entreprise familiale.

Père et fi ls sont aux fourneaux,

tandis que la mère, la tante, le

neveu offi cient en salle ou en

cuisine. L’établissement sert en

moyenne 100 couverts par jour,

essentiellement le midi, du fait

de la proximité du pôle indus-

triel. « Je voulais conserver un

caractère artisanal. Je vais tout

chercher moi-même au mar-

ché, en dehors de la viande qui

me vient directement des abat-

toirs d’Oloron-Sainte-Marie.

Notre canard est acheté à un

petit producteur des Landes. »

À ses débuts, le restaurant

embauche un jeune cuisinier

de 21 ans qui communique à

tous le b.a.-ba de l’hôtellerie.

Aujourd’hui, le fi ls, Brice, fraî-

chement sorti de l’école hôte-

lière de Biarritz, a pris le relais.

« L’établissement a mis tous les

atouts de son côté au départ.

Sept ans après, ça reste impec-

cable », estime Serge Coubes,

ingénieur-conseil prévention

à la CRAM Aquitaine. Aucun

accident n’est venu ternir le

tableau. « On nous a appris

que, si on se dote d’un outil de

travail performant, de bonne

qualité et en bon état, le retour

sur investissement est là, expli-

que le patron. Pour quelqu’un

qui n’est pas du métier, c’est la

meilleure école. »

En bordure

du pôle industriel

d’Artix (64), le Kitch

sert depuis sept ans

une cuisine

traditionnelle et

simple à une clientèle

d’habitués. Ancien

plombier reconverti

à sa passion, le patron

a conçu la cuisine

qu’il avait imaginée,

avec pour seul précepte

que chaque problème

trouve sa solution

ergonomique.

CONCEPTION

Se doter d’un outil performant

Aux postes de travail, des Velux ont

été installés, ainsi que trois portes

vitrées.

Un carrelage antidérapant

permet de limiter les risques

liés à la circulation des personnes.

Le nettoyage est facilité.

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