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' INFLAMMATIONS TRAUMATISMES MALADIES VIRULENTES Par le Dr PAUL RECLUS Chirurgien des hôpitaux. Professeur agrégé à la Faculté de Paris. Membre de l'Académie de médecine. CHAPITRE PREMIER L'INFLAMMATION ET SES CONSÉQUENCES I INFLAMMATION On nomme inflammation la réaction que provoque, dans les tissus vivants, une cause irritante quelconque, un traumatisme, une brûlure, surtout la pénétration de microbes pathogènes ou de leurs toxines et que caractérise l'appél, au point lésé, des éléments « phagocytaires », leucocytes des vaisseaux ou cellules de la trame ambiante. Les tissus vasculaires enflammés sont rouges, chauds, tumé- fiés, douloureux, et douleur, tuméfaction, chaleur et rougeur sont les quatre termes que la clinique a invoqués de tout temps pour définir l'inflammation. Historique. Les auteurs anciens connaissaient les signes cardinaux de l'înflammation, et c'est Celse qui les a groupés dans une formule, encore vraie après deux mille ans : Notoe vero inflammationis sunt quator, rubor et tumor cum calore et dolore; par malheur, les doctrines imaginées pour en expliquer l'essence sont aussi obscures que fausses : nous ne nous attarderons point à résumer les fantaisies métaphysiques ou les hypothèses ingénieuses qui, depuis Hippocrate et Galien, Érasistrate et Oribase, Paracelse et Van Helmont, Boerhaave et Stahl, Haller et Borsieri, ont tour à tour été des dogmes officiels. Hunter, le premier, se dégage des spéculations pour aborder l'observation et l'expérimentation pures, et, de l'histoire sérieuse de l'inflammation qui com- mence, les grandes étapes se marquent par les découvertes de Virchow, de Cohn- heim et des élèves de Pasteur, parmi lesquels Metchnikoff. Les travaux publiés sur l'inflammation sont innombrables; aussi, sans même remonter au delà de ce siècle, nous bornerons-nous à citer les recherches qui ont porté le plus de lumière sur la question, les mémoires qui nous ont servi à la rédaction de cet article et particulièrement les remarquables leçons de M. Maurice Letulle :

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Page 1: INFLAMMATIONS - Furet du Nord

' INFLAMMATIONS

TRAUMATISMES — MALADIES VIRULENTES

Par le Dr PAUL RECLUSChirurgien des hôpitaux. — Professeur agrégé à la Faculté de Paris.

Membre de l'Académie de médecine.

CHAPITRE PREMIER

L'INFLAMMATION ET SES CONSÉQUENCES

I

INFLAMMATION

On nomme inflammation la réaction que provoque, dans les tissus vivants, unecause irritante quelconque, un traumatisme, une brûlure, surtout la pénétrationde microbes pathogènes ou de leurs toxines et que caractérise l'appél, au pointlésé, des éléments «

phagocytaires », leucocytes des vaisseaux ou cellules de la

trame ambiante. — Les tissus vasculaires enflammés sont rouges, chauds, tumé-fiés, douloureux, et douleur, tuméfaction, chaleur et rougeur sont les quatretermes que la clinique a invoqués de tout temps pour définir l'inflammation.

Historique. — Les auteurs anciens connaissaient les signes cardinaux del'înflammation, et c'est Celse qui les a groupés dans une formule, encore vraieaprès deux mille ans : Notœ vero inflammationis sunt quator, rubor et tumorcum calore et dolore; par malheur, les doctrines imaginées pour en expliquerl'essence sont aussi obscures que fausses : nous ne nous attarderons point àrésumer les fantaisies métaphysiques ou les hypothèses ingénieuses qui, depuisHippocrate et Galien, Érasistrate et Oribase, Paracelse et Van Helmont,Boerhaave et Stahl, Haller et Borsieri, ont tour à tour été des dogmes officiels.Hunter, le premier, se dégage des spéculations pour aborder l'observation etl'expérimentation pures, et, de l'histoire sérieuse de l'inflammation qui com-mence, les grandes étapes se marquentpar les découvertes de Virchow, de Cohn-heim et des élèves de Pasteur, parmi lesquels Metchnikoff.

Les travaux publiés sur l'inflammation sont innombrables; aussi, sans mêmeremonter au delà de ce siècle, nous bornerons-nous à citer les recherches quiont porté le plus de lumière sur la question, les mémoires qui nous ont servià la rédaction de cet article et particulièrement les remarquables leçons deM. Maurice Letulle :

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HUNTER Traité du sang et de l'inflammation, trad. de Richelot, Œuvres complètes, t. III.PHILIPS WILSON, A treatise on febrile diseases, etc., 1801. BROUSSAIS, Histoire des

phlegmasies chroniques. — LEBERT, Physiologie pathologique, t. I. Paul BR09A, Thèseinaugurale 1859. — H. WEBER, Expérimente über die Stase an der Froschschwimmhaut.In Müller's Archiv, 1852. — VIRCHOW, Ueber parenbhymatose Entzündung. In Archiv furpathol. Anatom., 1852, et Spec. Pathologie und Thérapie, 1854. De 1 inflammation, trad.Picard, 1859. Paris. — COHNHEIM, Inflammation et suppuration. In Archiv de Virchow,Bd. LX, p. 1, 1867, et Beitrâge zu dem Verhalten, etc. In Archiv fur path. Anat., t. XLIV,1868. —' SAMUEL, Ueber Entzundung und Brand. In Centralbl. f. d. med. Wiss., 1869. — RIND-

FLEISCH, Lehrbuch der path. GewClblehre. Leipzig, 1871.-

PASTEUR, Bulletin de l Académiede médecine, 2e sér., t. VII, p. 447, 1878. — CORNIL et RANVIER, Histologie pathologique,2° éd., 1881. STRICNF-R, Encyclopédie internationale, t. I. — STRAUS, Bulletin de la Sociétéde biologie, 1883, p. 651. — METCHNIKOFF, Sur la lutte des cellules de l'organisme contrel'invasion des microbes. In Annales de l'InstitutPasteur, p. 351, 1887. — CHRISTMAS-DIRCKINCK-

HOLMFELD, Recherches expérimentales sur la suppuration.Thèse de Paris, 1888. — HERMANN,

art. INFLAMMATION. In Dict. encycl. des sciences méd., 4° série, t. XV, 1889. — LEMIÈRE, De lasuppuration. Thèse de Paris, 1891. — Maurice LETULLE, L'inflammation. Paris, Masson, 18U3.

— Pus et SUPPURATION,Encyclopédie des aides-mémoirede Léauté; chez Masson et Gaulhier-Villars, 1894.

Anatomie et physiologie pathologiques. — Les anciens observateurssavaient que l'inflammation s'affirme d'abord par un trouble de la cinulationlocale : les tissus sont rouges, tuméfiés et chauds, grâce à l'afflux du sang dansles réseaux vasculaires des organes phlogosés. A la fin du siècle dernier,J. Hunter irrite l'oreille d'un lapin et y constate, après injection de la tête del'animal, la dilatation des artérioles et des veinules et la multiplication desramuscules visibles à l'œil nu. Plus tard, Philips Wilson étudie au microscopeles modifications que subit la circulation sanguine dans la membrane inter-digitale des grenouilles artificiellement enflammée. D'année en année, desrecherches analogues se multiplient, et,. du moins pour les grandes lignes, lesrésultats obtenus concordent toujours.

Dès que l'agent irritant est au contact du tissu, les vaisseaux se resserrent,diminution de calibre appréciable surtout pour les artérioles. Mais cette con-traction, qui manquerait même parfois, est passagère ; bientôt les canaux san-guins reprennent leur diamètre normal ; puis ils se dilatent et livrent passage il

un courant plus rapide. A ce moment, la circulation est des plus actives; lespetites artères battent plus fort, les capillaires sont distendus, les veinules pleineset saillantes. Cette phase est de peu de durée; le flot se ralentit, la colonne san-guine s'avance et s'arrête pour repartir encore, puis n'obéit plus à toutes lessystoles : elle reste suspendue pendant plusieurs contractionsdu cœur et semblene céder qu'à une poussée particulièrement énergique. Plus de direction uni-forme : elle oscille, animée d'un mouvement de va-et-vient caractéristique, lentet de moins en moins ample jusqu'à ce que toute circulation cesse : il y a stasedans le territoire enflammé.

De remarquables modifications se sont produites dans la lumière des veinulesdilatées: aussitôt que la circulation s'y ralentit, la colonne sanguine — Ilalleret Spallanzani l avaient signalé — semble se composer de deux courantsdistincts

: -l 'un central, plus rapide et qui entraîne les globules rouges; l'autre,marginal, périphérique, se ralentissant toujours davantageet où, dans le plasma,les globules blancs, plus nombreux, se traînent le long des parois. Lorsque lastase est complète, les hématies distendant les réseaux sont tassées de manièreà former une sorte de cylindre homogène, rouge et réfringent, qu'entoure unezone claire où s accumulent les leucocytes; à leur tour, ceux-ci s'agglomèrenten une masse compacte, uniforme, adhérente et tapissant d'un revêtement con-

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tinu la face interne des petites veines; ce triage entre les globules blancs et les

globules rouges constitue ce que l'on nomme la margination des leucocytes.Les artérioles et les capillaires échappent à ce phénomène, car la systole car-

diaque y reste assez énergique pour rejeter dans le torrent sanguin les globules-

blancs adhérents aux parois.Alors commence la diapédèse, le phénomène qui joue dans l'inflammation un

rôle prépondérant. Cohnheim, en 1867, en a donné la première description;

il a montré, pour la constitution de l'exsudat inflammatoire, l'importancemajeure de cette migration des leucocytes à travers les parois des vaisseaux,

mais le fait lui-même n'avait point échappé à divers observateurs. Avec

Kaltenbrunner et Addison, Zimmermann croyait à l 'identité des globules blancs

et des globules de pus; il pensait que, dans les phlegmasies, les tuniques vascu-laires se désagrègent et permettent aux éléments figurés du sang de s'infiltrer

dans les tissus. Dollinger, J. MÜller et surtout Dujardin avaient vu les leuco-

c-ytes sortir des vaisseaux intacts; dès 1824, le dernier de ces auteurs traçait de

la diapédèse un tableau qui ne laisse rien à désirer; mais, comme ses prédé-

cesseurs, comme nombre de ceux qui, après lui, constatèrent le phénomène, il

n'en comprit point l'immense portée.L'expérience fondamentale de Cohnheim est d'une extrême simplicité : sur le

d'un microscone. on étale le mésentère d'une grenouille; le contact

La diapédèse ne s'observe donc pas au niveau des artérioles, dont les con-tractions systoliques rejettent vers le centre du vaisseau les globules blancs de

la zone plasmatique, mais elle est active dans le dernier réseau capillaire et

surtout dans les premiers ramuscules veineux, bientôt entourés d'un double

manchon de leucocytes. Le temps nécessité par l'extravasation de chaque élé-

ment est variable;

si parfois il dépasse deux heures, il est souvent moindre:

le passage, en effet, ne doit-il pas être rapide pour expliquer ces accumu-lations énormes de globules blancs dans certaines collections purulentesformées en quelques jours, ou même en quelques heures, comme les abcès

soudains! Les leucocytes peuvent entraîner avec eux un certain nombred'hé-

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maties;

Stricker et Recklinghausen avaient déjà signalé la diapédèse des glo-bules rouges.

On ne connait point, d'une façon indiscutable, le mécanisme de cette extra-vasation des éléments figurés du sang : toutes les hypothèses ont été avancées.Zimmermann avait imaginé une altération des parois vasculaires, une sortede destruction] locale offrant une brèche aux globules; O. Weber, MarshallHall et Küss admettaient une friabilité particulière, une modification de tex-ture; Virchow pense à des troubles de nutrition des réseaux capillaires. Et, defait, la diapédèse se montre plus active, l'issue des leucocytes plus abondantelorsque l'endothélium des vaisseaux est altéré; on constate même une migrationdes hématies pour l'exode desquelles on ne saurait invoquer que des théoriesmécaniques

:la pression du sang, par exemple, jointe à quelque ouverture arti-

ficielle ou naturelle des parois vasculaires, les globules rouges n'étant pas,comme les blancs, doués de mouvement amiboïdes.

La théorie d'Arnold (') est une des plus généralement admises. Pour lui, lesglobules blancs, se traînant le long des parois dans la zone plasmatique immo-bile, s'arrêtent et envoient un prolongement qui s'insinue dans l'intersticecellulaire, peu à peu élargi sous l'effort des mouvements amiboïdes des leuco-cytes; ainsi se forment de véritables stomates, d'autant plus facilement creusésque, d'après Stricker, l'irritation des tissus a déjà atteint un réseau capil-

laire aux cellules endothéliales gorgées d'un protoplasmejeune, mou, aisément forcé par les globules blancs. Mais, ditMaurice Letulle d'après Cohnheim,

« s'il s'agissait d'orificesaussi grossiers à travers lesquels les corpuscules du sangpassent, comment et pourquoi ce plasma sanguin ne trans-sude-t-il pas le premier, bien plus aisément que les élémentshistologiques? Or le liquide des transsudats inflammatoiresn'est nullement le plasma sanguin et, abstraction faite de lafibrine qu'ils contiennent, ce n'est même pas du sérum

» etles exsudations interstitielles proviennent non d'un passagedirect, mais d'une filtration à travers les vaisseaux dont lesparois ont subi des modifications profondes. Aussi Thoma (2)voudrait ramener la diapédèse à des phénomènes purementphysiques

:la pression sanguine, la viscosité, l'adhésion des

leucocytes, la capillarité intercellulaire, les modificationschimiques subies par les parois des vaisseaux joueraient leprincipal rôle et non, comme on le croyait naguère, les mou-

vements amiboïdes des globules blancs dont le protoplasma resterait passifpendant sa migration pariétale.

La diapédèse, d après Cohnheim, serait le fait capital de l'inflammation, mêmedans les tissus non vasculaires, et de célèbres expériences le démontrent

:lorsque, chez une grenouille, on cautérise le centre de la cornée, les élémentsanatomiques subissent, il est vrai, quelques modifications sur le point irrité,mais les altérations véritables se produisent de la périphérie vers le centre :

lescellules amiboïdes quittent les vaisseaux de la sclérotique, pénètrent dans lescanalicules plasmatiques de la cornée qui s'opacifie sous l'infiltration de plus

(1) ARNOLD, Virch. Arch., LXVI, 1876.( ) IHOMA, Ueber die Entzündung. In Berl. klin, Wochenschrift.

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en plus épaisse des leucocytes; ils mettent trois jours à atteindre le foyer de

la lésion primitive. Et la preuve est certaine qu'il s'agit de globules blancsissus du réseau vasculaire voisin; en effet, si, par un artifice bien connu en phy-siologie expérimentale, on charge de cinabre ou de carmin les leucocytes du

sang de la grenouille, les éléments migrateurs trouvés dans la cornée contien-nent des particules colorées. Enfin, si l'on remplace le sang de la grenouille parune solution incolore de chlorure de sodium, aucune opacité ne se produit dans

la cornée irritée, qui reste transparente.Pour Cohnheim, donc, tous les éléments de l'exsudat inflammatoire ont le

sang pour origine; les cellules embryonnaires qui encombrent le foyer neseraient que des leucocytes émigrés des vaisseaux. Nous sommes loin de cettethéorie de Virchow (1) qui, il y a quinze ans, régnait sans partage; d'aprèselle, l'agent inflammatoire irrite les cellules du tissu conjonctif, qui réagit

en proliférant : leur multiplication indéfinie forme ces amas d éléments dontles uns s'organisent en trames nouvelles, dont les autres donnent naissance

aux pyocytes ou globules de pus. Les réseaux vasculaires ne se dilatent, le sangne stagne que pour fournir aux cellules en voie de segmentation les matériaux-nutritifs nécessaires à leur accroissement et à leur genèse. Cette doctrine avécu, pourtant sans sombrer tout entière ; divers auteurs affirment que les glo-bules blancs émigrés ne représentent pas la totalité des éléments embryonnairesde l'exsudat inflammatoire; ils ont vu les cellules fixes du tissu conjonctif,celles de la cornée, du derme, des tendons, les endothéliums engendrer des élé-

ments doués de mouvements amiboïdes, et en tout semblables à ceux qui sortentdes vaisseaux. Le «

choc inflammatoire », comme dit Letulle, provoque la per-turbàtion nutritive de tous les éléments cellulaires et le triple groupe des cel-

lules connectives, des cellules endothéliales et des cellules blanches, l'ensemblede cet «

arsenal cellulaire » va coopérer, en proportions variables, aux phéno-mènes successifs dont le foyer morbide est devenu le théâtre ; tous les élémentsconstitutifs du tissu conjonctivo-vasculaire prennent part à la formation des cel-

lules purulentes.Dans la théorie de Cohnheim comme dans celle de Virchow, l'apparition des

éléments embryonnaires et l'exsudat inflammatoire ont pour origine l'irritationdes tissus. L'agent irritant varie à l'infini

:c'est le chaud, c'est le froid, c'est

un traumatisme ou l'introduction d'un corps étranger. Les découvertes de

Pasteur, celles de Rosenbach, de Kocher, de Koch, de Cheyne, d'Ogston, de

Straus ont précisé les termes du problème et montré que, dans l'immense majo-rité des cas, l'inflammation est causée par la pénétration dans l'organisme de

microparasites pathogènes : en examinant au microscope l'êxsudat du foyerenflammé ou la collection purulente qui lui succède, on les trouve peuplés de

bactéries; or, si l'on isole ces germes, si on les cultive et si on les inocule à unanimal, on provoque, au point d'insertion des microbes, une phlegmasie sem-blable à celle qui détermine l'exsudat primitif

:la question est maintenant réso-

lue, et les expériences de Roser, celles de Socin et de Garré ont mis hors de

doute l'origine microbienne des phlogoses chirurgicales. Un foyer de suppura-tion n'est, en définitive, « qu'une maladie infectieuse localisée »-

Les microbes (*) pyogènes sont nombreux; on les divise en deux catégories,

M VIRCHOW. PatholoGie cellulaire, 58 édit., 1862.(9) MAURICE LETULLE, PUS et suppuration, p. 82 et suivantes.

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suivant qu'ils sont accidentellement ou habituellementpyogène's. Les premiers,pour avoir une importance moindre que les seconds, méritent cependant d'êtresignalés : le Bacterium coli commune ou bacille d'Escherich, dont l'importancepathogénique croît tous les jours, habite à l'état normal, dans le tube digestif,depuis notre naissance jusqu'à notre mort; il semble prendre diverses formeset n'est autre que la bactérie pyogène urinaire de Clado et Albarran et le bacilledysentérique de Chantemesseet Widal. On le rencontre dans les suppurationsde l'appendice, dans certaines péritonites aiguës, dans les cystites et lesnéphrites, les inflammations du tube digestif, dans les angiocholites et dansnombre de collections purulentes, quel que soit leur siège, mais surtout danscelles qui s'amassent autour des intestins. A côté se range le bacille typhique

ou bacille d'Eberth, qui présente avec le précédent beaucoup de caractèrescommuns. Chez l'homme, il devient pyogène lorsqu'il quitte l'appareil digestife ses annexes lymphoïdes- rate et ganglions mésentériques; on le rencontre-rait dans certaines collections des plèvres, des méninges et du péritpine, dansles osteopénostites et dans les arthrites consécutives à la fièvre typhoïde.

e pneumocoque, bacille de Pasteur-Talamon-Frânkel,tient aussi une largep lace ans ces suppurations accidentelles. Il semble devenir pyogène lorsqu'ilqui tte es voies respiratoires et on l'a trouvé comme agent virulent dans desp leur sies, es méningites et des péritonites aiguës, dans des otites, des paro-tidites et des thyroïdites suppurées, dans des phlegmons épars dans tous lestissus. « Après les microbes pyogènes habituels, la maladie pneumococcique,écrit Letulle, dispute au Bacterium coli la première place dans la pathogénie dessuppurations humaines.

» Le Pneumo-bacille encapsulé de Friedlander provo-6S pneumoniesété et des pleurésies suppurées; le Micrococcus tetragenus

rencontré dans les mammites, les adénites de l'aisselle et

phytesfpUP 6fm^nS dentaires. On signale certains champignons sapro-

Muco''<:°rymbifer> l'AspergiU«> fumigatus, et, d'après Grasset,ete a— Enfin,pourrait provoquer la suppuration dans certains états de viru^

pyogènesI P°ur,terminer la série des microbes

«accidentellement.

pyogènes, nous signalerons le bacille de Koch, dont la suppuration nécrosante

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et caséifiante est si souvent observée dans les abcès tuberculeux des partiesmolles et des os, la pseudo-tuberculosezoogléique de Malassez et l'actin01nycète,qui auront des chapitres spéciaux au cours de cet ouvrage.

La classe des microbes habituellement pyogènes comprend un grand nombre --

de variétés dont les plus importantes sont le streptocoque et le staphylocoque.

Le streptocoque peut revêtir plusieurs aspects et ses différentes formes avaientfait croire à des espèces différentes. Maintenant son unité paraît acquise et

l'identité du streptocoque de l'érysipèle, de celui du puerpérisme infectieuxet du streptocoque banal des suppurations phlegmoneuses est établie. Il est.

constitué par une série de grains arrondis quelquefois inégaux et rangés enchaînettes d'une longueur variable. C'est un aérobie facultatif qui ne liquéfie

pas la gélatine et qui cultive bien dans les différents milieux. Son rôle patho-

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génique est considérable puisque on le retrouve dans un grand nombre de sup-purations, dans l'érysipèle, la fièvre puerpérale, et qu'il forme des associationsbactériennes importantes dans la scarlatine, la diphtérie, les inflammations àstrepto-pneumocoques.

La famille des staphylocoques n'est pas moins nombreuse et comprend lesvariétés dorée, blanche, citrine et flavescente; ils forment des grains accumulésen forme de grappes; ils liquéfient la gélatine et provoquent le plus grandnombre des suppurationsphlegmoneuses du tissu cellulaire, furoncles, anthrax,nombre d'ostéomyélites aiguës. Ce micro-organisme est en effetjdes plus répan-dus ; on le rencontre partout dans l'air et dans l'eau

; il foisonne sur notrepeau et jusque dans nombre de nos cavités naturelles. Aussi a-t-on pu direqu'il ccnous assiège». Nous ne ferons que mentionner les autres microbes

pyogènes, le microcoquepyogène de Pasteur, lemicrocoque ténu et le pyocyanique, le gonocoquede Neisser que l'on retrouve dans les inflam-mations suppurées qui compliquent la blennor-ragie et le microcoque fétide de Passet. Il en estd'autres encore, mais peu importants en patho-logie humaine.

Une fois introduits sous l'épiderme, au con-tact des cellules vivantes, les microparasites,agents irritants par excellence, vont provoquerles divers phénomènes que nous avons déjà dé-crits et qui constituent l'inflammatioii

:la

dilatation des vaisseaux, la stase sanguine et ladiapédèse. Metchnikoff a émis une théorie sé-duisante qui rattache l'un à l'autre ces diversphénomènes et nous les révèlecomme une miseen défense de l'organisme contre l'agression desgermes pathogènes. Dès que les microbes ontpénétré dans l'organisme, une colonie de sta-phylocoques par exemple, ils y prolifèrent etleur toxine frappe de mort une masse plus oumoins étendue du tissu conjonctivo-vasculaireenvironnant

: ainsi se forme une sorte de« no-

dule- toxi-infectieux» autour duquel va se jouer

e drame de la phagocytose, « la réaction des éléments blancs qui s'accomplità l'aide d'un lien vivant établi entre les cellules connectives, les endothéliumset les leucocytes. Dans cette hypothèse, les cellules fixes atteintes les premièrestransmettent aux endothéliums vasculaires l'ordre d'agir; ceux-ci se contractent,laissent passer les globules blancs ou mieux facilitent leur diapédèse. La phago-cytose fera le reste » (').

Le nodulatoxi-infectieux,une fois formé, provoque donc la réaction inflamma-toire. On sait, depuis les magnifiques travaux de Ranvier, que les

« clasmato-cytes »

du tissu conjonctif, cellules arborisées ou fusiformes et qui peuvent.atteindre le volumeinvraisemblable de 1 millimètre, reprennentalors leur formeprimitive de cellules blanches et redeviennent mobiles et prolifiques comme

(') MAURICE LETULLE, PUS et suppuration, p. 164.

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elles; ces éléments constituent ainsi les premiers leucocytes du foyer morbide.Mais déjà, les endothéliums vasculaires vont obéir aux ordres transmis par la

«réaction curatrice » ;

ils se contractent et l'hyperdiapédèse commence. Grâce

aux leucocytes qu'elle déverse à flot, grâce aux cellules mobiles qui existaientdéjà dans les espaces lymphatiques du tissu conjonctif, une foule d'élémentslibres peuvent accourir autour du nodule toxi-infectieux où pullulent lesmicrobes et cerner les envahisseurs; ils se jettent sur eux et les incorporent dansleur protoplasme. Telle est la phagocytose de Metchnikoff. « Tous les élémentsblancs microphages et macrophages se mettent à l'œuvre. Les microbes sontenglobés, qui par les leucocytes, qui par les cellules fixes et par les endothé-liums. Les leucocytes migrateurs, chargés de germes et ayant pu résister à lamaladie parasitaire qu'ils portent en eux, s'échappent du foyer et vont s'embo-liser dans les organes lymphoïdes, ganglions, rate, moelle des os qui les peuventarrêter. Ainsi la lutte antiparasitaire peut s'exercer non seulement dans le foyerd'inoculation, mais encore dans tout le système hémato-poiétique. »

On a cherché à pénétrer la.cause première de cette «réaction curatrice » si

remarquable et à connaître le premier anneau de cette « chaîne phagocytaire »..On a invoqué la chimiotaxie, cette propriété spéciale d'attraction ou de répul-sion qu'ont les organismes inférieurs pour les substances ambiantes. Comme

ces organismes, les cellules blanches sont influencées par certaines substancessolubles, qui seraient pour elles et suivant les cas attractives, répulsives ouindifférentes. Büchner aurait isolé la « protéine microbienne », l'agent réel dela phagocytose :

la protéine extraite des bacilles pyogènes provoquerait, eninjections sous-cutanées, une hyperdiapédèse intense au point lésé ou, dansd'autres conditions, des leucocytoses inflammatoires analogues à celles quiaccompagnent la pneumonie, l'érysipèle, la variole et le rhumatisme aigu.

Si les microparasitessont peu abondants et les éléments amiboïdes, les phago-cytes nombreux et vivaces, la lutte est bientôt terminée à l'avantage de cesderniers :

Metchnikoff démontre que, dans l'érysipèle, par exemple, la victoirereste presque toujours au leucocyte : « Des amas phagocytaires s'accumulentdans les endroits les plus exposés à l'agression des microbes, comme dans la-

cavité buccale,où nous trouvons les tonsilles;il se produit, à travers ces organes,

une migration continuellede phagocytes qui s'opposent à l'invasion incessantedes microbes qu'ils dévorent en quantité. En observant les leucocytes des muco-sités tonsillaires chez les individus bien portants, je les ai souvent trouvés rem-plis d'une quantité de bactéries appartenant à des espèces différentes. »

Lesmicrobes phlogogènes sont peu dangereux; les phagocytes en ont facilementraison, et bien des staphylocoques orangés sont ainsi digérés silencieusement

sans réaction appréciable et sans les signes cliniques de l'inflammation.Les expérimentateurs l'ont établi en effet : pour provoquer la suppùration,

les microbes pathogènes doivent être injectés à dose massive, à moins toutefois

— et ceci éclaire d'un jour singulier la pathologie du phlegmon—que certainesconditions n'affaiblissentla vitalité des tissus et n'y créent « un lieu de moindrerésistance ». Une tare quelconque, une contusion, une fracture, des troublescirculatoires, la pénétration de telle ou telle substance, activent la prolifération-des germes ou amollissent la défense des organes assiégés ;

ainsi, des injectionssous-cutanéesde ptomaïne favorisent la diffusion de l'inflammation. Ce sont làdes points sur lesquels nous reviendrons en traitant de l'étiologie

;ils aideront

à expliquer la marche envahissante de certaines suppurations.

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Mais les phagocytes ne remplissentpas toujours «leur rôle thérapeutique ».

Frappés parfois de «dyspepsie », ils passent à côté des microbes sans les

englober et sans les digérer. Par contre, dans d'autres cas, ils font preuved'une singulière puissance de destruction, et, d'après Metchnikoff, l'immuniténaturelle ou acquise de quelques individus à l'égard de certains microbes, auraitpour cause une voracité particulièrede leurs cellules amiboïdes. Elles subiraientmême une sorte d'entraînement : « Des observations directes, plusieurs foisrépétées, nous montrent clairement que les phagocytes peuvent s'habituer d'unemanière graduelle à dévorer les microbes qu'ils évitaient au commencement.On peut admettre aussi qu'ils acquièrent lentement l'habitude de digérer lesmicrobes qui passaient intacts par le corps du phagocyte.

Nous l'avons déjà dit, dans les phénomènes inflammatoires, les élémentsamiboïdes, cellules migratrices des mailles conjonctives et leucocytes issus desvaisseaux, ne constituent pas les seuls phagocytes; les cellules fixes du tissulamelleux, « les cellules épithéliales des alvéoles pulmonaires, en général toutesles sortes d'éléments capables d'englober les corps solides et munies d'un seulgrand noyau difficile à colorer », jouissent de propriétés identiques. Metchni-koff donne aux premiers le nom de microphageset aux seconds celui de macro-phages. Il y a des états transitoires entre les deux

: les leucocytes émigrés peu-vent se transformeren cellules fixes, les microphages en macrophages. Chacunde ces phagocytes a son rôle et, tandis que les microphages sont chargés dedévorer les germes pathogènes, les macrophages résorbent les éléments morts,surtout les leucocytes gorgés de streptocoqueset tués par leur propre victoire.On a vu des macrophages, véritables « nécrophores », contenir six ou septmicrophages, et même un nombre plus considérable.

Que l'on admette ou non la théorie de Metchnikoff, un point est hors dedoute : l'introduction de germes pathogènes dans nos tissus préside au dévelop-pement de l'inflammation, mais la présence de ces germes est-elle indispensable,ne voit-on pas des phlogoses suivies de suppuration là où ne se montrent pointde microparasites? L'accord semble près de se faire. Hiieter, un des premiers,essaya de provoquer la suppuration en injectant dans les tissus des substancesaseptiques; et, comme lui, ses élèves Dembezak, Rausche et I-lallbauer; dessolutions de nitrate d argent et de chlorure de zinc, insérées sous la peau, nepurent déterminer l apparition de collections purulentes. Dans son remarquablemémoire de 1885, Straus relatait quarante expériences où l'essence de térében-thine, l'huile de croton, le mercure, des morceaux de drap, de l'eau stérilisée,injectés-dans les tissus de cobayes, de rats et de lapins, n'avaient jamais amenéle moindre abcès. Recklinghausen, Klumperer(i), Ruys, Zukermann répétèrentet varièrent ces recherches pour aboutir au même résultat.

Mais d autres expérimentateurs le démontrent: certaines substances peuvent,

sur certaines races d 'animaux, provoquer des suppurations aseptiques. Rosen-bach fait la remarque très juste qu'on a tort de conclure à toutes les substanceset à tous les animaux, des résultats fournis par quelques substances et parquelques races d 'animaux. Ainsi Riedel injecta du mercure dans le genou dulapin; Cohnheim, de l huile de croton sous la peau du chien; et, xihez le lapin.CouncIlman(2), un mélange d'huile d'olive et de croton; Uslioff(3), de l'eau

(') KLUMPERER,Zeitschrift f. klin. Med., vol. X, D. 158 1885( ) L.OUNCILMAN,Arch. de Virchow. -vol. XCIT. n 217H USKOFF, Arch. de Virchow, vol. XC, p. 549.

Page 11: INFLAMMATIONS - Furet du Nord

distillée et surtout de l'essence de térébenthine:Orthmann, du mercure ;

Grawitz

et de B;\ry(1), du nitrate d 'argent, de l'ammoniaque concentrée, et encore de la

térébenthine; les effets furent positifs:

il se collectait un abcès volumineux au

point d'injection, et le pus en était dépourvu de microbes.Christmas-Dirckinck-Holmfeld est arrive aux mêmes conclusions :

les expé-

riences sur les animaux, nous dit-il, démontrent la possibilité de suppurations

simplement chimiques qui se développent en dehors de toute intervention

microbienne; le nitrate d'argent, l'essence de térébenthine et le mercure ont

provoque, chez le chien, la formation d'abcès. Jusqu'ici rien de nouveau, mais

l'auteur et, avec lui, Grawitz et de Bary, Scheurlen et Leber, se sont demande

si les substances «chimiques »

sécrétées par les microbes de la suppuration ne

sont pas elles-mêmes pyogènes les expériences ont été positives; l'injection

«de plusieurs substances chimiques »

extraites des cultures et des corps t e

staphylocoques ont amené l'apparition d'abcès. Christmas en infère que la

suppuration aiguë provient non des microparasites, mais des alcaloïdes par eux

fabriqués, et nous en arrivons ainsi il la protéine microbienne de Biichner ou a

quelque substance analogue. En clinique, donc, et c'est le point qui nous

importe, toute suppuration suppose la présence de bactéries pyogènes; chez

l'homme, tous les abcès chauds examinés avec rigueur ont été trouvés pleins

de microparasites. Sur 7r, cas, dont plusieurs pris à l'Hôtel-Dieu dans notre

service, Christmas a toujours constaté des germes, -45 fois le staphylocoque

orangé, 20 fois le staphylocoque blanc, 9 fois le streptocoque pyogène. La doc-

trine bactériologique triomphe donc; il demeure établi, en chirurgie du moins,

que la suppuration est liée il l'introduction dans nos tissus de micro-organismes

spéciaux de formes peu nombreuses et assez bien caractérisées; cette suppura-tion, les micro-organismes la provoquent en agissant soit directement, soit sur-

tout par les alcaloïdes qu'ils fabriquent.

Nous sommes maintenant en mesure de continuer l'élude des modifications

subies par le foyer inflammatoire les microparasites ont pénétré dans les tissus :

l'irritation qu'ils provoquent détermine l'hypérémie, la stase sanguine, uneactivité nutritive plus grande des cellules fixes et des clasmatocytes, la contrac-

tion des endothéliums vasculaires, enfin l'issue des globules blancs hors des

réseaux sanguins. Mais avec eux sort aussi une quantité notable de plasma,

et l'exsudat se trouve constitué. Une expérience de Cohnheim met sous les yeuxl'abondance de cette transsudation liquide

: on insinue la pointe d'une canule

dans un des gros troncs lymphatiquesde la jambe d'un chien dont on a échaudé

la patte par l'immersion dans l'eau à ;)1 degrés; la lymphe, qui coulait à peine

avant cette irritation, afflue aussitôt, témoignant de la rapidité avec laquelle les

réseaux sanguins hypérémiés cèdent leur plasma aux espaces intercellulaires ou

plongent les radicules des vaisseaux blancs.Cet exsudât interstitiel, remarquable par sa richesse en albumine, est sponta-

nément coagulable, gri\ce, selon Cohnheim, aux leucocytes qu'il renferme. On

le dit séreux lorsqu'il est citrin, limpide ou à peine opalescent, trouble déjà par

quelques globules blancs ou quelques flocons fibrineux. C'est lui qui, dans l'épi-

didymite, distend la vaginale et, dans la pleurésie et la péritonite, la plèvre et

le péritoine; dans certaines affections de la peau, les brûlures, par exemple, il

(') GRAWITZ et DE IhRY, Arch. de Virchow, vol. CYIII, p. 07.

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gonfle les vésicules épidermiques ; souvent il est le premier stade de l'exsudatpurulent, où, épaissi par les leucocytes, il se montre opaque, jaune, blanc ouverdâtre. Dans l'exsudat ftbriheuœt une substance albuminoïde particulière,analogue à la fibrine, vient se mêler à la sérosité et se coagule en un réticulumdélicat qui enserre dans ses mailles les globules extravasés : de là ces massesspongieuses ou stratifiées d'une épaisseur parfois considérable, fréquentes à lasurface des muqueuses et surtout sur la plèvre et le péricarde. L'exsudat estmuqueux lorsque, aux substances issues des vaisseaux, se joignent les sécré-tions des glandes muqueuses et les débris des épithéliums desquamés. Enfinil est croupal, selon l'expression allemande, quand il est à la fois fibrineux etmuqueux.

La nature de l'exsudat dépend, en général, de la gravité de l'inflammation:

il est séreux ou muqueux dans les phlegmasies légères, fibrineux ou purulentdans les phlogoses intenses; la régression des tissus est alors rapide, il seforme un véritable foyer de mortification; les suintements hémorragiques,caractérisés par le déchirement des vaisseaux à parois altérées et l'amas deglobules rouges au milieu des tissus sont aussi d'un pronostic très sombre

;ils

témoignent d'un état général précaire. En étudiant les destinées ultérieures deces divers exsudats, nous allons montrer, avec les classiques, que l'inflammationpeut disparaître sans laisser de traces, par résolution, ou donner naissance àdes produits nouveaux, induration et organisation, ou bien provoquer la sup-puration, terminaison assez fréquente pour nécessiter une description spéciale.renvoyée à l'article ABCÈS.

Lorsque l'exsudat, peu abondant, n'a pas encombré le foyer inflammatoired'une trop grande quantité d'hématies et de leucocytes, les éléments normauxdu tissu, à peine comprimés et nourris encore, continuent à vivre; la résolutionest possible, elle est même la règle dans l'érysipèle, inflammation d'allureaiguë cependant: la stase cesse, le courant sanguin désagrège les cylindresformés par les globules rouges agglutinés, la circulation se rétablit, l'hypé-rémie se dissipe par degrés, les radicules lymphatiques se chargent de déblayerla zone malade des substances dont elle était gorgée, sérosité, granulationsfibrineuses, débris le globules rouges, leucocytes chargés de microbes, cellulesfixes désagrégées, déchets que, pendant plusieurs jours, les réseaux blancsroulent vers les veines. Parallèlement, l'endothélium des vaisseaux se répare,les éléments parenchymateuxtrop compromis pour récupérer leur constitutionnormale s'atrophient, se résorbent et sont remplacés par des cellules embryon-naires nées de la proliférationdes éléments fixes.

La perte de substance due aux mortifications du foyer enflammé peut doncse réparer, mais la régénération est loin de se montrer aussi active pour tousles tissus; si l'os et les épithéliums tégumentaires se reforment aisément, lesépithéliums glandulaires, les nerfs et les muscles se reconstituent mal; souventmême, un simple amas cicatriciel les remplace : cette substitution est de règlepour le cartilage et les centres nerveux, dont aucun exemple inattaquable n'aencore prouvé la régénération. Quoi qu'il en soît, la multiplication exagéréedes cellules peut avoir pour conséquence une hyperplasie des tissus; des fais-ceaux conjonctifs s 'organisent, qu'irriguent des anses ^vasculaires néoformées,tous phénomènes histogéniquesd'un grand intérêt et que nous étudierons plustard à propos de la réunion des plaies par première et par seconde intention.i ais quel genre d éléments est chargé de la régénération des tissus? Faut-il

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gratifier de ce rôle les seules cellules fixes, comme le veut Virchow, ou bienles leucocytes extravasés, comme le soutient Cohnheim? La question n'est pointencore résolue : «

On n'a pu jusqu'ici opérer le triage de tous les élémentshétérogènes accumulés au foyer de l'inflammation.

»

Étiologie.— Si nous adoptions les définitions anciennes, si, comme pour

Broussais, l'inflammation était pour nous « le principal phénomène de lapathologie, la principale maladie du corps humain », la simple énumérationdes causes qui peuvent l'engendrer nécessiterait un long chapitre. Mais si,préférant l'acception de plus en plus courante en chirurgie, nous réservons,avec Roser, ce terme à l'ensemble des phénomènes provoqués par l'introduc-tion dans l'organisme de certains microparasites de forme et de fonctions biendéterminées, l'étiologie des phlogoses devient merveilleuse de simplicité : les

germes pathogènes pénètrent dans nos tissus, et la phlegmasie se déclare.Les causes que l'on invoquait naguère et qu'avait établies la clinique n'en

demeurent pas moins ;. seulement elles ont déchu d'importance,et passent durôle d'agents déterminants à celui d'agents prédisposants. Les traumatismessuperficiels et profonds, avec ou sans solution de continuité de la peau, lechaud et le froid, les brûlures et les gelures, les caustiques, puis les substancestoxiques, iode, mercure, alcool, cantharidine, exercent une influence notablesur le développement de l'inflammation, soit en ouvrant aux micro-organismesla porte de nos milieux intérieurs, soit en y créant des espaces favorables aufoisonnement des germes, soit enfin en affaiblissant les éléments cellulaireschargés de la lutte contre les parasitesenvahisseurs..

Sans l'aide de ces causes prédisposantes, « les inoculation positives » des

germes phlogogènes seraient chose rare; elles nécessiteraient un.nombre con-sidérable de microbes. Fehleisen insère sous la peau une petite quantité destaphylocoques orangés et de streptocoques pyogènes; le phlegmon ne sur-vient que s'il injecte 1 centimètre cube de cultures. Watson Cheyne, nous ditRoger (1), obtient les mêmes résultats : pour développer un abcès chez le lapinil ne lui faut pas moins de deux cent cinquante millions de coques. Odo Bujwidrenchérit sur les expérimentateurs précédents; chez le lapin ou le rat, unmilliard de staphylocoques ne détermineraient pas la suppuration

; il a dû allerjusqu'à huit. On comprend pourquoi ces recherches n'ont pas été poursuiviessur l'homme, mais il est à croire que les conclusions seraient identiques

: sansdes circonstances adjuvantes, les microbes ne peuvent enflammer un tissu saindans un organisme sain.

Les germes pathogènes qui vont provoquer l'inflammation pénètrent dansl'intimité des tissus soit par effraction, soit en progressant le long des conduitsnaturels, soit par le mécanisme de l'embolie. L'effraction est le mode le plussimple les téguments, peau ou muqueuse, ont été déchirés par un traumatismequelconque et les microbes que porte avec lui le corps vulnérant ou ceux quise trouvent sur les vêtements, sur la peau ou la muqueuse elle-même arriventau contact du tissu conjonctivo-vasculaire qu'ils inoculent. En ce point va sedévelopperle foyer morbide

; cependant il se forme souvent plus haut, au niveaudes valvules et surtout des ganglions lorsque les microbes prennent la voielymphatique

: telles les adénites de l'aine et de l'aisselle, les bubons du chancre

(t) ROGER, Gazette hebdomadaire, p. 84,1889.

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mou, certains phlegmons péri-utérins.«

Ces grands sauts à distance, ditLetulle,avec arrêt au niveau des filtres naturels représentés par les ganglions, s'effec-tuent, selon toute vraisemblance, par l'intermédiaire de cellules blanchesmicrophages. Celles d'entre elles qui, infectées au foyer d'origine, ont pu con-server assez d'activité pour ne point succomber sur place, ont eu le loisird'accomplir quelque long trajet sans stagnation appréciable. Pourtant cesarrêts ont lieu fréquemment; les lymphangites nodùlaires, évoluantpar pousséesascendantes ou descendantes, en font foi.

»La progression des germes le long des conduits naturels est aussi très connueet l'on sait comment, par les simples lois de la pesanteur, une inflammation des

parties supérieures du larynx peut gagner la trachée et les bronches. L'inocula-tion, il est vrai, peut suivre aussi une voie ascendante et la suppuration del'urèthre, par exemple, envahit parfois la vessie, l'uretère et le rein.

« On estbien obligé d'admettre, dans ces cas, que les cultures d& germes pyogènes sesont spontanément succédé par continuité suivant une marche inverse à celledes liquides normalement véhiculés par ces conduits.

JIEnfin, l'inoculation

peut se faire par une embolie et les germes infectieux sont arrivés au pointmalade par les vaisseaux sanguins ou les voies lymphatiques. Dans le sang lesmicrobes passent inertes, mais s'ils arrivent en un milieu propice et s'ils s'yimmobilisent, ils agissent et prolifèrent. Ainsi, par exemple, il est des cas où,tout en déchirant le tissu cellulaire, la violence extérieure a respecté la peau •un amas de sang ou de sérosité se collecte, qui d'ordinaire ne s'enflamme pas,:

mais parfois aussi donne naissance à un abcès. Si les germes ne pénètrent pasdans ces collections, l'inflammation est conjurée; mais lorsque les vaisseaux,en se rompant, y ont versé des germes avec le sang lui-même, quand les mi-crobes s'y insinuent, fût-ce -en petit nombre, le milieu est préparé pour u.eprolifération abondante, et l'on sait la terreur qu'avant l'ère de l'antisepsieinspiraient ces épanchements.

Les agents physiques qui altèrent la vitalité des tissus favorisent encore lefoisonnement des microbes et l'apparition d'une collection purulente; l'oblité-ration des artères et des veines par une ligature ou par un caillot, l'a™rtinsuffisant du sang dans des organes mal innervés, les troubles vasculairesprovoqués par le refroidissement ont une influence incontestable sur le déve-loppement de l'inflammation. Le traumatisme, nous le savons déjà, agit d'abordpar les solutions -de continuité créées aux téguments et qui ouvrent la porteaux microbes, puis en formant des cavités anfractueuses où les germes pros-pèrent dans le sang et les sérosités épanchées, comme ils peuvent le faire danscertaines cavités naturelles, le sac lacrymal, les canaux galactophores, la vessiele bassinet et la vésicule biliaire; mais là ne s'arrête pas son rôle : les élémentsanatomiques irrités ou mal nourris n'ont plus qu'une résistance précaire etdeviennent la proie des bactéries pyogènes. Qu'on injecte des staphylocoquesans les veines d un animal dont une région a été contuse, c'est en ce point

qu ils éliront domicile et qu'un abcès s'amassera.Certaines substances introduites dans nos tissus excitent aussi l'activité desmicrobes : telles la térébenthine, l'huile de croton, le mercure, la cantharidine

1 ammoniaque et autres agents qui suffisent à eux seuls pour provoquer lasuppuration aseptique. Nous pourrions ajouter la « phlogosine », que Leber (*)

(1) LEBER, Arch. de Graefe, vol. XXVIII.

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a extraite des cultures de staphylocoques orangés et la protéine de Büchner.

Si l'on insère dans la chambre antérieure de l'œil d'un animal un tube fin con-tenant une quantité minime de ces substances, le tube se gorge de leucocytes,

tandis qu'un second, absolument pareil, mais rempli d'eau distillée, n'amène

aucune réaction inflammatoire. Aussi admet-on qu'elles ont sur les globules

blancs une influence attractive; selon la théorie de Metchnikoff, elles les appel-

lent pour détruire les microbes pathogènes qui les ont engendrées.Voici encore un fait important signalé par Odo Bujwid. D'après lui, « la

quantité de staphylocoques qui, pure, n'est pas nuisible, amène un abcès si

l'on introduit en même temps dans les tissus 1 centimètre cube de glycose à

25 pour 100. Si la solution n'est que de 12 pour 100, une seule seringue nesuffit pas, et il faut répéter l'injection quatre jours de suite. Le résultat estnégatif si l'on commence les injections quatre jours après l'introduction des

microbes. Enfin, après avoir injecté du sucre dans les veines, si l 'on inocule

les microbes sous la peau, il se produit une gangrène que l 'on peut rapprocherdes sphacèles diabétiques ». Bujwid s'est assuré que les solutions sucrées puresne provoquent pas la suppuration; elle fait encore défaut lorsque, avecles staphylocoques, on injecte un liquide indifférent, une solution de sel marin,

par exemple.Enfin, les germes pyogènes peuvent s'associer à d'autres microparasites, qui

parfois exaltent leur vitalité; les streptocoques de l'érysipèle s'unissent fré-

quemment aux staphylocoques de la suppuration et un érysipèle phlegmoneux

en est la conséquence ;les germes de la pyohémie et de la septicémie provo-

quent encore ces inflammations hybrides. Verneuil et Clado (1) ont montré queles microbes de la salive peuvent s'engager dans les vaisseaux lymphatiques,atteindre les ganglions et se mélanger au pus des adénites cervicales. Plusieursfois, en effet, ces auteurs ont trouvé des germes d'origine buccale dans les

phlegmons sous-hyoïdiens dont on connaît les tendances septiques et gangré-

neuses, tendances qu'ils tiennent peut-être des germes associés. N'est-ce pointà leur habitat même et à la présence de coli-bacilles que les abcès voisirs de la

portion sus et sous-diaphragmatique du tube digestif doivent leur fétiditéparticulière?

Symptômes. Nous ne saurions tracer un tableau général de l'inflam-mation et réunir dans un même cadre les phlegmasies des organes profonds,

cerveau, poumon, rein ou vessie, et celles des tissus plus superficiels, la peauet. les muqueuses accessibles à la vue, le tissu cellulaire sous-cutané et les

glandes qu'il enveloppe. Les premières ne nous sont révélées d'ordinaire quepar une série de symptômes dont il faut interpréter la valeur; les secondes,les seules que nous puissions décrire ici, mettent sous nos yeux les signes

mêmes par lesquels nous avons défini l'inflammation : la rougeur, la tuméfac-tion, la chaleur, la douleur.

La rougeur est constante dans les inflammations, mais son intensité varieselon la gravité de la phlegmasie et la profondeur du foyer; quand celui-ci estsuperficiel et celle-là aiguë, la peau est d'un rouge ou vif, ou sombre, ou pâle,qui diminue sous la pression du doigt. La coloration s'atténue peu à peu à

partir de la région malade et finit par se confondre avec les téguments voisins.

(1) VERNEUIL, Académiedes sciences, 3 septembre1888 et 11 février 1880.

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Disparaissant avec l'inflammation même, elle laisse souvent derrière elle, etpendant un assez long temps, des taches livides ou cuivrées qui s'accentuentlorsque la circulation s'active, après les repas, les exercices violents, une viveémotion. La rougeur est causée par l'hypérémie des tissus; les réseaux capil-laires se dilatent et livrent passage à une quantité beaucoup plus considérablede sang. Nous avons trop insisté sur ce premier stade de la phlogose pournous y arrêter encore. Parfois la rupture des petits vaisseaux et l'extravasationdes hématies contribuent à colorer la peau qui, dans ce cas, ne blanchit,lussous le doigt. p

La tuméfaction, constante comme la rougeur, est, comme elle, variablesuivant les tissus et l acuité de la phlogose

; aux paupières, au scrotum, à lalèvre, à la langue, au cou, aux membres inférieurs, elle atteint parfois

desproportions énormes. La tuméfaction dépend de causes multiples

: la distensiondes vaisseaux, l'hyperplasie des éléments fixes du tissu enflammé, enfin l'extra-vasation du plasma hors des réseaux sanguins et l'immigration des leucocytes.Aussi, les premiers jours, augmente-t-elle lorsque à l'hypérémie succèdent lastase, les exsudats séro-fibrineux et la diapédèse. Elle reste stationnaire etmême diminue quand la suppuration s'établit, puis tombe et disparaît peu àpeu avec les autres signes de la phlegmasie; mais il n'est pas rare de constaterensuite, dans un foyer vraiment éteint, une induration notable, très lente àse résoudre.

Comme la rougeur et comme la tuméfaction, la douleur n'est pas la mêntedans toutes les régions, dans toutes les phlegmasies et chez tous les individus.Les caractères en sont très variables; on la dit gravative, lancinante, brûlante,pongitivé, pulsative, excruciante; cette liste de qualificatifs pourrait s'allonger'et les homœopathes, qui se piquent, on le sait, de l'analyse minutieuse dessymptômes, ne comptent pas moins de soixante espèces de douleur. Elle diffère,en effet, pour la peau et pour le tissu cellulaire, pour les os et pour les articu-lations; elle prend une acuité particulière dans les tissus à trame serrée : quine connait les atroces souffrances provoquées par le panaris? dans chaquediastole artérielle, le sang qui afflue comprime les terminaisons nerveuses etexaspère la douleur. Elle s'apaise un peu lorsque l'abcès est formé, pour .edisparaître qu après l'évacuation spontanée ou opératoire du pus.La chaleur est un signe constant

: en appliquant la main sur la région enflam-mée, on perçoit une élévation de température très nette; le malade accuse lui-m me au niveau du foyer, une sensation de brûlure qu'il s'exagère d'ailleurscar elle ne correspond guère aux indications précises fournies par le therme-mètre, et si, aux extrémités surtout, la chaleur des. parties phlogosées estsupérieure à celle des points correspondants du membre sain, elle ne dépasse -pourtant pas la température normale des organes centraux. Dans une séried expériences mémorables, Hunter avait déjà établi ce fait et conclu que l'excèsde chaleur du foyer est dû à une circulation plus abondante et plus rapideCe te assertion trouva des contradicteurs, et, pour Zimmermann, le sang,s échauffant au contact des parties enflammées qu'il traverse, élève bientôt

fatempérature MTS 6r,: telle serait l'origine de la

Becquerel obtint par 1 exploration thermo-électrique des résultats qui semblentconfirmer cette opinion; pour 0 Weber an^i ]flLn V T q,à la

via j ? aussi, la température du sang est plusélevée a la sortie qu à 1 entrée du foyer inflammatoire. Donc il fut admisquelque temps que, du fait même de la phleg-masie. les ér.hano-^nntra;r",

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abondants, les combustions plus actives y sont la cause d'une chaleur plusgrande. Jacobsen oppose des expériences contradictoires, bientôt battues enbrèche à leur tour. En 1886, Roser soutient encore que le foyer phlegmasiqueest une source de chaleur pour L'organisme;

Maximone, au contraire, « a tou-jours trouvé la température des parties enflammées inférieure à celle du sang ».De ces affirmations en sens inverse ne peut-on inférer que, si les combustionslocales provoquent un excès de chaleur, il est si faible qu'on doit le négliger

en pratique?Ces signes locaux s'accompagnent, le plus souvent, de phénomènes généraux

dont le plus important est la fièvre. Nous ne la décrirons pas ici, car les phéno-mènes en varient selon la phlegmasie qui la provoque, et le tableau serait biendifférent de la courbe thermique à cycle régulier de l'érysipèle et de la pneu-monie, ou de quelques ascensions que donne un petit furoncle, une tourniolelégère, un phlegmon circonscrit. N'en est-il pas de même des altérations du

sang qui offre presque toujours un excès de fibrine et des leucocytes plusabondants, et où, par contre, l'albumine serait diminuée? Toutes ces modifi-cations, celles qu'on observe encore du côté du cœur, des organes respiratoireset du système nerveux ne nous attarderont pas ;

elles sont plutôt du domainede la médecine, et c'est avec « la fièvre » qu'on les étudie d'ordinaire.

La marche et la terminaison des phlegmasies ne sauraient non plus nousarrêter, tant elles diffèrent suivant la variété de l'inflammation et les tissus oules organes atteints. Disons toutefois qu'elles sont aiguës, subaiguës ou chro-niques, selon l'intensité des phénomènes locaux et généraux et la rapidité deleur évolution. Disons encore qu'elles peuvent se terminer par délitescence,lorsque la phlegmasie ne parcourt pas ses phases habituelles, mais s'éteintd'une manière rapide et complète; par résolution, lorsque, après cessation, dansles délais ordinaires, des symptômes généraux et locaux, les exsudats serésolvent et les parties enflammées font retour à l'état normal ; par indurationou hypertrophie, lorsque, après disparition de la rougeur, de la chaleur et de ladouleur, le foyer reste tuméfié et conserve une résistance particulière; paratrophie, quand le tissu cicatriciel néoformé, revenant sur lui-même, étouffeles éléments nouveaux de l'organe malade; enfin, par suppuration, ulcération etgangrène, trois processus d'une haute importance et qui feront chacun le sujetd'une description spéciale.

Traitement. — La prophylàxie des phlegmasies chirurgicales a été fondéele jour même où l'on en découvrait l'étiologie. Puisque l'inflammationest pro-voquée par les microparasites, il faut, de toute nécessité, s'opposer à leur péné-tration dans nos tissus et les y poursuivre si, par malheur, ils n'ont pu s'ycantonner. La méthode en est 'aujourd'hui bien connue :

elle se résume dansl'antisepsie, dont l'idéal est d'atteindre une asepsie parfaite. Quand une solutionde continuité accidentelle ou opératoire du tégument externe ou des muqueusesouvre une porte à l'inoculation, on oblitère la plaie, après l'avoir lavée avecdes substances parasiticides à formules innombrables. Si les tissus s'enflam-ment, lorsque le chirurgien a fait lui-même et surveillé la diérèse, il est alorsle seul coupable : il a péché contre quelque règle de technique antiseptique.

Le jour où l'on a su que les germes de la suppuration se trouvent en abon-dance sur nos mains et sous nos ongles, dans notre barbe et sur notre peau,qu'ils s'y cultivent et y prospèrent, qu'ils s'accumulent dans les anfractuosités

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de nos instruments, sur nos vêtements, sur les draps et les couvertures, lesmurs même de nos hôpitaux, on a imaginé une série de manœuvres pourles détruire partout où ils sont un danger; le lavage répété des mains, le pas-sage des instruments à l'étuve, la désinfection des vêtements, de la literie etdes salles, une propreté minutieuse, tatillonne, absolue du champ opératoire,la protection de la plaie par un pansement antiseptique ont eu le résultatimmédiat de supprimer l'inflammation. Nous n'insisterons pa&; toute chirurgierepose à cette heure sur l'asepsie, qui doit être enseignée et apprise non dansun livre, mais à l'hôpital.

Mais l'inflammation existe; le chirurgien ou le malade a laissé s'introduireles germes...; à quelle thérapeutique devons-nous recourir? Il ne peut être iciquestion que de règles générales, car nous nous proposons, pour chaque phleg-masie, d'insister sur les modifications particulières qu'impriment au traitementle tissu, la région, la variété de la phlogose. Les émissions sanguines, les sang-'sues, les onctions d'onguent mercuriel ont vécu ; à peine si, de l'ancien arsenalthérapeutique, on a conservé les mouchetures dans les inflammations œdéma-teuses des membres inférieurs, l'élévation selon la méthode .de Gerdy et la com-pression. Encore celle-ci nécessite-t-elle les soins les plus étroitsj elle doit êtrepeu intense, régulière, progressive, car, mal dirigée, elle pourrait aggraver le 1

processus et provoquer la gangrène. Si on voulait la tenter, une lame d'ouatemaintenuepar les tours imbriqués d'une longue bande de caoutchouc non passerrée, mais déroulée, pour ainsi dire, autour du membre, serait de bonnepratique, mais encore une fois, à la condition d'une surveillance rigoureuse.

L'ancien cataplasme, si longtemps le topique obligé de toute inflammation,est maintenant regardé [comme « l'opprobre », la « peste » de la chirurgie.Dans la moite température de son milieu organique, les germes qui irritentet enflamment la plaie se développent et pullulent. Par contre, grâce à sesréserves de chaleur humide, et c'est cela surtout qui en faisait la vogue, ilcalmait la douloureuse tension des tissus phlegmasiés. Or, au moyen de com-presses de tarlatane, trempées dans une solution chaude dont le type sera laliqueur de Van Swieten, et recouvertes d'une toile imperméable — taffetasgommé ou gutta-percha laminée — enveloppée d'une couche épaisse d'ouatemaintenue par quelques tours de bande, on obtient un cataplasme qui, à toutesles propriét-és du premier, ajoute l'immense mérite de ne pas se dessécher etd'être antiseptique.

La région enflammée est ainsi-placée sous une buée chaude offrant presquetous les avantages de la balnéation continue. Celle-ci, du reste, est devenued usage courant, et, depuis leur vulgarisation par Verneuil, les bains amtisep-tiques prolongés ou permanents rendent des services inappréciables. Lorsquela phlegmasie siège au membre supérieur, main, avant-bras, coude, partieinférieure du bras, on plonge la région malade dans un vase rappelant par saforme l ustensile de cuisine appelé poissonnière. Il est rempli d'une solutionantiseptique faible d'acide borique, de bichlorure de mercure ou d'-acide pké-nique; nous l employons d'habitude à une température de 40il 45 degrés.Presque aussitôt, les douleurs lancinantes ou pulsatiles s'apaisent, la sensationde brûlure et de tension s 'atténue, la tuméfaction diminue, l'inflammation cessed'être envahissante; elle se limite -et, là où l'on craignait-une suppurationabondante, un petit abcès se collecte dont on pratique l'ouverture suivant lesrèg-les que nous aurons bientôt à tracer.

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Sur les points où la balnéation prolongée n'est pas applicable, à la figure eth la tête, au cou, sur le tronc, au niveau des organes génitaux ou des membresinférieurs, Verneuil a proposé l'emploi de la pulvérisation antiseptique à l'aidede la marmite de Championnière, cet instrument qui, dans le pansement pri-mitif de Lister, servait à pratiquer le « spray ». On en charge le récipientd'une solution antiseptique faible, acide phénique à 2 pour 100, acide borique

à 4 pour 100, liqueur de Van Swieten dédoublée, puis, après avoir protégé les

autres régions d'une toile imperméable, taffetas 'gommé, gutta-percha laminée

ne laissant à découvert que la partie affectée, on met la marmite en position,

à 25 centimètres environ du foyer malade sur lequel on dirige le jet de vapeuf.Chaque séance peut durer une demi-heure, une heure, deux heures; on la

renouvelle trois fois par jour. Lorsque la phlegmasie est limitée, que la col-

lection purulente est ouverte et granulée, on suspend les pulvérisations, sauf

à les reprendre à la moindre alerte.Mais dans l'intervalle des bains prolongés ou des pulvérisations, le foyer sera

protégé sous des compresses de tarlatane humides, antiseptiques et chaudes,

recouvertes d'une toile imperméable et entourée d'ouate, dont nous avons parlé-plus haut. Ou peut-être mieux, car la question est toujours à l'étude, serait-il

bon d'avoir recou-rs, après les séances de balnéation, non à un pansementhumide, mais à un pansement sec moins propice à la pullulation des germespathogènes. Nous suivons depuis peu cette pratique et nous n'avons qu'à

nous en louer. - Depuis que ces modes de traitement si simple sont appli-

qués d'une manière systématique, le pronostic des phlegmasies superficielles achangé :

panaris, phlegmons diffus, érysipèles, furoncles et anthrax sont aujour-d'hui des affections bénignes et les nouveaux venus dans nos hôpitaux ignorentles dangers formidables auxquels l'inflammation exposait jadis les malades.

II -ABCÈS

On nomme -abcès toute collection purulente qui se creuse une cavité auxdépens des tissus qu'elle détruit ou refoule. — On en distingue deux grandes

espèces, les abcès chauds qui succèdent aux inflammations franches et les abcès

froids dus à la liquéfaction de masses tuberculeuses. Mais -il en est d autres

que nous appellerons systématiquement « chroniques » pour les distinguer des

abcès froids tuberculeux et qui méritent une description particulière.

1. ABCÈS CHAUDS

Historique. — Comme les inflammationsdont ils dérivent, les abcès chauds

sont connus depuis qu'il existe une médecine écrite ou même traditionnelle,

mais on en pourrait faire dater la description didactique du mémoire de David

à l'Académie royale de chirurgie. Nous signalerons les articles de Heurteloup,

de Roux, de Dupuytren, de Roux et Béraïd, de Denonvilliers et de Laugier

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dans les grands dictionnaires de médecine publiés en France depuis le com-mencement du siècle; parmi une foule d'autres travaux nous citerons

:

VELPEAU, Abcès. In Arch. gén. de méd., t. XII, p. 494, 1826, et t. XIII, p. 181,1827, et Abcèsfétides. In Clin. chir., t. III, p. 371, 1841. — DELPECH, Mémorial des hôp. du Midi, t. I, p. 1881.Montpellier, 1829. — CHASSAIGNAC, Traité de la suppuration et du drainage chirurgical, 1859.

— ÛGSTON, Ueber Abcesse..In Arch. für klin. Chir., t. XXV, p. 588. Berlin, 1880. — MONOD,Perforationdes artères au contact du foyer purulent. In Bull. de la Soc. de chir.., p. 666 et 757,1882.- NEPVEU, Pathogéniedes abcès fétides. In Revue de chirurgie, p. 362, 1885.- MAURICELETULLE, Pus et suppuration. In Encyclopédie des Aides-Mémoire de Léauté, 1894.

Anatomie pathologique. — D'après notre -définition même, l'abcès estconstitué par une collection purulente et par une cavité de formation nouvellequi limite cette collection. Nous allons, dans notre description anatomique,suivre cette division et, à l'exemple des classiques, étudier d'abord le contenude l'abcès, le pus, puis son contenant, la poche ou les parois que l'on nommaitjadis « la membrane pyogénique ».

Nous connaissons déjà l'origine du pus : la pénétration des microbes pyogènesdans les tissus a provoqué l'issue hors des vaisseaux de globules blancs et dequelques globules rouges, puis de matières albumineuses-et fibrineuses' quecède le plasma sanguin; d'autre part, les cellules fixes du foyer phlegmasiéprolifèrent. Cette néoplasie inflammatoire comprime bientôt le réseau capillaireoblitéré, les éléments anatomiques, faisceaux et fibrilles qui régressent et

.résolvent en granulations plus ou moins volumineuses

: l'exsudat, d'abordsolide, se ramollit, puis devient tout à fait liquide, et le 'pus proprement dit setrouve constitué.

Le pus des inflammations franches, le « pus louable », est un liquide opaque,jaunâtre, crémeux, gras au toucher, d'une odeur « animale

» particulière, d'unesaveur fade et douceâtre et d'une réaction alcaline. Mais chacun de ces carac-tères peut se modifier

: la consistance n'est pas toujours la même; le pus estparfois très épais, à peine fluide, presque caséeux lorsqu'une partie du liquidequi le compose a été résorbée; parfois, au contraire, il est séreux, presquetransparent, bien que troublé par des flocons albumineux chargés de leucocytes.Sa couleur, d'ordinaire jaune pâle, peut être grise comme celle du mastic,rougeâtre ou verdâtre. La variété du micro-organisme pathogène exerce soninfluence sur la nuance du pus, jaune avec le staphylocoque-doré et blâme avecle staphylocoque blanc, mais la quantité d'hématies extravasées dans le foyerinflammatoire joue aussi un rôle capital par la transformation de leurs matièrescolorantes qui donnent à la collection des teintes rouges, vineuses, rouillées eumême noires. La texture des organes même est à considérer : le pus du foieest ordinairementd 'un jaune rouge et celui du cerveau d'un jaune vert presquecaractéristique; celui des os, grisâtre et mélangé de graisse.

Dans quelques cas, bien étudiés maintenant, le pus prend une remarquablecoloration bleue qui se manifeste, il est vrai, non au moment de -sa formationet lorsqu 'il s échappe de l 'abcès, mais sur les linges du pansement. On savaitque cette teinte particulière est due à la présence d'un micro-organisme

: Robinl avait affirmé dès 1853 et, en 1868, nous avons assisté aux cultures qu'en faisaitBroca sur l'albumine de l'œuf. Mais les recherches de Charrin (1) ont, enquelque sor te, un caractère définitif. Cet auteur a isolé un microcoque rond,

(*) CHARRIN,Bulletin de la Soc. anatom., 26 décembre 1884.

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aérobie, à protoplasma transparent, qui colore en vert les bouillons de culture,d'où, par le chloroforme, on peut extraire une couleur bleue semblable à celle

du pus bleu, la pyocyanine déjà découverte par Fordos. Il est plus difficile

d'expliquer la teinte verdâtre de certains abcès du cerveau.L'odeur du pus ne peut guère se définir : lorsqu'il est louable, disait Boyer,

cette odeur est préférable à celle de la rose. Cet avis n'est guère partagé;beaucoup la trouvent nauséeuse, rappelant un peu celle du sperme; parfois

elle estAigrelette, sulfurée, ammoniacale, putride même : on sait les émanationsrepoussantes de certaines collections développées dans la bouche, les amygdales

et le pharynx, l'intestin, le rectum, les parois abdominales et les grandes lèvres ;

les abcès périnéaux dus à une infiltration d'urine peuvent avoir une odeur dite

de souris. Les abcès qui apparaissent au décours de certaines maladies graves,la fièvre typhoïde, la variole et la scarlatine, ont aussi, dans quelques cas, unefétidité extraordinaire; on connaît l'odeur que prennent les collections puru-lentes des os dans l'ostéomyélite prolongée. Il en est de même de quelquessuppurations chez les diabétiques, mais ici la gangrène introduit souvent unfacteur nouveau.

Ces abcès fétides se rencontrent donc de préférence autour du tube digestif

et des orifices qui s'ouvrent au périnée; aussi a-t-on expliqué l'odeur qu'ils

dégagent par la présence du coli-bacille dans leur cavité. La seule pénétrationde l'air dans la poche purulente suffirait pour provoquer des fermentationsputrides. Cette opinion a été consacrée depuis les recherches des quinze der-

nières années, et Nepveu a prouvé, dans plusieurs mémoires, que le pus des

abcès fétides renferme un nombre considérable de bactériens venus, tantôt du

dehors jusqu'au milieu du foyer inflammatoire avec quelque corps étranger,tantôt du dedans — voies digestives ou urinaires — et migrant par la voielymphatique après quelque éraillure de la muqueuse. Passet a "trouvé sonbacille pyogène fétide dans une collection de la région anale. On admet encore

que parfois, surtout dans les abcès des fièvres graves, les vaisseaux sanguins,ulcérés ou rompus, peuvent inoculer la collection purulente avec les microbesqu'ils roulent.

L'alcalinité du pus varie selon là quantité de phosphate et de carbonate qu'ilcontient; mais, dans quelques cas fort rares, la réaction en est neutre; elle estmême acide dans les suppurations de la vaginite, ce qu'on expliquerait par la

présence d'un acide organique, l'acide pyique ou l'acide chlorrhodinique. Ladensité est ordinairement de 1030 à 1035, mais elle peut osciller dans des

limites encore plus étendues, descendrejusqu'à 1 020 et remonter jusqu'à 1 040.

Ajoutons que le pus est coagulable par la chaleur, comme i'albumine, et que,si on le laisse un certain temps au repos dans un vase, il se sépare en deux

couches distinctes : une, superficielle, là plus considérable, liquide et presquetransparente, le sérum, qui, en volume, représente un peu plus des trois quartsde la masse totale ; une seconde, solide, ies globules purulents qui gagnent le

fond et forment une masse gluante et boueuse; le sérum et les leucocytes nesont pas en proportions immuables; le premier compte pour 7, 8 ou 9 dixièmes;

les seconds pour 3, 2 ou 1 dixième; 8 dixièmes d'une part et 2 dixièmes de

l'autre constituent les chiffres les plus ordinaires.Les globules purulents nous sont connus : ce sont surtout des leucocytes

issus par diapédèse des réseaux vasculaires; ils peuvent être vivants encore etl'on voit leurs prolongementspseudopodiques; le plus souvent ils sont morts et

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déjà leur protoplasme est granuleux, opaque, surchargé degraisse; ils ont unou plusieurs noyaux que décèlent l'acide acétique et la teinture d'iode. Ondistingue plusieurs variétés d'éléments r- les grosses cellules blanches mono-nucléaires, les leucocytes éosinophiles, les leucocytes polynucléaires, les cor-puscules de Glüge formés peut-être par des amas de cellules agglomérées, de

grosses cellules, vestiges des endothéliums des cavités et des vaisseaux, descellules adipeuses vidées de leur contenu et des cellules fixes du tissu con-jonctif. On trouve encore dans le pus de petites cellules blanches, des lympho-cytes, des éléments embryonnaires et une foule de fragments pulvérulents,

détritus des cellules précédentes et des divers éléments constitutifs du foyer :

fibres conjonctives, fibres élastiques, hématies, cristaux de diverses natures.Ajoutons les parasites animaux qu'on y rencontre, les échinocoques, les cysti-cerques, les distomes, les filaires, les strongles, les ascarides, les oxyures, lescoccidies et les parasites végétaux, parmi lesquels l'oïdium, l'aspergillus, enfintoute la série des microbes accidentellemènt ou habituellement pyogènes etdont nous avons donné déjà la nomenclature.

Les leucocytes donc ne tardent pas à subir des altérations profondes aumilieu du foyer inflammatoire; ils se chargent de graisse, leur substance sedésagrège et se résout en granulations de volume variable. D'autres fois, surtoutlorsque le sérum s'est résorbé, la masse demi-solide des globules blancs setransforme progressivement en un foyer caséeux qui se dessèche, devient deplus en plus dur, comme crayeux et souvent infiltré de dépôts calcaires; lamoindre pression le réduit en une poussière impalpable que le microscopenous montre, sous la forme de corpuscules ratatinés et anguleux, perdus, nousl'avons dit, au milieu des autres éléments figurés que l'on trouve encore dansle pus : hématies, cellules épithéliales, trame désagrégée des tissus, débris defibres élastiques, gouttelettes huileuses, parcelles d'os, cristaux de cholestérineet cristaux d'acides gras.

Le sérum, séparé par filtration des globules du pus, est un liquide transpa-rent, jaune verdâtre et- qui, par la chaleur ou l'acide nitrique, coagule son albu-mine et se prend en masse; il contient, outre des composés albuminoïdes, dela lécithine, de la cholestérine, des corps gras, du chlorure de sodium, descarbonates et des phosphates auxquels il doit son alcalinité. Mais tandis queles sels sont surtout en abondance dans le sérum, les matières grasses et lessubstances albuminoïdes se rencontrent dans les globules blancs. Rien n'estmoins fixe que la proportion des divers principes du pus, et chacune des

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analyses fournies par les auteurs diffère de celle qui la précède et de celle qui

la suit.Le pus avec ses globules et son sérum — voilà le contenu de l'abcès ; disons

maintenant comment se forme la cavité. Nous connaissons le nodule toxi-infec-

tieax primitif :les germes qui ont pénétré et pullulé en un point du tissu

connectivo-vasculaire ont produit, par la sécrétion de leur toxine, une nécrose

aiguë avec liquéfaction de tous les éléments constitutifs du nodule, cellules,

fibres et vaisseaux de toutes sortes; en même temps survient l'hyperdiapédèse,

la clasmatose et l'afflux des cellules blanches qui dissocient les tissus voisins, encomprimentet en détruisent même la charpente, toutes les travées conjonctives.

Pour peu que le processus soit actif, les nodules toxi-infectieux se multiplient,

se réunissent et, par leur coalescence, forment un espace de capacité plus oumoins considérable, rempli d'un magma « composé de matières protéiques, de

graisse, d'albumine et de nucléine pulvérulente qui composent, avec les sels et

l'eau, la majeure partie du sérum purulent ». Mais aux limites de ces foyers,

l'action des microbes et de leur toxine s'atténue; les lésions deviennent de plus

en plus discrètes et l'on arrive dans une zone où l 'on assiste à de véritablesphénomènes réactionnels : le tissu connectivo-vasculaire y est le siège d'unevie exubérante et l'on constate, dans toutes les cellules, la division directe des

noyaux ou les multiples figures de la karyokinèse. Ces travaux défensifs ont

pour conséquence la formation d'une membrane que l ancienne chirurgie, avecDelpech, nommait «

pyogénique » et qui limite une cavité que traversentparfois des vaisseaux, des nerfs, des lambeaux de tissu fibreux ayant résisté auprocessus destructeur. Les parois en sont irrégulières, tomenteuses et tapisséesde fibrine retenant dans ses mailles des leucocytes abondants.

Ce n'est pas ici le lieu d'insister sur la structure de cette m-embrane granu-leuse et sur les bourgeons charnus qui en forment la trame : nous le feronslorsque nous étudierons la cicatrisation des plaies. Mais disons que, la plupartdu temps, elle se constitue aux dépens du tissu conjonctif dans l'épaisseurduquel l'abcès s'est développé ;

cependant il n'en est pas toujours ainsi et unedes parois de la collection s'adosse à une aponévrose, un- muscle, des tendons,

une membrane séreuse, un os, des vaisseaux ou des nerfs qui réagissent d unefaçon différente contre les attaques des agents phlogogènes; ils résistent mieux

que les mailles lâches du tissu conjonctif, terrain le plus propice à la propa-gation de l'inflammation.

Les aponévroses et les tendons sont d'une trame trop serrée pour se laisserenvahir par le processus inflammatoire; il se dépose à leur surface un légerréticulum fibrineux, mais il faut que le phlegmon soit intense pour provoquerdes troubles plus profonds — la destruction de leurs vaisseaux nourriciers et

une nécrose consécutive ; le tissu perd alors sa blancheur nacrée et prend unecoloration terne, grise ou verdâtre, caractéristique. Les muscles, lorsqu'ils nesont pas protégés par une épaisse membrane fibreuse, ont une résistancebeaucoup moindre, et l'on sait les dégâts que provoquent les anthrax propagés

aux masses charnues, la destruction du psoas et de l'iliaque dans certainessuppurations du bassin. Le staphylocoque doré, d'ailleurs, n'a-t-il pas la

propriété de transformer en peptone soluble la fibrine insoluble -de la substancemusculaire?

On a cru que les os et leur périoste résistaient mal au foyer de voisinage ;

mais on confondait le phlegmon des parties molles avec l'ostéomyélite qui

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soulève et détruit le périoste; au contraire, ce dernier arrête presque toujoursles nappes purulentes qui se forment en dehors de l'os. Il en est de même desmembranes séreuses ; au fur et à mesure que le pus s'achemine vers elles, leurendothélium prolifère et des couches protectrices nouvelles se joignent auxanciennes pour s'opposer à l'inondation de la cavité viscérale. On cite néan-moins de nombreux exemples où un processus inflammatoire, né dans un desorganes de l'abdomen, a fini par ouvrir le péritoine. Même résistance habituellede la part des nerfs dont les enveloppes fibreuses s'épaississent

: il est t..nt. àfait exceptionnel de voir le cordon s'entameret des troubles fonctionnels en être la consé-quence.

Les gros vaisseaux, artères et veines, restentlongtemps sans altération sensible au milieud'un foyer purulent; mais on a eu tort d'élevercette immunité à la hauteur d'une règle sansexception, et, aprèsLe Dentu, Perrier et Hum-bert, Ch-arles Monod présentait à la Société dechirurgie un rapport où il montrait, en s'ap-puyant sur 88 observations, que, au coursd une affection inflammatoire, une artère peutse perforer, provoquant ainsi une hémorragieordinairement foudroyante. Dans le plus grandnombre de ces cas, il s'agissait d'abcès parcongestion où il est possible de mettre l'ulcé-ration des parois vasculaires sur le compted'une dégénérescence tuberculeuse, mais 57faits au moins se rapportaient à des phlegma-sies franches des amygdales, de la parotide,

des vaisseaux et des ganglions lymphatiques.Certaines causes favorisent ces perforations-artérielles

: un corps étranger,par exemple, ulcère la paroi des vaisseaux - il est des cas où un drain a jouéce rôle — ; quelques observations incriminent un fragment d'os, un séquestredétaché d 'un foyer d'ostéomyélite

; d'autres fois le chirurgien a contusionnél'artère par quelque manœuvre inopportune. Un- mauvais état général, quelquedyscrasie profonde peut être un adjuvant utile, en amoindrissant la résistancedes tissus. Mais, par contre, l examen attentif des faits ne parvient à releveraucune cause prédisposante, et la seule action du pus sur la paroi artérielledoit être invoquée. Depuis le mémoire de Monod, quelquesnouveaux exemplesd ulcération d artère au cours d'une inflammation ont été recueillis, entre autrespar Bertin, Terrillon, Gillette et Bouilly. En 1889, de Larabrie(1) a publié uncas fort intéressant de perforation de la poplitée dans un foyer d'ostéomyéliteancienne.

Nous serons brefs sur les modifications anatomiques que l'abcès peut subirdans son évolution ultérieure. Le pus collecté disparaît parfois

: cette terrai-naison, exceptionnelle d'ailleurs, est mal connue; la partie séreuse se résorbantd 'abord, les globules subiraient la régression granulo-graisseusepour finir, euxaussi, par être digérés par «

les phagocytes », « les macrophages », « écumeurs.

(') DE LARADRIE, Revue de chirurgie, D. 143. 1889

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des tissus vivants 3. Mais, dans l'immense majorité des cas, le pus s'ouvre unpassage vers l'extérieur, arrive sous la peau qu'il ulcère, puis évacue soncontenu. Le foyer se rétracte alors, les parois se juxtaposent, et il se fait unecoalescence de leurs membranes granuleuses respectives; mais lorsque l'accole-

ment est impossible par suite de la rigidité des tissus, la perte de substance

doit se combler par une exubérante prolifération de bourgeons charnus ; sanscela, une fistule s'organise et la suppuration ne se tarira pas.

Étiologie. — Nous n'avons pas à revenir sur la cause immédiate des abcès

chauds:

l'introduction dans les tissus d'un microbe pyogène est nécessaire et,

au point de vue clinique, nous tenons la discussion pour épuisée. Témoin lesrecherches de Christmas qui, dans les collections purulentes, a toujours trouvéles staphylocoques;témoin celles d'Ogston(1) qui, sur 74 abcès chauds examinés

avec les précautions les plus rigoureuses, a rencontré 74 fois des micro-orga-

nismes; ces travaux ont été contrôlés par Cornil(2), qui les appuie de sa hauteautorité. Parfois, dit cet auteur, le liquide peut ne pas contenir de bactéries,

sans doute détruites ou mortes, mais alors les parois de l'abcès en sont infiltrées.Les microbes pyogènes les plus habituellement trouvés dans les collections

ne sont pas les seuls à provoquer la formation du pus ; outre les staphylocoquesorangés, blancs, citrins, flavescents, le streptocoque pyogène, le microcoqueténu, le bacille fétide, la bactérie de Clado et d'Albarran, celle de Héricourt etCharles Richet, l'injection dans les tissus du Bacillus anthracis, du Proteusvulgaris, du Microcoçcusprodigiosus, du bacille du choléra des poules a pu pro-voquer l'apparition d'abcès. La clinique confirme l'existence de ces collectionspurulentes dues à l'activité de microbes autres que les germes ordinaires de

la pyogenèse : dans certains abcès on n'a trouvé que des pneumocoques,dans d'autres que les bacilles de la fièvre typhoïde, dans d'autres"encore quedes coli-bacilles. Aussi peut-on en conclure que la pyogenèse n'est pas dévolue

à des microbes spécifiques : la suppuration doit être considérée comme le mode

de réaction du tissu cellulaire -contre un grand nombre d'espèces micro-biennes. Mais il n'en reste pas moins établi que les microbes pyogènes propre-ment dits jouent le rôle prépondérant dans les suppurations chirurgicales :

sur un total de 495 abcès relevés par Courmont, d'après les statistiques deplusieurs auteurs (5), les divers staphylocoques comptent pour 71 sur. 100, lesstreptocoques pour 16, les deux réunis pour 5 et les autres sont exceptionnels.La statistique de Karlinski n'est point différente : le staphylocoque doré yprend 82 cas, le blanc 55, le citrin 7, le streptocoque 45 et les divers autresmicrobes 11 seulement. *

Si les microparasites sont nécessaires à l'apparition d'un abcès, ils ne sont

pas toujours suffisants, et nous avons déjà vu, à propos de l'inflammation, quel'organisme peut se défendre et parfois victorieusement. Aussi devons-nousénumérer ici les causes qui enlèvent à nos tissus leur force de résistance et lesmettent à la merci d'une inoculation; nous devons encore examiner de quellefaçon les germes extérieurs franchissent le tégument externe ou le tégumentinterne, les muqueuses ou la peau, pour pénétrer dans les milieux intérieurs oùils pulluleront.

' OGSTON. The British med. Journ., 12 mars 1881.H CORNIL: Société de biologie, 22 décembre 1885.(3) COURMONT, Staphylococcie. In Traité de médecineet de thérapeutique,t. I, p. 5321.