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1 La Viva…échanges culturels avec la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la Serbie. 1995 / 2009 1/ Préambule J’ai préparé cette intervention en deux parties : - tout d’abord un exposé sur l’histoire récente des pays de l’ex-Yougoslavie - dans un deuxième temps, je retracerai l’historique de La Viva et de notre projet d’échanges culturels avec la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la Serbie. J’ai rédigé l’historique des événements qui se sont produits dans cette partie du monde, en me basant sur les enseignements que nos partenaires nous ont transmis à l’époque où nous concevions les orientations de ce projet. Car nous avons eu la chance, et le privilège, de rencontrer de nombreux consultants et conseillers mondialement renommés, qui nous ont manifesté leur soutien sans réserve. Je vous dresse la liste de ces personnalités : Paul Garde : historien, écrivain, considéré comme un des meilleurs spécialistes de l’histoire de l’ex - Yougoslavie. Auteur de plusieurs ouvrages dont le plus connu est : « Vie et mort de la Yougoslavie ». Régulièrement invité sur les plateaux de radios et télévisions d’audience nationale, auteur de nombreux articles dans les colonnes de grands quotidiens, spécialiste des langues slaves, il s’est exprimé publiquement afin d’alerter l’opinion sur le drame qu’allaient subir les populations civiles de ces pays. Paul Garde a été fréquemment cité comme témoin au Tribunal Pénal International de La Haye. Il nous a reçus à deux reprises à son domicile pour nous orienter vers une multitude d’interlocuteurs incontournables. Nicolas Pétrovid Negosh : petit fils du roi Nicolas du Monténégro. La royauté n’est évidemment plus d’actualité au Monténégro, mais Nicolas conserve le titre, purement honorifique de prince héritier, et conserve une grande notoriété dans les Balkans. Pendant la guerre, il s’est publiquement exprimé et a déclaré : « c’est une guerre inutile et honteuse. Tous les habitants de ces pays, quel que soient les changements qui se produisent, doivent être considérés comme des citoyens à part entière et respectés comme tels ». Les ultranationalistes l’ont clairement menacé de mort. C’est lui qui nous a convaincus de réaliser ce projet avec d’autres ONG, dont l’association « ISBOR » qu’il a fondée pour proposer un soutien juridique aux victimes de la guerre. Il m’accompagnait pendant mon premier voyage en Bosnie et en Croatie en novembre 1996. Dragui Najman : correspondant permanent pour la Yougoslavie à l’UNESCO. Dragui Najman nous a précieusement épaulé dans nos toutes premières démarches. Léon Davico : infatigable militant de la paix, Léon Davico s’est activement engagé dans de multiples projets humanitaires, notamment aux côtés de Danielle Mitterrand avec l’association « France Liberté ». Jovan Divjak : Général dans l’armée de Bosnie. Avant la fin des agressions armées, Jovan Divjak qui avait recueilli un enfant réfugié dans une cave, a décidé de rendre ses galons et de s’occuper des orphelins et des enfants de victimes de la guerre. L’association qu’il a fondée « Obrazovanje Gradi BiH » L’Education construit la Bosnie ») milite pour le droit à l’éducation de tous les enfants et parraine encore aujourd’hui plus d’un millier d’enfants et adolescents. Nous travaillons depuis 2001 sur ce projet en coproduction avec cette association. Jovan Divjak est aussi l’auteur du livre « Sarajevo mon amour ».

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La Viva…échanges culturels avec la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la Serbie. 1995 / 2009 1/ Préambule J’ai préparé cette intervention en deux parties :

- tout d’abord un exposé sur l’histoire récente des pays de l’ex-Yougoslavie - dans un deuxième temps, je retracerai l’historique de La Viva et de notre projet d’échanges

culturels avec la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la Serbie. J’ai rédigé l’historique des événements qui se sont produits dans cette partie du monde, en me basant sur les enseignements que nos partenaires nous ont transmis à l’époque où nous concevions les orientations de ce projet. Car nous avons eu la chance, et le privilège, de rencontrer de nombreux consultants et conseillers mondialement renommés, qui nous ont manifesté leur soutien sans réserve. Je vous dresse la liste de ces personnalités : Paul Garde : historien, écrivain, considéré comme un des meilleurs spécialistes de l’histoire de l’ex-Yougoslavie. Auteur de plusieurs ouvrages dont le plus connu est : « Vie et mort de la Yougoslavie ». Régulièrement invité sur les plateaux de radios et télévisions d’audience nationale, auteur de nombreux articles dans les colonnes de grands quotidiens, spécialiste des langues slaves, il s’est exprimé publiquement afin d’alerter l’opinion sur le drame qu’allaient subir les populations civiles de ces pays. Paul Garde a été fréquemment cité comme témoin au Tribunal Pénal International de La Haye. Il nous a reçus à deux reprises à son domicile pour nous orienter vers une multitude d’interlocuteurs incontournables. Nicolas Pétrovid Negosh : petit fils du roi Nicolas du Monténégro. La royauté n’est évidemment plus d’actualité au Monténégro, mais Nicolas conserve le titre, purement honorifique de prince héritier, et conserve une grande notoriété dans les Balkans. Pendant la guerre, il s’est publiquement exprimé et a déclaré : « c’est une guerre inutile et honteuse. Tous les habitants de ces pays, quel que soient les changements qui se produisent, doivent être considérés comme des citoyens à part entière et respectés comme tels ». Les ultranationalistes l’ont clairement menacé de mort. C’est lui qui nous a convaincus de réaliser ce projet avec d’autres ONG, dont l’association « ISBOR » qu’il a fondée pour proposer un soutien juridique aux victimes de la guerre. Il m’accompagnait pendant mon premier voyage en Bosnie et en Croatie en novembre 1996. Dragui Najman : correspondant permanent pour la Yougoslavie à l’UNESCO. Dragui Najman nous a précieusement épaulé dans nos toutes premières démarches. Léon Davico : infatigable militant de la paix, Léon Davico s’est activement engagé dans de multiples projets humanitaires, notamment aux côtés de Danielle Mitterrand avec l’association « France Liberté ». Jovan Divjak : Général dans l’armée de Bosnie. Avant la fin des agressions armées, Jovan Divjak qui avait recueilli un enfant réfugié dans une cave, a décidé de rendre ses galons et de s’occuper des orphelins et des enfants de victimes de la guerre. L’association qu’il a fondée « Obrazovanje Gradi BiH » (« L’Education construit la Bosnie ») milite pour le droit à l’éducation de tous les enfants et parraine encore aujourd’hui plus d’un millier d’enfants et adolescents. Nous travaillons depuis 2001 sur ce projet en coproduction avec cette association. Jovan Divjak est aussi l’auteur du livre « Sarajevo mon amour ».

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Slobodan Šoja : Ambassadeur en France de la Bosnie-Herzégovine pendant 4 ans, Slobodan nous a ouvertement soutenu dans la conception et la réalisation de notre projet. D’origine serbe, professeur à la Sorbonne, ce grand humaniste a toujours proclamé son désir d’entente entre toutes les ethnies. En 2002, il a invité à se produire au Palais de l’UNESCO le groupe « PONTANIMA », une chorale fondée par le père Marcovid, qui interprète des chants de confession catholique, orthodoxe, juive et musulmane, mais aussi des oeuvres profanes. Arnaud Vaulerin : journaliste à « Libération ». Auteur avec Isabelle Weisselingh du livre « La Mémoire à vif » sur les camps d’internement de civils en Bosnie. Catherine Trautmann : Ministre de la Culture, que nous avons rencontré à Clermont-Ferrand lors d’une visite officielle et qui nous a recommandé auprès de l’ Agence Française Artistique, une institution directement rattachée au Ministère des Affaires Etrangères. Général Morillon : Chef de la FORPRONU, commandant des casques bleus en Bosnie, il a tenu tête aux plus grands chefs d’état dans la triste affaire de Srebrenica mais s’est aussi heurté aux incohérences de l’armée Serbe de Bosnie, ce qui lui vaut des appréciations très controversées. Il n’en reste pas moins qu’il nous a conseillé et soutenu dans notre action. Francis Bueb : directeur de la communication de la FNAC, Francis a quitté son emploi pour se consacrer à l’ouverture du Centre Culturel André Malraux à Sarajevo tout au début de la guerre. Pendant ces événements, il animait un festival international du cinéma. Il a dépêché à plusieurs reprises de nombreuses personnalités du monde littéraire et du cinéma pour alerter l’opinion sur le drame de Sarajevo. En plus des personnes que je viens de citer, nous avons eu l’occasion de rencontrer à cette époque, différentes personnalités : ambassadeurs de France et leurs conseillers culturels en Bosnie et en Croatie, ambassadeurs de Bosnie, Croatie et Serbie en France, ainsi que des représentants de l’UNHCR, des soldats et officiers de la FORPRONU, des ministres ou attachés ministériels, ( particulièrement en Bosnie-Herzégovine où les subdivisions politiques par cantons, rendent ces contacts beaucoup plus faciles que dans notre pays ), des élus à différents niveaux de responsabilités des états, des journalistes, des éditeurs, des artistes et bien sûr, des responsables d’associations dans le domaine culturel et humanitaire : « Mir Sada », « Pour que vive Sarajevo », « France Libertés »… C’est donc en me basant sur les enseignements et témoignages de tous ces consultants que je vous propose la lecture de cet exposé. Il est bien évident que je n’ai ni la compétence d’un conférencier, encore moins celle d’un historien, et que ce récit ne retrace que la réflexion que nous avons pu développer sur cette partie du monde, au travers de notre projet d’échanges culturels. En outre, je ne saurais trop vous conseiller d’approfondir vos connaissances sur le sujet, en vous procurant les ouvrages qui font référence sur l’histoire et l’actualité des pays de l’ex-Yougoslavie :

- « Histoire des Balkans » de Georges Castellan. Fayard - « Vie et mort de la Yougoslavie ». Fayard. Paul Garde - « Yougoslavie : suicide d’une nation Européenne », vidéocassette de 5 heures, éditée par

Canal+Vidéo.

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2/ Exposé : les événements qui se sont produits de 1989 à 1995 dans ces pays Après la mort du Maréchal Tito au mois de mai 1980, la Yougoslavie allait vivre une des pages les plus difficiles, et les plus sanglantes de son histoire. Il faut rappeler qu’à l’époque de Tito, le pays reconnaissait toutes les minorités. En dépit du caractère autoritaire de ce régime, tous les individus, quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse, étaient égaux devant la loi et l’état. Certes, le regroupement de différentes provinces et pays sous l’égide de la Yougoslavie ne satisfaisait pas forcément tout le monde, mais on pouvait cohabiter sans risquer d’être autrement interpellé que sous le titre de citoyen à part entière. Comme de nombreux pays du monde, la Yougoslavie souffrait de tensions internes, qui opposaient différentes populations. Mais ces tensions n’étaient pas proportionnellement révélatrices. Ce n’est que vers la fin des années 80 que de plus graves incidents et provocations devaient agiter les foules, notamment au Kosovo où les Albanais subissaient de nombreuses agressions Serbes. Mais pour autant, de nombreux Serbes faisaient régulièrement l’objet de ripostes sévères et de provocations. A l’occasion d’une visite à Pristina de Slobodan Milosevic, qui n’était pas encore chef d’état, de violents affrontements se déroulèrent dans la rue. Au lieu de prendre une position digne d’un prétendant aux plus hautes fonctions, et d’apaiser les esprits, Milosevid prit immédiatement parti pour les Serbes, considérant qu’ils étaient insultés et maltraités par ces Albanais du Kosovo dont il allait bien vite les débarrasser. Un document filmé par la BBC témoigne de ces instants terribles qui devaient précipiter tout le pays dans cette guerre fratricide, mais aussi accélérer l’ascension de Milosevid. Je me permets de retracer cet événement parmi bien d’autres tout aussi désespérants, pour décrire un phénomène qui, à cette époque, a complètement échappé à tout le monde, et sur lequel nous avons basé un certain nombre de réflexions cruciales pour l’avenir de notre projet. La réputation légendaire de cette partie du monde, où tout le monde ne cherche soi-disant qu’à s’entretuer, n’attendait que cette occasion pour ressurgir. Or, tous les consultants qui nous ont précieusement épaulés dans la construction de notre projet, nous ont très vite appris le contraire. S’il est vrai que des tensions inter ethniques ont souvent secoué ces pays, il s’avère que certaines régions de Bosnie, Croatie et Serbie, sans oublier le Kosovo, la Macédoine, la Slovénie, étaient des foyers de fusionnement culturel, ethnique et religieux, que les meilleurs spécialistes, en géopolitique, sociologues et historiens, considéraient comme un exemple unique au monde. En d’autres termes, avant cette guerre de 1989/1995, on ne subissait pas plus, voire moins de malaises dans ces pays que n’en accusait la France au cours des trente dernières années. Quand je suis arrivé à Sarajevo au mois de novembre 1996 par le premier avion civil autorisé à atterrir en Bosnie-Herzégovine, je découvrais ce qui restait d’une ville dévastée par des attaques d’une brutalité inimaginable, mais je rencontrais surtout une population complètement à genoux, profondément meurtrie et choquée par un siège qui avait duré plusieurs années. La lâcheté et la cruauté de leurs agresseurs l’avaient plongée dans un état de choc irréversible.

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En dépit de la disparition de milliers d’entre eux, des blessures, des humiliations, du manque d’hygiène, de la malnutrition, certains habitants de Sarajevo s’obstinaient toujours à clamer leur attachement à leurs valeurs et à leurs habitudes. A titre d’exemple, le couple qui me logeait se composait d’un homme croate, catholique, marié à une femme bosniaque, musulmane et d’entrée de jeu, ils exprimaient ceci : « on ne comprend toujours pas pourquoi ils ont voulu chasser des gens comme nous ; on était des milliers à nous entendre et à vivre heureux…moi je vais toujours à la mosquée alors que je suis catholique, mais ça fait plaisir à ma femme…ses prières ne sont pas les miennes mais je suis avec elle, et elle, elle assiste à la messe tous les dimanches pour m’accompagner…chez nous, et pour beaucoup d’autres, c’est normal ! » Evidemment, à la fin de cette guerre, une forte proportion de cette population avait été soit chassée, soit tuée…Remplacée par des flots de migration de tous les côtés, Sarajevo, comme d’autres villes, perdaient une grande partie de sa physionomie et de sa véritable identité. On sait qu’il n’y avait, vers la fin des années 80, qu’une poignée d’ultranationalistes qui jugeaient cette mixité insupportable et ne cachaient en rien leur volonté de l’anéantir. Mais il est absurde de penser que les populations de l’ex-Yougoslavie ne pensent qu’à se battre et à se quereller. On entend parfois ce genre de commentaires : « ça c’est bien le tempérament slave, on se tape dessus, on s’étripe, et le lendemain on se serre dans nos bras, on pleure et on s’embrasse ». Allez raconter ça à un Bosniaque, un Croate ou un Serbe, je ne suis pas certain qu’ils goûtent le sel de cette plaisanterie. Certes, il y a d’énormes différences, et une cohabitation pas toujours facile, dans les coutumes et les modes de vie. Mais ce qui n’est contesté par personne, c’est qu’une poignée de dirigeants irresponsables ont dressé ces populations les unes contre les autres en employant délibérément ces malaises sous-jacents et en les diabolisant au lieu de les dédramatiser. Dans une atmosphère aussi instable, où les désirs d’indépendance se formulaient de plus en plus nettement, l’image de référence des institutions d’état se désagrégeait en laissant place à l’inquiétude des populations. C’était aussi la voie libre pour les ambitions nationalistes. Dès qu’une agression se produisait, l’immense majorité des civils appelait à l’aide et tentait de défendre les siens. Mais ils se jetaient malgré eux dans une spirale infernale. C’est pour cette raison que l’on accusait de traîtrise toute personne qui lançait un appel à la paix. Personne, à part les ultranationalistes, ne désirait faire la guerre. Ces appels à la paix ne pouvaient être interprétés dans les esprits que sous la forme d’une soumission à la barbarie. J’en viens à ces notions qui parfois nous échappent d’une culture à l’autre. Avant de nous interroger sur ce qui a pu diviser ces peuples, il est certainement plus judicieux de réfléchir sur ce qui nous différencie de nos amis de Bosnie, Croatie et Serbie. 3/ Des différences marquantes dans les mentalités… Pour bien comprendre l’évolution de notre projet, il est important de discerner les différences fondamentales entre les mentalités de ces populations et les nôtres. Nous nous sommes d’ailleurs très vite aperçus que lorsqu’on a simplement pris conscience de ces différences, il est soudain très facile de se comprendre, de réfléchir et même de faire des projets ensemble. Sur le plan politique, quand on évoque en France l’existence d’un parti nationaliste, on traduit cela par « extrême droite », à juste titre dans notre contexte. Mais si l’on évoque le même sujet avec un Bosnien ou un Serbe ou un Croate, ils comprennent « parti de droite ». Pour eux, l’extrême, c’est l’ultranationaliste.

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Sur ce sujet, l’historien Paul Garde m’avait glissé ce conseil juste avant mon premier départ vers ces pays : « posez vous peut-être la question de savoir quelle différence il est possible de faire entre un nationaliste modéré, et un patriote très convaincu… » Sur le plan des identités, les populations de ces pays se réclament d’appartenances très diverses et dans certains cas déroutantes, si l’on examine le phénomène avec nos habitudes de réflexion très occidentale. Les repères frontaliers se sont sans cesse modifiés dans leur histoire, ainsi que les cartes politiques. Certains individus font référence à l’histoire de leur pays, plus ou moins récente, affirmant que la terre où ils vivent leur a été volée, qu’ils ne légitiment donc pas les envahisseurs qui l’occupent indûment, ni le régime qui est appliqué. D’autres considèrent que leur identité est religieuse et qu’aucun de leurs semblables ne pourra les en déraciner. J’ai même entendu le témoignage d’une femme bosniaque qui affirmait être musulmane, sans pour autant être croyante, ni pratiquante. Elle ne reconnaissait aucune des valeurs contenues dans l’Islam, et revendiquait même le droit de se comporter comme bon lui semblait, au mépris des préceptes enseignés par cette religion. C’était là son seul repère identitaire. Musulmane parce que vivant dans un environnement à dominante musulmane. Orpheline parce qu’aucun état ne répondait à ses attentes. Parce que l’histoire de son pays ne lui offrait pas les enseignements qu’elle en attendait… Tant que nous en sommes à ce paragraphe, il convient aussi de redire que la guerre qui s’est produite n’était en rien une guerre de religion, comme une majorité de l’opinion a pu le penser. Certes, des insultes ou menaces se sont proférées, mais pas plus sur les religions que sur les autres coutumes ou habitudes propres à chaque groupe. Il est aussi vrai que certains édifices religieux de toutes les confessions ont été bombardés, mais ce n’était pas une cible plus privilégiée qu’une autre. En fait, tous les moyens étaient bons pour chasser certaines populations de certains secteurs. Là encore, c’est en quelque sorte une vaste projection de notre imaginaire collectif qui a trompé nos analyses. N’oublions pas que les pratiques inhérentes à toutes les confessions ont pu se faire dans ces pays, dans la tolérance réciproque pendant de très longues périodes. Enfin, toujours au chapitre des multitudes d’identités, d’autres citoyens se réclament de leur appartenance ethnique. Mais quand, par exemple, un Serbe vous dit : « je suis citoyen Serbe mais on m’a chassé de mon pays…mon pays c’était au Kosovo ; je n’étais pas d’accord avec l’invasion de Milosevic mais après les frappes de l’OTAN, de mars 1999 (dont il faut rappeler qu’elles ont été habilement déclenchées par l’UCK) les Kosovars m’ont chassé de chez moi ! » C’est ainsi que lors de notre tournée en été 2003, les premiers Serbes que nous avons rencontré à Novi Sad nous disaient pour certains, leur crainte d’être vécus comme des terroristes… Comme je l’avais souligné dans un exposé au mois de février 2007, à propos des différentes pratiques religieuses en ex-Yougoslavie : ce serait une grossière erreur, de ne juger ces populations que du point de vue de leurs croyances. Ce serait porter un jugement très réducteur sur l’opinion que nous nous faisons de leur existence et de leur avenir. Nos amis des Balkans ne souhaitent en aucune manière crier leurs croyances religieuses ou leurs idéologies à la face du monde ; bien au contraire, ils souhaitent montrer que leurs convictions spirituelles, autant que leurs repères identitaires, de cultures, de frontières, de nations, de constitution politique, de mœurs et de coutumes, forment une mosaïque qui reflète leur bonheur et leur désir de vivre ensemble.

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Je pense qu’il faut ajouter une autre remarque, sur un danger qui guette notre époque surmédiatisée : c’est la confusion que fait la rumeur entre des individus hostiles à la société, et d’autres qui ne se rendent coupables d’aucune malveillance. Par exemple, les observateurs ont remarqué pendant ces événements, que les plus fréquentes provocations qui s’adressaient aux Croates, consistaient à les traiter d’Oustachis, ce qui voulait dire « sympathisant du régime d’Adolphe Hitler », en référence à de graves exactions commises par les extrémistes Croates dans les années 30. Il en va de même pour les Serbes qui se sentent systématiquement jugés comme des partisans de Milosevid ; même phénomène pour les musulmans que l’on accuse d’intentions terroristes ou d’intégrisme alors qu’ils pratiquent simplement leur culte comme d’honnêtes citoyens. Entretenir de tels troubles dans les esprits ne peut que renforcer les réflexes identitaires, et l’on a vu jusqu’où peuvent mener ces erreurs… Nombreux sont les Bosniaques qui vous diront qu’ils vivaient paisiblement à Sarajevo, ville cosmopolite pour le plus grand bonheur de ses habitants, capitale mondiale des mélanges culturels, dont ils ont été expulsés. Les malheureux qui ont tenté de résister l’ont payé très cher. Ceux qui ont cédé ont fait partie comme on dit, des populations déplacées, déplacées vers d’autres lieux ou vers un génocide inéluctable. Les personnes très nombreuses qui revendiquent leur ethnie sont aujourd’hui déçues par les répartitions frontalières qui figurent sur les accords de Dayton. Sur le plan de nos histoires respectives, comme nous l’évoquions avec Paul Garde, « il est plus facile de comprendre ces différences en faisant une comparaison entre la guerre que l’Allemagne a livrée sur l’Europe en 1939 et les conflits qui ont secoué toute l’ex-Yougoslavie de 1989 à 1995 ». Une chose est certaine : qu’on le veuille ou non, dans nos mémoires, « les méchants allemands, bien qu’il y en ait eu de bons, ont perdu la guerre, et les bons Français, bien qu’il y en ait eu de mauvais, ont gagné la guerre ». Dans notre histoire c’est un repère, car ce dont personne ne doute, c’est que l’injustice, la barbarie et le racisme ont fini par céder. Dans la mémoire des populations de l’ex-Yougoslavie, cette guerre laisse des traces d’une culpabilité très ancrée. Les populations très différentes qui cohabitaient, au mieux dans le respect des autres, au pire dans la résignation, ne voulaient surtout pas de cette guerre. Certes elles souhaitaient toutes un profond changement du régime et désiraient plus d’autonomie ; tout le monde savait bien que le désir de séparation de la Slovénie, poumon économique de la Yougoslavie, allaient peser lourd dans la balance économique. Personne n’ignorait que l’accès à l’indépendance pour les autres pays de l’ex-Yougoslavie ne se ferait pas sans douleur. Mais au moment où les extrémistes se sont engagés dans cette brèche et ont commencé à planifier les expulsions jusqu’à programmer un plan d’épuration ethnique, personne n’a eu le temps de prendre conscience du drame qui allait submerger ces pays avec une rapidité foudroyante. Le désordre indescriptible dans lequel les affrontements se sont déclenchés s’est emparé de toute une civilisation pour la laisser dans le désarroi le plus profond. Les crimes de guerre se sont enchaînés à une allure vertigineuse. Les actes de barbarie se sont banalisés. Les violences faites aux civils ont fait partie de l’ordinaire. Au bout du compte, personne ne peut dire qui a gagné, qui a perdu, et personne ne pourra dire : «la justice et la fraternité l’ont emporté ». Il ne reste dans les esprits que les douleurs et les blessures, sans aucune perspective prometteuse pour l’avenir. La redistribution des frontières ne convient fondamentalement à aucune communauté. Voilà où mènent l’extrémisme et l’intolérance… De plus, les frappes qui ont visé intentionnellement chaque usine, chaque station d’épuration, chaque centrale électrique, chaque équipement collectif, ruineront le pays pour très longtemps. Quelques résurgences financières relèveront la tête de rares régions avec un peu de tourisme, mais on ne fera pas de

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miracles avec ça. Les champs minés ne seront pas accessibles avant des dizaines d’années au prix d’efforts surhumains. La Bosnie-Herzégovine en particulier, souffrira encore longtemps de cette forme d’étranglement économique soigneusement planifié pendant la guerre. De nombreux spécialistes en économie internationale pensent de surcroît que les aides financières qui ont été orientées vers ces pays à la fin des événements n’ont pas été correctement affectées. Certaines installations collectives n’ont pas été effectuées en tenant compte des normes européennes, ce qui laisse songeur…était-ce délibérément leur fermer les portes du continent ? Je dois aussi rappeler l’état d’isolement culturel qu’accusent ces pays. Car en dépit des regards positifs portés sur l’avenir, les clivages ethniques subsistent…dans certaines écoles, on sépare enfants bosniaques et croates par étage…l’entrée dans l’Europe, avec ce boulet à la cheville, n’est malheureusement pas pour demain… Voilà souvent ce qui occupe les esprits de bon nombre d’habitants, quand il s’agit de tirer les leçons de ce drame. Sur un autre plan d’actualité, il faut aussi savoir l’opinion que ces populations formulent sur les valeurs humanistes du peuple français ou d’autres pays européens. Tous les habitants de cette partie du monde ne peuvent effacer de leur souvenir, les moments affreux qu’ils ont vécus, durant lesquels nos forces armées auraient dû courir pour les protéger…La patrie des droits de l’homme n’allait évidemment pas laisser un peuple de civils se faire massacrer sans que personne n’intervienne ! On parlait beaucoup sur les trottoirs, dans les rues de cette ville en novembre 1995, et nombreux étaient ceux qui se souvenaient avoir tagué avec des SOS les murs de Sarajevo en état de siège, ne doutant pas un seul instant que les caméras des reporters nous les adresseraient avec accusé de réception !!! Ils ont été assiégés d’un côté et ignorés de l’autre. C’est pour ces raisons que nous avons mis beaucoup de temps à instaurer un climat de confiance avec nos interlocuteurs. Questions…comment ferions nous en France, si notre pays basculait dans un tel foisonnement de probabilités ou d’improbabilités ? Où trouver ses repères entre une histoire chaotique, une actualité décevante et un avenir incertain ? On sait que le premier besoin que ressent tout être humain en société, après s’être assuré du minimum de survie, est de s’intégrer dans un groupe et de se sentir reconnu. La marginalité est une condition de vie qu’il est rarement capable d’assumer. Une autre particularité caractérise les êtres humains que nous sommes ; elle consiste à se faire instinctivement une opinion dès qu’une autre est formulée. Par son silence, l’homme redoute de s’exclure. Si les opinions de ceux qui l’entourent révèlent des intentions belliqueuses, son réflexe naturel est de se positionner, pour ou contre. C’est ainsi que malgré lui, dans ce type de situation, il peut se mettre en danger. C’est pour cette raison que le consentement général à l’ouverture d’espaces culturels représente la seule issue possible à ces échanges de points de vue, parce que l’imagination fertilise autant l’épanouissement de son propre raisonnement, que la compréhension de celui de ses semblables. C’est aussi pour ces raisons que les guerres noyautent toujours prioritairement tout ce qui touche à la culture de l’esprit…on comprends mieux ainsi, comment notre démarche devait se métamorphoser en projet d’échanges culturels. 4/ Historique La Viva et projet Balkans L’association La Viva a été fondée en 1993. Un soir de printemps, j’avais invité un petit groupe d’artistes passionnés, à réfléchir sur les grandes lignes d’un projet, tracé sommairement. Au terme de cette première rencontre, nous étions convaincus que le pouvoir évocateur de la musique et de la poésie pouvait servir

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utilement la cause des droits humains. Le but était de proposer une œuvre vocale, capable de sensibiliser l’opinion sur les problèmes d’atteintes aux valeurs contenues dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Nous souhaitions aussi nous inscrire dans une démarche originale, qui consistait à valoriser le respect des ces droits plutôt qu’en dénoncer laborieusement l’ignorance. Autrement dit, produire des œuvres qui traitaient certes de sujets graves, mais toujours porteuses d’espoir et capables de suggérer des alternances dans les mentalités. On convenait alors d’adresser cette proposition à Amnesty International. C’est ainsi que du mois d’avril 1993, jusqu’au mois de novembre 1994, nous concevions une œuvre qui allait rassembler 200 choristes pour chanter contre l’oubli, un titre qui reprenait les termes de la signature d’Amnesty : « Ecrire contre l’oubli ». Une dizaine de concerts étaient organisés et devaient rassembler plusieurs milliers de spectateurs. Avec un budget de plus de 350.000F00 et des entrées gratuites compensées par des ventes de cassettes et de tee-shirts, nous parvenions non seulement à financer les frais de production, mais aussi à reverser 60.000F00 au bureau Clermontois d’ Amnesty, avec un chèque accompagné de milliers de signatures sur les pétitions. Un formidable élan de solidarité qui a crédibilisé nos initiatives auprès des élus de la région, des associations et de la presse. Nous avions décidé au préalable, de fixer cette action dans le temps. En clair, il était prévu que chacun retourne à ses préoccupations personnelles dès que cette série de concerts serait achevée. C’est donc en décembre 1994 que nous décidions de mettre La Viva « en sommeil ». L’origine de notre projet d’échanges culturels avec la Bosnie, Croatie, Serbie… Dans le courant de l’année 1995, plusieurs responsables d’associations et ONG nous interpellaient en ces termes : « Nous avons assisté à vos concerts. Il émane de votre groupe une chaleur humaine, une image prometteuse de perspectives nouvelles sur le registre émotif mais réfléchi de vos convictions humanistes. Vous avez ouvert le sens de cette démarche à une Association qui en avait besoin, nous vous invitons à offrir ces mêmes instants à des populations en souffrance ». Ces ONG étaient en majorité ce que l’on a coutume d’appeler, selon les terminologies acceptées, des « urgentistes » ou des « urgenciers ».

- « Izbor » qui procurait une assistance juridique aux réfugiés. - « le CCFD » Comité Catholique contre la faim et pour le développement, qui se consacrait à la

relance de petites entreprises. - « Pharmaciens Sans Frontières », fondé en Auvergne par Jean-Louis Machuron, un grand ami de La

Viva.

Ces Organisations Non Gouvernementales nous expliquaient qu’elles n’étaient jamais en mesure d’assurer les prolongements relationnels de leurs actions. Dès qu’un programme d’assistance médicale ou pharmaceutique était en place, dès qu’un plan d’action de développement se réalisait dans un pays dévasté, on partait à l’autre bout du monde vers d’autres cataclysmes et on laissait des gens avec le nécessaire à survivre, mais dans la solitude et le désespoir.

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Une autre perspective nous était suggérée : outre les instants de réconfort que nous étions susceptibles de créer, il était nettement question de développer des relations durables basées sur des échanges culturels. Le but était donc de favoriser l’émergence de nouvelles mentalités, et la culture des valeurs citoyennes, dans l’espoir de prévenir de probables résurgences de ces tensions ethniques. Ceci est très important dans la suite que nous aurons jugée utile de donner plus tard à ce projet, car d’un programme qui devait se faire en un an, on passait à un long terme sur 5 ans…nous approchons des 15 années de travail… Il s’agissait alors de concevoir un projet qui présente un intérêt préventif dans certaines parties du monde où de graves problèmes sociaux agitent les populations et rendent leur avenir incertain. Il apparaissait à cette époque, selon les suggestions d’observateurs compétents, que les pays du bassin méditerranéen devaient plus particulièrement retenir notre attention. Je me rendais à Paris afin de rencontrer ces interlocuteurs, et au risque de surprendre, avec la ferme intention de décliner cette proposition. Car si notre premier projet avait atteint ses objectifs, au-delà même des espérances, je pensais que le déploiement de telles énergies, en tenant compte de l’éloignement géographique, et des difficultés financières et techniques probables, serait tout à fait hors de proportions, donc irréalisable. C’était sans compter sur la pugnacité des responsables de ces associations. Ils devaient en effet rapidement progresser dans leurs réflexions car y avait encore plus urgent : nous rendre dans les pays de l’ex-Yougoslavie, à peine sortie du drame que l’on connaît, apporter des instants de réconfort et de chaleur humaine à ces populations, imaginer l’animation de nouveaux espaces culturels pour les aider à sortir de ce cauchemar, concevoir une nouvelle œuvre et la produire chez eux le plus rapidement possible. Ces associations avaient déjà débloqué les fonds nécessaires à une étude sur le terrain. Réitérant mes objections, je ne pouvais quand même pas me soustraire à cette étude, en précisant toutefois que j’en examinerais postérieurement tous les résultats et les soumettrais à l’approbation de tous les adhérents de La Viva... → 1er voyage d’étude. Novembre 1996. C’est ainsi que je voyageais aux côtés de ces responsables d’ONG au mois de novembre 1996 et devais rencontrer nos interlocuteurs en Bosnie et en Croatie ; à cette époque, l’entrée sur le territoire Serbe était encore impossible. Durant les 15 jours de cette mission, j’ai pu rencontrer nos premiers partenaires culturels en Bosnie et Croatie, à savoir des personnes désireuses d’entreprendre différentes actions, susceptibles d’être dynamisées par ce projet. Le pays était dans un état de délabrement considérable ; l’eau et l’électricité faisaient défaut, l’alimentation sommaire, la circulation très difficile, au milieu d’une présence militaire permanente très menaçante. Dans un climat tendu à l’extrême, je rencontrais des habitants encore hébétés et complètement désorientés, pleurant leurs morts et soignants leurs blessures, cherchant vainement à tirer les analyses ou les leçons de ces événements, mais désirant surtout parler de leur vécu récent… …j’étais, à même titre que mes compagnons, harcelé par des gens qui voulaient à tout prix raconter ce qu’ils avaient enduré, ce qu’ils avaient redouté, la part entre le malheur vécu et le malheur supposé s’exprimant dans une totale confusion. Il fallait prendre conscience de l’immense tragédie qui s’était

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produite et de la demande d’une population qui suppliait qu’on l’aide à sortir de là. Force était bien de constater que cette étude risquait de nous mener tout droit vers une réalisation. Mais un premier obstacle, et pas des moindres, se dessinait dans nos esprits. Comment concevoir un tel projet ? Quand il s’agit de donner un coup de main à une association, le cadre moral, le sens de l’action, est prédéfini ; il est facile de considérer son éthique par rapport à la nôtre, et de vérifier sa conformité avec notre objet social. Admettons que nous soyons prêts à surmonter toutes les difficultés d’ordre matériel et pratique, au nom de quoi, au nom de quelle idée, était-il possible de s’adresser à une population toute entière ? Dans quel but, on le sait ; ce sont ces mêmes populations qui le formulaient. Mais dans ces masses, où peuvent fourmiller autant de volontés honorables que d’ambitions néfastes, comment pouvions nous développer un projet cohérent, authentique et intègre ? Nous savions aussi que nous devrions forcément passer par des entrevues avec des responsables qui seraient hostiles à ce projet, rien que par le fait d’en identifier, comme certains le disaient, des auteurs qui ne sont rien d’autres que des spectateurs occidentaux, ayant assisté à ce désastre confortablement installés devant leur téléviseur…Certains ne cachaient d’ailleurs pas que s’ils avaient affaire à des gens venus leur prêcher la réconciliation ou bien célébrer béatement les droits de l’homme, ils seraient très mal reçus ! C’était donc encore, à ce stade de l’étude, bien plus d’interrogations que de certitudes sur lesquelles nous méditions. Mais devant rester fidèles à notre engagement, nous avons travaillé pendant plusieurs mois, avec une équipe de 5 ou 6 personnes, à la rédaction d’un document qui devait permettre à tous les adhérents de se prononcer. Au terme de ce travail, nous animions en décembre 1996, une Assemblée Générale qui votait en majorité le lancement de ce projet. Il faut préciser qu’au cours des années durant lesquelles ce projet a mûri, la Viva s’est restructurée face à de nombreuses demandes d’associations. Elle s’est aussi élargie avec la fondation des autres Viva « Pays de Loire » et « Méditerranée ». La Viva franchissait alors un nouveau pas à la demande d’Amnesty International qui l’invitait à chanter à l’Opéra de Vichy pour le congrès national de 1998. Autre fait marquant dans cette chronologie : l’engagement significatif et consciencieusement réfléchi de nombreux élus locaux, qui devaient régulièrement contribuer au financement de nos initiatives. Entre temps, un collectif d’associations « Article Premier » nous invitait à célébrer le 50ème anniversaire de la DUDH, ce qui nous amenait à produire cette déclaration sous la forme d’une œuvre chantée…puis à la demande de la Mairie de Clermont-Fd, nous présentions cette déclaration universelle sur la place de Jaude pour le passage à l’an 2000. Plus tard, les demandes de concerts en soutien à des associations conformes à notre objet social, se sont multipliées dans les proportions que vous savez…nous totalisons aujourd’hui près de 150 concerts… J’en reviens au stade de notre étude de ce projet.

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C’est donc plus que jamais une décision du groupe tout entier qui a mis ce projet sur les rails…notre étude ne faisait aucun doute sur ses intentions humanistes, mais elle préfigurait sans ambiguïté les énormes difficultés auxquelles nous devrions faire face. Les termes de ce projet étaient toutefois très prudents. Mais on admettait qu’il était impossible de le concevoir à la perfection, qu’il fallait donc l’entreprendre en nous entourant d’un maximum de précautions et en veillant à lui conférer un caractère évolutif permanent. L’idée d’une tournée était validée, précédée d’un voyage d’étude, par une équipe dépêchée sur le terrain, pour imaginer ces développements avec les principaux intéressés. Mais les nouveaux événements qui allaient se produire au Kosovo en 1999, ont ralenti considérablement notre travail. Encore une fois, de nouvelles inquiétudes allaient perturber tout le pays. La collaboration avec les peuples de Serbie devenait impossible. C’était vraiment dommage car les responsables de La Viva venaient juste de rencontrer autour d’une table ronde à Paris, des responsables d’associations de Bosnie, Croatie et Serbie qui souhaitaient s’impliquer ensemble avec beaucoup d’enthousiasme, sur ce projet. Par la suite, nous avons hélas perdu la trace de ces amis, car la Serbie s’était isolée du reste du monde à cause de ses incursions brutales au Kosovo. → 2ème voyage d’étude. En 2001, alors que la situation se stabilisait à nouveau, nous décidions de limiter notre action, dans un premier temps, à la Bosnie-Herzégovine. L’ampleur de la tâche nous effrayait…comment avons-nous procédé pour choisir nos partenaires ? Le seul moyen qui était à notre portée était d’animer une multitude d’entretiens afin d’évaluer les affinités qu’il était possible de développer. Nous avons animé pendant ces voyages jamais moins de 5 à 8 entretiens par jours pendant 6 ou 7 jours, avec des conditions de circulation souvent très difficiles. Dans tous les cas, nos entretiens se déroulaient avec des interlocuteurs recommandés à l’avance par nos conseillers. Chaque entrevue était aussi minutieusement préparée avec des interprètes qui méritaient la plus grande confiance. Cet immense brassage, allait nous permettre de repérer les personnes ou les groupes sur lesquels nous pourrions vraiment compter. Jamais nous ne nous sommes autorisés à formuler le moindre jugement sur leurs intentions, mais ce long délai de préparation nous a permis d’en apprécier la pérennité. Les nombreux comptes rendus de ces entretiens et l’analyse que nous pouvions en déduire, nous conduisaient à organiser un deuxième voyage en mars 2002 avec les responsables de La Viva Pays de Loire, fortement impliqués dans cette action. A ce stade du projet, nous commencions alors à dissiper les doutes évoqués tout à l’heure et à mieux cerner notre possibilité d’entreprendre la démarche. Nous allions enfin pouvoir enraciner les premières bases de ce projet et l’entreprendre concrètement. Qu’il me soit permis d’ailleurs de remercier ces dizaines de personnes, qui de la conception à l’étude, puis de la mise en place du dispositif à la réalisation proprement dite, ont fait don de leur personne, mais aussi de leur temps, pour mener à bien cette tâche exigeante et parfois très ingrate. Ces personnes ont fait preuve de courage intellectuel, car en dépit de sa sincérité, ce projet ne représentait à l’époque qu’un trou béant, sans le plan d’architecture, ni les fondations, et encore moins la construction. Passer du rêve à la réalité, représentait une démarche laborieuse et supposait des esprits tenaces et convaincus. Tout ce que nous réussissons aujourd’hui, c’est aussi à eux que nous le devons. Et puisque nous en sommes là, que soient aussi remerciés les choristes et accompagnants bénévoles qui ont participé aux tournées, à leurs frais et sur leur temps de vacances.

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C’est ainsi que ce projet a donc fini par se faire, grâce aux relais que les uns et les autres ont su mettre en place au bon moment. → Les tournées… La première tournée de La Viva « Auvergne » et « Pays de Loire » se réalisait enfin au mois d’août 2002. La Viva « Méditerranée » quant à elle, était momentanément retenue sur d’autres engagements. A cette période, notre partenariat avec « Obrazovanje Gradi BiH » se scellait pour ne plus jamais se démentir, tant cette association nous prouvait son efficacité et ses aptitudes à organiser nos premiers concerts. De plus, ses responsables ont instantanément fait preuve de leurs qualités de discernement, quant à nous orienter vers des partenaires crédibles et en tous points conformes à notre éthique, autant qu’à en éviter d’autres avec lesquels nous risquions des récupérations et compromissions d’ordre politique. Immédiatement après, au mois de novembre 2002, nous financions la première tournée en France des « Chœurs des Balkans », qui se composaient de plus de 100 choristes de tous niveaux. Bien entendu, ces deux premières réalisations souffraient de nombreuses imperfections par notre manque d’expérience. Mais le courant passait et de tous les côtés, la totalité des participants ont toujours considéré en priorité, la qualité des choix humains qui caractérisait cette démarche. En juillet 2003, une deuxième troupe de La Viva « Auvergne » et « Pays de Loire » rejoignait la Bosnie. Beaucoup moins lourde à mettre sur pied, cette tournée était pratiquement organisée à 100% par OGBH entièrement guidée par La Viva « Pays de Loire » qui avait proposé de nous relayer. Dans la même foulée, nous organisions en novembre 2003 le forum intitulé : « Les Balkans et l’Europe ». Concerts, conférences, expositions, rencontres et débats s’étalaient sur 3 journées à la Maison de la Culture à Clermont-Fd. En 2004, La Viva « Auvergne » faisait un « break » alors que La Viva « Pays de Loire » entreprenait à elle seule une tournée d’artistes bosniens de Banja-Luka dans sa région. Au mois d’août 2005, les deux mêmes Vivas engageaient leurs énergies mutuelles pour une tournée qui s’élargissait enfin aux pays de la Croatie et de la Serbie. Notre savoir faire gagnait en maturité, et nous procédions aussi à une répartition des tâches avec OGBH. La confiance totale et l’indéfectible amitié qui nous unissaient alors ne pouvaient qu’accroître notre progression. Cette étape était décisive pour les prolongements que nous imaginions ensuite. C’est en effet à ce stade, que les désirs de rapprochement des peuples et de leurs cultures se sont nettement manifestés. Les groupes d’artistes impliqués s’ajoutaient aux élus qui dans chaque ville, tenaient tout particulièrement à s’associer à notre démarche. On respirait enfin cette atmosphère que nous rêvions de créer dix ans auparavant. Il ne sera pas nécessaire de mon point de vue, de vous faire un descriptif journalier du vécu de chacune de ces tournées. Deux raisons à cela : dès le début de la première tournée, les concepteurs devaient laisser place aux acteurs principaux, c’est à dire les choristes et accompagnants ; ensuite parce que ces mêmes acteurs ont dressé différents portraits, témoignages et compte rendus, albums photos… …et qu’ils seront certainement disposés à vous transmettre leurs impressions, leurs sentiments sur ce qui a été réalisé et la manière dont ils l’ont vécu…il suffit de faire en sorte que « anciens » et « nouveaux » se donnent la main pour animer ces échanges.

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Vous pouvez aussi vous documenter sur le site Internet www.laviva.fr et visionner le DVD « Rétrospectives et perspectives » réalisé en novembre 2009. Afin d’avoir une vue d’ensemble sur le déroulement de ce projet, reprenons simplement les termes exacts qui figuraient sur les documents que nous avons transmis à nos partenaires en 2001. Ce projet devait :

- installer des réseaux de relations humaines avec ces pays - nous permettre de réfléchir ensemble sur les problèmes de société qui troublent notre actualité - interpréter conjointement des œuvres qui évoquent l’avènement d’un monde stable et rassurant

pour les générations futures - encourager la renaissance de relations harmonieuses, en personnalisant toujours cette démarche

sur les valeurs contenues dans la DUDH. Les auteurs et compositeurs se sont donc consacrés à l’écriture d’une œuvre originale intitulée : « I will be free ». Cette œuvre allait revêtir un caractère inédit à La Viva, car elle devait répondre à certains objectifs spécifiques : suggérer des émotions oubliées, offrir des instants de divertissement, évoquer aussi les valeurs humanistes qui donnent un sens à notre existence. Les 100 choristes présents de la première tournée allaient donc interpréter un chant d’invitation dans nos langues respectives, un texte sur la liberté, une chanson sur le thème de l’amour et du désir, une séquence inattendue qui mettait en scène deux clowns un peu fêlés, et le texte de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. En scène, les familiarités entre choristes bosniens et français commençaient à se dessiner, l’hébergement chez l’habitant ou dans les structures collectives faisant le reste…Il en résulte un constat encourageant, car nous sommes parvenus à occasionner le développement d’affinités profondes et authentiques, à pérenniser des relations basées sur la confiance réciproque, et à restaurer des images de bonheur et d’espoir, pour des personnes qui ne pouvaient plus échapper aux fantômes de leur passé récent. Plusieurs chorales nous ont révélé en quoi ce projet avait éveillé en eux le désir de progresser sur le plan artistique, face aux enjeux que représentait leur prestation sur le sol français. Le phénomène le plus marquant, est que nos amis de ces pays se sont progressivement impliqués dans notre démarche, et ont manifesté durablement le désir de proclamer les valeurs humanistes qui nous sont communes. Certains groupes se sont éloignés d’eux-mêmes, non qu’ils aient été hostiles à ces valeurs mais parce qu’ils n’ont pas su saisir à temps cette opportunité. Peut-être était-il encore trop tôt. Peut-être leurs souffrances et leurs déceptions prenaient-elles encore trop de place dans leurs esprits. Quels que soient ces décalages, l’intérêt préventif qui nourrissait le contenu de notre projet initial est plus que jamais d’actualité. Nos consultants et conseillers le savent, aujourd’hui, ces peuples peuvent se ressaisir pour faire face à d’autres tentatives de belligérance, mais cet équilibre est encore précaire. Nous avions le devoir d’offrir à nos amis de ces pays, les espaces d’expression qu’ils souhaitent occuper, parce qu’ils ont l’assurance d’être entendus, parce qu’ils savent qu’ils peuvent exprimer le sens de leur culture sans se sentir menacés ni méprisés. C’est cette idée, et elle seule, qui nous a conduit à leur proposer cette tournée et ce concert au Zénith. Même si ce projet nous a offert à nous aussi, des moments d’épanouissement et de bonheur, il ne faut surtout pas perdre de vue que c’est très prioritairement pour eux que nous l’avons fait. …les nouveaux élans avec ces trois concerts mémorables au Zénith d’Auvergne, à Angers et à Mouans-Sartoux… Nos amis de Bosnie, Croatie et Serbie manifestaient tous le désir d’interpréter un répertoire multiculturel, multiconfessionnel et inter ethnique. Autrement dit, tous avaient envie de chanter des morceaux qui reflètent la culture, les traditions et les croyances de leurs voisins autant que les leurs. Ils souhaitaient

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offrir une image fraternelle de cette partie du monde où ils désirent vivre dans la paix et dans un esprit de tolérance. Par ailleurs, l’attachement que ces groupes exprimaient sur les valeurs contenues dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, ne se caractérisait absolument pas sous la forme d’une démarche spirituelle, ni d’une démarche politique…Nos amis des Balkans ne souhaitaient en aucune manière crier leurs croyances religieuses ou leurs idéologies à la face du monde ; bien au contraire, ils souhaitaient montrer que leurs convictions spirituelles, autant que leurs repères identitaires, de cultures, de frontières, de nations, de constitution politique, de mœurs et de coutumes, forment une mosaïque qui reflète leur bonheur et leur désir de vivre ensemble. Ce serait une grossière erreur, de ne considérer leur démarche que sur du point de vue de leurs croyances. Ce serait porter un jugement très réducteur sur l’opinion qu’ils se font de leur existence et de leur avenir. Du reste, de leur point de vue, il n’était pas moins courageux d’interpréter publiquement des chants traditionnels de pays auxquels ils n’appartiennent pas. Personne n’ignore qu’aujourd’hui encore, des nostalgiques de cette affreuse période 1989 / 1995 considèrent ces choix d’un très mauvais œil… Comme nous, mais à leur manière, ils exprimaient plus leur principe de respect des cultures et des religions, et adoptaient ce répertoire commun pour sa valeur symbolique. Donc, nous restons bel et bien dans le cadre d’une démarche typiquement et strictement laïque. Encore aujourd’hui, il est bien clair que ce sont les Chœurs des Balkans qui sont porteurs de ces chants, et que nous leur faisons l’amitié de les interpréter avec eux. Tout comme La Viva est porteuse des morceaux qui l’engagent, « Vivre libre » et « Peuples de la terre » que les Chœurs des Balkans chantent avec nous. …quatrième tournée en Bosnie-Herzégovine, Croatie et Serbie, 1er mai au 8 mai 2009… Plus courte que les précédentes, cette nouvelle programmation sur le calendrier satisfait notre objectif…constituer un effectif suffisant de choristes, mais aussi tenir compte des souhaits des responsables culturels sur le terrain, qui préfèrent nettement organiser ces concerts au printemps, dans l’espoir de rassembler un plus large public. Ce qu’il faut retenir de plus important, c’est qu’à la suite de cette inoubliable tournée française des Chœurs des Balkans en 2007, nos amis de Bačka-Palanka, Bugojno, Konjic, Mol, Pula et Sarajevo ont considérablement élargi leurs ambitions…ils veulent eux aussi, remplir les salles de leurs villes et chanter avec nous, participer au financement…et rêver d’une prochaine tournée sur le sol français…nous allons donc les rejoindre pour continuer de concrétiser avec eux les rêves qu’ils souhaitent réaliser…

Michel Pelletier