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Ann Dermatol Venereol2005;132:536-9Articles scientifiques
Cas clinique
Hypodermite granulomateuse révélatrice d’une mucormycose chez une malade immunodépriméeC. JOUHET (1), A.-M. MOHTY (1), A.-M. TASEÏ (2), A. CHARBONNIER (3), M. FERRANDO (3), J.-J. GROB (1), M.-A. RICHARD (1)
Résumé
Introduction. Les mucormycoses sont des infections fongiques
opportunistes exceptionnelles malgré le caractère ubiquitaire de leurs
agents pathogènes. Elles sont parfois révélées par une atteinte cutanée
primitive et leur pronostic devient très mauvais en cas de dissémination
viscérale. Notre observation illustre la nécessité d’un diagnostic et d’un
traitement précoces de ces infections.
Observation. Une femme de 45 ans immunodéprimée, développait des
lésions d’hypodermite nécrotique des membres inférieurs. Une biopsie
cutanée permettait le diagnostic de mucormycose. Malgré un traitement
par amphotéricine liposomiale, l’évolution était rapidement défavorable
avec dissémination viscérale de l’infection fongique (localisations
pulmonaire et cérébrale) et décès de la malade.
Discussion. Ce cas souligne la gravité potentielle des mucormycoses,
actuellement émergentes en milieu onco-hématologique. Ces infections
sont parfois révélées par des lésions cutanées ulcérées et/ou nécrotiques
inaugurales. Leur diagnostic doit être évoqué très précocement pour
initier un traitement médico-chirurgical salvateur.
Summary
Introduction. Mucormycosis is an exceptional opportunist fungal
infection, despite the ubiquitous nature of its pathogenic agents. It is
sometimes revealed by primary cutaneous involvement and its prognosis
is bad in the case of visceral dissemination. Our observation illustrates
the need for early diagnosis and treatment of this infection.
Observation. An immunodepressed, 45 year-old woman, had developed
necrotic hypodermitis lesions on the lower limbs. The skin biopsy led to
the diagnosis of mucormycosis. Despite treatment with liposomal
amphotericin, the fungal infection worsened, spread to the organs (lungs
and brain) and the patient died.
Discussion. This case report underlines the potential severity of
mucormycosis, which is presently emerging in the onco-hematological
field. The infection is sometimes revealed by inaugural ulcerated and/or
necrotic cutaneous lesions. Its diagnosis must be evoked early so that
salvage medical-surgical treatment can be initiated.
es mucormycoses sont des infections fongiques op-
portunistes rares mais graves, causées par des
champignons de l’ordre des Mucorales, saprophytes
fréquemment trouvés dans l’environnement. Nous rappor-
tons le cas d’une malade atteinte d’un lymphome malin non
hodgkinien ayant développé des nodules d’hypodermite né-
crotique des membres inférieurs, révélateurs d’une mucor-
mycose systémique d’évolution rapidement fatale.
Observation
Une femme de 45 ans, séronégative pour le virus de l’immu-
nodéficience humaine (VIH), non diabétique, atteinte d’un
lymphome non hodgkinien, de type folliculaire, était traitée
par chimiothérapie intensive avec support de cellules souches
hématopoïétiques périphériques en raison d’une transforma-
tion en lymphome de haut grade. La chimiothérapie était as-
sociée à une corticothérapie orale (40 mg/j) et une
immunothérapie par anticorps monoclonal anti-CD20. Un
mois après le début du traitement, la malade consultait pour
un nodule inflammatoire et enchâssé du mollet gauche, sans
fièvre ni signe extra-cutané (notamment pulmonaire ou neu-
rologique), dans un contexte de neutropénie iatrogène (grade
IV, < 500 polynucléaires neutrophiles/mm3). La malade refu-
sant initialement un prélèvement biopsique, et devant son
terrain à haut risque infectieux, une antibiothérapie d’épreu-
Granulomatous hypodermitis revealing a cutaneous mucormycosisin an immunodepressed patient.C. JOUHET, A.M. MOHTY, A.-M. TASEÏ, A. CHARBONNIER, M. FERRANDO, J.-J. GROB, M.-A. RICHARDAnn Dermatol Venereol 2005;132:536-9
(1) Service de Dermato-vénérologie, (2) Laboratoire d’Anatomo-pathologie, Hôpital Sainte Marguerite, Marseille.(3) Service d’Onco-hématologie 3, Institut Paoli Calmette, Marseille.
Tirés à part : M.-A. RICHARD, Service de Dermato-vénérologie, Hôpital Sainte-
Marguerite, 270, boulevard de Sainte-Marguerite, BP29, 13274 Marseille Cedex
E-mail : [email protected]
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Hypodermite granulomateuse révélatrice d’une mucormycose
ve était instituée, d’abord par macrolide (roxithromycine) et
céphalosporine de 3e génération (cefixime), puis, devant l’ab-
sence d’amélioration, par pristinamycine et acide fusidique
topique. L’évolution était défavorable, avec extension des lé-
sions aux deux jambes, sous la forme de nodules inflamma-
toires profonds, spontanément douloureux, sensibles à la
palpation. Il existait également des zones purpuriques en re-
gard, d’évolution nécrotique (fig. 1). Les aires ganglionnaires
de drainage étaient libres, on ne notait pas de lymphangite. La
malade était apyrétique. L’interrogatoire ne trouvait pas de
notion de traumatisme ni d’effraction cutanée préalable.
Devant la persistance des signes cutanés, la biopsie cuta-
née était acceptée par la malade. L’étude histologique mettait
en évidence une dermo-hypodermite lobulaire granuloma-
teuse avec foyers de nécrose (fig. 2). La coloration par le PAS
révélait la présence de filaments mycéliens de grande taille,
non septés, ramifiés à angle droit, envahissant par endroits
les lumières vasculaires (fig. 3). En microbiologie, l’examen
direct confirmait l’infection mycotique et permettait l’identi-
fication d’un champignon du genre Mucor. Le diagnostic de
mucormycose cutanée était posé et justifiait la mise en route
immédiate d’un traitement par amphotéricine B liposomiale
(Ambisome® ; dose d’attaque de 10 mg/kg/j IV). Alors qu’un
bilan d’extension était en cours, à la recherche d’une atteinte
viscérale associée, apparaissait une atteinte neurologique
avec troubles de la vigilance et déficit brachio-céphalique
gauche. La tomodensitométrie cérébrale révélait la présence
de lésions nodulaires du cervelet et du noyau lenticulaire
droit. L’auscultation pulmonaire était normale, mais il exis-
tait un syndrome interstitiel réticulo-nodulaire tomodensito-
métrique. L’évolution était défavorable, avec détérioration de
l’état général et aggravation des troubles de la vigilance con-
duisant au décès de la malade, trois semaines après l’intro-
duction du traitement antifongique. Le diagnostic n’était pas
contrôlé par une étude post mortem.
Discussion
Notre observation illustre la nécessité de vigilance vis-à-vis de
toute lésion cutanée nécrotique chez un malade immunodé-
primé. Les mucormycoses cutanées sont des infections rares,
pouvant se révéler par ce type de lésions inaugurales. Une dis-
sémination viscérale à partir de ces lésions cutanées menace
alors très rapidement le pronostic vital.
Les mucormycoses sont des infections fongiques opportu-
nistes causées par des champignons saprophytes de l’ordre
Mucorales [1-3], comprenant 14 genres, dont 4 pathogènes
chez l’homme. Le genre Rhizopus est le plus fréquemment
impliqué en pathogénie humaine, devant Mucor et Absidia[4-8]. Ces champignons sont cosmopolites, ubiquitaires, sa-
prophytes du sol, des végétaux en décomposition, des matiè-
res animales [1-3, 9]. Les mucormycoses restent cependant
des infections exceptionnelles [9, 10]. Le caractère pathogè-
ne des Mucorales chez l’homme, lié au tropisme vasculaire
des hyphes, dépend essentiellement du terrain de l’hôte [8].
Le diabète est un facteur favorisant classique par le biais de
l’acidocétose [9]. On note l’émergence plus récente des mu-
cormycoses chez les sujets immunodéprimés, notamment,
comme chez cette malade, en milieu hématologique (neu-
Fig. 1. Nodule d’évolution nécrotique de la jambe.
Fig. 3. Coloration au PAS montrant des filaments de grande taille, non septés, ramifiés à angle droit, envahissant par endroits les lumières vasculaires.
Fig. 2. Atteinte dermohypodermite granulomateuse avec foyers de nécrose.
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tropénie post-chimiothérapie, hémopathies malignes, greffe
de moelle) [1-10]. Une étude autopsique en milieu hématolo-
gique montrait une prévalence de mucormycose chez 4 p.
100 des malades [9]. Quelques cas ont cependant été rappor-
tés chez des sujets sans facteur de risque particulier [2, 5, 11].
La contamination se fait par inhalation, ingestion ou ino-
culation percutanée [10]. Dans le cas des mucormycoses cu-
tanées, l’anamnèse trouve une effraction cutanée même
minime, dans 70 p. 100 des cas [7]. On ne trouvait pas de
porte d’entrée chez notre malade. Plus rarement, l’atteinte
cutanée est secondaire à une dissémination hématogène à
partir d’un foyer viscéral [2], ce qui ne semblait pas le cas
chez notre malade vu la présentation clinique. La sémiologie
cutanée est polymorphe et aspécifique : érythème érosif [10],
vésiculo-pustules, cellulite, « pyoderma like » [5, 12], nodu-
les violacés d’hypodermite, lésions nécrotiques « ecthyma
gangrenosum like » dans 65 p. 100 des cas [1, 2, 7, 9, 10].
Ces deux derniers aspects étaient présents chez notre pa-
tiente.
Comme dans notre observation, une atteinte cutanée reste
rarement isolée et s’accompagne le plus souvent d’une dissé-
mination pluriviscérale qui fait la gravité du pronostic [3-5].
Le diagnostic de mucormycose cutanée doit faire immédiate-
ment rechercher des atteintes viscérales, essentiellement
pulmonaire ou rhinocérébrale [6]. L’atteinte pulmonaire est
la plus fréquente, de présentation aspécifique (toux, fièvre,
douleur pleurale, infiltrat interstitiel radiologique) [13].
D’autres localisations sont anecdotiques : gastro-intestinale,
hépatique, rénale, cardiaque. La dissémination viscérale des
mucormycoses reste de sémiologie aspécifique, pouvant si-
muler une candidose systémique, une aspergillose, une in-
fection bactérienne [11], infections opportunistes plus
fréquentes et souvent évoquées en priorité…
Un retard diagnostique est rapidement dommageable. Le
relatif bon pronostic des mucormycoses cutanées isolées
contraste avec celui des mucormycoses disséminées, d’évo-
lution extrêmement péjorative [7], avec un tableau de dé-
faillance multiviscérale et un taux de mortalité proche de
90 p. 100 [11], notamment en cas d’hémopathie sous-jacente
[13]. Dans notre cas, le refus initial des explorations par la ma-
lade grevait très probablement le pronostic vital.
Comme chez notre malade, la biopsie cutanée permet un
diagnostic rapide, montrant à l’analyse histologique et/ou à
l’examen direct du foyer d’ensemencement, les filaments ca-
ractéristiques décrits [10, 14-16] (colorations PAS ou Gomori-
Grocott). La culture mycologique est beaucoup moins
contributive : elle n’est positive que dans 0 à 30 p. 100 des
cas selon les auteurs [2, 5, 7, 13]. L’histologie cutanée a égale-
ment un intérêt pronostique : la présence de thromboses vas-
culaires et/ou d’une invasion fungique intravasculaire
dermohypodermique (présente dans notre observation) est
un facteur prédictif d’évolution vers une dissémination hé-
matogène [2]. La sérologie est peu utilisée [9].
Le traitement de la mucormycose cutanée est médico-chi-
rurgical [16-18]. Sa précocité conditionne son efficacité [16].
L’antifongique de référence est l’amphotéricine B IV (1 à
1,5 mg/kg/j), malgré sa toxicité rénale [10]. L’amphotéricine
liposomiale (Ambisome®, 5 à 10 mg/kg/j) est d’utilisation
plus récente, avec un intérêt particulier dans les atteintes cé-
rébrales, de par sa formulation lipophile. Les mucormycoses
ne sont classiquement pas sensibles aux azolés, bien que le
kétoconazole ait parfois été essayé avec succès dans des for-
mes cutanées isolées. Le positionnement des nouveaux anti-
fongiques, telle la caspofungine, n’est pas défini. Un geste
chirurgical doit être associé, notamment dans les atteintes li-
mitées, avec excision chirurgicale des lésions escarrotiques.
Le débridement se justifie d’autant plus que l’invasion et les
thromboses vasculaires gênent la diffusion des antifongi-
ques [8]. Les facteurs favorisants doivent être corrigés : resti-
tution immunitaire, traitement d’une acidocétose [10]. Le
pronostic général reste étroitement lié à celui de la patholo-
gie sous-jacente (hémopathie notamment) [10, 13], défavora-
ble dans le cas de notre malade. Chez les malades survivants
en situation d’immunodépression persistante, une prophy-
laxie secondaire par amphotéricine B ou amphotéricine lipo-
somiale a été proposée pendant les périodes d’aplasie, avec
quelques résultats encourageants [13].
Avec l’utilisation de plus en plus fréquente de traitements
chimiothérapiques intensifs et la forte incidence des situa-
tions d’immunodépression chronique qui en découlent, les
infections fungiques systémiques graves sont en augmenta-
tion en milieu hématologique et oncologique. Dans ce con-
texte, et du fait de leur gravité, les mucormycoses doivent
être évoquées et recherchées systématiquement devant tou-
te lésion cutanée ulcérée et/ou nécrotique d’apparition
aiguë chez un malade immunodéprimé. L’examen histolo-
gique cutané avec examen microbiologique sur prélèvement
biopsique reste l’outil diagnostique de choix, associé à un
bilan d’extension extra-cutané exhaustif, d’autant plus justi-
fié qu’il existe une invasion fungique intravasculaire à l’his-
tologie.
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