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Force ouvrière hebdomadaire N° 3122 - 2 juillet 2014 - 2 eux événements majeurs se sont pro- duits en 2013 dans le monde de l’indus- trie textile mondiali- sée, dont le centre de gravité se trouve aujourd’hui en Asie. Le 24 avril 2013, un bâtiment industriel de la banlieue de la capitale du Bangladesh, Dacca, s’effondrait, causant la mort de 1 135 ouvriers et ouvrières et en blessant 2 000. Le Rana Plaza abritait des ateliers textiles tra- vaillant pour de grandes marques occidentales. Les failles murales qui ont conduit à l’écroulement de l’immeuble avaient été signa- lées à plusieurs reprises par les tra- vailleurs. Les jours suivants furent marqués par des grèves et des manifestations monstres pour dénoncer ce que la foule désignait comme un meurtre, allant jusqu’à exiger l’exécution des propriétai- res de l’immeuble, mais aussi pour revendiquer une augmenta- tion des salaires. Dans ce pays 13 AGIR évènements SAVOIR pratique RESPIRER culture MONTRER enquête INDUSTRIES TEXTILES EN ASIE Il y a un an, l’effondrement du bâtiment Rana Plaza, au Bangladesh, causait la mort de 1 135 ouvriers du textile. Des centaines de milliers de travailleurs mani- festaient, criant au meurtre et exigeant une augmen- tation. Fin décembre, au Cambodge, des centaines de milliers d’ouvriers du secteur descendaient sponta- nément dans les rues pour exiger une augmenta- tion de leur salaire minimum à 160 dollars men- suels... En Chine, où les grèves se multiplient, les salaires «explosent», expliquent les patrons... La course au profit a conduit les multinationales jusqu’en Asie. Et après? Les ravages de la mondialisation D DE L’ALLEMAGNE À LA CHINE PUIS AU BANGLADESH, LA COURSE AU PROFIT N’A PAS DE FIN En 1990, l’Allemagne était le principal exportateur mondial de textiles (12%), suivie de l’Italie. La Belgique, la France et les États-Unis figuraient encore parmi les dix premiers exportateurs mon- diaux, avec Hong Kong, la Chine, Taïwan et la République de Corée. Une génération plus tard, la Chine, qui réalise 38% des exportations mondiales, a supplanté l’Allemagne en tête de peloton et le Bangladesh a pris la deuxième place depuis 2009. Quatre pays –la Chine, le Bangladesh, l’Inde et le Pakistan– contribuent à eux seuls à plus de 50% des exportations mondiales du textile- habillement, dont le commerce mondial a explosé. Il est passé de 358 milliards de dollars par an en 2000 à plus de 700 milliards en 2013. Sur cette période, les exportations chinoises et bangla- daises ont quadruplé, celles de l’Inde ont doublé. Entre 2000 et 2012, le chiffre d’affaires du textile bangladais est passé de 4,8 milliards de dollars à plus de 20 milliards. Que s’est-il passé? La mondialisation de l’industrie textile, à la recherche du coût du travail le plus faible possible, est ancienne. Le secteur a commencé à se développer en Asie dans les années 1960. Mais le proces- sus s’est considérablement accéléré depuis la fin de l’accord multifibres (AMF) en 2005. Cet accord, conclu dans le cadre de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), fixait aux pays des quotas d’exportation à ne pas dépasser pour préserver la production dans les pays industrialisés. Sa suppression a fait l’effet d’un big-bang, fatal à l’industrie du textile européenne et nord-améri- caine, mais aussi à celle de pays comme le Mexique, le Maroc ou la Tunisie. La compétition n’é- tant plus encadrée, la recherche du coût du travail le plus faible n’a plus de limites. En réalité, les seuls vrais vainqueurs sont les multinationales de la distribution. Et maintenant, l’Éthiopie ou... Les États-Unis? La mondialisation du secteur textile-habillement après 2005 s’est traduite par un glissement du pouvoir des producteurs vers les grandes marques de la distribution. Les producteurs ne sont plus que des sous-traitants de ces dernières, des ateliers dont elles ne sont même pas propriétaires. Mais elles s’en moquent. Au contraire, cela leur permet de se dégager de toute responsabilité quant aux conditions de travail et de sécurité. Les maîtres de l’industrie textile sont désormais ceux qui vendent sa production, expliquaient déjà en substance, en 2007, Benoît Boussemart et Alain Roncin de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques). Dans cette partie, la Chine dispose, a priori, des meilleures cartes: un faible coût du travail, une absence de véritable syndicat, un haut niveau de formation, une infrastructure évoluée. Oui, mais voilà... les grèves se multiplient et les salaires augmentent. En 2012, le salaire annuel moyen a bondi de 17,1%, après une hausse de 18,3% en 2011. Le salaire minimum a lui augmenté de 15% de 2011 à 2013, pour atteindre 200 euros. Du coup, les grandes marques ont commencé à chercher de nouveaux fournisseurs, notamment au Bangladesh, où le salaire minimum ne dépasse pas 30 euros. De plus, les entreprises chinoises se tournent vers la demande intérieure et certaines ont même créé leurs marques. Elles ont elles-mêmes commencé à délocaliser leur production, en par- ticulier au Cambodge. Mais de nouveau, la roue tourne... Les récents mouvements sociaux au Bangladesh et au Cambodge font que le suédois H&M, numéro deux mondial de l’habillement der- rière l’espagnol Inditex (Zara), a récemment décidé de transférer une partie de sa production de l’Asie vers l’Éthiopie, où il pourrait faire fabriquer 1 million de pièces par mois. Et pour la première fois, un groupe chinois, Keer, déplace son usine textile de Chine aux États-Unis, qui offriraient aujourd’hui, selon plusieurs études, le coût du travail le plus faible des pays développés. Et pour cause, les salaires n’y ont pas augmenté depuis vingt-cinq ans en dollars constants. En 2006, une entreprise gagnait 17 dollars en moyenne en produisant un objet en Chine plutôt qu’aux États-Unis. Aujourd’hui la différence n’est plus que de 9 dollars, selon une récente étude du réassureur Euler Hermès. Les États-Unis bénéficient aussi de la faiblesse des coûts de l’énergie grâce à l’exploita- tion du gaz de schiste. Suite en page 14 Des ouvrières dans une usine de textile de Phnom Penh au Cambodge. ©Michael NAGLE/REDUX-REA 3122 p13-15 Textile Asie_page 02 30/06/14 18:22 Page1

INDUSTRIES TEXTILES EN ASIE Les ravages de la … · Les États-Unis bénéficient aussi de la faiblesse des coûts de l’énergie ... 14 Force ouvrière ... visible sur Internet

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e u x é v é n e m e n t smajeurs se sont pro-duits en 2013 dansle monde de l’indus-trie textile mondiali-sée, dont le centrede gravité se trouveaujourd’hui en Asie.

Le 24 avril 2013, un bâtimentindustriel de la banlieue de lacapitale du Bangladesh, Dacca,s’effondrait, causant la mort de1135 ouvriers et ouvrières et enblessant 2 000. Le Rana Plazaabritait des ateliers textiles tra-

vaillant pour de grandes marquesoccidentales. Les failles muralesqui ont conduit à l’écroulementde l’immeuble avaient été signa-lées à plusieurs reprises par les tra-vailleurs. Les jours suivants furentmarqués par des grèves et desmanifestations monstres pourdénoncer ce que la foule désignaitcomme un meurtre, allant jusqu’àexiger l’exécution des propriétai-res de l’immeuble, mais aussipour revendiquer une augmenta-tion des salaires. Dans ce pays

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Il y a un an, l’effondrement du bâtiment Rana Plaza,au Bangladesh, causait la mort de 1135 ouvriers dutextile. Des centaines de milliers de travailleurs mani-festaient, criant au meurtre et exigeant une augmen-tation. Fin décembre, au Cambodge, des centaines demilliers d’ouvriers du secteur descendaient sponta-nément dans les rues pour exiger une augmenta-tion de leur salaire minimum à 160 dollars men-suels... En Chine, où les grèves se multiplient, lessalaires «explosent», expliquent les patrons... Lacourse au profit a conduit les multinationalesjusqu’en Asie. Et après?

Les ravages dela mondialisation

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DE L’ALLEMAGNE À LA CHINEPUIS AU BANGLADESH,

LA COURSE AU PROFIT N’A PAS DE FINEn 1990, l’Allemagne était le principal exportateur mondial de textiles (12%), suivie de l’Italie. LaBelgique, la France et les États-Unis figuraient encore parmi les dix premiers exportateurs mon-diaux, avec Hong Kong, la Chine, Taïwan et la République de Corée. Une génération plus tard, laChine, qui réalise 38% des exportations mondiales, a supplanté l’Allemagne en tête de peloton etle Bangladesh a pris la deuxième place depuis 2009. Quatre pays –la Chine, le Bangladesh, l’Indeet le Pakistan– contribuent à eux seuls à plus de 50% des exportations mondiales du textile-habillement, dont le commerce mondial a explosé. Il est passé de 358 milliards de dollars par anen 2000 à plus de 700 milliards en 2013. Sur cette période, les exportations chinoises et bangla-daises ont quadruplé, celles de l’Inde ont doublé. Entre 2000 et 2012, le chiffre d’affaires du textilebangladais est passé de 4,8 milliards de dollars à plus de 20 milliards.

Que s’est-il passé? La mondialisation de l’industrie textile, à la recherche du coût du travail le plus faible possible, estancienne. Le secteur a commencé à se développer en Asie dans les années 1960. Mais le proces-sus s’est considérablement accéléré depuis la fin de l’accord multifibres (AMF) en 2005. Cetaccord, conclu dans le cadre de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), fixait aux pays desquotas d’exportation à ne pas dépasser pour préserver la production dans les pays industrialisés.Sa suppression a fait l’effet d’un big-bang, fatal à l’industrie du textile européenne et nord-améri-caine, mais aussi à celle de pays comme le Mexique, le Maroc ou la Tunisie. La compétition n’é-tant plus encadrée, la recherche du coût du travail le plus faible n’a plus de limites. En réalité, lesseuls vrais vainqueurs sont les multinationales de la distribution.

Et maintenant, l’Éthiopie ou... Les États-Unis?

La mondialisation du secteur textile-habillement après 2005 s’est traduite par un glissement dupouvoir des producteurs vers les grandes marques de la distribution. Les producteurs ne sont plusque des sous-traitants de ces dernières, des ateliers dont elles ne sont même pas propriétaires.Mais elles s’en moquent. Au contraire, cela leur permet de se dégager de toute responsabilitéquant aux conditions de travail et de sécurité. Les maîtres de l’industrie textile sont désormais ceuxqui vendent sa production, expliquaient déjà en substance, en 2007, Benoît Boussemart et AlainRoncin de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques). Dans cette partie, la Chine dispose, a priori, des meilleures cartes: un faible coût du travail, uneabsence de véritable syndicat, un haut niveau de formation, une infrastructure évoluée. Oui, maisvoilà... les grèves se multiplient et les salaires augmentent. En 2012, le salaire annuel moyen abondi de 17,1%, après une hausse de 18,3% en 2011. Le salaire minimum a lui augmenté de 15%de 2011 à 2013, pour atteindre 200 euros. Du coup, les grandes marques ont commencé à chercherde nouveaux fournisseurs, notamment au Bangladesh, où le salaire minimum ne dépasse pas30 euros. De plus, les entreprises chinoises se tournent vers la demande intérieure et certaines ontmême créé leurs marques. Elles ont elles-mêmes commencé à délocaliser leur production, en par-ticulier au Cambodge. Mais de nouveau, la roue tourne... Les récents mouvements sociaux auBangladesh et au Cambodge font que le suédois H&M, numéro deux mondial de l’habillement der-rière l’espagnol Inditex (Zara), a récemment décidé de transférer une partie de sa production del’Asie vers l’Éthiopie, où il pourrait faire fabriquer 1 million de pièces par mois. Et pour la premièrefois, un groupe chinois, Keer, déplace son usine textile de Chine aux États-Unis, qui offriraientaujourd’hui, selon plusieurs études, le coût du travail le plus faible des pays développés. Et pourcause, les salaires n’y ont pas augmenté depuis vingt-cinq ans en dollars constants. En 2006, uneentreprise gagnait 17 dollars en moyenne en produisant un objet en Chine plutôt qu’aux États-Unis.Aujourd’hui la différence n’est plus que de 9 dollars, selon une récente étude du réassureur EulerHermès. Les États-Unis bénéficient aussi de la faiblesse des coûts de l’énergie grâce à l’exploita-tion du gaz de schiste.

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Des ouvrières dans une usine de textile de Phnom Penh au Cambodge.

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musulman, les femmes, qui consti-tuent l’essentiel de la main-d’œu-vre dans le secteur textile, for-maient le gros des bataillons dansles cortèges. Au vu des «troublesau sein de la main-d’œuvre»,pour reprendre l’expression del’organisation patronale locale,l’Association des entreprises texti-les exportatrices du Bangladesh(BGMEA) décidait la fermeturetemporaire de toutes les usines tra-vaillant pour les grandes marquesoccidentales. Quelque 150 d’en-tre elles acceptaient alors designer un accord, sous l’égide del’OIT (Organisation internationaledu travail), avec les organi-sations syndicales internationales–l’IndustriALL Global Union etl’UNI Global Union–, qui prévoitl’inspection de 1500 usines d’ici àseptembre 2014 sur les 5000 quecompte le pays. L’OIT a égalementcréé un fonds d’indemnisationpour les victimes du Rana Plaza.À ce jour, elle a reçu un tiers de lasomme qu’elle attendait (29millions d’euros). H&M, le princi-

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FO Hebdo: Qu’est-ce qui vous a le plusmarqué dans vos échanges avec les ouvrierschinois?Michaël Sztanke: Premièrement, lesmigrants qui arrivent aujourd’hui de lacampagne pour trouver du travail enville, soit 80% de la main-d’œuvre, ontentre 20 et 30 ans et à la différence deleurs parents, ils ne veulent pas repartirà la campagne. Ils veulent être desouvriers citadins, vivre en ville avec dessalaires corrects, pouvoir y élever leursenfants, les éduquer. La deuxième nou-veauté, c’est que ces jeunes ouvriers nesont plus isolés comme l’étaient leursparents. Il n’y a pas aujourd’hui unouvrier chinois sans smartphone et poureux c’est une ouverture sur la vie, la pos-sibilité de s’informer, d’informer, d’êtrereliés les uns aux autres, à travers tout lepays. Il existe l’équivalent de Twitter,qui permet par exemple de lancer lemessage «dans mon usine aujourd’hui,grève», ou «dans mon usine aujourd’hui,accident du travail»... Du coup, les mou-vements sociaux prennent une nouvelleampleur, que le gouvernement ne peutpas contrôler. Troisièmement, cettenouvelle génération sait que c’est grâce àelle que le pays s’est développé. Quandde jeunes ouvriers de 23, 24, 25 ans medisent: «On produit du PIB, pourquoi onn’en voit pas la couleur?», ou bien quandun autre, de 22 ans, me lance face camé-ra: «Ma fille ne comprend pas encore com-bien je travaille pour elle, mais je me bat-trai pour qu’elle ait une vie meilleure quela mienne», cela exprime une maturité

extrême. Tout cela constitue un cocktailexplosif. Il ne se passe pas une journéedans le sud de la Chine sans que n’éclateun conflit, sans une grève ouvrière.

FO Hebdo: Comment réagissent lesemployeurs chinois du secteur textile?Michaël Sztanke: Ils délocalisent à leurtour. Ils cherchent un coût du travailplus faible, des conditions managérialesplus favorables, un gouvernement quiles appuie, avec bien sûr, comme chezeux, une présence syndicale faible, voireinexistante. Le Bangladesh a justementérigé en politique nationale l’ouverturede son économie aux capitaux étrangers.Contrairement à ce qui se passe dansd’autres pays, quand on va dans sesministères et qu’on interroge les respon-sables politiques, il n’y a aucune languede bois. Ils vous disent très clairement:«Bien sûr que les salaires sont bas, c’est lacondition pour que les investisseurs restentchez nous.» C’est tout le cynisme de lamondialisation. Au Cambodge il existedes syndicats et c’est un problème pourles Chinois: quand ils sont confrontés àdes grèves, la police ne débarque pasparce qu’il y a des syndicats.Maintenant, ils commencent à délocali-ser en Birmanie, en Éthiopie... Maispour l’instant, c’est encore leBangladesh le moins cher.

FO Hebdo: Que pensez-vous de laResponsabilité sociale des entreprises?Michaël Sztanke: La RSE, c’est de lacommunication. Si vous allez sur le sitede GAP, vous y trouverez plein de clau-ses sur le respect du droit du travail. AuCambodge, il y a quatre ans, je suistombé par hasard sur l’un de ses sous-traitants sud-coréens. J’ai filmé encaméra cachée. Le patron m’expliquait:«Je n’ai pas le choix. Si GAP ou un autreme passe une grosse commande, je doisrespecter le délai. Et donc, si les ouvrièresdoivent bosser 70 heures par semaine, ellesle font sans problème. Pour 50 dollars parmois (38 euros).» De retour en France,j’ai contacté GAP. Leur seule réponse aété: «Nous ne connaissons pas ce sous-trai-tant.»

*Michaël Sztanke est journaliste et réali-sateur chez BAOZI Prod. Son film estvisible sur Internet et disponible en DVDà la FNAC.

TÉMOIGNAGE DE MICHAËL SZTANKE, RÉALISATEURDU FILM ASIE, LE RÉVEIL OUVRIER*

«LA RESPONSABILITÉ SOCIALEDES ENTREPRISES?

C’EST DE LA COMMUNICATION»

Suite de la page 13

BANGLADESHSUR 5000 ENTREPRISES,160 ONT UN SYNDICAT

Au Bangladesh, 40% des habitants vivaient enco-re sous le seuil de pauvreté en 2013. En 2011, lesouvriers du textile ont commencé à manifestermassivement pour une augmentation de leursalaire minimum à 51 euros par mois au lieu de17, pour des horaires de 80 heures par semaine,voire 18 heures par jour en cas de commandeurgente. En novembre 2010, le salaire minimuma été augmenté à 30 euros mensuels, mais cette loin’a jamais été appliquée. L’industrie du vêtement,

qui représente 80% de ses exportations,

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PAKISTANLES «BUYING AGENTS»

FONT FORTUNE

Au Pakistan, le secteur textile emploieprès de 40% de la main-d’œuvreindustrielle et contribue à 60% desexportations du pays. Le Pakistanétant le quatrième producteur mon-dial de coton, il fabrique aussi des tis-sus exportés en Chine et auBangladesh. Les ouvriers sont embau-chés sans contrat de travail et sontlicenciables à volonté. Les accidents detravail sont nombreux: électrocutionen raison de la mauvaise isolation élec-trique des machines, bras pris dans lesrouages à cause du mauvais aligne-ment de ceux-ci. En dehors d’uneminorité de grandes usines modernes,la filière textile-habillement pakista-naise regorge d’une pléthore d’ateliersde confection, d’intermédiaires et desous-traitants. En outre, les démar-cheurs, les buying agents, ces agentsrompus aux pratiques commerciales àl’étranger, disposant de contacts enEurope et en Amérique du Nord, setaillent une part importante du gâteau.L’écart entre le prix sortie d’usine et leprix au détail en Europe et aux États-

Unis peut aller de 200% à 400%.

CHINEUN SALAIRE MINIMUM À

200 EUROS... TROP CHER!

En Chine, le salaire minimum a augmen-té de 15% de 2011 à 2013. Depuis 2008,une centaine d’entreprises chinoises s’ysont installées, profitant elles aussi de l’ab-sence de taxes sur les exportations versl’Europe. Toutefois, en l’absence de toute

liberté syndicale et de négociation col-

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Grèvechez

Photos: FHebdo -

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pal donneur d’ordre auBangladesh, n’a participé au fondscréé par l’OIT qu’à hauteur de100000 dollars (72 500 euros). Etle «secteur textile est toujoursmarqué par l’absence de salairedécent, ainsi que par l’absence devéritable liberté syndicale», cons-tate la Fédération internationaledes droits de l’homme. Dans lesateliers, la durée du travail peuttoujours atteindre 100 heures parsemaine. Souvent les ouvriers tra-vaillent à même le sol.

GRÈVE GÉNÉRALEAU CAMBODGE

Le deuxième événement a eu lieuau Cambodge, où la liberté syndi-cale est plus importante. Le 24décembre 2013, en quelques heu-res, alors que le gouvernementvenait d’annoncer qu’il n’augmen-terait pas le salaire minimum au-delà de 95 dollars américains,ignorant la demande des tra-vailleurs et de plusieurs organisa-tions syndicales de le porter à 160dollars américains, des centainesde milliers de salariés sortaientdans les rues. Ils commençaientainsi un mouvement de manifes-tations et de grèves sans précédentdans l’histoire du pays, de par soncaractère spontané, qui allaitdéboucher, malgré une répressionsanglante, sur une grève généralele 29 décembre. «Nous avons ététrès surpris car d’habitude nousdevons discuter avec les ouvrierspour les convaincre de se joindreaux grèves. Normalement nousécrivons des courriers au gouver-nement et aux employeurs pourleur notifier notre intention d’ap-

peler à la grève. Mais cette fois,les ouvriers étaient en grève avantmême que nous ayons pu lefaire», témoignait Ath Thorn, prési-dent du syndicat indépendantC.CAWDU, le 17 janvier 2014*.Mais les plus surpris ont certaine-ment été le gouvernement et lesmultinationales. Le 26 mai der-nier, IndustriALL Global Union,«en compagnie de huit marquesde niveau international», dontH&M, GAP, Puma, Levi’s etInditex, a rencontré le gouverne-ment cambodgien. Jy Raina, leSecrétaire général d’IndustriALL,qui représentait également la CSI(Confédération syndicale interna-tionale) et UNI Global Union,indiquait: «Pour la première foisdes marques internationales ontconfirmé qu’elles sont prêtes àpayer le prix des salaires plus éle-vés au Cambodge. La balle estmaintenant dans le camp du gou-vernement et des propriétairesd’usines pour se mettre autour dela table et s’accorder sur un nou-veau mécanisme de fixation dessalaires». Ce jour-là, les marquessont même allées jusqu’à exprimerleur «préoccupation» s’agissantdu procès de 23 ouvriers arrêtésdurant la grève de décembre etencourant cinq ans de prisonferme et en soutien desquels unecampagne syndicale internationa-le était en cours, indiquant que«leurs procès devaient se fondersur des preuves et être irréprocha-bles sur le plan des attentes inter-nationales». Quatre jours plustard, le 30 mai, la justice cambod-gienne condamnait les détenus àdes peines de prison avec sursis etordonnait leur libération à l’issuede la procédure. Pour l’instant, lesalaire minimum au Cambodgen’a pas atteint le niveau revendi-qué par les ouvriers du textile.Mais le gouvernement et les multi-nationales sentent le vent tourner.

Evelyne [email protected]

* A week that shook Cambodia (Unesemaine qui a secoué le Cambodge), rap-port réalisé début 2014 par, notamment,l’Asia Monitor Resource Centre (AMRC)de Hong Kong et la Confédération dessyndicats indépendants de Corée du Sud.

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emploie 3,5 millions d’ouvriers, soit 40% dela main-d’œuvre totale du pays. Il s’agit de fem-mes à 90%. On compte plus de 5000 usines deconfection, dont 4000 dans la périphérie indus-trielle de la capitale Dacca. Une minorité d’usi-nes modernes aux normes internationales côtoieune multitude d’ateliers insalubres, sans aucuneprotection contre les incendies, pas assez solidespour supporter le poids des machines à coudre,sans issues de secours, sans aération... Tous lestravailleurs qui désirent se syndiquer doivents’enregistrer auprès de l’administration, quienvoie aussitôt une copie à l’employeur.Résultat: sur 5000 entreprises de textiles auBangladesh, seules 160 ont un syndicat.

en-08,s’yab-ersuteol-

lective, le salaire minimum en Chinene dépasse pas 200 euros et les condi-tions de travail (horaires, hygiène etsécurité...) restent effroyables. En 2013, un rapport réalisé par ungroupe d’associations de défense desdroits des travailleurs a révélé que latechnique du sablage à haute pressionsur les jeans, pour leur donner unaspect vieilli et qui provoque la silico-se chez les ouvriers, est toujours utili-

sée en Chine, alors qu’elle a été inter-dite en Turquie en 2004. Contrairement aux autres pays, la Chine ala capacité, de par notamment la qualifi-cation de sa main-d’œuvre et ses infras-tructures, de se transformer de simplepays sous-traitant au service des multina-tionales en pays producteur pour son pro-pre compte. Actuellement, plusieurs deses entreprises ont déjà créé leur propremarque.

CAMBODGE4 MILLIONS DE PERSONNES ONT MOINSDE 1,25 DOLLAR PAR JOUR POUR VIVRE

En décembre 2013, le refus du gouvernement cambodgien d’entendre larevendication d’un salaire minimum mensuel à 160 dollars dans le secteur dutextile a provoqué une vague de manifestations et de grèves spontanées sansprécédent, qui a débouché sur un appel à la grève générale des organisationssyndicales le 29 décembre. De nombreuses catégories de travailleurs ontrejoint les ouvriers du textile: vendeurs de rue, travailleurs domestiques, ser-veurs, conducteurs de tuk-tuk... Les 2 et 3 janvier 2014, les autorités ont vio-lemment réprimé les protestations. Quatre ouvriers ont perdu la vie.L’argument selon lequel l’essor de l’industrie textile a permis d’extraire lepays de la pauvreté ne tient pas la route. En 2012, 20% des Cambodgiensvivaient toujours en deçà du seuil de pauvreté et environ 4 millions vivaient

avec moins de 1,25 dollar par jour.

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