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Mémos de Bruegel adressés à la nouvelle Commission 2009 1 À l'intention de : M. le président de la Commission européenne De la part de : Jean Pisani-Ferry et André Sapir Objet : Priorités pour votre mandature Date : 1 er septembre 2009 Pendant un quart de siècle, chaque Commission européenne s'est définie par une réussite capitale, accompagnée généralement d'une importante modification de traité : on se souvient de la première Commission Delors pour le marché unique, tandis que la seconde est associée au traité de Maastricht; le lancement de l'euro a marqué la Commission Santer; l'élargissement de l'Union européenne à l'Est est une réalisation majeure de la Commission Prodi; et l’on peut espérer que la Commission Barroso 2004-2009 restera dans l'histoire pour avoir pris des initiatives face au changement climatique et fait ratifier le traité de Lisbonne. Chacune de ces réalisations a constitué un pas en avant pour l'Europe. La prochaine Commission devrait-elle se fixer et proposer aux peuples européens un objectif similaire ? Ou devrait-elle plutôt accepter le fait qu'elle se battra principalement pour préserver les réussites du passé et que son objectif consistera à limiter les déviations ? Voilà la principale question que vous devrez vous poser en vous préparant aux cinq prochaines années. Priorités économiques de l'Europe 2010-15 Mémo de Bruegel adressé au président de la nouvelle Commission

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Mémos de Bruegel adressés à la nouvelle Commission 2009 1

À l'intention de : M. le président de la Commission européenne

De la part de : Jean Pisani-Ferry et André Sapir

Objet : Priorités pour votre mandature

Date : 1er septembre 2009

Pendant un quart de siècle, chaque Commission européenne s'est définie par uneréussite capitale, accompagnée généralement d'une importante modification detraité : on se souvient de la première Commission Delors pour le marché unique,tandis que la seconde est associée au traité de Maastricht; le lancement de l'euroa marqué la Commission Santer; l'élargissement de l'Union européenne à l'Est estune réalisation majeure de la Commission Prodi; et l’on peut espérer que laCommission Barroso 2004-2009 restera dans l'histoire pour avoir pris desinitiatives face au changement climatique et fait ratifier le traité de Lisbonne.

Chacune de ces réalisations a constitué un pas en avant pour l'Europe. Laprochaine Commission devrait-elle se fixer et proposer aux peuples européens unobjectif similaire ?

Ou devrait-elle plutôt accepter le fait qu'elle se battra principalement pourpréserver les réussites du passé et que son objectif consistera à limiter lesdéviations ? Voilà la principale question que vous devrez vous poser en vouspréparant aux cinq prochaines années.

Priorités économiques de l'Europe 2010-15

Mémo de Bruegel adressé au président dela nouvelle Commission

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Défis

POUR RÉFLÉCHIR À L'AGENDA DES CINQPROCHAINES ANNÉES, il convient de s'éloigner unmoment des débats actuels pour évaluer lespriorités de l'Europe avant la crise. Cette dernièreétait principalement confrontée à des défis de longterme, qui concernaient un certain nombre dechangements fondamentaux apparus à la fin dusiècle dernier et dont les répercussions serontassurément profondes au XXIe siècle : la mondial-isation et la (ré)émergence de la Chine et de l'Indeen tant que puissances économiques et politiquesde poids, l'érosion de l’avantage comparatiftraditionnel de l'Europe en matière de capitalhumain et le besoin de promouvoir ledéveloppement d'une économie basée sur laconnaissance, le vieillissement de la population etses conséquences sur les sociétés européennes etsur les finances publiques, le retour de la migrationde masse, la sécurité énergétique et la nécessitéde prendre des mesures décisives pour luttercontre le changement climatique. À l'échelonrégional, les défis pour une Europe largementréunifiée consistaient à mener à bienl'élargissement et à redéfinir sa relation avec sesvoisins. Au niveau mondial, elle devait se comportercomme la « puissance douce » (soft power) maisefficace qu'elle prétendait être.

Ces défis étaient impressionnants, mais, pour laplupart, ils appelaient évidemment une réponseeuropéenne commune et étaient perçus commetels par l'opinion publique. Pour ne citer quequelques exemples, aucun besoin d'être fédéralistepour accepter que le changement climatique et lamigration de masse devaient être abordés àl'échelle européenne, ou même que seule l'UEaurait assez de poids dans les négociationsinternationales avec les nouveaux géants. Le lentappareil de gouvernance de l'UE a également fourniune structure appropriée pour trouver un équilibreentre le caractère conjoncturel inévitable desgouvernements élus et la nécessité de faire faceaux défis de longue durée.

Au cours des dix dernières années, l'UE acommencé à fournir des réponses structurelles àces défis. L'élargissement a constitué une réussite

de taille. Sur certains points (tels que la société dela connaissance, la migration ou le changementclimatique), il est trop tôt pour juger des résultats,car les engagements doivent être suivis d'actes,mais au moins, l'agenda a été clairementdéterminé. Sur d'autres points (comme levieillissement, la sécurité énergétique, le voisinage,la représentation extérieure), rien n'a réellementété entrepris à ce jour, mais les questions ont dumoins été soulevées.

En bref, avant la crise, l'Europe disposait d'unagenda clair, certains progrès avaient été effectuéspour le définir et le mettre en œuvre, mais il restaitencore beaucoup à faire. Il existait également unestratégie claire pour le président de la Commission:se concentrer sur les défis un par un, saisir lesenjeux intellectuels élevés, évaluer les risques,dresser les grandes lignes des réponses politiqueset former des alliances en vue de solutionseuropéennes communes. À une époque oùn'existait manifestement que peu de désir deprendre des initiatives institutionnelles majeures,c’était une approche pratique axée sur les résultatset s'inscrivant tout à fait dans l'esprit de la célèbreméthode des « petits pas ».

La crise a amené six changements majeurs dans cepaysage :

• Premièrement, elle rend les défis de long termeauxquels est confrontée l'Europe plus critiques.Au niveau international, la convergence entre lespays émergents et les pays avancéss’accélèrera incontestablement dans la mesureoù les répercussions négatives de larestructuration du secteur financier sur lacroissance sont susceptibles d'être ressentiesdavantage dans les pays avancés que dans lespays émergents (lesquels peuvent encorecompter, pour un certain temps, sur les sourcestraditionnelles de la croissance basée surl'imitation). Cela modifiera l'équilibre despuissances mondiales, lequel a d'ailleurs déjàété redéfini, et renforcera également lanécessité d'un ajustement structurel en Europe,en particulier dans les anciens États membres.

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Parallèlement, la dette publique de ces pays estsur le point d'augmenter significativement, aumoment précis où les conséquences duvieillissement sur les finances publiquescommencent à se faire sentir, alors que lesenfants du baby-boom prennent leur retraite. Cetétat de fait aggravera les pressions liées à lamondialisation et aura d'importantes réper-cussions sur les modèles sociaux européens àune époque où ceux-ci sont déjà mis à rudeépreuve par le retour du chômage de masse.

• Deuxièmement, la crise remet en question l'undes récents succès de l'UE. Le modèle decroissance de plusieurs des nouveaux Étatsmembres, qui reposait sur de fortes entrées decapital, paraît soudainement problématique. Lepotentiel de rattrapage reste généralement bon,mais le sentier qui y mène est bien moins sûr.Les nouveaux États membres qui ont financéleur consommation actuelle à l'aide d'épargneétrangère devront reconsidérer radicalementleur stratégie économique. L'intervention duFonds Monétaire International dans l’UE – pourla première fois en trois décennies – souligne lagravité de la situation et la capacité limitée del'Europe à remédier à ses propres difficultés.Dans certains des nouveaux États membres, laspectaculaire revue à la baisse des pronostics decroissance pourrait même finir par ébranler leconsensus existant en faveur de l'intégrationeuropéenne.

• Troisièmement, l'intervention étatique consid-érable pour aider les secteurs souffrant de lacrise crée des tensions entre la logiqued'intégration économique européenne et lalogique de responsabilité politique nationale.Les gouvernements qui s'efforcent de prévenirles faillites financières ou d'entreprises sontresponsables devant leurs citoyens del'utilisation des fonds publics et insistent sur lefait que ces derniers doivent être utilisés au seinde leur pays, mais cela s'oppose aux principesmêmes de l'intégration européenne. L'intégritédu marché unique est menacée par les projetsd'aide sectorielle des États pendant la crise, et il

est probable que cette menace perdure. Leproblème le plus manifeste touche le secteurbancaire qui est devenu extrêmementdépendant de l'aide budgétaire nationale,laquelle s'accompagne souvent de mesures quifaussent les échanges. Mais le problème neconcerne pas seulement le secteur financier. Ilest particulièrement important dans le secteurautomobile où l'intervention étatique a pourobjectif de préserver les emplois nationaux, cequi se fait souvent au détriment d’emplois dansle reste de l'Europe, et il pourrait égalements'étendre à d'autres secteurs.

• Quatrièmement, la crise a montré les failles del'actuel système de gouvernance européen. Pourcommencer, le degré d'intégration politique dansle secteur financier est inférieur au degréd'intégration du marché, et il est devenu évidentque la coexistence de banques pan-euro-péennes et d'un contrôle purement nationaln'est pas viable. Pour citer le rapport d'AdairTurner (« Turner Review ») commandé par legouvernement britannique, « des dispositionsplus efficaces requièrent soit que les États aientdavantage de pouvoirs, ce qui limiteraitl'ouverture du marché unique, soit quel'intégration européenne soit renforcée ». L’UEfait face au problème en renforçant lacoordination en son sein, mais une solution defortune ne suffira pas. La gestion de la crise aprésenté une faille similaire : au plus fort de lacrise financière en octobre 2008, l'UE a étécapable d'agir mais seulement en dehors de soncadre institutionnel. Cet événement a doncrévélé que l'UE disposait certes d'un systèmeélaboré de prévention de crise, mais n'avait pasde capacité intégrée de gestion de crise. Ce n'estpas un hasard si la Banque centrale européenneest la seule institution européenne à sortirrenforcée de la crise à ce jour : dans son do-maine, elle est en effet un décideur à partentière et sans rival. Le dilemme auquel estconfrontée l'Europe est le suivant : la crise asouligné la nécessité de réformes supplé-mentaires concernant sa gouvernance éco-nomique, impliquant davantage de centralisation

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politique dans certains domaines, tandis qu'iln'existe à vrai dire aucun désir d'exécuter detelles réformes, et encore moins d'octroyer plusde pouvoirs à Bruxelles.

• Cinquièmement, la crise risque de remettre enquestion la légitimité même de l'Unioneuropéenne. Au cours des vingt dernièresannées, l'intégration européenne a prin-cipalement été associée à la libéralisation (bienque les perceptions diffèrent d'un pays àl'autre). Cependant, la crise est largement (et àjuste titre) perçue comme un échec majeur de lalibéralisation financière, auquel on ne peutremédier en se contentant de bricoler laréglementation. La situation exige plutôt deredéfinir en profondeur des rôles respectifs desgouvernements et des marchés, dans lesmarchés financiers assurément et peut-êtremême dans d'autres secteurs. Une telleredéfinition soulève la question de savoir si unetelle intervention publique renforcée se fera auniveau des États membres ou de l'UE (ou mêmeà l'échelle internationale). En dernière analyse, ils'agit donc de déterminer si la forte réactionpotentielle contre la libéralisation entraînera uneréaction négative collatérale contre l'UE. Eneffet, un tel rejet du marché pourrait facilementse transformer en rejet du fondement même del'intégration économique européenne, à savoir lemarché unique. Ou bien l'UE prendra-t-elle part àla redéfinition des rôles respectifs des États etdes marchés ? Cette question entraîne à son tourcelle de la réforme de la gouvernance; la réponse

apportée à cette dernière pourrait avoir desrépercussions considérables pour l'UE elle-même.

• Sixièmement, l'un des aspects remarquables dela réaction à la crise jusqu'à maintenant est le lefait que la communauté internationale y arépondu en renforçant la gouvernance mondiale.Cela a permis de préserver l'intégrité desrelations économiques internationales etd’atténuer les effets du choc dans les pays lesplus touchés. L'UE, qui se voit comme unchampion évident de la gouvernance mondialeet l’un de ses laboratoires, soutient fermement leprocessus lancé au cours des deux premierssommets du G20. Si l'on suppose que cet espritde coordination mondiale s'avère durable, celane sera cependant pas sans difficulté pour l'UEqui n'est que partiellement équipée pour agir entant qu'acteur mondial efficace et qui, tropsouvent, se comporte comme un « pouvoirfragmenté ». Un renouveau durable de lagouvernance mondiale, ainsi que la redist-ribution des pouvoirs institutionnels mondiauxque cela impliquerait forcément, exposerait lesfaiblesses de la représentation extérieure et dela gouvernance européennes et pourrait setransformer en couteau à double tranchant. Pourles principaux États membres, la coordination auniveau du G20 pourrait venir remplacer lacoordination à l'échelle euro-péenne. L'Europeva-t-elle finir par être acteur ou preneur dans lejeu de la gouvernance mondiale? La réponse àcette question aura probablement desrépercussions fondamentales sur son futur.

Vous devrez redéfinir l'image de l'UE. Les citoyens doivent savoirquelle est la raison d'être de l'UE. La Commission sortante n'a pasréussi à rendre manifeste ce que représentait l'UE.

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Une stratégie

VOTRE PREMIÈRE TÂCHE sera de traiter lesconséquences de la crise à travers une séried'initiatives. Tout d'abord, en tant que gardienne dutraité, votre Commission a le devoir de fairerespecter les règles européennes existantes. Celasignifie lutter contre les infractions aux règles deconcurrence et au marché unique et mettre enœuvre le Pacte de stabilité et de croissance afind'amorcer les ajustements budgétaires né-cessaires. En second lieu, la nouvelle Commissiondevra également mener à terme le processuslégislatif en cours ayant pour but de mettre enplace la nouvelle structure de supervisionfinancière de l'UE. Troisièmement, votreCommission devra travailler en étroite coopérationavec nos partenaires étrangers afin de respecterles engagements des chefs d'État qui se sontrencontrés en juillet à L'Aquila de conclure le cyclede Doha sur le développement en 2010, ce quidemeure notre meilleure assurance contre lesrisques liés aux réponses protectionnistes auxconséquences économiques et sociales de la crise.Une autre priorités pour les mois à venir sera deremplir les engagements de l'Union européennerelatifs à la maîtrise du changement climatique etd'obtenir des promesses aussi ambitieuses de lapart de nos partenaires étrangers afin d'assurer laréussite de la Conférence des Nations Unies sur lechangement climatique prévue pour la fin del'année à Copenhague.

Mais quelque ardues que ces tâches soient, vous nepourrez vous permettre de vous permettre de nefaire des projets que pour les prochains mois. Lesdéfis décrits ci-dessus suggèrent clairement queles enjeux seront élevés pour l'Europe dans lesannées à venir et qu'ils requièrent un agenda deréformes structurelles. En effet, manquer d'am-bition pour l'Europe n'apaiserait pas mais jus-tifierait plutôt les forces anti-européennes qui ontvu le jour ces dernières années et ferait courir lerisque de compromettre le projet européen lui-même.

En même temps, il faut cependant reconnaître quepersonne n'envisage d'initiative institutionnellemajeure, sans parler de nouvelle modification detraité; aussi ce qui sera entrepris le sera

nécessairement dans le cadre du traité deLisbonne, en supposant qu'il soit ratifié au momentde l'investiture de la nouvelle Commission.

La solution à ce dilemme réside principalementdans le leadership. La mission de votre Commissionsera de définir les défis, d'exposer les choix et deproposer les réponses communes dont l'Europe abesoin. À un moment où tous les chefs d'État et degouvernement vont être submergés par desproblèmes internes, vous ne pouvez pas vousattendre à ce qu'ils viennent vers vous avec desidées et des initiatives pour le bien commun. Il estimprobable que les lignes directrices utilesviennent d’un consensus de leur part. Il seranécessaire de faire preuve d’audace, et celle-ci neviendra probablement pas d’eux. Il faudra qu'ellevienne de vous et de vos collègues de laCommission. Vous devrez par conséquent être prêtà vous battre pour vos idées et à prendre lesrisques nécessaires.

Vous devrez redéfinir l'image de l'UE dans uncontexte transformé. Les citoyens doivent savoirquelle est la raison d'être de l'UE, c'est-à-dire cequ'elle fait et pour quoi elle le fait. La Commissionsortante a eu un certain succès dans la définitionde ce que fait l'Europe : grâce à ses initiatives sur leclimat, l'énergie et la migration, elle a su adapter lerôle de l'Europe à l'ère de la mondialisation.Toutefois, elle n'a pas réussi à démontrer ce quereprésentait l'UE : elle a dû faire marche arrière ausujet de la Directive Services, elle s'est montréeincohérente sur la libéralisation financière et n'apas été capable de définir en quoi devrait consisterun nouvel agenda social européen. Alors quel'ancienne alliance de convenance entre leslibéraux et les fédéralistes s'est considérablementessoufflée, il faut trouver un nouveau compromisqui permette aux citoyens de différentes originesculturelles et politiques de s'identifier à l'Europe.Des idées ont été proposées, telles que l'appel deMario Monti pour un nouvel équilibre entre lalibéralisation et la redistribution. Il faudra trouverles mots qui expriment l'idée que vous voulez fairepasser, mais surtout il vous faudra parvenir à unconsensus entre les États membres, le Parlement

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européen et la société civile, et faire en sorte quevos propositions soient appuyées.

Vous devrez également faire preuve de leadershippour mettre en place une stratégie économiquecohérente pour sortir de la crise. Quelle que soit lagravité des problèmes immédiats, la Commissiondevra concentrer son action ainsi que celle desgouvernements nationaux sur les défis de longuedurée. Cela impliquera de faire pression sur lesgouvernements nationaux afin de prévenir toutgeste précipité qui pourrait mettre en péril lesobjectifs communs à long terme, mais aussi dedéfinir et d'appliquer les mesures qui renforcerontle potentiel de croissance et d'éviter les pièges del'inertie qui menacent l’avenir de l'Europe. À ceteffet, les réponses à court terme doivent êtrecohérentes avec les objectifs à long terme. Ce n'estpas le cas en ce moment, avec, d'un côté, une séried'initiatives à court terme mises en œuvresimmédiatement et, de l'autre, une stratégie deLisbonne en train de perdre le peu d’essor qu'elle apu avoir dans le passé.

Vous devrez prendre l'initiative et proposer dedéfinir et de mettre en œuvre, pour les cinqprochaines années, un paquet de relanceéconomique consistant en :

• Un programme pour rétablir la soutenabilité desfinances publiques;

• Un cadre pour la reprise économique dans lesnouveaux États membres et l'élargissement dela zone euro;

• Un plan pour conduire à leur terme les actionsexceptionnelles de gestion de crise;

• Un Programme européen pour la croissance etl'emploi.

Les détails des deux premières propositions étantprésentés dans le mémo adressé au commissaireaux Affaires économiques et monétaires, nousallons nous concentrer ici sur les deux dernières.

Conduire à leur terme les mesures exceptionnellesde gestion de crise implique de nombreusesdimensions techniques qui requièrent l'inter-

vention de spécialistes. Mais il est une dimensionsur laquelle vous devriez vous concentrer, à savoirla mesure dans laquelle ces politiques doivent êtrecoordonnées. Dans le secteur bancaire, le manquede coordination a été souligné par l'absence d'unprocessus européen d'évaluation des situationscomprenant une estimation cohérente du bilan etun « stress-testing », ce qui compromet le marchéunique. Vous devrez insister sur le fait que s'ilrevient aux États membres de fournir un soutienfinancier, il faudra trouver une solution communeaux problèmes bancaires de l'Europe. De la mêmemanière, à moins que la Commission ne prennel'initiative d'aider à restructurer le secteurautomobile en situation de surcapacité (due nonseulement aux nouveaux concurrents, mais aussi àla hausse des prix du pétrole et au souci duchangement climatique), une interventionnationale pourrait gravement nuire au marchéunique. Dans les deux cas, des mesuresexceptionnelles ne requièrent pas de transfertpermanent de la souveraineté, mais plutôt uneréponse commune explicitement temporaire.

La crise risque de réduire de manière significativeet permanente le potentiel de production de l'UE. Ilexiste également un grave danger de réduction destaux de croissance de la production potentielle àlong terme, car la crise pourrait entraîner un régimefinancier plus restrictif et moins favorable auxinnovations. Avec le déficit démographique etl'augmentation des taux d'imposition dus à ladétérioration des finances publiques, une telleévolution transformerait l'Europe en une zone àfaible croissance permanente incapable d'attirer oumême de retenir le personnel et les entreprises lesplus productifs.

Enrayer ce mouvement négatif nécessitera unnouveau Programme européen pour la croissanceet l'emploi qui succéderait à la stratégie deLisbonne et pourrait se fonder sur certains despoints de l'agenda de Lisbonne, notamment le rôlede pilier du marché unique compétitif pour relancerla croissance de la productivité et le bonfonctionnement des marchés du travail, ainsi queles conditions sociales pour améliorer l'emploi. En

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outre, et contrairement à Lisbonne, le nouveauprogramme devra se concentrer et renforcer lacomposante européenne dans des domaineschoisis. Les domaines que cela pourrait concernercomprennent les marchés financiers, négligésdans la stratégie de Lisbonne, mais qui demeurentun catalyseur essentiel de l'investissement et del'innovation, le triangle de la connaissance et plusparticulièrement l'enseignement supérieur, sphèredans laquelle l'Europe peut exploiter le succès duprocessus de Bologne et prendre des initiatives enaccord avec le concept d'Espace européen de larecherche intégré dans le traité de Lisbonne, et lacroissance verte, dans le cadre de laquelle l'UE doitfonder sa stratégie de développement économiquedurable sur ses engagements pour le climat.

En mettant au point le nouveau Programmeeuropéen pour la croissance et l'emploi pour lapériode d'après 2010, vous serez confronté à unedifficulté majeure. L'UE ne disposera d'aucunnouveau fonds à cet effet, les plans de relanceayant asséché les finances publiques. Cependant,vous aurez la possibilité d'améliorer le budgeteuropéen. En 2005, le Conseil européen a approuvéle principe d'exécution et de révision détaillée dubudget. Cette révision prévue à l'origine pour 2008-2009 a été repoussée jusqu'à l'entrée en vigueurdu traité de Lisbonne. Vous devrez effectuer cetterévision dès votre prise de fonctions et soumettresans attendre des propositions pour uneamélioration immédiate du budget européen. Lanouvelle situation économique appelle denouvelles priorités de dépenses. Repousser ceschangements jusqu'à la prochaine période deprogrammation en 2014 serait un signe de non-flexibilité déplacée. En accord avec le Programmeeuropéen pour la croissance et l'emploi, vousdevrez par conséquent proposer une révision dubudget européen effective en 2011.

Enfin et surtout, votre stratégie économique nedoit cesser de mettre à profit les efforts de laCommission Barroso pour façonner lamondialisation. L'émergence de nouvellespuissances mondiales nécessite un réexamen dela gouvernance internationale afin de s'assurer que

tous les acteurs essentiels sont efficacementengagés dans le processus. Cela ne concerne pasque les secteurs et institutions traditionnels, telsque le commerce et l'OMC ou encore la financeinternationale et le FMI, mais également denouveaux domaines, comme le changementclimatique. L’esprit de coopération mondialeinspiré par la crise combiné à une administrationaméricaine conciliante envers les offresmultilatérales offre une opportunité rare deprogresser. Pour jouer son rôle, l'UE devra toutd'abord surmonter son syndrome de « pouvoirfragmenté » et réformer son système de gou-vernance interne afin d'intervenir de manière plusefficace dans les forums économiquesinternationaux. Une situation dans laquelle l'UE acertes un siège au G20 mais n'est pas considéréecomme une voix légitime par ses propres membresest insoutenable. Il existe des moyens d'améliorerla situation actuelle, même en l'absence d'uneréforme de la gouvernance. Par exemple, les payseuropéens participants pourraient s'exprimer d'uneseule voix au sein du G20 en délégant à l'un d'entreeux la responsabilité de présenter la positioneuropéenne sur un sujet particulier. Par ailleurs,l'UE devrait cesser de défendre des positionsd’arrière-garde et énoncer les conditions danslesquelles elle serait prête à une diminutio capitissignificative dans les forums internationaux.

Bien que l'agenda mondial doive être l'une de vospriorités pour les mois et les années à venir, cela nedevrait pas vous faire oublier que l'Europe aégalement des responsabilités déterminantes àl'échelon régional. Notre voisinage est poten-tiellement instable et il requiert une attention plusaiguë de notre part, notamment au vu desrépercussions déstabilisatrices de la crise. Malgréde récents progrès, la politique de voisinage del'Union européenne demeure inadaptée auxobjectifs. Cela reflète en partie l'attitude incertaineou ambiguë vis-à-vis de l'élargissement, mais aussile fait que deux piliers importants de notreinteraction avec les pays voisins, à savoir lasécurité énergétique et la migration, restentlargement en dehors des compétences d'actioncommune de l'UE. Il faudra remédier à ces défauts.

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Organisation de la Commission

DÉVELOPPER UNE TELLE STRATÉGIE exige duleadership de votre part. Pour mettre cette stratégieen place, le prochain président de la Commissiondevra transformer cette institution en un acteurplus efficace, mieux équipé pour répondre aux défismajeurs sans cesse en évolution. La Commissiondoit devenir plus orientée vers les politiques quevers les procédures. Modifier l'équilibre entre cesdeux orientations requiert des réformes dans troissecteurs.

Le premier secteur concerne le portefeuille et lerôle des commissaires. Afin d'améliorer leleadership dans les domaines clés, un certainnombre de nouveaux postes devront être créés:

• Commissaire aux Affaires économiques etfinancières. L'accord précédent consistant àséparer les affaires économiques et financièresentre deux commissaires a constitué undésavantage tant pour la Commission que pourl'UE lors de la crise économique et financière.Cela affaiblit la Commission d'un point de vueinterne face aux ministres des Finances et d'unpoint de vue externe dans les forumsinternationaux. Changer cette situation est unepriorité.

• Commissaire au Marché intérieur et aux Affairesindustrielles. vec la fusion des affaireséconomiques et financières, le commissaire encharge du marché intérieur sera privé(e) del'une de ses principales responsabilités. Enmême temps, le commissaire en charge desaffaires industrielles, ou plus récemment desentreprises, s’est trouvé manquer d'outilspolitiques adaptés. Par conséquent, nousproposons de retourner à la situation qui

prévalait jusqu'au début des années 1990 et defusionner le marché intérieur et les affairesindustrielles. Cela sera essentiel à une époqueoù la restructuration industrielle se retrouve denouveau tout en haut de l'agenda européen.

• Commissaire au Changement climatique. Lacréation de ce nouveau poste enverra un signalfort qui rappellera que la stratégie de lutte contrele changement climatique est une priorité clé dela nouvelle Commission et de l’UE, et ce nonseulement à Copenhague au mois de décembre,mais également pour les prochaines années.

• Commissaire à l'Économie de la connaissance.Ce nouveau poste soulignera l'importancecruciale pour la nouvelle Commission de faire del'Europe une économie de la connaissance. Lecommissaire chargé de la connaissance seraresponsable de trois aspects du triangle de laconnaissance : l'enseignement supérieur, larecherche et l'innovation.

• Commissaire à l'Élargissement et la Politique devoisinage. Pour sa propre stabilité économiqueet politique, l'UE doit accorder davantaged'attention à ses voisins. Nommer uncommissaire en charge de l'élargissement et dela politique de voisinage sera une étapefondamentale pour concevoir des politiquescohérentes envers ces pays.

En outre, l'entrée en vigueur du traité de Lisbonneet l'institution d'un nouveau vice-président de laCommission pour la Politique étrangère et deSécurité commune sera l'occasion de repenserl'organisation de la Commission toute entière, etpas seulement dans le domaine de la politique

Faire de la Commission un acteur plus efficace revient à l'orienterdavantage vers les politiques que vers les procédures. Modifierl'équilibre entre ces deux orientations requiert des réformes.

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étrangère. Disposer d'un commissaire par Étatmembre est positif pour la légitimité de laCommission, notamment dans le cadre de son rôlelégislatif. Cependant, cela représenterait trop decommissaires par rapport aux responsabilitésréelles de la Commission étant donné que l'UEcompte déjà 27 États membres et bientôt plus.Ainsi, il serait peut-être temps de réfléchir àl'introduction de deux niveaux de commissaires, dela même manière que la plupart desgouvernements ont des ministres et dessecrétaires d'État.

Indépendamment du fait qu'une telle approche soitfaisable ou désirable, la Commission doit trouver unmoyen d'agir comme un collège qui prend le temps,malgré sa taille, de délibérer sur les choix politiquescruciaux. Cela constitue une condition sine qua nonpour que la Commission puisse agir en tantqu'institution fonctionnant davantage grâce auxpolitiques qu'aux procédures et qu'elle puisse avoirplus de pouvoir

Le deuxième domaine de réforme concerne lesfonctionnaires. A l’évidence, la Commission regorgede talents, mais elle ne peut ignorer l'immensevivier de talents qui existe dans d'autresinstitutions nationales et internationales. Hormisaprès un élargissement, la Commission,contrairement, entre autres, à la Banque centrale

européenne ou la Banque européenned'investissement, ouvre rarement ses positionssupérieures, telles que directeur général, directeurgénéral adjoint ou encore directeur, à despersonnes travaillant dans d'autres institutions.Elle doit trouver un meilleur moyen d'employer lesmeilleures ressources humaines possibles.

Troisièmement, la Commission a besoin d'unemeilleure évaluation des mesures budgétaires etde régulation. Des progrès ont été réalisés, grâce àla création, en 2006, du Comité d'analyse d'impact,qui évalue l'impact potentiel sur l'économie, lasociété et l'environnement des nouvellesrégulations avant l'adoption de propositions par laCommission. Il n'existe cependant aucun effortcomparable pour évaluer les politiques déjà envigueur, qu'elles soient accompagnées dedépenses budgétaires ou non. Cette absenced'évaluation ex post est un inconvénient majeurdans les actions européennes et doit encore êtrecorrigée. Cette nécessité sera sans doute renforcéepar des demandes du Parlement européen quirecevra des pouvoirs budgétaires plus importantssous le traité de Lisbonne visant à ce que laCommission justifie les dépenses du budgeteuropéen. Un Bureau d'évaluation européenneindépendant devrait donc être créé à l'écheloneuropéen.