Image-de-soi-et-image-de-lautre.pdf

7/25/2019 Image-de-soi-et-image-de-lautre.pdf

1/13

Image de soi et image de lautre : le rle du miroir dans

le dveloppement de lenfant

selon Maurice Merleau-PontyMatthieu Dubost

Agrg de philosophie

Ancien lve de l'ENS Lettres et Sciences humaines

La question philosophique de limage est une question nodale et rflexive !odale"

parce quelle recoupe les domaines esthtique" pistmologique" mtaphysique et m#me

thique" et cela $ partir dun philosoph%me unique Mais cest aussi une question rflexive

parce quelle o&lige la philosophie $ sinterroger sur le rapport des choses et de leurs

apparences" et par consquent sur la relation de la philosophie $ limage que lon sen forge

'ans la mesure o( le philosophe est amen $ se demander ce quil y a de commun entre

lessence de son activit et limage quil sen fait" on peut parler dune apprciation de sa

propre image et dune mise en a&yme permanenteLa philosophie est donc spculaire et revient sans cesse $ la pense du miroir )est

encore le cas de Merleau-Ponty quand il cherche $ penser le dveloppement de soi et ses

diffrents stades )he* lui" la question de limage se prsente da&ord $ lintrieur dune

rflexion sur la constitution de la relation $ autrui soprant dans lenfance )ette mditation

doit" selon Merleau-Ponty" rpondre $ deux o&+ectifs principaux ,out da&ord" il sagit

dchapper $ laporie husserlienne de la constitution dautrui Il est impossi&le aux yeux de

Merleau-Ponty den dmontrer lexistence comme sy emploie usserl car autrui est un fait :. Ma conscience est da&ord tourne vers le monde" tourne vers les choses" elle est avant tout

rapport au monde /01nsuite" cette rflexion sur le miroir doit aussi viter de comprendre la

relation $ autrui et le dveloppement de soi comme des oprations issues du seul ego 2n ne

peut rpondre $ cette question en partant dun moi pur" dtach et cartsien 3 ce titre" le

pro&l%me du solipsisme fait lo&+et dune tude serre en 0456 : . ,out nonc concernant le

M2I entra7ne aussitt un nonc concernant lalter ego Lequel annule le premier ou au moins

0M Merleau-Ponty"Phnomnologie de la perception" p 085

0


2/13

le transforme Par exemple : +e suis constituant entra7ne : lautre est constituant et donc : +e

suis constitu /9

La question du dveloppement de soi sinscrit donc dem&le" dans le cadre de la relation $

autrui" tout comme la question de limage de soi et du rle du miroir dans le dveloppement

de lenfant prend ainsi place dans une rflexion plus gnrale sur la relation $ autrui )ar

Merleau-Ponty envisage plusieurs mod%les de relation o( +oue tou+ours lintercorporit et le

miroir prend tout son sens dans cette intercorporit 'ans La structure du comportement,

dans laPhnomnologie de la perceptionainsi que par la suite" cest tou+ours $ partir des

corps que les personnes se rencontrent et peuvent parler dun . toi / et dun . moi / )est

avec . lempi%tement / que se conclue cette recherche Merleau-Ponty le dcrit comme

. empi%tement intentionnel qui fait; passer en autrui tout ce que la su&+ectivit; sait delle-

m#me / )est ici que se pose spcialement la question de

limage et de son rle )ar limage spculaire va constituer une sorte dtape intermdiaire o(

le su+et va se prparer $ la rencontre de lautre Merleau-Ponty accorde en effet un rle capital

au . stade du miroir / tel que la psychologie dveloppementale et la psychanalyse lont dcrit

1n tant confront $ sa propre image" lenfant est o&lig de modifier ses schmas perceptifs

en m#me temps que de se repositionner dans le monde et dans ses rapports aux autres 'un

stade autarcique o( le su+et reste cependant $ constituer" la confrontation $ sa propre image

permet dans le cadre priv le dveloppement de la su&+ectivit en m#me temps quelle dvoile

la structure normale de la perception Limage dans le miroir nest plus seulement alors une

image parmi toutes celles que lenfant manipule mais le paradigme dun schma perceptifdura&le que le philosophe prsente comme la vrit m#me de lontologie Limage spculaire

consiste alors en une ouverture du soi sur le monde et sur autrui

Plus prcisment" il faut se demander quelle place revient $ limage de soi dans la

constitution de lintersu&+ectivit ?uels sont son rle et sa valeur" parmi dautres moments

comme lintercorporit ou le dialogue" autres lieux de constitution > )es questionnements

9M Merleau-Ponty"Manuscrit VIIIdu 5 octo&re 04@A" p 059 Les numros des manuscrits de Merleau-Pontysont ceux des volumes de la B!C" selon le classement dfinitif de 044A


3/13

sont importants car ils vont de pair avec la valeur du visuel en gnral" tellement important en

2ccident

Il sagit ici de comprendre le rle intermdiaire de limage de soi par le miroir"

ncessaire &ien que seulement transitoire" dans la diffrenciation des su+ets 1n cela" limage

reste infrieure au langage et $ la parole dans la diffrenciation du moi et de lautre

2n verra da&ord comment le schma de lempi%tement" tout en rpondant $ certains

pro&l%mes de lintersu&+ectivit" laisse les #tres dans une certaine indiffrenciation )est alors

quon comprendra le rle exact du miroir dans ce proc%s dindividuation de lenfant vis-$-vis

de lentourage 2n dcrira enfin en quoi ce stade spculaire reste insuffisant et doit laisser

place $ dautres modes de diffrenciation non imags" tel que le dialogue

Il faut da&ord reprendre la question du mode de relation $ autrui et prciser le th%me

de lempi%tement comme lieu dindiffrenciation premi%re 2n pourra alors comprendre que

la thorie de lempi%tement suppose une diffrenciation qui passe en premier lieu par limage

de soi

'ans la perception commenDante" celle de lenfant" le champ est occup da&ord par ce

qui est humain Lenfant perDoit en premier lieu les expressions et les visages" ainsi que les

o&+ets crs par lhommeE)est ainsi quil vit la communication &ien avant la sparation des

consciences )e moment est celui de limmdiatet et de la sensi&ilit qui passent da&ord par

le corps : le pur esprit ne rencontre pas le pur esprit et . +e ne les connais qu$ travers leurs

regards" leurs gestes" leurs paroles" en un mot $ travers leur corps /@M#me si autrui ne sy

rduit pas $ sa silhouette" cest da&ord comme corps que +e le perDois et le rencontre

)ette premi%re approche" quasi intuitive" est radicalise par la suite )e passage de la

phnomnologie $ lontologie est" de laveu de Merleau-Ponty" dF $ la ncessit de penser

lintersu&+ectivit5Gutrui est connu par . empi%tement /" comme . chair de ma chair /8mais

dans cette chair commune il se distingue de tout autre o&+et parce quil dessine une conduiterelative aux o&+ets : . les autres regards" +e les vois eux aussi" cest dans le m#me champ o(

sont les choses quils dessinent une conduite de la ta&le / AGutrui est accessi&le $ partir de la

structure touchant-touch qui caractrise la perception tactile que +ai de moi-m#me comme

lorsque ma main droite touche ma main gauche : . Le schma du corps propre" puisque +e me

EM Merleau-Ponty"La structure du comportement,p 0A4-0A0@M Merleau-Ponty" Causeries" p EE5Hoir Beata taJarsKa" .Anonymity and sociality the convergence of psychological ans philosophical currents

in MerleauPonty!s ontological "herory if Intersu#$ectivity/" in )hiasmi n@8M Merleau-Ponty" %ignes,p 94AI#id&


4/13

vois" est participa&le par tous les autres corps que +e vois" cest un lexique de la corporit en

gnral" un syst%me dquivalence entre le dedans et le dehors" qui prescrit $ lun de

saccomplir dans lautre /4

La notion dempi%tement" gnralisation de ce schma dentrecroisement" commence $

devenir centrale $ partir des cours sur la relation $ autrui che* lenfant )eci est dautant plus

intressant que cest $ ce moment que Merleau-Ponty sintresse au stade du miroir 'a&ord

prsente comme une structure ngative et alinante et une limite de ma li&ert" elle devient

ensuite condition de ma communication avec autrui06Lidentit de tous devient premi%re :

. Les couleurs" les reliefs tactiles dautrui sont pour moi" dit-on" un myst%re a&solu" me sont $

+amais inaccessi&les NO Il ny a pas ici de pro&l%me de lalter egoparce que ce nest pas

moi qui vois" pas lui qui voit" quune visi&ilit anonyme nous ha&ite tous les deux /00

Lempi%tement se retrouve ensuite partout" comme structure ontologique

,outefois" il faut esquisser la critique de cette thorie de lempi%tement 1n cherchant $

lier les sensi&ilits de tous par une intertactilit initiale de toutes les choses" Merleau-Ponty

rpond $ la question de la nature de la rencontre entre les personnes et $ celle de ses

modalits 1n revanche" cela soul%ve dem&le une difficult )ar il faut reconna7tre qu$ trop

insister sur ce qui relie et sur les proprits communes des #tres" on tom&e dans une certaine

impersonnalit Le monisme neutre et envahissant nest pas loin Il ny a presque plus

personne didentifia&le $ force de marquer lidentit des diffrences Merleau-Ponty sem&le

pourtant vouloir se situer" au regard du schma husserlien" entre lexc%s didentit et la trop

grande diffrence : . ans rciprocit" il ny a pas dalter 1go" puisque le monde de lun

enveloppe alors celui de lautre et que lun se sent alin au profit de lautre )est ce qui

arrive dans un couple o( lamour nest pas gal des deux cts /09Mais laltrit reste $

expliquer : Merleau-Ponty parle dune . perception latrale dautrui /" et non dun face-$-

face0


5/13

Parmi les conduites que +o&serve autour de moi" il y a le fait que ce . voyant-l$ /"

autrui" se fait visi&le : . n de mes visi&les se fait voyant /0@Ginsi autrui se distingue des

choses en cela quil me renvoie $ mon regard 1st-ce immdiat > )ela suppose en ralit un

apprentissage dont ltude va permettre de prciser et de mieux valuer la thorie merleau-

pontienne de lintersu&+ectivit )est ici que limage de soi dans le miroir trouve toute sa

place

1n effet" la diffrenciation des su+ets da&ord confondus dans une intercorporit passe

da&ord par limage spculaire" comme intermdiaire a&solument ncessaire&

Gu dpart" lindiffrenciation de lempi%tement vient pour Merleau-Ponty rpondre $

un pro&l%me husserlien : on ne sort pas de laporie de la constitution dautrui si on part de

deux ego d+$ constitus Mais . Gu contraire" on rend comprhensi&le la perception dautrui

si lon suppose que la psychogen%se commence par un tat dans lequel lenfant ignore soi-

m#me et autrui en tant que diffrents /05 )est ensuite que sop%re une dynamique de

diffrenciation 1t cest notamment par son corps et par limage spculaire que lenfant

envisage sa propre circonscription

Merleau-Ponty retrace alors la perception du corps propre dans lenfance La

conscience du corps propre est da&ord lacunaire" parcellaire et morcele" de m#me que la

perception dautrui Par consquent : . ,oute cette mise en place du schma corporel est en

m#me temps une mise en place de la perception dautrui /08Les mouvements de ces deux

perceptions sont parall%les

Merleau-Ponty sinspire ici de la psychologie du dveloppement et de la psychanalyse

pour dcrire cette volution en plusieurs tapes 'urant lenfance" le premier rapport $ autrui

est auditif et se fait par la voix Mais cest vraiment $ A mois que les choses se sdimentent

)ar intervient alors limage spculaire" cest-$-dire apr%s avoir reDu limage dautrui 0A)est

un vnement : . Par lacquisition de limage spculaire" lenfant saperDoit quil est visi&lepour soi et pour autrui /04Lenfant entre ainsi dans la visi&ilit 'e voyant il se fait visi&le

!on seulement il prend conscience de ses limites spatiales" mais il prend peu $ peu conscience

quil est visi&le" cQest-$-dire visi&le pour autrui

0@M Merleau-Ponty" %ignes" p


6/13

i cest $ ce point important" cest que pour lenfant" cette image vient casser un

rapport trop immdiat $ lui-m#me e voir dans le miroir" cest apprendre que +e suis visi&le et

que quelquQun dautre peut me voir :

. 1n ce sens +e suis arrach $ moi-m#me" et limage du miroir me prpare $ une autre alination

encore plus grave" qui sera lalination par autrui )ar de moi-m#me les autres nont +ustement

que cette image extrieure analogue $ celle quon voit dans le miroir" et par consquent autrui

marrachera $ lintimit immdiate &ien plus sFrement que le miroir/96

Le miroir" paradoxalement" &rise limmdiatet du narcissisme

)e stade est le d&ut dune distinction davec le monde qui va se poursuivre

notamment avec la crise de < ans o( lenfant sort encore davantage de la phase de socia&ilitsyncrtique : . Il cesse de se confondre avec la situation ou le rle o( il peut se trouver

engag Il adopte un point de vue et une perspective propres ou plutt il comprend que" quelle

que soit la diversit des situations ou des rles" il est quelquun en deD$ de ces diffrentes

situations" en deD$ de ces diffrents rles /90Lenfant sort de lindiffrenciation mais" comme

le remarque Merleau-Ponty" Rallon reconna7t que la phase antrieure nest pas compl%tement

a&olie99Ginsi . )et tat dindivision avec autrui" cet empi%tement mutuel dautrui et de moi $

lintrieur de situations o( nous sommes confondus" cette prsence du m#me su+et en

plusieurs rles se rencontrent encore dans la vie adulte /9

Documents

Image-de-soi-et-image-de-lautre.pdf