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Hystérie du très jeune enfant

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Page 1: Hystérie du très jeune enfant

PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE

hysterie du tres jeune enfant S. LEBOVICI

Les manifestations ndvrotiques qui surviennent avant I'~ge de trois ans appartiennent plut6t aux aspects pro- dromiques de la nevrose infantile modelisde : il en est ainsi pour la pho- bie du visage de I'etranger qui fournit le module d'un sympt6me a I'angoisse du huiti~me mois, telle que la ddcrivit Rend Spitz. En d'autres termes, la peur de la separation d'avec la mere, devenue un obiet reprdsentd en per- manence, conduit ~ projeter le danger de la sdparation d'avec elle sur un danger extdrieur dont la figuration permet qu'il figure rangoisse.

coce : tel &ait le cas d'une petite fille de 18 mois, la deuxi~me enfant de cette famille. Elle avait un fr~re de 15 mois plus ~g6. Sa m~re &ait enceinte, quand elle commenga ~ marcher. Elle se mit alors ~ boiter, mais en presence de son p~re seulement. Outre ce qu'on aurait appel~ autrefois une pathomimie, elle refusait ~nergiquement d'entendre parler du b6b~ ~t naltre. Cependant, elle appelait sa maman en cas de d~tresse, mais ne d6signai t pas son p~re qui se plaignait assez justement du fait qu'elle ne l'avait pas ,~ adopt6 ~. Les examens les plus sophistiqu~s ne rdv~l~rent aucun trouble 16sionnel. Ne peut-on par- ler devant cette conduite 61ective et expressive d 'un accident hyst6rique qui conduit ~ l 'inscription d 'un conflit dans le corps, m~me si la conversion ne corn- porte aucune expression r6ellement symbolique ?

O N pourrait parler de pr~nSvrose dans tous les cas o~a des enfants tr~s jeunes ne sont pas encore capables d 'ut i l iser r6guli~re- ment les m~canismes de d~placement et

de projection : cette prSnSvrose se caractSrise par un ~tat d'excitation diffus ; on a propos8 qu'on parle ~t ce propos des premieres manifestations de l~hyst~ - rie : une hystSrie sans conversion (3).

I1 est en effet difficile de penser que Fexcitation anxieuse du trSs jeune enfant puisse se convertir symboliquement et donner lieu ~t des blessures sym- boliques de son corps.

N d a n m o i n s , cer ta ines observa t ions s emblen t indiquer que de tels m4canismes de conversion hys- tSrique peuvent &re vus de fagon extrSmement pr~-

S. LEBOVICI, professeur ~m6rite de psychiatrie de I'enfant et de I 'adolescent #. I'Universit~ Paris-Nord, Faculte de m6decine de Bobigny.

Journal de PCDIATRIE et de PUI~RICULTURE n ~ 6-1992

r h y s t e r i e chez r e n f a n t ex is te- t -e l le ?

L~exemple qui vient d~ t re rappel~ semble bien indiquer qu~une tr~s petite fille a utilis~ son corps pour exprimer ses conflits. I1 faut cependant nous demander si le langage du corps de la petite fille avait bien ici la valeur d~une blessure symbolique dans sa relation avec son p~re. Qu~elle ait voulu attirer son attention sur elle, qu'elle y ait r~ussi ne fait aucun doute, en particulier ~ cause de la dispa- rition complete de cette boiterie, apparemment sans subs t ra t organique . Mais ne r i sque- t -on pas de confondre ici hyst~rie et simulation, ce qui est fre- quent chez les p4diatres qui recourent volontiers ~t un code discret et conventionnel lorsqu'ils 8voquent devant l 'enfant et ses parents, la grande H, la patho- mimie, et qu'ils pensent ~ une 8quivalence de fait l'hystSrie dont le nom 6voque pour eux la patholo- gie contagieuse des internats et les sorciSres brCil6es au Moyen ~ge, sans compte r les art if ices de la coquetterie f~minine. En d'autres termes, l'hystSrie existe-t-elle r6ellement chez le jeune enfant ?

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PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE

la pathologie hysterique

La psychopathologie moderne de l'hyst~rie relive de sa description psychanalytique, telle que Freud la ddcrivit au d6but de ce si}cle : au cours de sa visite chez Charcot, ~ la Salp~tri~re, il avait vu des hyst&iques dans leurs att i tudes th~Rtrales. En par- lant de pithiat isme, Babinski voulait dire que les manifestations de l'hyst~rie ne relevaient d'aucune ldsion organique : produites par la suggestion, elles pouva ien t aussi gu~rir par la sugges t ion . Cet te contribution utile en pratique a pouss6 les m6decins ~l parler souvent de pithiatisme, c'est-~-dire confondre hystgrie, simulation et mythomanie, ou encore de n~gli- ger le versant psychopathologique de ces cas et ~t souvent ne pas s'y int&esser.

Freud, en revenant ~i Vienne, avait d~cid8 d'gcouter ces trSs jeunes femmes : il entendit leurs r6cits d'ex- pSriences de sdduct ion don t il f i t part dans les Etudes sur l'Hystgrie. NSanmoins, deux remarques importantes doivent etre pr&ent~es ici.

- Freud fur amen8 ~i douter de la rdalitd de la s6duction traumatisante subie par ces jeunes hyst& riques : il pensait qu'elles lui en faisaient part pour le s6duire et satisfaire ainsi leur << amour de trans- fert , . En fait, cont ra i rement ~ ce que d6clarent ceux qui on t insist8 sur l ' impor t ance des abus sexuels, Freud n'a jamais renonc8 ~i l ' id& de la rda- lit8 des t raumat ismes subis par les peti tes filles, mais il avait dScrit aussi le complexe d'Oedipe.

- Le dSveloppement des enfants les condui t ~i organiser des fantasmes dits originaires qui tou- chent ~ la s~duction et ~ la curiosit~ pour ta vie sexuelle des parents : ils l ' imaginent, en fonction de leur ddveloppement, brutale et violente. Mais c'est leur d6veloppement aussi qui donne un sens ~t ce qui a 4td pergu-imagind plus tard ; de ce fait, une << ~ventualit~ ,~ ne devient un ~vdnement, et un ~vd- nement traumatisant, qu~apr~s coup.

Cette notion est sous-tendue par plusieurs posi- tions th~oriques :

- l ' importance du dSveloppement somato-psy- chique est dScisive pour donner un sens aux 4ven- tualit& ;

- la r6p&ition des comportements renforce les effets d'apr~s coup ;

- les effets t raumatiques des vicissitudes de la vie exigent deux temps.

C'est donc dire aussi que la blessure symbolique de l 'hystSrie est difficile ~t envisager chez le trSs jeune enfant.

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la conversion chez le nourrisson

On d6crit pourtant certains cas d'hyst&ie chez le trSs jeune enfant.

Si les remarques qui pr&Sdent sont acceptdes par tous, certains admettent l'existence de ph6nom~nes de conversion chez le tr~s jeune enfant. En effet, l 'hyst&ie est souvent appel6e de conversion, ce qui veut dire sans doute que les conflits s 'expriment par le corps : il reste cependant que la conversion hyst~- rique ne recouvre pas le champ psychosomatique ; la conversion hyst&ique est une blessure du corps qui emploie un langage symbolique.

Si l 'on tient compte de la prdcocit6 de la pens6e symbolique qui est li~e au dSbut du dialogue langa- gier, on peut s'accorder avec LSon Kreisler (1992) pour penser que : ~< [Mais] d~s la pet i te enfance s'opSrent des mdcanismes de d&harge de l'ordre de la conversion dans des expressions riches et diversi- fiSes. I1 n'existe pas ~i cet ~ge de n~vrose hyst&ique, mais un fonctionnement mental dont l 'hyst&ie est le modSle, c'est-~-dire un processus nSvrotique par lequel l'affect et la representation sont, dans un pre- mier temps, refoul6s, ensuite mis en latence, puis dans un second temps ressurgissent sous la forme symbolique et d6guisSe d'une mise en sc~ne corpo- relle ,~ (2 ; p. 360).

Comme on le voit, L~on Kreisler retrouve ici la version thS~trale de l 'expression symbol ique des conflits pour dSfinir l'hystdrie du trSs jeune enfant, et il invite tout naturel lement ~t une grande pru- dence en matiSre de diagnostic d'hystSrie, prudence naturelle en pratique m~dicale pSdiatrique.

ne rejetons pas renfant hystdrique

Malheureusement, on parle plus d'enfants hyst& riques que d'hyst6rie, ce qui rdvSle peut-~tre les contre-a t t i tudes n~gatives que d&erminen t chez certains la coquetterie des petites filles.

La fr6quence dSs l'~ge de l 'o rganisa t ion oedi- pienne, c'est-~-dire autour de trois ans, de phobies, d'ailleurs banales et t~moignant de certains ratds du refoulement, peut faire parler d'hystSrie : l 'objet du d~sir oedipien, le parent du sexe oppose, est interdit par le surmoi, instance morale dont la rigueur est augmen t& par les t raumatismes v~cus ou fantas- m&.

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Le module de l ' hys t&ie correspond bien ~ ce qu'on observe en particulier quant une exp6rience de sSduction a r$ellement eu lieu : la pet i te lille prend l 'habi tude de met t re en scSne les t rauma- tismes qu'elle a subis de la part d 'un familier, son p~re par exemple ; dans cas cas, tout semble indi- quer qu'il s'agit l~t d'expSriences bien banales ; d ie les raconte, les joue, les dramatise. La qualifier alors d'hyst6rique, c'est pour ceux qui ne sont pas avertis la traiter de menteuse, de mythomane, en un mot ~< d'hyst&ique >>.

Les gargons, d'ailleurs moins souvent victimes d'abus sexuels, sont aussi protSgSs par la figuration paternelle de leur surmoi, ce qui justifie les projec- tions phobiques sur un pSre craint et respectd. Au contraire, les coquetteries de la lille ~t l'~gard de son pSre peuvent 8tre relativement tol&6es par la m~re, si elle les considSre comme des manifestations de fSminitS.

un noyau hys te r ique " de la pred ispos i t ion & I 'hyster ie

La conception psychopathologique de l 'hyst&ie que nous venons d'exposer suppose que le systSme des identifications oedipiennes, en particulier celles de la petite lille avec sa mSre, soit perturbd par l'in- suffisance de la couverture d$fensive du refoulement aussi bien que par la puissance de la libido pulsion- helle. Lorsqu'il y a au contraire prSdisposition ~ la ndvrose obsessionnelle, Freud pense que les exi- gences 8ducatives sont trop fortes et les formations rSactionnelles par rapport, par exemple, au d8sir d'&re encore sale, culpabilisent ~ l'extr~me des fixa- tions libidinales en retard sur l 'Svolution du moi. Dans le noyau hyst&ique, la libido est fracassante et ddborde complStement le pl-an de lut te contre les forces contraignantes du moi naissant : la libido est en avance sur le moi.

Ce noyau hys t~r ique reprSsenterai t ainsi une phase temporaire et banale de l'6volution du jeune enfant. Chez le jeune gargon, en tout cas, la lutte men6e sous le contr61e du surmoi vise au refoule- ment de l'agressivit8 : il s'agit de protSger le pSnis menac8 par les sanctions paternelles. Apparaissent alors des sympt6mes nSvrotiques << normaux ,>, des phobies et des obsessions passag~res : le noyau hys- t6rique est pr~n&rotique.

Chez la lille au contraire, l'absence d'angoisse de castration, ce qui est relativement frSquent, risque de transformer ce noyau en hyst&ie cl iniquement affirmSe. Mais si cette hyst&ie ne s'amende pas par le fait d 'un refoulement suff isamment efficace et

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PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE

r6ussi, le risque est alors grand que la fille vive des exp&iences de s$duction t raumatique. La couver- ture narcissique vient-elle S manquer, comme cela est probable, parce que la fille n'a pas 8t8 protSg6e par exemple par son p}re incestueux, la << structure de conversion >> (1) va alors s'installer et manifester durablement ses effets.

le n o y a u hys te r ique precoce & I 'adolescence et chez le j e u n e adu l te

L'hyst&ie de l 'adulte sous ses formes historiques de conversion est devenue trSs rare : on observe plu- t6t des cas de n8vrose hystSrophobique qui sont des formes de d&ompensation de caractSres phobiques installSs avec la pubertY.

Le noyau hyst6rique que nous avons d&ri t chez le jeune enfant et surtout chez la fille peut donner lieu

des formes structurelles de la conversion qui ne rappellent pas l 'hyst&ie traditionnelle ; nous pen- sons par exemple aux troubles du compor tement alimentaire : anorexie et/ou boulimie. Dans de tels cas, le corps est cliv6 de la vie psychique ; il devient un moyen symbolique d'expression et route diffi- cult8 soit &6nementielle, soit physique, risque de se trouver << corporalisSe >>, avec peu de ressources pour une action psychoth&apique.

Tout laisse doric ~ penser que la raise en &idence de ce noyau hystgrique chez le jeune enfant devrait conduire c~ des consultations thgrapeutiques qui nous semblent qCficaces contre les troubles fonctionnels ~travers lesquels i /s 'ex- prime souvent, mais qui paraissent aussi comporter une valeur pr&entive. �9

B i b l i o g r a p h i e

1. CRAMER B. - Vicissitudes de I'investissement du corps ; sympt6mes de conversion en periode pubertaire. Psychiatrie de I'Enfant, 1977 : 20, 1, 11-127.

2. KREISLER L. - Le nouvel enfant du desordre psy- chosomatique. Toulouse, Privat, 1992.

3. LEBOVICI S. - L'hysterie chez I'enfant et I'adoles- cent . Tome I in Lebovici S., Diatkine R. et Soul~ M. (ed), Traite de psychiatrie de renfant et de I'adolescent. Paris, PUF, 1985.

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