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Impressions de voyage de Pierre Gassendi dans la Provence alpestre / publ., [...] Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Impressions de Voyage de Pierre Gassendi Dans La Provence

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Gassendi

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  • Impressions de voyagede Pierre Gassendidans la Provence

    alpestre / publ., [...]

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

  • Gassendi, Pierre (1592-1655). Impressions de voyage de Pierre Gassendi dans la Provence alpestre / publ., avec avertissement, notes et appendice, par Philippe Tamizey deLarroque. 1887.

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    DANS LAPROVENCE~A~a~STRE

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    ~a~c~vertisseme~N~A~~ ce

    PAR

    ''H'UPPf!T'))ZEY))EL,tH)tOQM

    OIGNB

    'MPRIMmUECHASPOUL.COXSTANSETveBARBAHOUX

    7'a.'f~f~t'e~

  • IMPRESSIONSDE VOYAGEDE

    PIERRE GASSENDI

    DANS LAPROVENCE ALPES't~E

    PUBLIES

    avec Avertissement, Notes ef~j~t~ce

    PAR

    PHILIPPE TAMIZEY DE LARRCQUE

    DIGNE

    IMPRIMERIE CHASPOUL, CONSTANS ET Ve BARBAROUX

    7, Place de l'tch, 7

    taa9'

  • Extrait, cent exemplaires, des Annales des BaMes-pes,

    Bulletin de la Socit Mi.h'~Ke et HMe')'a:)'e de Digne

  • DE PIERRE GASSENDI

    DANS LA PROVENCE ALPESTRE

    .xPUBLIEES AVEC

    AVERTISSEMBN'M.~NOTS ET/~PPENNCE.y

    par Philippe TAMIZE~ DE L~~j

    AVERTtSSEMEMT

    Parmi les lettres de Gassendi Peiresc qui nous ont t

    conserves en trop petit nombre, il en est deux (crites de

    Digne, le 20 et le 25 mai 18H5) qui ont particulirementattir mon attention elles contiennent le rcit trs dve-

    lopp et partois trs pittoresque d'une excursion de ce grandsavant dans la partie de la Provence aujourd'hui repr-sente par les dpartements des Basses-Alpes et du Var.

    Ces deux lettres, du reste, avaient dj paru bien remar-

    quables l'excellent biographe de Gassendi, le P. Bougerel,car il en a donn une analyse tendue (pp. 146-157). Mais,comme la meilleure analyse ne vaut jamais le texte mme,surtout quand le texte est de la main d'un crivain comme

    Gassendi, j'ai pens que les amis de l'minent philosophe

    IMPRESSIONS DE VOYAGE

  • 4ne liraient point sans quelque plaisir les dtails que, danssa prose savoureuse, il fournit tour tour sur la cascade

    de Sillans, sur les ptrifications de Villecrose, sur l'aqueducde Roquetaillade, sur la fontaine sale de Moriez, sur la

    source intermittente de Colma.rs, etc. On suivra avec

    un double intrt, dans sa petite excursion, le naturaliste et

    l'archologue qui, presque aussi curieux que son cher ami

    Peiresc -l'un et l'autre ne justifient-ils pas cette boutade

    qui semble d'abord un peu trop paradoxale: la curiosit

    est la rcMM des vertus?- s'occupe des sujets les plusvaris et, pour ainsi dire, applique toutes choses ses

    pntrantes observations.

    Aux impressions du voyageur j'ai joint (en appendice)trois de ses lettres indites, adresses, l'une FranoisLuillier (19 septembre 1634), les deux autres Ismal

    Boulliau (5 avril 1G33 et 20 mars 1653). Mon petit recueil

    d'aujourd'hui sera, un peu plus tard, complt par la

    publication, dans un volume de la Collection de docu-ments indits sur l'histoire de jFt'aMce, de tout ce quej'ai pu retrouver des lettres qu'changrent Peiresc etGassendi (1). Puisse-t-il, d'autre part, tre encore mieux

    complt par une dition prochaine des deux registresin-folio ainsi dsigns, sous le n" 1844, dans le cataloguede la collection de lord ~.shburnham CorrespondanceaM~rct~e et indite de Gassendi avec les 7MMMKM Zes

    plus ccM&n's de son temps! Auprs de ces registres, d'o

    jailliraient des rvlations sans nombre sur le biographe

    d'picure et sur son groupe, on en remarque plusieursautres qui contiennent des lettres indites et divers manus-

    crits de Peiresc (nos 1676,1837,1838,1865). Je l'avoue, je ne

    me rsignerai pas dire mon JVMMc d!MMM!'s, tant que jene me serai pas abreuv4 ces sources non moins exquises

    (1) Aprs de longues recherches, j'ai runi seulement un peu plus d'une

    centaine des lettres du premier et une cinquantaine environ des lettres du

    j

  • _g_

    qu'abondantes, tant que je n'aurai pas joui et fait jouir les

    Gassendistes et les Peiresciens des inapprciables trsors

    qui nous ont t ravis (1) et qui nous seront certainement

    rendus en un jour de loyal repentir.

    PmuppE TAMIZEY DE LARROQUE.

    I.

    Monsieur,

    Je ne vous ay point escrit depuis mon despart dE

    Boysgency (2) parce que j'ay depuis tousjours est en

    voyage, et ne suis arriv en ceste ville que dez avant-hier.

    Je n'y serois pas mesme sitost revenu, sans la necessit de

    ma presence ~u jour de la feste d'hier (3), qui est la plussolenmeUe que nous ayons dans nostre glise. C'est le seul

    jour auquel nous portons toutes nos Reliques en proces-

    sion, y ayant d'ordinaire grand concours de peuple de

    touts les lieux circonvoisins; or ayant considr queMons'' nostre vesque (4) n'estoit point icy pour faire l'office,

    (1) Voir, dans la T~M critiquc ~f~e et de ~M~

  • 6

    et que des autres dignits l'archediacre n'est point prestre,le sacristain est absent, le cabiscol (1) ne sait point

    chanter, et pour les chanoines qu'il en manque quatre,et que des aultres qui demeurent, les uns ne sont point

    celebrans, les aultres ne le savent point faire, et les aultres

    sont necessaires des aultres fonctions (2); cella a est

    cause que je me suis tousjours propos d'estre icy la

    veille de ceste feste comme n'en pouvant point estre absent

    sans encourir beaucoup de blasme. Je vous dis cecy paradvance afin de m'excuser envers vous, si ayant pass

    deux lieues prs de Peiresc (3), je n'ay point veu ce lieu-'a,estant veritable que j'eusse peu disposer encore d'un demy

    jour, ny le mauvais pais ny les neiges qui y sont encore

    tout le moins aux montagnes ne m'auroient point empeschd'aller. Vous sers sans doubte un peu estonn d'ouir dire

    que mon chemin a est adress de ce cost l, ne vous en

    ayant moy dit ny escrit aulcune chose, mais je n'avoys

    garde de vous en rien dire estant Aix, ou le vous escrire de

    Boysgency, parce que je n'y avois pas seulement pens, nyn'en ay faiet le dessein, qu'en chemin faisant aussy bien

    (1) Du bas-latin, Ch~MohM (voir le MooMtre de Du Cange). Cabiscou ou

    mieux C'h'o tait le nom provenal du chanoine charg des coles. Notre

    illustre et cher Mistral donne cette qualification aux prsidents des coles

    felibreanes~ dont il est lui-mme le grand matre, sous le titre de Capoeli.

    (2) Ne trouve-t-on pas ce dfil plaisant et n'y a-t-il pas une douce malice

    dans l'numration de tous ces dignitaires qui ne peuvent ou ne veulent remplir

    leurs fonctions?

    (3) Gassendi crit ce nom comme son hros l'crivait lui-mme. Bougerel et

    plusieurs de ses compatriotes ont prfr la forme Peyresc. Dans le DK~t'oH-

    tMtt're des eoHmHHMN de la j~ance, on ne s'est pas content de changer l'i en y

    on a encore transform le c final en q. Pour ceux de mes lecteurs qui ne sont

    pas provenaux, je rappellerai que Peiresc est une toute petite commune du

    canton de Saint-Andr-de-MouilIes, arrondissement de Castellane, 5't kilo-

    mtres de Digne.

  • -7-

    que de voir quelles aultres lieux, dont la cognoiscence et

    curiosit m'est venue en voyageant.Je ne m'estoys proprement destin qu' voir Nostre-

    Dame de Grace (i) avec la cascade d'eau de Sillans (3), quien est une lieue, et aller visiter une parente que j'ay

    Draguignan laquelle il y a long-temps que j'avois promisde donner une semaine mais comme je me trouvay

    Draguignan, je me proposay de mieux employer cette

    semaine qu' une seule et simple visite de femme, et me

    trouvant si proche de Frejusetde Saint-Honnor de Lerins (3)

    que j'avois autresfois bien dsir de voir, je me resolusd'aller visiter des lieux si considrables; estant Saint-Hon-nor je creus que je devois aller Antibe et m'en revenir

    par Grasse. En partant de Grasse, au lieu de suivre le

    droict chemin, je pris une guide (4) pour aller voir l'originede l'aqueduc de Frejus avec cet admirable ouvrage qu'on

    appelle Roquetaillade (a). Parvenu Castellane, jem'apperceus que j'auroys encore justement du temps pouraller voir la fontaine de Colmars (6). Je le fis donc ainsi, et

    (1) L'glise de Notre-Dame-de-Grce, but de plerinage de grande clbrit,est aux environs de Cotignac, chef-lieu de canton de l'arrondissement do

    Brignoles, , 36 kilomtres de Draguignan. Voir ce que dit Bougcrel (p. H6)de cette maison des prtres de l'Oratoire, situe au sommet d'une montagnequ'entouraient des bois.

    (3) Sillans (canton de Tavernes, arrondissement de Briguoles) est 28 kilo-mtres de Draguignan.

    (3) On dit plus souvent l'ile Saiut-Honnorat. C'est cette dernire forme quel'on trouve dans Bougerel (p. 152).

    (4) N'oublions pas que, selon la remarque de Littr, t7ttK~, dans le XVIIs

    sicle, se disait au fminin, comme le prouvent divers ecentples emprunts parle savant philologue Bossuet, Chaulieu, la 'Fontaine, Molire, etc.

    (5) A cinq lieues de Frjus, selon l'indication de Bougerel (p. 152). Roque-taillade appartient la commune de Mons, canton de Fayence, 33 kilomtresde Draguignan.

    (6) Chef-lieu de canton de l'arrondissement de Castellane, 13 kilomtres decette ville, 51 kilomtres de Digne.

  • 8

    tousjours par la grace de Dieu avec un succs le plusheureux du monde; je l'appelle heureux tant par ce que aest tousjours on bonne sant, que p&rceque je n'ay pointeu de mauvais temps, voire quand j'ay eu besoin d'un jourserain parmy cinq ou six nuageux, je l'ay eu, et quand

    j'ay vouleu estre sur la mer, le calme y est arriv tout

    point aprs de trs grands orages. Mais il ne sufSt pointde vous dire simplement cecy puisque je m'asseure quevous vous attendez quelque recit de mes petites adventures.

    Je commenceray donc par le phnomne de Sillans. o

    j'avoys vouleu me rendre de Boisgency avant le coucher

    du soleil, mais voyant le ciel fort couvert je m'arrestay

    Cotignac, o aussy bien il m'eust fallu retourner dez le soir

    mesme pour y faire mes petites devotions. En la matinesuivante je fus fort diligent dire la messe, et le prestre

    qui m'accompagnoit aussy et avant que de partir de l, jeveux dire de la montaigne ou glise de Nostre-Dame de

    Grace je me fis conduire par un de ses pres, qui me ditavoir serieusement pris garde au lever du soleil au tempsdes equinoxes sur le toict de leur glise. Estant l il me

    monstra pour le lever equinoctial une des montagnes de

    l'Esterel, et parce que je recogneus d'ailleurs la montaignede Pourcieulx, je m'imaginay la situation d'Aix et

    colligay (1) qu' ce compte l Aix, Cotignac et Cannes,

    qui est une lieue au del de l'Esterel, seroient en mesme

    parallele. Ce bon homme l me dict que d'une montaignequ'il y a l tout contre, et sur le couchant d'est qu'on

    appelle Besseillon, on pouvoit descouvrir toutes les princi-

    pales montaignes do Provence. Je l'en creus facilement

    pour estre cet endroict l comme le centre du pais, et me

    proposay que si quelque jour falloit faire ou reformer la

    (1) C'est--dire je recueiHts et, par extension, je conclus .de mes obser-

    vations que. Ce sens du mot colliger se trouve souvent dans les auteurs

    du XYI~ sicle, rarement dans ceux du XVII'

  • 9

    charte de cesto province, ce pourroit estre i une fort

    commode station.

    Mais pour revenir Sillans, j'y arrivay sur les huict

    heures, le ciel estant resseran et l'air le plus calme du

    monde. Je n'arrestay point au village, mais me fis conduire

    d'abord vers ceste cheute d'eau, qui en est une ou deux

    mousquetades (1), au long d'une valle qui tire vers le

    levant et qui commence dez le village. L'eau qui s'y

    precipite luy arrive du cost du septentrion et c'est l'eaud'une petite rivire (2) qui n'est guieres moindre queGapeau (3) Boisgency. Ainsy le rocher escharp, du hault

    duquel l'eau tombe, vise assez precisement vers le midy,

    quoyque les costes, avanant un peu vers la valle, y fassentune forme de croissant. La cheute s'y fait comme parquatre canaulx, mais fort proches l'un de l'aultre, en tellesorte que toute l'eau est fort runie dans le bas, et monstre

    de largeur ou de face quelque six toises, oultre une cascade

    spare sur l'endroit qui avance du cost d'orient o mesmel'eau bondit et escume davantage pour n'estre point ie roc

    escharp ni creux l'esgal du reste. La haulteur du rocheret par consequent de la cheute peult estre de douze ou

    quinze toises (4), et pris-je garde que d'une grande quantit

    (1) Bougerel, un peu infidle en son anaJyse de ce passage, fuit dire

    Gassendi (p. 147) A Mt trois portes de mousquet du village.

    (2) Cette petite rivire que Gassendi et Bougerel ne nomment pas est la

    rivire de la Bresque, qui prend sa source au chteau de Sa.int-Jea.n-de-Broac,ancien fief des Templiers, rige en marquisat, avec Fox-Amphoux, en faveur

    des d'Albert, qui le possdaient conjointement avec la famille de Sigaud. A

    cette dernire famille appartient M. Louis de Sigaud-Bresc, l'auteur de

    l'A~-neorial dea commune8 de Proven.ce.

    (3) On sait que Peiresc fit construire un aqueduc au moyen duquel les eaux

    du Gapeau se rpandaient dans les magnifiques jardins de sa maison de

    campagne.

    (4) On donne gnralement la chute une hauteur plus considrable

    (50 mtres).

  • M

    de pigeons, qui volletaient l'entour, ils estoient la pluspart toutz noirs. L'eau en se precipitant est receue comme

    dans un lac de largeur ou diametre de quelque cinq ou six

    cannes, aprs lesquelles elle est verse par une aultredescente vers la valle que j'ay dict viser du couchant aulevant.

    Au reste le lieu est fort inabordable parceque par le hault

    le lieu est comme marescageux, et d'ailleurs il y a bien du

    danger de s'approcher trop du bord du precipice, et par le

    bas il y a l'eau mesme et des rochers avec des arbres etdes broussailles qui empeschent extrmement d'y voir et

    considerer toutes choses plaisir. Quand j'y arrivay, le

    soleil n'esclairoit point encore la face du rocher, mais sule-ment une partie du lac du cost du sud-ouest. J'y regardayde divers endroictz, je n'y descouvrys qu'une legere tein-

    ture, et confusion de coleurs de l'arc en ciel lorsque je fus

    au haut du rocher, et du cost du nord-est, ayant le soleil

    aulounement doz et vers la main gauche. J'ay oublye de

    vous dire que le brisement et le rejallissement de l'eau quise precipite d'une telle haulteur dans ledit lac, joint

    l'esparpillement qui est faict au long d'une cheute si

    violente, cause comme une poussire d'eau, ou comme un

    leger nuage et pluye trs delie dont les gouttelettesimperceptibles m'alloient mouiller et se faisoient aprs

    voir, en les regardant du cost du soleil, plus de dix

    toises loin. Ce fut donques une impression que le soleil me

    fit voir en la poussire ou vapeur ou, si vous voulez,fume qui regnoit sur le dit coin du lac aussi bien que sur

    tout le reste.Or quand aprs je fus descendu au bas, le soleil esclairant

    desja une partie de la face du rocher avec davantage du

    lac, je descouvris d'abord une portion d'arc en ciel parfai-tement bien peinte, elle finissait main gauche, ou d'un

    cost du couchant l'endroit du rocher qui estoit un peuau del. de la cheute, et quelque cinq pieds au dessus du

    lac et par ainsi plus d'une toise au dessus du niveau de

  • ii

    mon il, main droite, elle venoit s'esvanouir dans ledit

    lac y descendant comme en escharpe de travers la cascade

    et plus forte pousse du rejaillissement. Je n'avoys pointle soleil bien doz, mais un peu main droitte.

    Je descendys aprs un peu plus bas, et alors cette portiond'arc s'abaissa d'aultant, et estant mont plus hault, elle

    s'esleva de mesme. Le Benenci (1) qui m'accompagnoit

    grimpa sur un arbre, dont il s'estonna de la voir si hault

    esleve travers la face du rocher et entierement hors du

    lac; j'y montay aussy pour la voir de mesme (2) et aprsencore plus hault sur le terrain par lequel on peult descendre

    du hault du rocher du cost du levant, dont je la vys sur

    le milieu du rocher, mais tousjours au dessoubz de mon

    niveau et avec un peu de biaisement en bas du cost de

    ma main droicte. Je retournay aprs l'endroit dont je

    l'avoys veue la premire foys et la recogneus fort sensi-

    blement plus abaisse qu'au commencement, non pas pourla position de mon il, mais pour l'eslvement du soleil quimontoit encores vers le midy. Cependant je feis passer et

    repasser le Beneficier non sans bien de la peine au del du

    torrent par lequel le lac se descharge en telle faon qu'ilvist le lac ou une partie d'iceluy entre son il et le soleil,et il me rapporta avec estonnement que de cet endroict l

    il ne voyoit aulcune chose. Je m'attendoys de l'y faire

    repasser aprs midy pour le faire encore plus estonner de

    quoy de cet endroict l il eust veu quelque chose, et riende l'endroict dont nous le voyons alors, mais sur les onzeheures il survint des nues qui, avant midy, eurent cou-vert tou!, le ciel et nous obligrent de nous retirer.

    Ce fust neantmoins aprs avoir veu de ce phnomne

    (1) Bougerel traduit ainsi MK ecc~tf~

    (2) Gassendi avait 43 ans au moment o il grimpa sur cet arbre. L'amour

    de la science lui fit faire des ascensions autrement dangereuses. Il tait vraiment

    de la race de ces curieux la gnreuse imprudence qui, comme Plinc le

    Naturaliste, se sacrifieraient volontiers leur noble passion.

  • i3

    aultant qu'il en falloit pour colliger que ceste portion d'arcen ciel estoit de mesme nature que celuy que nous voyonscommunement peint dans les nues. Que si cet arc icy se

    trouvoit mutil main gauche et du cost du couchant,c'estoit faulte de matire et pour l'esloignement ou fuitedu rocher qui estoit au dos de la vapeur, estant plus quevraysemblable que si du cost du couchant et un peu vers le

    midy la vapeur et le rocher eussent est opposs, de mesme

    j'aurois veu un demi-cercle, dont la partie plus esleveeust est l'opposite du soleil, et le cost de ma main gauchebiaisant en bas de mesme que celuy que j'avoys ma main n

    droicte. Et il ne fault point s'estonner si cet arc estoit plusbas que mon il, parceque non sulement le soleil estoitfort haut, mais mon il mesme, constrainct par la situationdu lieu, se trouvoit plus hault que la vapeur sur laquelleestoit faicte l'impression.

    C'est ainsy que parfoys du haut d'une montaigne touteentoure en sa racine des brouillards rapides on a veu (lesoleil estant fort approchant du Zenith) non plus l'arc en

    ciel en demi-cercle, [mais~ entier ou grandement appro-chant et je suis bien tromp si ce n'est Porta, qui, dans le

    traitt des Meteores, dit d'avoir observ des semblables

    choses sur les montaignes du Montferrat (1). Et certes icymesmes je m'appereus, m'estant advanc le plus que jepouvoys vers le lac et du cost du couchant, et ayant ma

    main droicte directement au septentrion, que la dicte

    portion d'une s'estendoit encore beaucoup vers mon doz en

    telle sorte que si c'eust est la mesme chose du cost gauche,il y auroit eu l les deux tiers ou les trois cartz d'un cercle,

    (1) Je suppose que le Trait t~s Mtorea dont veut parler Gassendi n'est

    autre chose que l'ouvrage du physicien napolitain (1540-161o) pubUe sous ce

    titre De etej'~ ~-

  • -13

    Il ne fault point toutesfois que je dissimule qu'imaginantle cercle entier, je ne m'en voyois point estre comme au

    centre, parceque l'endroict que j'avoys ma main droicte

    estoit beaucoup plus proche de moy que ce qui estoitplusvis vis de moy, cause, comme je pensay, de la situation

    du corps qui faisoit l'opacit au derrire.

    Quoy qu'il en soit, je n'observay point ce que M. Guion

    nous avoit dict, savoir est qu'en cet endroict on vid l'arc

    en ciel avec ses bras ou cornes en hault, mais par aventure

    l'avoit il imagin ainsi, sur ce que s'il avoit veu cette portiondu cercle le matin ainsi que moy, il avoit considr son

    biaisement de droicte gauche, et si aprs midy de gauche droicte en telle sorte qu'il y mist tousjours un bras pris de

    bas en hault. En effet si vous parlez luy, et le priez de s'en

    souvenir, je suis comme asseur qu'il ne dira point qu'il ait

    veu tout la foys les deux bras de l'arc visant contre mont.

    Il m'estoit eschapp de la mmoire de vous dire que les

    coleurs de cette portion d'arc ranges de mesme qu'en l'arcen ciel ordinaire y estoint non sulement bien peintes, mais

    encores qu' cause de l'agitation de la vapeur cause parla'violence de la cheute et du rejallissement de l'eau, elles

    estoint en un perpetuel ondoyement et en un mouvementaussi vif que vous ayez jamais veu flamme, et voii pource que je vis Sillans.

    Le mesme jour (c'estoit le mecredy neufiesme de ce

    moys), le ciel s'estant un peu esclaircy sur les troys et

    quatre heures aprs midy; il y eust une couronne l'entourdu soleil, laquelle ayant disparu, il en revint un fort legeret presque insensible vestige du cost du midy, un peuavant les six heures, tandis que j'estoys entre Flayolz (1)et Draguignan. Or ce qu'il y eust de considerable, ce fustun espece de parhelie (2) qui y parust tout au niveau et de

    (1) Flayo8 ou, comme on dit plus souvent, .F~Me est une commune du

    canton de Draguignan, 8 kilomtres de cette ville.

    (2) Existe-t-il beaucoup d'exemples plus anciens de ]'emp!oi en notre ]H.n?)jedu mot parhliel Littr ne cite aucun crivain sous ce mot,

  • 14

    la mesme hauteur que le soleil durant plus de demie heure.

    Tout le reste de la coronne, qui prenoit de haut en bas parle midy ou main gauche, ainsy que j'ay dict, impercep-

    tible, mais eu cet endroict l c'estoit comme un nceud avec

    les coleurs de la coronne trs vives en telle sorte que quin'eust point veu le vray soleil main droicte, il eust prisd'abord ce parhelie pour le soleil mesme, mais paroissant travers des nuages qui l'eussent rendeu sombre et un peu

    rougeastre.Quand je veys la premire feys ladicte coronne, j'estoys

    entre Villecrose (1) et Flayolz. Or de Salernes je m'estoysdestourn vers Villecrose pour y voir les grottes dans

    lesquelles l'eau qui distille d'en hault de toutz les costezfaict des petrifications admirables, et pour les figures, et

    pour la grandeur et pour la diversit je ne vous en entre-

    tiendray point, parceque je m'asseure que passant par lvous aurez veu autresfois ce lieu. Je vous diray sulement

    que parmy un grand nombre de colonnes naturelles biendroictes et haultes, qu'on y void encore simples, doubles.,

    triples, quadruples, et de l'espoisseur du poulce, du bras,de la cuisse, etc., les soldatz et aultres gens y en ont cass

    beaucoup, mais en telle sorte qu'on y void encore la partieinferieure plante, et la superieure suspendue. Or j'yremarquay deux choses assez considerables, l'une quel'inferieur desdictes colonnes paroist anneil la faon de

    plusieurs bOtS qui semblent tesmoigner en cela diverses

    surcroissances l'autre que la portion demure suspenduede quelques-unes de ces colonnes reoit ces appendices

    par le moyen de l'eau qui continue d'y fiuer. Je pris gardeentre aultres une qui avoit est triple et dont les deux

    parties ayant demur en restt de leur recommencement,la troisiesme a desja pris une forme de queue au bout de

    (1) Villecroze est une commune du canton de Salernes, arrondissement de

    Pfagu~MBi SI JtHomtres de cette dernire vi!Ie.

  • 15

    laquelle ayant veu une goutte d'eau, j'y mis le doigt et,

    l'ayant emporte, sentys un peu de creux auquel la dicte

    goutte avoit est enchasse ainsi qu'une perle. La Sgure en

    estoit plus prs comme je m'en vay la marquer icy au

    cost.Il n'est pas propos que je vous die rien des Antiquitez

    de Frejus parce qu'ayant vous est sur le lieu, vous y aurezsans doubte mieux et plus curieusement que moy observ

    toutes choses, aussy bien qu' Saint-Honnorat, Antibe et

    Grasse. Sulement parce que je m'imagine que par adven-ture vous n'aurez point veu un lieu si escart, et de sidifficile abord, qu'est celuy de Roquetaillade, je m'en vayvous dire peu prs comme quoy il est faict. On estoit all

    prendre au dessoubs des monts et cinq lieues de Frejusl'une des sources de Stagne pour en conduire les eaux

    Frejus, aprs les avoir conduictes environ un quartz delieue au long d'une coste de montaigne qui va du ponentau levant il restoit les conduire par un contour de la

    mesme montaigne qui a le mesme aspect et en laquelle onvoid plusieurs vestiges bien insignes de l'aqueduc. On envoit aussy de mesme par les cottez dudit canton o la

    montaigne a assez de prise et de talu pour les souffrir. La

    peine pour ceux qui conduisirent cet ouvrage fust sur lemilieu dudict contour, qui vise sur le levant, parcequ'ilzrencontrrent l un roc escarp d'une haulteur effroyable,car je croy qu'elle est pour le moins de trente ou quarantetoises, en telle sorte qu'il n'estoit pas possible de bastir rien l'entour il falloit donc en percer le rocher ou creuser

    jour depuis le hault jusques au niveau de l'eau durantsoixante-dix ou quatre-vingt pas. Ce fust donc ce qu'ilsfirent, mais il leur arriva une disgrce c'est qu'aprs avoircrus au long de cet espace l environ six toises de haulteuret une de largeur, la partie du rocher qui estoit demuredu cost du precipice comme une muraille ou voute s'abattit,soit pour n'avoir assez d'espoisseur, ou assez de continuit,paroissant mesme encore quelques legeres, mais naturelles

  • 16

    fentes en ce qui demure. Hz s'avisrent donc de tailler denouveau le rocher plus avant du cost de la montaigne et

    de faire une ouverture de pareille haulteur et largeur que

    l'aultre, et c'est cella qui paroist encore aujourd'huy et pour

    empescher que la bariere du cost du precipice ne s'abbatist

    encore un coup, ilz laissrent un arc assez espois vers le

    milieu de la pierre mesme affin que la barrire demurast

    par ce moyen attache au roc qui est ferm du cost de la

    montaigne; en effet elle y tient fort bien encore aujourd'huy.J'aurois ensuite vous entretenir d'une grande quantit

    de fontaines sales quej'ay veues en mon chemin, ou dont

    j'ay goust de l'eau et qui ont est descouvortes en cez

    quartiers des montaignes par une espce de Providence

    depuis que renchrissement du sel a priv tout ce pauvremonde du moyen d'en achepter. Mais je me reserve de vous

    en discourir plus particulierement quand j'auray examin

    combien elles sont sales plus les unes que les aultres, vous

    pouvant sulement dire pour le present que jusques icy j'aytrouv celle de Moriez (1) la plus sale de toutes, car elle l'est

    (1) Commune du canton de Saint-Andre-de-Mouilles, arrondissement de

    Castellane, 33 kilomtres de Digne. Bougerel ajoute (p. 155) que l'historien

    Bouche, dont il cite ce sujet la CAtM-o~te de ~roMnce (liv. Vt, chap. YII,

    p. 35), se trouva avec Gassendi Moriez et s'associa ses expriences. Comme

    il est fort question de Sillans dans le prsent document, on me permettra

    peut-tre de reproduire ici une lettre indite du docte compagnon de Gassendi

    o figure aussi le nom de cette petite ville.

    Lettre de messire Honor Bouche, prevost de Saint-Jacques, M. Antelmi,

    cbanoine de Frjus, Frjus.

    Monsieur, j'ay attendu jusques maintenant de repondre vostre lettre

    du 6 du mois pass affin qu'une trop grande diligence ne vous servit de

    reMoche. Ce n'est pas me satisfaire que de m'avoir marqu les choses que vous

    m'avez escrites, car ou je n'attendois point de reponse de vous, ou j'esperois

    quelque chose de plus, mais il n'y a remde d'un bon payement il se faut

    contenter ou de foin ou de paille. Mais affin que vous sachiez pourquoy je vous

    demanday ces choses, c'est que tous les autheurs sont grandement en peine

    do savoir quelle est cette ville qui, en la Mtropole ancienne d'Embrun, est

  • 17

    2

    un point que je la tiens plus sale cinq ou six fois que

    l'eau de la mer. En effect les pauvres pour saler leurs

    grands peses de potage n'en mettent communement que

    deux ou trois cueilheres.

    J'avoys aussy beaucoup de choses vous dire de la

    situation de diverses montaignes qui ont quelque suite et

    des couches des rochers que j'ay observes en chemin

    faysant, mais en peu de mots il est vray que la plus

    grande partie des montaignes qui ont quelque suite sont

    disposes du couchant au levant et que leur endroit coupen precipice vise le midy et le talu vers le septentrion.

    Monsieur, j'en estois parvenu avant-hier jusques icy,

    croyant que Mr Robert, frre de Monsr nostre sacristain,deubt partir hier pour vous porter ma despesche, mais son

    despart ayant est diffr et ayant moy creu que j'avoysassez de temps pour achever ma relation, je m'estoys laiss

    gagner la paresse; maintenant l'issue de matines, et

    comme je m'en alloys dire la messe, on m'est venu advertirdu despart de ce porteur dans demie heure. J'ay donc quittl tout aultre dessein, et m'en suis venu pour vous envoyer

    appele Ct't-t'faa~oHt'uKt'cM~ni.Ayant pour ce sujet parl, ,Rome, un des grandshommes du sicle pour la gographie historique, qui a pris tache de corrigerles autheurs qui traitent de ladite gographie [probablemout L. Holstcnius],aprs trois jours d'estude sur ceste demande, je n'eus de luy autre roponsosinon qu'il doubtoit si cette ville ne seroit point SiF 'jis ou Fayence et me

    pria de m'informer si par les antiquits de ces villes on trouveroit quelquechose approchant de la vrit, quoy vcus travaillers un peu plus srieuse-ment en faveur de l'histoire.

    Je suis, Monsieur, vostre, etc. A Aix, ce 6 juin 1637.H. BOUCHE, prevost.

    (BtHtotM~m! Jtf~'ftttM.Collection .PeH'aM,volume II, fo 338. Copie.)

    Notons, au risque de contrister les mnes de ce grand homme du sicle queSillans ni Fayence n'ont jamais appartenu au diocse ni mme la provinced'Embrun, mais bien i'vche de E~TS.tptLdependiut de la mtropole d'Aix.

    /tI;

  • -i8-

    cependant cecy et y joindre un mot pour Monsr Luillier (1)

    qui puisse partir par le prochain ordinaire je n'auray

    pas du temps pour luy rien dire de mon voyage, mais

    ce sera pour une aultre foys, si ce n'est qu'il vous

    plaise de joindre ceste lettre ce que je luy vay escrire

    condition qu'il la vous renvoye aprs l'av 'r leue.Pour la fontaine de Colmars, que je tro~/e l'une des plus

    curieuses et admirables choses que j'aye jamais veues etdont je m'estonne que personne n'ayt jamais rien escrit, jevous diray par ma premire ce peu que j'en ay observ.

    Cependant, aprs avoir trs humblement bais les mains

    . Monsr de Valavez, s'il est Aix, et Mr le Baron et

    Madme la Baronne (2), je demure tousjours, Monsieur, votretrez humble et trez affectionn et trs oblig serviteur.

    GASSEND.

    A Digne, ce jour de dimanche XX de may 1635 (3).

    II.

    Monsieur,

    Par celle que je vous escrivys, il y a cinq ou six jours,

    j'en demeuray, si j'ay bonne mmoire, sur ce que je vous

    vouloys dire, que la disposition des montaignes qui ont

    quelque notable longueur, n'est point tousjours du Levantau Couchant. Du lieu dont je vous escrys ceci, j'en ayune tout devant mes yeulx, qui va plustost du Midi au

    (1) Sur Franois Luillier, voir .DM-me~ MtMe mr SftMm~t (Paris, 18T!,

    pp. 12, 13, 23, etc.).

    (2) Claude de Fabri, baron de Rians, fils de Fatamde de Fabri, avait pons,

    en 1631, Marguerite des .AIrics. Voir, sur ce neveu de Peiresc, neveu dont

    Gassendi eut tant se ptamdre, une note la page 18 des DttcumeNts t'n~~a,

    qui viennent d'tre cit~i.i

    (3) BiNifithqu&d'In~~trt, Carpentras. Collection Peiresc, registre LX,

    tome n, f" ~eopie.

  • 19

    Septentrion. C'est la montagne des Dourbes qui est cou-

    pe du cost du Couchant et a son talu du cost du Levant.

    Elle en a au derrire une aultre encore plus haulte dispo-se da mesme du Midy au Septentrion avec talu de partet d'aultre, mais plus du cost du Levant qui est vers

    Thorame la basse (1), que du cost du Couchant qui est

    vers Blgiers (2). J'en ay encores veu d'aultres en divers

    sens, mais cella n'empesche pas que la plus grande partiede celles que j'ay veues ne soient disposes comme vous

    l'aviez pens.Au reste, entre les deux montaignes dont je vous ay faict

    mention, j'ay remarqu un vallon o l'on recognoit mani-

    festement l'ouverture d'un rocher qui le traverse avoir

    est faicte par la violence de l'eau, qui l'a min peu peu,et en la suite de plusieurs sicles. J'ay remarqu la mesme

    chose en un vallon qui est par dea, et au dessus de

    Drais (3) et encore en plusieurs aultres lieux, ce qui me

    confirme d'aultant plus en la creance que les ouverturesdes rochers de Saint-Marc (4), de Chante-Perdrix (5), de Siste-ron et aultres semblables pourroint bien avoir est. faictes

    par le cours des rivires qui travailloient les creuser

    depuis un si grand nombre d'annes.

    Cecy me faict souvenir de vous dire que j'ai recouvr etdsir vous envoyer trois ou quatre coquilles petrifies,qui mon advis vous seront agrables, parce qu'ellesservent & justifier l'opinion que vous avez que telles

    (1) Thorame-Basse est une commune du canton de Colmars, 33 kilomtres

    de Digne.

    (2) Blgiers est une commune du canton de la Javie, 13 kilomtiM de

    Digne.

    (3) Aujourd'hui Draix, canton Je la Javie, 13 kilomtres de Digne.

    (4) Il s'agit ici de Saint-Marc-Ia-More, dans la banlieue d'Aix, o l'Arc

    passe travers une gorge des plus troites.

    (&) Chante-Perdrix, est la troue faite par la Durance aux rochers qui

    formaient la clue de Mirabeau, aujourd'hui perce.

  • ao

    pierres ont est aultresfois des veritables coquilles, soit

    marines, soit aultres; c'est pour la difference qui y paroist, tout le moins en deux, de la matire petrifiable dontelles ont est remplies dans celle qui semble leur avoirest naturelle, estant l'une blanche et l'aultre noirastreelles ont est trouves icy en la mesme pice de

    Monsr Taxil (1) o se trouvent ces pierres estoiles dont

    je vous ay autrefoys envoy et port assez bon nombre detoute grandeur.

    Pour la fontaine de Colmars, dont je m'estois reservde vous dire quelque chose, je ne fus pas plus tost arriv la ville, l'avant-veille de l'Ascension, sur les onze heuresdu matin, que je m'allay faire monstrer le lieu, tandis

    qu'aussi bien il falloit qu'on m'apportast diner. Elle est

    en une pente et face de montaigne qui regarde assez preci-sement vers le Midy et a au pied la rivire de Verdonavec la ville de l'aultre cost. On l'appelle Font-Levant.Je ne say si c'est parceque son cours estant en biais

    semble venir du cost du Levant, ou parce qu'elle se lveet croist si souvent et par des reprises dont il est bienmalais de deviner la cause.

    Il y eust en la compagnie un bon vieillard de notaire

    qui dit qu'il la falloit appeler font beuvant, parce que l'eau

    en effect en est trs agreable au goust, et j'en voulus faire

    apporter pour en boire . mon disner. Par parenthese, ce

    notaire est un homme qui mrite que vous en cognoissiezle nom. C'est un Mons' Gaultier, qui, bien que desja octo-

    genaire, est encore d'une merveilleuse vigueur, car il

    (1) Est-il question ici du bon chanoine Taxil, dont j'ai eu tant de plaisir

    rimprimer, avec le gracieux concours de M. l'abb Faraud, l'Ora%aon fuubre

    de 6'tM8M(f

  • 31

    grimpoit encores par ses montaignes aussy vritablement

    que moy. Mais ce n'est pas l. ce qui le rend recomman-

    dable c'est l'extrme curiosit qu'il a d'apprendre toutes

    choses et de les mettre par escript. Comme il est enclav (1)dans des montaignes et n'a point de correspondance au

    dehors.. il ne peut pas tenir registre de beaucoup de choses

    estrangeres, mais tout le moins pour ce qui regarde sa

    ville, il n'est rien arriv de considrable depuis cinquanteans qu'il ne l'ait mis sur le papier (3), et pensez-vous, me

    dirent quelques-uns, vous ne serez pas plus tost sorty y

    d'icy qu'il s'en ira escripre comme quoy vous y avez estun tel jour et dit telle et telle chose. Parce qu'il m'avoit

    tenu si bonne compagnie, je vouleus avant que partirl'aller voir dans sa maison et me faire monstrer ses

    registres, mais ce qui est plus admirable en luy, c'est lamemoire dont, en discourant, il cotte les dattes de touts

    les principaulx vnements. Je vous assure que si en

    chaque ville il y avoit tousjours un homme de pareillevaleur, il ne seroit pas malais de faire des bonnes his-toires (3).

    (1) Gassendi a pris ici le mot enclav au sens propre d'e~cu~, comme devait

    le faire quelques annes plus tard Boileau, dans le chant III du ~tj'Ht.

    (2) Possde-t-on d'autres renseignements sur ce guide si alerte et si obli-

    geant, sur ce chroniqueur si zl et si scrupuleux ? 11 serait curieux de savoir

    si l'on a conserv dans son pays natal quelque souvenir de sa personne et de

    sa famille, surtout quelque fragment de son journal.

    (3) De la remarque qui couronne cette charmante petite anecdote, je rappro-cherai cette phrase de Bernard Palissy (dition Cap., p. 99) Pour mieux

    descrire la vrit, je trouverois bon qu'en chacune ville, il y eust personnes

    dputes pour escrire fidlement les actes qui ont est faits. Puisque j'ai

    nomm Palissy, j'annoncerai, au sujet de ce grand artiste et de ce grand

    crivain, deux trs bonnes nouvelles une dition splendide de ses uvres

    compltes va tre donne par son habile et sympathique biographe, M. Louis

    Audiat, prsident de la Socit des Archives historiques de la Saintonge et de

    l'Aunis une thse sur sa vie et ses crits sera prochainement soutenue devant

    la Facult des Lettres de Paris, par M. Ernest Dupuy, professeur de rhtorique

  • ?Pour revenir la fontaine, elle sort en biais, ainsi que

    j'ay dict, travers une petite ouverture de rocher, ayantneantmoins son lict mesl d'un peu de sable et graviernoirastre de la mesme nature que sont la terre comme les

    pierres ou rochers de la montaigne. Quand j'y arrivay, il

    n'estoit guiere plus d'un demi-quart aprs onze heures.

    Ceux qu'y m'y conduisirent me dirent que l'eau venoitde verser, parce qu'ils la recogneurent son descroisse-

    ment. Comme il passoit onze heures et demie, ces gentss'estonnoient bien fort de quoi elle tardoit tant de revenir

    et commenoient desja faire des comptes (sic), qu'aultres

    foys Monsr Pellissier de Bollogne (1) disoit d'y avoir est

    par un grand froid durant plus de deux heures sans qu'ileust eu le moyen de la voir couler. Enfin onze heures etdemie precisement cette eau vinst et revinst un accroisse-ment fort prompt jusques environ la grosseur de mon

    bras et aprs descrenst d'abord assez sensiblement, maisen suitte fort insensiblement jusques ce qu'il n'en coule

    plus qu'environ la grosseur de mon petit doigt. Elle creust

    aprs, decreust de mesme pour la deuxiesme foys, et aprs

    pour la troisiesme, et aprs pour la quatriesme jusques

    au lyce Henri IV, le pote auquel on doit les T~H'~fa, le critique auquel on

    doit C~anf~s A~f'M de la ~~A'atMt-e )-se aM ~7~~ NMC~ et Ttcfor ~M~o.

    Et, propos de thses pour le doctorat s lettres, c'est bien l'occasion

    d'annoncer encore qu'il s'en prpare en ce moment deux sur Gassendi, une

    toute spciale sur le penseur, par M. Flix Thomas, professeur de philosophie

    au lyce de Brest, l'autre, o non seulement l'homme, le savant, r

  • 33

    ce que ma monstre estant sur le midy, l'eau recommencea

    de couler pour la cinquiesme foys, et moy je pensay d'en

    prendre et en aller mesler avec du vin. Aussy tost que

    j'eus disn, je me desrobay avec mon bnfici et un valet

    pour retourner sur le lieu afin de considerer mieux toutes

    choses, desbarrass de la compagnie que j'y avois aupara-

    vant. J'y arrivay sur une heure et demie, tandis que l'eau

    estoit sur la fin de son descroissement et me randit

    attantif pour recognoistre le moment auquel commenceroit

    de croistre. D'abord que je la recogneus, je me mis

    compter les battements de mon poux et n'en eus pas

    compt 45 qu'elle eust creu jusques au plus haut en telle

    sorte que, comptant la 50" je commenay d'en recognoistrele sensible descroissement. Continuant aprs, j'en comptay

    jusques 950 avant que l'eau retournast et refey aprsla mesme exprience jusques huict fois, c'est-a dire

    jusques deux heures et demie ou un peu davantage,mais les intervalles ne furent pas tousjours precisementesgaux, car tantost je comptay 900 battements, tantost

    800, tantost 700, tantost plus, tantost moins, mais jamaismoins de 700. La quantit de l'eau aussy me sembloittantost un peu plus grande, tantost un peu moindre et

    plus grande quand elle mettoit plus de temps revenir.

    On me dit qu'on avoit observ que sur le printemps ellecouloit et plus souvent et plus abondamment qu'en aultre

    saison, mais pour la difference du temps sec et du tempshumide, personne ne m'en sceut rien dire. Bien me dit-on

    qu'il y avoit encore au terroir de Colmars une aultre fon-taine qu'on appelle la fontaine Saint-Jean qui, par sonabon-

    dance, marque la secheresse et strilit de l'anne, aussybien que ne coulant que peu ou point elle en marque l'humi-dit et l'abondance. A propos de quoy j'ay appris depuis monretour en cette ville qu'il y a une source aux Mes (1) qu'on

    (1) Chef-lieu de canton de l'arrondissement de Digne, 24 kilomtres de

    cette ville. Les ~M~Mo de Montfort, prs des Mes, sont dans le cas du Tapoulet.

  • -24-

    appelle le Tapoulet (si toutes foys j'ay bonne memoire) quidemure quelques foys les deux et troys ans de couler et

    aprs deborde parfoys si furieusement qu'elle noye toutela plaine, et qui plus est l'on m'asseure qu'on a observ

    qu'elle ne coule jamais qu'elle ne marque la strilit de

    l'anne, en telle sorte que parce qu'elle coule maintenant,l'on a assez mauvaise opinion de la saison la rcolte

    prochaine,Pour retourner encore une foys mes moutons (1),

    comme je demanday si cette fontaine de Colmars nedescroissoit point quelques foys en telle faon que son

    petit lict tarit tout faict, quelques-uns me respondirentqu'ouy ou pour le moins qu'ils avoyent veu qu' grandpeine y demuroit-il quelque goutte ou petite humidit.

    Quand j'eus veu que, comme avant le disner, cette fontaineavoit coul quatre foys dans une demie heure, ainsy aprsdans une heure elle en avoit coul huict, je commenayde doubter si je ne m'estois point tromp aussy bien quetoute la compagnie en l'intervalle de nostre abord, etaurois creu de l'avoir est, si je n'eusse point eu regard ma monstre. Quoy qu'il en soit. je fus bien fasch que

    partie l'apprhension de la pluye, qui me menaoit de fort

    prs, partie la necessit de faire encore deux grandeslieues ce jour l pour pouvoir me rendre icy le lende-

    main, veille de l'Ascension, midy, m'obligeoit quitterles spculations de cet~e fontaine, pour ne pas dire

    qu'estant de retour la ville, j'y estois attendu par le

    bon notaire (2), pour m'aller monstrer tant les restes

    S~(l) L'emploi de cette gaie locution proverbiale montre que Gassendi appor-

    tait dans sa correspondance la bonne humeur qui, selon ses biographes, tait

    un des grands agrments de sa socit. On trouvera nn nouvel exemple de

    cette bonne humeur dans les premires lignes de la lettre Luillier, qui va

    suivre.

    (S)~Comment Bougerel, dans son analyse, a-t-il laiss de ct teut ce qui

    est relatif ce bon notaire, cette perle des notaires de la vieille Provence ?

    Ne devait-il pas une mention honorable au c~'Mie de son hros ?

  • 25

    d'une glise qu'on avait commenc de bastir depuis l'an

    1527 et que Monsieur le Grand Prieur avoit faict demolir

    afin qu'elle ne peut point servir de forteresse, que le toict

    entierement abbattu de leur nouvelle glise dans la ville

    par la pesanteur de la neige qui y estoit tombe au moysde fevrier dernier. Mais je me reservay, si je passois l'est

    en ce pays cy, de faire encore un voyage de huict joursen ces quartiers l pour observer mieux toutes choses.

    Il me resteroit de vous dire quelque chose touchant mes

    foibles conjectures de la cause de ces reprises et accroisse-

    ments merveilleux (1), mais voicy Mons'' Robert qui, au lieu

    d'attendre de partir aprs disner, comme il m'avoit faict

    esperer, se trouve press de partir tout l'heure mesme,et ainsy m'empesche de vous pouvoir dire aultre chose.J'avois faict dessein particulirement de vous faire savoircomme quoy il n'y avoit point eu d'hyperbole en mon faict

    quand je vous avois dict que l'eau de Moriez estoit plussale cinq ou six foys que celle de la mer, parce qu'en effectelle l'est dix ou douze foys dadvantage, voire qu'elle estsale autant qu'eau le peut estre, ainsy que j'ay desjaexpriment. Mais c~ sera pour une autre foys, n'ayant pasmesme loysir d'escrire uu mot Monsieur Luillier; jevous supplie d'y suppler par l'envoye de la presente etme conserver cependant tousjours l'honneur de vos bonnes

    graces, comme estant tousjours, Monsieur, vostre, etc,

    De Digne, ce XXV de may, au matin, 16XXXV (2).

    (1) Bougerel rappelle (p. 157) que Gassendi a plus tard expliqu tousces phnomnes dans sa jPAy~)M

    (3) Bibliothque d'Inguimbert, mme registre,fH-13, copie.

  • APPENDICE

    1.

    LeMreaZ.M~Ke~

    Monsieur mon plus cher amy,

    Bien que par mes precedentes je ne vous aye que trop

    rompu la teste des nouvelles de la Lune, si faut-il qu'enoore

    ceste fois cy je vous die quelque chose de ce pais l,

    pour me corriger de quelque opinion que j'en avois eue,

    et dont je vous escripvis quelque chose par ma dernire

    tout en sommeillant. Je croiois d'avoir trouv quelque

    chose fort rare et d'estre sur le point de devenir un autre

    Christophe Colomb, mais depuis j'ay recongneu que je

    m'estois mescont, en rencontrant toutes fois une autre

    particularit dont je ne faictz pas moins d'estat. telles

    enseignes que je ne serois point fasch de m'estre trompe

    encore une foys, si encherissant ainsy par dessus mes

    (1) Dois-je m'excuser auprs de mes lecteurs, si toutefois le ciel m'en

    donne de mettre sous leurs yeux une lettre presque entirement astrono-

    mique ? Il m'a sembl que, malgr son caractre purement scientifique, cette

    lettre aurait quelque intrt, mme pour les profanes qui ne s'occupent pas

    des choses clestes. Sans parler du commencement qui est crit avec

    une verve bien spirituelle, on ne verra pas sans curiosit ce que pensait

    Gassendi, en l'an de grce 1634, du satellite de notre plante. Il est piquant

    de rapprocher les aperus de l'astronome dignois de l'excellent petit livre

    dans lequel M. Amde Guillemin a rsum tout ce que l'on sait actuellement

    sur l'astre cher aux poles mlancoliques (la ~wte, Paris, Hachette, in-18).

  • -27-

    propres resveries. je gaignois tousjours tant au change.Pour vous faire comprendre ce que c'est, vous trouverez

    icy dans un morceau de papier spar le crayon raccourci

    de deux certaines phases de la lune, qui m'ont bien donn

    du plaisir. La premire fut observe le premier jour de ce

    mois sur les X heures du soir, et la deuxiesme le XVI sur

    les VI heures du matin, oultre quelques heures employesdevant et apres, pour les considerer et peindre en grand et

    l'huyle. Ceste boulette que vous voyez en l'une et en

    l'autre est la mp~me, mais qui ne paroist que comme une

    blancheur au temps d'entre deux. Or l'ayant veue la

    premire foys si proche que cela du centre apparent, jenejugeay point qu'elle deust jamais s'en esloigner davan-

    tage, et parce que d'ailleurs j'avois autres fois observ enla pleine lune que le centre n'estoit point l, mais dans cest

    ombrag'e que vous voyez cost droict et en biaisant en

    bas, cela me feit imaginer que le vray centre demeurantfixe dans ledit ombrage, il falloit que tout l'espace comprisentre cet endroit et le dit centre apparent fust ia portionde la lune que le soleil esclaire tout l'entour par dessus

    la moiti, et qu'il falloit qu'il y eust de la tromperie ennostre vee, en jugeant qu'il n'y avoit que la moiti durond de la lune esclair, lorsque veritablement il y en

    avoit davantage. Toutes fois comme j'ay depuis recongneuque ceste boulette s'en alloit tousjours esloignant du

    centre, et que le dit ombrage non seulement reprenoit sa

    place au temps de la plaiheur, mais passoit mesme pardel aux jours ensuyvants, cela m'a faict d'un cost retran-cher beaucoup de ce surcroist de lumire, et de l'autrem'a donn coignoissance du progrez que la face apparentede la lune est capable de faire nostre esgard de droicte

    gaulche avec quelque biaisement. Et pour vous expliquerl dessus ma conception, il fault que vous imaginiez quela lune en gros tourne tousjours la mesme face du costde la terre, et ne tourne point entirement l'entour d'ellemesme pour nous faire veoir tanstost le devant tantost le

  • as

    derrire de son corps. Car ces tasches que vous voyez enla premire de ces deux phases paroissent tousjours de cecost l, c'est--dire dez qu'elle est nouvelle et jusques

    aprs qu'elle est pleine, tandis que nous en voyonsd'autres du cost oppos, par exemple celles que vous

    voyez en la seconde phase, lesquelles continuent d'estre

    tousjours environ le mesme endroict, dez que les premiresdisparoissent, pour dire que les mesmes taches ne lais-

    sent pas d'envisager tousjours la terre, soit que nousles voyons, soit que nous ne les voyons pas. Mais j'aydit en gros ou gnral, parce que vritablement touteceste face reoit quelque bransle en apparence qui faict

    que les parties d'environ le milieu nous semblent trssensiblement changer de place, et toutes les aultres proportion, bien que le changement ne soit pointsi fort recongnoissable sur les bordz pour les rai-sons d'optique que vous savez assez. Et par ainsyl'on peut dire que nous perdons de vee certaines partiesde la lune sur le bord vers lequel les taches semblent t

    s'advancer, et en descouvrons par consequent d'autressur le bord duquel elles semblent s'esloigner. Or je n'aypoint encore dict d'o selon mon jugement nous arrive

    ceste apparence. II fault donc considerer que lors de la

    premire phase la lune estoit abaisse vers le Tropiquedu Capricorne, et lors de la seconde, elle estoit esleve

    vers le Tropique de l'Escrevisse et mesme ayde en son

    abbaissement de la latitude mridionale et en son eslve-

    ment de la septentrionale. D'ailleurs lors de la premire

    phase, elle fut principalement observe despuis le Mridien

    jusques au Couchant, et lors de la seconde, depuis le Levant

    jusques au Meridien, et diversement aux temps d'entre

    deux. Comme doncques la Lune est un corps spheriqueet n'est pas tellement esloigne de la terre qu'elle ne causeune bien grande et sensible paralhaxe, vous entends assez

    ce mot, il ne se peult point faire qu'elle s'abbaisse et

    s'esleve si fort comme j'ay descript sans qu'elle nous

  • -29-

    monstre le progrez avec le couvrement et descouvrement

    de cert&iies 'Je ses parties, soit vers le milieu, soit vers les

    bordz de la faon que j'ay remarqu. Et voyl quel est

    mon sentiment plustost que de donner la Lune une espcede libration ou mouvement particulier, comme pouvoitfaire quelque aultre pour sauver ceste apparence. Il est

    vray que comme j'ay est le premier la descouvrir, et

    que je n'en ay encore faict que ceste seule observation,

    j'ay non seulement droict, mais encore quelque necessit

    de demeurer dans l'Epoche. Si ma conjecture est vraye,il faudra que vers l'equinoxe du printemps, le biaisement

    que vous recongnoissez icy du bas en hault de face du

    hault en bas voire la verifncation s'en pourra encores

    mieux faire dans une mesme nuitte de pleine lune, et prin-cipalement durant l'hyver lorsque la Lune sera en sa

    pleineur vers le Tropique de l'Escrevisse. Je ne m'advisay

    point d'y songer en ceste plenitude dernire, comme ne

    m'imaginant point encore que la chose fust si recongnois-sable, quoiqu'il n'y eust pas trop long temps que discourantde ces choses avec Monsr de Peiresc, nous eussions resvsur la possibilit et descouvrement de ceste apparence.Au reste vous recongnoissez bien par l'inspection de cesdeux phases combien la chose est sensible, la dite boulettes'estant si fort esloigne du centre durant quinze jours,que l o la lumire survenante la prist un jour et un quart

    aprs le premier quartier, l'ombre survenante ne la peultatteindre que deux jours passez aprs le dernier. Mais,pour laisser part ces spculations et en adjouster seule-ment une qui vous confirmera ce que je vous ay aultres

    foys ou dict ou escript touchant les inesgalitez de lasurface de la Lune, considerez, je vous supplie, comme

    quoy ceste boulette en la premiere phase est esclaire ducost du Levant, la lumire du soleil luy arrivant du costdu Couchant et en la dernire comme quoy elle estesclaire du cost du Couchant, le soleil luy estant auLevant. Qu'est-ce dire cela autre chose sinon que c'est

  • 30

    l une enceinte de haultes montagnes (1) comprenant des

    plaines ou valles au fondz la faon de la Grande

    Chartreuse, dont nous voyons que les coupeaux occiden-taux sont esclairez du soleil levant, tandis que lesorientaulx jettent leurs ombres dans les valles, et lesorientaulx au contraire esclairez du soleil couchant,tandis que les occidentaulx sont obseurciz et obscurcis-sent les valles de leurs ombres. Pour plus grandepreuve je vous ay desja dict que quand la Lune est pleinetoute la dicte boulette ne paroist qu'une seule blancheursans aulcun ombrage. Or ce ne peut estre que parcequ'alors le soleil donne plein dans la dicte enceinte,ainsy qu'il faict en la Chartreuse dans son midy en pleinest: estant considerable que la dicte boulette ne devientblanche et ne perd sa blancheur que par degrez, c'est dire mesure qu'elle perd ou recouvre plus ou moinsd'ombres. Et propos d'ombres, une des belles choses quej'y aye remarques c'est cet ombrage que vous voyez queceste boulette jette au dehors d'elle en la seconde phase,en l'advanant vers la grande ombre qui ne l'avoit pointencore atteinte et ne se pouvoit faire que dans environ

    quatre heures. La chose estant d'aultant plus digne deconsidration qu'en la premire phase vous ne remarquezpoint d'ombre de ce cost l. Ennn il fault que vous vous

    imaginiez que si bien ceste boulette l est des plus belles

    qui soient ou paroissent en la Lune, elle n'est point toutesfois seule; il y en a un nombre innombrable d'autres, quitoutes font le mme effet, je veux dire pour estre esclairesou en un sens, ou en un autre, et ombrages de mesme,et devenir tousjours de pointz blanchissantz durant la

    pleineur de la Lune. Il est vray qu'elles ne sont pas toutes

    (1) Hautes montagnes est bien le mot, car deux pics des montagnes lunaires

    atteignent une hauteur de 7,600 mtres, de beaucoup suprieure, comme on

    voit, celle de notre Mont-Blanc (4,813 mtres). Voir Guillemin, p. 69.

  • 31

    rondes de mesme et que d'ailleurs comme il y a de certains

    ombrages fort longs, il y a aussy des blancheurs sembla-

    bles, c'est--dire des grandes suites de valles et de mon-

    taignes. Montaignes au reste qui doibvent estre et une

    et deux voire davantage de fois plus haultes que ne sont

    nos Alpes et nos Pyrnes, pour plusieurs considrations

    que je ne vous desduiray point pour le present, me suffi-

    sant de vous avoir faict prendre garde ceste grandeombre qui paroist au dos de la boulette en la seconde

    phase. Je suis regretteux (1) que nostre despesche pour

    Tubinge (2) ne soit point encore partie, mais il n'y a remde.

    Encore sera-ce beaucoup si elle n'en attend point une

    nouvelle, parcequ'il fauldra que j'escripve de nouveau au

    bon homme Schikard (3) quand Mercure qui doibt commen-

    cer de paroistre dans peu de jours aura disparu; paradventure lui feray-je un article de ceste nouvelle descou-verte de phenomene, parce que suyvant quelqu'un de ses

    desseins ii en pourra mon advis tirer des bonnes conse-

    quences pour l'esloignement et la grandeur de la Lune.

    Mais tout vnement il a bien fallu que vous ayiez estle premier qui jen aye escript quelque chose. Je m'en

    vay rescrire un mot M. de la Mothe (4), qui entre autres

    (1) Je ne trouve regretteux ni dans le Diccionnaire de Rieleelet, ni dans le

    ~Jicr:onrteiae cle T,moua. Il me semble avoir vu ce vieux mot dans los crits

    de saint Franois de Sales. Gassendi l'avait videmment emprunt au pro-

    venal r~r~oMp.

    (2) C'est Tubingue, dans le Wurtemberg, une des plus clbres universits

    de l'Allemagne.

    (3) Sur Guillaume Schickard, voir le fascicule VI des C]& moindre note sur lui soit ncessaire.

  • 33

    choses me donne advis que vous aurez bientost Paris

    M. Deodati ~1). Je le savois desj par M. Deodati mesmes,

    et je souhaitte que cela soit, afin qu'il vous ayde faire

    tenir mes lettres en Allemagne. Toutes mes recommanda-

    tions Mess~ Puy.

    Le tout vostre

    CASSIS D.

    A Aix, ce XIXe de septembre 1634 (2).

    (1) Le Genvois EHe Diodati, sur lequel on peut voir une note dans le

    fascicule V des C~~es~Mt~~a t~e J~rese, en attendant !e fascicule spcial

    qui lui sera prochainement consacr.

    (2) Bibliothque d'Inguimbert, registre LX, vo]. Il, f~ 3-5. On trouve dans

    le mme volume diverses autres lettres astronomiques de Gassendi. Les

    lettres latines ont t imprimes. Les lettres franaises sont indites. H en

    est une, adrehje Peiresc, de Bruxelles, le 15 juin 1629, qui roule entire-

    ment sur les parhlies (1 15, copie). En voici Je dbut Monsieur, j'ay

    veu et considr tout ce qu'il vous a pleu me marquer si curieusement tou-

    chant les parelies arrives du temps d'Auguste et trouve que vostre senti-

    ment est trs bien fond contre les conjectures de Scaliger. Il ne se peut

    rien adjouster ce que vous en dites en vostre seconde lettre. Je vous diray

    seulement qu'aultresfois j'ay parcouru toutes les Philippiques de Cieron qui

    ont est recites en ces deux annes l 710 et 711 pour voir si j'y trouve-

    rois quelque esclaircissement sur ce subject, et que je me souviens bien que

    je fus fort estonn de ce que ce brave homme n'avoit point prins subject d'en

    dire quelque chose de particulier. Pour ces parelies qui ont de nouveau paru

    Rome, dont il vous a pieu m'envoyer le Scherne et dont il vous plaist me

    demander mon advis, etc. Voir au f 30 du mme volume des instructions

    autographes de Gassendi du 8 juin 1636, pour des observations clestes

    Mmoire au P. ~p~J'6!t [de ~ro'~ et au &OH Alexandre /t)g'ou?~Me/,

    son capucim, 8'en allant d. Seide. J'avais eu l'intention d'insrer

    dans cet appendice une lettre fort importante de Gassendi, tant Aix,

    Diodati, tant Genve (29 aot 1634, ibid. fl7, copie), lettre o il est

    question du De t~f~e d'Edouard Herbert, baron de Cherbury, des miroirs, des

    yeux, des veines lactes dans l'homme et dans le chat, des expriences faites par

    Peiresc et par lui sur le cadavre d'un criminel qui avait t pendu, etc., mais

    j'ai constat avec dcouragement que Bougerel a reproduit (pp. 134-140) les

  • QO

    3

    n.

    Lettre Boulliau.

    Monsieur,

    Je ne vous fay ce mot que pour accuser la reception de

    Vostre lettre du XXVe du mois pass et vous dire que,

    Monsieur le Prieur de Romolles (1) devant partir l'un de

    ces jours pour Paris, je Fay desja pri de se charger du

    livre dont Monsieur Wendelin (2) vous a faict venir l'envie.

    Il s'est trouv en ma puissance et j'en suis charg en mon

    plus intressants passages de ce remarquable document. II manque aux

    extraits du docte oratorieu les premires lignes que voici Monsieur et trez

    cher amy, pour respouse vostre lettre du XVI de ce mois, j'ay vous entre-

    tenir principalement et briefvement de deux choses, l'une est l'expression de

    mon sentiment touchant le livre de M. Herbert; l'autre, ce que M. de Peyresc

    et moy avons observ despuis quelque temps sur les yeux et les veines lactes.

    Pour le premier chef, je vous diray qu'enfin vaincu de confusion j'avois mis

    cez jours passez la main la plume pour escripre ce brave homme, mais

    qn'aussy vous avez bien augment ma confusion. Bougerel a un peu abrg

    la lettre de Gassendi, et je ne retrouve pas dans ses citations quelques-unes

    des plus agrables phrases de l'auteur, notamment celle o il se moque des

    prtentions du philosophe anglais, fier,

  • M

    particulier. C'est pourquoy je me dispenseray de vous

    l'envoyer d'autant plus librement que j'ay d'ailleurs envous toute sorte de confiance, ayant oubli de vous en

    escrire ds la premire fois que vous m'en eustes marqu

    quelque chose, pour n'avoir pas asss pris garde ce que

    je devoys respondre quand j'eus la main la plume. Il me

    souvient bien d'avoir pri Monsieur Luillier de vous en

    faire mes excuses (1) et de vous dire que je vous envoye-rois le livre par la premire commodit, mais pour ce qu'iln'aura par adventure receu ma lettre que desja l'accident

    arriv en sa maison (2), il n'aura point aussy eu d'espoirde commerce avec vous pour vous le faire savoir. Je nelaisse pas ceste foys cy de luy escrire et lui envoyerle troisiesme cahier des Memoires que j'ay recueillis dela vie de nostre Makarits (3). A la mienne volont qu'ilsoit en estat de recevoir du divertissement, comme j'esprequ'il sera avec l'ayde du bon Dieu

    J'ay une lgre douleur de teste qui m'empesche de vous.

    en dire pour le prsent davantage. Il suffira que je vous

    Depuis que cette note a t rdige, M. Lon de Berlue Perussis a insre~

    dans le Journal de J'ca~Mter ('), une srie de brillants et curieux articles sur

    W

  • 3

    supplie de presenter mes recommandations trs humbles

    ssieurs du Puy et tout le reste de nos amis et de

    me croire tousjours; Monsieur, vostre trs humble, obeis-

    sant et affectueux serviteur.GASSEND.

    A Aix, ce V'' Apvrii MVIXXXIX (F.

    Ht.

    A AfOMSMM?' Monsieur ~0~!7

  • 36-

    eu de ce que le ciel ne m'a point est favorable pouvoirobserver l'eclipse de lune qui arriva le XIV de ce mois,apres la minuit. Je m'estois merveilleusement bien adjust,et M. Bernier, qui est presentement icy avec moy (1) et

    qui a est surpris d'apprendre que vous lui eussiez escritet qu'il n'eust point eu le bien de recevoir voz lettres, sur

    quoy je croy qu'il vous r'escrira, estoit de la partie, mais

    hors de l'obscurit de l'air qui nous parust durant l'eclipse

    totale, nous n'eusmes jamais la faveur de pouvoir dire laLune est la plustost que la, telle l'espesseur et la noirceurdes nues estoit grande. !I pleust mesme un peu sur la

    fin. Je souhaittc de tout mon cur que vous ayez eu unemeilleure fortune. Pour ce qui est de la comete, nous nous

    en entretiendrons Dieu aidant ensemble apres mon arrive,et je me resjouis cependant de quoy vous avez trouv vous satisfaire touchant la parallaxe. Adieu cependant.Tousjours mes tres humbles recommandations Monsieur

    du Puy et tous noz amis. Je suis tousjours vritablement,Monsieur et cher amy, vostre tres humble et trs affec-

    tionn serviteur.GASSEND.

    De Digne, ce XX mars 16~3 (2).

    (1) Voir sur Franois Bernicr, le fidle disciple et admirateur de Gassendi,

    ies mmes -PocHMieuf~ ~as~. Bougerel nous apprend (p. 322) que Bernier

    tait eu Provence avec Gassendi pendant le premier mois de l'anne 1653 et

    qu'ils partirent ensemble pour Paris, au mois de mai. Il nous apprend encore

    qu'en fvrier 1650 Gassendi, alors g de 59 ans, grimpa toujours ingambe,

    sur la plus haute montagne des environs de Tonlnn, avec Bernier et quel'

    ques autres curieux. M. de Lens, dans l'article Bernier du Dir~tiomurvre hfato-

    )'t~!fe de Mntjip-et-7,oT't'~ par M. C. Port., n'a pas signal les observations et

    ascensions faites par le philosophe angevin en compagnie de Gassendi pendant

    les annes 1650 et 1653.

    (2) Autographe. Collection de M. Paul Arbaud, Aix-en-Provence. Cachet

    de cire rouge avec toiles. J'ai maintes fois lou,mais je ne louerai jamais

    assez l'amabilit'j avec laquelle M. Arbaud m'a communiqu tout ce qui, dans

    sa magnifique collection, regarde Peiresc et les amit~S~ee'gr&nd homme.