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HUMANITAS (La Revue de référence du Groupe de Recherche en Sciences Humaines et Sociales, GRESHS) 11e Année – N°11 Décembre 2012
Fabrice NFOULE MBA, L’introduction des Secrétariats………………………………………………
Martial MATOUMBA, Chronique radiocarbone des âges de la pierre au Gabon …………………………….
Souleymane SANGARE, Affaiblissement et chute des institutions politiques en Afrique.........................
Jean Rodrigue Elisée EYENE MBA, Valeurs morales et droit chez Kant et Hayek…………... ….
Lazare N’DA BAZOUMANA, Le conflit identitaire, un facteur de désorganisation sociale……………………………………………….
Noel VEI KPAN et Bernard DJE KOUAKOU, Impact de la variabilité pluviométrique sur la production cacaoyère en Côte d’Ivoire....................
3-37
38-57 58--70
71-93
94-111
112-125
Les Editions du GRESHS ISSN 1726 – 6688 DLBN 1199/12/2012
HUMANITAS est la revue de référence du Groupe de Recherche en Sciences Humaines et Sociales (GRESHS) de l’Ecole Normale Supérieure B.P. 17009, Libreville (Gabon), Tél : (241) 73 31 59 Fax : (241) 73 31 61 E-mail : [email protected] DIRECTEUR DE LA PUBLICATION :
MEYO-ME-NKOGHE Dieudonné, PROFESSEUR TITULAIRE COMITE SCIENTIFIQUE :
RENE-JOLY ASSAKO ASSAKO (Professeur, ENS, Yaoundé), CHALINE Jean Pierre (Professeur Paris IV), DESAUSTELS Jacques (Professeur Laval, Québec), EMEJULU James (Professeur UOB, Libreville), GAY Jean-Christophe (Professeur, Université de Nice, France), LAROCHELLE Marie (Professeur Laval, Québec), MBOT Emile (Professeur UOB, Libreville), MERCIER Jean Luc (Professeur ULP, Strasbourg), METEGUE N’NAH Nicolas (Professeur UOB, Libreville), MOUKAGA Hugues (Professeur UOB, Libreville), NKIET Guy Martial (Professeur USTM, Franceville), NZINZI Pierre (Professeur UOB, Libreville), ONA ONDO Daniel (Professeur UOB, Libreville), ROPIVIA Marc-Louis (Professeur UOB, Libreville).
COMITE DE LECTURE :
BIGNOUMBA GUY-SERGE (Maître de Conférences, UOB), GAHUNGU Patrice (Maître de conférences ENS, Libreville), FOTSING MANGOUA, (Professeur, Université de Dschang), LEGROS Denis (Professeur, Université Paris VIII), NGUEMA ENDAMNE Gilbert (Maître de Conférences, ENS, Libreville), OWAYE JEAN FRANCOIS (Maître de Conférences, UOB, Libreville), MANIRAGABA BALIBUTSA (Professeur, ENS, Libreville). COMITE DE REDACTION :
MBOUMBA MBINA Roger (ENS, Libreville), MBAZOO Magali (ENS, Libreville), MBA Pauline (ENS, Libreville), MBA ZUE Nicolas (UOB, Libreville), NGUEMA ENDAMNE Gilbert (ENS, Libreville), OWAYE Jean François (UOB, Libreville), Pour tout contact s’adresser à : NYANGUI Euloge Lydie Les Editions du GRESHS, ENS, B.P. 17009 Libreville (Gabon) Tél : 00 (241) 73 31 59/00 (241) 05 34 58 22/00 (241) 07 64 54 31
HUMANITAS
L’INTRODUCTION DES SECRETARIATS GENERAUX: UNE MUTATION
STRUCTURELLE AUX INCIDENCES« RELATIVES » DANS L’APPAREIL
POLITIQUE ET ADMINISTRATIF AU GABON (1964-1986)
Fabrice Nfoule Mba
Attaché de Recherche
IRSH-CENAREST, Libreville/ Gabon
Résumé : Responsables administratifs et techniques de premier plan, les Secrétaires Généraux
des ministères, et d’autres institutions publiques, accaparent la coordination des
services et de leurs actions. Cette ancienne prérogative politique glisse alors
inexorablement de l’échelon politique au niveau technique. Il s’agit là d’une
mutation structurelle de l’appareil politique et administratif gabonais de 1964 à
1986. S’impose alors l’hypothèse que l’introduction des Secrétariats Généraux
induit une double distinction technique, non seulement de l’édifice
gouvernementale, mais aussi de l’appareil administratif. Cette évolution s’avère,
néanmoins, partielle, voire incomplète.
Mots-Clés : Secrétariat Général, introduction, mutation, politique, administration,
Gabon
4 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
INTRODUCTION
Le cadre institutionnel au Gabon s’est structuré après la Seconde
Guerre mondiale autour de deux organes politiques majeurs : le
Conseil représentatif1 et le Conseil de gouvernement
2. Or, si ces deux
pôles embryonnaires des pouvoirs législatif, et exécutif, n’eurent de
cesse de se raffermir, il n’en demeurait pas moins que l’organisation,
et le fonctionnement, de l’appareil politique et administratif
souffraient d’un manque d’harmonisation. Cette carence se faisait
particulièrement sentir dans la coordination, et l’organisation, non
seulement des activités interministérielles, mais aussi des initiatives
administratives menées par les services techniques. Au plan politique,
l’institution présidentielle « écrasait » et se confondait, à bien des
égards, avec le gouvernement. La répartition des rôles et
l’identification des prérogatives de chacune des instances du pouvoir
exécutif manquaient alors de cohérence, voire de clarté. Au niveau des
ministères, la prééminence des cabinets politiques entravaient
l’éclosion d’une administration véritablement dépositaire de la
dimension technique des politiques publiques. L’administration
centrale y apparaissait, sinon, affaiblie, du moins, extrêmement
« effacée ». Á contre-courant de cette situation, l’introduction des
Secrétariats Généraux postulait une coordination, et une organisation,
plus harmonieuses de l’architecture politique et administrative,
notamment entre 1964 et 1986.
En 1964, le Secrétariat Général du Gouvernement (SGG) fut créé,
dans le dessein, entre autres, de synchroniser les activités
1Instauré par la Constitution de 1946 et organisé par le décret n° 46-2-374 du 25 octobre de la
même année, le Conseil représentatif se métamorphosa progressivement en Assemblée
territoriale, en 1952, avant que de se muer en Assemblée législative, en 1959, puis en
Assemblée nationale à la faveur de l’indépendance en 1960. 2Emanation du rapport des forces à l’Assemblée territoriale, le Conseil de gouvernement
expérimenta, quant à lui, le pouvoir exécutif en 1956. Au début positionnée à la vice-
présidence de cet organisme, la tête d’affiche du groupe politique majoritaire à l’Assemblée
accéda, à partir de 1958, à la présidence de ce qui devint l’un des points focaux de l’exécutif
gabonais. Voir Mabileau (J) et Meyriat (J), (1967), Décolonisation et régime politique en
Afrique noire, Paris, A. Colin.
Fabrice NFOULE MBA 5
Humanitas, 11, 2012
gouvernementales. Malgré une connotation éminemment politique,
cette nouvelle fonction disposa d’une compétence technique de grande
importance : la coordination, et l’organisation, de l’action et des
politiques publiques. Elargie à certains ministères techniques et
régaliens, à la fin des années soixante et au milieu des années
soixante-dix, puis à la Primature, en 1986, l’instauration des
Secrétaires Généraux(SG) ne fut pas sans conséquence sur
l’organisation, et le fonctionnement, des départements ministériels.
Quelle fut alors la portée véritable des évolutions induites par
l’avènement des « SG » dans l’attirail institutionnel gabonais ? Quels
impacts cette fonction eut-elle réellement sur l’organisation, et le
fonctionnement, des ministères ?
C’est à l’intérieur du cadre chronologique délimité, entre 1964 et
1986, que notre étude envisage d’interroger les incidences de
l’insertion des « SG » dans l’attelage politique et administratif au
Gabon3. Mais ne pouvant étudier l’ensemble des composantes de
l’espace institutionnel gabonais, le propos discrimine huit institutions
particulières ; à savoir la présidence de la République, la Primature et
les ministères des Affaires économiques, de l’Éducation nationale, des
Finances, du Travail, de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Ce
choix s’explique par le fait que l’organisation et la structure de ces
institutions, parmi d’autres, déclinent une existence effective des
Secrétariats Généraux durant la période qui intéresse notre analyse. En
s’appuyant sur un certain nombre de travaux historiques, juridiques,
politistes et théoriques ainsi que sur des textes constitutionnels, et
réglementaires, portant sur le fonctionnement, et l’organisation, du
dispositif politique et administratif en Afrique, en général, et au
Gabon, spécifiquement, il s’agit de voir comment, et à partir, des
3Il convient de signaler que l’introduction des Secrétaires Généraux, en tant que structure, et
fonction, administratives au Gabon remonte à bien avant 1964. L’application de ce dispositif
déborde même, et très largement, le cadre restreint des instances du pouvoir exécutif. Au
long de l’histoire, on retrouve cette fonction dans les Préfectures et les collectivités locales,
héritées de l’ancienne administration territoriale coloniale. Des institutions comme
l’Assemblée Nationale, structurée depuis la décolonisation et consolidée après
l’indépendance, mais aussi certaines institutions constitutionnelles telles quele Conseil
Économique et Social, la Cour Suprême ainsi que les grands corps constitués, expérimentés
durant le monopartisme, à l’instar de la Grande Chancellerie des Ordres Nationaux, le Collège
des Hauts Conseillers de l’État, le Conseil National des Municipalités... ont effectivement
disposé de Secrétariats Généraux.
6 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
Secrétariats Généraux, l’armature organisationnelle et fonctionnelle
des institutions, ainsi identifiées, s’est transformée. Notre approche
soutient que l’avènement de cette fonction procède d’une réforme de
structure qui a suscité une distinction technique à deux niveaux :
d’abord à l’échelon politique, entre le Président de la République et le
gouvernement, ensuite au sein des ministères, entre les cabinets et les
services administratifs centraux. L’idée ici est que des pesanteurs
politiques, adjointes à des faiblesses techniques, n’ont pas permis aux
évolutions, suscitées par l’instauration des Secrétariats Généraux, de
franchir certaines limites. Il en a résulté une mutation, certes
structurelle, mais, au demeurant, « partielle », « incomplète », voire
« partielle »de l’appareil politique et administratif. Dès lors, notre
analyse s’articule en deux grands points : le mouvement de répartition
des rôles qui spécifie techniquement les deux composantes du pouvoir
exécutif et « dépolitise » la coordination, et l’organisation, de l’action
publique, d’une part, et les conséquences techniques du déploiement
des «SG» dans le fonctionnement des départements ministériels,
d’autre part.
1. La distinction« technique » au sein du pouvoir exécutif (1964-
1978)
Historiquement, c’est dans un contexte politique marqué par un
présidentialisme, poussé à l’extrême4, que la fonction de Secrétaire
Général fut introduite dans l’appareil gouvernemental gabonais. En
effet, le jeu institutionnel imprimé par la Constitution du 21 février
1961 dévoilait une concentration des pouvoirs autour de la
magistrature suprême. Cette situation était si particulière qu’il
4 Le présidentialisme désigne, ici, la prééminence institutionnelle, et politique, du Président de
la République. Historiquement, cette institution n’apparaît au Gabon qu’en 1961 et devient la
clé de voûte des institutions. Deux personnalités, Léon M’ba et Albert Bernard (puis Omar)
Bongo, ont exercé cette magistrature dans la période qui intéresse notre étude. De 1964 à
1986, l’emprise de cette institution dans le jeu institutionnel en fait, non seulement le Chef
des armées, du gouvernement, mais également le détenteur de plusieurs portefeuilles
ministériels et le président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Concernant le
fonctionnement, et l’organisation, du régime présidentiel, voir Ajami (S-M), (1975), « Les
institutions du régime présidentialiste gabonais », RJPIC, n° 4.
Fabrice NFOULE MBA 7
Humanitas, 11, 2012
paraissait ardu de définir le type de régime, ou de système, politique5
en vigueur au Gabon. Empreinte d’autoritarisme, cette situation
participait d’une centralisation de la gestion de l’État. Bien
qu’identifiées constitutionnellement, les deux composantes du pouvoir
exécutif semblaient, dans la pratique, jumelées. A contrario, la mise
en place des Secrétariats Généraux du gouvernement, et de la
présidence de la République, exhorta une distinction, plus affirmée, au
sein du couple exécutif. Cela se traduisait par deux évolutions
majeures : l’accentuation de la spécification« technique » entre le
gouvernement, et le Président de la République, d’un côté, et
la« dépolitisation » de la coordination de l’action publique, de l’autre.
1.1. Une spécification plus théorique que pratique
Le Secrétariat Général du Gouvernement (SGG) fut créé par le décret
n° 220 du 22 juin 19646.Dès le départ, la consonance technique de
cette fonction s’affirma à telle enseigne qu’elle ne fut exercée que par
des technocrates7. Mais, au-delà du profil technique des cadres ayant
incarné la fonction de « SG » du gouvernement dans ses premières
années d’existence, il apparaissait que, placé sous l’autorité directe du
Président de la République, le SGG était conçu comme un organe de
travail, en matière administrative8. L’arrêté n° 732/PR-SGG du 1
er
juillet 19649en identifia, non seulement les attributions, mais
également les services. Fort de ces deux textes créant, et organisant, la
nouvelle structure administrative et technique, il ressortait que sa
principale mission consistait à assurer la liaison entre le Chef du
gouvernement et les différents départements ministériels. Le « SGG»
disposait ainsi des prérogatives à forte connotation technique telles
5Sur la nature des régimes, ou des systèmes, politiques en Afrique, voir Fortes (M) et Evans-
Pritchard (E-E), (1964), Les systèmes politiques africains, Paris, PUF ; Roy (M-P), (1977),
Les régimes politiques du Tiers-Monde, Paris, LGDJ et Gonidec (P-F), (1978), Les systèmes
politiques africains, Paris, LGDJ, 2ème éd. 6JORG, n° 19, 15 juillet 1964, p. 398. 7René Rodembinot-Coniquet et Paul Okumba d’Okwatségué, administrateurs civils, diplômés
de l’Institut de Hautes Études d’Outre-Mer (IHEOM), se succédèrent à cette fonction
jusqu’en 1968. 8 Article 2 du décret n° 220 /PR portant création et organisation du Secrétariat Général du
Gouvernement, op. cit. 9JORG, 1 er août 1964, p. 443.
8 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
que la préparation des Conseils des Ministres (CM). À ce titre, il lui
revenait d’harmoniser aussi bien l’ordre du jour, les convocations que
le compte rendu, et la mise en forme, des résolutions de cette instance
technique de concertation, et de finalisation, de la décision politique.
Le « SGG » assurait également la coordination, et le suivi, des
activités interministérielles. Aussi synchronisait-il les organes
techniques, et politiques, autour du Chef de gouvernement. Au plan
institutionnel, il affirmait la spécificité « technique » du gouvernement
par rapport au Président de la République. Bien que, politiquement, le
Président de la République fut toujours simultanément Chef de l’Etat,
et Chef du gouvernement, il semblait, néanmoins, que les institutions
du pouvoir exécutif apparaissaient, de plus en plus, distincts l’une de
l’autre. La création d’un Secrétariat Général à la présidence de la
République (SGPR), par le décret n° 00612/PR-MFP du 1er
décembre
1967, amplifiera cette différenciation technique au sein du couple
exécutif.
Trois ans après le gouvernement, la présidence de la République se
munissait également d’un Secrétariat Général. Historiquement et après
avoir exercé en tant Secrétaire Général du Gouvernement, René
Rademdinot-Coniquet, un administrateur civil, accéda à cette fonction
en 1968. Il officia alors comme le premier, et unique, « SG » de la
présidence de la République de 1968 à 1986. Perçu comme un organe
de coordination des services présidentiels, le « SGPR » intervenait
dans trois domaines principaux, à savoir le travail gouvernemental
interne, la diplomatie présidentielle et les relations institutionnelles.
Les attributions du « SGPR », en matière gouvernementale,
consistaient au suivi et à la préparation matérielle, et juridique, des
travaux du Conseil des Ministres, mais aussi au contrôle de
l’application des décisions prises par ledit Conseil ou, directement par
le Président de la République. Il lui incombait également d’assurer
l’enregistrement, la promulgation, la notification et la diffusion des
lois, ainsi que la conservation des originaux. Dans la diplomatie
présidentielle, le « SGPR » intervenait à deux niveaux : la gestion des
activités présidentielles aux échelles continentale et internationale,
d’une part, et de la liaison technique entre le Chef de l’État et les
missions diplomatiques gabonaises installées à l’étranger, d’autre part.
Concernant l’agenda continental du Président de la République, il
Fabrice NFOULE MBA 9
Humanitas, 11, 2012
revenait au « SGPR »d’étudier les affaires inscrites à l’ordre du jour
des Chefs d’État dans le calendrier des organisations sous régionales,
et continentales, à l’instar de l’Union Douanière et Économique de
l’Afrique Centrale(UDEAC) et l’Organisation de l’Unité Africaine
(OUA), etc. Au niveau international, le « SGPR » suivait directement
les questions discutées entre le Gabon et les organisations
économiques et financières internationales, à l’instar de la CEE,
l’AID, le FED, etc. Le traitement de la liaison technique entre le
Président de la République et les missions diplomatiques gabonaises,
amenait le « SGPR » à étudier, et à exploiter, les rapports périodiques,
adressés au Chef de l’État, non seulement par les chefs de missions
diplomatiques, mais aussi, et le cas échéant, par les chefs de
délégations en mission ponctuelle d’inspection, ou de travail, à
l’étranger. La liaison technique était également assurer au niveau
interne, à travers les rapports émanant des chefs de circonscriptions
territoriales comme les Préfets, les sous-Préfets, etc. L’implication du
« SGPR » dans les relations entre le Président de la République, et les
institutions constitutionnelles, se résumaient à l’entretien des
passerelles administratives et juridiques avec l’Assemblée Nationale
(AN), le Conseil Économique et Social (CES), etc. Au-delà des
attributions10
, la mise en place du « SGPR » ambitionnait une
meilleure organisation de l’administration présidentielle.
Intimement liée au Président de la République, et travaillant en étroite
collaboration avec le cabinet présidentiel et le Secrétariat Général du
Gouvernement, l’administration présidentielle intéressait, non
seulement les services, et autres entités techniques, de la présidence de
la République, mais aussi les personnels appelés à y faire carrière. On
n’y retrouvait, en 1968, aussi bien le Secrétariat du Conseil des
Ministres (SCM) qu’un service du protocole accompagnés de six
bureaux, chargés spécifiquement du traitement de certaines questions,
à l’instar des études juridiques, administratives et financières, le
courrier, le chiffre, la chancellerie, les études générales11
.L’enjeu,
pour les services, et autres organismes, rattachés à la présidence, était
10Pour plus d’informations sur les attributions du Secrétariat Général de la présidence de la
République, se reporter à l’arrêté n° 0097/PR-SGG-S, JORG, 15 février 1968, p. 101. 11 Article 4 de l’arrêté n° 0097/PR-SGG-SJORG, 15 février 1968, p. 101.
10 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
de disposer d’une instance de cohésion. Pour les personnels,
l’instauration du « SGPR » représentait une opportunité de gestion
permanente, et de suivi constant, des carrières. En plus des cadres
servant, à titre sporadique, et au gré des affectations ainsi que des
détachements, la présidence de la République avait alors toute la
latitude de recruter des agents qui lui étaient propres. À côté des
experts, et autres spécialistes, venant de la fonction publique, ou du
privé, s’ajoutaient des corps permanents de cadres, de techniciens, et
d’agents, de la présidence de la République relevant du Secrétariat
Général. Cela laissait entrevoir des perspectives de carrière, sinon,
définitives, du moins, à long terme.
Au plan institutionnel, il apparaissait que la présidence de la
République, en densifiant, et harmonisant, son armature
administrative, cessait d’être un simple « centre d’hébergement » pour
le Président de la République, son cabinet et certains services, ou
organes, qui lui étaient rattachés. Elle s’affirmait, bien sûr comme le
« logis » de la principale institution politique, mais également en tant
qu’appareil technique devant quotidiennement accompagner le
détenteur de la magistrature suprême dans certains aspects de son
action à la tête de l’État. Il lui revenait d’organiser les visites, et autres
voyages d’État, mais aussi de traiter certaines questions techniques ou
toutes autres initiatives présidentielles, en matière de politique
intérieure, voire de diplomatie. Ainsi, en plus d’un cabinet politique,
civil et militaire, la principale institution constitutionnelle se dotait
d’une administration, et des personnels permanents, dont la gestion, et
la cohérence, incombaient au « SGPR ». Ce rôle particulièrement
important faisait du « SG »de la présidence de la République l’un des
principaux collaborateurs du Chef de l’État. Toutefois, si
théoriquement, la différenciation« technique » entre les deux
composantes de l’exécutif politique se concevait aisément, dans la
pratique, il apparaissait que les évolutions proposées par l’introduction
des « SG » ne franchissaient pas certaines limites tant techniques que
politiques.
Simultanément réorganisés, par les arrêtés n° 0097, et n° 0098, du 27
janvier 1968, les Secrétariats Généraux de la présidence, et du
gouvernement, comprenaient chacun des services propres. L’un,
Fabrice NFOULE MBA 11
Humanitas, 11, 2012
comme l’autre, fut doté de bureaux d’études et de services techniques
spécialisés dans des domaines bien spécifiques12
. Au sein de la
présidence de la République, et du gouvernement, émergeaient deux
pôles, administratifs et techniques, dont le poids n’aura de cesse de
croître. Il s’agissait du début d’une transformation qui marquera
profondément, et graduellement, l’appareil gouvernemental gabonais.
Toutefois, la spécification technique des deux institutions du pouvoir
exécutif n’était pas totale. Elle semblait « incomplète » sur deux
points particuliers : la mutualisation des services entre le « SGG » et
le « SGPR », d’une part, et la matérialisation gouvernementale du
Président de la République, d’autre part. En effet, le cordon ombilical
n’était pas totalement rompu entre la présidence de la République et le
gouvernement. Les Secrétariats Généraux de ces deux instances
disposaient de services communs, à l’instar des bureaux d’études, du
bureau d’études juridiques, du bureau d’études et du bureau
administratif et financier ainsi que du bureau du courrier13
... Cette
mutualisation des services perpétuait, dans une certaine mesure, la
fusion du gouvernement et du Président de la République. Par ailleurs,
la pratique institutionnelle préconisant l’unicité de l’appareil
gouvernemental perdurait.
Politiquement, force était de constater, qu’au sommet, les deux
institutions du pouvoir exécutif14
avaient toujours tendance à se
confondre. Cette fusion se traduisait d’autant plus que la
matérialisation gouvernementale du Président de la République
s’affichait comme une constante du fonctionnement des institutions.
En plus des prérogatives de Chef de gouvernement, le magistrat
politique suprême pouvait également assumer des fonctions
ministérielles, entre autres, celles de Ministres des affaires étrangères,
12 L’arrêté n° 0097 du 27 janvier 1968 réorganisa le Secrétariat Général de la présidence de la
République en plusieurs bureaux. Dans la même année, l’arrêté n° 0098 dota le Secrétariat
Général du gouvernement d’un bureau du courrier, d’un bureau des archives et d’un service
du Journal officiel... 13 Article 11 de l’arrêté n° 0098/PR-SGG-S définissant les services et les attributions du
Secrétariat Général du Gouvernement, JORG, 15 février 1968, p. 102. 14 Le Président de la République et le Gouvernement.
12 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
de l’Intérieur, de l’Information et du Tourisme15
. Apparue de façon
évidente après le coup d’État militaire de février 1964, cette tendance
à la concentration du pouvoir16
se pérennisait en dépit de l’instauration
des Secrétariats Généraux. La composition des gouvernements laissait
constamment apparaître, non seulement des supers ministères
regroupant plusieurs départements confiés à des hommes de
confiance, mais aussi une forte inclinaison gouvernementale du
Président de la République. Cette « ministérialisation » présidentielle
touchait particulièrement les domaines jugés névralgiques pour la
gestion, et la conservation, du pouvoir. En 1968, par exemple, le
Président de la République fut, Chef du gouvernement, mais
également Ministre de la Défense nationale, des Affaires étrangères17
.
L’extension gouvernementale du Président de la République
s’accentua d’autant plus que la fonction de Ministre de la Défense
nationale, lui échut constitutionnellement, à partir de 197518
. Au-delà,
le Chef de l’État revêtit constamment, de façon sporadique et selon le
caractère stratégique de la question, certaines responsabilités
gouvernementales, entre autres, dans l’Aviation civile et commerciale,
en 197719
, l’Information et la Communication, en 1978. Cette
situation, qui résultait d’un présidentialisme excessif, engendrait un
pouvoir exécutif profondément monocéphal (Remondo 1987:67). Or,
ce monocéphalisme politique faisait du Président de la République,
bien sûr, le Chef de l’État, et du gouvernement, mais aussi le détenteur
de plusieurs portefeuilles ministériels sensibles ou stratégiques. La
persistance de ce phénomène prolongeait l’unicité de l’appareil
15 Le décret n° 75 du 25 février 1964, JORG du 25 février 1964, nous informe sur le fait que
le Président de la République assumait directement des charges ministérielles. 16 Sur la concentration du pouvoir au Gabon, voir Hervouet (M-F), (1983), « Le processus de
concentration des pouvoirs par le président de la République au Gabon », Penant, n° 779, p. 5. 17 La composition du gouvernement, déclinée par le décret n° 31 du 25 janvier 1968, JORG
du 15 février 1968, p. 100, laisse entrevoir que le Président de la République figure, non
seulement, dans le gouvernement, en tant que Chef de gouvernement, mais y exerce
également les fonctions de Ministres de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de
l’Information... 18La Constitution du 25 avril 1975 fait du Président de la République, le Ministre de la
Défense nationale de droit. 19Décret n° 147/PR du 24 février 1977 portant organisation du cabinet du Président de la
République, Chef de gouvernement, Ministre de la Défense nationale, Ministre de l’Aviation
civile et commerciale.
Fabrice NFOULE MBA 13
Humanitas, 11, 2012
gouvernemental. En cela, les modifications induites par les « SG », en
termes de distinction, même technique, entre le gouvernement et le
Président de la République, s’avéraient « partielles ». Pour autant, il
semblait indéniable que, si politiquement les institutions du pouvoir
exécutif demeuraient fortement reliées entre elles, techniquement et
avec des « SG »bien distincts, la présidence de la République, et le
gouvernement, esquissaient une disjonction qui n’eut de cesse de se
raffermir. Cela était d’autant plus plausible qu’une« dépolitisation »
de la coordination de l’action publique se profila à l’horizon.
1.2. Une« dépolitisation »nuancée
L’extrême présidentialisme induisait une tutelle directe du Chef de
l’État sur l’appareil politique et administratif. Il en découlait, entre
autres, une forte emprise présidentielle sur l’administration. Or, si
cette situation pouvait se justifier dans le contexte de sortie de la
colonisation, marqué par un déficit numérique des services techniques,
elle s’avéra, de plus en plus, inopérante avec la multiplication des
entités administratives après l’indépendance. À la fin des années
soixante, la prolifération des services techniques, étoffèrent
considérablement l’ossature de l’administration publique. En effet,
moins structurés que d’autres, certains ministères ne disposaient, au
début, que de très peu de service. Ce fut le cas du ministère de la
Santé20
dont l’administration se résumait, en 1967, à la seule Direction
des Services de Santé (DSS). Unique représentante de
l’administration, ladite direction n’en regroupait pas moins l’ensemble
des services du ministère de la Santé. Aussi, la« DSS »assumait-elle la
responsabilité technique d’un réseau, assez dense, de services et
d’unités de santé disséminés sur le territoire national. Néanmoins et le
temps passant, elle coordonnait un appareil administratif, assez
prolixe, incluant aussi bien les régions sanitaires, les équipes mobiles
que les centres de Protection Maternelle Infantile (PMI), les différents
établissements hospitaliers et les dispensaires21
. Cet épaississement
20Article 2 du décret n° 0023/PR-MSPP du 16 janvier 1967 portant organisation du ministère
de la Santé publique et de la Population. 21 Article 4 du décret n° 0023/PR-MSPP du 16 janvier 1967, portant organisation du ministère
de la Santé publique et de la Population.
14 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
institutionnel s’observait également dans d’autres départements,
comme le ministère de l’Intérieur22
dont l’administration se résumait,
en 1968, à deux directions. L’une, consacrée à l’Administration
Générale et, l’autre, à la Sûreté Nationale. Cet attelage, assez léger au
départ, s’agrandit avec la création d’une multitude de services
provinciaux et départementaux. À l’aune d’un découpage territorial
déclinant une myriade de circonscriptions administratives,
l’administration territoriale et locale déploiera, à partir de 1975,
plusieurs gouvernorats, préfectures et sous-préfectures. En considérant
les nombreux commissariats, et unités, de police, progressivement
installés à travers le pays, au titre de la Sûreté nationale, force était de
constater que le ministère de l’Intérieur assurait la tutelle d’un service
public large et varié. Bien que ne contestant, en aucune façon,
l’autorité du Président de la République, cette prodigalité des services
techniques questionnait, néanmoins, l’efficacité de sa tutelle directe
sur l’administration.
Située à un niveau trop élevé de la hiérarchie institutionnelle,
l’efficience d’une coordination des services publics, notamment
provinciaux, assurée directement par l’institution présidentielle prêta
sérieusement à caution. Elle apparaissait trop lointaine et globale,
voire extrêmement lourde pour une administration devenue très
consistante avec le temps. Par ailleurs, le fait que le Président de la
République s’immisçât dans« l’intendance » des services publics lui
faisait perdre de la hauteur. Clé de voûte des institutions, il importait
que le Chef de l’État se situât nettement au-dessus de la mêlée. Sans
totalement s’en désintéresser, il devait se départir de certaines tâches
techniques « mineures » pour se consacrer à sa mission au sommet de
l’État. Cette « hauteur» institutionnelle impliquait une déconcentration
de la gestion publique. Aussi le glissement de la coordination de
l’action publique vers un échelon administratif et technique, plus
adéquat, semblait-il une transformation inéluctable. Sans l’en
22 Décret n° 0135/PR-MI du 2 mars 1968 portant réorganisation du ministère de l’Intérieur.
Fabrice NFOULE MBA 15
Humanitas, 11, 2012
déposséder, cette évolution impliquait que le Chef de l’État
coordonnât désormais l’action publique en s’appuyant sur des
instances techniques et spécialisées. Dans un contexte de grande
instabilité23
des équipes et de l’armature ministérielle, les « SG »du
gouvernement, et de la présidence de la République, furent tout
désignés pour assurer cette mission de suivi. Leur consonance
technique, les prédisposait à harmoniser, non seulement le travail
gouvernemental et les activités de l’administration présidentielle, mais
aussi le fonctionnement, et l’organisation, des services des ministères.
Bien que demeurant dans le giron présidentiel, la coordination de
l’action publique leur incombera. Progressivement, l’introduction des
« SG »entrainait ainsi une « dépolitisation »de la coordination, et de
l’organisation, des services. On observait alors un relatif relâchement
de la tutelle présidentielle sur l’administration.
Techniquement, avec les « SG », la propension du Président de la
République à exercer une tutelle directe sur les services publics avait
tendance à s’estomper. Bien que conservant sa prééminence en tant
qu’organe de décision le plus important en matière d’administration24
,
le rôle du Chef de l’État dans l’action publique tenait désormais dans
l’impulsion des grandes orientations. Dès lors, la posture de Président-
gouvernant s’effaça, progressivement, au bénéfice d’une institution
gouvernementale, de plus en plus, responsabilisée dans la
concrétisation des politiques publiques. Cependant, si la tutelle
présidentielle se relâchait graduellement, il n’en fut pas de même de
23La période qui suit le coup d’État de 1964 et le retour au pouvoir du père de l’indépendance
ainsi que l’avènement du parti unique, est marquée par une instabilité chronique des
gouvernements. On note, entre 1965 et 1970, pas moins de trois remaniements ministériels
par an. Lorsqu’on considère que les changements au sein des gouvernements ne concernent
pas seulement le positionnement des Ministres, mais aussi les attributions des ministères, cela
produit une grande fluctuation institutionnelle qui ne manque pas de toucher la composition,
l’organisation et le fonctionnement des services publics. Ballotés, fréquemment, d’une
institution à une autre, la mission de service public, et les actions qui en découlent, manquent
alors cruellement de cohérence tant il devient difficile de maintenir le fil conducteur. 24Selon l’article 8 de la Constitution du 26 avril 1979, le Président de la République était le
détenteur suprême du pouvoir exécutif. Il conservait ainsi une forte emprise sur l’appareil
d’État, l’administration y compris. Chef des administrations civiles et militaires, il procédait
aux nominations des principaux responsables administratifs.
16 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
son emprise, et de son autorité, sur l’administration. Dans la pratique,
le Président de la République conservait le contrôle politique des
services civils et militaires. Il disposait toujours de l’administration
pour la concrétisation de son action à la tête de l’État. Par ailleurs,
l’idée d’une coordination de l’action publique totalement
« dépolitisée » au profit d’instances strictement techniques, et
administratives, méritait d’être fortement nuancée. En effet, si dans
leur organisation, les « SG » du gouvernement, et de la présidence de
la République, s’apparentaient bien à des organes techniques et
administratifs, leur fonctionnement laissait, néanmoins, entrevoir une
forte prégnance politique. Le rang systématiquement accordé aux
personnalités appelées à exercer ces fonctions en disait long sur leur
connotation politique. En effet, les« SG » de la présidence de la
République, et du gouvernement, disposaient d’un rang ministériel25
.
L’un, comme l’autre, siégeait même au gouvernement26
en tant que
Ministres27
. On pouvait alors s’interroger sur l’ampleur de la
« dépolitisation »déduite par des instances, certes techniques et
administratives, mais arborant une consonance politique assez
marquée du fait de leurs qualité et rang de membres du gouvernement.
Toutefois, cela ne remettait pas fondamentalement en cause les
évolutions induites par les « SG » au sein des deux institutions
incarnant le pouvoir exécutif.
Malgré les écueils, et autres résistances techniques, et politiques, il
semblait indéniable que la création des « SG » du gouvernement, et de
la présidence de la République, participa d’une « décongestion » de la
gestion publique. Celle-ci vit le Président de la République, et le
25 Le fait que le Secrétaire Général du gouvernement, comme l’indique l’article 5 du décret n°
24/PR du 11 janvier 1968 portant création du Secrétariat Général du Gouvernement, JORG,
1er février 1968, p. 59, reçoive délégation de signature du Chef de gouvernement suppose
qu’il dispose d’un rang ministériel. 26L’article 5 du décret n° 7/PR du 5 janvier 1980 portant organisation de la présidence de la
République informe sur le fait que le Secrétaire Général de la présidence de la République
portait, non seulement le titre de Ministre, mais qu’il siégeait également au gouvernement. 27 Avant d’arborer le titre de Ministre d’État dans les années quatre-vingt, le « SG » de la
présidence de la République apparaît, officiellement, dans le gouvernement en tant que
Ministre à partir de 1970. Le « SG » du gouvernement, quant à lui et après avoir bénéficié des
rangs, et prérogatives ministériels, à la fin des années soixante, figure dans l’organigramme
du gouvernement comme Ministre, dans les années quatre-vingt.
Fabrice NFOULE MBA 17
Humanitas, 11, 2012
gouvernement, amorcer une transformation qui n’aura de cesse de les
distinguer l’une de l’autre. Arguant de cela, les « SG » annonçaient
une division « technique » entre les deux institutions du pouvoir
exécutif. Théoriquement, cela occasionna une distribution, plus claire,
des rôles au sein de l’appareil gouvernemental. Conforté dans la
définition, et l’impulsion, des grandes orientations de la politique
nationale et internationale, le Président de la République était doté
d’un « attelage » technique et administratif conséquent, mais aussi des
personnels permanents, et spécialisés, dont la mission était de
l’accompagner au quotidien. Venant en appui, et pourvu d’un organe
de coordination de son action, le gouvernement se chargeait de la
matérialisation sectorielle des politiques publiques. Il disposait ainsi,
techniquement, de l’administration. Après avoir ciblé les deux
principales composantes du pouvoir exécutif, les Secrétariats
Généraux s’étendront à l’appareil ministériel. Quels en furent les
impacts?
2. L’introduction des « SG » dans les ministères (1965-1986)
En dépit de certaines expérimentations antérieures, mais parfois
éphémères28
, au milieu des années soixante, l’absence de Secrétariat
Général en tant qu’organe administratif, et technique, chargé
spécifiquement de la coordination, et de l’organisation, des services
techniques, se faisait particulièrement sentir dans les ministères. La
notion « d’administration centrale », ou de services centraux, ne
paraissait pas suffisamment élaborée. Cela posait d’énormes
problèmes dans la liaison entre les services administratifs, d’une part,
et les cabinets ministériels, d’autre part. Chaque service technique
devait, individuellement, transmettre ses dossiers au cabinet pour
vérification. Au regard d’une évolution marquée par une
multiplication, et une diversification, des services, observées au début
28 Le département de l’Information et du Tourisme, rattaché au Président de la République fut
bien doté d’un Secrétariat Général, en 1962. Mais introduit par la loi n° 38-62, supprimant la
Direction de l’Information et créant un Secrétariat Général de l’Information et du Tourisme,
publiée au JORG, n° 2, 15 janvier 1963, p. 62, ledit « SG » fut supprimé, en 1964, par le
décret n° 234/PR-MITPT du 9 juillet 1964, paru au JORG, 15 juillet 1964, p. 413. Trop
éphémère, il n’aura vécu que deux ans.
18 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
des années soixante-dix, cela était susceptible de créer une certaine
anarchie. Il importait de doter les ministères d’organismes techniques,
et administratifs, pouvant assurer, non seulement la coordination des
services, mais aussi l’interface entre les cabinets ministériels et
l’administration. C’est dans ce dessein que la fonction de Secrétaire
Général fut expérimentée dans les ministères. Il en découla, d’une
part, une dualité institutionnelle des ministères et, d’autre part, une
plus grande affirmation de l’administration centrale.
2.1. Une dualité institutionnelle« atténuée » (1968-1976)
L’année 1968 vit la fonction de Secrétaire Général introduite,
officiellement, dans les ministères. L’organisation, et le
fonctionnement, des instances ministérielles en furent profondément
affectés. Deux Secrétariats Généraux, aux Affaires économiques29
et à
l’Éducation nationale30
, furent effectivement institués. Alors qu’au
ministère des Affaires économiques, Albert Chavihot, puis Paul
Moukambi, administrateurs civils, officièrent comme les deux
premiers Secrétaires Généraux, à l’Éducation nationale, en revanche,
Pierre Ambourouet Demba, professeur licencié, assuma cette fonction,
en 1969, alors que Marcel Ibinga Magwangou, l’exerça en 1973.
D’autres ministères, à l’instar des Finances,du Travail, de l’Intérieur et
des Affaires étrangères…, emboîtèrent le pas un peu plus tard. Ainsi,
l’intégration du Secrétariat Général au ministère des Finances, et du
Budget, s’opéra en 196931
.Dès 1972, on retrouve les traces d’un
Secrétaire Général en la personne de François-Xavier Moundjiegou,
au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale. Cette fonction
figura, officiellement, dans l’organigramme du ministère de l’Intérieur
29Décret n° 0076/PR-MAEDPME du 22 février 1968, portant création d’un Secrétariat
Général au ministère des Affaires économiques, du Développement, du Plan, des Mines et de
l’Énergie, définissant les attributions et fixant les traitements et indemnités du Secrétaire
Général, JORG, 15 mars, 1968, p. 175. 30Décret n° 807/PR-MENSC portant création d’un Secrétariat Général au ministère de
l’Éducation nationale et ses attributions. 31Décret n° 125/PR du 6 février 1969 portant création d’un Secrétariat Général au ministère
des Finances et du Budget et en fixant les attributions.
Fabrice NFOULE MBA 19
Humanitas, 11, 2012
en 1972 pour en coordonner et organiser les activités32
.En dépit de
quelques expérimentations antérieures33
, il semble qu’on ne peut,
véritablement, situer l’existence effective d’un Secrétariat Général aux
Affaires étrangères, en tant que ministère autonome, jouissant
totalement de ses prérogatives, et assumant la pleine tutelle sur ses
services, qu’en 197634. En effet, l’insertion d’un Secrétariat Général
aux Affaires étrangères, avant 1976, intervint dans une configuration
très éparse du ministère des Affaires étrangères. Incorporé, après le
coup d’État de 1964, à la présidence de la République, au même titre
que d’autres ministères stratégiques comme la Défense nationale et
l’Information, les attributions de ce ministère n’eurent de cesse d’être
« dispersées » du milieu des années soixante au début des années
soixante-dix. Aussi, en 196835
, la composition du gouvernement
déclinait-elle, non seulement un ministère d’État, chargé de
l’Ambassade du Gabon en France36
, mais aussi un ministère délégué à
la présidence de la République, chargé des Affaires étrangères37
. Les
Affaires étrangères ne réapparaitront, comme département ministériel
autonome, qu’en 196938
. Cependant, même en tant que ministère
plein, et élargi à la Coopération, il faisait constamment l’objet d’un
«saucissonnage» consistant, entre autres, en une « absorption » de ses
prérogatives, et de ses services, par la présidence de la République, à
travers le rattachement directe de certaines missions diplomatiques, à
32 Décret n° 637/MI-RA SVPG-CAB du 3 mai 1973 portant création d’un Secrétariat Général
au ministère de l’Intérieur, JORG, 1er-15 mai 1973, p. 359. 33En observant les décrets de nomination, on retrouve les traces d’un Secrétariat Général aux
Affaires étrangères en 1965. Avant leur rentrée respective au gouvernement, des personnalités comme Pierre Mebaley, Inspecteur du travail, et André Mintsa, administrateur
civil, ont effectivement assumé la fonction « SG » des Affaires étrangères avant 1976. en
1965. Dans le même registre de l’exercice de cette fonction avant 1976, Athanase Bouanga,
inspecteur du primaire, fut « SG » en 1968. 34Article 5 du décret n° 00774/PR/MAEC du 25 août 1976 portant attributions et organisation
du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération. 35 Décret n° 31/PR fixant la composition du gouvernement, JORG, 15 février 1968, p. 100. 36 George Rawiri, assuma cette fonction de Ministre d’État, chargé de l’Ambassade du Gabon
en France, jusqu’à sa suppression dans les années soixante-dix. 37 Dans ce gouvernement, Paul Malékou, exerça la fonction de Ministre délégué à la
présidence de la République, chargé de la Coordination et des Affaires étrangères. 38 Ministre de la Fonction publique dans les précédents gouvernements, Jean Rémy Ayenoué
fut la première personnalité à être Ministre des Affaires étrangères et à la Coopération à part
entière après le coup d’État de 1964.
20 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
l’instar de l’Ambassade du Gabon en Côte-d’Ivoire39
, de celle en
Belgique et auprès de la CEE, à la présidence de la République. Cette
instabilité institutionnelle rendait l’existence d’un Secrétariat Général
problématique. Il était, en effet, difficile d’imaginer une action de
coordination, et d’organisation, des services depuis le Secrétariat
Général d’un ministère dont la structure, et les attributions, fluctuaient
constamment ou étaient, fréquemment,« absorbées »par la présidence
de la République. Aussi considérons-nous que, dans un contexte de
présidentialisation extrême, il est plus probable que l’harmonisation
des services et des activités du ministère des Affaires étrangères ait
relevé, en réalité, des Secrétariats Généraux du Gouvernement (1964
et 1966), puis de la présidence de la République (1967-1975).Au-delà
de la datation, quant à l’instauration du Secrétariat Général aux
Affaires étrangères, il restait que dans les ministères, ainsi identifiés et
d’autres probablement, l’introduction des « SG » affirma l’existence
de l’administration centrale en tant qu’entité distincte, et mieux
affirmée, par rapport aux cabinets ministériels. En effet, dans les
ministères, les Secrétariats Généraux regroupèrent l’ensemble des
services techniques centraux et extérieurs ou provinciaux. Ces
regroupements des services au sein d’entités uniques marquèrent, plus
fortement, la présence des services centraux dans l’organisation, et le
fonctionnement, des ministères. Alors que jusque-là, les départements
ministériels se caractérisaient par l’existence des cabinets ministériels
englobant, à la fois, les collaborateurs des Ministres (Directeurs de
cabinets, Conseillers, Chargés de missions…) et les services
techniques (directions et inspections générales, directions des
services…), les Secrétariats Généraux donnaient plus de visibilité aux
administrations centrales. Celles-ci se présentaient désormais comme
des organismes, sinon autonomes et neutres, du moins bien
spécifiques et cohérents. Il en résultait une hybridité institutionnelle
qui distinguait très nettement les cabinets ministériels, d’une part, et
les services administratifs et techniques, d’autre part.
Les « SG » rééquilibraient l’organisation des ministères. Aux
anciennes structures ministérielles hypertrophiées, dominées par les
39 Le décret n° 0068 /PR du 19 février 1968, portant rattachement à la présidence de la
République de l’Ambassade du Gabon en Côte-d’Ivoire, JORG, 5 mars 1968, p. 172.
Fabrice NFOULE MBA 21
Humanitas, 11, 2012
cabinets, succédaient des armatures binaires consacrant la cohabitation
des cabinets, et des services, en tant qu’organes bien distincts les uns
des autres. Au milieu des années soixante-dix, les organigrammes des
ministères déclinaient alors, et systématiquement, deux structures
principales, à savoir le cabinet et les services. Au ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération, par exemple, cette dualité se
matérialisait, en 197640, par l’identification d’un cabinet du Ministre,
d’une part, et d’une administration centrale accompagnée de plusieurs
services extérieurs, d’autre part. Sous les auspices d’un Directeur, le
cabinet officia, bien sûr comme un organe politique et technique de
conception, mais également et surtout de transmission des
instructions, ou directives, ministérielles (Schrameck 1995).
Regroupés sous la coupole d’un Secrétaire Général, les services
administratifs se limitèrent, quant à eux, à un rôle essentiellement
technique consistant, pour les services centraux, en un travail de
conception censé aiguillonner les autorités politiques dans la prise de
décisions (Gohin 2006). Il leur revenait de concevoir, et de produire,
aussi bien la législation que la règlementation devant régir divers
secteurs d’activités. Localisée à Libreville, capitale administrative et
politique, l’administration centrale du ministère des Affaires
étrangères se déclinait en Directions Générales, Directions et
Divisions… regroupées au sein du Secrétariat Général. Déployés hors
du territoire national, les services extérieurs, quant à eux,
apparaissaient comme des prolongements, à des échelons
administratifs, et hiérarchiques, inférieurs, à savoir les Ambassades,
les Représentations dans les organismes internationaux ou sous
régionaux et les Consulats... Ces services extérieurs appliquaient, non
seulement, la législation et la réglementation adoptées, mais
exécutaient aussi les instructions des autorités politiques transitant par
l’administration centrale. Toutefois, l’hybridité institutionnelle
préconisée par l’introduction des Secrétariats Généraux dans les
ministères paraissait« inachevée ».
La mise en place des Secrétariats Généraux dans les ministères fut
lente et progressive. Elle procédait d’un processus dont l’application
40Article 5 du décret n° 00774/PR/MAEC du 25 août 1976 portant attributions et organisation
du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération.
22 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
était insuffisante. Sur une période allant de 1968 à 1976, soit huit
années, six ministères41
furent effectivement dotés des Secrétariats
Généraux. Même si cette liste de départements ministériels disposant
de « SG » est loin d’être exhaustive, son caractère restreint suppose
que plusieurs ministères en restaient dépourvus. L’organisation, et le
fonctionnement, du ministère des Eaux et Forêts, en 1968, et de celui
des Transports et de l’Aviation civile, en 1970, étaient, entre autres,
des exemples emblématiques de cette situation. En 1968,
l’administration des Eaux et Forêts englobait, à la fois, le cabinet du
Ministre, un Conseiller administratif, un Conseiller technique et une
Direction des Services des Eaux et Forêts (DSEF)42
. Ce
fonctionnement, et cette organisation, en une structure unique
suscitaient une confusion entre le cabinet du Ministre et les services
techniques. En effet, l’on passait, directement du cabinet du Ministre
aux cinq services techniques43
déclinés au sein de l’unique direction
du ministère. Au ministère des Transports et de l’Aviation civile44
aucune instance technique, ou politique, n’existait entre le cabinet du
Ministre et les trois directions chargées respectivement des
Transports, de l’Aéronautique civile et de la Météorologie nationale.
Dans l’un, ou l’autre, des cas, « l’arrimage »des services techniques
aux cabinets ministériels était symptomatique du manque d’organe de
coordination. De ce fait, il n’y avait pas de frontière ni de distinction,
non seulement entre le cabinet et l’administration centrale, mais aussi
entre les services centraux, d’une part, et les services provinciaux,
d’autre part. Ces exemples, parmi d’autres, incitaient à penser que
l’introduction des « SG » dans les ministères était « partielle ». Elle ne
touchait pas le dispositif ministériel dans son ensemble. Or, cette
inexistence des Secrétariats Généraux dans plusieurs ministères
41 Affaires économiques, Éducation nationale, Finances et Budget, Travail, Intérieur et
Affaires Etrangères. 42 Article 4 du décret 0030/PR-MEF-SF portant modification de l’organisation et des
attributions du ministère des Eaux et Forêts, JORG, 1er mars 1968, p. 131. 43Le service de la gestion de la forêt, le service de la chasse, pêche et pisciculture, le bureau
d’études, le service du personnel et de la comptabilité, le service de l’assistance technique aux
exploitants gabonais sont déclinés comme faisant partie de la Direction des services par
l’article 9 du décret 0030/PR-MEF-SF portant modification de l’organisation et des
attributions du Ministère des Eaux et Forêts,op. cit. 44 Décret n° 461/PR du 20 mars 1970 portant organisation et attributions du ministère des
Transports, de l’Aviation civile et commerciale.
Fabrice NFOULE MBA 23
Humanitas, 11, 2012
atténuait considérablement la portée de l’hybridité institutionnelle
ainsi envisagée. Il en résultait une prééminence du cabinet sur les
services administratifs.
À la fin des années soixante, les conditions de création des
Secrétariats Généraux dans les ministères étaient très drastiques, voire
restrictives. Seuls les ministères justifiant de trois Directions
Générales, au moins, pouvaient en disposer. En-deçà, la coordination
des services, et de leurs activités, s’exerçait depuis le cabinet des
Ministres. Au regard de la jeunesse de l’appareil administratif au
Gabon, cela réduisait considérablement le nombre des départements
ministériels pouvant prétendre à un Secrétariat Général. Or, ne
revendiquant qu’une, ou deux, Directions Générales, plusieurs
ministères ne remplissaient pas ce critère. Aussi, le fonctionnement, et
l’organisation, de nombreux ministères prêtaient-ils le flan à une
coordination des services assumée par l’autorité ministérielle, par le
canal des Directeurs de cabinets. On pouvait, sur ce fait, avec Zacharie
Myboto, évoquant son expérience dans cette fonction au ministère des
Eaux et Forêts, de 1968 à 1971, alléguer que la coordination des
différentes directions du ministère incombait, en réalité, du Directeur
de cabinet (2005: 54-55). Abondant dans le même sens, pour ce qui
est du ministère des Affaires étrangères, Éric Joël Bekalé, précisait
que le travail du Directeur de cabinet permettait aux services de
fonctionner, sans discontinuité (2010: 23). Postulant clairement une
prédominance des cabinets sur les services centraux, les analyses de
ces deux praticiens de la haute administration au Gabon identifiaient
la coordination des services comme une des attributions des
Directeurs des cabinets ministériels. Ceux-ci se présentaient alors, non
seulement comme de simples éléments de coordination des services,
mais également de continuité de l’action publique. Pourtant, si la
proximité avec l’autorité politique de tutelle pouvait conférer une
certaine primauté aux cabinets sur les services centraux, il était en
revanche légitime de s’interroger sur la réelle capacité d’un organisme
politique, dont les membres n’avaient pas vocation à durer, à assurer
efficacement la continuité de l’action publique. En effet, Guy Hernet
et Bertrand Badie percevaient les cabinets comme étant l’
24 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
entourage immédiat d’un Ministre, formé de fonctionnaires,
d’experts ou de cadres politiques nommés, à sa discrétion, pour la
durée de ses fonctions (2010: 40).
L’espérance de vie des membres d’un cabinet était, en général, brève.
Rattachés aux Ministres, leurs carrières en suivaient les itinéraires qui,
au gré des remaniements ministériels, étaient ponctués de moult
affectations gouvernementales ou d’arrêt définitif. Toutefois, et en
dépit des réserves que pouvaient susciter les perceptions, ainsi
présentées, des rapports cabinets-services centraux, il n’en demeure
pas moins qu’elles confirmaient la prépondérance des cabinets dans
les ministères au Gabon au milieu des années soixante-dix au début
des années quatre-vingt. Cette prééminence politique prétextait une
« absorption » des prérogatives techniques de l’administration centrale
par les cabinets. En plus d’organiser la liaison avec la présidence de la
République, la Primature et les autres ministères, les cabinets avaient
tendance à contrôler le niveau, et la qualité, des prestations des
services. L’administration centrale s’en retrouvait affaiblie. Ses
services, et activités, étaient coordonnés par un organe politique et
technique extérieur. Cette faiblesse de l’administration dans les
ministères manquant de Secrétariats Généraux, nuançait
considérablement la dualité institutionnelle. Pour autant, et
systématiquement, attenant aux cabinets des Ministres,
l’organigramme des ministères des Affaires économiques, de
l’Éducation nationale, des Finances, et des Affaires étrangères…,
comprit, systématiquement, un Secrétariat Général regroupant les
services centraux, et déconcentrés, de l’administration. Au-delà de
l’exacerbation de la distinction entre le politique, incarné par le
cabinet, et l’administration, représentée par les services techniques, le
déploiement des Secrétariats Généraux dans ces quatre ministères
marqua l’affirmation d’une instance technique, et administrative,
placée, néanmoins, dans une situation statutaire assez particulière.
2.1.1. Une autorité à la prééminence ambiguë
L’organisation des ministères, entre 1965 et 1967, souffrait de
l’absence d’instance de coordination des services techniques centraux
Fabrice NFOULE MBA 25
Humanitas, 11, 2012
et déconcentrés. En effet, si les cabinets ministériels avaient
automatiquement à leur tête un Directeur, chargé de l’animation, et du
suivi du travail, non seulement des Conseillers, mais aussi d’autres
collaborateurs des Ministres, la coordination des services centraux, et
extérieurs, n’était pas assurée partout. Face à un cabinet prééminent,
l’effacement de l’administration centrale était d’autant plus criard que,
dans plusieurs ministères, de nombreux services techniques
apparaissaient extrêmement cloisonnés.
En 1965, l’administration du ministère de l’Agriculture se résumait à
l’unique Direction de l’Agriculture, de l’Élevage et des Industries
Animales (DAEIA)45
. La situation était similaire dans plusieurs autres
ministères. En règle générale, l’administration déclinait plusieurs
services techniques autant isolés que séparés les uns des autres. Le
fonctionnement des ministères souffrait alors du manque d’une entité
administrative, et technique, spécifiquement consacrée à la
coordination, et à l’organisation, des services. Mais, si, au début des
années soixante, cette situation convenait dans un contexte où les
services centraux, et extérieurs, des ministères tenaient dans une seule
ou deux structures administratives, elle se révéla, plus tard,
particulièrement incommodante avec la multiplication des services
techniques.
À la fin des années soixante-dix, l’appareil administratif gabonais
dévoilait une multitude de directions, d’inspections, et de subdivisions
provinciales ou régionales, notamment dans les domaines des Travaux
publics, du Trésor, des Douanes, etc. C’est dans cet esprit, qu’en plus
d’une administration centrale incluant une Inspection et une Direction
générales, en 1984, le ministère du Travail et de l’Emploi46
mobilisait
plusieurs services déconcentrés. Ceux-ci se déclinaient en Directions
et Inspections Provinciales du Travail, de la Main d’œuvre et de
l’Emploi, réparties dans l’ensemble du territoire national. Au regard
des multiples circonscriptions administratives, destinées à accueillir
les nombreux démembrements locaux des différents départements
45 Article 10 du décret n° 311/PR-MIN-AEER du 8 octobre 1965 portant réorganisation du
ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de l’Économie rurale. 46 Décret n° 211/PR/MTE du 6 février 1984 portant attributions et organisation du ministère
du Travail et de l’Emploi.
26 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
ministériels, il était évident qu’il en résulterait un appareil
administratif, et technique, exubérant. Or, cette prolixité des services
techniques extérieurs densifiait considérablement l’ossature de
l’administration. Il fallut alors disposer d’organes spécifiques pour
coordonner, et harmoniser, ses activités. Aussi, bien que « partielle »,
l’avènement des Secrétariats Généraux engendra-t-elle une
« autorité » administrative majeure. L’une des attributions du « SG »
dans les ministères était de coordonner, et de contrôler, l’activité de
l’ensemble des directions et des services47
. En considérant cette
déclinaison générique des compétences du « SG » par le décret n° 807
de 1968, il ressortait que les Secrétariats Généraux, expérimentés à la
fin des années soixante dans les ministères, étaient avant tout des
organes de coordination, chargés de la cohésion du travail
administratif. Mais, le fait aussi de «contrôler» les directions, et autres
services, impliquait que leurs prérogatives débordèrent largement le
cadre restreint de l’harmonisation technique. À ces compétences
s’ajoutait donc une multitude d’autres attributions érigeant les « SG »
en piliers de la continuité de l’action publique. Cela se faisait
particulièrement ressentir dans la régulation des flux des personnels de
l’administration centrale et des services extérieurs. En effet, le « SG »
devait tenir un rôle prééminent dans les affectations, et autres
mutations, des agents publics des différents ministères. Aussi,
s’apparentaient-ils à des« sas » de décompression, notamment pour les
fonctionnaires, et les contractuels, regagnant leurs administrations
d’origine après une période de détachement. Sans déboucher sur
l’émergence d’une instance concurrente, ou gênante, pour la tutelle
politique, les attributions des « SG » en faisaient les premiers
responsables des services administratifs. Cela ne manqua pas de
raffermir la notion d’administration centrale.
En coordonnant les services, et en régulant, les mouvements des
agents de l’État, les Secrétaires Généraux consolidaient
l’administration centrale. Dorénavant dotée d’une « autorité » garante
de son harmonisation, celle-ci était alors en mesure de garantir
efficacement la continuité de l’action publique. Pour les services
47 Cette prérogative apparaît clairement dans le décret n° 807/PR-MENSC portant création
d’un Secrétariat Général au ministère de l’Éducation nationale et ses attributions.
Fabrice NFOULE MBA 27
Humanitas, 11, 2012
techniques extérieurs, ou provinciaux, il s’ensuivra une « tutelle »
administrative cohabitant, bien que subordonnée, à la tutelle politique.
Incarnée, et exercée, par les Secrétaires Généraux, celle-ci marquait
plus fortement la présence de l’administration centrale dans les
ministères. Bien que ne réfutant pas fondamentalement la primauté de
la tutelle politique sur les services déconcentrés, cette nouvelle
articulation portait en elle les ferments, sinon d’une autonomie, du
moins d’une plus grande affirmation des services centraux.
L’administration centrale recouvrait ainsi certaines de ses prérogatives
techniques.
La mise en place des « SG » dans les ministères augurait d’un
transfert de certaines attributions techniques, auparavant inhérentes
aux directions des cabinets vers les services centraux. Naguère
orchestrée depuis les cabinets des Ministres, la coordination des
services centraux, et extérieurs, releva désormais, et exclusivement,
des Secrétaires Généraux. Positionnés à l’interface des services
techniques et des cabinets, les « SG » assuraient la liaison entre ces
deux composantes des ministères. Cela occasionna un rééquilibrage
institutionnel qui verra l’administration mieux afficher sa présence sur
les questions techniques. Bien que subordonnée aux autorités
politiques, l’introduction des « SG » exhortait la consonance
technique de l’administration centrale. Celle-ci devait désormais, non
seulement coordonner les services extérieurs, ou provinciaux, mais
aussi en canaliser les activités et les actions. Au-delà, de la cohésion,
les « SG » jouaient aussi un rôle d’interface particulièrement
important entre les autorités politiques et leurs cabinets, d’une part, et
les services centraux et extérieurs ainsi que les établissements sous
tutelle, d’autre part. Il leur revenait de transmettre les instructions, et
autres directives, des autorités politiques aux différents échelons
administratifs et de veiller à l’application de celles-ci. Au total, les
Secrétariats Généraux des ministères suscitèrent l’existence d’une
administration centrale, en tant qu’entité distincte, devant néanmoins
trouver sa place entre les Ministres et leurs cabinets respectifs.
Toutefois, au plan statutaire, la situation du « SG » dans les ministères
comportait des ambiguïtés qui ne manquèrent pas d’affaiblir sa
position.
28 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
Les attributions des « SG » devaient, en principe, leur conférer une
autorité sur les services techniques dont ils apparaissaient
indubitablement comme les premiers responsables administratifs.
Pourtant, en dépit d’un rôle perçu comme prééminent, leur situation
statutaire était assez « minorée ». Le statut des « SG » des ministères
équivalait à ceux des responsables administratifs des échelons
inférieurs. Au ministère des Finances, et du Budget, par exemple, le
« SG » avait rang de Directeur d’administration centrale48
. Même s’il
s’agissait, à l’époque, du palier le plus élevé de l’administration en
termes d’échelon, et de fonction, cela posait un problème flagrant
d’hiérarchisation entre les services centraux. Considéré au même
niveau qu’une Direction des services, le Secrétariat Général de
ministère ne se démarquait pas vraiment des autres échelons de
l’administration centrale. Cette situation statutaire« amoindrie »
compromettait sa primauté sur les autres paliers administratifs et
techniques. Appelés à se prévaloir d’une position prépondérante dans
l’organisation, des départements ministériels, et le fonctionnement des
services, les « SG » étaient ainsi dépourvus d’autorité. Il semblait que
cette fonction était conçue comme un simple élément d’harmonisation
technique. Sur ce point, la réforme introduisant les Secrétariats
Généraux dans les ministères apparaissait « inachevée ». Sinon,
comment comprendre que des organes chargés de la cohésion des
services, et du contrôle de leurs activités, aient bénéficié d’un statut
égal à celui des organismes censés être sous leur autorité ? Ainsi
présentés, les « SG » des ministères ne jouissaient d’aucune
prépondérance sur les autres échelons administratifs centraux. Il
importait alors de régler cette question d’échelonnage hiérarchique en
mettant les « SG » un cran au-dessus des autres paliers de
l’administration centrale. Par ailleurs, la définition des missions, aux
contours trop généraux, suscitait une confusion parmi les services
centraux.
La coordination des services et organisation des activités, attributions
phares des Secrétariats Généraux, n’apparaissait point comme leur
48 Article 3 du décret n° 125/PR du 6 février 1969, portant création d’un Secrétariat Général
au ministère des Finances et du Budget et en fixant les attributions.
Fabrice NFOULE MBA 29
Humanitas, 11, 2012
prérogative principale. Elle se diluait dans une foule d’autres charges
aussi diverses que variées. En effet, les « SG » devaient veiller
au suivi de la gestion des crédits budgétaires, à l’élaboration et à
l’application de la législation49
. Ils intervenaient aussi dans la
préparation des missions des Ministres. Il leur revenait également
d’assurer la liaison entre les services techniques et les cabinets
ministériels. Cette multiplicité des missions attisait une confusion
dans la distribution des rôles entre les différents échelons de
l’administration centrale. Dans une certaine mesure, les « SG » étaient
conçus comme des structures concurrentes, non seulement des
Directions et Inspections Générales, mais aussi des Directions et
autres Services. Cette rivalité avec les autres composantes de
l’administration centrale entravait largement la prédominance
supposée des « SG ». Le statut de premier responsable administratif,
devant normalement leur échoir, se retrouvait contesté. Mal
circonscrites, les prérogatives, au demeurant floues des « SG », ne leur
permettaient pas de consolider leur posture d’échelon le plus élevé de
l’administration centrale. Ils se présentaient comme de simples
services centraux venant alourdir l’organisation, et le fonctionnement,
de l’administration centrale préexistante. Mais, au-delà des écueils,
sur la position hiérarchique, et la délimitation des missions, il n’en
restait pas moins que l’introduction des « SG » marqua
structurellement l’organisation, et le fonctionnement, des ministères.
Ceux-ci, même en balbutiant, évoluèrent vers une hybridité
institutionnelle désignant systématiquement les « SG » comme les
coordonateurs des services administratifs et affirmant plus fortement
la présence, et le rôle, de l’administration centrale. La mise en place
du Secrétariat Général de la Primature constitua un des points d’ogre
de cette métamorphose institutionnelle.
49 Ces prérogatives sont déclinées Décret n° 0076/PR-MAEDPME du 22 février 1968, portant
création d’un Secrétariat Général au ministère des Affaires économiques, du Développement,
du Plan, des Mines et de l’Énergie, définissant les attributions et fixant les traitements et indemnités du Secrétaire Général, JORG, 15 mars, 1968, p. 175, mais aussi le décret n° 125/PR du 6 février 1969 portant création d’un Secrétariat Général au ministère des Finances
et du Budget et en fixant les attributions.
30 L’introduction des Secrétariats Généraux…
Humanitas, 11, 2012
2.2. Un « SG » à l’influence limitée (1981-1986)
C’est la réforme constitutionnelle du 22 août 1981 qui octroya au
Premier Ministre (PM), les attributions de Chef de gouvernement. Il
faudra, pourtant, attendre 1986 pour que les pratiques institutionnelles
se conforment aux indications constitutionnelles. C’est finalement
cinq ans après que le « PM » exerça, effectivement, la prérogative de
Chef de gouvernement. Mais, en désignant le « PM »50
comme étant le
premier responsable de la concrétisation de la politique imprimée par
le Président de la République, le décret du 7 avril 198651
, lui accordait
des attributions assez élargies sur l’administration publique et ses
agents. Ce texte le responsabilisait, en effet, dans le fonctionnement et
l’organisation des services publics, mais aussi dans la gestion de leurs
personnels. Le « PM » disposait ainsi, techniquement, de
l’administration et des agents civils de l’État. Il lui incombait de
réguler les situations administratives52
ponctuant l’évolution de la
carrière dans la fonction publique. La matérialisation de cette mission
impliquait la mise en place d’une instance à même d’assurer, non
seulement la coordination des services techniques de la Primature,
mais aussi la liaison entre la Primature et les différents services
centraux de l’administration, en général. Ainsi consacré dans ses
nouvelles attributions, il importait, pour le « PM », de requérir la
collaboration des services techniques pour l’aider dans les missions
qui lui étaient désormais assignées. Cette nouvelle dimension du
« PM »53
suggérait un renforcement de l’architecture technique de
50La fonction de Premier Ministre fut introduite au Gabon en 1959 comme principal
institution du pouvoir exécutif. Elle a existé dans cette configuration jusqu’en 1960 avant que
la Constitution du 21 février 1961, en consacrant le Président de la République, ne lui
substitue le ou les vices présidents du gouvernement. Elle réapparaît en 1975. Dès lors, elle
évolue dans le sens d’une consolidation qui accentue la bipolarité du pouvoir exécutif. 51En plus des prérogatives sur l’administration, et ses personnels, le décret n° 380 du 7 avril
1986 confortait le Premier Ministre aussi bien dans la direction de l’action gouvernementale,
la coordination gouvernementale en matière législative que l’exécution des lois et l’exercice
du pouvoir réglementaire, l’exercice occasionnel et la délégation des pouvoirs présidentiels. 52Intégrations, engagements, titularisations, confirmations, changements de corps et de
positions, promotions de classe et de grade, radiation, mise à disposition, retraite, etc.) 53Avant 1986, le Premier Ministre n’avait pas les attributions de Chef de gouvernement. Sur
la consonance, la place et l’évolution de la fonction de Premier Ministre au Gabon dans
l’espace institutionnel, à partir de 1975, voir PambouTchivounda (G), (1979), « Essai de
synthèse sur le Premier ministre africain », RJPIC, p. 259.
Fabrice NFOULE MBA 31
Humanitas, 11, 2012
l’instance, ou organisme, qui l’accueillait. Aussi, l’instauration d’un
Secrétariat Général à la Primature apparaissait comme une des
conséquences directes du renforcement des prérogatives du Premier
Ministre sur l’administration. Il en découla une réorganisation
structurelle des services du Premier Ministre.
À l’instar de certains ministères techniques et régaliens, vers la fin des
années soixante et le milieu des années soixante-dix, l’introduction
d’un Secrétariat Général à la Primature, en 1986, suscitait une
hybridité institutionnelle assez affichée. À côté du cabinet civil et
politique du « PM », émergeait une armature technique comprenant
plusieurs services et organismes rattachés. Jusque-là, considérée
comme un simple « lieu d’accueil » pour le cabinet de travail du
Premier Ministre, et les services qui lui étaient rattachés, la Primature
arborait désormais une ossature technique beaucoup plus consistante.
Comprenant un cabinet civil et politique, d’une part, et un ensemble
de services et d’organismes techniques, d’autre part, elle apparaissait
dorénavant comme une instance, à part entière, du dispositif
gouvernemental. Il en découla une présence institutionnelle plus
affirmée, non seulement du Premier Ministre, mais également de la
Primature. À côté, et intimement liés au « PM », se tenait un appareil
administratif, et technique, mobilisant à la fois des personnels
permanents et des services, ou des organismes, publics dont la
vocation première était d’œuvrer à la réussite du Chef du
gouvernement. En outre, le Secrétariat Général incita une
amplification de l’ossature administrative, et technique, de la
Primature.
La création d’un Secrétariat Général à la Primature54
, en 1986
participa d’une réorganisation des services du « PM » densifiant
considérablement l’armature technique de la Primature. Cela se
traduisait par la mise en place de quatre Directions, chargées de la
gestion des personnels, des questions administratives et financières, du
protocole et de la presse55
. Cette nomenclature incluait également le
Secrétariat Général d