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INAUGURATION DE LA MAISON MEDICALE JEAN XXIII Le jeudi 09 juin 2011 En guise d’introduction Le temps du passage …les Oblates de l’Eucharistie...la Fondation des Diaconesses….Frelinghien….Lomme... Un autre temps se vit... Un temps de Merci, un temps de pause, un temps de joie, un temps de réflexion et d’échanges... Mais aussi une fête : la fête de la vie, la fête de la Fondation, la fête des amis, Dans la joie d’une histoire qui perdure...celle de la Maison Médicale Jean XXIII !

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INAUGURATION DE LA

MAISON MEDICALE JEAN XXIII

Le jeudi 09 juin 2011

En guise d’introduction

Le temps du passage …les Oblates de l’Eucharistie...la Fondation des

Diaconesses….Frelinghien….Lomme...

Un autre temps se vit...

Un temps de Merci, un temps de pause, un temps de joie,

un temps de réflexion et d’échanges...

Mais aussi une fête : la fête de la vie, la fête de la Fondation, la fête des amis,

Dans la joie d’une histoire qui perdure...celle de la Maison Médicale Jean XXIII !

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Le temps des discours

Madame Jocelyne Wullschleger, Directrice de la Maison Médicale Jean XXIII

Professeur Aubry, Monsieur le Président, Monsieur le Directeur général, Madame la Présidente Recteur de l’Université Catholique, Monseigneur Ulrich, Madame Mutel,

Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames, Messieurs,

Le 16 mai 2007, le Dr Dalinval de l’ARH appelait…je venais d’arriver à la Maison Médicale et il m’invitait à déposer le dossier de transfert lors de la fenêtre de juillet…panique intérieure…c’était la veille de l’Ascension… Le 23 janvier 2009, pose de la 1ère pierre par un temps apocalyptique. Le 9 juin 2011, inauguration de la Maison Médicale … panique intérieure aussi…mais quelle joie! Et, qui plus est, nous sommes à la veille de la Pentecôte… Entre temps que d’émotions pour vivre un tel événement…pour vivre un tel passage…C’était hier…

Je me retrouvais dans un bureau d’architecte avec Luc, et nous devisions sur ce que ce devait être cette nouvelle Maison… une Maison où se croisent des vies, une Maison dans laquelle l’espace et la lumière, la lumière extérieure mais aussi la lumière intérieure, prendraient toute leur place, une Maison qui ferait «à la maison»…ensuite d’autres professionnels ont pris le relais: les Eric, Franck, Frédéric, Jean-Jacques, Dominique, Hubert, Timothée, Grégory, Francis, Laurent, …une armée d’hommes…

Et l’aventure humaine de la construction a commencé; des réunions, des visites, des discussions plus étonnantes les unes que les autres, des joies, des contrariétés, des nuits tourmentées et des journées parfois bien longues…mais que de vie dans tout cela…et que de passages à faire pour se mettre en phase les uns avec les autres…que de mouvements à entreprendre pour préserver les valeurs qui sont les nôtres… Et dans ces mouvements, les notions de temps et d’espace se bousculent, se rencontrent aussi pour créer une dynamique extraordinaire… Comme une longue marche avec des passages très différents les uns des autres: parfois ce fut le désert, parfois, les montagnes, parfois les plaines ou les ruisseaux à enjamber ou des fleurs à contempler ou à cueillir…

Deux moments forts j’aimerais vous partager : - le 1er, un barbecue avec toute l'équipe Sogéa, à la fin du gros œuvre…un moment d'humanité et de rencontre dans le respect des différences au cours duquel je découvrais les merguez kascher. - le second, …le déménagement …avec la coupure intentionnelle des ascenseurs le jeudi soir…alors la solidarité des sociétés qui intervenaient sur le site: «, on s’est battus jusque là pour tenir les échéances…on ne vous laissera pas tomber aujourd’hui…»…aussitôt, les personnels des entreprises présentes, Forclum, Brunet, Veret, Loison et les autres … de remonter les manches, de poser les pulls et de monter des cartons sur 4 étages…jusqu’au soir tard…Merci Messieurs, je reste très émue, aujourd’hui encore, quand je pense à ce moment là… Et aujourd’hui? Je suis heureuse …Je suis une directrice heureuse de l’aventure partagée autour de la construction…

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Maintenant une autre aventure à vivre… sur le site Humanicité …elle a déjà commencé d’une bien belle manière avec le Centre Hélène Borel…la complicité au quotidien avec une institution différente mais tellement proche…une complémentarité qui a permis la réalisation de ce bel espace de vie…en particulier le jardin…un jardin des sens...un jardin qui a du sens…le dynamisme et le dévouement de l’entreprise adaptée Cadiflor nous émerveille tous les jours…

Lors de la fête du Passage, en 2009, fête qui nous a permis de relire et rendre grâce pour les 40 et quelques années précédentes, je disais que nous étions fiers de nous inscrire dans les traces de celles et ceux qui ont initié la Maison Médicale Jean XXIII …Je souhaite le redire aujourd’hui, au moment où une vie nouvelle commence…

Cette nouvelle vie est le résultat d’une histoire, d’une œuvre accomplie par d’autres…la Congrégation des Oblates de l’Eucharistie, Michel Pacaux et ses conseillers municipaux, l’Association Saint Louis, les Œuvres et Institutions des Diaconesses de Reuilly, les directions précédentes, la directrice précédente en particulier, Michèle Béarez, les tutelles, des hommes et des femmes connus ou anonymes qui ont agi pour que la Maison prenne toute sa place dans le champ des soins palliatifs et des maladies neurologiques évolutives…

Merci d’avoir répondu si nombreux à notre invitation… votre présence aujourd’hui est précieuse…sachez qu’elle a un sens énorme pour nous…si vous êtes là c’est parce qu’à un moment précis, vous avez été un acteur de cette réalisation…sans même peut être vous en rendre compte… vous êtes pour nous force de vie, source de joie, signe d’espérance …

Que vous soyez Patient, famille, salarié, soignant ou non soignant, administrateur, bénévole, élu, donateur, fournisseur, professionnel, médecin, centre hospitalier ou clinique privée, prêtre, religieuse, religieux, organisme de formation, établissement partenaire, association, ami, collaborateur Humanicité… A un moment donné vous avez été «ou passant» de la vie et dans la vie de la Maison Médicale; vous avez écouté, vous avez accompagné, vous avez construit, soigné, transmis, formé, prié, offert, participé, animé, décidé, donné du temps…

Merci donc d’être là aujourd’hui… Notre reconnaissance est immense… Quant à nous, nous efforcerons de poursuivre notre mission, nous, maillons de la chaine humaine qui permet à la Maison Médicale Jean XXIII d’être qui elle est : une Maison de soins et de vies, une Maison catholique, membre d’une Fondation protestante, la Fondation des Diaconesses de Reuilly, qui essaie chaque jour d’être digne de l’héritage transmis, d’être humble face à l’immensité des trésors reçus, volontaire pour accueillir, accompagner et soigner…celui dont plus personne ne veut… Mais, nous souhaitons le faire avec vous, vous qui êtes aussi des maillons de cette chaîne humaine …il n’ya pas de ruban à couper aujourd’hui…le ruban c’est vous, c’est nous, ce sont les hommes et les femmes qui de près ou de loin contribuent à l’identité de la Maison. …alors merci, merci de poursuivre la route avec nous, dans la confiance, la simplicité et

l’authenticité…

Je vous remercie.

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Régis Aubry, Président de l’Observatoire National des Soins Palliatifs

Bonjour à tous… impressionnant même si on ne voit rien… Effectivement, je vous présente des excuses avant de commencer à parler parce que je vais devoir partir pour reprendre un train; je travaille à Besançon et, comme vous le dites, cette transversalité n’est pas tout à fait rapide.

Néanmoins, je suis très content d’avoir pu répondre à votre invitation et je voudrais dans le bref discours que je vous fais, situer la vision que je peux avoir de ce que vous êtes en train de bâtir; parce que j’ai l’impression que c’est une entreprise en marche. J’ai découvert ce concept « Humanicité » en lisant dans le train et je trouve ça admirable. Ce n’est pas très original que je trouve que c’est admirable de viser l’intégration des personnes vulnérables, quelque soit la source de leur vulnérabilité : que ce soit le handicap physique, psychique, la fin de vie ou la souffrance sociale. C’est de viser l’intégration dans la société tout simplement! Remarquez, ce qui est étonnant c’est qu’on doive faire des projets pour ça; viser l’intégration c’est ce qu’on essaie de poursuivre en développant la réflexion dans le domaine des soins palliatifs.

J’ai eu l’occasion, cette semaine, de remettre au Président de la République un rapport intermédiaire de l’avancement du programme de la Santé Publique, qui est le programme du développement des soins palliatifs et, au-delà, des questions du nombre d’unités de soins palliatifs, du nombre de lits, du nombre d’équipes. On aime beaucoup les chiffres dans ce pays, on aime bien les résultats et surtout les résultats qui arrivent très vite. Ce que j’ai essayé de passer comme message, c’est une culture à développer qui dépasse largement la question du soin et la médecine.

D’ailleurs, même si je suis médecin et chercheur dans ce domaine, il me semble que nos sociétés modernes génèrent de la fragilité, de la complexité en même temps qu’elles fabriquent du progrès. Plus la médecine progresse, plus elle permet de faire vivre ou de maintenir en vie des personnes fragiles. Nous sommes et nous serons de plus en plus nombreux à vivre longtemps; alors si on s’arrête là tout va bien, mais nous serons aussi de plus en plus nombreux à vivre longtemps avec des maladies.

Une des particularités des progrès sur laquelle on n’insiste pas assez, me semble t-il, c’est que dans le champ de la médecine, aujourd’hui, on est en capacité de freiner l’évolutivité de certaines maladies. Est-ce que cela ne produit que du bien? Est-ce que c’est un progrès d’ailleurs? Est-ce que cela satisfait les personnes dont on dit qu’elles ont de la chance? Est-ce qu’elles bénéficient d’une qualité de survie puisque la survie était pendant longtemps l’indication du progrès dans la science médicale. Ce n’est pas sûr, et en tout cas il ne faut pas se contenter d’augmenter la survie des gens; il faut l’accompagner d’une véritable recherche sur la qualité de vie et la qualité de vie c’est savoir s’occuper du traitement des symptômes, comme le traitement de la douleur; mais c’est aussi s’intéresser à une approche environnementale comme une approche systémique.

Tout ce qui entoure la personne, tout ce qui fait sens à la vie d’une personne doit être, à mon avis, pensé dans une recherche du progrès, sans quoi on s’achemine paradoxalement dans une contrainte assez bizarre. A la fois on produit de la capacité à prolonger la vie et à la fois on voit émerger dans le débat public la demande de raccourcir cette vie. C’est là tout le débat sur l’euthanasie et je pense qu’il y a lieu de réfléchir, non pas sur cette question, mais en prenant un peu de distance; je trouve qu’il y a là un enjeu très fort parce que le progrès produit de la complexité mais aussi de la vulnérabilité et de la fragilité.

C’est important, à mon avis, que l’on n’oublie pas cela. C’est important que les pouvoirs publics,

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et c’est pour ca que j’étais assez content de pouvoir en discuter en tête à tête avec le Président de la République, comprennent que la médecine n’est pas que ce qui brille ou ce brille pour les uns n’est pas ce qui brille pour les autres. Et que l’honneur d’une démocratie républicaine c’est certainement de montrer, prouver qu’on est capable de s’occuper de ceux qui sont vulnérabilisés par la maladie ou par la souffrance sociale.

Je reviens à ce projet d’intégration, Humanicité, qui me semble une vraie matérialisation de ce concept que je développe maladroitement devant vous mais je trouve que l’enjeu est là; l’enjeu est aussi dans la prise en compte de la montée d’une dimension sociale qui est celle des droits des personnes malades. Aujourd’hui les personnes malades revendiquent, à juste titre, me semble t-il, le droit d’être des acteurs de leur propre santé et de leur propre vie. Et cette question est en train de modifier complètement le paradigme dans lequel nous travaillons, nous autres acteurs de santé. Cela veut dire que le décideur, le principal intéressé ne doit pas, ne doit plus être mis de coté au motif qu’on ne veut pas le faire souffrir, mais au contraire, nous devons tout faire pour que celui, même à la fin de sa vie, qui est là devant nous, puisse être acteur de sa vie, plus, la fin de sa vie. Ca change beaucoup de choses, cela veut dire que nous les acteurs de santé, nous devons développer des compétences dans le champ de l’accompagnement et dans le champ de la communication. Cela veut dire aussi, et j’ai beaucoup insisté en présentant ce rapport d’état, sur la nécessité de modifier la formation des acteurs de santé dans ce sens.

Qu’est ce qui va être le quotidien du médecin de demain? C’est la confrontation à des situations difficiles, complexes, c’est la nécessité de communiquer avec des malades, des proches de malades, des équipes, puisque le travail en équipe est la seule réponse qu’on puisse trouver à la complexité; donc cela signifie que, même dans la formation des acteurs de santé, il faut que nous introduisions des changements profonds. Le plan de soins palliatifs essaie de les introduire; j’en parlais avec Henri Delbeque et nous échangions sur les difficultés et les freins que rencontre tout changement dans ce domaine, là en particulier.

Un autre point sur lequel je voudrais attirer votre attention, c’est le caractère contraint, économique dans lequel doit se développer ce progrès. Nul d’entre nous ne peut ignorer que nous vivons, certes, une époque merveilleuse comme le disait un journaliste, mais une époque contrainte. Il ne sera plus possible d’imaginer que l’on ne peut pas faire tout ce que l’on sait faire. Nous n’avons plus les moyens de toutes nos ambitions. Je crois qu’il faut faire ce constat, mais nous devons avoir des ambitions.

Les acteurs politiques, eux, doivent nous aider dans cette vision contrainte où les questionnements éthiques doivent nous aider à débattre pour que des choix soient opérés. Quand on en arrive finalement à dire, comme je l’ai entendu encore récemment dans le service que je coordonne au CHU de Besançon, d’une personne que nous avons admis pour une demande d’Euthanasie; la demande était motivée par le fait que cette personne coûtait cher, qu’elle était un poids pour la société. C’est un déshonneur d’entendre ça pour le citoyen que je suis. Mais il n’y a pas de hasard. Je l’ai dit, il y a quelques semaines, lorsque j’intervenais au cours de la journée de la coordination régionale. Je me souviens aussi d’un débat assez récent, où j’ai entendu la question: « mais entre nous à quoi ça sert de maintenir en vie des personnes âgées et démentes ». Vous voyez quand des questions comme ça commencent à surgir dans les questionnements, je pense qu’il faut que nous entrions en résistance nous autres. Dans une résistance non armée ou armée, mais pas des armes trop toxiques ou dangereuses mais avec la pensée; la réflexion, la philosophie, le respect de la personne sont des armes essentielles dans une démocratie. Nous devons, et particulièrement parce que les personnes sont vulnérables, et particulièrement parce que nous sommes dans un univers contraint économiquement, penser aux plus fragiles d’entre nous.

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J’en rajoute une couche parce que ces personnes fragiles aujourd’hui le seront plus encore demain. Je dirige une équipe de recherche et je suis chercheur associé à l’Institut national des études démographiques: j’ai pu constater, dans les projections démographiques qu’il y a une chose dont on ne parle pas beaucoup, c’est l’augmentation des solitudes. Demain va être fait d’une augmentation considérable du nombre de personnes vulnérables, mais aussi de personnes seules. Vous comprenez aussi tout l’impact que cela aura dans l’organisation même du système de santé que de soigner quelqu’un qui est vulnérable et qui a la volonté, le souhait de rester seul, par exemple, à son domicile. Cela veut dire qu’il nous faut, mais en vous voyant tous ici ça donne espoir, développer de nouvelles solidarités. Il s’agit de penser à ces réalités que nous vivons un peu aujourd’hui, mais que nous vivrons beaucoup demain. Et je crois que ca serait l’honneur d’une démocratie encore une fois, que nous voyons, dans notre société qui souffre, se développer de nouvelles formes de solidarité pour les plus vulnérables, sinon, nous allons vers des dérives.

J’entends parfois des discours complètement réducteurs, des discours qui prétendraient qu’il existe des réponses très simples à des questions très complexes. Je crois qu’il faut lutter contre cette simplification, ça s’appelle du populisme en politique. Il faut lutter contre cela, je crois que nous devons revendiquer la complexité comme une chance de maintenir le questionnement et donc le progrès. Ce n’est pas parce qu’il y a des questions complexes, qu’il faut qu’il y ait des réponses. L’éthique clinique, c’est quelque chose qui permet de creuser le questionnement, d’approfondir, d’améliorer les réponses, mais il n’y a jamais une bonne réponse. Il y a des réponses, les moins mauvaises possibles, à trouver. Je vais terminer mon bavardage un peu improvisé par ce que j’ai lu ou entendu de Madame la Directrice qui parlait d’Humanicité; je boucle la boucle la dessus. Je crois que cette expérience d’une intégration de la vulnérabilité dans la cité est bonne … et quand je vois l’accompagnement, bénévole pour partie, qui se fait dans cet établissement, ça donne espoir. Cela signifie qu’on est capable, dans notre société, de s’adapter à des changements tout en respectant l’homme qui, non seulement ne perd pas sa dignité quand il perd son autonomie, mais devient, à mon point de vue, de plus en plus respectueux. Je vous remercie.

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Discours de Monsieur Marcel MANOËL, Président Fondation Diaconesses de Reuilly Madame la représentante de l'Agence Régionale de la Santé, Monsieur le Président de l'Observatoire national de la fin de vie, Monseigneur, Monsieur le Président de la Fédération protestante de France, Madame le Président-Recteur de l'université catholique de Lille, Mes Sœurs, Madame la Directrice, Mesdames et Messieurs, L'inauguration de cet établissement est le fruit d'un engagement ancien, d'une surprise œcuménique, et d'une volonté commune de service.

L'engagement, c'est celui de la Fondation Diaconesses de Reuilly, toute jeune fondation puisque sa date de naissance est le 24 novembre 2009, mais qui prend racine dès 1841 dans les débuts de la communauté des diaconesses et leur engagement dans de nombreuses Œuvres et Institutions : hôpitaux, maisons de retraite, maisons d'éducation et de rééducation, instituts de formation… souvent lancés de manière très simple, mais qui ont su évoluer, s'équiper, se professionnaliser et s'inscrire ainsi dans le paysage sanitaire et médico-social actuel de notre pays. Une évolution motivée par la passion que souligne la devise de la Fondation :

"Accompagnons la vie !"

Depuis le début, en effet, la volonté de restaurer une communauté religieuse de femmes dans le protestantisme s'est accompagnée d'un fort engagement dans les lieux de grande souffrance et de dégradation de la vie humaine. Et le paradoxe de ces 170 ans de cheminement est sans doute que, plus la vocation de la communauté à une vie de contemplation et de prière s'approfondissait, plus se confirmait la présence auprès des plus faibles, des rejetés, de celles et ceux que l'on met à l'écart pour ne pas avoir à prendre en compte le tableau d'humanité qu'ils nous donnent à voir. "Accompagner la vie", c'est ainsi à la fois une démarche spirituelle qui débarrasse la vie de tous ses faux semblants pour la reconnaître jusque dans le plus simple et le plus fragile, et c'est la soutenir de toutes les ressources mobilisables du soin, de l'assistance et de l'accompagnement. Cet établissement veut ainsi mettre à la disposition des personnes dont la vie est fortement fragilisée, et de leur entourage, à la fois le savoir médical le plus approprié, les outils techniques les plus performants, et un accompagnement humain attentif et respectueux. En espérant bien démontrer ainsi que la technique n'est pas fatalement accompagnée de froideur, et que la relation humaine, dans sa fragilité même, est aussi indispensable à la vie que le médicament.

La surprise œcuménique a été celle de la rencontre, il y a quelques années, entre l'ordre catholique des Oblates de l'Eucharistie et les Diaconesses protestantes. Une rencontre qui a ouvert à une reconnaissance de leur vocation commune : c'est en effet parce qu'elle a été confrontée à l'état de quasi-abandon dans lequel étaient laissés des malades en phase terminale, que Madeleine Martin dévoue en 1932 l'ordre qu'elle avait fondé au soin de ceux qui n'avaient d'autre perspective que l'atrocité de la souffrance ! Cette reconnaissance mutuelle a amené les Oblates à confier l'avenir de leurs établissements à la Fondation Diaconesses de Reuilly. Décision qui a sans doute pu surprendre, mais qui me semble significative de cette forte ouverture à l'autre, dans l'accueil de ce qu'il est, avec son

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identité et ses différences, qui peut marquer celles et ceux qui se délient du souci d'eux-mêmes pour recevoir le service comme une vocation, service de Dieu bien sûr, mais qui est en même temps service de l'autre, quel qu'il soit, quelle que soit sa démarche, ses attentes et ses refus… Cette racine d'ouverture œcuménique que vous avez su accueillir, Monseigneur Ulrich, et faire croître dans ce bel ensemble comprenant une Maison d'Église, une Fraternité œcuménique de religieuses et cette Maison Médicale, sera certainement un signe d'ouverture et de volonté de partage dans ce nouveau quartier de l'agglomération lilloise qui, comme son nom "Humanicité" l'indique, se veut un quartier construit pour favoriser un épanouissement de vie plus équilibrée, plus solidaire, bref plus humaine.

Une volonté commune de service enfin : avec ses racines religieuses et son histoire propre, cet établissement s'insère pleinement dans le service public, ce qu'ont reconnu les autorités en matière de santé en lui permettant de doubler sa capacité d'accueil à l'occasion du transfert de Frelinghien à Lomme. Ce nouvel établissement est ainsi né sous le signe de l'ouverture, de la collaboration, de la constitution de solidarités et de réseaux, toutes choses que la Loi de 2009 pose comme objectifs pour parvenir à toujours améliorer la qualité des soins, tout en luttant contre les inégalités territoriales et en maîtrisant les coûts. Et je ne doute pas que chacun aura à cœur de cheminer dans l'esprit de collaboration et service ainsi posé, afin d'avancer ensemble dans ce chemin de la reconnaissance et de l'accompagnement de la vie. Reconnaître l'autre comme un soi-même, même au travers des marques de la maladie et de l'affaiblissement, même quand la communication est difficile, même quand la révolte submerge les contrôles de soi ou que des bouffées d'angoisse agitent patients, proches ou parfois soignants, reconnaître l'autre pour accompagner sa vie restera le fondement de la présence, du soin, de l'acte médical, comme du geste le plus simple pour nourrir, laver, déplacer, etc… Je sais que chacun ici partage cet engagement, chacun à sa manière, chacun avec ses convictions et ses mots, chacun avec cette ouverture.

Pour terminer, permettez-moi de dire que j'aime bien que cet établissement porte le nom de "Maison Médicale Jean XXIII". Avec l'adjectif "médical" qui indique la vocation spécifique au soin, le mot de "maison" rappellera qu'il s'agit ici, d'abord et toujours, de vie, et de vie ensemble. Et le nom du bon pape Jean XXIII nous rappellera à tous, au-delà du caractère œcuménique de la naissance de cette Maison, l'importance d'un regard de bonté ouvert sur l'autre, un regard aimant, reconnaissant, accompagnant, comme a pu l'être le sien sur notre monde.

Je vous remercie.

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Discours de Madame Thérèse Lebrun, Présidente Recteur de l’Institut Catholique de Lille

Merci Madame la Directrice, chère Jocelyne

Et je vous salue bien sur chacun et chacune et, pour ne pas trop allonger le temps, directement partager avec vous ce qu’inspire l’endroit où nous nous trouvons aujourd’hui et cette inauguration. Tout d’abord un événement : la Maison Médicale Jean XXIII, premier établissement à s’être installé sur Humanicité, c’est vrai, au cœur de l’hiver. Je me souviens être venue rencontrer Jocelyne avec Geneviève Branquart ici présente, Jean Claude Sailly qui porte le projet Humanicité et des journalistes qui nous suivaient. Nous portions un casque et nous expliquions dans le froid et la tempête combien ce projet nous tenait à cœur. Et Jocelyne ce jour là, vous m’aviez dit « et bien, nous nous installerons d’ici quelque mois, en Novembre, ca sera fait». Et je vous avais demandé «mais comment ceci peut-il être possible?» Et vous l’avez fait. Mais, nous l’inaugurons au cœur d’un printemps ensoleillé et riche de promesses. C’est aussi un établissement emblématique d’Humanicité, le respect de la vie et le respect du plus fragile, pour les Chrétiens que nous sommes, pour l’Université Catholique que nous portons, le plus fragile, celui qui a le plus de besoin, celui qui est le plus faible dans toute la noblesse de ce que peut être la faiblesse et qui nous est ainsi enseigné. Avec cette philosophie d’accueillir, on a envie de dire cueillir avec, d’accompagner et de soigner. Pour avoir moi-même vécu, dans le service de soins palliatifs du Professeur de Broucker que je salue ici, le départ de parent très proche, voir de ma maman, on sait combien on peut garder un bon souvenir de ces jours que l’on passe dans la paix, dans l’accueil en étant soutenu par les soignants mais aussi par les bénévoles dans les moments les plus rudes de la vie. Je me souviens aussi un jour, dans un service de soins palliatifs avoir porté à l’un de mes collègues encore jeune qui se mourait, un magnifique bouquet de jonquilles, être arrivée dans sa chambre et je me disais «mais ma fille enfin, que t’est-il arrivé?» J’étais beaucoup plus jeune, je n’imaginais pas arriver avec un bouquet de fleurs, flamboyantes, jaunes, auprès de quelqu’un qui était en train de s’en aller. Et cette personne, n’a pas cessé pendant toute notre conversation, de regarder ce bouquet de jonquilles, parce qu’au fond et c’est le Docteur Bruno Pollet qui nous enseigne cela, responsable de notre pôle handicap, dépendance et citoyenneté, c’est bien la vie jusqu’au bout; il nous fait découvrir, que l’on peut avoir, jusqu'à la dernière seconde, un projet de vie et bien sûr d’une vie qui va ensuite s’élargir dans la foi qui est la notre. Les valeurs œcuméniques ont été bien rappelées, bien rappelées par le Pasteur qui s’est exprimé juste avant moi et si vous aimez le nom de Maison Médicale Jean XXIII, je crois que dans l’endroit où nous sommes, nous pouvons aimer l’appellation «Marthe et Marie», l’action et la contemplation, la contemplation et l’action, les deux sont absolument indispensables dans nos vies, a fortiori dans la fin de la vie, ou le soutien aussi, au handicap, à la souffrance et aux familles. Je félicite tous les acteurs de ce beau projet, bien sûr au plan humain, mais aussi au plan architectural et donc je pense à tous ceux qui ont travaillé durement pour dessiner, mais aussi pour construire, pour monter les murs par tout temps, pour cette entrée du nouveau quartier Humanicité puisque bien sûr je vois le métro qui passe: oui, nous sommes à l’entrée du quartier Humanicité.

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Redisons simplement, Monsieur Aubry n’est plus là mais il a fort bien compris ce qu’étaient les valeurs qui sous tendent Humanicité, il les a finalement résumées en quelque mots. Que construire ensemble, collectivités territoriale et locale? Je vois ici le maire de Capinghem (même si effectivement les lumières nous éblouissent) et son adjoint. Je vois ici Monsieur Pacaux, le maire de Frelinghien et il y a en certainement d’autres dans la salle. Les associations, les porteurs de projet, les institutions, les entreprises, les usagers, l’Université, co-constructeurs d’un nouveau quartier de vie et de ville à taille humaine, au rythme du piéton, dans un cadre de vie qui se veut harmonieux, respectant l’environnement, dans un quartier où il faut apprendre à mieux vivre ensemble avec une véritable mixité, un véritable partage social, famille, personnes âgées, personnes en situation de handicap, entreprises, soignants, étudiants, population tout simplement. Et mixité de fonction aussi, des commerces, des logements, des soins, de la formation, des activités plus ludiques parce que c’est ça la vie Au cœur de ce projet aussi, apprendre à mutualiser, nos idées, nos projets, nos équipes, nos équipements et donc, là encore, beaucoup de travail à faire. Des mots clés pour définir notre projet commun, ça se retient bien je l’ai souvent dit. Nous sommes ici des êtres humains, nous sommes ici des visages, des faces, donc vous retiendrez facilement que nous allons ensemble, Former, Accueillir, Chercher, Entreprendre, Soigner, et tout cela tout simplement pour vivre et vivre mieux. Humanicité n’est pas le projet de quelques personnes, c’est un projet totalement collectif à porter et réussir ensemble. C’est un projet qui va se construire au jour le jour et nous le souhaitons et ça n’est pas toujours si simple parce qu’il faut bien le dire, Jocelyne, vous avez eu le courage de dire les belles choses et de dire aussi celles qui sont les plus difficiles. A construire en se découvrant les uns et les autres, dans l’écoute, dans le respect des besoins de chacun et parfois, sans le vouloir, on trébuche parce qu’on n’a pas bien compris quelle était la demande de chacun. La recherche aussi d’une véritable innovation sociale; on parle sans arrêt d’innovation et de performance dans notre société et nous n’avons de cesse de dire, y compris dans notre université, que l’innovation n’est pas seulement technique, elle n’est pas seulement économique, elle n’est pas seulement technologique, je crois même qu’elle doit être de plus en plus humaine et sociale. Nous développerons ensemble, si vous le voulez bien, les ateliers d’Humanicité où nous mettrons en commun nos savoirs et où, y compris les usagers, pourront nous dire ce qu’ils attendent de nous et comment nous pouvons mieux servir, être au service. Merci à vous tous, administrateurs, direction, personnels de la Maison Médicale Jean XXIII d’avoir fait confiance, de vous engager activement dans la création d’Humanicité, de relever le défi de contribuer à bâtir ainsi une société plus juste et plus humaine; comme j’ai pu le dire il y a quelque temps, beaucoup reste à faire, mais nous espérons que ce lieu dans lequel nous sommes sera aussi lieu de passage, lieu de vie, lieu de compréhension, lieu d’œcuménisme. Je vous remercie.

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Discours de Monseigneur Laurent Ulrich, Archevêque de Lille

Mes Sœurs, Mesdames, Messieurs, Je suis très heureux d’être là ce soir et de pouvoir vous saluer dans la profondeur des projets qui nous réunis. Je voudrais dire que je suis très heureux que, à chaque fois que, depuis que nous inaugurons et ré inaugurons quelque chose dans Humanicité, il y ait des gens qui découvrent ce projet avec autant d’intelligence, autant de sens et de profondeur et qui en perçoivent l’originalité et la grande nécessité. Et c’est à mon avis quelque chose à quoi il ne faut pas que nous nous habituions. Il est extrêmement important que nous découvrions que ce projet est l’œuvre commune d’un certain nombre d’institutions différentes. Ces institutions prennent le pari qu’elles peuvent travailler ensemble, qu’elles peuvent construire quelque chose dans notre ville, dans notre métropole lilloise et que cela a du sens bien au delà de ce qui se vit simplement, dans une relation entre quelques maisons voisines. Mais cela porte du sens assez loin et je crois que les autorités civiles qui portent ce projet avec l’Université Catholique le reconnaissent très volontiers et souhaitent vraiment que nous puissions vivre cela comme un signe, un signe d’espoir, un signe d’espérance, un signe d’avenir. Je voudrais dire une deuxième chose, et Monsieur Aubry tout à l’heure l’a dit de façon extrêmement claire et intéressante, et puisque vous avez dit, Madame Wullschleger ,que j’arrive de Lourdes, je suis frappé et j’ai été frappé de ceci à Lourdes en bavardant avec les uns et les autres : il nous est de plus en plus demandé, dans la société où nous sommes, d’organiser la vie de chacun de telle sorte que l’autonomie de chacun soit vraiment reconnue et soit vraiment possible, que chacun puisse vivre son chemin en ayant à la limite recourt à personne d’autre que lui-même. Il nous est demandé d’organiser la société de telle sorte que chacun puisse aller et venir quelque soit ses difficultés, ses fragilités et ses handicaps partout où il veut, sans l’aide de qui que se soit. Et c’est probablement à l’honneur de notre société d’avoir compris qu’il était nécessaire que chacun puisse exprimer sa propre liberté en toute circonstance. Mais évidemment ce principe d’autonomie dont nous sentons bien qu’il a quelque de très fort et de très beau, il est heurté par un autre, c’est le principe de fraternité. Nous savons bien que l’autonomie poussée jusqu’à l’excès peut engendrer, le Dr Aubry l’a dit tout à l’heure, une solitude extraordinaire et une très grande difficulté à vivre. Et nous, nous pensons que nous avons besoin des uns et des autres et que cela n’est pas une diminution de notre autonomie, ce n’est pas une diminution de notre dignité que de faire appel à la fraternité, à ceux qui, à travers la relation, peuvent manifester que la dignité s’enrichit toujours de la relation et de la fraternité. Et voilà pourquoi à la fois, nous devons tenir compte du principe de l’autonomie et en même temps apporter le désir d’une véritable fraternité. Nous devons conjoindre ces deux réalités et ne pas nous enfermer simplement dans le principe d’autonomie. Je crois que nous le vivons de façon très pertinente ici dans cet établissement et dans tout ce que nous essayons de construire ici. Bien sûr, il est clair que tout va être fait et tout est fait pour que chacun puisse se sentir à l’aise et autonome, mais tout sera fait aussi pour que chacun puisse sentir qu’il n’est pas seul et qu’il n’est pas seul jusqu’au terme de son existence. Voilà pourquoi je trouve que le projet de cette Maison Médicale est excellent; il est très beau et il nous donne beaucoup à penser. Ce que nous faisons, ce n’est pas simplement, nous le

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sentons, la réalisation d’une idée mais c’est la mise en œuvre d’une vraie capacité à vivre ensemble, c’est une mise en œuvre de ce à quoi nous croyons; nous ne nous contentons pas d’énoncer quelque beau principe mais nous essayons de les vivre même si nous savons que ce que nous faisons à l’échelle d’ici est peu de chose en regard de l’immensité des besoins.

Mais nous apportons notre propre façon de voir, notre propre façon de sentir comme à titre d’exemple, nous savons que c’est peu, mais ça n’est pas rien que d’être icicette Maison Médicale avec son projet et ses partenaires dans une immense société et tout simplement dans une agglomération nombreuse où il y a bien d’autres institutions que la nôtre pour remplir les différents défis, pour répondre aux différents défis qui se présentent à nous dans cette société. Voilà le fait d’avoir associé, l’Université et la Métropole, la Communauté Urbaine, des communautés religieuses, d’avoir associé des communautés dans l’œcuménisme, catholiques et protestantes et d’avoir réussi à associer tant d’autres partenaires, nous voulons que cela dure. Nous voulons qu’il y ait des possibilités d’accompagnement, des possibilités de soins offertes ici, des possibilités de fraternité présentes dans ce projet. Nous voulons que la réalisation œcuménique soit vécue au jour le jour comme le signe de notre attention et de notre compassion. Je me permets simplement de terminer sur ce mot de Jean VANIER: « La compassion ce n’est pas la pitié, la compassion, c’est approcher quelqu’un pour l’aider à se relever et pour l’aider à devenir lui-même, l’aider à exercer ses dons. Il ajoute, qu’en plus de la générosité, c’est la communion qui se mêle ici à toute personne». Ce lieu là donc sera par excellence le lieu de ces rencontres. En terminant, l’autre jour, l’inauguration de l’extension de Saint Vincent où il y a aussi des lits de soins palliatifs je disais: « Voila comment ensemble nous construisons une œuvre salubre pour les patients, pour leurs proches et pour toute notre société», c’est vrai ici aussi. Je vous remercie.

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Madame Marie-Reine Mutel, Déléguée Territoriale, Métropole-Flandre intérieure, représentant Monsieur Daniel Lenoir, Directeur Général de l’Agence Régionale de la Santé Nord Pas de Calais

Monsieur le Professeur Aubry, Président de l’Observatoire national de la fin de vie, Monseigneur Ulrich, Evêque de Lille, Monsieur le Pasteur Manoel, Président de la Fondation de la Diaconesses de Reuilly, Soeur Evangéline, Vice présidente de la Fondation des Diaconesses de Reuilly, Madame Lebrun, Présidente, Recteur de l’université Catholique de Lille, Mesdames, Messieurs les élus, Madame la Directrice, Mesdames, Messieurs, Je voudrais tout d’abord exprimer tous les regrets de Monsieur Daniel LENOIR, Directeur Général de l’Agence Régionale de Santé qui n’a pas pu être parmi vous, lors de cette inauguration en cette fin d’après-midi. Le nombre de personnes qui a répondu présent à votre invitation est un message fort, de l’action que vous menez à la Maison Médicale Jean XXIII, depuis 40 ans. L’aide apportée par l’Agence Régionale de Santé à son déploiement, dans sa reconstruction sur ce site (avec une augmentation de 30 lits), marque la volonté d’offrir à la population, une qualité de prestation. La spécificité de cette «Maison» s’insère dans un projet de vie, de conviction, en prenant en compte les aspects psychologiques, sociaux et spirituels où chaque professionnel et chaque bénévole se retrouvent autour de trois maitres-mot: Accueillir, Accompagner, Soigner. Le concept de soins palliatifs ou encore l’accompagnement des personnes en fin de vie sont unis dans la Maison Médicale Jean XXIII et offre un champ large des différentes techniques, usitées dans vos cinq unités hospitalières et votre service extra hospitalier: techniques précises, adaptées et exigeantes. Dans l’esprit qui guide cette Maison, il y a lieu de souligner, l’importance que revêt, aussi, le partenariat notamment avec: Les réseaux (Trèfles à Armentières, Rosalie à Lomme, Synergie réseau ville-hôpital à La Bassée..), Les établissements hospitaliers voisins, Les instances de formation (des deux universités de Lille, Centre d’éthique de l’Université Catholique de Lille, école d’infirmières, etc...). Dans un des nombreux points que comprend le Plan Régional de Santé, en cours d’élaboration, il a été conformément, aux missions de l’Agence Régionale de Santé, mis en évidence un des soucis majeurs de notre région, à savoir faire en sorte que toute personne ait un accès à des «efficaces et de qualité». Et ce dans des domaines les plus étendus de la prévention aux soins palliatifs: Quelque soit la forme du soin: - ambulatoire - hospitalier

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Quelque soient les conditions d’accès au droit notamment les populations vulnérables Quelque soient les inégalités pour raisons: géographiques, sociales ou culturelles. Ce bilan sera prochainement modifié et amélioré suite à la reconnaissance de nouveaux lits de soins palliatifs. Chacun, ici, connait la place de la Région en matière de santé; soyez assurés que Monsieur Daniel Lenoir et tout le personnel de l’Agence Régionale de Santé aspirent à voir, pour l’ensemble de la population du Nord-Pas-de-Calais, les chiffres s’inverser, et s’emploient à ce challenge de longue haleine, en initiant des actions permettant, une approche globale de la santé, dans une gestion partenariale, des politiques publiques, nationales et locales. Retenons des avancées certaines par exemple:

La télémédecine, technique qui nous place en tête de la France et qui offre des possibilités fortes et exponentielles pour les patients, pour les professionnels de santé, dans le cadre, du dépistage, du diagnostic, du partage des compétences et de l’information.

Même si notre région doit encore progresser, face au vieillissement de la population, en matière de soins palliatifs, elle occupe aujourd’hui une place honnête dans le classement français, figurant, ainsi, dans les régions, les mieux dotées en lits de soins palliatifs.

En effet, le taux maximal de 15 lits pour 100habitants est atteint ou dépassé pour une grande partie des zones dont celle de la «Métropole - Flandre intérieure», et le taux minimal de 10 lits est peu observé pour la région à l’exception de 2 zones. Suite à des visites de contrôle réalisées en 2009 et 2010, un groupe de travail s’est mis en place, sous l’égide de la Coordination régionale des soins palliatifs, pour élaborer un outil d’évaluation du patient en situation palliative. Actuellement en phase de test, il est appelé à être diffusé à l’ensemble des unités de la région. L’Agence Régionale de Santé souhaite porter ses efforts pour les prochaines années sur la qualité de la prise en charge:

en permettant une prise en charge adaptée et continue du personnel des soins palliatifs, pour l’ensemble des établissements ou réseaux de la région,

en ouvrant à la population de nouvelles prestations, en faisant en sorte d’inciter les EHPAD et autres établissements médico-sociaux à créer des

unités dédiées aux soins palliatifs de façon souple, soit avec leurs équipes ou par des réseaux ou avec le concours de l’HAD.

Je voudrais terminer mon propos en ayant une attention particulière, pour les nombreux bénévoles qui œuvrent dans la Maison Médicale Jean XXIII et leur dire l’importance qu’ils représentent à nos yeux, et de notre souci de faciliter leur engagement dans l’aide précieuse apportée aux malades et à leur famille.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.

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Le temps d’un débat : L’Éthique et la fin de vie Les Intervenants

Pr Olivier Abel - Sœur Evangéline - Pasteur Marcel Manoel - Mgr Laurent Ulrich - Dr jean Paul Kornobis

Intervention de Monsieur Olivier Abel, Professeur de philosophie morale à l’Institut protestant de théologie à Paris La mort n’est probablement pas une question «métaphysique» aussi lourde d’implications que celle de la naissance, et les questions éthiques des commencements sont peut-être les plus vertigineuses. Elle nous pose cependant une question redoutable: elle est là, quotidienne, ordinaire, mais qu’en faisons-nous? Comment l’interprétons nous nos existences et dans nos sociétés ? Quelle forme lui donnons-nous? Répondre à cette question, c’est décrire le monde dans lequel elle se pose. Autrement dit les questions que nous nous posons autour de la mort sont à replacer dans le contexte précis d’une situation technique, sociale, culturelle, mais tout à la fois elles l’expriment. Et si les progrès médicaux s’imposent simultanément à peu près partout, il n’est par exemple pas tout à fait sûr que nos embarras autour de l’euthanasie soient exactement superposables à ceux de nos voisins allemands. Je ne reprendrai pas la liste et l’histoire des grandes évolutions contemporaines qui ont fait notamment qu’aujourd’hui on meurt à l’hôpital, dans une institution plutôt urbaine ou péri-urbaine, et non dans la vieille domus, la maison de famille. D'où l'importance symbolique du vocabulaire de la «» - Maison Médicale Jean XXIII, et l'importance «» des formes de l'habitat de fin de vie. En tous cas il est certain que dans un pays aussi profondément rural que la France, cela peut donner lieu à un brin de nostalgie: on préférerait revenir mourir à l'endroit où les portes du passé pourraient se rouvrir. Si «Les funérailles d'antan» de Georges Brassens nous font sourire, il est bon cependant de mesurer à quoi répondent ces principales évolutions, et les problèmes inédits qu'elles ont fait surgir et qui constituent notre horizon.

Dans les propos qui suivent, je traiterai successivement de trois nœuds de questions. Le premier se forme autour de l’augmentation tragique de l’obligation de choisir, qui nous conduit à augmenter en conséquence son accompagnement juridique, mais pose aussi la question de ce que c’est que le savoir, le consentement, la volonté. Le second se forme autour de l'augmentation de la solitude, de la difficulté à repenser le soin dans une société de solitaires. Le troisième élargit les précédents dans le contexte d'une société qui a connu une jeunesse pléthorique et qui se retrouve globalement comme une société vieillie: comment y accepter une mort modeste et faire place aux autres vivants. J'irai ainsi des questions les plus aigues aux questions les plus vastes.

Un dernier mot de préambule philosophique, au sens le plus trivial de ce terme: on a beau savoir, être averti, prévenu, y avoir pensé, la maladie, la mort nous trouvent toujours impréparés. C’est peut-être justement que ma mort ne correspond pour moi à aucune expérience, elle m’est inaccessible, c’est mon impuissance. «ne peux pas mourir», disait Emmanuel. C’est une limite fuyante à tout ce que je puis faire ou penser. La mort n’est pas un acte, mais le consentement à autre chose, et j’y suis passif comme à quelque chose qui simplement arrive, elle est en quelque sorte donnée avec la naissance, sans que cela ait été un acte ni un projet de ma part, je suis toujours encore avant ma mort. Mais la joie et le deuil nous touchent au plus profond, là où plus personne n’est expert. Nous sommes des corps vivants, des êtres de désirs et de craintes; nous faisons partie de ce que Merleau-Ponty appelle la chair du monde, et cette sensibilité est sans doute la condition de notre intelligence de ces questions. La question du choix et du consentement Pour donner d’un mot l’idée qui dirige cette première entrée, on dirait que les progrès technoscientifiques ont considérablement élargi la place faite à la possibilité de choisir, tant dans les questions de fin de vie que dans les questions de commencement de vie. Peut-être assistons-nous même à un effacement de la mort concomitant à l’effacement de la naissance, qui n’est plus qu’un moment dans un processus maîtrisé presque de bout en bout. De moins en moins on peut dire que simplement «arrive». La question est ici de savoir comment notre société va pouvoir s’installer durablement dans cette condition, où la mort est pour partie et de plus en plus le résultat d’un choix. La

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nouvelle forme de tragique qui apparaît ici est due non seulement à l’obligation de trancher une alternative où tout est de toute façon malheureux, mais aussi à la fragilité de ce qui sépare la réalité de la virtualité: le poids du virtuel écrase le réel, et nombreux sont vivants qui auraient pu être morts, parce qu’on a mis tous les moyens au service de leur survie, qui a été en quelque sorte choisie. La valeur de cette survie pose avec une acuité inédite la question de la vie digne. On peut même se demander, et ce sera ma première hypothèse, si nos projets de loi et nos débats de sociétés ne sont pas des façons de vouloir échapper à cette condition tragique, et de faire entrer dans l’ombre à la fois l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie, qui ont beau être entourés de la plus vive réprobation morale n’en sont pas moins l’objet, l’un et l’autre, d’une grande tolérance pratique: ils ne sont ni justifiables ni pénalisables, et échappent aux règles libérales de la justification. a) L’oscillation juridique Les va et vient de la loi autour de la médicalisation de la fin de vie montrent bien cette oscillation. D’un côté on a voulu augmenter le droit de choisir et donc l’autonomie du patient, son droit de s’opposer à une thérapeutique après avoir été informé des conséquences. Mais on a rencontré les limites du point de vue libéral qui suppose un sujet capable de délibérer et de vouloir, un vrai désir de s’informer jusqu’au bout et une certaine constance de la volonté - un sujet formidablement éduqué, un peu inquiétant d’abstraction. Or la pratique montrait au contraire bien souvent le refus de savoir, et une inconstance bien compréhensible, sinon une double crainte presque irrationnelle à la fois de l’acharnement thérapeutique douloureux et d’un délaissement, d’un arrêt des soins prématuré. De l’autre côté, le médecin n’est pas tellement mieux préparé à exercer la responsabilité exorbitante qui lui échoie à proportion qu’il a de plus en plus le pouvoir, mais aussi l’obligation chaque jour réitérée, de choisir: peut-il décider à la place d’autrui, pour son bien? Ce qui était jadis une situation médicale d’urgence est devenue une réalité chronique.

Il ne faut jamais sous estimer la pression du possible technique sur les mœurs. Je risquerai une fiction excessive, pour faire voir ce que je veux dire: si l’on trouvait un traitement à base d’extraits de nouveau-nés, et qui assurerait l’immortalité, que se passerait-il dans une société de marché où les contextes de production sont tellement éloignés des contextes de consommation que presque indifférents? C’est la très bonne analyse que propose de l’avortement Luc Boltanski, dans la condition fœtale, Paris: Gallimard, 2004, et qui prolonge bien ses études antérieures sur notre société comme société de projets (Le nouvel esprit du capitalisme, Paris: Gallimard) Et la crainte de poursuites pénales, ajouté à la culture de la performance médicale et à la recherche de la rentabilisation des services peut porter le médecin à tout faire pour maintenir en vie un mourant - de même que le souci de ne pas faire porter aux proches une alternative insupportable, mais aussi la surestimation de sa responsabilité, sinon même la pression de la demande quand on manque de moyens et de lits, peut le porter à arrêter des soins inutiles, douloureux et coûteux. Tous ces biais, tant réels qu’imaginaires, n’ont cessé d’embarrasser le législateur, pris dans un véritable conflit des droits et des devoirs. On a raison ici de montrer les dangers d’une excessive subordination des normes, qui croit évacuer le tragique en établissant une hiérarchie claire des droits, devoirs et responsabilités, et en replaçant le curseur du côté de l’institution médicale au détriment de l’autonomie du sujet. Le doyen Carbonnier estimait que le droit devait toujours laisser une place optimale à la responsabilité de chacun, c’est à dire à la morale, à des options qui restent résistibles, mais qu’il fallait toujours penser à la protection des plus faibles. C’est donc l’impossible compromis législatif qu’il nous faut trouver. Comment penser en même temps l’autonomie du patient et sa vulnérabilité, sa faiblesse, son impuissance à savoir ce qui est bon pour lui, son besoin de confiance. Mais aussi comment penser en même temps la responsabilité du médecin et ses propres limites, sa propre fragilité, sa faillibilité.

b) L’oscillation de l’opinion Mais le problème n’est pas seulement juridique, c’est celui de l’opinion publique, saisie elle-même par le désir d’échapper au tragique, soit en majorant le droit de chacun à être le maître de sa mort comme s’il s’agissait d’un

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choix libre, autonome, soit en majorant l’importance sacrée de la vie à tout prix. Ici encore le travail du moraliste consiste moins, me semble-t-il, à donner des règles qui ordonneraient l’action des praticiens, qu’à aider à formuler des inquiétudes et des dilemmes, de façon à tenter de dénouer des faux-problèmes pour trouver les problématiques où les uns et les autres se reconnaissent. Or le contexte français est polarisé par une opposition dont il serait intéressant de faire l’archéologie, entre une conception que je qualifierai schématiquement de «ïcienne», selon laquelle la mort est un acte de la vie humaine, quelque chose qui dépend absolument de nous, et une conception plus «» (ce terme entendu de façon non moins schématique), qui sacralise la vie, veut accompagner tous les vivants jusqu’au bout et interdit le suicide. Et dans cette vieille et presque ennuyeuse querelle de l’idéologie française, on a d’un côté l’approbation de l’euthanasie comme acte stoïque, de l’autre sa réprobation au nom du caractère sacré de la vie. Rappelons quelques uns de termes du débat.

L’oscillation entre ces deux manières de voir est rendue plus incertaine encore par le fait que des personnes très favorables à l’euthanasie reculeront soudain devant elle, et que d’autres qui la repoussent avec horreur demanderont peut-être un jour à voir leur souffrance abrégée. Nous ne savons pas ce que nous ferions dans de telles circonstances, ni même si nous désirerions être informés. C’est pourquoi la question du consentement est devenue une question cruciale, et non une condition facile à remplir. Certes une volonté stable, ou réitérée, et qui ne présente pas les caractères d’un égarement passager, est un indice. Mais le libre-consentement est une chose fragile, plus incertaine qu’on ne le croit. Certes il y a un moment où les pouvoirs médicaux au chevet du mourant doivent se retirer discrètement. Mais ce moment ne peut qu’être choisi et assumé à plusieurs. Nous ne pouvons laisser un médecin, un soignant, un proche, le patient lui-même seul avec cette question —avec cette responsabilité, ou avec cette tentation. Nous devons «» des occasions de paroles, toute une séquence de va et vient entre la parole des uns et des autres, qui conduise à une responsabilité partagée, ou du moins la plus concertée possible. Non que nous puissions trouver une solution législative, médicale ou déontologique qui réponde à toutes les questions. Nous devons vivre avec le problème, nous installer avec, et commencer à en parler. Il me semble que c’est justement le travail du soin ordinaire. La question de la solitude et du soin Le second paquet de questions soulevées par la forme que prend notre mort dans nos sociétés ultramodernes tourne autour de la solitude. Le paradoxe est que nous sommes dans une société encore portée par l’élan de siècles d’émancipation, de déclarations d’indépendances en tous genres, mais que nul ne peut prendre soin de soi entièrement. C’est vrai de la condition ordinaire, mais bien sûr cela devient évident avec la vieillesse comme avec l’enfance. Notre société est donc en porte à faux, car l’autonomie se retourne en dépendance. La généralisation de la solitude est ainsi au carrefour géométrique tant des trajectoires de fin de vie subies, quand la vie professionnelle est finie, que les proches sont partis et qu’on n’a plus que la télé, que dans celles des formes de vie au départ choisies, mais qui s’avèrent peu à peu invivables, surtout dans une société d’extrême ségrégation des âges - laquelle me semble plus radicale et plus périlleuse à terme pour le lien social que la ségrégation des sexes au 19ème siècle. Là où nous cherchions l'autonomie nous découvrons manquer des soins d'autrui, et là où nous cherchions l'indépendance nous découvrons notre dépendance.

Cette question est en quelque sorte aggravée par le vieillissement global de la population qui augmente la proportion de solitaires, et pose à nouveau la question de la valeur d’une survie, quand le pouvoir médical vous redonne du temps, un temps parfois même inespéré, mais qu’il s’agit d’un temps où la plupart de ceux que vous avez aimé ont disparu — et qui dira la tristesse de reporter le besoin de proximité sur les épaules trop rares de petits enfants trop aimés, et trop absents. Bien sûr les institutions de santé publique prennent ici le relais, mais si leur fonction est de guérir, c’est à dire comme le dit Canguilhem de réorganiser la vie en vue d’un nouvel équilibre, leur meilleur savoir-faire est de redonner une chance, de commencer par rétrécir le milieu mais pour le réélargir ensuite lentement, de façon contrôlée. Or le vieillissement n’est pas plus une maladie que la mort. Au mieux cela ressemble à ces maladies chroniques qui s’accompagnent d’un rétrécissement en quelque sorte progressif, mais globalement irréversible, des activités et des échanges. C’est une forme de soin qui n’est donc pas thérapeutique dans un sens classique, et qui doit faire place à la difficile acceptation d’interdépendances de plus en plus étroites. C’est pourquoi l’opposition un peu brutale entre l’émancipation solitaire et le besoin de soin, qui prend ici le relais de

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celle qui marquait notre première partie autour de l’euthanasie et des soins palliatifs, mérite là encore d’être compliquée par une dualité interne au soin, qui se glisse dans le sujet soignant autant que dans le sujet des soins. C’est là ma seconde hypothèse de recherche. Le soin en effet indique tantôt le souci médical de guérir, et tantôt le souci éthique du «soin». D’une part il y a donc un aspect thérapeutique du soin , qui passe par un «» spécialisé, technique, relativement impersonnel, et qui soigne quelque chose de particulier et d’isolable. D’autre part il existe aussi un soin, parental ou filial par exemple, mais pas seulement, qui tisse un lien personnel, et qui par un «» s’adresse globalement à quelqu’un: le soin tient ici à une condition ordinaire. L’intérêt de cette polarisation réside dans les mixtes qu’elle fait voir, car la priorité à tel ou tel genre de soin varie selon les moments, et s’il faut donner le pas à tel aspect ce doit être sans oublier l’autre. Le refus de la confusion des rôles permet et suppose leur articulation dans des proportions complexes et variables, et les rôles intermédiaires sont les plus délicats: les infirmières (souvent de plus en plus des infirmiers, comme dans tous les métiers du «») qui effectuent des gestes très techniques mais aussi qui maternent, etc. C’est toute la question de ce qu’on pourrait appeler l’amour professionnel, comme dans le cas des «» qui doivent pouvoir se détacher d’enfants avec qui elles ont passé un temps intense de liens intimes supposant une grande confiance. Et pourtant il faut un certain investissement et attachement pour qu’il puisse y avoir détachement, et désinvestissement. Et cette complication mutuelle des modèles entre la compétence et le dévouement fait voir combien parfois on peut «» par le fait de parler (et d’écouter), et «» (écouter) par le fait de soigner. Et puis l’asymétrie de la relation de soin imbrique la responsabilité et la vulnérabilité, la capacité et la faiblesse, et nous revenons ici à un couple conceptuel cher à Ricœur. Cette asymétrie peut certes donner le pire quand le vertige du pouvoir de soigner suscite le désir de soumission et d’irresponsabilité, ou réciproquement. A rebours, il faut sentir la vulnérabilité des êtres pour leur faire sentir leur capacité d’agir et de dire encore, là même où ils ne la sentaient plus. La sagesse rappelle la fragilité des forts, et la capacité des faibles. Il y a donc une perpétuelle inversion d’une figure du soin dans l’autre. Tout cela est très bien, évidemment, mais pose un problème de taille: la mise en place de cet ensemble complexe que nous appelons «» s’accompagne de normes portées par les idéaux que nous venons d’esquisser, apportées également par des erreurs que l’on tente de corriger, des échecs auxquels l’on tente de parer. Or ces normes définissent peu à peu une forme de vie au-dessus de nos moyens, tant individuels que collectifs. Je voudrais écarter ici un dangereux raisonnement qui tend à disqualifier d’avance, comme immoral, tout argument de type économique. Nos sociétés ont des moyens limités et nous sommes donc obligés, pour les répartir, de faire des choix qui définissent nos solidarités, et leurs limites. Ces choix économiques, justement parce qu’on les considère comme non-éthiques, ne sont presque jamais portés dans le débat public, et trop souvent les responsables de la santé publique les effectuent tout seuls, parant aux exigences et aux contraintes les plus pressantes. Les traitements et les soins ont des coûts qu’il faut prendre en compte dans le débat, justement parce que moralement cela pose des problèmes très importants, et parfois tragiques. Le sens de cette réflexion est donc d’appeler à penser ensemble les soins de fin de vie, et non seulement les soins palliatifs, dans une logique qui accepte le rétrécissement. Rétrécissement de la surface des activités et des échanges de la personne âgée, mais rétrécissement aussi des moyens humains et de la densité relationnelle à proportion de l’augmentation du nombre de personnes âgées par rapport à la population active. C’est ici ma troisième hypothèse: nos sociétés sont très fortes pour soutenir tout ce qui augmente, tout ce qui grandit, mais pas très équipées pour faire face au rétrécissement, pour l’autoriser, le rendre acceptable sinon même préférable. Car penser le rétrécissement oblige aussi à penser la fidélité à quelques liens, à quelques lieux ou choses, à quelques musiques ou habitudes, à les rendre préférables.

Cela permet aussi de penser d’autres élargissements, sur d’autres registres, de faire place notamment à l’exercice du rassemblement de soi par lequel le sujet se retourne, se raconte, et cherche à comprendre la différence que son existence a faite dans la mémoire des autres. Mais de faire place aussi au dépouillement de soi, à l’insouci de soi qui reporte mon désir de vivre sur les autres. L’oscillation entre ces moments les imbrique étroitement, comme si l’un n’allait pas sans l’autre. Comme si c’était du même chemin qu’il s’agissait, jusqu’au bout. Nous y reviendrons pour

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finir, car avec la question du soin, de l’attachement et du détachement, du lien et de la déliaison, des rapprochements et des séparations, se glisse une dialectique du refus et du consentement essentielle à notre thème, et qui récapitule toutes les oscillations observées jusqu’ici. La question du vieillissement, et la modestie de la mort Pour élargir encore la focale sur les questions soulevées par la forme que prend la mort dans nos sociétés bouleversées par le progrès médical et la transition démographique, je dirai que le vieillissement n’est pas seulement une question économique, mais aussi politique et finalement culturelle. Qu’allons-nous faire de ce vieillissement? Comment échapper au massif conflit d’intérêt entre les générations, au décalage par lequel les uns portent la charge d’une génération d’anciens nombreuse, dotés d’une longévité inédite, et les autres se trouvent comme dépaysés chez eux par la place prise par ces étrangers, migrants ou pas, que sont les nouveaux-venus. La tragédie de la culture écartelée entre le poids du passé et la massification accélérée des innovations est ici redoublée par un problème inédit, qui n’est même pas encore vraiment aperçu: jamais l’humanité n’avait été confrontée à ce problème de faire une culture vivante et créatrice, confiante, avec une moyenne d’âge aussi élevée. Il me semble que c’est aussi à des questions de ce genre que la forme collective du mourir doit faire face, et qui fait une partie de notre angoisse, ou de notre embarras. Pourquoi ce gigantesque effort pour allonger la longévité? Peut-être que notre religion de la croissance tient justement à cette peur panique qui est la nôtre face à l’entropie, au silence des étoiles et à l’indifférence universelle? En ce sens il est possible que nous ayons un problème collectif avec l’interprétation de la mort: qu’en faisons-nous? Comment l’interprétons-nous dans nos existences et dans nos sociétés ? Ce qui est difficile et délicat, dans la vie, c’est de répliquer au fait absurde et merveilleux d’être nés en introduisant par la parole et l’action des nouveautés, en découvrant, en créant, en faisant naître à notre tour, et tout cela sans répliquer au fait de devoir mourir en détruisant, en démolissant, en dépréciant tout dans un «ès moi le déluge» généralisé! Nous sommes des sociétés où il y a eu beaucoup de naissances, et quelle que soit notre longévité, nous aurons donc à terme forcément beaucoup de morts. Ce basculement planétaire de sociétés entières pose un problème inédit qui n’est pas seulement celui du vieillissement: comment allons-nous faire pour mourir si nombreux? Jadis, sauf en temps de catastrophe ou de guerre, on mourrait un par un, comme on naissait. On avait la place de lancer ses vitupérations, de disposer ses souvenirs essentiels, de transmettre ses bénédictions qu’on glissait à la génération suivante avec l’autorité de ceux qui s’effacent pour laisser place aux autres, avec l’autorité de ceux qui partent. Cela semble déjà bien moins le cas. On n’écoute plus les anciens, qui sauraient nous replacer avec confiance dans un tissu narratif plus vaste, rouvrir du passé des promesses non tenues, et apporter leur bénédiction, leur approbation, sur les actes et paroles de leurs successeurs. Et surtout on peut redouter un temps où les humains mourront massivement, en série en quelque sorte, sans pouvoir bénéficier de beaucoup de présence, de conversation ni de soin. C’est cette situation qu’il faut regarder en face car elle peut prendre plusieurs formes. La forme la plus aisée serait celle de la destruction et de la guerre. Elle a déjà été essayée. Peut-être les fascismes sont-ils apparus au moment où la civilisation européenne s’est aperçue qu’elle était mortelle. Cette manière de faire payer sa mort par le meurtre, en brisant la vie des autres, en s’acharnant peut-être particulièrement sur ceux qui tiennent à la vie, à la suite des générations, a montré de quoi elle était capable: c’est le cœur de tout génocide. Mais une autre forme, plus sournoise et aujourd’hui puissante, est la dépréciation de la vie et du monde, sur un ton cynique ou apocalyptique: il aurait mieux valu ne pas faire d’enfants, car tout va de mal en pis, le monde est irrémédiablement gâché et le mieux serait de ne pas être né. En ce sens nous sommes dans une époque très gnostique, où il s’agit de nous évader par tous les moyens de notre condition native et mortelle. Le monde des survivants peut alors être saccagé la conscience tranquille! C’est ce prix de la mort qui m’inquiète, comme s’il fallait d’une façon ou d’une autre faire payer. Il ne tient qu’à nous d’inventer collectivement une manière de vieillir qui soit elle-même créatrice et confiante, et une manière de mourir qui ne soit pas au-dessus de nos moyens de vivre individuels, collectifs, et planétaires. Il n’est pas jusqu’au coût somptuaire des obsèques et des rituels de sépulture qu’il nous faudrait réviser, et là encore nous avons des normes juridiques luxueuses ! Il nous faudrait inventer une

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manière d’interpréter la mort assez sobre et modeste, un peu comme cette remarque d’un enfant de dix ans longtemps anxieux de la mort et s’exclamant un jour: «y est, je sais à quoi ça sert la mort! ça sert à faire de la place». Certes rien ne nous prépare à cette attitude où nous nous effacerions à notre tour avec allégresse pour laisser la place à d’autres. Tout nous pousse à augmenter, à grandir encore, et rien ne nous autorise à diminuer, à nous faire petits.

Nous savons sans doute ce que sont des institutions qui nous obligent à nous rétrécir, à admettre notre rétrécissement, mais ce ne sont pas encore des institutions qui l’autorisent, qui approuvent notre diminution, qui en fassent vraiment voir la valeur. On a beaucoup dit que nos sociétés cachent la mort, la mettent à part dans des lieux spéciaux qui la séparent du familier. Ce pourrait être une forme de cette modestie que nous cherchons, si ces lieux figuraient, comme les monastères jadis, des lieux de retrait volontaire, mais des lieux encore de culture, des lieux ouverts à la conversation des générations. Trop souvent cependant ce ne sont que des lieux obligatoires, et qui cachent ceux qui vont mourir, comme si la mort n’existait pas, ou comme si c’était un échec collectif. Nous devons cesser de considérer la mort comme l’échec d’une technique médicale, et commencer à simplement en parler, comme d’une limite toute simple aux savoirs et aux pouvoirs de la médecine, ce moment où chacun, à la rencontre de la mort, à la fois se rassemble et se dépouille, avec et parmi d’autres, et cherche le chemin à chaque fois unique du consentement à mourir, qui est aussi simplement le consentement à être né.

C’est un chemin délicat, car si l’on accorde trop au consentement à mourir, au consentement à avoir vécu, on peut éprouver le sentiment d’être poussé dehors, et la riposte vitale est alors le refus de la résignation, le désir de vivre encore, de revenir à la vie le plus loin possible, d’être jusqu’au bout et pleinement vivant. Mais si l’on accorde trop au vouloir-vivre, au refus de la mort, on peut éprouver le sentiment d’être comme gardé dans une vie de plus en plus étroite, renvoyé sans cesse au souci de soi, alors que le bonheur serait de se défaire d’un tel souci, de s’oublier soi-même, d’être simplement parmi d’autres et de s’effacer tranquillement devant ce qui est plus vaste. Cette dialectique ténue de la fin de vie dévoile dans le même temps une structure et un rythme intime à toute existence, depuis ses tout débuts. Naître et grandir, c’est déplier cette oscillation entre le oui et le non, entre le désir de s’affirmer, de se confronter, de se distinguer, de se montrer, d’une part, et d’autre part le désir de se retirer, de diminuer, de s’effacer dans l’être. Et tant que possible, tant qu’on est soi-même, on tient cette oscillation ténue et tenace, jusqu’aux dernières pressions de la main par lesquelles on donne et reçoit, on prend et on laisse.

Si l’on veut ici parler d’accompagnement «», je dirai qu’il est ondulatoire, qu’il ne peut sans reste s’identifier à

l’une des deux orientations, et qu’il s’agit de multiplier les occasions de faire cette expérience radicale, proprement spirituelle, de l’un et de l’autre de ces deux désirs. L’important est que chacun, jusqu’au bout, se sente approuvé d’exister, soutenu dans son désir d’exister, jusqu’au point de pouvoir à son tour, comme disait Ricœur, reporter son désir de vivre sur les autres.

Olivier ABEL Professeur de philosophie morale Institut protestant de théologie-Paris

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Intervention de Sœur Evangéline, Prieure des Diaconesses Nous sommes appelés à vivre

…Mais nous le savons, notre vie sur cette terre, comme tout ce qui est créé a un commencement et un terme. Nous ne sommes pas appelés à vivre dans l’obsession du terme, c'est-à-dire de la mort. Mais nous ne devons pas non plus vivre dans l’oubli ou le refus du terme. Il en va de notre bonheur. La mort s’inscrit dans un chemin de vie, dans notre chemin de vie.

La Règle de Reuilly, qui donne forme à notre engagement religieux au quotidien et nous propose un art de vivre, évoque l’événement de la mort dans le chapitre intitulé « l’épreuve de la maladie ».

La maladie est pour nous tous une épreuve quand elle survient, à laquelle il faut à la fois faire face et consentir : « Tombe dans les mains de Dieu avec ta faiblesse et ta douleur ». Moment de vérité : la foi que je professe tiendra-t-elle dans cette épreuve du feu ? « La douceur du Christ t’accompagne. Communie à son Corps et à son Sang ». Et puis, « remets-toi à la prière de ceux qui t’aiment » et « laisse-toi consoler ». Ne te replie pas sur toi-même. Elargis l’espace de ta tente et sache que « tu prends part à toutes les détresses de la terre ». Non, tu n’es pas seule. Et la maladie peut devenir pour toi une grande expérience de vie.

Puis le texte continu et deux fois par an (c’est le rythme auquel nous lisons notre Règle) nous entendons ces mots : « si la mort vient te surprendre »… C’est bien de moi qu’il s’agit. La mort viendra-t-elle toujours me surprendre ? La vie me donne pourtant bien des occasions de l’apprivoiser. Toutes les fois où j’approche la mort de l’autre, n’est-ce pas la mienne aussi que j’approche ? Apprivoisement, au fil du temps, qui se mêle à ma prière contemplative.

Dans ce chapitre sur la maladie, le texte s’est adressé à moi en tu, jusqu’à ce « et si la mort vient te surprendre » : oui, me surprendre moi. C’est bien de ma mort dont il s’agit ; c’est bien moi qui vais jouer le dernier acte de ma vie. Et j’aurais besoin d’être respectée dans ces instants éminemment intimes par une juste proximité et une juste distance, suspendue que je suis entre le temps et l’éternité.

Mais la phrase se poursuit et elle se poursuit en « nous » : « si son mystère vient nous étreindre ». Nous : sœurs de communauté, soignants, famille, amis. La mort d’un seul qui en touche plusieurs, une expérience très humaine qui nous touche et par laquelle il faut se laisser toucher, quel que soit le lien qui nous unit à la personne qui nous quitte.

La mort, dit notre Règle, est une parole sur notre chemin de vie à nous qui poursuivons la route. Au-delà des mots elle est un appel à « l’aujourd’hui de la miséricorde », c'est-à-dire un appel à mettre en œuvre l’amour, le pardon, l’espérance sans perdre de temps. Car le temps est court mais l’amour est une semence d’éternité.

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Intervention de Monseigneur Laurent Ulrich, Archevêque de Lille

Le texte fondamental de Pie XII, en 1957, a marqué un vrai tournant. Il exprime positivement la conviction que le respect inconditionnel de la vie et le désir de la servir comporte une limite marquée par l’excès de la douleur lorsque se présente l’imminence inéluctable de la mort. Le respect de la vie ne signifie pas la maîtrise absolue sur la vie. « La suppression de la douleur et de la conscience par les moyens des narcotiques, lorsqu’elle est réclamée par une indication médicale, est-elle permise par la religion et la morale aux médecins et aux patients, même à l’approche de la mort et si l’on prévoit que l’emploi des narcotiques abrègera la vie ? Il faudra répondre : s’il n’existe pas d’autres moyens et si, dans les circonstances données, cela n’empêche pas l’accomplissement d’autres devoirs religieux et moraux : oui. » Pie XII, Discours au congrès des médecins et chirurgiens, à Rome, le 24 février 1957, Documentation Catholique, 1957, n°1247, colonne 325…

En 1995, l’encyclique de Jean Paul II, Evangelium Vitae, développe et argumente à partir de la même position. Elle souligne l'attente d'une assistance; elle met en valeur les besoins humains fondamentaux mieux identifiés aujourd'hui: besoins physiques, psychiques et spirituels; notamment elle prend en compte l'angoisse et la solitude. Elle prend en considération le moment où plus aucun espoir de guérison n'est entretenu raisonnablement. La loi Leonetti de 2005 parle de limiter les soins qui ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable.

«, quand l'existence terrestre arrive à son terme, c'est encore à la charité de trouver les modalités les plus adaptées pour que les personnes âgées, spécialement si elles sont dépendantes, et les malades en phase terminale puissent bénéficier d'une assistance vraiment humaine et recevoir les réponses qui conviennent à leurs besoins, en particulier en ce qui concerne leurs angoisses et leur solitude. Dans ces cas, le rôle des familles est irremplaçable; mais les familles peuvent trouver un appui considérable dans les structures sociales d'assistance et, quand c'est nécessaire, dans le recours aux soins palliatifs, en faisant appel aux services sanitaires et sociaux appropriés qui exercent leur activité dans des centres de séjour ou de soins publics ou à domicile.

En particulier, on doit reconsidérer le rôle des hôpitaux, des cliniques et des maisons de soin: leur véritable identité n'est pas seulement celle d'institutions où l'on s'occupe des malades ou des mourants, mais avant tout celle de milieux où la douleur, la souffrance et la mort sont reconnues et interprétées dans leur sens proprement humain et spécifiquement chrétien. D'une façon spéciale, cette identité doit apparaître clairement et efficacement dans les instituts dépendant de religieux ou liés en quelque autre manière à l'Église.» (Evangelium Vitae n°88, chapitre 4, C'est à moi que vous l'avez fait. Pour une nouvelle culture de la vie humaine).

Enfin, une déclaration de la Conférence des Evêques de France, en 1991, précisait que le soulagement de la douleur permettait le rétablissement d’une communication avec

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autrui; ces soins de traitement de la douleur et l’accompagnement qu’ils supposent sont une forme inestimable de la solidarité. Enfin, cela contribue à réintroduire dans la société une familiarité avec la mort, ce qui est difficile aujourd’hui.

«Le soulagement de la douleur… Nous entendons dire que l’Église catholique soulèverait des objections vis-à-vis du soulagement de (telles) douleurs. Nous nous élevons contre cette affirmation . si elles ne sont pas soulagées ces douleurs. écrasent la personne qui les subit, l'enferment en elle-même, rompent sa communication avec autrui et détruisent en elle tout dynamisme psychique et spirituel .elles entravent l'élan de l'âme et minent les forces morales. Le soulagement de ces douleurs .permet le rétablissement d'une communication avec autrui. (référence à la position de Pie XII en 1957 déjà citée, et rappel par la Déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi du 5 mai 1980). Ont été des bienfaiteurs de l’humanité les médecins et chercheurs qui, depuis 25 ans, s’évertuent à trouver de nouveaux antalgiques et de nouveaux modes d’administration… Nous apportons notre plus ferme soutien et nos encouragements les plus sincères à tous ceux qui développent actuellement les «palliatifs»… Par leurs compétences et capacités, médicales et humaines, elles ont rendu d’éminents services…

L’accompagnement des grands malades… Chez les croyants, la foi en un Dieu d’amour et l’espérance de la résurrection ne préserve pas de ces souffrances. La Bible elle-même est pleine de la clameur de ces supplications… Nombreux… sont ceux … soignants, psychologues, volontaires… qui ont essayé de se tenir proches de ceux qui souffrent ainsi… Ils ont découvert l’importance d’une présence discrète et attentive, quel que soit le degré de lucidité du malade… Cette forme de communication est désirée par bien des mourants et peut atteindre une grande densité…Ce mouvement revêt une importance indéniable: il représente une forme inestimable de solidarité, il contribue aussi à réintroduire dans la société une certaine familiarité avec la mort.

Un chemin de fraternité Les membres des professions de santé sont en première ligne. Nous nous permettons de les inviter instamment à la poursuite et à l’approfondissement de leur réflexion éthique… Notre société a eu tendance à occulter la mort, et à marginaliser les vieillards, les grands malades et les mourants. Mettre fin à cette exclusion exige que chacun, se situant dans la vérité de sa condition d’être humain, fasse une place dans sa vie à la perspective de sa propre mort… La présence attentive auprès de celui qui s’en va est souvent … une expérience éprouvante. Ceux qui ont su dépasser leurs peurs et se rendre ainsi disponibles reconnaissent cependant qu’ils ont reçu plus qu’ils n’ont donné. Cette présence est une des formes les plus hautes de la fraternité humaine.» Déclaration de la Conférence des évêques de France du 23 septembre 1991.

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Intervention du Dr Jean-Paul Kornobis : le Médecin Généraliste face à la douleur et à la mort. Suite à l’intervention remarquable d’Olivier Abel, je retiendrai, en tant que médecin généraliste, d’une part la question de la solitude et de l’angoisse face au mal, et de l’autre, son concept de «modeste». Double solitude ou solitude en miroir, que sont celles du médecin et de son malade. Si la douleur peut être placée dans la catégorie de l’universel, elle est en même temps du côté du particulier. Du côté du malade, le mal, lorsqu’il se vit dans une grande solitude, devient vite insupportable. Du côté du médecin, l’impuissance ressentie face à la douleur extrême n’en est pas moins insupportable et le conduit parfois jusqu’ au burn out qui est l'expression d'une douleur existentielle bien réelle. Lorsque l’on dit à quelqu’un qui souffre qu’on est «désolé», on exprime en fait quelque chose de cette solitude que le médecin généraliste connait bien. «désolé», «désolation», ne sont-ils pas ici les mots qui disent quelque chose de ce désert angoissant qui limite la connaissance et le savoir? Soulignons au passage le mérite de ces explorateurs qui ont pu faire reculer les frontières de ce désert tel, par exemple, James Young Simpson, professeur écossais d’obstétrique qui, en 1848, avait osé utiliser pour la première fois du chloroforme pour terminer un accouchement difficile. Il avait dû néanmoins se justifier auprès de ses confrères qui restaient fidèles au verset de la Genèse justifiant les douleurs de l’enfantement en citant cet autre passage de la Genèse où Dieu, pour prélever à Adam la côte qui lui donnerait une compagne, «fait tomber sur lui le sommeil» faisant ainsi de Dieu le premier anesthésiste. C’est donc au prix d’un sophisme que ce médecin avait pu rompre la solitude coupable dans lequel il se trouvait face à son acte de lutte contre la douleur. Heureusement, comme l’a rappelé Monseigneur Ulrich, Archevêque de Lille, l’Église a changé ses positions vis-à-vis du traitement de la douleur et de la mort. Le recours au sophisme n’est donc plus utile au médecin pour justifier sa lutte contre le mal. Pourtant, paradoxalement, devant l’allongement de la durée de la vie et les progrès de la médecine, la position du médecin n’en est pas plus devenue confortable. Dans le passé, si l’on se penche sur l’histoire de la douleur, l’empathie était accessoire, et ce n’est que récemment qu’elle est devenue obligatoire et constitue avec la culpabilité le ciment du lien social moderne. Le malade n’est plus un sujet «» et passif soumis au bon vouloir médical; devenu usager de la santé, représenté par des associations de patients, il n’hésite plus à mettre son médecin sous le regard, pourtant réputé aveugle, d’une justice prête à le punir s’il n’a pas vu suffisamment à temps le drame qu’il s’agissait de prévenir. Cette «faible» dont parle Olivier Abel est donc instrumentalisée et devient paradoxalement le lieu d’un pouvoir. Les chercheurs ont récemment montré le rôle important des neurones miroirs dans l’empathie, donnant ainsi un support neurobiologique à une notion qui semblait

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n’appartenir qu’à la philosophie morale. Ces études expliquent à leur manière comment, dans une solitude partagée, le patient douloureux et son médecin peuvent partager une même violence. L’empathie est donc un phénomène naturel et même si, comme on l’a dit plus haut, les médecins ont mis du temps pour s’en rendre compte, elle a un effet thérapeutique. Sœur Évangeline, Prieure de la Communauté des Diaconesses de Reuilly, nous a montré comment la seule communauté religieuse, en jouant un rôle de tiers, pouvait soulager les instants douloureux de la vie de chacun de ses membres.

A une époque où l’espérance de vie augmente, la question de la vie et du projet de vie devient essentielle. Devenus par la force des choses compagnons d’infortune, le couple médecin-malade a lui aussi besoin de tiers pour pouvoir mettre une juste distance dans cette relation empathique qui, sans cela, pourrait vite se transformer en un couple infernal « pérsécuté-persécuteur ». Ce tiers peut être savoir médical lui-même qui incite le médecin à se former et à se tenir au courant des recherches menées contre la douleur et la mort, mais aussi, les soins palliatifs qui pourront, pendant un temps plus ou moins long, briser la solitude du sujet qui souffre tout en soulageant le rôle du médecin face à la douleur et à la mort.

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En guise de conclusion

" Il arrive que, sous la mouvance des vagues,

quelque pépite d'or ennoblisse les sables." Sœur Myriam - Prieur des Diaconesses

Chaleur, amitié, fraternité, sourires et attentions… autant de pépites d’or

reçues en quelques heures….

Du sable, des cailloux, de la poussière effectivement, nous en avons fait

l'expérience,

mais l'or des efforts réalisés rayonne désormais…

Le temps des moissons commence…

...Riches des multiples pépites d’or découvertes et remplis d’espérance des

pépites qu’il reste à découvrir... tels des chercheurs d’or, continuons...

MERCI...