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I nn o va MAGAZINE ANNÉE SPÉCIALE ET LICENCE EN JOURNALISME - IUT DE TOURS t ours Hors série Sésame - juin 2007 - n°13 - 2 eur os Obésité, la maladie du pauvre Carnet d’un médecin de campagne Infections nosocomiales : la Touraine sur le qui-vive Emprunt bancaire, l’autre combat des grands malades Petits et gros maux du boulot Rencontre avec Martin Hirsch LA SANTÉ, M IROIR DES INÉGALITÉS ISSN 0291-4506

Innova n° 13 - La Santé, miroir des inégalités

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Innova publié en 2007, sur le thématique de la santé et des inégalités

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sInnovaMAGAZINE ANNÉE SPÉCIALE ET LICENCE EN JOURNALISME - IUT DE TOURS

tour

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Hors série Sésame - juin 2007 - n°13 - 2 euros

Obésité, la maladie du pauvre

Carnet d’un médecin de campagne

Infectionsnosocomiales : la Touraine sur le qui-vive

Empruntbancaire, l’autre combatdes grandsmalades

Petits et gros maux du boulot

Rencontre avecMartin Hirsch

LA SANTÉ, MIROIR DES INÉGALITÉS

ISSN

0291-450

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Faire attention à soi. Bien se soigner. Être en pleine forme,et le rester. Le plus longtempspossible.…Un style de vie qu’ondevrait pouvoir choisir…Or en France, pays où l’on setargue d’avoir le meilleur systèmede santé au monde, l’accès aux soins et à la prévention estloin d’être une réalité pour tous.Médecine au top et préventionefficace ou risques de maladies professionnelles et remboursements insuffisants :la santé des Français dépend de lagrosseur de leur porte-monnaie.Le fossé des inégalités entre richeset pauvres ne cesse de se creuser.Pour espérer souffler ses quatre-vingt bougies en bonne santé,mieux vaut avoir travailler dansun bureau qu’à l’usine. C’est dans les familles modestesque la proportion d’enfantsobèses est la plus forte. Les ennuisdu quotidien, le manque d’argent,l’espoir en berne ne prédisposentpas au souci de soi.Etre malade, dans une société de la performance et del’apparence, c’est être mis, voirese mettre soi-même en marge.C’est à la façon dont elle s’occupedes plus faibles de ses membresque l’on mesure l’humanité d’unesociété. A l’été 2003, plusieursmilliers de « vieux » sont morts de dix jours de canicule.Ce fut un choc. Pour rien. En France, « pays de la Sécuritésociale », l’accès aux soins dequalité n’est toujours pas un droitmais encore un privilège.

La rédaction.

Édito

LA SANTÉ, MIROIRDES INÉGALITÉS

P.4 Société BIEN SE SOIGNER, C’EST PAS DONNÉ… Les Français sont inégaux, jusque dans leur santé.

P.7 OBÉSITÉ DES ADOS AU CŒUR GROS Un adolescent sur cinq souffre d’obésité.Avec des conséquences psychologiques et professionnelles à l’âge adulte.

P.10 SANS DOMICILE ET FRAGILE

P.11 LE PÉRIL JEUNE

P.12 RURALITÉ JOURNAL D’UN MÉDECIN DE CAMPAGNETournée en images dans un village de l’Indre,entre petits rhumes et grosses pathologies.

P.16 HYGIÈNE LA TOURAINE TRAITE LES INFECTIONS DE L’HOPITAL Les hôpitaux tourangeaux luttentcontre les maladies nosocomiales.

P.18 MARIAGE D’ARGENT DES CLINIQUES TOURANGELLES

P.19 UN JOB POUR UN NOUVEAU DÉPART

P.20 EMPRUNT DOUBLE PEINE POUR LES GRANDS MALADES Enquête sur unenouvelle convention prévue pourfaciliter les prêts aux personnessouffrant de maladies graves.

P.22 COMPLÉMENTAIRES SANTÉ TOUS COUVERTSINÉGALEMENT GARANTIS

P.24 SEXE, CONDOM ET FANTAISIE

P.25 ATHLÈTES BICHONNÉS

P.26 LES MAUX DU BOULOT

P.28 ENTRETIEN « ON PARLE BEAUCOUP DEPRÉVENTION, MAIS ON AGIT PEU »Martin Hirsch, l’ex-président d’Emmaüs,spécialiste de l’exclusion, dénoncel’inefficacité de la sphère politique.

P.30 COUP(S) DE BARRE

Directrice de la publication :Claudine Ducol.

Coordination : Patricia Citaire, David

Darrault, Patricia Lange, Frédéric Potet,

Rédaction/secrétariat de rédaction/maquette : Anissa Ammoura, Laure

Anelli, Andy Barréjot, Christelle Bodin,

Sarah Caillaud, Florent Clavel, Julie

Cloarec, Hugues Derouard, Florian

Etcheverry, Nicolas Ferrier, Julie Innato,

Anthony Renaud, Céline Tarrin, Stéphanie

Thibault, Julien Thomas, Sandrine Vallard,

Marie Varroud-Vial.

Photos : Sarah Caillaud, Julie Innato,

Anthony Renaud, Céline Tarrin, Sandrine

Vallard.

Publicité : Anissa Ammoura,

Marie Varroud-Vial.

Photo de couverture : Philippe

Desmazes/AFP

Imprimé sur papier recyclé parAlinéa 36-Châteauroux.

INNOVA Tours - N°13, juin 2007 - Licence professionnelle et Année spéciale de journalisme IUT de Tours - 29, rue du Pont-Volant,37002 Tours cedex. Tél. : 02 47 36 75 63. ISSN n° 0291-4506.

Sommaire

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4 INNOVA 2007

Le système de santé françaisserait une référence dans lemonde. Le classement éta-bli en 2000 par l’Organi-sation mondiale de la santé

(OMS), place l’Hexagone en hautde l’affiche. À première vue, il faitbon vivre en France. Pour preuve,l’espérance de vie augmente régu-lièrement : elle est actuellement de84 ans pour les femmes et de 77 anspour les hommes. Mais, derrière ceschiffres, se cache une réalité pluscontrastée. Si, globalement, la santédes Français s’améliore, des dispa-rités importantes persistent. C’estbien là le paradoxe français, commele souligne Pierre Chauvin, épidé-miologiste à l’Inserm (Institut natio-nal de la santé et de la recherchemédicale) : « L’idée que la Francea un système de santé parfait, avecune Sécurité sociale coûteuse et parconséquent efficace, est un mythe.Les inégalités de santé prospèrentdans notre pays. »

Des inégalités multiplesEn France, 10 % du PIB sont consa-crés aux dépenses de santé, soitl’équivalent du budget de l’ensei-gnement. Malgré l’importance deces dépenses, le pays est loin d’êtreun modèle d’équité en matière d’ac-cès aux soins. Il suffit de lire les nom-breuses études sur le sujet pour s’enconvaincre. Un rapport du Hautcomité de la santé publique souli-gnait ainsi, en 2002, que la morta-lité ouvrière est près de trois foissupérieure à celle des cadres et pro-fessions libérales. Selon la même

enquête, l’espérance de vie d’unouvrier, à 35 ans, est inférieure de6,5 ans à celle d’un cadre. Pour espé-rer souffler ses 80 bougies en bonnesanté, mieux vaut travailler dans unbureau qu’à l’usine.Les Français nesont pas égauxdevant la mort, etne le sont pas plusdevant la maladie.Diabète, patholo-gies cardio-vascu-laires, dépression,cancers du col del’utérus… Ces risques s’accroissentà mesure que l’on descend dansl’échelle sociale.Les inégalités de santé apparaissenttrès tôt : dès l’enfance. L’obésité, quitouche surtout les catégories popu-laires, en est un parfait exemple. « Lamaladie de la pauvreté », commel’appelle Pierre Chauvin, est ainsidix fois plus fréquente chez lesenfants d’ouvriers non qualifiés quechez ceux des cadres. Les fils et fil-les d’agriculteurs ne sont pas logésà meilleure enseigne : ils ont, parexemple, dix fois plus de dentscariées que les enfants des colsblancs. À cette disparité sociale segreffent des disparités géographi-

Société

Un manœuvrea une probabilité 2 fois et demie plusélevée qu’un cadre de mourir entre 35 et 60 ans.

ques. Plusieurs études ont montréque l’on vit mieux et plus longtempsdans le Sud que dans le Nord de laFrance. Le soleil aurait-il des vertusthérapeutiques ? « Il est difficile de

tirer des conclusionssur les inégalités territoriales de san-té. Il est préférabled’avoir une appro-che sociale en sepenchant sur lesconditions de vie desFrançais », analysePierre Chauvin.

Telle est aussi l’opinion du sociolo-gue Pierre Aïach pour qui « les dif-férences de santé entre individus sontintimement liées à leur statut socio-professionnel et à leurs conditionsde vie ». D’après lui, nous serionstous soumis, dans notre vie quoti-dienne, à des « facteurs de risques »indépendants du système de santé :travail, chômage, habitat, transport…S’il ne faut pas négliger la part de lagénétique dans l’émergence d’unemaladie, l’environnement personnelet professionnel joue également unrôle déterminant. Vivre dans un loge-ment insalubre n’est pas sans consé-quences. Il suffit, par exemple, depenser aux nombreux cas de satur-nisme dans certains quartiers déla-brés des grandes villes. Autredomaine, même constat : les condi-tions de travail. Les ouvriers sontdavantage exposés aux produits chi-miques et donc susceptibles de déve-lopper un cancer. Sans oublier l’hy-giène de vie : l’alcoolisme, letabagisme et la malnutrition sont des

10%du PIB de la Francesont consacrés auxdépenses de santé.

BIEN SE SOIGNERC’EST RAREMENT DONNÉ

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(CMU) a permis dediminuer les renon-cements aux soinschez les plus modes-tes, il n’en reste pas moins que denombreux malades se privent du portde lunettes, prothèses dentaires ouencore semelles orthopédiques, deséquipements onéreux et mal rem-boursés par la Sécurité sociale. En2003, 22 % des ménages bénéfi-ciant de la CMU depuis plus d’unan déclaraient ainsi avoir renoncé,pour des raisons financières, à aumoins un soin au cours de l’annéeprécédente. Dans un pays qui aélevé, en 2006, l’égalité des chan-ces au rang de cause nationale, letableau est donc encore loin d’êtreidyllique – en dépit d’un certainnombre d’avancées ces dernièresannées (couverture maladie à 100 %

pour les RMIstes, création de laCMU, loi contre les exclusions…).Que faire alors ? « Mieux vaut pré-venir que guérir », dit le pro-verbe… C’est précisément ce quepensent de plus en plus de spécia-listes de la santé, pour qui le déve-loppement de la prévention est pri-mordial. Pour que celle-ci soitvraiment efficace, un certain nom-bre de mesures lui font encore défaut(comme le dépistage systématiquedu cancer de l’utérus) ; ou ne sont

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pratiques plus courantes dans lesmilieux défavorisés que chez lesclasses moyennes et supé-rieures. Notre rapport à lasanté, enfin, dépendraitaussi beaucoup de notreentourage et du réseausocial. À en croire PierreChauvin, les mieux lotisseraient ceux qui partagent conseilset expériences de santé avec leursamis…

Un accès aux soins à améliorer L’accès aux soins n’est pas non plusle même pour tout le monde. Alorsque les catégories les plus favoriséespeuvent se permettre de consulterdifférents spécialistes (ophtalmolo-gues, gynécologues, cardiolo-gues…), les moins aisées ont plutôttendance à privilégier l’hospitalisa-tion ou les visites chez un généra-liste. La raison en est simple : ellesn’ont pas les ressources suffisantespour cotiser à une complémentairesanté. Si la création en 1999 de laCouverture maladie universelle

Les femmes sans emploi ont 2 fois plus d’enfantstrisomiques

que celles des catégoriessupérieures.

Le recours à unmédecin spécialisteest 2 fois plusfréquent chez les cadres que chez les ouvriersnon qualifiés.

Lorsqu’un homme devient chômeur, 5 ansaprès, il a 3 fois plus de risque de décéderqu’un homme actif.

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Naître, grandir et vieillir en bonne santé est une aspirationcollective. Si l’espérance de vie augmente, les inégalités de santé,en France, n’ont jamais été aussi flagrantes. État des lieux.

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appliquées qu’au coup par coup(campagnes contre l’alcoolisme,développement de l’éduca-tion nutritionnelle dans lesécoles…). La France accuse, enmatière de prévention, un

certain retard par rapport à sesvoisins européens. « La politiquede santé a longtemps été unepolitique de promotion de l’accèsaux soins plutôt qu’une politiquede promotion de la santé »,écrivaient les enquêteurs du Hautcomité de santé publique en 2002.Un avis partagé par PierreChauvin : « Pour les pouvoirspublics, se préoccuper de la santédes gens consiste à construire unhôpital. Les dépenses de santésont orientées vers les soinscuratifs, très peu vers les actionsd’éducation à la santé. Ce n’estpas suffisant. »

Adopter la culture de la préventionPour certains experts, il serait éga-lement nécessaire de sensibiliser àla prévention… le corps médical lui-même ! « Aujourd’hui, les médecinstraitants sont formés et payés pourfaire du soin, souligne MoniqueDamoiseau, directrice de l’URCAM(Union régionale des caisses d’as-surance des maladies) de la région

Centre. Ils n’ont pas la culture de laprévention, ils le reconnaissent eux-mêmes. Ils ne savent pas commentaborder des thèmes comme le tabac,l’alcool, le sida, la nutrition, le dépis-tage… » Monique Damoiseau viseici directement la formation desmédecins. Pour elle, la santé publi-que et l’éducation thérapeutique sont

des sujets trop peu abordés surles bancs des facultés. De leurcôté, les futurs médecins sem-blent porter peu d’intérêt à laquestion des inégalités de santé.À l’université Paris XIII, le cours

dispensé par l’épidémiologistePierre Chauvin sur ce thème nefait pas salle comble : « Sur unepromotion de 70 étudiants, unedizaine seulement sont présentschaque semaine ! »

Les habitudes sont peut-être à chan-ger. En effet, pour une majorité depraticiens, la responsabilité dumédecin est d’abord de répondreaux demandes des patients et d’apai-ser leurs souffrances. Doit-il, enplus, consacrer une partie de laconsultation à l’éducation, l’infor-mation et la prévention ? ClaudeNeveur, président du Conseil del’Ordre des médecins de l’Indre-et-Loire, est sceptique : « Il est impos-sible que le médecin soit le seulacteur de la prévention. Celle-ci nepeut pas être abordée systématique-ment dans un cabinet. C’est uneaffaire collective qui doit passer pardes programmes nationaux. »Et quand bien même la France seraitun modèle du genre, la préventionmédicale serait-elle la solution ? Passûr. « Les inégalités de santé sont lerésultat et la synthèse des autres iné-galités sociales », insiste le sociolo-gue Pierre Aïach. Des inégalités quise déclinent en logement, travail,éducation…Le bien-être, donc, seraitessentiel pour la santé. Un constatqui obscurcit l’avenir.

Sarah Caillaud Anthony Renaud

Les chiffres et informations présentés enexergue proviennent de l’Observatoiredes inégalités, de la Revue du praticienet du CREDES (enquête 2002).

Le tauxd’hospitalisationest 40 % plusfaiblechez les cadresque chez les ouvriers non qualifiés.

Les enfants d’agriculteurs ont 10 fois plus de dents cariéesque les enfants de cadres.

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T rois kilos neuf à la naissance.Alexandra était un beau bébé.Aujourd’hui, à 14 ans et

demi, sa balance affiche 117 kg. Unpoids « hors normes » pour unejeune fille. Mais un poids qui n’estplus rare aujourd’hui. En France,l’obésité concerne désormais unenfant sur six, d’après l’enquêteObEpi 2006. Cette proportion a plusque doublé en dix ans et ne cessed’être revue à la hausse. Les autori-tés publiques parlent aujourd’huid’épidémie, voire de pandémie.Le ministère de la Santé espère, avecson deuxième plan national« Nutrition-Santé » lancé en septem-bre 2006, lutter contre la « mal-bouffe » et ses conséquences pondé-rales. Mais le combat est loin d’êtregagné. « Notre façon de manger abeaucoup changé, explique SergeSaffar, médecin-nutritionniste àBlois. On est passé d’une alimenta-tion simple et équilibrée à une ali-mentation plus artificielle. Nousconsommons des produits de plus enplus élaborés, souvent saturés degraisses et de sucres. De plus, l’ac-tivité physique, qu’elle soit sportiveou naturelle, a considérablementdiminué. » Les enfants d’aujourd’hui,adeptes du régime canapé-chips-télé,auraient-ils perdu le chemin des ter-rains de sport ? « Nous avons assistéces dernières décennies à une modi-fication de notre environnement : ilest devenu hautement “obésogène”,affirme Patrick Tounian, pédiatrespécialisé en nutrition à l’Hôpital

Obésité

En France, environ 15 %des moins de 18 anssouffrent d’obésité. L’égalitén’est pas de mise : un filsd’ouvrier a dix fois plus derisques de devenir obèsequ’un enfant de cadre.

DES ADOS AU CŒUR GROS

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I l y a en France plus de5,9 millions d’adultes

obèses… et un grand nombre d’entreeux sont en difficulté sur le marché del’emploi. Le phénomène est récent :les candidatures des personnes à fortecorpulence ont tendance à être écar-tées par certains employeurs. Une stig-matisation qui renforce le mal-être desobèses et qui reste particulièrementdifficile à prouver.Pour montrer l’ampleur du phéno-mène, l’Observatoire des discrimina-tions, dirigé par le sociologue Jean-François Amadieu, a réalisé un testingen avril 2005 : des candidats avec unphysique standard ou avec une sur-charge pondérale ont répondu à desoffres d'emploi de commerciaux et detélévendeurs. Résultat : un obèse reçoit70 % de réponses positives en moinspour un poste de commercial.

Innova : Pourquoi une telle discri-mination à l’encontre des person-nes souffrant d’obésité ?J.F. Amadieu : Il y a un stéréotype surla personnalité supposée de l’obèse.Celui-ci est perçu comme quelqu’unde faible, qui n’a pas fait d’efforts pouréviter de grossir, qui a une mauvaiseestime de lui-même. Ce serait aussiune personne qui manquerait de dyna-misme. Les employeurs craignentaussi les risques pour sa santé. Ilsredoutent que cette personne ait desproblèmes cardiaques, notamment, etveulent éviter des arrêts maladie àrépétition. L’obèse est aussi perçucomme quelqu’un de moins intelli-gent, de moins compétent, qui neséduit pas le client.

Sur quoi est fondé cet amalgame ?Je pense qu’il s’appuie sur une partde réalité. Aujourd’hui, les téléspec-

tateurs sont influencés car ils baignentdans une représentation particulièredu beau. Les employeurs utilisent cetattrait pour un certain type de beausans discernement. Nous l’avons prouvé en réalisant untesting avec des centres d’appels. Bienqu'il n'y ait aucun contact physiqueavec le client dans ce genre d'entre-prise, les personnes obèses y sont éga-lement discriminées.

Quelle était l’ampleur de cette dis-crimination il y a dix ou vingt ans ?À cette époque, il n’y avait aucuneétude réalisée sur le sujet, donc il estimpossible d’en prendre la mesure.Cependant, nous savons que l’obésitéa beaucoup progressé, c'est pourquoiil s'agit forcément d'un problème crois-sant. Ne serait-ce que parce que l’ap-parence a de plus en plus d’importancedans la vie professionnelle. La vente,le commerce sont devenus des secteursimportants et ils refusent beaucoup detravailler avec des personnes obèses.

Etes-vous favorable aux CV sansphoto ou même anonymes ?Oui. Mais pour l’instant, tous les par-tenaires sociaux y sont fortement hos-tiles. Je pense aussi qu’il faudrait com-pléter les entretiens d’embauche pardes tests professionnels solides.

Les procès pour discriminationsracistes se multiplient, mais peuconcernent l’obésité. Pourquoi ?Les personnes touchées n’osent pasattaquer en justice, ou bien elles igno-rent qu’il est possible de le faire.Parfois, elles ne savent tout simple-ment pas que ces discriminations sontinterdites, car on n’en parle pas autantque des problèmes de racisme.

Céline Tarrin

Jean-François Amadieu, directeur de l'Observatoire des discriminations

« L’APPARENCE A DE PLUS EN PLUSD’IMPORTANCE AU TRAVAIL »

LES CHIFFRESEN FRANCE

• L’obésité concerneactuellement environ10 % des adultes et 15 à16 % des enfants. Quantau surpoids, il concerne29,2 % des Français, soit13,9 millions d’individus.

• L’obésité peut réduireen moyenne l’espérancede vie d’un adulte de13 ans.

• Les risques decomplications cardio-vasculaires sontmultipliés par trois chezles enfants obèses et lesrisques de diabète parneuf.

• Le Nord est la régionla plus touchée parl’obésité infantile (18,1 %).

• La prévalence del’excès pondéral atteint24,4 % chez les jeuneshabitant dans une cité,contre 11 % chez ceuxvivant dans un quartierpavillonnaire.

• Si l’un des parentsest obèse, le risque estmultiplié par quatre pourl’enfant et par huit si lesdeux parents le sont. Plusde 61 % des enfantsobèses vivent avec aumoins un parent obèseou en surchargepondérale.• L’obésité est 1,7 foisplus fréquente dansl’enseignement publicque dans l’enseignementprivé.

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pour enfants Armand-Trousseau àParis. Le mode de vie sédentaire denos sociétés modernes est poussé àl’extrême : tout est prévu pour qu’onait à en faire le moins possible. »Si la France est encore loin des États-Unis ou de la Grande-Bretagne enmatière d’obésité infantile, unerééducation alimentaire de la familledans son ensemble paraît néanmoinsnécessaire. La cellule familiale est

en effet le lieu privilégié où l’enfanttrouve l’équilibre dont il a besoin.Or, c’est souvent là que les mauvai-ses habitudes sont prises, dès le plusjeune âge. « Manque de repères,fausses idées… Les parents ne saventpas toujours comment s’y prendre »,poursuit Patrick Tounian. Mis àl’écart, moqués, ces ados dévelop-pent alors un profond mal-être, quel’école, univers impitoyable pourceux qui ne rentrent pas dans lemoule, peut considérablement aggra-ver. « Je ne fais plus attention quandon me traite de “grosse vache” ouque l’on me dit que je suis difforme.En revanche, affronter le regard desautres est très difficile, raconteAlexandra. J’ai d’ailleurs très peu

d’amies au collège. Avoir une grossedans sa bande, ça craint ! »

Un cercle vicieuxLa dernière enquête décennale del’Insee sur la santé (2003) révèle aussique c’est dans les familles d’ouvriersque la proportion d’enfants obèsesest la plus forte : 15 à 17 %. À l’in-verse, dans les familles d’ingénieurs,de cadres ou d’enseignants, moinsde 1,5 % des enfants souffrent d’obé-

sité sévère. Une autre tendance sem-ble donc se dégager : lieu de vie etmilieu social auraient un impact surla prévalence de la pathologie. Garetoutefois aux « analyses simplistes »,met en garde Patrick Tounian. Lespersonnes à fai-bles revenussont certes plusexposées auxproblèmes depoids car ellesn’ont pas toujours les moyens demanger équilibré, mais un autre fac-teur, plus pernicieux, doit être prisen compte : le fait d’être « gros »enferme la personne dans une spi-rale qui risque de précariser sa situa-tion. « La pauvreté seule ne rend pasobèse, mais l’obésité se concentrechez les plus pauvres, indique le spé-

cialiste. Elle a des conséquencessociales multiples, d’abord sur l’ac-cès à l’éducation, puis à l’emploi,mais aussi sur l’élévation sociale.Une femme obèse a très peu de chan-ces de séduire un homme d’une caté-gorie socioprofessionnelle élevée, etse verra rarement confier un posteà responsabilités ». Alors, un cerclevicieux s’installe insidieusement.Quand on sait que 70 à 80 % desenfants obèses le restent à l’âgeadulte, on mesure l’importance dela prise en charge de ces adolescentsqui traînent leur poids comme unboulet. Des programmes commeEpode (Ensemble prévenons l’obé-sité des enfants) ont ainsi vu le jour,en particulier dans les régions lesplus touchées. Objectif : pas plusd’enfants obèses dans cinq ans qu’iln’y en a actuellement. En instaurant des partenariats,notamment avec le milieu scolaire,le projet a pour but d’éviter une prisede poids excessive chez les 5-12 ans.Mais il ne fait pas l’unanimité. « Onsait depuis longtemps que l’éduca-tion nutritionnelle à l’école ne mar-che pas, souligne le pédiatre.L’obésité a un fonctionnement trèscomplexe et une prévention efficacene peut se faire que de manière indi-viduelle. Chaque cas est différentet nécessite un suivi particulier quele milieu scolaire ne peut fournir. »

Alexandra adécidé de partirdans un centrespécialisé dans letraitement desobésités lourdes.

Elle n’a rien dit à ses copines. Elleva y rester au moins deux mois. Elleaffiche une certaine pudeur et resteréservée sur l’avenir . « J’y vaisparce que je ne peux pas continuerà grossir, dit-elle. Même le regardde mes parents est devenu difficileà supporter. »

Stéphanie Thibaut

« Je ne fais plus attentionquand on me traite de “grosse vache”. »

suite de la page 7

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Les Français engloutissent chaque année34 kilos de sucre, 11 de plus qu’il y a cinq ans.

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Georges a 48 ans. Cet hiver, àla suite d’une rupture conju-gale, il s’est retrouvé à la rue.

Trois mois passés à dormir sous unporche ont altéré la santé de cetancien électricien. Il souffre de pro-blèmes dentaires et musculaires. Ilse déplace très lentement. « J’ai malaux pieds à force de marcher avecles mêmes chaussures », confie-t-il.Quand on vit dans la rue comme lui,la santé est mise à rude épreuve etsurtout, elle se dégrade rapidement.Les multiples pathologies sont aggra-vées par les conditions de vie et lemanque de soins. « Dans la rue, lemoindre problème de santé prendtout de suite des proportions énormes. Un simple rhume se com-plique, une blessure anodine peut s’infecter », constate Lucile Jouaux-Nlandou, assistante sociale, mem-bre du Collectif d’associations d’ac-cueil et de soins d’urgence à Tours.

Un manque de coordinationDe nombreux sans-abri souffrentégalement de problèmes psycholo-giques, notamment d’angoisses etde troubles de la personnalité. SelonGuénoël Teinturier, chef du servicesanté de l’Entr’Aide Ouvrière deTours, « un SDF a vingt fois plus derisques de contracter la tuberculosequ’une personne qui possède untoit ». Les conditions de vie diffici-les entraînent aussi des problèmesdigestifs, dermatologiques et respi-ratoires. Les femmes souffrent detroubles gynécologiques et lesenfants de problèmes ORL. À cela

s’ajoutent les addictions à l’alcoolet à la drogue. « Les sans-abri peu-vent aller en cure de désintoxicationmais de retour dans la rue, ilsreplongent rapidement », expliquel’assistante sociale Lucile Jouaux-Nlandou. « Ce quicompte pour eux,c’est surtout manger,boire et trouver unh é b e rg e m e n t » ,remarque ChristèleClément, assistantesociale à l’hôpitalBretonneau. Depuis sept ans qu’ellecollabore avec les associations, elleva à la rencontre des sans-abri afind’identifier leurs problèmes et lesamener à se soigner. Mais il est par-fois difficile d’intervenir car certainsrefusent les soins. D’autres changentrégulièrement de département, ce quiempêche le suivi médical. De plus,« il y a un manque de coordinationentre les sept structures de soins

gratuits que comptel’agglomération »,déplore le docteurTeinturier.C e p r o b l è m e d esynergie mis à part,les associations fontplutôt assaut d’initia-tives. L’Entr’AideOuvrière dispose detout un réseau sani-taire avec des parte-naires qui proposentdes soins gratuits. Ilseffectuent des visitesmédicales et des

bilans complets de santé. Le soir, desmédecins se rendent dans les foyersd’hébergement. Le Samu social estaussi fortement sollicité. Enfin, pouroffrir une aide psychologique auxSDF, une structure de psychiatrie

mobile est en projet àTours. Celle-ci complè-tera les actions del’Entr’Aide Ouvrièrequi envoie régulière-ment un infirmier sur leterrain. L’associationinsiste cependant pour

ne dispenser qu’un minimum desoins dans la rue. « Il faut inciter lesSDF à faire eux-mêmes les démar-ches nécessaires, pour les respon-sabiliser, confie le docteur Teinturier.Même si ce n’est qu’un premier pas,c’est important ».

Julie Innato

Problèmes dentaires et musculaires, difficultéspour marcher dues auxmauvaises chaussures...Trois mois dans la rue ont suffi pour que la santéde Georges se dégrade.

En France,l’espérance de vie d’un SDF ne dépasse pas 50 ans.

Précarité

SANS DOMICILE ET FRAGILELes SDF souffrent denombreux problèmes desanté dus à leurs conditionsde vie. Des associationstourangelles tententd’inciter les sans-abrià se soigner.

Entr’Aide Ouvrière de Tours :Tél. : 02.47.31.87.00Samu Social : 115

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O n a coutume de dire que lavingtaine est une parenthèseenchantée : « 20 ans, c’est le

bel âge », ou encore « quand on estjeune, on a la forme »… 96 % desétudiants prétendent ainsi être enbonne santé, selon une enquêtemenée par l’Union des sociétés étu-diantes mutualistes (Usem). Et pour-tant… Le « bel âge » est égalementcelui des fêlures physiques et mora-les. Mais rares sont ceux qui en fontétalage. Tant qu’on n’est pas clouéau lit, la vie continue. Sous le ver-nis d’une apparente bonne santé, laréalité est bien différente.Romain*, 23 ans, est étudiant encommunication à Tours. Il fait par-tie de ces 15 % de jeunes qui n’ontpas les moyens de se payer une cou-verture complémentaire santé. Pourles petits bobos sans conséquences,il peut compter sur sa mère,employée dans une pharmacie, pourlui procurer le nécessaire pour se soi-gner. Mais la com-bine a ses limites.« Cela fait plusieursmois que je laissetraîner une dentcariée. Je ne peuxvraiment pas mepermettre d’avancer plus de qua-rante euros. D’autant que, sansmutuelle, je ne serai pas rembourséà 100 %. » Le problème est là : sesoigner coûte cher. Boursier à l’éche-lon maximum (400 euros mensuelset 110 euros d’aide au logement),Romain a du mal à boucler ses finsde mois. Il lui faut d’abord payer leloyer de son appartement qui s’élèveà 310 euros. À cela s’ajoutent les

factures (eau, élec-tricité), sans oublierles transports, lanourriture, bien sûr,les vêtements, lesloisirs… « Alors lasanté, on verra plustard », avoue-t-il.Romain n’est pasun cas isolé : plusd’un étudiant surcinq avoue renonceraux soins par man-que de moyens. Selon l’enquête del’Usem, un tiers dela population estu-diantine estime ne pas se nourrir cor-rectement. Quand on connaît lesdégâts qu’une mauvaise hygiène devie peut provoquer sur la santé, il ya sans doute de quoi s’inquiéter.« J’ai perdu 10 kg en trois mois.Aujourd’hui je pèse 44 kg pour1,63 mètres. Je fais des chutes de

tension et suis amé-norrhée, probable-ment à cause d’unecarence en fer »,confie Marie, étu-diante en Languesétrangères appliquées

à Tours. En cette journée de mars,la jeune femme s’est accordée unedemi-heure pour déjeuner entre deuxséances de travail intensif à la biblio-thèque. Un bol de crudités, un yaourtet une orange : c’est tout ce que cettefrêle jeune femme de 19 ans avalera.Trop de stress ? Pas assez de temps ?À l’instar de Marie, la moitié desétudiants déclare prendre un repasréduit le midi ou le soir.

Sa demi-heure de pause réglemen-taire écoulée, l’étudiante repart pourdeux heures d’anglais. Après lescours, le rythme infernal se poursuit.Marie enfile son habit de guichetièredans le cinéma où elle travaille 18 hpar semaine. Ce n’est qu’à 23 h 30qu’elle rentrera chez elle… pourplancher sur ses cours. Elle finiratout de même par s’octroyer six peti-tes heures de sommeil, bien méri-tées. Si « le moral tient le coup »,dit-elle, sa santé fait les frais de cemode de vie. Ce pari risqué, les étu-diants sont nombreux à le faire. Saufqu’à long terme, l’addition pour lecorps, comme pour le portefeuille,peut s’avérer salée. Romain en faitl’expérience : n’ayant pu soigner sacarie à temps, il va devoir se faireposer une couronne. Une procédurecoûtant cinq fois plus cher…

Laure Anelli Florent Clavel

* Les prénoms ont été modifiés.

Étudiants

S’ils se disent globalement bien portants,les étudiants ne vont pas si bien que cela.Hygiène de vie négligée, renoncement aux soinsmédicaux… Ils sont nombreux à faire fi de leursanté. Avant tout pour des raisons financières.

Plus d’un étudiantsur dix n’estpas couvert parune mutuelle.

LE PÉRIL JEUNE

Parmi les étudiants, 13% de filles et 10 % de garçons déclarentavoir renoncé à des soins dentaires en 2005.

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P ortable à l’oreille, le docteurSami Ayeb circule à touteallure sur les routes étroites

du Val de Creuse. Ce généraliste de39 ans, installé à Éguzon-Chantômedepuis janvier 2004, effectue cha-que jour des visites dans les hameauxles plus reculés des alentours, sur unrayon de vingt kilomètres. Cet après-midi-là, il se rend à Cuzion chez desretraités. Le couple d’octogénairesn’a pas les moyens de se déplacer etse réjouit toujours de l’arrivée dumédecin. Il prend leur tension,

renouvelle les ordonnances… Lavisite est brève mais indispensable.Mais pas le temps de souffler : quel-ques minutes plus tard, il est àOrsennes, dans un centre de réin-sertion pour handicapés. Il y visiteune trentaine d’accidentés de laroute, qui viennent le consulter outout simplement parler. Un cabineta même été aménagé spécialementpour lui dans l’un des bureaux ducentre, où il effectue des vacationstous les après-midi « S’il n’était paslà, quel médecin viendrait par ici ?»

La voiture de Sami Ayeb est un véritable cabinet médical ambulant. Il parcoure ainsi 30 000 km par an pour soigner une clientèle plutôt âgée.

Ruralité

JOURNAL D’UN MÉDECIN DE CAMPAGNE Médecin généraliste

à Éguzon-Chantôme dans l’Indre, Sami Ayeb faitpartie des rares praticiens qui ont décidé de s’installer en milieu rural.Ce département estl’un des plus touchés par la désertificationmédicale. Un phénomènequi s’accélère en France,les vieux médecins partantà la retraite.

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rugbyman pensait qu’il ne ferait quepasser à « Éguzon-Chantôme, vil-lage étape », comme l’indique lepanneau à l’entrée du bourg. « J’ai

effectué des rempla-cements ici pendanttrois ans, raconte-t-il avec un accentqui rappelle ses ori-gines tunisiennes.Le médecin titulaire

a dû partir, il m’a demandé de leremplacer. J’ai longuement hésité,car ma famille vit à Limoges, maisje connaissais la clientèle, le contactpassait bien… Et mon prédécesseurs’inquiétait pour ses patients. »Même si sa femme et ses troisenfants restés à Limoges lui man-quent, il ne regrette rien. « Ici, lemétier n’a rien à voir avec ce qu’on

fait en ville. J’ai l’impression d’exer-cer une médecine plus humaine ! »,explique Sami Ayeb, qui connaît lenom de tous ses patients.

Un médecin à la retraitepour remplaçantDans les rues du village, les gensl’arrêtent souvent pour le remercierou lui demander un nouveau rendez-vous. Une reconnaissance qui le tou-che mais qui est parfois pesante. Ilse souvient notamment des débutsdifficiles avec « ces coups de fil enpleine nuit pour un bébé qui avait38 de température. Dès le moindrepépin, ils ne connaissent qu’un seulnuméro : celui du docteur », remar-que-t-il. L’inauguration d’une mai-son médicale de garde à Argenton-sur-Creuse, à vingt kilomètres de là,

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glisse la responsable. Éguzon-Chantôme, un bourg de1 500 habitants dans le sud de l’Indre,est classée en « zone déficitaire » : ladensité de médecinsy est inférieure deplus de 30 % à lamoyenne nationale.En raison de la pénu-rie de praticiens, lesjournées de SamiAyeb sont bien remplies. Dès 8 heu-res, il est à son cabinet - un pavillonvoisin d’une résidence pour retrai-tés - et finit rarement ses consulta-tions avant 21 heures, « sans comp-ter toutes les données à rentrer dansl’ordinateur… Comme je n’ai pas desecrétaire, il ne me reste plus que lanuit pour le faire ! », plaisante SamiAyeb. Le praticien à la carrure de

« J’ai l’impressiond’exercer unemédecine plushumaine ! »

Comme Marcel, 82 ans, ils sont nombreux, dans le pays, à attendre la visite du docteur. Situé en zone déficitaire, le sud de l’Indre compte moins d’un médecin pour 700 habitants quand la moyenne nationale est d’un médecin pour 295 habitants.

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lui a donné un peu de répit. « J’aimon samedi après-midi et mondimanche, ce qui me permet de ren-trer à Limoges auprès de ma famille.Mais j’ai du mal à trouver un rem-plaçant quand je veux prendre quel-ques jours de repos, regrette-t-il.L’été, c’est un médecin retraité quime remplace... » Il en faut cepen-dant plus pour démoraliser cet opti-

miste forcené. « Regardez ces pay-sages… C’est magnifique ! s’ex-clame-t-il en pointant son regard versl’énorme barrage EDF sur la Creuse.Lorsque je suis en voiture et que jesillonne la campagne, je suis heu-reux… » Mais au fil de la conversa-tion, il avoue déjà s’inquiéter dumoment où ses confrères autourd’Éguzon partiront à la retraite. Peu

de candidats semblent vouloir assu-rer la relève. « Je connais les étu-diants à l’université, et je sais qu’ilsveulent s’installer en ville. »Le manque de praticiens risque doncde se faire d’autant plus criant qu’iciles médecins ont , pour la plupartd’entre eux, plus de 50 ans.Pour inciter les jeunes à venir s’ins-taller dans ces endroits désertés, le

Le généraliste assure une trentaine de consultations par jour dans un rayon de vingt kilomètres.Il évite ainsi à ses patients âgés des déplacements trop fatigants.

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Conseil général de l’Indre propose,depuis juillet 2006, une bourse de7 200 euros pendant trois ans auxétudiants de troisième cycle enmédecine générale. En échange, lesvolontaires s’engagent à s’installerpour au moins cinq ans.

Une profession à l’orée d’une profonde mutation ?Pour mieux les séduire, le départe-ment vante également une campa-gne où il fait bon vivre, un environ-nement préservé ou encore unmarché de l’immobilier stable... Las.Il en faut visiblement plus pourconvaincre les futurs praticiens : enavril dernier, aucun contrat n’avaitencore été signé. « Pour attirer lesjeunes médecins à la campagne,peut-être faut-il offrir encoreplus... », suggère Sami Ayeb, avant

d’ajouter : « Si ça ne marche pas, onfera appel à des médecins étrangers.Comme dans les hôpitaux. »Le problème est récurrent bien audelà de la douce campagne berri-chone. Tant que les jeunes praticienspourront choisir de s’installer là oùils le veulent, laquestion resteraentière. Remettre encause cette libertéd’installation seraitsans effet, voirecontre-productif :une telle mesure orienterait les pra-ticiens vers le salariat dans les cli-niques, lesquelles délaisseraientainsi la médecine libérale de proxi-mité. La profession est-elle à l’oréed’une profonde mutation avec desmédecins s’occupant des patholo-gies sérieuses et des auxiliaires pre-

nant en charge la délivrance des cer-tificats ou la gestion des rhumes ?Un monde à mille lieues du docteurAyeb. En une journée, il aura soi-gné nombre de maladies et de petitsbobos : crise d’asthme, hyperten-sion, plaies infectées, angines... « Au

lieu d’aller voir,quand ils le peuvent,des spécialistes àChâteauroux, lespatients viennent mevoir. C’est ce qui meplaît ! Je suis parti

pour rester ! », lance-t-il. Son por-table sonne. « Une urgence, lâchele médecin. Un problème pulmo-naire... » Et la Hyundai grise foncede plus belle sur les routes étroiteset sinueuses du sud de l’Indre…

Hugues DerouardReportage photo : Julie Innato

« Pour attirer lesjeunes médecins,peut-être faut-illeur offrir plus... »

Le docteur Ayeb débute sa journée à 8 heures et la termine rarement avant 21 heures.Malgré ses horaires à rallonge, il n’envisage pas de quitter Eguzon-Chantôme où il s’est installé il y a trois ans.

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L es maladies nosocomialesgagnent du terrain. Pas réelle-ment dans les chiffres, mais

plutôt dans les esprits sensibiliséspar divers scandales qui ont émaillél’actualité ces dix dernières années.Les infections contractées dans lesétablissements de santé – qui fontaux environs de 4000 morts par anen France – se sont hissées, l’andernier, au septième rang desmaladies les plus craintes par lespatients, selon l’Institut nationalde la prévention et de l’éducationà la santé (INPES).A première vue donc, plus de peurque de mal : selon la dernière étudedu Centre de coordination de la luttecontre les infections nosocomiales,4,36 personnes sur cent hospitali-sées en 2006 en Indre-et-Loireont été infectées. C’est moinsque le résultat national quiplafonne à 4,97%, et moins quela région Centre (4,69%).Des chiffres qui peuvent encores’améliorer : il semble que la luttecontre ces infections contractées enmilieu hospitalier n’a pas toujoursété la priorité des établissements deTouraine ces dernières années. Uneenquête de L’Express réalisée en

2006 avait d’ailleurs servi d’élec-trochoc, mettant en exergue lesmauvais scores de certains hôpitauxdu département, les positionnant àla 41e place sur 72 pour le Centrehospitalier régional universitaire deTours, et à la 237e sur 241 pourl’hôpital de Chinon.

Un risque de contaminationdifficile à maitriserMalgré la création d’un demi-postede praticien hygiéniste en plus,immédiatement après un procèsperdu il y a quelques années,le CHRU de Tours demeure dansle collimateur de l’INPES, etpour cause : trois critères desurveillance sur quatre sont dansle rouge. L’hôpital chinonnais faitpire, ne remplissant aucun critère. Marc Lagier, docteur et délégué syn-dical FO à Chinon, avance unepremière explication : « A causedu manque de lits,du placement despatients dans desservices inappro-priés et de la baissedes effectifs, on esten désorganisationchronique », explique-t-il. A Chinon,le taux de personnes infectées attei-gnait 5,40 % l’an passé.Les professionnels de la santé,comme Nathalie Van der Mee, pra-ticien responsable du Relais régio-nal d’hygiène hospitalière, avaienttrès souvent tiré la sonnette d’alarme.« Nous n’avons vraiment pas assezde praticiens et d’infirmiers hygié-nistes, s’inquiète-elle. Nous som-mes les seuls établissements de larégion à ne pas respecter le seuilminimum requis.»

Une hausse des effectifs suffirait-elle pour autant à réduire la frac-ture ? Pas sûr : « Même les hôpi-taux dans le vert nous disent qu’ilsont du mal à lutter contreles maladies nosocomiales. Si onmettait vraiment la théorie enpratique, il faudrait que le person-nel passe deux fois plus detemps à se laver les mains qu’às’occuper des patients... »Autre handicap auquel il faut faireface : la concentration hospitalière.« Quand vous opérez tout le mondesur seulement deux blocs opératoires,c’est sûr qu’il y a des germes qui peu-vent traîner », poursuit Marc Lagier.Une situa tion peu encourageante,qui nécessite une remise en ques-tion du fonctionnement des établis-sements, de la qualité des soins dis-pensés mais aussi des mentalités dupersonnel médical.Selon Nathalie Van der Mee, « les

praticiens accep-tent difficilementl’idée qu’ils puis-sent contaminerdes patients ». Etde regretter le man-que de suivi de ces

derniers. Dès lors, faut-il se rési-gner ? Certainement pas. Le centre hospitalier de Chinon acommencé sa transformation : nou-veaux locaux et nouveau directeur.Celui d’Amboise, qui se remet àpeine de la fusion avec Château-Renault, – pourtant ancienne dequinze ans – , affiche aujourd’huiun taux d’infections en dessous dela moyenne départementale.Surprenant, quand des postes et desservices ont été supprimés, condui-sant à une réorganisation drastique

750000personnes sontinfectées chaqueannée en France.

maladies nosocomiales

LA TOURAINE TRAITE LES INFECTIONS DE L’HOPITAL A l’instar de tous lesétablissements hospitaliersde l’Hexagone, ceux d’Indre-et-Loire n’échappent pas auxproblèmes des maladiesnosocomiales. Afind’améliorer une situationpréoccupante, des postessupplémentaires depraticiens hygiénistes ontété créés. Mais le risque zéron’est pas d’actualité.

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de l’établissement. « Nous sommesun petit hôpital, donc le risque estmoindre », explique MauriceChevalier, son directeur. Et si le bud-get – qui est d’environ 60 millionsd’euros – « a plutôt tendance à dimi-nuer », cela est compensé par « lavolonté du personnel qui veut défen-dre son outil de travail ».Désormais davantage sensibles auproblème, les établissements régio-naux ont globalement réussi àaméliorer la situation depuis cinqans. Le corps médical ne s’attendtoutefois pas à une baisse subite deschiffres ; une formation du person-nel ne ferait diminuer le nombre depersonnes infectées que sur le longterme. Les grands maux sont là.Mais les grands remèdes sont toutjuste présents dans les têtes.

Andy Barréjot

Le protocole est clair.Afin déviter toutrisque d’infectionsnosocomiales, lepersonnel doit selaver les mains,six minutesavant de pénétrerdans un blocchirurgical, et troisminutes avantd’effectuer lesautres gestes desoins.

Le Centre hospitalier régional universitaire de Tours a été classé 41e établissement sur 72 en France, en 2006, par une enquête de L’Express.

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L’hôpital d’Amboise afficheaujourd’hui un tauxd’infections nosocomiales en-dessous de la moyennedépartementale.

Relais Régional d'HygièneHospitalière du CentreHôpital Bretonneau 2 boulevard Tonnellé37044 Tours cedex 9Tél : 02.47.47.82.90

Inpes : Institut nationalde la prévention etd’éducation pour la santé42 boulevard de laLibération93203 Saint-Denis cedexTél. : 01.49.33.22.22www.inpes.sante.fr

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A près trois ans de travauxintensifs, les bâtiments dela future clinique de

l’Alliance, à Saint-Cyr-sur-Loire,et du pôle de santé Léonard-de-Vinci, situé à Chambray-lès-Tours,prennent tournure. Des bâtimentsneufs, résultats d’une fusion : cellede six des sept cliniques de l’ag-glomération tourangelle. Ceregroupement �s’est imposé pourfaire face aux difficultés financiè-res révélées lors de mouvementssociaux en 2001 et 2003. Grâce àla mutualisation des équipementset du personnel, les cliniques réa-lisent les économies nécessaires àleur pérennité. Pour autant, cette« fusion tranquille » n’a pasentraîné de licenciements.Pour les patients, ces deux pôlesaugurent un tournant dans l’offrede soins départementale : la quasidisparition des cliniques privéesdu centre-ville. Seule la cliniqueSaint-Gatien s’y maintient.

Des chambres plus spacieusesLe pôle Léonard-de-Vinci , au sud,réunira le personnel de quatred’entre elles : le Parc, Fleming,les Dames-Blanches et Saint-Augustin, tandis que le nouveaucentre de l’Alliance , au nord,regroupera les activités chirurgi-

cales et de court séjour des clini-ques Velpeau et Saint-Grégoire.Cependant, la capacité d’accueilde ces deux pôles ne dépassera pascelle de toutes les cliniques parti-cipantes cumulées : 400 lits pourLéonard-de-Vinci et 200 pourl’Alliance. L’Agence régionale de

l’hospitalisation (ARH) a néan-moins consenti à l’apport detrente lits supplémentaires desti-nés au service de rééducation fonc-tionnelle du centre de Vinci. Aufinal, les patients auront des cham-bres plus spacieuses et plusconfortables. Les deux pôles separtageront les différents services.Le centre Léonard-de-Vinci seradivisé en quatre secteurs : une divi-sion « mère-enfant », avec l’obs-tétrique et la gynécologie, puis lacancérologie, la chirurgie et lamédecine générale. Viendront s’yajouter des bâtiments consacrés à

la radiologie, aux scanners, et à larééducation. Le pôle disposeraaussi de son propre laboratoired’analyses. Les résultats serontdonnés plus rapidement. La clini-que de l’Alliance, quant à elle,regroupera l’ensemble des spécia-lités chirurgicales, de médecine

interne, et un département deradiologie. Un service d’urgences,ouvert depuis septembre 2004 àSaint-Grégoire, sera égalementintégré. Le chantier de la cliniquede l'Alliance devrait être terminéle 15 août 2007, celui de Léonard-de-Vinci début décembre.L’ouverture au public devrait sefaire dans les semaines qui sui-vront. Reste à savoir si cette nou-velle vitrine médicale sauraséduire de nouveaux patients touten conservant une clientèle auxhabitudes forcément chamboulées.

Florian Etcheverry

Économie

Cette année, six des septcliniques privées del’agglomération tourangelledéménagent.À Saint-Cyr-sur-Loire etChambray-lès-Tours, deuxpôles médicaux réunirontpersonnels et compétencesdans un nouvel espace.

MARIAGE D’ARGENT DES CLINIQUES TOURANGELLES

La clinique de l’Alliance et le pôle Léonard-de-Vinci ont investi respectivement39 et 76 millions d’euros dans les bâtiments.

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Cinéma « Les Studio »2 rue des Ursulines 37000 ToursTel. : 02.47.20.27.00http://www.studiocine.com

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Dissez. Ils perdent tout repère. Lamaladie survient souvent à l’adoles-cence, avec son lot d’hospitalisa-tions. Il est alors très difficile pour

eux d’avoir une expé-rience profession-nelle. » Quand lemalade se stabilise,après quelques années,« il n’y a pas de rai-son pour qu’il ne

puisse pas aspirer à un travail enmilieu non protégé », affirme le psy-chiatre.

Reprendre confiance en soiEmbauchée en octobre, Marie – ensoins depuis trois années – goûte auxpremiers bénéfices d’un travail gra-tifiant. « Je me sens plus sûre de moi.Plus souriante, plus aimable. J’aiaussi perdu du poids. Je m’accepte »,confie la jeune femme de 27 ans.Mais, dans six mois, son contrat s’ar-rête. L’avenir ? Cela ne l’angoissepas. Pour elle, dorénavant, il estimpossible de ne plus travailler.La suite prendra peut-être la formed’un CAP cuisine. Pour, qui sait,marcher dans les pas de Marc, cui-

sinier, sorti des Studio il y a peu. Ila repris du service en milieu « ordi-naire », au sein d’une association.Et ça marche plutôt pas mal pourlui : « J’ai retrouvé un emploi, jegère bien. » La même année, unautre malade a repris ses études aprèsson expérience aux Studio.La solution aux problèmes d’inser-tion de Michaël, Marie et d’autresa-t-elle pour autant été trouvée ?Charles Dissez insiste : « Le projetn’a pas vocation à pallier un mar-ché du travail encore trop fermé pources malades . C’est un marchepied,une période transitoire pour se réa-dapter aux lourdes contraintes dumilieu professionnel. » Et sans douteaussi un tremplin pour changer leregard porté sur le malade.

Laure Anelli et Florent Clavel*Tous les prénoms ont été changés.

Patients psychiatriques

Au restaurant du cinéma« Les Studio », à Tours,six personnes soignées pourdes troubles psychiatriquesrenouent avec une activitéprofessionnelle. Un tremplinvers l’emploi pources malades souventlaissés pour compte.

Aux Studio, les malades travaillent au restaurant 20 heures par semaine avec un emploi dutemps adapté. Ils sont embauchés en contrat à durée déterminée de six mois renouvelable.

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OÀ 30 ans, Michaël* souhaitaitprendre un nouveau départ.Son objectif ? Trouver un tra-

vail, son premier. Avec un obstaclede taille : sa maladie psychiatriqueet son lot de handicaps – fatigue, dif-ficultés de concentration, repli sursoi, perte d’autonomie et de moti-vation… Lors d’une séance, son« psy » lui parle du restaurant desStudio, le cinéma d’art et d’essaisde Tours. Service, plonge, cuisine,les malades s’occu-pent du restaurant.Michaël a ainsiobtenu un CDD desix mois, renouve-lable. Vingt heureshebdomadaires.C’est le contrat fixé pour tous, avecun emploi du temps adapté. PourCharles Dissez, psychiatre, ancienchef de service du CHU de Tours,et chef du projet, l’autre conditionsine qua non est la poursuite du trai-tement. Car si celui-ci est fatigant,il n’en reste pas moins indispensa-ble pour éviter la rechute.Michaël a décroché ce contrat aprèsplusieurs années de galère : « Je vaisenfin pouvoir gérer mon argent,avoir une véritable hygiène de vie :me lever tôt, manger à des heuresrégulières. » Des habitudes qu’il fautréapprendre au quotidien.« La situation de ces malades estparfois proche de celle des chômeursde lon�gue durée , explique Charles

« Je me sens plus sûre de moi,plus souriante.Je m’accepte... »

UN VRAI JOB, ENFIN !

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blissements financiers se sont enga-gés à améliorer l’information, beau-coup de progrès restent encore àfaire. Certaines banques possèdentdes guides Aeras… dans leurs car-tons. D’autres ont opté pour uneinformation uniquement consulta-ble en ligne. D’autres encore four-nissent, certes, des exemplaires de

la convention à leurs clients, maissans explications – et ce, que lesclients soient d’ailleurs « touchés ounon par une maladie », comme l’ad-met un banquier de Tours.

Des emprunts qui coûtent cherAutre obstacle, déjà existant dans laconvention Belorgey : les surprimes.Exigées par les assurances chargéesde définir le montant des primesdécès et invalidité, celles-ci peuventatteindre jusqu’à 100 euros par mois.Si le nouveau protocole permet auxbas salaires de faire appel à l’Étatpour prendre en charge une partiede ces suppléments, ceux-ci restentencore très élevés dans la plupart descas. À tel point qu’il est parfois plus

avantageux d’emprunter… sans pas-ser par Aeras – à condition, bien sûr,de trouver une banque acceptant unprêt. À ce paradoxe s’ajoute unécueil fâcheux: aucune sanction n’estprévue en cas de pratiques discrimi-natoires. Très critique sur le sujet,l’association UFC-Que-Choisir arefusé de parapher Aeras alors

qu’elle était signataire de laconvention Belorgey.Afin de régler les éventuelslitiges, le dispositif repose,comme auparavant, sur unecommission de médiation.Son président, EmmanuelConstans , affirme que « deuxcents dossiers ont été déposésau cours du premier trimes-tre », ce qui est plutôt un bondébut. « En trois mois, la com-mission a reçu plus de dos-siers qu’en un an sousBelorgey », constate-t-on auCollectif inter associatif surla santé. La preuve que les

personnes concernées sont mieuxinformées sur la nouvelle conven-tion. Mais pas question de s’en féli-citer pour autant. Cette recrudes-cence des réclamations montre,aussi, que l’accès au crédit demeureun parcours du combattant pour lesmalades. Malgré les garanties, lesbanques se montrent toujours d’unefrilosité tenace. Là réside toute ladifficulté que rencontrera Éric dansses futurs projets, puisque le sida tuetoujours. Sa solvabilité ne sera jamaistotalement prise en compte, sa séro-positivité primant sur tout. Une véri-table « double peine » pour ces per-sonnes malades.

Anissa Ammoura, Christelle Bodin et Nicolas Ferrier

S éropositif depuis treize ans,Éric n’avait jamais songé àfaire un emprunt, conscient des

discriminations à l’encontre des por-teurs du sida. Depuis que sonconseiller du Crédit Agricole lui aparlé de la convention Aeras, cethabitant du Loir-et-Cher se veut opti-miste : « Quand on est séropositif,le dossier est généralement refusé.Là au moins, on avance .»À 42 ans, Eric peut enfin envisagerde changer de voiture en emprun-tant près de 5 000 euros.Comme lui, 11 millions de person-nes sont susceptibles de bénéficierde la convention Aeras (s’Assurer etemprunter avec un risque aggravéde santé). Lancée en tout début d’an-née, celle-ci a pour objectif de faci-liter l’accès à un emprunt pour lespersonnes atteintes, ou ayant étéatteintes, d’une affection à longterme telle que le sida, le cancer, lediabète... Elle succède à la conven-tion Belorgey qui, en six ans d’exis-tence, n’a jamais réussi à s’imposerauprès du public visé. Comme lesouligne Patrick Ferrer, porte-paroledu réseau des malades de la Liguenationale contre le cancer, « per-sonne n’en avait connaissance».La convention Aeras fera-t-elle sontrou ? Difficile à dire, cinq mois seu-lement après sa mise en place. Seulecertitude : si les assurances et les éta-

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Lancée en janvier 2007,la convention Aeras (s’Assurer et emprunter avec un risqueaggravé de santé) doit, �en principe, faciliter l’accès aux crédits des personnessouffrant de pathologies graves.Mais son efficacité est déjàmise en doute.

DOUBLE PEINE POUR LES GRANDS MALADES

Emprunt� bancaire

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« Trois ans après moncancer de la thyroïde, jedécide de construire une maison. Mon bilan de santé est plutôt bon.J’entreprends alors les

démarches pour faire un prêt immobilier.À l’arrivée, toutes lesoffres comprenaient unesurprime. Une assurancea même accepté de me

couvrir dans le cadre de la convention Aeras, maisseulement sur le décès et avec une majoration de 80 euros par mois.Seul souci : la banqueconcernée ne voulait pasm’accorder un prêt sansassurance invalidité.Ou alors en prenant unehypothèque sur la maisonde mes parents ! J’ai finalement choisi la première propositionqui m'avait été faite : leCIC a accepté le prêt avec

seulement une assurancedécès, et unesurcotisation de 37 eurospar mois…. Tout cela sansconvention Aeras. Je nevois que deux raisonspossibles à cette galère :soit commercialementje n’intéressais pas lesbanques, soit j’ai étédiscriminé en raison dema maladie. Et tant que laconvention Aeras ne sera pas obligatoire,il n’y a pas de raison que ça change. »

2007 INNOVA 21

« J’avais un projet depuis2003 : construire ma maison.Pendant l’été 2004, j’ai appris que j’avais un cancer du sein.Je suis devenue propriétaire d’unterrain fin 2004 sans emprunter,mais pour construire, j’ai eu besoin d’un prêt. Je suis

retournée voir la banque.Célibataire et cancéreuse, je n’aimême pas eu le droit de répondreà un questionnaire de santé :j’étais la peste totale pour les banquiers. J’avais pourtant undossier béton : un cautionnaire,plus une assurance décès etinvalidité. Personne ne connaissaitni n’appliquait la loi Belorgey. J’aivraiment galéré. Une banque amême voulu que je monte unesociété civile immobilière afin depouvoir emprunter! Pourconstruire sa propre maison, celame paraissait aberrant. À force, j’aitrouvé une assurance. Fallait-ilencore qu’un organisme me prêtede l’argent, ce qui s’est passéquelques mois après. Grâce aubouche-à-oreille, j’ai aujourd’huiune assurance à Rouen, un courtierà Strasbourg, et une banque àReims. »

Nicolas, 33 ans, ingénieur en informatique à Arles,ancien malade atteint d’un cancer de la thyroïde.

« UNE HYPOTHÈQUE SUR LAMAISON DE MES PARENTS »

LES AVANCÉES DELA CONVENTIONDepuis le 6 janvier 2007,les personnes maladespeuvent bénéficier desnouvelles mesures de laconvention Aeras. Sonchamp d’application a étéélargi par rapport à laconvention Belorgey :l le temps de traitementdes demandes ne doit pasexcéder cinq semaines.l l’octroi d’un prêt à laconsommation de moinsde 15 000 euros n’est plussoumis à un questionnairede santé.l un référent Aeras, auxcoordonnées publiques,estnommé dans chaqueétablissement bancaire.Plus d’informations surwww.aeras-informations.org.

Sylvie, 40 ans, 2 enfants, conseillère en insertion,atteinte d’un cancer du sein depuis 2004.

« LA PESTE POUR LES BANQUIERS »

CHRI

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ODI

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D.R.

20-21Aeras-ok 28/06/07 16:06 Page 21

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Souscrire une complémentairesanté : privilège ou formalité ?Selon un sondage Tns-Sofres

de mai 2006, 92 % des Français enbénéficient. Pierre angulaire du par-cours de soins, une telle adhésion estjugée indispensable par 69 % d’en-tre eux. Pourtant, tous ne sont paslogés à la même enseigne. Si le sys-tème de soins français permet unegrande accessibilité aux mutuelles,il n’en est pas pour autant équitable.Age, sexe, situation familiale et sur-tout montant de la cotisation sontautant de facteurs influents. Deuxpatients ayant souscrit la même com-plémentaire santé, mais avec descontrats différents, n’obtiendront pasles mêmes garanties. Exemple : uncadre de 34 ans, cotisant 45,66 eurospar mois à Swiss Life, verra sa cham-bre particulière remboursée intégra-lement lors d’une hospitalisation ;alors qu’un ouvrier de 20 ans, coti-sant 15,80 euros par mois à la mêmeassurance n’obtiendra aucune priseen charge pour la même prestation.Le patient a donc intérêt à souscrireune très bonne complémentairesanté. Et donc, payer une cotisationplus onéreuse. Ce quin’est pas à la portéede tous. Pourtant, les contratssanté foisonnent etproposent une multi-tude de formules,toutes plus personnalisées les unesque les autres. Mais l’égalité d’ac-cès aux soins n’est pas garantie car

chacun ne peut s’assurer qu’en fonc-tion de son porte-monnaie. Dans uneenquête de mai 2006, la Direction

de la recherche desétudes de l’évalua-tion et des statisti-ques (Dress) arépertorié quatregrandes familles decontrats, de la plus

chère à la plus économique. Leurdifférence tient principalement à laprise en charge des prestations les

moins bien remboursées par laSécurité sociale : soins dentaires,optique et dépassements d’honorai-res, les secteurs les « plus discrimi-nants » pour la Dress. Alors que lescontrats « entrée de gamme » ne cou-vrent que très rarement les dépasse-ments d’honoraires, les meilleursremboursent jusqu’à deux ou troisfois le tarif de responsabilité de laSécurité sociale. Concernant les pro-thèses dentaires et lunettes, les garan-ties des contrats « haut de gamme »

22 INNOVA 2007

Complémentaires santé

La majorité de la populationfrançaise bénéficie d’unecomplémentaire santé. Lesdisparités de remboursementdemeurent pourtant trèsimportantes.

TOUS COUVERTS, INEGALEMENT GARANTISProthèse auditive : 660€Sécu* : 129,80 € Sécu : 129,80 €Complémentaire : 299,50 € Jean : 230,70 € Michel : 530,20 €

,0?Paire de lunettes + lentilles : 220€Sécu : 7,25 € Sécu: 7,25 €Complémentaire : 124,90 €Jean : 87,85 € Michel : 212,75 €

Part Michel : 212,75?Prothèse dentaire : 240€Sécu : 75,25 € Sécu : 75,25 €Complémentaire : 164,75 €Jean : 0 Michel : 164,75 €Part Michel : 164,75? Part Jean : 0?Cardiologue en dépassement(1) : 80€Sécu : 31,01€ Sécu : 31,01 €Complémentaire : 48,99€Jean : 0 Michel : 48,99 €Part Michel : 48,99? Ostéopathe(1) (non remboursé par la S S) : 30€Sécu : 0 Sécu : 0Mutuelle: 27€Jean : 3 € Michel : 30 €Part mutuelle : 27?Forfait hospitalier de 3 jours(2) : 48€Sécu : 0 Sécu : 0Mutuelle : 48 €Jean : 0 Michel : 48 €

En tout, Jean adéboursé 867,05€

Jean, 34 ans, cadre. Assurance Swiss Life à 545,50 €/an

63% des actifs ont une assurancepayée en partiepar l’employeur.

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sont près de trois fois plus élevéesque celles des contrats dits « inter-médiaires »… Selon le même son-dage Tns-Sofres, 63 % des actifsfrançais détiennent une complémen-taire santé via leur travail. Une solu-tion avantageuse, puisque l’em-ployeur participe au paiement de lacotisation à hauteur de 60 %, enmoyenne. À l’autre extrémité del’échelle sociale, les plus démunisne sont pas oubliés. Ils peuvent, euxaussi, bénéficier d’aides pour sous-

crire une complémentaire santé (voirencadré). Contrairement aux idéesreçues, bénéficier d’une mutuellen’est donc pas l’apanage des plusriches.Mais les disparités dans laprise en charge des soins sont extrê-mement importantes. Mieux vauttravailler dans une grande entrepriseou avoir de bons moyens pour coti-ser... Sinon, la note finale risque des’annoncer salée.

Julie Cloarec Marie Varroud-Vial

POUR LES PLUSDÉMUNIS

La Couverture maladieuniversellecomplémentaire(CMUC) : gratuite etrenouvelable, la CMUCest une mutuelle pourles plus défavorisés.Peuvent en bénéficierceux qui sont ensituation régulière,résident en Francedepuis plus de 3 moiset dont le revenumensuel est inférieur à598,23 euros.

Les avantages sontnombreux : prise encharge du ticketmodérateur, du forfaitjournalier et decertains dépassements(dans la limite d’uncertain montant).

L’Aide pourcomplémentaire santé(ACS) : elle estattribuée aux Françaisqui perçoivent desressources supérieuresà 20 % du plafondCMUC (soit 717,88euros par mois). Il fautégalement être ensituation régulière etrésider en Francedepuis plus de 3 mois.L’ACS donne droit à unedéduction sur le prixannuel de lacomplémentaire santé,choisie librement.Depuis 2006, s’ajoutela dispense d’avance defrais sur la part priseen charge parl’assurance maladie.

EMENT GARANTIS

Sécu : 129,80 €

Michel : 530,20 €

0€Sécu: 7,25 €

Michel : 212,75 €Part Michel : 212,75?

Sécu : 75,25 €

Michel : 164,75 €Part Jean : 0?: 80€Sécu : 31,01 €

Michel : 48,99 €par la S S) : 30€

Sécu : 0

Michel : 30 €48€

Sécu : 0

Michel : 48 €

* Sécurité sociale(1) Consultationremboursée sur labase de 45,73 €.Certains spécia-listes, comme lesostéopathes nesont pasremboursés.(2) Le forfait hos-pitalier journalier( lit et nourriture )s’élève à 16 €.

Pour des soinsclassiques, Micheldépensera moinsque Jean. Pour 5consultations degénéraliste à 21 €remboursées 20 €,2 consultations dedentiste conven-tionné à 25 € rem-boursée 16,50 € etl’achat de lunet-tes à 120 €, Micheldéboursera 142 €dans l’année ;alors que Jeandépensera 117,75 €+ 545,50 € desouscription à samutuelle soit663,25€.

Michel, 34 ans, ouvrier. Sans complémentaire

En tout, Michel a déboursé 1034,69€

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24 INNOVA 2007

Prévention

Lancé en décembre dernier,le préservatif à 20 centimesd’euros tente, non sans mal,de s’imposer sur le marché.

L a première fois qu’Élodie,23 ans, s’est rendue dans unepharmacie pour acheter des

préservatifs, elle est tombée dehaut : 7,50 euros la boîte de 12.« On nous rabâche sans arrêt qu’ilfaut se protéger, mais il faudrait quetout le monde y mette du sien! »s’insurge-t-elle.Le préservatif accessible à tous étaitl’un des souhaits de Jacques Chirac.À la veille de la Journée mondialede lutte contre le sida, en 2005, leprésident de la République avaitlancé un appel pour la diffusion dupréservatif à 0,20 euro. Deux socié-tés, Polidis et Antoine & associés,se sont lancées sur ce marché, endécembre dernier. Lapremière en commer-cialisant ses préserva-tifs à l’unité dans lesofficines, la seconde enproposant des pochet-tes de cinq, disponibleschez 20 000 marchands de journauxet buralistes. « Un succès colossal :en un peu plus de deux mois, septmillions de préservatifs se sont arra-chés ! », se félicite aujourd’huiHervé Antoine, PDG d’Antoine &associés, « père » des préservatifs« Make Love » dont 5 % des ventesreviennent à Aides, l’association delutte contre le sida.« C’est une bonne initiative», com-mente Sébastien, 22 ans, utilisateurrégulier. « Reste que si j’en ai besoinla nuit, je vais devoir dépenser deuxeuros... », ajoute-t-il en faisant réfé-rence au prix encore prohibitif despréservatifs vendus en distributeurs.« Aujourd’hui, on ne peut pas ne pas

se protéger. Je trouve scandaleuxque le préservatif soit vendu aussicher quand son coût de fabricationest de 5 centimes environ, s’emporteHervé Antoine. Les marques qui ontrefusé de participer à l’opération dupréservatif à 20 centimes se font unfric fou sur la santé publique ! »Le fabricant français, très investidans la lutte contre le sida, ne s’estpas fait que des amis chez ses

concurrents, qui com-muniquent peu sur leursmarges. Et pourtant, àen croire plusieurs phar-maciens, les ventes nepâtissent pas des prix

cassés. « Ce n’est pas la même clien-tèle, commente Éric Néron, pharma-cien à Tours. Il est compréhensibleque ceux qui ont les moyens veuil-lent allier l’utile et l’agréable. » Untour dans les rayons concernés suf-fit à confirmer cette idée.

Coloré, perlé, parfumé...Les fabricants se sont massivementorientés vers une gamme plaisir etfantaisie, plus que vers la préven-tion : entre les préservatifs colorés,parfumés ou encore perlés, on ne saitplus où donner de la tête. Hansaplast,venu titiller les géants Durex etManix sur le marché, démédicaliselui aussi le latex. La marque de spa-

radraps a lancé le « Mutual plea-sure », innovant avec son capuchonen double spirale, et « Plaisir G »,« spécialement étudié pour stimulerle plaisir de la femme ». De son côté,Durex a osé transformer un produitde santé publique en sex toy : le« Pleasure max vibrations », un pré-servatif avec anneau vibrant vendu9 euros environ. Une idée très ren-table mais « aux antipodes de lavocation des préservatifs », selonHervé Antoine.Bien que récentes, ces innovationsmarketing ne suffisent manifeste-ment pas à rabibocher les Françaisavec la “capote”. « Ils y ont deux foismoins recours que les Britanniquesou les Italiens, constate OlivierDenoue, directeur de la communi-cation d’Aides. C’est cruel, car lenombre de séropositifs est largementplus important en France qu’ailleursen Europe. » En 2005, 93 millionsde préservatifs ont été vendus enFrance alors que 6 700 personnesont découvert leur séropositivité.D’où l’urgence de pérenniser cetteopération... et d’éviter qu’elle netombe à l’eau comme celle, lancéeen décembre 1993, du préservatifà 1 franc. Hugues Derouard

DISTRIBUTIONGRATUITEEn 2006, 5,5 millions depréservatifs masculins etun million de préservatifsféminins, ont été distribuéspar l’Institut national deprévention et d'éducation pourla santé. Autant le seront en2007. Depuis le 2 avril, la Maafrembourse, dans le cadre deson forfait « préventionsanté », les préservatifs àhauteur de 30 euros par an.

SEXE, CONDOM ET FANTAISIE

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«La fabricationd’un préservatifcoûte environ5 centimes.»

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Inlassablement, le ballon, cata-pulté par le bras de Gérald Hardy-Dessources, vient se briser sur le

mur vétuste de la salle d’entraîne-ment du complexe Grenon à Tours.Sous les coups répétés, la vieillepeinture s’effrite. Le volleyeur tou-rangeau déroule mécaniquement sesfrappes, bien droit dans ses baskets.La semaine dernière pourtant, le gail-lard boîtait bas, souffrant d’uneentorse à la cheville. À peine unedizaine de séances de kiné plus tard,ce n’est plus qu’un souvenir.« Quand tu reprends, tu as toujourspeur de faire certains gestes,concède-t-il. Mais comme chaquefois on m’a bien guéri…Ici, le staffmédical est très bon, mais quelquepart c’est normal. Un joueur qui nerécupère pas bien, c’est comme unordinateur sans ses logiciels. Ça nefonctionne pas à fond. »

Des spécialistes à dispositionÀ proximité de la zone de tir, PascalFoussard, le directeur sportif duTours Volley-Ball observe « son »joueur, visiblement soulagé.« Quand on enchaîne les rencontres,il est indispensable d’avoir unsuivi médical des joueurs mêmesi ceux-ci sont aujourd’hui plus àl’écoute de leur corps… Un joueurqui ne peut pas jouer, c’est un résul-tat qui peut passer sous le nez duclub. Alors, il est important de met-tre tout le monde dans les meilleu-

res dispositions. » Le TVB a pourcela mis en place une logistiquemédicale particulière. Pas de sala-riés, ni de budget alloué à la santé,mais des spécialistes extérieurs,indemnisés pour le temps passé avecles joueurs. Un orthopédiste, unmédecin du sport, un préparateurphysique et deux kinésithérapeutesconstituent le staff médical, auquelviennent s’ajouter des intervenantsau cas par cas (cardiologue, podo-logue, nutritionniste et préparateurmental). Soit neuf spécialistes auchevet d’une quinzaine de joueurs.« Avec un match tous les trois jours,il y a de grosses contraintes physi-ques, explique Jérôme Piquet, kinédu club depuis onze ans. Être spor-tif de haut niveau n’est pas donné àtout le monde. Et la moindre bles-sure peut perturber ce potentiel. Ilne faut pas laisser la moindre placeau hasard ». En moyenne, entre laprévention, la musculation et lessoins, chaque joueur effectue unesoixantaine de séances de kiné parsaison. Principales préoccupations :les genoux, à cause de la répétitiondes sauts, et les muscles de l’épaule.Mais lorsque survient une grosseblessure, l’addition s’alourdit.

Transféré de Belgique cette année,le Roumain Sergiu Stancu a rapide-ment fait connaissance avec le staffmédical. Victime d’une fissure d’untendon de l’épaule, il a enduré cinqsemaines de rééducation intense :deux séances quotidiennes, parfoislongues de plus de quatre heures.« C’est dur quand tu ne joues pasglisse-t-il. Souvent, quand je n’avaispas trop le moral, Jérôme me par-lait beaucoup, faisait des blagues. »

Des joueurs dans leur bulleComme pour Sergiu, les spécialis-tes sont à la disposition des joueursqui peuvent les consulter dès qu’ilsle souhaitent. Les autres patients en pâtissent. Lorsdu Final Four européen en avril der-nier, Jérôme Piquet, présent avecl’équipe à Moscou, a dû fermer soncabinet. « Les joueurs vivent dansleur bulle, se lamente-t-il. Ce sontdes mecs bien, mais ils ne se rendentpas compte de la chance qu’ils ont.Pour eux, tout est naturel, normal.Venir au cabinet et voir des gens quiont eu des accidents et sont en fau-teuil roulant, quelque part, ça lesaide à relativiser. »

Andy Barréjot

Le kiné Jérôme Piquet étire les 1,93 m. de l’international Loïc de Kergret.

Sports

ATHLÈTES BICHONNÉSEntourés d’un staff médicalimportant, les sportifsprofessionnels sontvéritablement choyés.Au Tours Volley-Ball (TVB),la santé et la conditionphysique des joueurs fontl’objet d’une surveillancetrès poussée.

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L e travail, c’est la santé ! Nedevrait-on pas dire : le travailuse la santé ? Les salariés souf-

frant de maladies d’origine profes-sionnelle sont, en effet, de plus enplus nombreux. Entre 1997 et 2005,le nombre de cas reconnus est passéde 16 000 à 52 000. Mal de dos, ten-dinites, asthme, allergies, cancers...112 affections liées au travail sontactuellement répertoriées par laSécurité sociale. Si le milieu ouvrierétait auparavant le plus concerné, lescols blancs et les cadres ne sont plusépargnés aujourd’hui.Les troubles musculo-squelettiques(TMS) en sont un exemple typique.Cette pathologie qui touche les mus-cles, nerfs et tendons affectent denos jours tous les secteurs d’activi-tés. Vous effectuez chaque jour desgestes répétitifs ou vous travaillezdans une mauvaise posture? Vousfaites peut-être partie des 31 000 per-

sonnes souffrant de cette maladiedirectement liée à la pénibilité dutravail. Premier problème de santéau travail en France, les TMS sontmême qualifiés d’épidémie parl’Institut de veille sanitaire.Plombiers, caissières de supermar-ché, infirmières, employés chargésde saisie informatique, ouvriers demanutentiondéfilent ainsiquotidienne-ment dans lescabinets desmédecins dutravail poursoigner des articulations mises à rudeépreuve. Tendinites de l’épaule ousyndrome du canal carpien (lésionqui touche main et poignet) consti-tuent les pathologies les plus fré-quentes. Mais aussi les plus diffici-les à prévenir. « Quand on utilise desproduits toxiques, il suffit de leschanger. Pour les TMS, ce n’est passi simple. Il faut analyser tout le tra-vail, les mouvements… », expliqueJacques Baugé, médecin àl’Association interprofessionnellepour la médecine du travail (AIMT)d’Indre-et-Loire.Si l’éventail des professions frap-pées par les maladies professionnel-les est de plus en plus large, certains

salariés encourent pourtant des ris-ques plus importants que d’autres.Au hit parade des métiers les plusdangereux : les secteurs du BTP etde la chimie. Des secteurs dans les-quels le salarié est en contact avecdes produits toxiques cancérigènes.Alors que l’amiante est responsablede plus de la moitié des cancers pro-

fessionnels, d’autressubstances, utiliséesquotidiennement, sonttout aussi dangereu-ses. Des agents del’Equipement auxagriculteurs utilisant

des pesticides, en passant par lesagents d’entretien et les garagistes,environ 500 000 travailleurs seraientainsi susceptibles de développer uncancer à cause de leur activité.Les fonctionnaires, cadres et autresemployés du tertiaire auraient-ils desconditions de travail moins dange-reuses ? Non. S’ils sont moins affec-tés par les cancers, ils ne sont pasépargnés par le stress et les troublespsychologiques : des maux invisi-bles ignorés par la Sécurité sociale.« Quand j’ai commencé ma carrière,le stress existait dans des activitésparticulières comme le travail à lachaîne, souligne le docteur Baugé.Depuis une quinzaine d’années, il

Travail

Les mauvaises conditionsde travail se répercutentsur la santé. Autrefois rareschez les employéset les cadres, les maladiesprofessionnelles touchentdésormais toutes lescatégories de métiers.

500 000 travailleurssont susceptibles de développerun cancer en France.

Les métiers du BTP ne sont pas les seuls à engendrer des maladiesprofessionnelles. Au bureau, l’utilisation intensive d’un ordinateurn’est pas sans danger pour la santé. Tendinites et lésions nerveusesguettent les esclaves du clavier.

LES MAUX DU BOULOT

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ANNIE THEBAUD-MONY, Sociologue*« ÊTRE PLUS SÉVÈRE FACE AUX INFRACTIONS »Le nombre de maladiesdu travail augmente.Assiste-t-on à unedégradation généralede la santé des salariés ?Les conditions de travailse sont dégradées pourtout le monde. Lesnouvelles formesd’organisation ont unréel impact sur la santé.La flexibilité, la sous-traitance et le recoursau travail temporaireont conduit à ennégliger les dangers.Le personnel des petites entreprises

n’est pas formé auxconsignes de sécurité.

Quelles sontles mesures urgentes à adopter ?Il faut insister sur laprévention des risquesprofessionnels. Laréglementation quiimpose l’informationdes salariés est peuappliquée. L’État devraitpermettre auxinspecteurs du travaild’être plus sévères faceaux infractions. Il fautbriser l’impunité.

Actuellement, en cas demaladie professionnelle,il n’existe aucunesanction pénale contreles employeurs quiconnaissaient lesrisques encourus par lessalariés. Laisser mourirun salarié d’une maladieprofessionnelle, j’appellecela un homicideinvolontaire.

* Directrice de recherches à l’Inserm, spécialiste des questions de santé autravail. Auteur de Travaillerpeut nuire gravement àvotre santé (La Découverte,février 2007)

Aujourd’hui laissée à l’abandon, l’usine Everite àDescartes (Indre-et-Loire) a pourtant fait la Une desjournaux en 1997. Cette année-là, la France interditl’utilisation et la commercialisation des produits àbase d’amiante. Un coup fatal pour cette filiale deSaint-Gobain, spécialisée dans la fabrication de tôleset d’ardoises en fibrociment, un matériau à fort taux

d’amiante. Désamiantage du site et tentative dereconversion n’ont pas suffi à sauver l’entreprise.Depuis 2001, Everite n’existe plus. Et l’effet médiatiqueest retombé. Si certains employés ont voulu tourner la page, d’autres ont entrepris un long combatjuridique. Sur 28 dossiers, seulement neuf ont aboutià des indemnisations de 446 000 euros au total.

EVERITE : LE COMBAT DES VICTIMES DE L’AMIANTE CONTINUE

touche de nouveaux secteurs commela grande distribution, les centresd’appels téléphoniques. Mais aussiles ambulanciers, les forces de l’or-dre. Il serait logique que les patho-logies psychologiques soient ellesaussi reconnues ». Un sujet qui faitaujourd’hui débat. Comment, en casde suicide, distinguer l’influence dela vie personnelle et celle de l’acti-vité professionnelle ? La polémiqueest relancée avec le décès de plu-sieurs salariés à l’usine Renault deGuyancourt et à la centrale nucléairede Chinon. En mars, la Caisse pri-maire d’assurance maladie a classéla mort d’un employé de Chinoncomme maladie professionnelle. Uncas qui pourrait faire jurisprudence.

Sarah CaillaudAnthony Renaud

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C omment expliquer qu’enFrance, l’espérance de vieaugmente régulièrement,

mais que les inégalités de santé nese réduisent pas ?La France est un pays dans lequell’espérance de vie générale est trèsélevée. Mais les inégalités de santéentre les catégories sociales le sontégalement, et elles ont plutôt ten-dance à s’accroître qu’à se réduire.Le premier facteur est lié aux com-portements (alcool, tabac et alimen-tation) pour lesquels les politiquesde santé publique ont toujours étéinsuffisantes. Cela pénalise lescatégories sociales les plus expo-sées à ces risques. La deuxième problématiqueconcerne l’accès aux soins et auxprogrammes de prévention, qui estinsuffisant pour les populations lesplus défavorisées. Une récente étudede l’Institut de veille sanitaire amontré comment des programmesde prévention, spécialement conçuspour les plus démunis, pouvaientavoir un impact plus favorable.Enfin, les conditions de vie des plusdéfavorisés accroissent considéra-blement la mortalité prématurée.L’espérance de vie des plus pauvresest d’environ 45 ans en France. Elleest plus proche de celle d’un payscomme la Sierra Léone, qui est de34 ans, que celle de l’ensemble dela population française.

La couverture maladie universelle(CMU) a-t-elle permis de réduire

les difficultés d’accès aux soins desplus démunis ?Oui, mais pas suffisamment. D’abord,tous ceux qui auraient juridiquementdroit à la CMU n’en bénéficient pas.Tous les allocataires du RMI devraienten être titulaires, mais il y a beaucoupde départements où la proportion debénéficiaires est insuffisante. Onconstate également que certainspatients, bien qu’ayant cette couver-ture, se voient fermer les portes descabinets médicaux. Ils se retrouventdonc de nouveau dans des situationsdifficiles, sans suivi ni prévention.

Quelles doivent être les prioritésdes politiques sociales pour luttercontre ces inégalités ?On constate que dans une politiquede santé publique, lorsqu’on a fixéune centaine d’objectifs, il y en aun seul qui concerne les inégalitésde santé. Qui plus est, on ne s’estpas assez donné les moyens de leconcrétiser. En matière de sécuritéroutière, on a déroulé un plan à par-tir de l’idée qu’il fallait réduire lesaccidents de la route. On devraitfaire de même pour les inégalités desanté. Cela suppose tout d’abord derenforcer la prévention, que ce soitpour le tabac, l’alcool ou l’alimen-tation. Sur ce point, on est toujoursentre deux eaux en France. On parlebeaucoup mais on agit relativementpeu. Concernant la prévention del’alcoolisme, on hésite à assouplirles lois qui ont été adoptées il y a15 ans, et qui ne sont que partielle-ment appliquées. En matière detabac, on a encore du mal à contrerla montée du tabagisme chez les jeu-nes et également chez les femmes.Je crois qu’il faudrait également met-tre en place parallèlement des pro-grammes locaux de réduction desinégalités de santé. Certains pays

étrangers le font avec succès, commele Danemark. Ces programmes agis-sent directement sur les différentsfacteurs. On doit partir d’expérien-ces locales qui fonctionnent pourpouvoir ensuite les généraliser.

Pensez-vous que la France devraitmettre en place des objectifs quan-tifiés dans ce domaine ?Absolument. Ce n’est pas compli-qué à mettre en place, on l’a bienfait dans le secteur de la sécurité rou-tière. On pourrait, par exemple, avoirl’objectif que 100 % des RMIstesbénéficient de la CMU.

Vous dites souvent que les politi-ques de prévention contre le tabac,l’alcool, ou les comportements ali-

Entretien

«ON PARLE BEAUCOUP DE PRÉ VENTION, MAIS ON AGIT PEU»Martin Hirsch, ex-présidentd’Emmaüs France, spécialistedes questions d'exclusion,insiste sur l’importance des mesures concrètes etsimples à prendre poursensibiliser les plusdéfavorisés à leur santé.

Aujourd’hui haut commissaire aux solidaritésactives contre la pauvreté dans le gouvernementFillon, l’ex-président d’Emmaüs, Martin Hirsch apublié La pauvreté en héritage en 2006.

D.R.

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mentaires à risque ont davantagetendance à accroître les inégalitésqu’à les réduire. Pourquoi ?C’est un phénomène difficile à com-prendre et déroutant. Prenonsl’exemple des politiques sur le tabacde ces dernières années. Le prix descigarettes a consi-dérablement aug-menté, ce qui auraitdû toucher avanttout les populationsles plus démunies.Or, on s’aperçoitque la consommation a diminué plusrapidement chez les cadres. Cela veutdire que les axes de communicationne sont pas totalement adaptés.

En France, l’obésité est en aug-mentation chez les enfants…Quelles politiques de préventionpourraient être efficaces ?L’obésité est un bon exemple pourillustrer les très grandes différencesentre les catégories sociales. Quandj’étais directeur de l’Agence françaisede sécurité sanitaire des aliments(Afssa), on avait fait beaucoup de lob-bying pour obtenir l’interdiction desdistributeurs de boissons sucréesdans les établissements scolaires.C’était une chose importante sym-boliquement. Les réactions hostilessuscitées avaient renforcé notredétermination. Les enseignantss’épuisaient à expliquer qu’il fallaitavoir de bonnes habitudes alimen-taires, alors qu’à la récréation lesenfants pouvaient prendre une can-nette de Coca-Cola. Cela n’avaitaucun sens.Malheureusement, très peu d’étudesont été conduites pour montrer l’in-fluence des boissons sucrées surl’obésité : les équipes de recherchespubliques n’ont pas, dans la plupartdes cas, les moyens d’entreprendre

de telles recherches. Cela permet auxindustriels d’affirmer que cetteinfluence n’est pas démontrée.

Pensez-vous que les inégalités desanté ont été assez prises encompte dans la campagne prési-

dentielle ?Non. Les politiquesont beau penser quec’est un sujetimportant, ils nesavent pas com-ment l’aborder.

C’est pour cela qu’il faut faire ladémonstration, sur un certain nom-bre de programmes, qu’on peuteffectivement réduire les inégalitéspar une action jouant sur plusieursfacteurs. Cela conduirait naturelle-ment les décideurs à penser qu’ilspourraient avoir une prise sur lagénéralisation de tels programmes.

L’incurie des politiques sur le sujets’explique-t-elle par les difficultésà quantifier ces inégalités ?On a suffisamment d’éléments pourpouvoir agir. Il y a toujours desdomaines dans lesquels on faitmieux, mais ce n’est pas la raisonqui explique que l’on soit si peuvolontariste. Pour la lutte contre letabagisme ou pour la sécurité rou-tière, de grandes campagnes média-tiques sont mises en place. Est-cequ’il faudrait la même chose pourles inégalités de santé ? Tout dépenddu type d’action. La communicationne suffit pas en soi. S’il y a effecti-vement des politiques offensives surle sujet, elles peuvent être accom-pagnées d’une communication quile soit elle-même. Mais la commu-nication ne se substitue pas à l’ac-tion politique.

Propos recueillis par Julien Thomas et Sandrine Vallard

PRÉ VENTION, MAIS ON AGIT PEU»D’ EMMAÜS AUGOUVERNEMENTNé en 1963, MartinHirsch suit des étudesde neurobiologiste,avant d’ intégrer l’Ena. Ilentre ensuite auConseil d’Etat où il estencore aujourd’huimaître de requêtes.Après avoir pris la têtede la Pharmaciecentrale des hôpitaux, ilse tourne vers lapolitique en 1997 etdevient chef de cabinetde Bernard Kouchner,secrétaire d’Etat à laSanté.Directeur de l'Agencefrançaise de sécuritésanitaire des aliments(Afssa) de 1999 à 2004,il s’engage dans la luttecontre la pauvreté et laprécarité. Il coordonnel'Union centrale descommunautésEmmaüs, dont ildevient président aprèsle départ de l’AbbéPierre en 2002.Cofondateur del'Agence nouvelle dessolidarités actives(2006), il est aussimembre du comitéconsultatif de la Hauteautorité de lutte contreles discriminations etpour l’égalité (HALDE).Martin Hirsch a étérécemment nomméhaut commissaire aux solidarités activescontre la pauvreté.

« Les politiquesne savent pascomment aborderun tel sujet. »

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«I l ne faut pas que je l’achète! »Les doigts de Quentin se figent.

« C’est reparti, encore le coup de labonne conscience », se reprend-t-ilen souriant. Derrière lui, trois cama-rades de sixième B, sourire narquois,

appareils dentaires étincelants, lan-cent à un quatrième : « T’as pas ditbonjour à Cochonnou, ce matin ! »En entendant son surnom honni,Quentin esquisse une grimace derésignation.Finalement, peut-êtreque la bonne conscience mériteencore débat, pour au moins unebarre de chocolat. Une de plus.Le pour ? Après tout, contrairementà ce que dit le médecin, on ne prendpas plus de calories avec une barrede chocolat qu’avec trois chewing-gums. Quentin regarde sa montre,et trouve que 127 minutes et20 secondes jusqu’à la pausedéjeuner sont vraiment trop à sup-porter pour son estomac.Le contre ? Oh, juste le monde exté-rieur : les parents, qui n’hésiterontpas à faire une opération commandosur son porte-monnaie, les camara-des qui se paieront sa tête en coursd’EPS cet après-midi, jusqu’à la

balance, qui, à n’en pas douter, affi-chera un bon 70 kg, demain matin.« Suis ton instinct, Quentin. » Quiaurait cru que la démarche de l’achatde 50 g de sucres rapides équi-vaudrait à un geste quasi-viscéral ?Une seule chose à faire...

ffff

«P rends-la, c’est pour ton bien ! »Chiara rit au nez de Latvia. Au

rayon des conseils stupides, celui-ciemporte le pompon. Une barre dechocolat, et ce serait « bye-bye » àson pantalon taille 34. Oui, ses côtessont apparentes depuis 2 semainesmaintenant, mais après tout, c’est defamille, sa mère aussi, sur ses pho-tos de jeunesse.Et elle touchepresque au but :de concours debeauté en séan-ces photo, elleva prochaine-ment décrocherune place dans des collectionsautomne-hiver pour ados.Au moins, elle, on ne la retrouverapas dans les catalogues de vente parcorrespondance. Elle ne gâchera pastout le marathon avec une stupidebarre de chocolat.

ffff

«C e n’est pas stupide, chéri, cen’est juste pas sérieux ! »

Bertrand baisse les yeux. Combiend’années de mariage à entendre cesélucubrations ? Ah, oui, 33 ans !Constance et lui restaient là, unaprès-midi de grisaille, à fixer la barrede chocolat laissée par leur petit-fils

après les vacan-ces. Il en avaitvu, des repas defamille, depuisqu’on avaitdécelé son dia-bète. Toujours

sans dessert, c’était même devenuune blague avec la belle-famille, maisau moins, il se rattrapait sur le cham-pagne et un rab d’apéro. Bertrandpense, en ricanant : « Au moins, pen-dant ce temps-là, elle me fiche la paixavec le cholestérol ! » Mais la barreest là, et comme la madeleine deProust, rappelle les goûters d’école.L’avantage d’être un adulte d’âgeavancé, c’est qu’il n’y a plus besoinde permission.

ffff

«Vous avez fini votre devoir ? »William décolle sa joue de la

table. L’examinatrice se tient debout,souriante. Premier réflexe : regar-der sa montre. Le temps de médita-tion s’est prolongé trop longtemps :il est midi. « Qu’est-ce que j’aiencore pu faire comme c... » sedemande t-il. Soudain, un indice :sur ses papilles, le goût de sucrecacaoté, suave, enveloppant. Pourtant,une barre de chocolat dans le carta-ble en cas de fatigue passagère, ilétait persuadé que ce serait LA solu-

tion. Hélas, même avec une activitésportive récurrente et un régime ali-mentaire au poil, trop de révisionsnocturnes et hop ! La dissertationn’a pas trouvé de terme. Un sacrécoup de barre, en somme.

Florian Etcheverry

Tentation

Coup(s) de barreLe grignotage est le mal dusiècle. Destin tout tracé pour la barre de chocolat. Les quatrepersonnages, Quentin, Chiara,Bertrand et William, vont-ilscraquer et la croquer ?

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