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IMAGES documentaires 69/70 janvier 2011

I Doc n° 69-70 - Images documentaires · Treilhou et l’écrivain Michel Deguy reviennent sur ces exemples et montrent la proximité des questions esthé- ... sur Arte le 29 septembre

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I M A G E S documentaires 69/70janvier 2011

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IMAGES documentaires

Revue trimestrielle publiée par l’associationImages documentaires,avec le concoursdu Centre national du livre.

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Editorial

En septembre dernier, Arnaud Montebourg adressait unelettre au Pdg de TF1 dans laquelle il rappelait « les dégâtsconsidérables que [cette] chaîne a provoqués sur la visionque les Français ont d’eux-mêmes et de notre sociétécontemporaine » à travers des émissions où sont mises enscène la violence et « la compétition acharnée et destruc-trice de la dignité, entre des êtres humains ». La chaîneprivée n’a pas l’apanage de cet effondrement de l’éthiqueà la télévision. Sur Arte, la chaîne publique « culturelle »franco-allemande, des films, comme La Cité du mâle, ontrécemment illustré une « dérive du documentaire » où s’al-lient instrumentalisation des personnes filmées et méprisdes spectateurs.

Dans ce numéro, la philosophe Marie-José Mondzain,les réalisateurs Jean-Louis Comolli et Marie-Claude Treilhou et l’écrivain Michel Deguy reviennent sur cesexemples et montrent la proximité des questions esthé-tiques, politiques et éthiques. Les manières de filmer sontaussi des manières de penser.Catherine Blangonnet-Auer

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Sommaire

Questions d’éthique

Introduction page 9

La Cité du mâle et la dérive du documentaire,par Denis Gheerbrant page 11

Humiliés et offensés. Ethique et maquis,par Jean-Louis Comolli page 13

Ethique et esthétique,entretien entre Jean-Louis Comolliet Marie-José Mondzain page 39

La complexité ne tombe pas du ciel,entretien avec Marie-Claude Treilhou page 69

L’autre visible (remarques à proposdu « documentaire »),par Michel Deguy page 79

Films page 89

A lire page 115

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Questions d’éthique

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Introduction

L’élément déclencheur de ce numéro a été la diffusionsur Arte le 29 septembre dernier d’un film de Cathy San-chez, La Cité du mâle. Arte l’avait déprogrammé à la der-nière minute fin août. La journaliste qui avait permis saréalisation, Nabila Laïb, n’avait pas participé au montageet n’avait découvert le film que le jour même de sa diffu-sion. Affolée par ce qu’elle découvrait, elle avait menacéde déposer plainte contre Doc en Stock, la société de pro-duction, pour « approximation, erreurs, mensonges ». Na-bila Laïb est proche de la famille Benziane, dont une desfilles, Sohane, 17 ans, avait été brûlée vive en 2002 à Vi-try-sur-Seine. Elle avait accepté de présenter une cin-quantaine de personnes vivant dans cette ville à la réali-satrice qui souhaitait faire un film « sur l’évolution desrapports filles/garçons dans les quartiers ». Le film a fi-nalement été diffusé un mois plus tard avec quelques vi-sages floutés et certains passages sonores bipés.

Le film de Cathy Sanchez est un bon exemple de cette« dérive du documentaire » évoquée par Denis Gheer-brant dans une tribune parue dans Libération que nous re-produisons ici.

Il a servi de point de départ à une réflexion plus largemenée par Jean-Louis Comolli sur l’éthique du docu-mentaire. Celui-ci s’interroge sur les responsabilités liéesau pouvoir de filmer. Il analyse les manipulations à l’œuvredans La Cité du mâle et dans deux épisodes d’une série

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télévisée « documentaire », également diffusée par Arte,Justice à Vegas, produite par Denis Poncet et Jean Xa-vier de Lestrade. Pour lui, en tant que réalisateur, l’éthiqueest avant tout une question de forme et non de contenu :« Pour le cinéma « documentaire », ce que nous appelonséthique est très précisément la forme que nous donnonsà la question de l’autre – étant à la fois du côté de ceuxque nous filmons et du côté de nos spectateurs. »

Marie-José Mondzain et Jean-Louis Comolli analy-sent ensemble cette forme de divertissement public té-lévisuel, la télé-réalité, « qui exploite l’intime sous formed’aveux ou de confessions, en confondant la sphère pu-blique et la sphère privée ». Pour Marie-José Mondzain,« les modes de production de ces industries n’ont pas pourfonction de construire du sujet mais, au contraire, del’anéantir, de le destituer. » Pour Jean-Louis Comolli, « larelation avec la caméra produit des effets ambigus, quipeuvent être à la fois bons et mauvais. La responsabilitédu réalisateur ou du monteur consiste à savoir ce qu’ilfaut en restituer au spectateur, ce qu’il faut montrer. »

Pour Marie-Claude Treilhou, dans le documentaire, ilfaut prendre le risque de « l’explosive complexité » duRéel. Elle insiste sur le « travail » nécessaire à la réalisa-tion d’un documentaire, sur la difficulté du processus decréation et le danger extrême de la simplification. En cedomaine, « il n’y a pas de modèles, il n’y a que desexemples. »

Michel Deguy se livre, quant à lui, à une réflexion libresur la notion d’œuvre et d’auteur dans le cinéma docu-mentaire, réflexion sous-tendue, sans jamais la nommer,par cette question de l’éthique.

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« La Cité du mâle »et la dérive du documentaire

par Denis Gheerbrant, cinéaste 1/

Avec la programmation (le 29 septembre) de La Cité dumâle, Arte, oui, Arte, semble avoir atteint un sommet danscette longue dérive qui a vu d’abord les chaines privées,puis l’ensemble de la télévision, réduire les diversités denotre société au statut de catégories fractionnées : « eux »pas « nous », si ce n’est contre nous. Ainsi donc la banlieue(comme s’il y avait une seule et unique banlieue) et par-ticulièrement les jeunes qui y vivent, la jeunesse popu-laire en quelque sorte, se trouvent-ils constamment misau ban. Ce documentaire se proposait de revenir dans lacité même où la jeune Sohane avait été brûlée vive parson amoureux éconduit en 2002 pour poser la questiondes rapports entre les sexes : très bien.

En place et lieu d’un travail de réflexion, le spectateurs’est vu assailli par le spectacle de jeunes hommes débitantles pires monstruosités machistes, agrémentées dequelques références à la culture du Maghreb. Ils avaientjoué la partition qui leur était tendue, il ne restait plus à laréalisatrice qu’à s’indigner des horreurs qu’elle avait elle-même suscitées, pour mieux les étaler.

Tout le monde sort floué de telles pratiques, ceux quisont filmés, les spectateurs et nous-mêmes, cinéastes quipratiquons le documentaire. Parce que nous défendons un

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1/ Article paru dans Libération, le 25 octobre 2010.

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art qui aide à travailler et à enrichir la vision de notremonde, à représenter l’autre, c’est à dire à le faire entendre,éventuellement jusque dans ce que sa parole a d’insup-portable.

Parce que nous ne dressons pas les hommes les unscontre les autres, mais cherchons à comprendre. Car c’estpar la construction d’une représentation que nous oppo-sons à l’obscénité de la chose vue, sans regard. Les jour-nalistes ont une éthique, nous aussi.

Et pourtant, aurions-nous prêté attention à cette pro-duction sans le conflit sordide qui s’en est suivi entre lajournaliste et la réalisatrice ? La confusion des rôles, lemélange des genres (documentaire et reportage choc),l’instrumentalisation des personnes filmées et le méprisdes spectateurs que représente La Cité du mâle sont tris-tement exemplaires d’une mécanique bien en place.

Tout un système d’aides élaboré lors de l’éclatementde la télévision publique a bénéficié à cette productionau titre de « documentaire de création ». Les reportages,quels qu’ils soient, sont systématiquement qualifiés parle CSA de « documentaires », permettant ainsi aux chaînesprivées de satisfaire aux obligations de production qu’en-traîne l’octroi de l’espace hertzien.

La télévision est notre bien commun, il a été capté eta entraîné au pire par des groupes privés qui ne pouvaientque se développer dans une logique de fournisseurs « decerveaux disponibles à Coca-Cola » (Le Lay, 2004, alorsPDG de TF1). Cette logique mène à un façonnage de l’opi-nion publique et mine rien moins que le désir de fairesociété commune.

Denis Gheerbrant est aussi délégué au documentairede la Société des réalisateurs de films, cofondateur etmembre de l’association des cinéastes documentaristes.

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