Indépendance de la justice: les menaces et les garanties

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Indépendance de la justice: les menaces et les garanties

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AHJUCAF

Lindpendance de la justiceActes du deuxime congrs de lAssociation des Hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage lusage du franais (AHJUCAF)Dakar 7 et 8 novembre 2007

Cour de cassation du Sngal

Dlgation la paix, la dmocratie et aux droits de lHomme

Lindpendance de la justice

Actes du deuxime congrs de lAssociation des Hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage lusage du franais (AHJUCAF)

Dakar 7 et 8 novembre 2007

Manifestation place sous le haut patronage de

son excellence Matre Abdoulaye WADE, prsident de la Rpublique du Sngal

Sommaire

Lindpendance de la justiceManifestation place sous le haut patronage de son excellence Matre Abdoulaye WADE, prsident de la Rpublique du Sngal

Sance douvertureMonsieur Papa Oumar SAKHO, Premier prsident de la Cour de cassation du Sngal, Prsident de lAHJUCAF ...................................13 Message du Reprsentant de lOrganisation internationale de la Francophonie, Madame Patricia HERDT, charge de mission ...............19 Monsieur Cheikh Hadjibou SOUMARE, Premier ministre de la Rpublique du Sngal..............................................................................25

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Rapport introductifMonsieur Guy Carcassonne, Professeur de droit public, Universit de Paris X Nanterre (France)............................................................31 I Lindpendance de la justice est un droit...................................34 II Lindpendance de la justice est un devoir ...............................38

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Sommaire

Les menaces de lindpendancePrsident de sance, Monsieur Papa Oumar SAKHO, Premier prsident de la Cour de cassation du Sngal, Prsident de lAHJUCAF

Sous-thme 1 : Les menaces internesMonsieur Alioune Badara FALL, Professeur de droit public luniversit Montesquieu Bordeaux IV (France).....................47 I - Les menaces internes portees a lindependance du juge dans lorganisation de la justice ........................................................56 II - Les atteintes internes portes lindpendance du juge dans le fonctionnement de lappareil judiciaire ......................................65 Conclusion ....................................................................................70

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DbatsModrateur : Monsieur Saliou ABOUDOU, premier prsident de la Cour suprme du Bnin, Prsident de lAssociation africaine des hautes juridictions francophones (AAHJF)........................................................79

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Sous-thme 2 : Les menaces externesMadame Nicole DUPLE, Professeure titulaire la facult de droit de luniversit de Laval (Canada).........................................................85 1 - Lindpendance de la justice est-elle assure ? ...........................87 2 - Limpartialit de la justice est-elle menace ? ............................93

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Sommaire

Dbats

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Modrateur : lHonorable Louis LEBEL, juge la Cour suprme du Canada, trsorier de lAHJUCAF ..................................................109

Les protections de lindpendancePrsident de sance Monsieur Driss DAHAK, Premier prsident de la Cour suprme du Maroc, Prsident honoraire fondateur de lAHJUCAF

Sous-thme 1 : Les protections statutaires et matrielles 111Monsieur Gbor SZEPLAKI-NAGY, Conseiller rfrendaire la Cour suprme de Hongrie, directeur de cabinet de la prsidence ..............115 1) La dnition de lindpendance de la justice (question 5) ...........117 2) Les textes qui fondent lindpendance de la justice et quelle est leur valeur (question 6).........................................................................118 3) La slection des juges (question 8) .............................................119 4) La formation (question 9) ..........................................................120 5) La rmunration (question 10)...................................................121 6) Le budget de la justice (question 11) .........................................122 7) La nomination du juge (question 20) .........................................122 8) La carrire du juge (question 21)................................................123

Sommaire

Sous-thme 2 : Les protections personnelles du juge 127Monsieur Sad MOUMMI, Prsident de chambre la Cour suprme du Maroc, membre du cabinet du Premier prsident ............................129 I. Les garanties personnelles dun bon droulement de la carrire du juge.......130 II-Garantir lindpendance personnelle du juge loccasion des accidents dans la carrire...............................................................................134

Dbats

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Modrateurs : Monsieur Sergio ESONO ABESO TOMO, prsident de la Cour suprme de justice de Guine quatoriale et Madame Maria do Ceu SILVA MONTEIRO, prsident de la Cour suprme de Guine-Bissau. ........................................................................139

Lexprience internationale de la Cour commune et de justice et darbitrage de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires 143Monsieur Gaston KENFACK-DOUAJNI, Magistrat, Sous-directeur de la lgislation civile, commerciale, sociale et traditionnelle au Ministre de la Justice du Cameroun................................................................145 I Bilan des activits de la CCJA ..................................................145 II Actions susceptibles de renforcer lefcacit de la CCJA ..........150

Sommaire

Rapport de synthse

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Monsieur Ivan Verougstraete, Prsident de la Cour de cassation de Belgique, Premier vice-prsident de la Cour de Justice Benelux...........159 Introduction ..................................................................................159 A. Elments structurels .................................................................162 B. La personnalit du juge: son recrutement, sa carrire, son statut ...168 C. Le magistrat dans la vie quotidienne .........................................178 D. L'indpendance du magistrat dans la procdure.........................182 E. Le magistrat, acteur sous surveillance ........................................186 Conclusion ....................................................................................194

Motion nale Allocutions de clture

197 201

Monsieur Hugo SADA, Dlgu la paix, la dmocratie et aux droits de lHomme lOrganisation Internationale de la Francophonie ....203 Monsieur Papa Oumar SAKHO, Premier prsident de la Cour de cassation du Sngal, Prsident de lAHJUCAF ..........................207

AnnexesAnnexe 1 : Liste des participants....................................................213 Annexe 2 : Questionnaires sur lindpendance de la justice ...........219 Annexe 3 : Elments de bibliographie............................................225

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Sance douverture

Allocutions douverture

Monsieur Papa Oumar SAKHO Premier prsident de la Cour de cassation du Sngal, Prsident de lAHJUCAF Monsieur le Premier Ministre, Reprsentant Monsieur le Prsident de la Rpublique, Madame le Prsident du Conseil constitutionnel, Monsieur le Ministre de la Justice du Royaume dArabie saoudite, Monsieur le Ministre dEtat, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement, Monsieur le Prsident du Conseil dEtat, Monsieur le Mdiateur de la Rpublique, Honorables snateurs, dputs et conseillers de la Rpublique Mesdames et Messieurs les Premiers Prsidents et Prsidents des Hautes Juridictions membres de lAHJUCAF, Monsieur le Prsident de la Cour commune de Justice et dArbitrage de lOHADA, Monsieur le Dlgu la paix, la dmocratie et aux droits de lHomme reprsentant du Secrtaire gnral de lOrganisation internationale de la Francophonie (O.I.F.), Excellences Mesdames et Messieurs les Reprsentants du corps diplomatique et les organisations internationales et rgionales, Distingus membres de la famille judiciaire, Honorables invits, Mesdames et Messieurs. Mon premier mot est pour vous souhaiter la bienvenue, Monsieur le Premier Ministre, et vous remercier davoir accept dtre parmi nous, pour reprsenter Monsieur le Prsident de la Rpublique, empch. Monsieur le Premier Ministre, la rencontre daujourdhui nous offre lagrable occasion de vous fliciter, de vive voix, davoir t appel, pour vos exceptionnelles qualits professionnelles et humaines et pour la conance que le Chef de lEtat place en vous, diriger le gouvernement de la Rpublique du Sngal. Nos vux les plus chaleureux vous accompagnent. Si le Prsident de la Rpublique a voulu que ce soit vous-mme qui veniez, sa place, prsider la crmonie douverture du deuxime congrs de lassociation des hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage lusage du franais (AHJUCAF), cest la fois pour montrer, une fois de plus, tout le respect quil voue la justice et pour faire honneur notre Association.

Allocutions douverture Je voudrais donc exprimer la profonde gratitude de lAHJUCAF Monsieur le Prsident de la Rpublique, Son Excellence Matre Abdoulaye WADE, lui-mme, minent spcialiste du droit, attentif, sans nul doute, aux thmes de notre rencontre. Monsieur le Premier Ministre, Mesdames, Messieurs, Permettez-moi de saluer la prsence cette sance, dun illustre hte, Docteur Abdallah Bin Mohamed Bin Ibrahim AL al-CHEIKH, Ministre de la Justice du Royaume dArabie saoudite. Excellence, votre prsence nos cts aujourdhui, aprs votre brillante participation au congrs de Marrakech, est le tmoignage loquent de lintrt tout particulier que vous portez lAHJUCAF. Au nom de mes collgues et mon nom propre, je voudrais vous exprimer nos sentiments de profonde reconnaissance. Jadresse galement ces mots de remerciements tous les invits qui ont bien voulu honorer de leur prsence la crmonie de ce matin. Soyez tous assurs que mes collgues et moi-mme sommes extrmement sensibles cette manifestation dintrt. Chers congressistes, jai aujourdhui lagrable tche de vous souhaiter une trs cordiale bienvenue. Disant ces mots, je ne veux pas seulement sacrier ce quimpose le rituel des sances inaugurales de symposium, ni donner un indice de linpuisable hospitalit sngalaise. Ils expriment toute ma joie de nous voir runis, dans lamiti et lestime rciproques, pour dbattre et changer nos expriences. Monsieur le Premier Ministre, Excellences, Mesdames et Messieurs, le Sngal est particulirement sensible au choix fait par lAHJUCAF de tenir Dakar son second congrs qui se propose, entre autres proccupations, de rchir sur le thme fondamental de lindpendance de la justice. Lactualit de ce sujet en fait un indicateur synthtique. En effet, quoi de plus normal, en ce moment, o la qualit de la justice envahit les dbats, de sinterroger sur la fonction que remplit lindpendance de la justice, au prot de laccomplissement de celle de juger, au bnce de lintrt gnral. Notre pays ne peut donc qutre er davoir t choisi comme lieu de ces changes, notamment si lon prend en compte la qualit de ceux qui sont aujourdhui runis pour en tre les protagonistes : des magistrats de hautes juridictions de cassation, des matres de luniversit, des tnors du barreau. La prsence massive dexperts aussi distingus offre une garantie tous ceux qui attendent de nos discussions des perspectives oprationnelles.

M. Papa Oumar SAKHO Institue pour assurer lautonomie du pouvoir judiciaire par rapport tout autre pouvoir, les pouvoirs politiques (lexcutif et le lgislatif) comme les pouvoirs de fait (les mdia, les parties au procs et leurs arsenaux de moyens de pression), lindpendance de la justice est la fois la condition ncessaire de la promotion de lEtat de Droit et le moyen de sa sauvegarde. A elle seule, cependant, cette approche nest pas sufsante pour expliquer la rcente volution constate dans la lgitimation de la valeur de justice toujours perue comme une valeur sociale mais aussi, ce qui est nouveau, comme un savoir travers la jurisprudence cratrice de droit. Dans cette vision, lindpendance de la justice remplit une fonction sociale dualle. Dun cot, le public mesure son aune le degr de professionnalisme et defcacit de ceux qui exercent le pouvoir judiciaire. Dun autre ct, lindpendance de la justice est un principe rgulateur de lordre social librement consenti par les citoyens. En ce sens, elle est rductible leur conance dans la justice, en tant que fondement de lautorit des dcisions de celle-ci. La prsence du lgitime dans le lgal est ce qui empche les citoyens de recourir la position de Pascal selon laquelle la vraie justice se moque de la justice , en leur dsignant le lieu o nous tentons de rendre cette vraie justice. Lentrecroisement des regards montre que la dignit du magistrat se lit notamment dans la reconnaissance sociale de son aptitude satisfaire les exigences de sa fonction. Lindpendance de la justice, sous les rapports institutionnel et culturel, structure dans la cit lordre lgitime au moyen dune rgulation rciproque : lindpendance institutionnelle prsuppose le fonctionnement de la socit politique sur le modle de la justice, fonctionnement que traduit, dans les faits, le triomphe de lEtat de droit sur lEtat de police ou lEtat administratif. Cest lenjeu dcisif de larticulation des phnomnes institutionnel et culturel qui a amen Monsieur Pierre Arpaillange, alors Procureur Gnral prs la Cour de cassation franaise, la conviction que : la justice ne rgne pas seulement par ses dcisions ; elle domine surtout par la conance quelle inspire . Fort des principes que voil, personne ne conteste aujourdhui lexistence dune situation de crise psychosociologique et morale, illustre par la multiplication des critiques adresses toutes nos juridictions et qui npargnent mme pas celles dont les fonctions sinscrivent, au niveau le plus lev, dans des missions de rgulation et de pacication sociales Ce qui est surtout frappant, cest que, dans lvolution actuelle du rapport des citoyens la justice, se prole insidieusement la dstructuration de lordre social. Elle est porte par la dynamique de changement, la mutation acclre des repres culturels, les changes multidimensionnels des groupes dappartenance et ce que Rgis Debray appelle

Allocutions douverture la mdiocratie (quand il dit que ce nest plus lEtat qui fait la tlvision mais la tlvision qui fait lEtat ), toutes choses issues de la mondialisation. Ces phnomnes globaux, se conjuguant lintrieur de chaque Etat avec le dlitement progressif et spectaculaire de la conance des citoyens dans la justice, oprent sous leffet de la cristallisation dune opinion ngative du public, levain dune mauvaise image du pouvoir judiciaire. A lvidence, voil des questions cruciales, qui obligent une adaptation incessante et une prise en compte des plus urgentes, dans les dmarches qualit entreprendre selon laxe rpondant la qualit institutionnelle de la justice. Car, face ces ralits, vcues comme insupportables, il convient de ragir. Ce nest pas, notre avis, xer une ambition trop leve lAHJUCAF que de vouloir en faire linstrument de cette raction. Et, vous aurez certainement relev, chers invits, que le thme retenu, titre principal, pour tre dbattu lors du congrs, fait bien rfrence aux proccupations relles de lensemble des membres de notre association. Lide fondamentale autour de laquelle sorganise la rexion est quune coopration harmonieuse doit tre pense sur la base de la juste rpartition du pouvoir politique entre lexcutif, le lgislatif et le judiciaire comme un principe fonctionnel dorganisation de la socit, une rgle de gouvernement pose pour leur permettre, chacun en ce qui le concerne dans son domaine rserv exclusif dautres autorits, dexprimer la souverainet nationale. En ce sens, la mise en uvre du principe de la sparation des pouvoirs implique la fonction constitutionnelle de la justice qui est au principe mme du pouvoir souverain du juge et se traduit par la libert dinterprter le droit, pour le peuple et au nom du peuple. Constitutionnellement protge, cette fonction est le moyen daction des juridictions suprieures, dont la mission est de dire le droit au nom du peuple et, par suite, faire en sorte que le pouvoir arrte le pouvoir , pour le bien de tous. Mais travers lapproche raliste de la relation des pouvoirs, lon saperoit que lexcutif ny rpond, parfois, que confusment. Cela ne veut pas dire que le juge nest pas indpendant. Il se trouve simplement que le renforcement de ces garanties institutionnelles est indispensable ; car, ds lors que le juge est un dcideur, il doit avoir la capacit relle de donner un contenu concret la scurit des citoyens, ainsi que le rappellent les interpellations des associations des droits de lhomme notamment. Inversement, la circonstance de la relation des pouvoirs constitutionnels dtermine le degr dautonomie du pouvoir judiciaire et, en consquence, la porte relle de

M. Papa Oumar SAKHO lindpendance proclame. Garantir par lEtat de droit, cest assurer que, face aux droits et liberts des citoyens dont il est le protecteur naturel, le juge pourra prendre librement ses dcisions, y compris contre lEtat et les pressions do quelles viennent. Lindpendance est galement un thme propre susciter une rexion profonde et enrichissante autour de la lancinante question des exigences ou attentes lgitimes des professionnels du droit, des justiciables, des citoyens et des usagers de la justice. Mesdames et Messieurs, vous comprendrez que je veuille en rester l pour linstant, ne voulant pas anticiper sur des changes dont on peut prsager de la richesse au vu de la belle moisson des documents qui nous sont dj parvenus, et de lambiance de fraternelle sympathie qui va prsider leur droulement. Mais je voudrais vous faire partager dores et dj la conviction que notre congrs comporte, quant au fond, une charge symbolique importante dans la dynamique des changes dides et dexpriences protables entre nos diverses institutions. Il est, pour les membres de lAHJUCAF, loccasion de se pencher sur des objectifs partags. Cest en cela que ce congrs peut faire date. La porte de lvnement est dtermine, en prmisse, par la masse incommensurable defforts consentis par les personnes ressources, que je remercie encore vivement davoir livr temps leurs contributions. Cest dans ce contexte de convivialit que sinscrit le dessein de notre jeune association, tendu explicitement vers la mise en uvre des valeurs qui assurent la promotion des possibilits de coopration dans les rapports de nos institutions assujetties lEtat de droit, et ayant pour nalit de veiller en permanence sa consolidation. Avant de clore mon propos, je tiens dire les remerciements de lAHJUCAF aux Ministres dEtat, le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, le Ministre des Affaires Etrangres, le Ministre de lEconomie et des Finances et, aussi, tous ceux, y compris les Institutions, dont le concours multiforme a aid lorganisation de notre congrs, avec une mention particulire pour lOrganisation internationale de la Francophonie qui nous a apport son appui de manire remarquable. Il ne me reste plus qu vous souhaiter, honorables dlgus et distingus invits, un congrs russi et fructueux en vous demandant de vous associer moi, lore de nos travaux, pour dire la reconnaissance publique de notre association Monsieur Guy Canivet, notre secrtaire gnral. Le dvouement de notre distingu collgue se mesure lafrmation dun membre de lOIF selon laquelle sans Canivet, il ny aurait pas eu dAHJUCAF. Nous serions attrists par son dpart si, entretemps, il navait t appel aux hautes et prestigieuses fonctions de membre du Conseil constitutionnel franais. Au nom de lAHJUCAF, je lui dis nos vux fervents de succs et de russite dans cette nou7

Allocutions douverture velle et noble mission. Jassocie, dans le mme hommage Monsieur Driss Dahak, Premier Prsident de la Cour suprme du Royaume du Maroc, Premier Prsident honoraire de lAHJUCAF. Parce que cest de tels hommes que notre association doit dtre devenue ce quelle est aujourdhui, ils mritent que nous les prenions comme des exemples et des sources dinspiration. A vous tous ici prsents, je veux donner lassurance que durant votre sjour en terre sngalaise, vous pouvez vous considrer comme chez vous, communiant avec un peuple si prompt offrir lhte sa traditionnelle TERANGA. Je vous remercie de votre aimable coute.

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Mme Patricia HERDT Message du Reprsentant de lOrganisation internationale de la Francophonie Madame Patricia HERDT, charge de mission Excellence, Monsieur le Premier Ministre, Excellence, Monsieur le Ministre dEtat, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Excellence, Monsieur le Ministre de la Justice du Royaume dArabie Saoudite, Mesdames et Messieurs les Chefs et Reprsentants des Corps constitus, Monsieur le Prsident de lAssociation des Hautes Juridictions de cassation des pays ayant en partage lusage du franais (AHJUCAF), Premier prsident de la Cour de cassation du Sngal, Monsieur le Secrtaire gnral de lAHJUCAF, Ancien Premier Prsident de la Cour de cassation franaise, Membre du Conseil constitutionnel franais, Mesdames et Messieurs les Premiers Prsidents, Prsidents et Membres des Hautes Juridictions de cassation francophones, Mesdames et Messieurs les Reprsentants du corps diplomatique, Mesdames et Messieurs, distingus invits, En dbutant la lecture de ce message, permettez-moi, tout dabord, de vous prsenter les profonds regrets de Monsieur Hugo SADA, Dlgu la paix, la dmocratie et aux droits de lHomme de lOrganisation internationale de la Francophonie (OIF), de ne pouvoir tre prsent ds la crmonie douverture des travaux du deuxime Congrs de lAssociation des Hautes Juridictions de cassation des pays ayant en partage lusage du franais (AHJUCAF), et de vous coner, au nom de Son Excellence Monsieur Abdou DIOUF, Secrtaire gnral de la Francophonie, lintrt majeur que lOrganisation internationale de la Francophonie (OIF) porte au Congrs qui souvre prsent sur le thme de lindpendance de la justice . Cette attention particulire rserve vos travaux tmoigne de la capacit de lAssociation se saisir des problmatiques les plus utiles et sans doute galement de lexemplarit du partenariat dvelopp entre lOIF et lAHJUCAF. Le deuxime Congrs de lAHJUCAF sinscrit en effet, comme vous le savez, dans un contexte porteur, marqu par la prparation de la quatrime Confrence des Ministres francophones de la Justice qui se tiendra Paris, les 13 et 14 fvrier 2008. Il se prsente aussi, six annes aprs lAssemble constitutive de lAHJUCAF, comme une tape dterminante pour lapprofondissement du partenariat engag avec lOrganisation internationale de la Francophonie en faveur, selon les termes des statuts de lAssociation, de la promotion du rle des Hautes Juridictions dans la consolidation de lEtat de droit, du renforcement de la scurit juridique, de la rgulation des dcisions judiciaires et de lharmonisation du droit au sein des Etats membres.

Allocutions douverture En situant le contexte de la tenue de votre deuxime Congrs, je voudrais voquer la mission politique de lOrganisation internationale de la Francophonie conduite en faveur de la promotion de la paix, de la dmocratie et des droits de lHomme et souligner, sous ce point, lengagement ritr des Etats et gouvernements francophones en faveur de lindpendance de la justice. Dans la Dclaration sur la dmocratie, les droits et les liberts adopte Bamako le 3 novembre 2000, texte normatif et de rfrence de la Francophonie en ces domaines, les Etats et gouvernements francophones se sont saisis de quatre enjeux principaux : la consolidation de lEtat de droit, la tenue dlections libres, ables et transparentes, la gestion dune vie politique apaise, enn la promotion dune culture dmocratique intriorise et le plein respect des droits de lHomme. Cest sous le chapitre ddi la consolidation de lEtat de droit, quils se sont engags renforcer les capacits des institutions de lEtat de droit, classiques ou nouvelles, et uvrer en vue de les faire bncier de toute lindpendance ncessaire lexercice impartial de leur mission , ainsi qu assurer lindpendance de la magistrature, la libert du Barreau et la promotion dune justice efcace et accessible, garante de lEtat de droit . Dans la Dclaration de Saint-Boniface sur la prvention des conits et la scurit humaine, adopte en mai 2006, les Etats et gouvernements ont souscrit au principe de la responsabilit de protger et ont conrm le rle de lOIF dans lalerte prcoce et la diplomatie prventive. Plus rcemment, en septembre 2006, dans la Dclaration quils ont adopte lissue de leur XIme Sommet Bucarest, ils ont rafrm leur volont daccorder des moyens substantiels la lutte contre la corruption et contre limpunit, ainsi qu lindpendance de la justice, en favorisant lintgration rgionale par le droit , soulignant, une nouvelle fois, lintensit du principe dindpendance. Au soutien de ce corpus, aussi bien que des programmes de coopration juridique mis en uvre par lOIF, il sest agi, pour la Francophonie, de concevoir un mcanisme de suivi du respect des engagements consigns dans la Dclaration de Bamako, exercice conduit en liaison troite avec ses partenaires privilgis. Le dispositif dobservation et dvaluation permanentes des pratiques de la dmocratie, des droits et des liberts dans lespace francophone prvu par le chapitre 5 de la Dclaration de Bamako, qui associe, tant des ns de prvention de situations de crise ou de conit, quen vue dun ajustement rgulier des programmes de coopration francophone, de multiples expertises, et en particulier celle des rseaux institutionnels de la Francophonie, constitue le cadre idoine de lanalyse de leffectivit de lindpen20

Mme Patricia HERDT dance des institutions judiciaires mais galement des institutions de mdiation, de rgulation, ou encore de promotion et de protection des droits de lHomme installes dans les pays francophones. Dans la conduite de cet exercice, partag et dconcentr, de veille et dvaluation, la Francophonie sest appuye, notamment, sur la contribution de lAHJUCAF, et le Congrs qui dbute aujourdhui ne manquera pas denrichir, substantiellement, les premires conclusions tablies, mais galement sur les analyses reues de lAssociation des Cours constitutionnelles ayant en partage lusage du franais (ACCPUF) qui a consacr un travail important la situation de lindpendance des juridictions et des juges constitutionnels, de mme que de lAssociation africaine des Hautes Juridictions francophones (AAHJF) laquelle plusieurs des institutions reprsentes aujourdhui Dakar participent, aprs des dbats fructueux conduits ces derniers jours Bissau, linvitation du Tribunal suprme de Justice de Guine Bissau, sur le cot et le rendement du service public de la justice . Cest sur ces fondements, et partant de cette contribution plurielle des acteurs institutionnels et des praticiens de lespace francophone, que la Dlgation la paix, la dmocratie et aux droits de lHomme de lOIF sest attache formuler un certain nombre de prconisations dans son deuxime Rapport sur ltat des pratiques de la dmocratie, des droits et des liberts dans lespace francophone , qui a t transmis au Secrtaire gnral de la Francophonie ainsi quaux Etats et gouvernements membres. Dans ce sens, vous me permettrez de revenir quelques instants sur lclairage port dans ce Rapport sur leffectivit de lindpendance des institutions. Lindpendance des institutions doit en effet se mesurer laune dune approche pragmatique en recourant des indicateurs adapts aux diffrents types dorganes ; la recherche de lindpendance na de sens que mise en perspective avec les missions attribues aux institutions. La garantie de lindpendance de la justice, entendue la fois comme lindpendance des juges et des juridictions, renvoie notamment aux conditions de nomination des magistrats, la composition des Conseils suprieurs de la magistrature, au statut des magistrats et aux rgles affrentes leur dontologie, mais encore aux moyens dont sont effectivement dots les juridictions, aux modalits de saisine et aux conditions daccs qui, si elles sont trop restrictives, conduisent la paralysie des institutions. Lindpendance de la justice se trouve galement au fondement de la scurit juridique, elle-mme condition du dveloppement conomique. Du rappel de ces dispositions et des modalits de mise en uvre de lobservation et de lvaluation des pratiques, vous comprendrez combien la vitalit de ce mcanisme et la pertinence des tats des lieux raliss comme des recommandations nonces, re2

Allocutions douverture posent sur le concours, vigilant, des rseaux francophones de comptences, et notamment de lAHJUCAF. Soyez assurs que nous ne manquerons pas de restituer, dans le cadre du troisime Rapport de la Dlgation, tabli dans la perspective du prochain Sommet des Chefs dEtat et de gouvernement francophones qui se tiendra au Qubec, en octobre 2008, lessence des rexions mises en lumire tout au long de la prsente Rencontre. De la mme faon, vos dbats ne manqueront pas de nourrir les travaux prparatoires la quatrime Confrence des Ministres francophones de la Justice de fvrier prochain, tant la cohrence de nos programmes venir en faveur des institutions judiciaires mrite, lheure de la prise en considration de nouveaux enjeux, toute notre attention. Car il ne suft pas, en effet, de consacrer une nouvelle fois avec force et dtermination la primaut du principe dindpendance, mais bien, et cela est galement la proccupation de votre Congrs, dengager un travail concret sur les moyens et les instruments les plus utiles lidentication des obstacles lindpendance comme des conditions de la garantie de lindpendance des magistrats, travail appel donner un nouvel lan la coopration judiciaire francophone. Monsieur Hugo SADA, dans lallocution quil prononcera demain la clture de vos travaux, ne manquera pas de vous livrer tant les ds actuels qui se prsentent la coopration judiciaire francophone, que les perspectives les plus novatrices de renforcement de notre partenariat. Excellences, Mesdames et Messieurs, Je ne saurais terminer mon propos sans vous transmettre, au nom du Secrtaire gnral de la Francophonie, Son Excellence Monsieur Abdou DIOUF, tous nos encouragements pour le droulement de votre Congrs et former le vu que les changes qui dbutent aujourdhui nous accompagnent, dans la connaissance toujours plus prcise du fonctionnement des Hautes Juridictions de cassation francophones et contribuent, ainsi, la ralisation de nos objectifs partags en faveur dune solidarit accrue entre les membres de notre communaut comme de la consolidation de lEtat de droit dans lespace francophone. Permettez moi enn de saluer la disponibilit comme lengagement constants que la prsidence, de mme que le secrtariat gnral de lAHJUCAF, nont cess de manifester lendroit du projet francophone et de son approfondissement, et dexprimer mes22

Mme Patricia HERDT plus vifs et sincres remerciements aux Hautes Autorits du Sngal pour laccueil chaleureux rserv notre Organisation. Je souhaite le plus grand succs vos travaux et vous remercie de votre attention.

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M. Cheikh Hadjibou SOUMARE Monsieur Cheikh Hadjibou SOUMARE, Premier ministre de la Rpublique du Sngal Madame le Prsident du Conseil constitutionnel, Monsieur le Ministre de la Justice du Royaume dArabie Saoudite, Monsieur le Ministre dEtat, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Mesdames et Messieurs les Membres du Gouvernement, Monsieur le Prsident du Conseil dEtat, Monsieur le Mdiateur de la Rpublique, Honorables snateurs et dputs, Monsieur le Prsident de la Cour de cassation, Mesdames et Messieurs les Premiers Prsidents et Prsidents des Hautes juridictions membres de lAHUCAF, Monsieur le Prsident de la Cour commune de justice et darbitrage de lOHADA, Madame la Reprsentante du Secrtaire Gnral de lOrganisation Internationale de la Francophonie (OIF), Mesdames et Messieurs les Membres du Corps diplomatique et Reprsentants des Organisations internationales, Distingus membres de la famille judiciaire, Honorables invits, Mesdames et Messieurs, Je voudrais tout dabord, vous transmettre les salutations de Son Excellence Matre Abdoulaye WADE, Prsident de la Rpublique du Sngal, qui aurait bien voulu tre avec vous ce matin. Cest pour moi un agrable devoir de madresser vous ce matin, son nom, pour vous souhaiter, la suite du Prsident de lAssociation des Hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage lusage du franais (AHJUCAF), la bienvenue au Sngal. Je voudrais aussi vous dire toute notre ert de recevoir daussi minentes personnalits du monde judiciaire francophone, venues de tous les continents pour, ensemble, rchir sur un thme qui nous tient particulirement cur : lindpendance de la justice Dans les pays membres de votre Association, en gnral, lindpendance de la justice est proclame et garantie par des textes : cest le cas du Sngal o la Constitution consacre la sparation des pouvoirs excutif, lgislatif et judiciaire et prescrit, entre autres dispositions, que les juges ne sont soumis qu lautorit de la loi dans lexercice de leurs fonctions.2

Allocutions douverture Cependant, la problmatique de lindpendance de la justice, celle du juge, rgle en principe par la constitution et les lois, se heurte souvent aux ralits de la vie quotidienne particulirement dans nos socits africaines o les pressions dordre familial, ethnique ou religieux sont souvent omniprsentes, ct des pressions dordre conomique voire nancier que tous les pays du monde peuvent connatre. En effet, le juge tant un citoyen part entire, rien de ce qui concerne la vie en socit ne devrait le laisser indiffrent, mais la conception universelle de la justice, dont lindpendance constitue lun des fondements majeures dans lEtat de droit, suppose naturellement la libert du juge vis--vis de soi-mme, de ses proches et vis--vis du pouvoir sous toutes ses formes, bien que, comme tout tre humain, il est issu dun milieu social dtermin dont il est une manation. Faut-il alors donner raison ceux qui estiment que lindpendance ne sacquiert pas mais se conquiert ? En tout cas, comme le disait feu le Prsident Kba MBAYE, on ne peut forcer un homme tre libre, on ne peut que lui donner les moyens de sa libert, lindpendance nexiste que par exercice et volont. Pour ce qui nous concerne, au Sngal, lEtat est conscient de sa responsabilit dans la consolidation permanente de lindpendance de la justice et accepte que ses actes soient contrls par les juridictions comptentes. Il respecte aussi et veille lexcution de leurs dcisions. Le Prsident de la Rpublique, loccasion dune audience de rentre solennelle des cours et tribunaux, en janvier 2001, son premier discours en pareille circonstance aprs son investiture la magistrature suprme, a proclam quen contrlant les actes de lEtat, le juge a le devoir de sauver lindividu sans sacrier lEtat, et assurer la vie collective sans briser le citoyen. Il est le gardien des liberts mais aussi le protecteur de lordre public. Il accomplit sa mission en engageant sa responsabilit, nayant de rfrence que sa propre conscience. Le juge est donc, en dernire analyse, le garant de la conance de lindividu envers la socit, un rempart contre la colre irresponsable ou la vengeance personnelle, le garant de la stabilit et de la paix sociales, et surtout le garant de la dmocratie, non seulement par sa participation la surveillance des oprations lectorales dont il assure la sincrit mais aussi parce quil contribue au respect de la loi, qui nest elle-mme que le reet de la volont du peuple souverain.

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M. Cheikh Hadjibou SOUMARE Par suite, les textes sur lindpendance de la justice tant clairs, le Prsident de la Rpublique nous instruit rgulirement de veiller ce quon pourrait qualier de mesures daccompagnement indispensables la consolidation et la prennit de cette indpendance : il sagit de lamlioration constante des conditions de vie et de travail des magistrats par un important programme en plusieurs volets : - revalorisation rgulire de lindemnit spciale pour tenir compte des sujtions particulires la profession, - constructions de nouveaux palais de justice modernes et fonctionnels, - informatisation des juridictions, - renforcement, en particulier au niveau des hautes cours, de la documentation juridique et judiciaire, - facilitation de laccs au logement pour les magistrats et le personnel judiciaire, etc. Mesdames et Messieurs, Nous sommes convaincus que dans un Etat de droit, la justice, rendue par des femmes et des hommes dont lindpendance et limpartialit constituent les garanties indispensables au droit fondamental un procs quitable, doit de plus en plus, tre considre comme une prestation que lEtat a le devoir doffrir aux citoyens, au mme titre que la sant et lducation. Pour terminer, je ritre mes remerciements toutes les hautes personnalits qui ont bien voulu faire le dplacement et lOrganisation Internationale de la Francophonie, reprsente par son Dlgu la Paix, la dmocratie et aux droits de lHomme. En vous souhaitant un agrable sjour dans notre pays, je dclare, au nom de Son Excellence Matre Abdoulaye WADE, Prsident de la Rpublique du Sngal, ouvert le deuxime congrs de lAssociation des Hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage lusage du franais. Je vous remercie de votre attention.

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Rapport introductif

M. Guy CARCASSONNE Monsieur Guy Carcassonne Professeur de droit public Universit de Paris X Nanterre (France) En Albanie, selon lopinion publique, les juges ne sont pas indpendants . Au Burkina-Faso, lopinion publique na pas le sentiment que les juges sont indpendants . En France, 54 % des sonds considrent que le fonctionnement de la justice est plutt dpendant du pouvoir politique. En Guine, il faut reconnatre que lopinion publique na pas le sentiment que les juges sont indpendants . En Hati, lopinion publique, par la faute de certains juges vreux, a coll la justice hatienne une pithte de corrompue, cela suppose quelle est partiale, elle ne saurait donc, dans lesprit du public, tre indpendante . Au Mali, si lopinion publique pense que les juges ne sont pas aux ordres du pouvoir, il nen demeure pas moins quils sont sous linuence de largent . En Mauritanie, lopinion publique est plutt convaincue que les juges sont sous linuence des pouvoirs politiques ou des puissances nancires . 38,7 % des sonds en Moldavie ne font pas trop conance leur justice, contre seulement 27,6 % qui nourrissent le sentiment inverse. Au Tchad, lopinion publique a le sentiment que les juges ne sont pas indpendants , tout comme au Togo o elle ne semble pas tre convaincue de lindpendance des juges A cette cruelle question 29, la palme de la franchise et du laconisme revient nos amis du Niger : lopinion publique a-t-elle le sentiment que les juges sont indpendants ? La rponse tombe, simple, nette et brutale : non. Monsieur le Prsident, Mesdames et Messieurs, chers amis, nous avons du travail ! Bien sr, je ne viens de citer que les rponses ngatives, mais elles sont 11 sur 28, auxquelles pourraient sajouter les silences ou les rponses dubitatives ou incertaines, tandis que 8 seulement, moins du tiers, sont pleinement rassurantes.

Rapport introductif Cest dire, en premier lieu, combien les organisateurs de ce congrs ont t bien inspirs de choisir ce thme, que lon sait rebattu et qui, pourtant, demeure toujours actuel, parfois douloureusement. Cest dire, en second lieu, combien ce questionnaire est riche dinformations, denseignements, au point quil mriterait mes yeux quune quipe de chercheurs sen empare an den dpouiller, den analyser la substance. Cest dire, en troisime lieu, linsufsance du droit. Car, enn, pratiquement tous les pays ici reprsents peuvent se atter davoir, dans leurs textes, pous tous les standards universellement requis en la matire et cela na pas suf. Alors, une nouvelle fois, il faut partir la recherche de cette notion ambigu, de cette ralit fuyante. Selon le dictionnaire historique de la langue franaise le premier texte o apparat ladjectif date de 1584, bientt suivi, ds 1610, par le substantif. Ds cette origine, il a partie lie avec la libert, car est indpendant celui qui a le got de la libert, et accde lindpendance tout pouvoir qui jouit de cette libert. Cest la n du XVIIIme sicle qui popularisera le terme loccasion de la guerre dindpendance qui a donn naissance aux USA, et le milieu du XXme sicle lui offrira une jeunesse nouvelle avec la dcolonisation et laccession de nombreux pays leur indpendance. Si lon quitte les rivages de lhistoire pour se diriger vers les dnitions lexicales, celles que propose lirremplaable Trsor de la Langue Franaise (TLF) nous laissent sur notre faim. Appliqu notre objet, lindpendance de la justice, le TLF renvoie Ren Capitant qui, tout imprgn de droit public, la dnit comme la Situation d'un organe ou d'une collectivit qui n'est pas soumis l'autorit d'un autre organe ou d'une autre collectivit . Mais on sait que cest l une conception ncessaire mais insufsante : le juge peut ntre soumis lautorit daucun autre organe ou collectivit, tout en alinant son indpendance des particuliers, de largent, une pression extrieure qui, pour ntre pas organise, nen est pas moins redoutable. Aussi le TLF suggre-t-il une autre dnition, plus large, moins organique et plus psychologique : le fait de jouir d'une entire autonomie l'gard de quelqu'un ou de quelque chose . Mais, de nouveau, lofce du juge ny trouve pas tout fait son compte. Son autonomie, en effet, doit tre vaste mais elle nest pas entire, puisquon la sait borne par les prescriptions de la loi quil lui faut appliquer.

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M. Guy CARCASSONNE Surtout, ces dnitions mconnaissent deux caractristiques, essentielles et singulires, de la notion dindpendance applique la justice : elle ne trouve ni ses bnciaires ni sa nalit en elle-mme. Lindpendance nest pas destine la justice mais aux justiciables, ses consommateurs souvent involontaires 2, auxquels elle se doit dapporter cette garantie. Mais cette garantie, son tour, nest quun moyen mis au service dune autre n, celle de limpartialit, qui prmunit contre tout prjug. Applique la justice, lindpendance rvle ainsi un altruisme que le mme terme ne contient pas lorsquil sapplique aux individus : je suis indpendant, jen suis heureux, jen jouis, mais jai conscience de ce que cette indpendance a dgoste, de ce quelle ne sert ni ne rjouit nul autre que moi-mme. Vous, juges, tes dans une situation diffrente : vous aussi pouvez prendre plaisir votre indpendance, mais elle nest pas faite pour cela, elle nest pas faite pour vous, elle est l quand elle est l pour vous permettre limpartialit qui protera dautres, tous ceux qui feront appel votre justice. La Justice, crivait Portalis, est la premire dette de la souverainet . La proposition appelle son corollaire : lindpendance est la premire dette de la justice. Sil y a une dette, il y a un dbiteur, voire plusieurs. Et cest ici, selon moi, que lon met le doigt sur le nud de la difcult. Le dbiteur dvidence, pour reprendre Portalis, sest naturellement le souverain, celui auquel lEtat donne la personnalit morale. Il lui revient donc, par les instruments appropris et que tout le monde connat, de sacquitter de sa dette en offrant au systme juridictionnel le maximum de garanties de son indpendance, garanties statutaires, garanties matrielles, garanties juridiques qui, toutes, contribuent la mise en uvre de principes gnralement noncs dans la norme suprme quest la Constitution et prsents galement dans de nombreux instruments internationaux. Mais si lEtat est le premier dbiteur de la justice et de son indpendance, il nest pas le seul. Les juridictions et ceux qui les composent sont, leur tour, comptables de cette indpendance dont ils sont rputs avoir les moyens, lesquels, toutefois, resteront vains si les magistrats eux-mmes ny apportent pas le concours de leur volont propre. Cest pour reter tout cela que Jean-Marc Varaut est tout fait fond crire que lindpendance est vcue non seulement comme une exigence morale, mais comme un droit et un devoir . Un droit, un devoir, voil les deux notions autour desquelles je me propose de structurer ce rapport introductif, plac sous lclairage densemble de lexigence morale.

Rapport introductif

I Lindpendance de la justice est un droitCe droit ne se discute pas, ne se discute plus. Cest aux constitutions quil appartient de le proclamer. Pratiquement toutes le font de bonne grce, comme en attestent les rponses au questionnaire. Parfois, il est vrai, les constituants peuvent avoir des arrire-penses tant la proclamation du principe laisse de marge aux acteurs dsireux de ne pas la prendre trop au srieux. Cest pourquoi lafrmation, laquelle sa solennit ne suft pas donner leffectivit ncessaire, doit tre relaye par les lois et rglements destins la mettre en uvre. Mais, du mme coup, apparat le besoin dun contrle de constitutionnalit qui puisse veiller la sauvegarde des principes et sanctionner leur violation ventuelle. Le juge constitutionnel se trouve ainsi le premier bouclier de lindpendance de tous les autres juges. Autant dire que si lui-mme nest pas assez vigilant, pas assez strict, cest tout ldice qui sen trouve gravement fragilis. Voil pourquoi, notamment, lensemble du systme judiciaire doit appeler de ses vux une cour constitutionnelle qui, non seulement, donne elle-mme lexemple de lindpendance, de la rigueur et de limpartialit, mais encore protge de ce fait lindpendance, la rigueur et limpartialit des autres. Pour ce faire, le systme doit donc dabord assurer la sparation des pouvoirs (a), ensuite dtailler les garanties indispensables (b).

a) Assurer la sparation des pouvoirsDepuis 259 ans et la publication de Lesprit des lois en 1748, la pense de Montesquieu, elle-mme hritire de celle de Locke, na cess dalimenter les dbats. Le lieu nest pas ici de les retracer mais plutt denvisager leur point darrive actuel, celui autour duquel sest form une sorte de consensus que rsume assez bien, me semble-t-il, les formulations retenues par le Conseil constitutionnel franais selon lequel lindpendance des juridictions est garantie ainsi que le caractre spcique de leurs fonctions sur lesquelles ne peuvent empiter ni le lgislateur ni le gouvernement , moyennant quoi il nappartient ni au lgislateur ni au gouvernement de censurer les dcisions des juridictions, dadresser celles-ci des injonctions ou de se substituer elles dans le jugement des litiges relevant de leurs comptences . Il sagit l, pourrait-on dire, de ltiage de la sparation des pouvoirs, du minimum en-dessous duquel elle serait mconnue. Au-del, les dnominations peuvent varier, lon peut parler de pouvoir judiciaire ici ou dautorit judiciaire l, ou encore sabstenir de

M. Guy CARCASSONNE la qualier ailleurs. De la mme manire, il peut exister une Cour suprme, ou non : mais, en n de compte, seule importe, avant tout, la sparation fonctionnelle qui place le juge et ses missions labri des ingrences extrieures, do quelles puissent venir. Ds lors que ce rsultat est atteint, cette premire exigence, celle de la sparation des pouvoirs, est sauve. Mais pour que ce rsultat soit atteint, deux conditions doivent tre simultanment runies. La premire, la plus vidente, est que le pouvoir politique, que ce soit dans sa composante excutive ou lgislative, ne puisse intervenir autrement que par la xation des normes au respect desquelles le juge aura ensuite la charge de veiller. La deuxime consquence, moins claire, est aussi que le juge lui-mme sabstienne dempiter sur lexercice par dautres du pouvoir qui est le leur. Si je rappelle cette exigence, cest parce que le risque existe toujours, qui sest matrialis en France, quune conception trop extensive de la justice, en particulier pnale, namne le juge franchir la frontire entre lgalit et opportunit, apprcier ce quest ou aurait t, selon lui, la bonne utilisation du pouvoir lgislatif ou du pouvoir rglementaire, mettant ainsi en cause les conditions de leur exercice pourtant lgal, alors que lui-mme serait le premier sindigner, juste titre, si gouvernement ou parlement prtendait substituer leurs dcisions aux siennes. En dautres termes, la sparation des pouvoirs nest pas unilatrale et joue dans tous les sens. Cela dit, ces pouvoirs spars psent videmment les uns sur les autres, mais cest souvent au juge que reviennent les tches les plus ingrates. Cest lui qui doit, sil y a lieu, constater lillgalit dun acte du pouvoir excutif, au risque de violemment mcontenter celui-ci. Cest lui encore qui est somm, le plus souvent, de prsider la naissance des autres. Je songe ici au contentieux lectoral, dont les consquences sont parfois considrables, et qui place le juge dans une situation pnible partout o les mcanismes dmocratiques ne sont pas assez prouvs pour inspirer conance. Sans doute ne mesure-t-on pas toujours assez les consquences que lexistence de ces contentieux fait peser sur lensemble du systme judiciaire. Cest pourquoi, lorsque le problme existe, je crois sage den coner le traitement des institutions trs spcialises, qui doivent bien sr prsenter le maximum de garanties, et ainsi den soulager le systme judiciaire qui, quelque dcision quil prenne, est ensuite suspect de partialit politique, ce qui nest certes pas favorable la conance et au respect quil se doit dinspirer. Toujours est-il, pour en revenir au propos principal, que la sparation des pouvoirs doit, avant tout, dresser autour du judiciaire le mur infranchissable qui le met labri des immixtions des deus autres pouvoirs.

Rapport introductif Mais si, comme on la vu, cest assez ais dans le principe, cela na de sens et deffectivit que ceux quapportent les garanties indispensables.

b) Dtailler les garanties indispensablesQue lindpendance de la justice soit un droit est une chose. Mais autre chose est didentier les titulaires de cette indpendance. Or chacun sait que la justice ne peut tre indpendante si ceux qui la rendent ne le sont pas. En consquence, l o la proclamation puis la mise en uvre du principe de sparation des pouvoirs sufsent, formellement, assurer lindpendance de la justice, saisie collectivement, bien dautres garanties sont requises pour assurer celle des juges, pris individuellement. Lon en vient ici aux traductions les plus classiques du droit lindpendance. Elles sont aujourdhui bien connues et largement partages, ce qui, hlas, ne suft certes pas ce que tous les problmes soient rgls. Inventorier les sujets, cest inventorier les difcults, tant dans le recrutement et la formation, quensuite dans le droulement de la carrire, enn dans les accidents qui peuvent lmailler. Sagissant du recrutement, les bonnes mthodes sont connues mais le plus difcile est dans la gestion des transitions : lorsque lon veut passer dun systme insatisfaisant un systme satisfaisant, comment doit-on faire, et avec qui ? Face un systme judiciaire asservi ou vnal, faut-il commencer par le purger ce qui nest dj pas chose aise pour ensuite seulement apporter des garanties dindpendance des juges nouveaux, ou fautil commencer par les garanties, quitte ce quelles protent en premier lieu ceux qui, dans le pass, ont eu des pratiques dtestables et dont on est en droit de se der ? Comme vous le constatez, ces questions sont tout sauf thoriques ou inactuelles. Plusieurs des pays membres de lAHJUCAF ont eu se les poser dans un pass trs rcent, tandis que dautres, ici ou ailleurs, y sont encore confrontes, et pas toujours sous une forme dulcore. La formation, elle, a notablement progress avec la gnralisation de facults de droit de bon niveau qui offrent aux pays qui en ont fait leffort les cadres dont ils ont besoin. Quant au contenu de cette formation, jaurai loccasion dy revenir.

M. Guy CARCASSONNE Aucun des pays membres de lassociation ne recrute ses juges par voie dlection et tous pratiquent le recrutement sur concours ou, parfois, sur titre. De ce fait, doit sorganiser un droulement de carrire, dont il va de soi quil ne peut tre abandonn la volont du pouvoir politique. Aussi bien divers systmes ont-ils t mis en place qui ont en commun de coner des autorits elles-mmes judiciaires les tches dlicates de la slection puis de lavancement. Le pouvoir politique, pourtant, est loin davoir renonc partout inuer sur ces choix. Il lui arrive dinvoquer son intervention, au mieux indirecte, par la crainte, sinon, dassister des drives corporatistes qui, de fait, ne sont pas toujours absentes. Aussi nestil pas surprenant que la composition des instances suprieures de la magistrature soit un sujet de vives discussions dont je sais que nous le retrouverons dans nos dbats. Mais garantir lindpendance, cest aussi assurer ses titulaires les moyens dexercer leurs fonctions. Cela vise les moyens personnels du juge, auquel son traitement doit permettre de vivre dcemment et dtre mis labri de la tentation. Mais cela vise aussi les moyens de la juridiction elle-mme, laquelle le pouvoir politique ne doit pas pouvoir couper les vivres. Dune manire gnrale, en juger par les rponses au questionnaire, rares sont les pays dans lesquels le budget de la justice atteint ou dpasse 1 % du budget de lEtat et il est craindre quun pourcentage en rfrence au PIB serait plus accablant encore. Cela donne la mesure, assez sombre, de limportance que chaque pays attache une fonction dont, par ailleurs, tous les textes ofciels se complaisent souligner lminence. Sagissant enn des garanties statutaires, au premier rang desquelles linamovibilit des magistrats du sige, elles peinent souvent apporter une rponse convaincante la question lancinante de la responsabilit des juges. Celle-ci a pris, en France, un relief particulier lorsque le Prsident de la Rpublique sest mis en tte de lagiter lui-mme. Je ne suis pas sr que les conditions dans lesquelles il est intervenu aient beaucoup fait pour la clart et la comprhension des enjeux, non plus que pour les progrs dans la voie des solutions, mais le problme reste effectivement pos lorsque, trs rarement heureusement, les agissements dun juge ou dun systme excdent lvidence la marge derreur que toute activit humaine nous contraint admettre. Mais, dune manire gnrale, lon voit bien que les exigences de la sparation des pouvoirs, dune part, le dtail des garanties indispensables, dautre part, peuvent sappuyer sur des instruments connus et efcaces. Lon peut disputer sur les mrites de divers systmes, lon peut revendiquer davantage de moyens, ou mieux adapts, mais les bonnes mthodes pour assurer le droit lindpendance de la justice nont rien de mystrieux. Cest une tout autre histoire lorsque lon passe du droit au devoir.7

Rapport introductif

II Lindpendance de la justice est un devoirIci, moins de repres, moins de recettes prouves, moins de solutions connues quil sagirait seulement de mettre en uvre et de renforcer. Comme toujours, le passage de lobjectif au subjectif complique. Or ce nest plus le juge en tant quinstitution qui est ici en cause, mais bien le juge en tant que femme ou homme, faillible et imparfait comme toute femme et tout homme. La question cesse alors dtre celle des garanties de lindpendance elles sont rputes apportes pour devenir celle de la dmonstration de lindpendance. Vous tous qui tes ici en savez plus que moi, puisque vous le vivez quand je ne fais que lobserver. Par quel miracle pouvez-vous parvenir, pour reprendre la formule de Malraux, transformer le droit en justice ? Pour accomplir ce miracle, il vous faut vous conformer dautres rgles, dautres codes, toujours plus subtils, souvent plus incertains, que ne sont les lois elles-mmes. Ces rgles portent un nom, issu du grec : cela sappelle la dontologie. Mme elle, pourtant, est encore insufsante ou se rvle muette, et il faut alors recourir une notion plus incertaine encore, mais qui porte un nom elle aussi puisquon lappelle lthique. Cest alors de laddition de la dontologie (a) et de lthique (b) que rsultera le respect du devoir dindpendance.

a) DontologieDans les limites, souvent larges, que lui assigne la loi, le juge est libre. Il est libre de qualier, libre dinterprter, nalement libre de statuer. Bien sr, cette libert sexerce sous le contrle ventuel dune juridiction suprieure. Mais il nempche, dune part, quarrive le moment o il nexiste plus de juge suprieur et vous qui tes ici le savez mieux que quiconque et, dautre part, quen tout tat de cause le juge doit faire comme si la dcision quil sapprte rendre devait tre dnitive, dabord parce quelle lest souvent, ensuite parce que, sauf se renier lui-mme, il ne peut sen remettre dautres de corriger ses erreurs. Ainsi faut-il tout laveuglement occasionnel du politique pour croire que le juge nest pas crateur de droit. Il lest constamment, mme dans ceux des systmes qui se piquent le plus de tout rgir par la loi.8

M. Guy CARCASSONNE Les mmes faits peuvent recevoir plusieurs qualications concurrentes, selon lapprciation que le juge choisira de porter sur eux. Le mme texte peut faire lobjet de plusieurs interprtations concurrentes, selon la capacit ou la volont danalyse du juge. Mme en saccordant sur la qualication, puis sur linterprtation, le mme litige pourra dboucher sur plusieurs sentences concurrentes, selon laccent que le juge aura mis sur tel ou tel de ses aspects. Trancher entre cette suite de choix concurrents est un pouvoir dont les titulaires eux-mmes gagnent ce quil soit balis, sauf sen enivrer, au risque de larbitraire, au risque de linjustice. Lon touche alors la limite de lindpendance : elle est acquise, mais aprs ? Le juge, conscient de la libert qui est la sienne, ne risque-t-il pas den tre lui-mme effray puis, pour dissiper sa crainte, dadopter le comportement le plus conformiste, celui qui, ce titre, paratra le moins prilleux, lors mme quil pourrait ntre pas juste ? Cest pour apaiser cette angoisse lgitime quest n de la conance cet instrument prcieux que lon appelle la jurisprudence. Il est en effet pour le moins fruste de ne vouloir voir dans la jurisprudence que les manifestations dautorit des juridictions suprmes. Il y a, bien sr, une part dautorit, mais elle simpose dautant mieux quelle sappuie sur les conclusions auxquelles sont dj parvenus dautres juges, quelle rpond des questions quils ont dj eu loccasion de se poser. En dautres termes, la jurisprudence est une cration collective laquelle de nombreux juges ont particip et cest cela qui explique, bien mieux que la hirarchie juridictionnelle, pourquoi les juges saisis dun problme dj rgl par leurs collgues sont conduits soit adopter une solution identique, soit ne retenir une solution diffrente quen se fondant sur des motifs assez puissants pour les avoir convaincus eux-mmes, et quils estiment de nature convaincre leurs collgues leur suite. Le Doyen Vedel, que je neus jamais la chance davoir pour professeur mais que jai eu le bonheur davoir pour ami, aimait dire de nous que nous tions professeurs de science inexacte. Science inexacte, soit ! Mais science quand mme. Parce quil y a une dimension scientique dans la discipline juridique, linterprtation est frquemment un acte de connaissance. Mais parce que cette science reste inexacte, les cas demeurent nombreux dans lesquels cet acte de connaissance est insufsant, au point que ses lacunes ne peuvent tre combles que par un acte de volont.

Rapport introductif Encore faut-il au juge, pour respecter sa dontologie, avoir puis les ressources de la connaissance, cest--dire lanalyse juridique loyale et rigoureuse, avant de recourir celles de la volont, qui nest ici quun pseudonyme de son propre libre arbitre. Pour procder ainsi, il lui faut couter soigneusement les arguments changs, entendre lintervention des avocats comme un concours et non pas comme une gne, bref se forcer, quoi quil puisse lui en coter de patience, jouer pleinement le jeu du dbat judiciaire. Laccomplissement de son devoir dindpendance est ce prix, faute de quoi la ralit le rvlera dpendant de ses pulsions, de ses prfrences, de ses prjugs, donc faisant le plus mauvais usage de la libert qui est la sienne. Mais, lors mme quil serait un juriste consciencieux, un auditeur attentif des dbats qui se droulent devant lui, lors quil serait lucide aussi sur le danger dabuser ou de msuser de sa libert, toutes les rponses ne lui seraient pas encore apportes, et cest dans lthique quil lui faudra puiser les ultimes ressources qui lui sont ncessaires.

b) EthiqueLa dontologie renvoie des rgles, une discipline, qui clairent sur la bonne manire duser de sa libert. Lthique, elle, pour adopter une formule dAntoine Garapon, prend le relais de la rgle lorsque celle-ci ne peut entrer dans les mandres de la vie 4 . O la libert rend ncessaire lappel la dontologie, cest la responsabilit qui mobilise lthique. Chacun sait que la responsabilit est la contrepartie lgitime et dsirable de la libert. Mais o la libert est un objet que le droit saisit tout compte fait assez bien, la responsabilit, elle, est plus rtive aux dnitions normatives. Dans nos travaux, nous entendrons des communications sur les diverses menaces pesant sur lindpendance, qui ne sont plus aujourdhui celles que lon redoutait hier, qui ne viennent plus toutes du pouvoir politique. Pour certaines dentre elles les rponses sont simples, au moins dans leur nonc sinon dans leur mise en uvre : le magistrat corrompu doit tre puni et chass. Mais pour dautres de ces menaces comment doit-on y rpondre : quelle aune juger le magistrat trop permable lair du temps, la musique des mdias ? Comment mesurer le poids des habitudes culturelles, des environnements familiaux, des inuences vicinales, des attentes prsumes de lopinion publique, toutes choses dont on sait quelles peuvent nuire la srnit, attenter lindpendance, entamer limpartialit. A tous ces risques de drive, et dautres encore, il nest de rempart effectif, quand0

M. Guy CARCASSONNE il existe, que dans la responsabilit du juge. Non pas la responsabilit au sens juridique, celle qui est recherche selon les procdures appropries qui, ici, ne pourraient rien donner, mais bien la responsabilit au sens thique, cest--dire la conscience qua le juge de ce quest son devoir, ce devoir auquel les manquements nentranent pas dautre sanction que celle de la perte mrite du respect de soi-mme. Si lon voulait, toutes forces, faire lconomie de ce recours lthique, il faudrait que la loi prvoie tout, rduise au maximum les marges dapprciation et standardise leur usage rsiduel. Il faudrait donc dsincarner la justice, la systmatiser, lautomatiser, bref, ne plus chercher assurer son indpendance mais plutt rendre cette indpendance inutile. Si jinsiste sur ce point, cest dabord parce que l rside, nalement, la garantie la plus sre du devoir dindpendance, dans le sens de la responsabilit qua le juge et dans lenvie qui est la sienne de le dfendre contre toute mise en cause, intrieure comme extrieure. Mais cette insistance vient aussi dune autre conviction, celle selon laquelle ce sens de la responsabilit sacquiert, senseigne, car il ne nat pas toujours tout seul. Lorsque, dans mon universit, je participe la prparation de nos candidats lEcole nationale de la magistrature, je les trouve souvent bons, bien forms, techniquement affuts mais beaucoup plus excits par leur mission future quintimids par elle. Or celui qui va passer une partie de sa vie juger les autres et que cette perspective nintimide pas suscite ma mance. Jy vois le signe de ce quil na pas pris conscience de la grandeur de la tche, mais aussi de ce quelle a de terrible, quil na pas mesur la libert dont il jouira et la responsabilit quelle appelle, quil ne peroit de lindpendance que le droit sans en mesurer le devoir. Pour tout dire, et cest un juriste qui parle, je ne serais pas loin de penser que, dans les concours de recrutement, la premire preuve devrait porter non sur le droit mais sur la philosophie, et tre liminatoire.

Pour conclure, je me bornerai rappeler que, dans mon pays, il est, propos du systme judiciaire, deux aphorismes que lon entend souvent. Le premier est celui des amateurs qui, souvent dailleurs comme une formule propitiatoire lorsquils ont des ennuis, dclarent : je fais conance la justice de mon pays . Puis il y a laphorisme des professionnels, celui selon lequel un mauvais compromis vaut mieux quun bon procs . Cest assez dire que, mme indpendant, le juge peut rester redoutable. Et cest parce que moi-mme je le redoute et que vous tes tous des juges, que je terminerai en vous demandant au prot des propos que jai tenus le bnce de toute votre indulgence.

Rapport introductif Dpendre , Dictionnaire historique de la langue franaise, Le Robert, 8, tome I.

2 Jean-Marc Varaut, Indpendance , Dictionnaire de la Justice, PUF, 200. Ibid. Ethique du juge , Dictionnaire de la Justice, op. cit.

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Les menaces de lindpendance

Sous-thme 1 : Les menaces internes

Prsident de sance Monsieur Papa Oumar SAKHOPremier prsident de la Cour de cassation du Sngal, Prsident de lAHJUCAF

M. Alioune Badara FALL Monsieur Alioune Badara FALL, Professeur de droit public luniversit Montesquieu Bordeaux IV (France) agrg des facults en droit public, Directeur Adjoint du Centre d'tudes et de recherches sur les droits africains et sur le dveloppement institutionnel des pays en dveloppement (CERDRADI).

Choisir de traiter au dbut de ce 21me sicle dune question qui porte sur lindpendance de la justice, et plus prcisment sur les menaces qui pourraient peser sur elle, pourrait paratre aux yeux de bon nombre dobservateurs comme dpass ou inutile, voire anachronique, tant ce thme a fait lobjet dtudes fort intressantes et compltes. Que lon ne sy trompe pas cependant. Dabord, limportance de ce sujet tient sa problmatique qui fait de lindpendance de la justice un dbat, sinon constant, du moins toujours renouvel ds lors quelle est menace en permanence, directement ou indirectement, par divers phnomnes, structures, institutions, organes gouvernementaux ou tatiques, dont limpact plus ou moins important sur le fonctionnement de la justice dpend de facteurs historiques, culturels, idologiques voire religieux de chaque Etat confront aux mmes questions lies la dmocratie et lEtat de droit. Ensuite - et cest cela qui donne une dimension indite et actuelle cette problmatique de lindpendance de la justice - ce thme est trait et discut dans le cadre dun congrs qui runit presque lensemble des pays francophones. Ceci est loin dtre anodin pour plusieurs raisons. La francophonie a la particularit de rassembler, travers un lment culturel en commun qui est la langue franaise, un ensemble de pays fort htroclite car situs dans des zones gographiques diffrentes et de nature sociale et politique varie ou oppose, certains dentre eux tant industrialiss et trs dmocratiss, dautres moins dvelopps et encore peu respectueux de principes de lEtat de droit et de la dmocratie, malgr leur volont dclare de les rendre effectifs. Or, la francophonie sest toujours proccupe des questions relatives aux Droits de lhomme, au respect des principes dmocratiques et linstauration de lEtat de droit dans les pays qui revendiquent leur appartenance cet espace culturel. Celui-ci devient ainsi un lment fdrateur en ce quil diffuse et encourage la dfense de ces principes dans cet espace, sans distinction dans ces entits tatiques car en dnitive, autant les droits de lhomme doivent tre reconnus tout individu quel que soit sa race ou son origine gographique un homme vaut toujours un homme autant la dmocratie ne peut faire lobjet de variantes dans son effectivit et sa manifestation, selon telle ou telle rgion du monde. Il en est de mme pour lEtat de droit : ses modalits et ses principes7

Sous-thme : Les menaces internes doivent rester universels et demeurent les mmes, quel que soit le pays ou la socit qui sen rclame. Lheureuse initiative de lAHJUCAF dorganiser ce congrs Dakar sur lindpendance de la justice participe de cette construction. En effet, peut-on parler de respect des droits de lhomme, de dmocratie et dEtat de droit sans lexistence dune justice indpendante ? Certes Montesquieu dans sa thorie de la sparation des pouvoirs lui avait donn une fonction pratiquement nulle (en le connant pratiquement dans son rle fondamental qui est celui de dire le droit), mais aujourdhui, nul ne peut ignorer limportance que le juge5 et de faon plus large la justice revt encore plus dans les socits modernes. La justice, quelle soit une autorit ou un pouvoir, est un des attributs essentiels de la souverainet de tout Etat. En tant que telle, elle fait partie des organes les plus importants dun pays, tant par son statut par rapport aux autres pouvoirs que par son rle. Laction de la justice partout est de plus en plus attendue, les populations tant elles-mmes de plus en plus conscientes de la ncessit pour les juges de dire le droit et de dfendre leurs liberts lorsquelles sont menaces, notamment par les autorits politiques ou administratives. Mais lindpendance de la justice, condition sine qua non pour lefcacit dans son action et sa crdibilit aux yeux des citoyens, dpend dune combinaison de plusieurs conditions, c'est--dire de lorganisation et du fonctionnement de la justice, du statut, des attributions et des moyens du juge. Ces divers lments varient selon les pays et ont une inuence galement diffrente en fonction de la place du politique, du social, de lidologie ou de la religion dans le systme tatique considr. La diversit des pays - et par consquent celle des situations - tant lautre particularit de lespace francophone, le problme de lindpendance de la justice apparat relatif parce que dpendant de la manire dont la justice est perue, conue et organise et de lvolution que lappareil judicaire a lui-mme connue depuis son existence dans le pays considr. Ainsi, les pays francophones occidentaux se distinguent-ils nettement sur ce point, des autres pays situs en Afrique, en Asie et dans les pays dEurope de lEst rcemment sortis de lorbite de la domination sovitique. Cette diversit de situations que ne montrent pas les rponses fournies par ces mmes Etats au questionnaire qui leur a t propos6 , justie une prsentation prliminaire des diffrentes catgories de pays qui composent cet espace francophone qui se distinguent par leur cadre gographique et politique dans lequel leur justice est rendue. Dabord, le premier groupe dEtats ayant rpondu ce questionnaire est constitu de pays europens faisant preuve, a priori, dune longue tradition dmocratique7 .8

M. Alioune Badara FALL Loin de penser ou de dire que le juge bncie dune totale indpendance dans ces pays ce serait bien videmment faux -, il est permis davancer lide que la justice y volue et sy exerce dans une atmosphre globalement dmocratique o la sparation des pouvoirs et lindpendance du juge ny sont pas constamment et systmatiquement violes de manire agrante. Depuis quelques annes par exemple, le juge franais procde rgulirement, avec tnacit et courage, la moralisation de la vie publique en mettant en examen plusieurs hommes politiques de tout bord, y compris un prsident de la Rpublique en fonction qui na d son salut qu une dcision du Conseil constitutionnel. Mais mme dans ces pays, lindpendance du juge nest jamais compltement acquise et fait lobjet dune conqute permanente. La deuxime catgorie dEtats francophones ayant rpondu au questionnaire est constitu de pays dAfrique du Nord et du Sud du Sahara, dont le systme institutionnel et politique est pour une large part, une reproduction du modle franais. Ds leur accession lindpendance, ils ont logiquement institu un appareil judiciaire ct des organes lgislatif et excutif. Le principe de la sparation des pouvoirs que les Constitutions africaines, dans leur quasi-totalit, ont galement consacr devrait permettre au juge de bncier thoriquement dune indispensable indpendance vis--vis des autres organes constitutionnels pour faire respecter la loi, les droits et liberts individuels. Cela concerne galement les juridictions car lorsquun tribunal o sigent les magistrats nest pas indpendant vis--vis de lexcutif et dautres organes, les juges eux-mmes qui le composent ne peuvent prtendre tre indpendants. Les premires dcennies aprs laccession de ces pays la souverainet internationale ont toutefois rvl que le juge africain, loin dtre indpendant, tait sous la domination dun excutif fort, marqu par un chef de lEtat omnipotent et dun corps lgislatif dont les actes ne faisaient lobjet pratiquement daucun contrle. Aujourdhui limportance que revtent le juge et la justice en Afrique semble renforce dans lesprit des Africains depuis lamorce dun vaste mouvement de dmocratisation dans la grande majorit des pays dAfrique subsaharienne. Une bonne administration de la justice est apparue indispensable linstauration de la dmocratie et lenracinement de lEtat de droit dans ces Etats longtemps marqus par la domination dun parti politique, voire dun homme, au mpris des institutions o sont pourtant inscrits les principes de gouvernement les plus dmocratiques et les plus respectueux des droits de lhomme. Le processus de dmocratisation entam au dbut des annes 1990 laissait croire que cette indpendance de la justice, si longtemps ignore ou bafoue, allait enn devenir ralit, mme si une telle conqute devait se raliser progressivement. Les plus hautes autorits de ces Etats africains nont cess depuis lamorce de cette dmocratisation politique sur le continent, de rappeler et dinsister sur la ncessit dun appareil judiciaire indpendant et impartial. Ces attributs permettraient au juge, pice centrale de

Sous-thme : Les menaces internes cet appareil judiciaire, dtre la fois le protecteur naturel des liberts individuelles contre les atteintes manant notamment des pouvoirs publics, et de manire plus gnrale, un des acteurs de ce processus de dmocratisation par une correcte application du droit, en dehors de toute pression ou autre contrainte extrieure. Cette importance du juge est galement renforce par lexistence dinstruments juridiques internationaux, dont ceux labors par lOrganisation Internationale de la Francophonie qui a adopt plusieurs dclarations dans lesquelles, les gouvernants ont afrm leur attachement aux principes dmocratiques, lEtat de droit et au respect des droits et liberts des individus. Ces dclarations se situent dans la perspective dnie par la Charte de la francophonie adopte en 1996 et rvise en 1997 au sommet de Hano, ainsi que dans les autres chartes ou dclarations intervenues depuis le troisime sommet de la Francophonie de Dakar en 1989. Ces dclarations constituent, nen pas douter, des instruments juridiques dont la Francophonie a voulu se doter pour inciter les Etats atteindre les objectifs quils se sont xs en matire de dmocratie et dinstauration de lEtat de droit. Il sagit de dclarations et plans daction adopts successivement par la troisime Confrence des ministres francophones de la justice du Caire en 1995, par les ministres et chefs de dlgation des Etats et Gouvernement des pays ayant la langue franaise en commun Bamako en 2000 ( lissue des travaux du Symposium international sur le bilan des pratiques de la dmocratie, des droits et liberts dans lespace francophone) ou encore par les ministres chargs de la Culture Cotonou en 2001. Si la Dclaration de Bamako innove pour avoir t expressment consacre la notion de dmocratie, celle du 7 fvrier 2003 dAbuja viendra sarticuler plus particulirement autour de la primaut du droit, de la sparation des pouvoirs et de lindpendance du pouvoir judiciaire. Fort de toutes ces dispositions constitutionnelles ou lgislatives, des rgles dictes par les instances internationales et des nombreux discours dhommes politiques allant dans le sens dun renforcement de linstitution judicaire pour une dmocratie effective en Afrique, on est en droit de sattendre ce que les populations africaines, longtemps prives de moyens de protestation ou de contestation face un pouvoir politique connu pour son omnipotence chronique, puissent enn assister au renouveau du juge. Lindpendance du juge en Afrique nest pas un vain mot. Elle se situe aujourdhui et plus quavant, au carrefour des vifs dbats touchant le processus actuel de dmocratisation dans les pays africains. Elle doit cependant tre apprhende dun triple point de vue : lindpendance de la justice suppose dabord que le juge soit labri de linuence ou de la domination des autres pouvoirs publics de lEtat. Mais il faut admettre ensuite quelle doit tre protge des pressions provenant des partis politiques notamment de lopposition, des syndicats et, de manire gnrale, de la socit civile. Enn, lindpendance de la justice doit tre envisage dans son sens large : les dclarations de prin0

M. Alioune Badara FALL cipe ne sufsent pas ; encore faudrait-il que dautres conditions matrielles, statutaires, nancires etc. soient galement remplies pour que le juge puisse en toute srnit rendre la justice. En matire dorganisation de la justice, les pays africains nen sont pas leurs dbuts - contrairement aux pays de lEst qui dcouvrent aujourdhui les lueurs des systmes judiciaires libraux, aprs avoir t victimes pendants trs longtemps des pesanteurs ou inuences du systme de type sovitique. Les rsultats ne sont pourtant pas la hauteur des esprances : si dans certains pays une amlioration sest effectivement fait sentir8 , le constat fait par la doctrine daujourdhui est que la justice en Afrique est en panne . Parmi les causes de linefcacit de lappareil judiciaire en Afrique, lineffectivit de lindpendance des juges semble tre un des facteurs les plus dterminants. Les raisons de cette ineffectivit sont multiples, mais il est possible den dgager certaines dont des solutions court ou moyen terme devraient tre trouves si lon veut que le processus de dmocratisation qui caractrise les rgimes politiques africains aujourdhui soit galement encadr, accompagn par un appareil judiciaire crdible. Lindpendance de la justice en Afrique restera une utopie si ces ralits demeurent inchanges. La troisime catgorie concerne les pays dEurope de lEst qui ont dcid dadopter le modle libral occidental une fois quils se sont dbarrasss du systme communiste, en vigueur avant la chute du mur de Berlin et limplosion du bloc sovitique. Plusieurs rformes de la justice sont intervenues dans ces pays et ont introduit, dans la plupart des cas, les principes de sparation des pouvoirs et dindpendance de la justice dans les nouvelles institutions politiques. Dans ces pays, lEtat de droit y a prcd la dmocratie pluraliste, laquelle ne sera effective qu lissue dun processus plus ou moins long. Pour cette raison, il a t soutenu que cet Etat de droit, tabli par la Constitution - donc par le haut , - induit naturellement lide de garantie juridictionnelle. Les nouveaux juges ainsi impliqus, notamment les juges constitutionnels, reprsentent dornavant, pour ces Etats comme pour les populations, lespoir que la justice y sera exerce avec indpendance et impartialit, dans le respect du principe de la sparation des pouvoir qui met en place un autre type de relations diffrent de celui de lunit des pouvoirs que connaissaient ces rgimes. Mais il ne faut surtout pas ngliger que cette nouvelle tche du juge dans les pays dEurope de lEst, qualie par certains d historique , sera confronte des traditions et cultures politiques diffrentes et durablement ancres dans les comportements de ces mmes acteurs de lappareil judiciaire. Dans les pays dAsie enn dernire catgorie dEtats o lon retrouve quelques pays francophones le fait constitutionnel est trs rcent et sa tardivet sexplique essentiellement par le maintien de traditions politiques o les rapports entre le droit et le

Sous-thme : Les menaces internes politique ont empch lmergence dune tradition constitutionnelle. Lexemple du VitNam montre notamment combien linuence persistante du modle communiste sovitique est prsente encore aujourdhui dans les institutions du pays La rforme constitutionnelle de 2002 na pas fondamentalement boulevers ldice institutionnel mis en place par la Constitution de 1992. Il faut parler ici de continuit et non de rupture vritable avec le pass : lEtat de droit socialiste y est toujours consacr9 . Le pays sest toutefois engag dans un vaste programme de rformes des institutions judiciaires10 (dans le cadre dune rforme plus large des institutions tatiques) mais pour lheure, elles nont pas encore fourni lappareil judiciaire du pays, tous les principes garantissant une bonne administration de la justice et lindpendance de la magistrature. Il faut cependant noter que si le principe de la sparation des pouvoirs, tranger la conception tatique vietnamienne, nest nulle part inscrit dans les institutions, le principe de lindpendance du juge est largement afrm. Il est dabord contenu dans larticle 130 de la Constitution11 , mais il ne prote quaux juges et assesseurs et non aux membres du parquet. Il est ensuite inscrit larticle 5 de la Loi sur lorganisation judiciaire de 2 avril 2002 qui rappelle la mme disposition constitutionnelle, et enn larticle 2 de lOrdonnance du 14 mai 1994 sur le statut des juges et assesseurs populaires, qui dispose quau cours du jugement, les juges et les assesseurs sont indpendants et nobissent qu la loi . Lafrmation de ce principe dindpendance dans les dispositions vietnamiennes ne suft pas mettre le juge labri de contraintes que lui imposerait ce systme unitaire, hirarchis et centralis, les circonscriptions du pays tant toutes places sous lautorit du pouvoir central. Pour preuve, le Parti communiste du Vit-Nam avait adopt le 2 janvier 2002 une rsolution dnissant les objectifs majeurs des rformes judiciaires parmi lesquels gurait le renforcement de la direction du Parti lgard de la justice . Cette prsentation de lappareil judiciaire dans ces diffrentes catgories dEtats et partir de leur systme institutionnel et politique respectif, montre la diversit des situations et interdit toute gnralisation. Il ressort surtout de tout cela que le problme de lindpendance de la justice est plus proccupant dans les pays ayant encore une faible exprience dmocratique quil ne lest dans les Etats dmocratiques occidentaux comme la Belgique, le Canada, la France ou la Suisse. Aussi, prfrons-nous traiter de cette question de manire raliste et pragmatique, en orientant lessentiel de nos dveloppements sur les problmatiques que soulve lindpendance de la justice dans cette majorit dEtats en cours de dmocratisation politique o les relations entre le juge et les pouvoirs publics notamment, sinscrivent dans un rapport de forces dune nature toute particulire. Cette dmarche ne nous empchera pas, bien videmment, de traiter de quelques questions qui se rapporteraient, le cas chant, aux problmes que soulve lindpendance du juge dans les pays occidentaux.2

M. Alioune Badara FALL Notre travail porte sur les menaces internes lindpendance du juge. Tel que le thme est formul, on devrait se situer lintrieur mme de la juridiction o volue le juge pour identier, exposer et analyser les lments qui seraient susceptibles de menacer son indpendance. Cela est bien sr possible et le sujet est bienvenu car rares sont les travaux qui sont consacrs cet aspect de lindpendance du juge. Mais si lon sen tient de faon stricte, on mconnatrait le caractre complexe de lappareil judiciaire o divers facteurs sont entremls ou inter lis de telle manire quun lment, suppos tre lextrieur de la justice et nayant apparemment aucune incidence sur la marche de celle-ci, savrera dterminant par la suite sur le fonctionnement de lappareil judiciaire, et mme plus encore sur lindpendance du juge. Celle-ci se trouve en effet, au carrefour de plusieurs paramtres, pouvant aller de la simple autorit du chef hirarchique de la juridiction laquelle il appartient aux organes les plus importants de lEtat, en passant par les syndicats ou des acteurs de la socit civile. Cela est dautant plus vrai que lindpendance de la justice, implique par une sparation des pouvoirs (qui ne peut sinterprter comme une rupture totale), ne signie pas un isolement du juge vis-- vis des autres institutions: indpendant doit tre celui-ci, mais il doit continuer exercer sa fonction essentielle qui est celle de juger et qui est lune des trois fonctions de lEtat. Il est reconnu que lindpendance du juge nest pas une n en soi ; elle est plutt un moyen par lequel on parviendrait une bonne justice , c'est--dire une justice impartiale qui assurerait une galit de tous les justiciables devant la loi. Cette notion dindpendance a fait lobjet de nombreuses tentatives de dnitions dont le mrite est de chercher dterminer le sens et la porte, et dont il faut admettre la complexit malgr son apparente simplicit. La place que lon a voulu assigner la justice et lvolution que celle-ci a suivie par la suite dans lorganisation et le fonctionnement de lEtat, ct dautres organes constitus, ne sont pas trangres cette complexit Dans sa plus simple expression, le principe dindpendance signie que le juge est spar de lexcutif comme du lgislatif, en ce sens quil dit le droit et applique la loi, sans en rfrer lun ou lautre de ces deux autres organes constitutionnels, ou aucune autre instance ou lment extrieur linstitution judiciaire, ni subir leur inuence ou leur pression lorsquil rend la justice loccasion des conits quil tranche, ou lorsquil prend des sanctions prvues par la loi pour les dlits et les crimes commis. Cest le sens gnral que lon peut donner au principe de lindpendance de la justice, en sachant quune telle dnition npouse pas lensemble des lments que recouvre ce principe aux contours encore imprcis. Dans certains Etats, lavnement du principe est le rsultat de toute une volution institutionnelle et politique12 , alors quil est transpos dans dautres pays du fait de lhritage colonial13 , ou par un phnomne de mimtisme14 . Ailleurs, cest linuence

Sous-thme : Les menaces internes anglo-saxonne qui a t dterminante15 , moins quil ne sagisse dun apport dexpriences trangres et multiples16 . Cette afrmation du principe dindpendance dcoule de la logique mme de la sparation des pouvoirs que lon retrouve galement dans les Constitutions de nombreux Etats. Sa dfinition nest pourtant pratiquement jamais formule dans les textes constitutionnels, lgislatifs ou rglementaires17 . Cela nest gure surprenant car si le problme de lindpendance du juge se pose dans tous les Etats et tous les systmes judiciaires qui se rclament de la dmocratie, il a cette particularit dtre la lisire de la justice et du politique. Ainsi, son degr deffectivit dpend-t-elle trs troitement de celui de la dmocratisation du systme politique considr et de lexistence ou non dun Etat de droit18 . Lon comprend ds lors que lindpendance de la justice ne puisse ni se poser, ni se raliser dans les mmes termes partout. Mais si les textes nont gnralement pas donn de dnition ce principe dindpendance, les Etats lont pratiquement consacr dans lorganisation de leur justice, en rapport avec les autres organes tatiques. Dans plusieurs de ces pays, le principe est expressment inscrit soit directement dans la Constitution, soit dans la loi organique portant sur le statut de la magistrature, soit dans dautres lois organiques organisant la profession judiciaire comme celle des Cours constitutionnelles. Celles-ci occupent par ailleurs une place importante dans la Constitution de la majorit des pays ayant rpondu au questionnaire, o un chapitre entier leur a t consacr dans lordre constitutionnel19 . Du coup, elles ne sont pas partie intgrante du pouvoir judicaire20, sauf pour certaines dentre elles21. Dans de telles conditions, autant dire que lindpendance du juge, pour avoir un sens, a plus que jamais besoin de garanties organises au sein de linstitution judiciaire qui en assurera la protection, aprs le Chef de lEtat, garant de lindpendance de lautorit judiciaire suivant par exemple le cas franais. Toutefois, le juge et la justice, dans les systmes politiques daujourdhui, ne sont plus perus de la mme faon quauparavant. Un phnomne apparu il y a quelques annes dans les pays occidentaux dmocratiques notamment qui se dveloppe de plus en plus et qui, dans un avenir plus ou moins proche, concernera certainement les pays en voie de dmocratisation vient favoriser de faon extraordinaire, lascension du juge dans la hirarchie des pouvoirs, modiant du coup la perception que lon se faisait de lui et surtout de ses fonctions : la juridisation de la socit. Elle se manifeste par lappropriation par le Droit des domaines nagure accapars par le politique pour ne pas dire par les hommes politiques. Ce mouvement du Politique rattrap par le Droit22 va bouleverser les fron-

M. Alioune Badara FALL tires matrielles et les sphres respectives dintervention classique des membres de lexcutif et de lorgane judiciaire. Ce phnomne est d la transformation de la socit, devenue exigeante en matire de gestion des affaires publiques et sur les questions touchant aux droits de lhomme. Le juge apparait dornavant, et de plus en plus, comme la fois larbitre entre les pouvoirs publics (le juge constitutionnel par exemple) et lautorit de sanction (magistrat ou juge administratif) leur encontre en cas de manquement aux devoirs et aux obligations dans le cadre de leurs activits dintrt gnral, et sous le regard attentif des citoyens constamment informs par les mdias. Le juge ne se limite plus lexcution de loi, ni ne se prsente comme un simple gardien de la libert individuelle ; il semble devenir cette autorit que les mdias mettent la une chaque fois quune affaire le transforme en spcialiste de la mdecine (problme de leuthanasie) dhistoire (affaire Papon), des nances (affaire Elf) ou dagronomie (les Organismes Gntiquement Modis et le procs Bov) etc. Autant de domaines de la vie quotidienne presque compltement trangers au juge dans le pass, mais qui aujourdhui tmoignent de la hardiesse et de la tmrit du magistrat qui nh