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Actes du Colloque international francophone « Expérience 2012 » Expérience et Professionnalisation dans les champs de la formation, de l’éducation et du travail ; état des lieux et nouveaux enjeux – Lille (France) 26, 27, 28 septembre 2012 Immersion d’enseignants du second degré en entreprise : des représentations du travail en tension. Sabrina Labbé, UMR EFTS, Université de Toulouse, Sylvain Starck, Proféor-CIREL, Université Lille 3 et Patricia Champy-Remoussenard Proféor-CIREL, Université Lille 3 Résumé Nos travaux s'inscrivent dans une recherche nationale associant un partenaire institutionnel, le CERPET (Centre d’Études et de Ressources pour Professeurs de l’Enseignement Technique), organisme relevant de l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale. En cours de carrière, les enseignants du second degré en lycée technique ont la possibilité de réaliser un stage d’une année en entreprise pendant lequel ils sont confrontés à une double mission précisée par une convention tripartite : travailler pour l’entreprise dans une logique productive, constituer des ressources pédagogiques à destination du CERPET. Cette recherche vise à identifier ce que révèlent ou produisent de tels stages selon des approches plurielles (analyse de l'activité, didactique et psychosociale). Nous aborderons ici cette question sous l'angle psychosocial et plus particulièrement par l'étude des représentations sociales. Réputées pour être très stables, difficilement modifiables dans leur partie centrale (Abric, 1984, 1989), les représentations entretiennent un rapport dialectique à la pratique : elles sont des guides pour le déploiement des pratiques professionnelles et sont aussi susceptibles d’être transformées par celles-ci (Guimelli, 1994 ; Abric, 1994 ; Flament, 1994). Sur 28 personnes ayant pris part à ce dispositif, 20 ont participé à l’enquête. Les entretiens semi-directifs réalisés visaient à susciter la narration d’épisodes professionnels en entreprise et en classe, donnant accès à l’expérience vécue au cours du stage et lors du retour dans l’établissement scolaire d'origine, et à solliciter la mise en perspective biographique du parcours et à obtenir des enseignants des réflexions en surplomb sur leur expérience. Une première exploration (Labbé et Starck, 2011) des entretiens menés auprès d'un échantillon d’enseignants ayant suivi ces stages nous a permis de dégager 3 classes de discours relatives aux représentations du travail selon trois espaces de pratique identifiés : « le travail dans le stage », « le travail de l'enseignant », « le travail dans le monde de l'entreprise ». En cela, les stages représenteraient un espace expérientiel qui met en jeu le rapport des enseignants au travail et les représentations qui y sont associées selon que l’activité professionnelle soit liée au monde de l’école de l’entreprise. Ces premières données organisent l’exploitation ultérieure du corpus des données qui procède d’une analyse lexicale automatisée, effectuée à l'aide du logiciel libre Iramuteq (Ratinaud, 2009) sur les 20 entretiens réalisés. Les analyses suggèrent que les représentations sur l’activité professionnelle en milieu scolaire et en entreprise se distinguent sur deux aspects : le rapport de l’activité professionnelle au « réel » et les dimensions collégiales du travail. Mots clés Représentations sociales - travail enseignant - travail en entreprise – stage - identité

Immersion d’enseignants du second degré en entreprise ...professionnels en entreprise et en classe, donnant accès à l’expérience vécue au cours du stage et lors du retour

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Page 1: Immersion d’enseignants du second degré en entreprise ...professionnels en entreprise et en classe, donnant accès à l’expérience vécue au cours du stage et lors du retour

Actes du Colloque international francophone « Expérience 2012 »Expérience et Professionnalisation dans les champs de la formation, de l’éducation et

du travail ; état des lieux et nouveaux enjeux – Lille (France)26, 27, 28 septembre 2012

Immersion d’enseignants du second degré en entreprise : des

représentations du travail en tension.

Sabrina Labbé, UMR EFTS, Université de Toulouse, Sylvain Starck, Proféor-CIREL,

Université Lille 3 et Patricia Champy-Remoussenard Proféor-CIREL, Université Lille 3

Résumé

Nos travaux s'inscrivent dans une recherche nationale associant un partenaire institutionnel, le CERPET (Centre d’Études et de Ressources pour Professeurs de l’Enseignement Technique), organisme relevant de l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale. En cours de carrière, les enseignants du second degré en lycée technique ont la possibilité de réaliser un stage d’une année en entreprise pendant lequel ils sont confrontés à une double mission précisée par une convention tripartite : travailler pour l’entreprise dans une logique productive, constituer des ressources pédagogiques à destination du CERPET. Cette recherche vise à identifier ce que révèlent ou produisent de tels stages selon des approches plurielles (analyse de l'activité, didactique et psychosociale).Nous aborderons ici cette question sous l'angle psychosocial et plus particulièrement par l'étude des représentations sociales. Réputées pour être très stables, difficilement modifiables dans leur partie centrale (Abric, 1984, 1989), les représentations entretiennent un rapport dialectique à la pratique : elles sont des guides pour le déploiement des pratiques professionnelles et sont aussi susceptibles d’être transformées par celles-ci (Guimelli, 1994 ; Abric, 1994 ; Flament, 1994). Sur 28 personnes ayant pris part à ce dispositif, 20 ont participé à l’enquête. Les entretiens semi-directifs réalisés visaient à susciter la narration d’épisodes professionnels en entreprise et en classe, donnant accès à l’expérience vécue au cours du stage et lors du retour dans l’établissement scolaire d'origine, et à solliciter la mise en perspective biographique du parcours et à obtenir des enseignants des réflexions en surplomb sur leur expérience.Une première exploration (Labbé et Starck, 2011) des entretiens menés auprès d'un échantillon d’enseignants ayant suivi ces stages nous a permis de dégager 3 classes de discours relatives aux représentations du travail selon trois espaces de pratique identifiés : « le travail dans le stage », « le travail de l'enseignant », « le travail dans le monde de l'entreprise ». En cela, les stages représenteraient un espace expérientiel qui met en jeu le rapport des enseignants au travail et les représentations qui y sont associées selon que l’activité professionnelle soit liée au monde de l’école de l’entreprise. Ces premières données organisent l’exploitation ultérieure du corpus des données qui procède d’une analyse lexicale automatisée, effectuée à l'aide du logiciel libre Iramuteq (Ratinaud, 2009) sur les 20 entretiens réalisés. Les analyses suggèrent que les représentations sur l’activité professionnelle en milieu scolaire et en entreprise se distinguent sur deux aspects : le rapport de l’activité professionnelle au « réel » et les dimensions collégiales du travail.

Mots clés

Représentations sociales - travail enseignant - travail en entreprise – stage - identité

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La recherche dont nous exposons ici quelques résultats a pris pour objet les

stages d’une année en entreprise proposés à des enseignants de la filière économie-

gestion. Ce dispositif piloté par le Centre d’Etude et de Recherches des Professeurs

de l’Enseignement Technique (CERPET), organisme rattaché à l'IGEN (Inspection

Générale de l’Éducation nationale), constitue un espace expérientiel original qui

s’inscrit dans un contexte de politiques éducatives cherchant à mieux organiser les

relations entre monde de l’école et monde de l’entreprise (Tanguy, 2005) souvent

qualifiées d’insatisfaisantes (rapport Guégot, 2008).

Les « stages longs en entreprise » sur lesquels porte notre recherche ont

permis à des enseignants du secondaire technologique et professionnel de quitter

pendant un an leur établissement scolaire pour être accueillis à plein temps dans

une entreprise. Durant cette année, ils travaillent pour l'entreprise et doivent

également produire des ressources pédagogiques qui seront mises à disposition de

leurs collègues sur Internet, tout en continuant d’être rémunérés par l’Éducation

nationale. Le CERPET qui fût le maître d’œuvre de ces stages de 2002 à 2011

estime qu'outre cette production de ressources, ces stages mettent les enseignants

en mesure de témoigner auprès de leurs élèves de la « réalité » du travail en

entreprise. La recherche dans laquelle s’inscrit cette communication a fait l’objet

d’une convention avec le CERPET et se donne pour objectif de comprendre les effets

d’un tel dispositif, selon plusieurs perspectives d’analyse, notamment didactique,

sociologique, ingénierie pédagogique, psychosociale. Ce dispositif de stage constitue

pour le groupe de recherche un espace d’analyse privilégié des relations école

entreprise1 telles qu’ont pu les expérimenter les enseignants engagés dans ces deux

espaces professionnels lors des stages longs.

Approche théorique

Notre communication s'inscrit dans une perspective globale visant la

compréhension des processus de professionnalisation. Dans la continuité de

travaux précédents sur la professionnalité des enseignants du secondaire (Champy-

Remoussenard, Deville, à paraître) nous aborderons cette question sous l'angle

psychosocial et plus particulièrement par l'étude des représentations sociales qui

seront entendue ici comme des « forme[s] de connaissance socialement élaborée[s]

et partagée[s] ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité

1 Aux côtés d’autres dispositifs et pratiques étudiés au sein du CIREL dans le cadre d’un programme de recherche sur les relations école/monde du travail piloté par P. Champy-Remoussenard.

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commune à un ensemble social » (Jodelet, 1989). Véritables moyens d'intelligibilité

des processus de professionnalisation, les représentations sociales envisagent non

seulement le sujet comme individu mais aussi comme sujet pris dans un espace

collectif.

Réputées pour être très stables, difficilement modifiables dans leur partie

centrale (Abric, 1984, 1989), les représentations entretiennent un rapport

dialectique à la pratique : elles sont des guides pour le déploiement des pratiques

professionnelles et sont aussi susceptibles d’être transformées par celles-ci

(Guimelli, 1994 ; Abric, 1994 ; Flament, 1994). Ainsi, dans leurs dimensions à la

fois sociales et singulières, les représentations sociales, recueillies dans des formes

discursives, permettent de rendre compte des expériences vécues et de ce qu'elles

ont produit sur le plan cognitif pour un collectif interrogé. Nous ne nous

intéressons donc pas au vécu individuel de l'expérience mais au produit d'une

expérience sociale sur le système représentationnel d'un collectif d'enseignants.

Notre démarche s'attache donc à mettre en évidence l'organisation d'un

ensemble de réponses discursives comme indicateur de structuration de la pensée

sociale. Cette posture entraîne une épistémologie factorielle (Benzecri, 1982) que

nous présentons à l'aide de techniques d'analyses lexicales assistées par

ordinateur. En d'autres termes, notre communication s'attachera à élucider la

complexité des systèmes cognitifs élaborés chez des enseignants ayant vécu une

expérience similaire de stage en entreprise de longue durée.

Méthodologie et description de la population

Nous avons mené une enquête par entretiens semi-directifs auprès de vingt-

et-un enseignants sur les vingt-huit ayant été concernés par ces stages depuis

2002. Ces entretiens ont duré entre une heure pour les plus courts et deux heures

pour les plus longs, le plus souvent leur durée avoisine une heure trente. Les

enseignants concernés sont principalement des certifiés en économie-gestion, on

compte aussi des agrégés dans cette discipline, et quelques enseignants en

hôtellerie-restauration et en informatique. Au moment du stage, ces enseignants

avaient entre une et vingt-huit années d'expérience professionnelle, mais pour la

majorité, cette expérience était d’environ dix ans. Leurs stages se sont effectués

dans des « entreprises » variées : construction automobile, agroalimentaire, grande

distribution, services, du secteur privé, public ou parapublic. Le guide d’entretien

visait à susciter la narration d’épisodes professionnels en entreprise et en classe,

donnant accès à l’expérience vécue au cours de celui-ci et lors du retour dans

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l’établissement scolaire d'origine, mais également à solliciter la mise en perspective

biographique du parcours, notamment concernant les conditions de l'engagement

dans le stage et les suites de celui-ci, et à obtenir des enseignants des réflexions en

surplomb sur leur expérience.

Le taux de réponse favorable à cette démarche d’enquête (21 sur 28) et à la

prise de parole que constitue cet entretien laisse supposer un besoin de mise en

mots de l’expérience réalisée lors de ce stage. Nous faisons l’hypothèse que ce

besoin est, en partie, lié au manque d’accompagnement de la fin et des suites du

stage dans le dispositif.

Parmi les 21 entretiens, deux ont été écartés du corpus final analysé ici : l’un

en raison de modifications notables à apporter à la retranscription, l’autre en raison

de la singularité des modalités du stage et de ses objectifs. L’analyse porte donc sur

un ensemble de 19 entretiens.

Après une étape de retranscription des entretiens nous avons choisi d'utiliser

une méthode d'analyse de données textuelles automatisée. Le logiciel Iramuteq

(Ratinaud, 2009) qui propose entre autres analyses, la méthode ALCESTE (Analyse

des Lexèmes Cooccurents dans un Ensemble de Segments de Texte) réalise

plusieurs étapes de traitement. Pour le décrire rapidement, après une préparation

du corpus consistant en sa lemmatisation (réduction des mots en formes réduites à

leur racine) et sa segmentation, il opère en premier lieu une Classification

Hiérarchique Descendante (C.H.D.) permettant à l'analyste de dégager des classes

de discours distinctes qui seront a posteriori reliées statistiquement aux variables

illustratives déterminées par le(s) chercheurs(s). Ces classes de discours

représentent en quelque sorte des thématiques prégnantes dans l'ensemble du

corpus (et donc pour le collectif interrogé) qu'il s'agira d’interpréter. Dans un

second temps, le logiciel réalise une Analyse Factorielle des Correspondances

(A.F.C.) permettant d'extraire la complexité du corpus recueilli et de la représenter

sur un plan factoriel. Nous n'entrons pas ici dans les détails des calculs statistiques

opérés pour obtenir des différents traitements, le lecteur intéressé pourra se référer

à Marchand (1988).

Résultats

Après l'étape préparatoire de lemmatisation et de segmentation, le logiciel nous

fournit les caractéristiques suivantes concernant notre corpus : 19 UCI (Unités de

contextes Initiales correspondant aux entretiens), 5406 lemmes (issus de 8812

formes initiales). Le logiciel a sectionné le corpus en 3983 Unités de Contexte

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Élémentaires (UCE) dont 98,09% vont être utilisées pour l'analyse soit 3907 UCE ce

qui est un taux très représentatif.

La Classification Hiérarchique Descendante

Présentation du dendrogramme

Le schéma ci-dessous représente le dendrogramme de la C.H.D. c'est-à-dire les

oppositions successives des classes constituées par l'analyse lexicale. On notera par

exemple que, dans un premier temps, le corpus sépare la classe 3 de l'ensemble du

corpus puis dans un second temps, il oppose la classe 4 du corpus subsistant et

ainsi de suite. Nous attacherons donc à présenter successivement le contenu de ces

différentes classes en nous focalisant sur leur contenu propre et ce qu'elles

permettent de mettre en tension dans les thématiques ainsi dégagées.

Figure 1 : Dendrogramme de la C.H.D2.

2 Les pourcentages indiquent la proportion d'UCE présentes dans la classe sur l'ensemble des UCE classées

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Être et devenir enseignant en économie-gestion (classe 3)

Cette classe de discours est constituée de 539 UCE (sur 3907 soit 13.8% des UCE

classées). Le schéma ci-dessous représente l'analyse de similitude des formes

présentes dans la classe en mettant en avant les co-occurences entre les termes.

Cette représentation nous permet de visualiser une sorte de cartographie de la

classe et l'organisation des termes la constituant.

Figure 2 : Analyse de similitude de la classe 33

Cette classe comporte un vocabulaire spécifique au métier d'enseignant et semble

comporter deux thématiques principales. D'une part l'on retrouve des formes très

significatives (p<.001) telles que « enseigner », « matière », « BTS », « gestion »,

3 La taille des mots est proportionnelle au Chi2 de la forme dans la classe et la taille des arrêtes est proportionnelle à l'indice de cooccurrence (graphe à seuil 3).

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« économie », « lycée », « bac », « pro ». Autant de termes permettant aux personnes

interrogées de se définir par rapport à l'interlocuteur et ayant trait à leur identité.

Dans cette classe de discours, ces dernières nous parlent d'elles et plus

particulièrement de leur spécificité (enseignant en lycée professionnel et en BTS

économie-gestion) D'autre part, d'autres ensembles de formes significativement

présentes semblent relater le parcours et la temporalité pour devenir enseignant.

Les branches « an », « années » et « concours » relatent le cheminement pour en

arriver là. Si ces deux thématiques renvoient fortement à deux questions de notre

guide d'entretien il apparaît que le vocabulaire employé, puisque constitutif d'une

seule classe et en opposition (première partition) avec les autres classes, est donc

spécifique d'un discours relatif au travail enseignant.

Extrait d'UCE significatives de la classe :

« Donc majoritairement j'enseigne la communication mais bon j'enseigne en

formation initiale bien sûr en première bon j'ai eu des terminales il y a quelques

années j'enseigne depuis 94 en classe de BTS et donc j'ai toujours une classe de

seconde en parallèle et donc j'ai abordé la réforme du lycée cette année avec donc un

nouvel enseignement qui s'appelle les principes fondamentaux de l'économie et de la

gestion »

« Et donc c'est pour ça que j'ai intégré après l'IUFM j'ai passé mon concours et j'ai

réussi voilà donc après c'était tout tracé du coup hein parce que ... »

L'existence d'un sas institutionnel permettant d'entrer dans le monde de l'entreprise : le

CERPET (Classe 4)

Cette classe de discours est constituée de 1362 UCE sur les 3907 classées soit 34,86 %

du corpus analysé. Elle représente donc la plus grande classe de discours de la

C.H.D.

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Figure 3 : Analyse de similitude de la classe 4

Le terme « stage » est fortement lié au nom de l'entreprise (« institution

d'accueil4 ») dans lequel il se situait et au sigle « CERPET » (via la personnalité de

Mme M. X référent du CERPET au niveau national). La thématique principale de

cette classe concerne le travail réalisé dans le cadre du « stage ». Ici le discours n'est

pas encore axé sur ce qui se passe dans l'entreprise mais davantage sur les

objectifs formels du stage. Nous pouvons identifier trois types de travaux

demandés : il s'agissait d'une part de « voir » « concrètement » comment fonctionne

4 Nous devons ici préciser que la forme « institution d'accueil » est issue d'un recodage opéré par nos soins sur notre corpus, il ne s'agit donc pas des termes exacts employés par les personnes interviewées mais d'un terme générique que nous avons inséré à chaque fois que la personne citait le nom de l'entreprise dans laquelle elle avait réalisé son stage long.

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l'entreprise, mais aussi de participer à un « projet » de l'entreprise. Enfin, et

conformément à la commande institutionnelle, l'enseignant devait construire et

déposer sur le « site » du CERPET des « outils » « pédagogiques » pour les autres

enseignants. Le travail dont il est question ici représente en quelque sorte de la

partie « visible » du travail qu'un enseignant peut réaliser en entreprise. Cependant

la demande institutionnelle semble contraignante car, alors que l'activité demandée

en entreprise est détachée de l'acte d'enseigner, il s'agit pour l'enseignant de

construire des ressources qui y sont directement rattachées. Dans cette classe, les

termes « élève » et « enseigner » sont significativement absents5 et questionnent donc

le caractère approprié des objectifs contractuels définis institutionnellement.

Ce discours est en large partie indépendant des autres classes de discours liées

au travail engagé en tant qu’acteur de l’entreprise comme nous allons le voir. Ainsi,

nous voyons dans ce dispositif institutionnel (le CERPET) et la commande formelle

qui en émane (la mise à disposition en ligne de ressources pédagogiques) se

constituer un sas pour les enseignants permettant l’entrée progressive dans le

monde de l'entreprise.

Extraits d'UCE significatives de la classe :

« En fait j'ai fait d'abord une demande auprès du CERPET auprès de Madame M.

qui s'occupe du CERPET »

« Les quatre premiers mois j'étais complètement dedans même si je prenais note

de ce que je faisais parce que je savais ce qui m'attendait à la fin parce qu'il fallait

mettre en place des ressources pédagogiques pour les enseignants »

« Je devais rendre les ressources pédagogiques au ministère elle devait être mise

en ligne mais bon j'avais bien planifié mon travaille j'ai géré »

La découverte d'un espace temps particulier (Classe 5)

Cette classe de discours comporte 626 UCE, soit 16,02% du corpus analysé. A la

lecture des formes les plus significatives de la classe, c'est la forte présence de la

notion de temporalité qui marque l'esprit. Nous trouvons ici par exemple les termes

« heure », « horaire », « temps », « matin », « vacances », « Noël » etc.

Extraits d'UCE significatives de la classe :

« Plus mes heures en entreprise où je faisais plus que 35 heures en moyenne ça

dépendait des dossiers mais je faisais les même horaires que mes collègues de

5 Significativement présents dans l’antiprofil de la classe.

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l'entreprise voilà pour moi ça a été un rythme très très important et tout à fait

nouveau par rapport à ce que j'avais l'habitude d'avoir en tout cas ces dernières

années »

« Non mais les autres par contre ils étaient vraiment sur un volume horaire et

donc eux c'était un système de trente neuf heures mais avec durée, durée de travail

ils avaient ils avaient des demi- journées de récupération »

« Aucun souci ouais aucun souci aucun souci moi je trouve que le fait d'avoir

parce que du coup j'ai eu moins de vacances hein puisque j'ai eu que quinze jours à

Noël mais j'ai plus eu du tout les vacances euh finalement c'était pas plus mal »

«C'est pas facile hein parce que vous avez un rythme complètement différent un

travail complètement différent aussi donc euh le retour à la réalité était un peu

difficile mais bon après on s'y fait et puis»

« Donc c'est sûr c'est différent c'est un rythme différent après il y a eu les RTT je

les ai pas pris ça a été un gros scandale c'est comme ça oui voilà oui je pense parce

que j'ai pas ressenti le décalage »

Une forte présence de verbes d'action « bosser », « prendre », « partir », « aller », «

gérer », « reprendre », « fatiguer », « fermer », « retrouver » colore cette classe de

l'expression de l'aspect le plus pragmatique de l'expérience vécue. Le discours

exprimé semble porter sur l'organisation à la fois propre à l'entreprise et celle que la

personne a dû mettre en place pour effectuer ce stage. L'expérience semble

nécessiter un changement de « rythme » en général bien accepté, voire recherché

par les enseignants, ce qui n’est pas sans impacter sur l’équilibre entre vie

professionnelle et la vie personnelle et l'on voit apparaître un ensemble de termes

relatifs à l'entourage (« enfant », « fille », « familial », « privé », « copain », « maison »).

Cette prégnance des discours liés au changement de rythme sont à mettre selon

en regard du déficit de reconnaissance du métier d’enseignant relativement au

travail en entreprise. Les conditions et l’organisation de travail, le statut de

fonctionnaire, le manque de visibilité de l’ensemble des activités professionnelles

pèsent sur la reconnaissance sociale des enseignants qui trouvent ici un espace

d’expression visible de leur investissement professionnel. Ainsi, le fait de venir

travailler à 4 heures du matin ou de rester jusque tard sur le lieu de travail est

toujours présenté comme un épisode professionnel privilégié accentuant le

changement de regard posé sur eux au sein de l’entreprise.

Ce changement de rythme qui bouscule bien des équilibres (familiaux,

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professionnels, identitaires) est vécu positivement selon nous pour une autre

raison : les enseignants lors de cette expérience peuvent rompre avec la forme

scolaire qui discipline leur corps et leurs vécus professionnels. En quittant la

classe, en sacrifiant leurs routines, ils échappent à un espace de travail dont

certains disent avoir « fait le tour ».

L’investissement en temps et en déplacements qu’exige cette expérience est

finalement bien accepté du fait d’une reconnaissance identitaire et d’une

« oxygénation » dans un nouvel espace professionnel.

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Figure 4 : Analyse de similitude de la classe 5

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Le stage : une opportunité de carrière (Classe 1)

Cette classe de discours est composée de 415 UCE soit 10,8 % du corpus analysé. Les

termes les plus significatifs « regretter », « carrière », « opportunité », « culture »,

« aimer » posent d'entrée l'aspect positif exprimé de l'expérience vécue lors du stage

long. Le verbe « regretter » associé à des formes négatives (« je ne regrette pas »)

renvoie à une relecture globale du parcours professionnel opérée à l'occasion de

l'entretien. L'expérience vécue en entreprise semble offrir des éléments de

comparaison renforçant le choix professionnel initial de l'enseignant.

Figure 5 : Analyse de similitude de la classe 1

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Extrait d'une UCE significative de la classe :

« Et je n'ai pas regretté non non c'est vrai que le métier d'enseignant c'est un beau

métier non non c'est un métier difficile mais c'est un beau métier je ne regrette pas

d'avoir choisi cette carrière. Là franchement de découvrir l'entreprise (...) »

Replacé dans une perspective existentielle, le stage constitue une étape clé dans

le parcours professionnel pour faire retour sur celui-ci remet en sens les

engagements professionnels antérieurs et poser de nouvelles perspectives. Le terme

d’opportunité associé au stage est à distinguer selon deux espaces de sens :

- le stage est en lui-même une opportunité pour diversifier et amplifier son expérience

professionnelle, repenser son parcours professionnel en termes de carrière – il

existe finalement peu de perspectives pour les enseignants de transiter vers une

autre activité professionnelle,

- après avoir rejoint leur établissement, le stage est instrumentalisé comme une

ressource pour répondre ou provoquer de nouvelles opportunités pour amplifier ou

diversifier son action professionnelle.

Extraits d'UCE significatives de la classe :

« Effectivement je pense que j'avais besoin de faire un break dans ma carrière

d'enseignante euh parce que je trouvais plus que je m'épanouissais

professionnellement donc j'avais déjà effectué plusieurs stages en entreprise courts

toujours par le biais du CERPET et euh à chaque fois je restais un peu sur ma faim

en me disant c'est super j'apprends beaucoup de choses mais c'est dommage »

« Il fallait que je m'en aille et je disais d'ailleurs je disais il faut que je m'en aille

parce que la franchement je n'en peux plus et bon ben voilà s'est trouvée cette

opportunité et donc j'ai saisi cette opportunité»

Au regard des trajectoires professionnelles qui ont fait suite au stage, celui-ci

semble tracer une ligne de crête qui oriente sur le long terme les choix futurs des

personnes interviewées soit vers l’espace de l’enseignement soit vers d’autres

fonctions professionnelles. Cinq des enseignants ont en effet changé de métier, et

une partie significative des enseignants en poste lors de l’enquête ont d’ores et déjà

engagé un processus de changement professionnel ou disent rester à l’affût de

nouvelles opportunités. Les autres enseignants considèrent leur choix vers

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l’enseignement comme le plus adapté à leurs souhaits professionnels.

Le stage en entreprise, une expérience révélatrice (Classe 2)

Cette classe comporte 965 UCE soit 24,7 % du corpus analysé et nous intéresse tout particulièrement

pour plusieurs raisons : d'une part parce qu'avec 24,7 % du corpus analysé elle représente la

seconde classe en terme de taille et d'autre part parce que nous y voyons l'expression de

changements de représentations en lien avec la réalité du travail en entreprise et/ou

enseignant. Nous insisterons donc davantage sur son analyse.

En premier lieu nous voyons que le terme « entreprise » est fortement lié au terme

« chose ». Ce dernier significativement présent dans la classe marque l'absence de

clarté, la représentation d’un objet flou, abstrait et indéfini. Le terme « penser »

constitué principalement par l'expression « je pense » marque le fait que la personne

va exprimer une opinion personnelle : nous sommes donc résolument dans une

dimension cognitive du vécu de l'expérience.

Extraits d'UCE significatives de la classe :

« Je disais pourquoi j'étais là mais à institution d’accueil c'était une autre

dimension quand même mais ça s'est bien passé j'avais des représentations sur le

monde de l'entreprise donc certaines oui d'autres non »

« Et bien oui quand même oui il a changé ma perception puisque je l'ai vécu avec

les gens dans l'organisation ce n'est pas la même chose que d'être à l'extérieur si si

bien sûr je me suis frottée aux gens j'ai vu les limites de certaines personnes enfin ce

sont des choses que je pouvais quand même imaginer mais si bien sur que ça change

la représentation que l'on a d'une organisation »

La présence dans cette classe des termes « élève » et « «étudiant » rappelle la

mission de l'enseignant, il doit préparer l’élève au monde de l'entreprise. Cette

préparation semble alors possible par la reproduction de l'expérience cognitive

vécue (ils doivent alors inciter à leur tour leurs élèves à changer de représentation).

« Et puis mais par contre ça apporte des choses nouvelles parce que parfois il y a

des des représentations notamment des étudiants notamment la vision de

l'employeur qui viserait que la rentabilité etcétéra donc là on peut avoir grâce à mon

expérience je peux un peu un peu nuancer les représentations qu'ils peuvent avoir de

l'entreprise de la direction, du personnel etcétéra »

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Cette « chose » est donc un objet flou pour les « élèves » et les « étudiants » et la

mission de l'enseignant est de rétablir une certaine « vérité » sur la « réalité » de ce

monde.

Contrairement à ce que l'on pouvait attendre, le changement de représentation

opéré ne va pas seulement dans le sens d'un changement de représentation du

travail en entreprise chez les enseignants. Le regard porté par les salariés sur les

« profs » qu'ils sont, a également provoqué un changement de représentation de

leur propre métier d'enseignant. Ainsi, c'est en entreprise et dans le regard de

l'autre que l'on se rend compte de la réalité du monde enseignant, on réalise qu'il

s'agit d'un « vrai » « métier » et d'un « vrai » travail. Le stage semble alors susciter

un processus inattendu et renforcer une certaine identité professionnelle.

Extraits d'UCE significatives de la classe :

« Etre enseignant c'est un vrai métier et c'est un métier c'est pas une vocation ni

un sacerdoce ou quoi que ce soit pour moi c'est un métier qui a ses codes qui

s'apprend qui est très intuitif aussi c'est un métier »

« Métier comme un autre et on n'a pas à rougir de notre métier pas du tout pas du

tout à rougir des conditions dans lesquelles on l'exerce parce que finalement on est

beaucoup moins bien lotis que dans beaucoup d'entreprises par les conditions de

travail »

« La 1ère c'est que moi j'étais totalement décomplexé j'avais quand même ce

complexe de l'enseignant qui entend régulièrement qu'être enseignant ce n est pas

un vrai métier et je suis ressorti de là en me disant et bien si c'est un vrai métier

avec des vraies compétences c'est-à-dire que didactiser enseigner adapter à un

public c'est quelque chose qui s'apprend »

Enfin, il semble au final, qu'un autre changement de représentation ait pu être

opéré. Cette fois-ci, il ne s'agit plus des représentations des enseignants mais des

représentations des professionnels rencontrés dans les entreprises sur le métier

d'enseignant. Tout d'abord, les enseignants font état de l'aspect négatif des

représentations de l'enseignant à leur entrée en entreprise.

Extraits d'UCE significatives de la classe :

« Je n ai pas tellement cherché à parler de mon métier parce que je me suis rendue

compte en arrivant dans l'entreprise que l'image des enseignants quand même n'était

pas toujours très très reluisante »

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« C'est-à-dire que pour certains collaborateurs de l'entreprise l'enseignant c'est la

personne qui a beaucoup de vacances scolaires qui fait cours mais bon qui n est pas

débordée qui ne connaît pas le stress enfin bon parce que en magasin c’est vrai il y a

le stress il y a effectivement je pense que je donnais une autre image je donnais une

autre image mais en tout cas au début je n ai pas vraiment parlé de mon métier »

Mais au fil du stage, il semblerait que peu à peu, une autre transformation

s'opère chez les professionnels rencontrés.

Extraits d'UCE significatives de la classe :

« Est ce que ça a changé leur regard sur l'enseignement ou en tout cas l'enseignant

je ne sais pas je serais présomptueuse si je disais ça mais je pense c'était aussi une

façon de voir les profs autrement certainement »

« Un an dans une entreprise ça n'est pas neutre un prof un an dans une entreprise

n'est pas neutre la construction au quotidien c'est de démonter les préjugés oui

quand on me dit ah bon il est 21 heures tu es encore là »

« Ils ont complètement changé le regard et il n'y a plus du tout eu cette vision

éducation nationale là on n'a plus cherché à avoir un … ce que je pensais au début

les gens vous regardent en disant ben c'est le prof »

Pour synthétiser le propos, les personnes interrogées expriment dans cette classe

4 types de changements de représentations rendus possibles grâce à l'expérience de

stage long :

− les représentations du travail en entreprise chez les enseignants ayant suivi

le stage

− les représentations du travail en entreprise à transmettre aux élèves et aux

étudiants

− les représentations du travail et du métier d'enseignant chez les enseignants

eux-mêmes

− les représentations du travail et du métier d'enseignant chez les

professionnels rencontrés.

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Figure 6 : Analyse de similitude de la classe 2

Autre élément frappant de cette classe de discours : le terme d’entreprise est

significativement relié aux termes « vrai, vraiment, concret, évident, situation,

environnement, extérieur ». Cette association s’interprète selon à partir du concept

de forme scolaire et de clôture de l’espace scolaire. En regard de l’espace de

l’enseignement, le monde de l’entreprise semble doté d’un surcroît de réalité.

L’espace scolaire est lui affecté d’un déficit de réalité. Cela est particulièrement

visible dans l’un des entretiens où l’enseignante ayant précédemment travaillé dans

le monde de l’entreprise et ayant participé au stage long ne sait comment qualifier

l’espace professionnel de l’école en regard de ce qu’elle nomme « la vraie vie ». Le

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graphe ci-dessous qui relie les termes élève, comprendre, apprendre, idées au terme

« entreprise » par l’intermédiaire du terme « chose » indique selon nous la difficulté

(aussi bien conceptuelle que pratique) à relier l’espace de la classe à l’espace de

l’entreprise et donc à faire circuler ce que nous appelons la double référence (Zaid,

Champy-Remoussenard, 2012). L’expérience du stage long sous la forme adoptée

jusqu’à présent met en évidence les tensions entre ces deux mondes mais ne

semble pas avoir d’impact sur la reconfiguration des représentations – entendus ici

comme des guides pour la pratique - liées aux relations à développer dans travail

scolaire et travail en entreprise.

L'Analyse Factorielle des Correspondances

A présent que nous avons décrit les classes de la CHD, nous allons tenter de

comprendre comment s'organise la complexité apparente des discours recueillis.

Dans cette étape de l'analyse, le chercheur doit tenter de comprendre les tensions

mises à jour par les analyses statistiques et de redonner du sens aux droites de

régression (les facteurs) constituées. Il est bien évident qu'à cette étape de notre

travail, la subjectivité des chercheurs entre en jeu, c'est pourquoi nous ne

prétendons pas poser des résultats mais plutôt des hypothèses qu'il s'agirait de

tester dans une autre étape de notre recherche.

Ainsi dans la partie qui suit et que nous exposerons en deux temps, nous

proposons de nommer les 4 facteurs de l'AFC. Dans un premier temps nous

présenterons l'interprétation des facteurs 1 et 2 qui nous semblent relever d'une

organisation des représentations du travail chez les enseignants. Dans une seconde

partie, nous présenterons les facteurs 3 et 4 relatant selon nous davantage le

rapport à l'expérience du stage long.

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Les représentations du travail d'enseignants ayant vécu un stage long en entreprise

Figure 7 : schématisation de l'A.F.C.

Le schéma ci-dessus nous permet d'observer la répartition des classes de

discours décrites précédemment dans l'espace factoriel des trois premiers facteurs.

Le premier facteur (facteur 1 horizontal représentant 34,26% de l'inertie totale)

semble opposer dans le discours deux mondes distincts : le monde enseignant

représenté à gauche avec la classe 3 et le monde de l'entreprise à droite avec les

autres classes. La classe 3 se trouve logiquement sur la face « monde enseignant »

du premier facteur, ainsi l'on entrevoit que sur la totalité du corpus analysé, 15,8%

sont consacrés à cette thématique et s'oppose aux autres thématiques. Il semblerait

donc que lorsque l'on évoque le stage long avec les enseignants, ils aient besoin de

resituer d'où ils parlent et d'où ils viennent. On entrevoit ici la fonction identitaire

des représentations que l'on trouve donc dans la représentation du travail.

Ainsi, la représentation du travail dans le monde de l'entreprise peut-elle

s'exprimer par comparaison au travail dans le monde enseignant. Il est toujours

plus aisé de décrire une chose en la comparant à une autre plus connue devenant

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ainsi élément de référence. Ainsi, par un jeu d'allers-retours, ce que l'on ne connaît

pas vient re-questionner ce que l'on connaît et que l'on ne réinterrogeait plus.

Cette première tension mise en avant, nous allons à présent aborder le second

facteur (vertical - 29,65% de l'inertie). Celui-ci semble préciser les oppositions que

l'on peut entrevoir dans les représentations du travail en resserrant cette fois sur le

travail dans le cadre du stage. En son sommet s'expriment les aspects formels et

visibles de la commande prescrite et institutionnelle et en sa base, la partie moins

visible, concernant ce que l'enseignant a vécu lors de cette expérience singulière.

Cette fois, nous observons que la classe 4, relative au discours sur le stage et le

CERPET s'oppose aux trois autres classes. En effet, nous avons pu constater que

dans cette classe, c'est la commande formelle qui est exprimée : le stagiaire ayant à

produire des ressources pédagogiques. Il semble donc que dans les représentations

des enseignants, deux types de travaux soit envisagés, il existerait d'un part ce qui

est prescrit, déclaré et visible et d'autre part ce qui est moins visible, plus personnel

mais demandant aussi un réel effort, un travail. Cette remarque ne sera pas sans

rappeler au lecteur la distinction travail prescrit/travail réel issue des travaux de

l’ergonomie cognitive de langue française.

Ainsi, lorsque l'on évoque le stage long avec les enseignants interrogés, il semble

que ce soit les représentations du travail qui s’expriment en premier lieu. Le stage

s'inscrit dans une période de travail, dans une activité dont les dimensions ne sont

pas détachées de l'activité professionnelle : il ne s'agit pas d'une période de congés,

ni même de formation mais bien d'une mission professionnelle (et

professionnalisante) permettant d'interroger l'identité de métier et d'analyser la

production qui lui est inhérente.

L'expression d'une expérience singulière

Les deux autres facteurs de l'AFC semblent davantage opposer des typologies de

discours propres à l'expérience singulière vécue lors du stage long en entreprise.

Ainsi nous proposons infra un nouveau schéma nous permettant de synthétiser les

tensions révélées par les facteurs 3 et 4. Rappelons ici, que nous faisons une focale

sur la partie basse et droite du schéma précédent. Ainsi, ces distinctions sont à

considérer comme secondaires et donc consécutives de celles opérées en amont et

distinguant les représentations du travail.

Ici, le discours sur l'expérience vécue semblerait s'organiser autour d'un premier

facteur (facteur 3 horizontal – 20,46 % de l'inertie) opposant à droite un discours

pragmatique, très concret et relatant des conséquences comportementales de

l'expérience. Ici la rigueur, la temporalité contraignent le stagiaire à une

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réorganisation, qu'elle soit matérielle ou familiale. A gauche de ce facteur le

discours se révèle davantage intimiste et questionne la personnalité toute entière.

Nous avons nommé les pôles de ce facteur « le rapport existentiel à l'expérience »

versus « le rapport pragmatique à l'expérience ».

Enfin, le 4ème facteur (15,6% de l'inertie) oppose deux types de traitement de

l'expérience a posteriori, deux manières d'appréhender l'après stage. D'un part à la

base du facteur les paroles relatent les changements de représentations (classe 2) et

l'accès à la réalité. Le facteur 4 semble davantage concerner les changements

opérés lorsque l'expérience surprend et est contraire aux attentes. Nous nommons

donc ce pôle « une expérience contre attitudinale ». A l'opposé s'expriment les

renforcements, les effets d'une expérience conforme aux attentes : nous nommons

donc cette extrémité du facteur « une expérience pro attitudinale ».

Ainsi, la représentation de ces deux facteurs pris isolément nous permet

d'entrevoir une modélisation des composantes attitudinales de l'expérience de

stage. En effet, ces trois dimensions exprimées dans les trois classes et reparties

ainsi sur ces deux facteurs renverraient aux dimensions conative (la classe 5

exprime les aspects pragmatiques et les comportements émis lors du stage),

affective (la classe 1 exprime le non regret, le plaisir ressenti lors du stage) et

cognitives (la classe 2 les changements de représentations) des attitudes (Rosenberg

& Hovland, 1960 ; Eagly & Chaiken, 1993).

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Figure 8 : Focale sur les facteurs 3 et 4 de l'AFC : les dimensions attitudinales du vécu de l'expérience

Conclusion

Il ressort des analyses menées ici que l’expérience du stage met en évidence dans

les représentations des enseignants ayant participé au stage long les tensions déjà

identifiées entre espace scolaire et espace de l’entreprise, notamment la perception

de l’existence de deux mondes et un déficit de reconnaissance du travail

enseignant. Toutefois, le dispositif dans la forme adoptée jusqu’à présent ne permet

pas de résoudre ces tensions. Il est raisonnable de supposer qu’un

accompagnement à la suite du stage qui susciterait une mise en mots de

l’expérience influerait de manière significative sur cette situation.

L’expérience du stage permet aux enseignants de transformer leur représentation

sociale de l’entreprise en une représentation professionnelle ou de réactiver une

représentation professionnelle antérieure du monde de l’entreprise. Cependant, ce

processus crée un certain trouble pour l’activité d’enseignement. Il serait donc

intéressant de comprendre comment l’expérience du stage et la représentation

professionnelle qui en résulte peuvent être transposées dans l’espace de la classe.

Page 24: Immersion d’enseignants du second degré en entreprise ...professionnels en entreprise et en classe, donnant accès à l’expérience vécue au cours du stage et lors du retour

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