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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, cahier 2, n°4 2S13 INTRODUCTION La cure chirurgicale de hernie inguinale est une intervention fréquente (200 000 interventions annuelles en France), réalisable sur le mode ambulatoire avec une faible morbidité périopératoire. La douleur postopératoire, d'une durée moyenne d'une semaine, peut persister et devenir chronique chez 8 à 12 % des patients par lésion anatomique des nerfs ilioinguinal, iliohypogastrique ou génitofémoral. La durée moyenne de la convalescence est de 2 semaines mais peut être prolongée jusqu'à 16 semaines. Le rôle respectif des techniques chirurgicale et anesthésique sur l'évolution postopératoire à long terme a été peu étudié (1). Par contre, le bénéfice de l'utilisation des anesthésiques locaux (AL) en infiltration, seuls ou en association à une sédation, est démontré tant pour la qualité de l'analgésie périopératoire que pour la diminution de la morbidité, de la durée d'hospitalisation et du coût et s'intègre dans le concept anglo-saxon de la monitored care anesthesia (MAC) (2). INTÉRÊTS DE L'INFILTRATION Toutes les études effectuées sur la chirurgie de la hernie inguinale sont unanimes sur le bénéfice analgésique en terme de qualité (statique, dynamique ou à la pression) et de durée de l'analgésie postopératoire procurée par l'infiltration périopératoire d'AL de longue durée d’action, tels que la ropi- vacaine,par rapport au placébo. La durée de l'analgésie varie de 3 à 24 heures en fonction du type d'infiltration et de la concentration en AL (3-7). La première demande d'analgésique varie de 3h avec 40 ml de ropivacaine 0.25 % (3) à 7.7h avec le même volume de ropivacaine 0.75 % (4), durée bien supérieure à celle du placébo (1.8h). 49 % des patients de l'étude de Johansson (5) et 41 % de celle de Petterson (6) ont eu besoin d’antalgiques avant leur sortie contre 88 % du groupe placébo. La douleur à la mobilisation est réduite jusqu'à la 24 ème heure et autorise, par le biais de la reprise de la marche, une sortie beaucoup plus précoce d'environ 14 heures (4). Même en cas de sédation associée, la durée de séjour en salle de surveillance post interventionnelle est réduite, tant par la qualité de l'analgésie procurée que par la réduction des effets secondaires liés à l'anesthésie générale ou périmédullaire, en particulier la rétention urinaire, inexistante, mais aussi les complications cardiovasculaires et respiratoires (2, 7). Tous ces avantages font de l'infiltration une technique idéale pour la chirurgie ambulatoire. Enfin, le taux de satisfaction de la technique est élevé (75 %) par rapport à l'anesthésie périmédullaire (64 %) ou générale (36 %) (7). TECHNIQUES D'INFILTRATION Figure 1. Rappel anatomique Les deux derniers nerfs intercostaux et le nerf iliohypogastrique innervent la paroi abdominale dans la partie sus-jacente à l'arcade crurale, alors que l'innervation de la région fémorale est assurée de dedans en dehors par les nerfs ilioinguinal, génitofémoral et fémorocutanée latéral. Les NII-IH, issus du plexus lombaire, perforent le muscle transverse et parcourent la face postérieure du muscle oblique interne. Au voisinage de l'épine iliaque antérosupérieure (EIAS), ils changent de plan et cheminent parallèlement entre les aponévroses des muscles oblique interne et externe avant de donner des rameaux terminaux au canal inguinal Infiltration pour chirurgie de la hernie inguinale Bruno Bassoul, Stéphane Dareau - Département d'Anesthésie-Réanimation, Clinique mutualiste Beausoleil, 119 avenue de Lodève, 34090 Montpellier, France. BLOCS PAR INFILTRATION Muscle oblique externe et son aponévrose Nerf ilio hypogastrique Epine iliaque antero supérieure Ligament inguinal Muscle obligue interne Nerf ilio inguinal

Infiltration pour chirurgie de la hernie inguinale

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Page 1: Infiltration pour chirurgie de la hernie inguinale

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, cahier 2, n°4 2S13

INTRODUCTION

La cure chirurgicale de hernie inguinaleest une intervention fréquente (200 000interventions annuelles en France),réalisable sur le mode ambulatoire avecune faible morbidité périopératoire.La douleur postopératoire,d'une duréemoyenne d'une semaine,peut persisteret devenir chronique chez 8 à 12 %

des patients par lésion anatomique des nerfs ilioinguinal,iliohypogastrique ou génitofémoral.La durée moyenne de laconvalescence est de 2 semaines mais peut être prolongéejusqu'à 16 semaines. Le rôle respectif des techniqueschirurgicale et anesthésique sur l'évolution postopératoireà long terme a été peu étudié (1).Par contre, le bénéfice de l'utilisation des anesthésiqueslocaux (AL) en infiltration, seuls ou en association à unesédation, est démontré tant pour la qualité de l'analgésiepériopératoire que pour la diminution de la morbidité, de ladurée d'hospitalisation et du coût et s'intègre dans le conceptanglo-saxon de la monitored care anesthesia (MAC) (2).

INTÉRÊTS DE L'INFILTRATION

Toutes les études effectuées sur la chirurgie de la hernieinguinale sont unanimes sur le bénéfice analgésique enterme de qualité (statique,dynamique ou à la pression) et dedurée de l'analgésie postopératoire procurée par l'infiltrationpériopératoire d'AL de longue durée d’action, tels que la ropi-vacaine,par rapport au placébo.La durée de l'analgésie variede 3 à 24 heures en fonction du type d'infiltration et de laconcentration en AL (3-7).La première demande d'analgésique varie de 3h avec 40 mlde ropivacaine 0.25 % (3) à 7.7h avec le même volume deropivacaine 0.75 % (4), durée bien supérieure à celle duplacébo (1.8h). 49 % des patients de l'étude de Johansson (5)et 41 % de celle de Petterson (6) ont eu besoin d’antalgiquesavant leur sortie contre 88 % du groupe placébo.La douleur à la mobilisation est réduite jusqu'à la 24ème heureet autorise, par le biais de la reprise de la marche, une sortiebeaucoup plus précoce d'environ 14 heures (4).Même en cas de sédation associée, la durée de séjour ensalle de surveillance post interventionnelle est réduite, tant

par la qualité de l'analgésie procurée que par la réduction deseffets secondaires liés à l'anesthésie générale ou périmédullaire,en particulier la rétention urinaire, inexistante, mais aussi lescomplications cardiovasculaires et respiratoires (2, 7).Tous ces avantages font de l'infiltration une technique idéalepour la chirurgie ambulatoire.Enfin, le taux de satisfaction de la technique est élevé (75 %)par rapport à l'anesthésie périmédullaire (64 %) ou générale(36 %) (7).

TECHNIQUES D'INFILTRATION

Figure 1. Rappel anatomique

Les deux derniers nerfs intercostaux et le nerf iliohypogastriqueinnervent la paroi abdominale dans la partie sus-jacente àl'arcade crurale, alors que l'innervation de la région fémoraleest assurée de dedans en dehors par les nerfs ilioinguinal,génitofémoral et fémorocutanée latéral.Les NII-IH, issus du plexus lombaire, perforent le muscletransverse et parcourent la face postérieure du muscle obliqueinterne. Au voisinage de l'épine iliaque antérosupérieure(EIAS), ils changent de plan et cheminent parallèlemententre les aponévroses des muscles oblique interne et externeavant de donner des rameaux terminaux au canal inguinal

Infiltration pour chirurgie de la hernie inguinaleBruno Bassoul, Stéphane Dareau - Département d'Anesthésie-Réanimation, Clinique mutualiste Beausoleil, 119 avenue de Lodève, 34090 Montpellier, France.

B L O C S P A R I N F I L T R A T I O N

Muscle oblique externe et son aponévrose

Nerf ilio hypogastrique

Epine iliaqueantero supérieure

Ligament inguinal

Muscle obligue interne

Nerf ilio inguinal

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, cahier 2, n°42S14et au scrotum. Le nerf génitofémoral se divise au niveau ducanal inguinal pour donner une branche qui suit le cordonspermatique.

Infiltration des nerfs ilioinguinal-iliohypogastrique(NII-IH) et génitofémoralLa technique vise à infiltrer les NII-IH au voisinage de l'EIAS.Elle comporte deux injections (figure 2) :■ La première à la jonction du 1/4 externe-3/4 interne d'une

ligne joignant l'EIAS à l'ombilic : l'aiguille est introduiteperpendiculairement à la peau jusqu'à l'aponévrose dumuscle oblique externe, qui se traduit par une résistanceélastique. Le franchissement de celle-ci se traduit par unressaut, suivi d'un sensation de perte de résistance.L'aiguille est alors réorientée en direction caudale et 5 mld'AL sont injectés. L'aiguille est ensuite réorientée perpen-diculairement à la paroi et enfoncée jusqu'au franchissementd'une deuxième aponévrose correspondant à celle dumuscle oblique interne.5 ml de la même solution sont alorsinjectés.

■ La deuxième à la jonction du 1/4 externe-3/4 interned'une ligne joignant l'EIAS et l'épine du pubis : L'aiguilleest introduite perpendiculairement à la peau jusqu'àl'aponévrose du muscle oblique externe qui est franchiecomme précédemment. 20ml d'AL sont alors injectés enéventail.

Infiltration de la zone d'incisionLa zone d'incision est infiltrée plan par plan d'abord ensous-cutané puis en sous-aponévrotique le plus souventavec de la lidocaïne, mais parfois avec la ropivacaïne dont ledélai d’action est tout de même assez court. Cette infiltrationcomplémentaire est importante car il existe souvent desrameaux nerveux terminaux issus des NII-IH controlatérauxet qui croisent la ligne médiane dans les plans les plussuperficiels.De même, dans certains cas, le chirurgien peut être amenéà réaliser un complément d’infiltration « à vue » sur le sacherniaire ou le cordon spermatique si le patient n’est passédaté et ressent une gêne lors de l’abord de ces structures.La quantité totale d'AL utilisée est donc de 45 ml de ropivacaine0.5% ou de 30 ml de ropivacaine 0,75% en association avecde la lidocaïne.

PETITS TRUCS ET ASTUCES

■ L'utilisation d'aiguilles à biseau court (45°) est impérativeafin de bien percevoir la résistance puis le franchissementdes aponévroses.

■ La dissection et la manipulation du cordon spermatiquesont à l'origine de la majorité des douleurs peropératoireet doivent justifier d'un complément d'AL par le chirurgien.

■ L'infiltration doit idéalement être réalisée en préopératoire.En effet, même en cas de sédation associée, l'analgésieprocurée évitera l'utilisation peropératoire de morphiniqueset ses conséquences.Enfin,et bien que discutée,la préventionde l'hyperalgésie secondaire (analgésie préventive) resteune hypothèse séduisante.

■ Une sédation par midazolam est souhaitable avant laréalisation de l'infiltration, poursuivie en peropératoirepar du propofol en cas de désir du patient ou d'insuffisanced'analgésie. En effet, 13.2 % des patients opérés sous ALpur, sans prise en charge anesthésique, sont insatisfaits etsouhaiteraient une autre technique anesthésique (8).

LIMITES ET COMPLICATIONS

La cure de hernie engouée ou même étranglée n'est pas unecontre-indication absolue à la technique. En effet, le rapportbénéfice/risque chez un sujet âgé à l'estomac plein doit êtreposé (9).En cas d'obésité, d'antécédent d'appendicectomie ou dehernie ipsilatérale, la perception des différents plans mus-culoaponévrotiques est plus difficile et la diffusion des ALplus aléatoire.Une diffusion au plexus lombaire avec bloc sensitivomoteurpartiel ou total est possible (2 à 5 % des cas). Elle doit être

Figure 2. Infiltration des nerfs ilioinguinal-iliohypogastrique et

génitofémoral

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, cahier 2, n°4 2S15dépistée car, hormis le risque de chute lors du lever, ellepeut contre-indiquer une sortie sur le mode ambulatoire.Une perforation digestive et un hématome pelvien ont étédécrits mais semblent rester anecdotiques.

CONCLUSION

L'infiltration combinée des nerfs ilioinguinal, iliohypogastrique,génitofémoral et de la zone d'incision pour l'anesthésie etl'analgésie per et postopératoire de la cure chirurgicale dehernie inguinale de l'adulte est une alternative aux anesthésiesgénérales et périmédullaires.De réalisation relativement facile,elle présente un rapport bénéfices/risques très favorable etapparaît comme une technique de choix en chirurgieambulatoire. ■

RÉFÉRENCES

1 Callesen T, Kehlet H. Postherniorrhaphy pain. Anesthesiology1997;87:1219-30.

2 Kehlet H, White PF. Optimizing anesthesia for inguinal herniorrhaphy: general,regional or local anesthesia. Anesth Analg 2001;93:1367-9.

3 Johansson B, Hallerbäck B, Stubberöd A, et al. Preoperative local infiltrationwith ropivacaine for postoperative pain relief after inguinal hernia repair. Arandomised controlled trial. Eur J Surg 1997;163:1-8.

4 Narchi P, Carry PY, Catoire P, et al. Postoperative pain relief and recoverywith ropivacaine infiltration after inguinal hernia repair. Ambul Surg1998;6:221-6.

5 Johansson B, Hallerbäck B, Stubberöd A, et al. Preoperative local infiltrationwith ropivacaine for postoperative pain relief after inguinal hernia repair. Arandomised controlled trial. Eur J Surg 1997;163:1-8.

6 Petterson N, Berggren P, Larsson M, et al. Pain relief by wound infiltrationwith bupivacaine or high-dose ropivacaine after inguinal hernia repair. RegAnesth Pain Med 1999;24:569-75.

7 Song D, Greilich NB, White PF, et al. Recovery profiles and costs of anes-thesia for outpatient unilateral inguinal herniorrhaphy. Anesth Analg2000;91:876-81.

8 Callesen T, Bech K, Kehlet H. One-thousand consecutive inguinal herniarepairs under unmonitored local anesthesia. Anesth Analg 2001;93:1373-6.

9 Carré P, Mollet J, Le Poultel S, Costey G, Ecoffey C. Bloc des nerfs ilio-ingui-nal et iliohypogastrique en une seule ponction: une alternative utile pour l'a-nesthésie des urgences chirurgicales inguinales. Ann Fr Anesth Réanim2001;20:643-6.