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Innova n°22. Le travail change de peau

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Cette année, le sujet proposé aux apprentis journalistes de l'Année spécial était Le Travail. Chômage, souffrance, exclusion, ils ont ausculté les maux de notre société, celle qui les attend. «Difficile de sortir d’un système ancré dans notre culture : hiérarchie, procédure, évaluation, présentéisme…» disent-ils. Mais ils ont aussi décidé d'aller voir du côté des gens épanouis dans leur boulot. De ceux qui mettent du cœur à l’ouvrage, qui inventent les métiers de demain et parient sur l’autonomie et la confiance. Ils ont ainsi découvert de nouvelles formes de travail, axées sur le partage et la coopération.

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Samus. Ihictestiore nonsequia doluptatqui autem quistio nsequas si-menderio cuscil int veleseque re, culpari beatem earumqui rem sent.Riberuntibus. Ribus dolorionet ex eate vid quibus mi, qui ipsam rem. InAs re maioritis estior apiet, cor aut el imil ex estrum aborece struntur assimin ihicima pera quae nonse labo. Et es do

MAGAZINE ANNEE SPECIALE ET LICENCE EN JOURNALISME - EPJT - IUT DE TOURS

HORS SÉRIE SÉSAME - MAI 2015 - N°22 - 2 EUROS

MÉTRO, BOULOT, DODO, C’EST TERMINÉ ? EN TOUT CAS, ON ESSAIE D’Y ÉCHAPPER. DES INNOVATIONS

ET DE NOUVELLES ORGANISATIONS BOUSCULENT LES HABITUDES. POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE.

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PEAUTOUS HEUREUX AU TRAVAIL ! LES ENTREPRISES SE LIBÈRENT LES ESPACES SE PARTAGENT

+BONHEUR

LA GALÈRE DU PREMIER EMPLOI LA FRANCE À LA TRAINE

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n peut pas arrêter de parler boulot ? » Eh bien non, car le travail reste l’une des premières préoccupations des Français. Il y a ceux qui en ont, parfois trop, et ceux qui en voudraient bien. Au départ, nos idées de sujets tournaient autour de la précarité. « De toute façon, le travail, y en a plus. » Mais nous ne voulions pas tous tomber en dépression. La première réunion de rédaction a été laborieuse, nous nous sommes rendus

compte que nous avions beaucoup de pain sur la planche. Le travail, c’est la santé ? Étymologiquement, c’est la torture. Il a raison, Pierre Carles : « Attention danger travail. » Chômage, souffrance, exclusion, nous n’avons pas eu de mal à trouver des gens pour nous en parler. Nous ne nous y attendions pas, mais ces témoignages ont fait écho à notre expérience au sein de la rédaction. Difficile de sortir d’un système ancré dans notre culture : hiérarchie, procédure, évaluation, présentéisme… Cette organisation du travail, vous la connaissez tous. Soucieux de votre bien-être, nous avons décidé de vous parler également de ces gens épanouis dans leur boulot. De ceux qui mettent du cœur à l’ouvrage. Ils inventent les métiers de demain et parient sur l’autonomie et la confiance. Ce que nous avons aussi découvert, c’est l’émergence de nouvelles formes de travail, axées sur le partage et la coopération. Du bleu de travail à la cravate, de l’usine au bureau, de l’humain au robot… Difficile d’illustrer le monde professionnel. Ni tout noir ni tout blanc, il est aujourd’hui en pleine mutation.

LES ÉTUDIANTS DE LA RÉDACTION

P.S. Tout au long de ce magazine, vous trouverez des QR codes que vous pourrez flasher avec votre Smartphone ou votre tablette. Vous accéderez ainsi à des contenus textes, vidéos et photographiques qui enrichiront votre réflexion et votre expérience de lecture.

OTRAVAIL 3.0

Innova Tours n°22. Mai 2015. Hors série Sésame. Année spéciale de journalisme, école publique de journalisme de Tours / IUT de Tours, 29, rue du Pont-Volant 37002 Tours Cedex, Tél. 02 47 36 75 63 ISSN n° 02191-4506. Directrice de publication et rédactrice en chef : Laure Colmant. Coordination éditoriale : Mathias Hosxe (SR), Frédéric Pla (DA). Rédaction : Lina Bensenouci, Clarisse Boulain, Florian Cadu, Justine Cantrel, Iris Chartreau, Thomas Chatriot, Pauline Darvey, Nadi Driamina, Yaëlle Kahn, Thomas Laborde, Hugo Lanoë, Célia Mascré, Emma Pfister, Julien Privat, Quentin Raillard, Cécilia Sanchez, Guillaume Sauzer, Camille Sellier, Nathalie Simonet-Picard. Secrétariat de rédaction : Florian Cadu, Pauline Darvey, Nadi Driamina, Yaëlle Kahn, Thomas Laborde, Célia Mascré, Camille Sellier, Nathalie Simonet-Picard. Maquette : Lina Bensenouci, Clarisse Boulain, Justine Cantrel, Iris Chartreau, Hugo Lanoë, Emma Pfister, Julien Privat, Quentin Raillard, Guillaume Sauzer. Iconographie : Thomas Chatriot. Photo couverture : Thomas Chatriot avec l’aide d’Hugo Lanoë et Emma Pfister. Publicité : Julien Privat, Quentin Raillard. Imprimeur : Alinéa 36, Châteauroux. Remerciements : Franck Azzopardi, Le Bar Floréal, Éric Grelet, Pierre Pauma, Raphaël Helle, Image in Tours, Inspection du travail (37), Kennejima, Lasserpe, Miss Lilou, Nicolas Monmarché, Protect’homs, Enza Robertazzi.

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« LE TRAVAIL DEVIENT VALORISANT » // 4Le sociologue Olivier Cousin décrypte les nouvelles attentes des salariés.

PRESSION À TOUSLES RAYONS // 6Dans la grande distribution, l’organisation du travail pèse sur les salariés.

HEUREUX COMME UN POISSON AU BOULOT // 8Le bien-être au travail, c’est possible.

PASSE TON CDD D’ABORD // 10Abus de CDD, pénurie de CDI.

COLOC DE BUREAU // 11Le coworking : un espace de travail partagé.

VENT DEBOUT CONTRE L’ÉCHEC // 15Portrait d’un ex-patron qui a su rebondir.

MON COLLÈGUE EST UN ROBOT // 16Les robots envahissent les usines. Mais que deviennent les ouvriers ?

LA SOLIDARITÉ SOUS LE MANTEAU // 18À Détroit, Veronika Scott a créé un manteau duvet pour les SDF.

INACTIFS LUCRATIFS // 37Quand les entreprises privées font leur beurre sur le dos des chômeurs.

L’ENTRAIDE AUFÉMININ // 38Face aux inégalités au travail, les femmes s’unissent.

MAUVAISE PASSE POUR LES SALARIÉS // 40Dans les clubs de ligue 2, l’avenir des employés se trouvent entre les pieds des joueurs.

DES MÉTIERS QUI ONT DE L’AVENIR // 42Streamer, économe de flux, rudologue… Les métiers que vous ne connaissez pas encore.

PRATIQUE // 45

20 PORTFOLIO LE SOLEIL EST COUCHÉ MAIS PAS EUX. COMME MANSOUR DIAKHATE, LES TRAVAILLEURS DE NUIT COMMENCENT LEUR “JOURNÉE”.

34 HISTOIRE DES GROS BRAS AU

CŒUR D’ACIER23 MARS 1979,

LES SIDÉRURGISTES CRIENT LEUR COLÈRE.

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INNOVA . Qu’est-ce qui a changé dans la valeur travail aujourd’hui ?Olivier Cousin. Les attentes sont devenues plus fortes et exigeantes. Il y a différents éléments qui l’expliquent : l’augmentation du niveau de qualification, le fait que le travail soit devenu moins contraignant et qu’il offre plus d’autonomie, de responsabilités et de perspectives. Les possibilités d’évolutions sont plus ouvertes. Dans les années soixante-dix, les gens trouvaient un poste et n’en changeaient quasiment jamais. Dans une carrière aujourd’hui, on peut changer de métier plusieurs fois. Ces éléments transforment la valeur travail et sa nature même évolue. Il devient

plus valorisant et les individus se détournent des emplois pénibles. Depuis la fin du modèle industriel, il y a une trentaine d’année, les attentes augmentent, mais le marché du travail, lui, ne suit pas. L’insatisfaction s’est paradoxalement développée : ce phénomène n’existait pas dans les années soixante où la pénibilité allait de soi, tout comme le fait de trouver un emploi.

Trouver un emploi sans qualification est devenu quasi impossible. Comment expliquer ce blocage dans le monde du travail ?O.C. La France a beaucoup investi dans la formation. Le niveau de qualification a nettement augmenté. Parallèlement, les travaux non qualifiés ont presque tous disparus. Les péages, par exemple, sont automatisés et vous achetez votre ticket de train à une borne et non plus à un guichet. Pour des métiers qui demandent très peu de qualification, on fait appel à une main-d’œuvre étrangère. Les jeunes Français n’acceptent plus ce genre de travaux : c’est l’une des problématiques auxquelles sont confrontées les agences d’intérim. La

POUR LES SALARIÉS, LE TRAVAIL DEVRAIT ÊTRE UN LIEU D’ÉPANOUISSEMENT. OLIVIER COUSIN, SOCIOLOGUE, DÉCRYPTE CES NOUVEAUX BESOINS, PAS TOUJOURS SATISFAITS, ET LA SOUFFRANCE PSYCHOLOGIQUE QUI DÉCOULE DE CETTE SITUATION.

‘‘LE TRAVAIL DEVIENTPLUS VALORISANT’’

La peur de se retrouver au chômage conduit les travailleurs à accepter

de plus en plus de situations intolérables

ENTRETIEN

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main-d’œuvre non qualifiée coûte trop cher par rapport à la valeur ajoutée qu’elle apporte aux entreprises. L’Allemagne ou l’Angleterre ont su absorber cette population, mais ses revenus sont très faibles. La France, elle, défend les droits des insiders, ceux qui sont déjà employés, mais au prix d’un fort taux de chômage.Si les individus sont beaucoup plus exigeants face au travail, quels sont les critères du bien-être ou du bonheur au travail ?O.C. Le travail est désormais considéré comme un lieu d’initiative et d’épanouissement. Le bonheur au travail peut s’obtenir par l’aspect matériel. Le salaire doit correspondre aux besoins, au niveau de qualification ainsi qu’aux responsabilités. Le travail peut aussi être source de bonheur grâce à son contenu. Il doit être intéressant et ouvrir des perspectives de carrière. Il faut s’y sentir bien, avoir de bonnes relations avec les autres, pour que chacun trouve sa place dans le collectif. La question du sens est aussi très importante. Je dois savoir à quoi sert mon activité et il faut que les autres arrivent à en saisir la valeur. Les individus ne veulent pas être des pions aux regards de leurs collègues ou de leurs supérieurs. Le problème, c’est que dans la société, les gens ont le désir de réunir tous ces critères. C’est pratiquement impossible et cela engendre des frustrations.La souffrance physique diminue avec la disparition des métiers manuels. Pourtant, le travail devient une vraie source de souffrance psychologique. Pourquoi ?O.C. À l’ère industrielle, les travailleurs exécutaient leurs tâches mécaniquement. Lorsqu’il y avait un problème dans le travail à la chaîne, la faute venait des patrons. Mais aujourd’hui, le travailleur est soumis à une forte contribution et il doit faire preuve de plus d’engagement envers l’entreprise. Le manque de productivité ou de résultats financiers est en quelque sorte intériorisé par les employés et devient une source de mal-être. La

pression est d’autant plus grande que la rentabilité s’associe à l’image de la performance. Les individus doivent faire plus que ce que l’on attend d’eux. Il y a aussi l’aspect relationnel. Dans le monde ouvrier, la souffrance était un élément de lutte. Elle était en partie compensée par le collectif. Mais ce concept a explosé dans les années quatre-vingt. Les individus se sentent seuls face à leurs responsabilités et à leur hiérarchie, ce qui les rend plus vulnérables. Le sociologue Christophe Dejours explique la souffrance par la peur. Celle de mal faire, de ne pas être à la hauteur et, bien sûr, de se retrouver au chômage. Cela conduit les travailleurs à accepter de plus en plus de situations intolérables.Que pensez-vous de la réduction du temps de travail ?O.C. Il y a des points positifs, avec la création d’un certain nombre d’emplois. Mais elle a aussi eu des effets négatifs, en perturbant l’organisation dans certains milieux. Les 35 heures ont aussi placé les gens devant cette interrogation : que faire de son temps libre ? Ce temps reste

toujours compliqué à gérer et la réduction du temps de travail a augmenté les inégalités dans la disposition de ce temps libre.Comment évoluent les inégalités entre hommes et femmes dans le monde du travail ?O.C. Outre la rémunération, l’une des grandes inégalités qui perdure, c’est l’articulation entre le temps de travail et celui consacré à la famille. C’est « la double journée » : la vie familiale est toujours majoritairement prise en charge par les femmes, ce qui les pénalise. Il faut que le monde du travail intègre cet aspect dans son organisation. Parce que la conséquence de ce phénomène, c’est l’invisibilité du travail féminin. Par exemple, une femme qui doit s’occuper de ses enfants ne peut pas assister à une réunion le soir. Une femme de moins de 35 ans sera aussi toujours vue comme potentiellement enceinte. Elle pourra être écartée d’un poste à cause de cela. Ce qui est de l’ordre de la vie privée n’est pas pris en charge par le travail.

RECUEILLI PAR IRIS CHARTREAU

ET GUILLAUME SAUZER

Sociologue du travail, Olivier Cousin a enquêté sur les salariés peu qualifiés dans les centres d’appels ainsi que sur les cadres et leur rapport au travail. Dans Travailler au XXIe siècle, coécrit notamment avec la sociologue Dominique Meda et publié aux éditions Robert Laffont, il s’intéresse à la reconnaissance du salarié dans l’entreprise. Il est également professeur de sociologie à l’université Bordeaux-II et chercheur associé au Centre d’analyse et d’intervention sociologiques.

OLIVIER COUSIN EN QUELQUES MOTS…

ENTRETIEN

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MANAGEMENT

Ils s’appellent Catherine, Tahar, Véronique, Pascal (certains prénoms ont été changés). Vendeurs, hôtesses de caisse ou chefs de rayon, ils subissent une organisation du tra-vail oppressante. Comme 41 % des Français, ils se déclarent stressés par le travail. Depuis les années quatre-vingt, les techniques de gestion appelées the new public management se diffusent dans tous les secteurs. Leur ob-jectif ? Améliorer la productivité. Leur mé-thode : diminuer les effectifs, intensifier la charge de travail, l’individualiser. La grande distribution est un parfait exemple de l’appli-cation de ce type de management.

TRAVAIL PRESCRIT, TRAVAIL RÉELJonathan était manager dans un commerce indépendant. Ces méthodes de gestion, il les a appliquées. Aujourd’hui, il les dénonce. Il a pu constater la souffrance des hôtesses de caisse notamment. Tout au long de l’année, elles sont soumises à une évaluation indivi-duelle. Temps d’attente, nombre de produits scannés, de clients fidélisés… Tout indica-teur de performance est évalué. « J’en ai vu pleurer pour des erreurs de caisse », assure

Véronique. Dans son magasin, l’objectif est de ne pas dépasser 5 euros d’erreur de caisse par an. Ce jour-là, sa collègue, en une seule fois, avait perdu toutes ses chances de tou-cher la prime de fin d’année. Donner le meilleur de soi, oui. Mais il y a un moment où l’on atteint ses limites. « Les hôtesses de caisse scannent en moyenne une tonne de produits par heure, explique Marie Pezé, psychanalyste et spécialiste de la souffrance au travail. »De la caisse à la mise en rayon, du chef de secteur au manager, toute l’année, la produc-tivité est surveillée. Pour Jonathan, « l’hu-main est oublié. Profits et bénéfices passent avant tout. » Fixer des objectifs est devenu la norme. Il y a un réel fossé entre le travail « prescrit », tel que la direction voudrait qu’il soit fait, et le travail « réel », tel qu’il est fai-sable. « La direction ne prend pas en compte la réalité du terrain », considère Tahar, assis-tant de vente et responsable syndical dans une grande enseigne. « Si les chiffres sont mauvais, c’est de ta faute », s’agace Tahar. Les conséquences sur le moral sont immédiates : sentiment de culpabilité, dévalorisation de

HORAIRES ET CONTRÔLES ABUSIFS, OBJECTIFS, INATTEIGNABLES… LA COURSE À LA PRODUCTIVITÉ DANS LA GRANDE DISTRIBUTION CASSE LES EMPLOYÉS, DÉSARMÉS.

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À TOUS LES RAYONS

Seuls face à une organisation qui les dépasse, les employés subissent.

Seuls face à une organisation qui les dépasse, les employés subissent.

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2015 Innova 7

MANAGEMENTsoi. « Quand votre travail est remis en ques-tion, vous ressentez de l’injustice, explique Catherine, employée dans la grande distri-bution. »Dans ce grand jeu du profit, le salarié est un pion qu’on peut jeter à son gré. À Mulhouse (68), dans une grande surface, le nombre d’employés est passé de 450 à 350 en cinq ans. Départs en retraite non remplacés, licenciements, les salariés restants sont désormais soumis à une surcharge de travail. Les effectifs à temps plein ont été remplacés par des contrats étudiants à temps partiel. « Suite aux départs, il a fallu mettre les bou-chées doubles », confirme Pascal, vendeur. Le sous-effectif oblige alors les salariés à être polyvalents, à occuper plusieurs postes.

ET LE CODE DU TRAVAIL DANS TOUT ÇA ?Certains cumulent des heures supplémen-taires. Dans le commerce, le temps de travail n’est pas toujours respecté. Chaque soir, à la fermeture du magasin, Catherine compte sa caisse pendant quinze minutes. Quinze mi-nutes qu’elle déclarait à son employeur puisqu’elle dépassait son quota horaire. « Un jour, j’ai été convoquée. On m’a dit que je n’avais pas à être payée pour ce quart d’heure supplémentaire », s’indigne-t-elle. Elle a fina-lement cédé. Heures supplémentaires non déclarées, quo-ta horaire dépassé, pauses déjeuner trop courtes, etc., Jonathan affirme que « le code du travail est bafoué ». Ariane Belliat, avo-cate du travail, estime que la hiérarchie n’est pas systématiquement à blâmer. « Nul n’est censé ignorer la loi, explique-t-elle. Mais il ne faut pas tomber dans le poncif du méchant employeur face au gentil salarié. Le patron aussi est soumis à des pressions. » Avec le new public management, aucune marge de manœuvre n’est envisageable. À toutes les échelles de la hiérarchie, on souffre. Même les responsables syndicaux le reconnaissent. Tahar se souvient avoir vu l’un de ses cadres rattrapé par le directeur pour faire le point sur ses chiffres. Après l’entretien, l’homme était livide. « Dans l’encadrement, c’est l’omerta, soutient Tahar. Ils n’osent rien dire. Je n’aimerais pas être à leur place. » En salle de pause, les employés se plaignent. Mais rarement auprès de leur patron. Ils ont peur du licenciement. Ils savent bien qu’ils exercent un travail non qualifié, qu’ils ne sont pas indispensables à leur magasin. « On pense en France que le salarié n’apporte rien à l’entreprise, déplore Marie Pezé. Il doit être flexible à l’infini. On peut faire faire n’im-porte quoi à n’importe qui. »

Les syndicalistes et les représentants du per-sonel sont peu nombreux dans la grande dis-tribution. Ce n’est pas dans la culture du sec-teur. Catherine a hésité : « Je voulais me syndiquer car j’avais été humiliée. Mais les gens craignent pour leur boulot. » Quand certains osent le syndicalisme, il arrive qu’ils soient persécutés. Seuls les élus du personnel sont difficilement licenciables. Ils son quasi intouchable. La direction ne peut que faire pression sur eux pour les pousser à la démis-sion. Christian, cégétiste dans un grand magasin, en est à sa onzième « tentative de licenciement ». Pascal, responsable syndical, vit le même problème. Depuis quatre ans, il subit un harcèlement quotidien savamment orchestré par sa direction. « Ils manipulent certains salariés pour les monter contre moi », affirme-t-il.Face à un management de plus en plus me-naçant, l’isolement et l’individualisme sont rois. Notre société altère la valeur du travail. « Il  n’est plus pensé comme un équilibre, comme un pacificateur social », explique Marie Pezé. Le collectif est brisé. Tous sont fautifs. Du laxisme des politiques aux sala-riés qui alimentent la machine tous les jours. Bienvenue dans ce « cynisme moral am-biant » tel que le décrit Christophe Dejours dans Le Choix. Souffrir au travail n’est pas une fatalité*. Ambiant, car de la fonction

publique au secteur privé, du poste de direc-teur des ressources humaines à celui d’hô-tesse de caisse, partout le travail est organisé de manière pathogène. Derrière le sourire d’un collègue se cache peut-être un mal-être au travail. Et derrière le vôtre ?

JUSTINE CANTREL,

HUGO LANOË ET CAMILLE SELLIER

(*) Éd. Bayard, février 2015, 238 p., 19 euros.

Heures sup non payées, pauses déjeuner trop courtes… Le code travail est souvent bafoué

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« L’humain est oublié. Profits

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« Mon autorité s’exprime dans le fait que ce sont les autres qui prennent des décisions. On réduit la hiérarchie pour créer les conditions de l’épa-nouissement. » Pour rendre les sala-riés heureux, abolissons la hiérarchie : voilà la méthode que Frédéric Lippi a adopté pour Lippi. Cette société fa-miliale de fabrication de grillages em-ploie 240 personnes.

présomption de confianceC’est le principe des entreprises dites « libérées ». Un principe qui a 30 ans mais qui s’impose de plus en plus. L’idée : régénérer l’intelligence collec-tive en redonnant le pouvoir aux sala-riés. Parier sur l’autonomie pour évi-

ter la frustration et favoriser l’engagement. Le résultat est flagrant : certaines entreprises libérées, quel que soit leur domaine d’activité, ont vu leur chiffre d’affaires augmenter de 15 %. Chez Lippi, on fabrique des grillages et des clôtures, mais on fait aussi sauter les barrières. Pas de cloi-sonnement, pas de management ver-tical traditionnel. « On base tout sur des objectifs simples, réalisables et impliquants, explique Cynthia Roux, chargée du développement de la communication. Chaque « lippien » est libre de déployer son travail et d’être force de proposition. Notre concept : la présomption de confiance. » Un modèle où les salariés

se forment mutuellement et qui leur permet d’améliorer leurs compé-tences. Passer de l’atelier à l’adminis-tratif chez Lippi, c’est possible. L’épa-nouissement des salariés est un facteur indispensable pour faire tour-ner l’entreprise. Or, en 2011-2012, d’après l’institut de sondage Gallup, seuls 9 % des salariés se sentent impli-qués quand 91 % sont indifférents. Il serait temps de changer de para-digme. Si des solutions existent, à l’image de celles testées chez Lippi, le système a pourtant du mal à s’adapter. C’est le constat de Philippe Bernoux, sociologue du travail : « Bien que l’his-toire a montré que le petit chef n’était pas indispensable, beaucoup d’entre-prises gardent un modèle tradition-nel. » Un avis partagé par Élisabeth Laville, fondatrice du cabinet de conseil Utopies : « Les techniques de management actuelles sont calquées sur des méthodes dépassées, datant de l’ère industrielle. Aujourd’hui, le travail est plus collaboratif mais le système est figé. »L’entreprise libérée est en accord avec les principes de la fish philosophy ve-nue d’Amérique. C’est un des modèles qui permettraient aux salariés d’être heureux. Élaborée en 1998 par John

TRAVAILLER DANS UNE BONNE AMBIANCE, AVEC MOINS DE HIÉRARCHIE ET, EN PRIME, UNE AMÉLIORATION DES RÉSULTATS… ET SI L’ENTREPRISE SE METTAIT AU BONHEUR ?

Rangez votre chaise et levez-vous ! Alterner la position assis/debout pendant les heures de travail améliorerait le bien-être d’un salarié. Outre les effets positifs sur la santé, tra-vailler debout augmenterait le confort, l’efficacité du tra-vail et la communication entre les employés. Un constat qui vaut si le salarié peut s’aider d’un appui. Au Danemark, 95 % des bureaux sont d’ores et déjà à hauteur variable. Certaines grandes entreprises comme Google ou Facebook proposent également de travailler debout. Et même sur un tapis roulant.

debout, les travailleurs !

La fish philosophy, nouvelle organisation du travail, est née sur le marché aux poissons de Pike Place à Seattle. Un endroit où on travaille en s’amusant.

La fish philosophy, nouvelle organisation du travail, est née sur le marché aux poissons de Pike Place à Seattle. Un endroit où on travaille en s’amusant.

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Heureux comme un poisson au boulot

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Christensen, la fish philosophy s’ins-pire de l’expérience du marché aux poissons de Pike Place, à Seattle, aux États-Unis. En grave difficulté, il est racheté en 1986 par un ancien em-ployé. Le nouveau propriétaire réunit alors les équipes. Ensemble, ils révo-lutionnent leur façon de travailler. Les nouvelles règles sont simples : fa-voriser l’échange, choisir d’adopter une attitude positive, travailler en s’amusant… Isabelle Charbit était di-rectrice générale (DG) d’une grosse société. Elle y appliquait la fish philo-sophy. Elle organisait par exemple des petits-déjeuners challenges. Les em-ployés s’échangeaient aussi des « cartes fish », pour récompenser une attention particulière. À la fin, les cartes étaient comptées et le salarié le plus « fish » était félicité. Ils élisaient même leurs clients les plus « fish », pour répandre ces pratiques.

on est “fish” ou pas “fish” Des principes qui peuvent paraître simplistes mais qui font leurs preuves. EthiKonsulting, cabinet de conseil en management où travaille désormais Isabelle Charbit, forme différentes entreprises à cette philosophie. Leur crédo ? L’optimisme. Leur objectif ? Ramener de la passion au travail, insuffler de l’énergie et de la fiabilité. « L’entreprise qui va de l’avant avec un modèle plus collaboratif, plus bienveillant, est plus ef-ficace. Actuellement, on oublie l’humain au profit du quantitatif ou des ré-sultats », confie l’an-cienne DG. Bien sûr, intégrer cet esprit de travail prend du temps. Difficile de modifier le système de communica-tion d’une entreprise. Alors, le chan-gement s’opère doucement, sur plu-sieurs années. « Il s’agit de changer de culture et de faire émerger une vision commune », analyse Frédéric Lippi. Des nouvelles pratiques que les écoles n’évoquent pas encore suffi-samment. « Elles inculquent des mo-dèles limités et dépassés », commente Isabelle Charbit. Une fois sortis des structures d’enseignement, dirigeants et manageurs disposent de peu d’es-

paces de réflexion. Le Centre des jeunes diri-geants (CDJ) tente de combler ce manque. « C’est un lieu de libre échange, rapporte Franck Leroy, président du CJD Tours. J’imagine mal ma vie de chef d’en-treprise sans le soutien du centre. » Dans son entreprise, il a créé des pôles dans lesquels les salariés sont sur un pied d’égalité. « Je représente le seul niveau hiérar-chique, reprend-il. Il n’y a pas d’intermédiaire. »Pour instaurer ces chan-gements simples, nombre de cabinets de consulting proposent aujourd’hui leurs conseils. Cette offre rencontre un succès certain. Jean-Christophe Barralis, cofondateur de l’Institut français d’appreciative inquiry (Paris) forme des consultants : « Aujourd’hui, nos stages sont pleins, nous refusons du monde. Nous accueillons une vingtaine de personnes contre six ou huit il y a cinq ans.» Certains cabinets reprennent des courants comme la fish philosophy ou

bien créent leur propre méthode. Ils organisent conférences, pots après le travail, journées ate-liers pour réfléchir sur les changements néces-saires de l’entreprise. Pour ses 21 ans, le cabi-net Utopies a lancé une consultation auprès de ses clients. Ils ont proposé des idées concrètes. Parmi elles,

une journée dans la semaine sans réunion et sans mail. L’idée est tou-jours la même : voir les salariés épa-nouis pour assurer la pérennité de la société. Dire bonjour, sourire, s’écou-ter, échanger. « La première richesse de l’entreprise, c’est l’humain, conclut Franck Leroy. Revenir à l’essentiel, faire preuve de bon sens, c’est la clé. » Un slogan ? Peut-être mais en tout cas le bien-être au travail ça paraît possible.

FLORIAN CADU, ThOmAs LAbORDe

eT emmA pFIsTeR

Et si les entreprises instauraient les 32 heures ?

Travailler 4 jours par semaine, c’est l’assurance d’avoir plus de temps libre, d’être moins

fatigué et donc plus productif. Fleury Michon ou Mamie

Nova ont déjà mis en place les 32 heures. Monique Ranou,

autre entreprise du secteur agroalimentaire, l’a instaurée

dès 1997. « Aujourd’hui, environ 40 % de nos

salariés sont aux 32 heures, détaille Christine Serres,

la responsable ressources humaines. L’objectif de cette

organisation était double : le confort pour l’employé et la possibilité pour l’entreprise de

le faire travailler le samedi. » Monique Ranou propose aussi

des référendums à ses salariés. Ils ont voté le double horaire

collectif en 2008 : ils peuvent choisir de travailler 32 ou

35 heures par semaine.De nombreux chercheurs

et partis politiques militent pour cette répartition du

travail. Le bonheur des employés, oui. Mais aussi celui

des chômeurs : la semaine de 4 jours permettrait de créer

de nouveaux emplois.

TRAVAILLER MOINS POUR TRAVAILLER MIEUX

Favoriser les échanges, encourager les attitudes positives, supprimer

les échelons hiérarchiques : des règles simples

pour une meilleure productivité.

L’idée : redonner le pouvoir aux

salariés. Parier sur l’autonomie pour

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ManageMent

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LÉGISLATION

Une rapide recherche sur le site inter-net de Pôle Emploi montre la structure du marché du travail en France : plus de trois offres sur quatre sont des contrats à durée déterminée (CDD) ou des contrats de travail en intérim. Pourtant, au regard de la loi, le CDD est un contrat d’exception, celui par défaut est le contrat à durée indétermi-née (CDI). Le recours au CDD n’est légitime qu’en cas de surcroît d’activité ou d’absence d’un salarié sur une pé-riode de temps limitée. « Mais, dans les faits, le CDD sert de période d’essai au CDI », constate Laurence Jubin, ins-pectrice du travail à Tours. Dans de nombreuses entreprises, avoir eu un ou plusieurs CDD avant de décrocher un CDI est devenu la norme. C’est en théorie illégal, mais « on ne peut pas vraiment parler de fraude, explique l’inspectrice du tra-

vail. La généralisation de l’embauche par le CDD est devenue si courante qu’elle structure le marché du travail. Et il est impossible de réguler ce qui est structurel ». D’autant que plusieurs corps de métiers ont obtenu des déro-gations pour embaucher en CDD, sur une activité normale, en toute légalité. C’est le cas dans le bâtiment, la restau-ration et les plates-formes télépho-

niques. Un problème pour les em-ployés qui se retrouvent en situation précaire, car le CDD ne permet pas de faire des projets, le salarié ne sachant pas ce qu’il deviendra à la fin de son contrat. « Les entreprises en difficulté se séparent d’abord des intérimaires, puis des CDD. Des contrats qui concernent surtout les jeunes », ex-plique Bruno Ducoudré de l’Observa-toire français des conjonctures écono-miques (OFCE). Jeunes pour qui il est de plus en plus difficile de souscrire un prêt ou de louer un appartement ; les banques et les propriétaires exigeant souvent un CDI en guise de garantie.

UN CONTRAT DE TRAVAIL UNIQUE ?Le marché de l’emploi en France est dual : il sécurise les salariés en CDI, mais pas ceux en CDD. « La situation est paradoxale, dénonce Laurence Jubin. L’augmentation des offres d’em-ploi en CDD diminue celles en CDI. Mais le CDD est aussi un tremplin vers le CDI. » Pour mettre fin à cette duali-té, des économistes proposent d’établir un contrat de travail unique. Jean Tirole, récent prix Nobel d’économie et plutôt considéré comme libéral, affirme que la raréfaction des em-bauches en CDI est due à la rigidité de ce contrat, qui ne permet pas à l’em-ployeur de se séparer facilement d’un salarié. Il prône donc l’instauration du contrat unique : un CDI qui permet-trait de licencier à tout moment et sans motif particulier. En contrepartie, l’employeur s’acquitterait d’une taxe de licenciement envers le salarié. Jean Gadrey, autre économiste et adversaire de Jean Tirole, y voit là une menace contre le progrès social. Il considère que si ce contrat unique met tout le monde sur un pied d’égalité,

c’est en tirant cette égalité vers le bas : tout salarié serait alors en situation de précarité, à la merci de son employeur. Autre argument pro-CDI : l’employeur et le salarié peuvent mettre fin à leur collaboration par une rupture conven-tionnelle. Parmi les licenciés du sec-teur privé, seuls 7,8 % ont recours aux prud’hommes pour contester la déci-sion de leur employeur. Un chiffre bas en Europe. Malgré les critiques virulentes contre le marché du travail français, il n’est en rien une exception. La majorité des pays occidentaux ont aussi un système dual, même les États-Unis. L’exception vient des pays scandinaves, notam-ment du Danemark. Il existe là-bas le modèle de la flexisécurité dont s’ins-pire le contrat unique de Jean Tirole : flexibilité pour la plus grande facilité de licenciement pour l’employeur et sécurité en référence aux importantes indemnités pour le salarié concerné.À la différence près que 80 % des tra-vailleurs danois sont syndiqués, contre 7 % en France (selon l’OCDE). Et, être syndiqué au Danemark offre bien plus d’avantages financiers et bancaires, notamment en cas de licenciement. Sans compter que grâce à cette organi-sation syndicale plus influente, les in-térêts du salarié danois pèsent aussi lourd que ceux de l’employeur. Un équilibre bien loin du système français, où la suprématie de la hiérarchie est fortement ancrée dans les mœurs. Du moins jusqu’à présent.

EMMA PFISTER ET QUENTIN RAILLARD

CENSÉ ÊTRE L’EXCEPTION, LE CONTRAT A DURÉE DÉTER-MINÉE S’EST GÉNÉRALISÉ, PRÉCARISANT LES SALARIÉS. L’ACCÈS À LA STABILITÉ D’UN CDI DEVIENT UNE QUÊTE.

PROPORTION DE CONTRATS SIGNÉS EN 2014 SELON LEUR NATURE

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CONTRATS DE TRAVAIL EN COURS EN 2014CDI : 87 % CDD : 10 % Interim : 3 %

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PASSE TON CDD D’ABORD

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Nowly. Lancée par une start-up tourangelle, cette application mobile de rencontres a vu le jour il y a deux ans. À première vue, rien d’ exceptionnel. Sauf que c’est dans un espace de coworking qu’est né le pro-jet. Un lieu où des travailleurs venus de différents horizons partagent les mêmes bureaux et, par la même oc-casion, forment un réseau. Désor-mais installés dans leurs propres lo-caux, les concepteurs de Nowly,

Manyssin Thin et ses collaborateurs, réitèrent l’expérience en y accueillant des coworkers. « Il suffit que je lève la tête pour que l’on vienne m’aider, s’enthousiasme le jeune entrepre-neur. C’est ça l’esprit coworking, la complémentarité des compétences. » Porté par la révolution numérique, le concept vient des États-Unis. Les indépendants, toujours plus nom-breux, souhaitaient rompre avec l’isolement social généré par le travail

à domicile. En 2008, le premier espace de coworking ouvrait en France. Le phénomène a rapidement pris de l’ampleur.

ÉCHANGER ET PARTAGERUn esprit qui débarque à Tours en 2013, dans une pépinière d’entreprise, la Cantine numérique. Elle souhaitait créer un lieu d’échanges et de ren-contres autour du numérique. Au dé-part, l’initiative était portée par l’as-

En coworking, la cafétéria est un véritable catalyseur de rencontres.

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DES TRAVAILLEURS AUX ACTIVITÉS DIVERSES QUI PARTAGENT UN ESPACE DE TRAVAIL, TEL EST LE CONCEPT DU COWORKING. CE MODE D’ORGANISATION, QUI NOUS VIENT DES ÉTATS-UNIS, PREND DE L’ESSOR EN FRANCE. POUR UN TRAVAIL PLUS EFFICACE.

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COLOC DE BUREAUCOLOC DE BUREAU

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sociation Palo Altours. Le projet a d’emblée été soutenu par la communauté d’agglomération Tours Plus. Le bâtiment neuf de trois étages, doté d’un bardage en bois, ne passe pas inaperçu dans le quartier du Sanitas. Les coworkers peuvent venir travailler une demi-journée ou plus. Ici, pas de loyer mais des abonnements ou des forfaits. Mensuels ou trimestriels, ils donnent un accès illimité à l’espace et à ses services. Au deuxième étage, celui des abonnés, une large porte vert anis s’ouvre sur une pièce lumineuse. Des motifs géométriques bleus et gris habillent le mur blanc. C’est ici que la plupart

des coworkers abonnés sont installés. À leur disposition, un bureau, une chaise et des rangements. Des plantes vertes aussi. À chacun d’apporter son matériel. Pour certains, un ordina-teur portable suffit. Mais la plupart ont préféré prendre leurs aises. Comme Guillaume Billard, cofonda-teur d’une agence de communication. Face à lui, plusieurs écrans côtoient un porte-livre et une étagère en car-ton. Une tasse de thé est posée sur le rebord de la grande fenêtre qui jouxte son bureau. Julien Dargaisse, le prési-dent de Palo Altours, résume : « Ici, c’est le confort de la maison et le sé-rieux du bureau. » Car le travail à

domicile, ce n’est pas forcément la panacée. Lorsqu’il a monté sa société, Laurent Lefèvre, développeur, a d’abord exercé chez lui. Mais « travailler seul chez soi, c’est la misère. Impossible de se concentrer, il y a trop de distractions », déplore-t-il. À la Cantine numérique, il apprécie l’ambiance de travail stimulante. Karine Angleys partage cet avis. Avec son associé, elle dirige un cabinet de recrutement à l’international. « J’ai besoin de contact avec les autres pour être productive », affirme-t-elle. À ce sujet, le sociologue Antoine Burret écrit dans Tiers-lieux. Et plus si affinités (FYP Éditions, 2015) : « Les murs et le bâtiment ne sont que la partie visible. C’est le processus de coconstruction et la dynamique de partage qui donnent sa valeur aux tiers-lieux. » Dans cet îlot d’une di-zaine de coworkers, l’entraide est au rendez-vous. Karine rencontre un problème informatique ? Laurent vient la dépanner. En retour, elle fait profiter ses collègues de son expertise en ressources humaines. La complémentarité des compétences est l’un des moteurs de ce type d’espaces. S’entraider, mais aussi s’échanger du travail. « Les gens prennent le temps de partager leurs réflexions, explique Julien Dargaisse. Ils savent que les opportunités naissent de rencontres. » Parfois fructueuses. Lorsque Guillaume Billard et son associé ont lancé leur agence de communication, ils ont opté pour le coworking. Un choix qu’ils ne regrettent pas. Aujourd’hui,

Quand on aime travailler en musique, les casques sont indispensables pour ne pas déranger les voisins.

TÉLÉTRAVAIL. Activité profes-sionnelle exercée à distance de l’entreprise grâce à Internet et aux nouvelles technologies. Elle peut être réalisée à domicile ou dans des espaces communs.COWORKING. Organisation de travail créée pour éviter l’isolement de ceux qui bossent chez eux. Il désigne aussi aujourd’hui un réseau

de travailleurs, indépendants ou salariés, qui partagent un lieu et échangent leurs expériences et leur savoir-faire. On appelle « espaces de coworking » les lieux où travaillent les coworkers.TIERS-LIEU. Notion inventée par l’Américain Ray Oldenburg, il représente tout espace, extérieur à l’entreprise, où des individus peuvent se retrouver pour travailler.

QUELQUES DÉFINITIONS

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FOCUS

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17 % c’est le nombre estimé de télétravailleurs en France.2 500 c’est le nombre d’espaces de coworking dans le monde entier en 2013. Entre 2010 et 2013, ce chiffre a doublé chaque année.342 c’est le nombre d’espaces de coworking en France .68 % d’ utilisateurs de tiers-lieux sont travailleurs indépendants ou entrepreneurs en France.

EN CHIFFRES

Karine Angleys et son associé dirigent un cabinet de recrutement à l’interna-tional. Chaque jour, ils font le point à la cafétéria de la pépinière tourangelle.

ils estiment que 40 % de leur chiffre d’affaires est généré grâce à des personnes rencontrées dans le lieu Notamment à la cafétéria, véritable catalyseur de rencontres. La vie col-lective ne semble pas poser problème aux coworkers. Même si le casque est parfois utile pour s’isoler, l’ambiance est studieuse. Les seules réserves sont d’ordre logistique : débit Internet parfois restreint ou nombre limité de bureaux individuels pour les rendez-vous.

L’EFFICACITÉ AU RENDEZ-VOUSLe manque de confidentialité, c’est parfois ce qui freine les entreprises à opter pour le coworking. Mais celle de Jérôme Gros-demange, l’un des seuls télétravailleurs de la Cantine, n’a pas hésité. Développeur à Tou-louse, il a déménagé à Tours pour rejoindre sa famille. Son employeur lui a alors proposé le coworking. Il estime que son éloignement a des conséquences : « Quand un nouveau projet se lance, je ne suis pas forcément au courant. » Il faut dire que Jérôme ne se rend à Toulouse que quelques jours tous les deux mois. D’après Philippe Planterose, sociologue du travail, la formule idéale, c’est de partager d’une manière équilibrée son temps de travail entre le domicile, un espace de coworking, et le bureau de l’employeur pour maintenir un lien et bénéficier d’une productivité optimale. La productivité, c’est justement ce qui incite

certaines entreprises à s’intéresser à la question. En 2012, une étude du cabinet de conseil Greenworking a révélé que le gain de productivité en télétravail, à domicile ou en tiers-lieu, était de 22 % en moyenne. Les rai-sons ? Moins de distractions, moins de réunions, une plus grande latitude dans la gestion de son temps et une plus grande motivation. Pour les salariés, le télétravail offre de nombreux avantages : moins de fatigue, plus de disponibilité et moins de stress. Des résultats confirmés par l’étude à paraître en juin 2015, « Quel bureau demain », menée par les consultants de LBMG Worklabs et le centre de recherche Michel-Serres. Mais cette expérimentation, qui propose de tester le télétravail en coworking, a eu du mal à trou-ver ses volontaires. Car cette pratique remet en question l’organisation hiérarchique du travail et les modes de management tradition-nels qui vont avec. Certains dirigeants crai-gnent une perte de contrôle sur leurs em-ployés et l’ effritement du sentiment d’appartenance à l’entreprise. Des peurs non fondées pour Philippe Planterose : « Le télé-travail, ce n’est pas se prélasser mais travailler là où l’on se sent au mieux : chez soi, dans un café, ou un espace de coworking. »Conséquence du phénomène, la politique im-mobilière des grandes sociétés est en train de changer. Le modèle du bureau traditionnel

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Au milieu des HLM du quartier Sanitas, à Tours, le bâtiment de la pépinière détonne.

La terrasse de la pépinière permet de faire une pause au soleil. Le bien-être au travail, une notion fonda-mentale du coworking.

Une pépinière d’entreprises à Tours. Au premier et deuxième étage, des espaces pour coworkers. Mais au rez-de-chaussée, certains viennent chercher plus que l’esprit coworking. Artefacts est une coopérative d’activités d’emplois. Spécialisée dans la culture et l’art, elle regroupe développeurs web, infographistes, plasticiens, intermittents du spectacle, artisans d’art. Entre Orléans et Tours, l’équipe fondatrice accompagne les travailleurs dans leur activité via des ateliers et des formations. Le but ? Être autonome dans son activité et monter des projets ensemble. La structure propose à des indépendants de développer leur activité, d’acquérir des compétences,

de se créer un réseau tout en conservant le statut et donc les acquis sociaux d’un salarié. Quelle que soit son activité, le travailleur est un coopérateur salarié. Pour fonctionner, la structure prélève 10 % du chiffre d’affaires hors taxe de ses coopérateurs. Chaque mois, au cours de comités d’ orientation, les projets sont discutés par l’ensemble des membres. Julien Crosnier, chargé d’administration de la coopérative, s’exclame : « Des idées naissent sans arrêt. Ça n’arrête pas ! »

COWORKER... MAIS PLUS ENCORE

tend à disparaître. Fini les grands bâtiments et leurs enfilades de bureaux. Comme le prédit Bénédicte Petetin, consultante de LBMG Worklabs : « Demain, les sièges sociaux ne seront que des lieux de passage. » Et économiquement, les sociétés pourraient y trouver leur compte. En région parisienne, pour une entreprise, un poste en bureau coûte environ 1 200 euros par mois. Pour un coworker seul, le forfait mensuel est entre 350 et 500  euros. Cela nécessite de changer de modèle managérial. Désormais il faut remplir des objectifs plutôt que de faire acte de présence au bureau. Xavier de Ma-zenod, fondateur du site Zevillage.net, spécialisé sur le télétravail et les tiers-lieux, considère que les entre-prises, pour s’adapter, doivent apprendre à faire confiance à leurs sa-lariés. Confiance, partage et coopéra-tion. C’est ce qui devrait structurer le monde du travail dans les décennies à venir. Un futur que Nicolas Maubois, coworker partageant les bureaux de Nowly, à Tours, ne voit que d’une seule manière : « Il m’est désormais inconcevable de fonctionner autre-ment » Et Nicolas n’est pas le seul, puisque ce nouveau mode de travail rassemble de plus en plus d’adeptes.

FLORIAN CADU, THOMAS LABORDE

ET NATHALIE SIMONET-PICARD

FOCUS

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PARCOURS

Tout juste trentenaire, Maximilien Petitge-nêt cumule bien plus d’expériences profes-sionnelles que nombre de ses aînés. Et pour cause, il est parvenu à se relever de ce qui est encore un tabou dans la sphère entrepreneu-riale : l’échec d’une start-up. En 2009, il avait créé Noveol, entreprise de conception et de construction d’éoliennes. Il s’était associé à Abdennour Rahmani, un camarade de son école d’ingénieurs (l’Ensma, à Poitiers). Maximilien Petitgenêt, costard-cravate et fines lunettes, explique avec calme les causes de son échec. Un sang-froid qui l’avait pour-tant abandonné lors de la liquidation de Noveol, au point qu’il n’en dormait plus. « À partir du dépôt de bilan, on ne pouvait plus payer ni nos fournisseurs ni nos salariés », confie-t-il. Les déboires de Noveol n’étaient pas dûs à une mauvaise gestion, mais à la malveillance d’un fournisseur.Ledit fournisseur avait, à l’époque, falsifié les contrôles qualité des pales. Les deux associés ont alors décidé de stopper la production et donc les entrées de liquidités, le temps de trouver un autre fournisseur et de nouveaux investisseurs. « On y a cru jusqu’au bout », répète Maximilien Petitgenêt. Le juge du tri-bunal de commerce de Poitiers n’accordera pas cette confiance à Noveol et prononcera la liquidation judiciaire en février 2013. Les deux associés sont immédiatement privés de

leur entreprise, de leur travail, de leur « bébé ». Vient alors le début forcé d’une nouvelle vie. « Je n’ai pas eu le temps de me poser de questions sur mes aspirations pro-fessionnelles. La priorité était d’avoir un salaire, d’autant que je suis marié et père d’une petite fille. »

LE GOÛT DE L’ENTREPREUNARIATGrâce à son réseau de chefs d’entreprise, Maximilien Petitgenêt retrouve rapidement un emploi. À présent, il est salarié d’une start-up de conception de matériel pour maisons de retraite. Même s’il se plaît à son poste actuel, l’envie de monter une nouvelle entreprise le démange. Pour lui, l’échec de Noveol constitue à la fois un atout et un han-dicap. Certains chefs d’entreprises peuvent embaucher un ex-patron car il connaît leurs préoccupations, tandis que d’autres vont hésiter à intégrer une personne qui n’a jamais été salariée. Le jeune homme déplore la mentalité française qu’il trouve bien éloignée de la vision anglo-saxonne. « Aux États-Unis, les plus grandes responsabilités au sein d’une entreprise sont données à ceux qui ont “cras-hé” – selon l’expression consacrée – une ou deux boîtes. » En France, les banques se foca-lisent sur l’échec passé lorsqu’un entrepre-neur négocie un prêt. D’une façon générale, elles investissent très peu dans les start-up innovantes.Son goût de l’entrepreneuriat, Maximilien Petitgenêt veut le transmettre aux étudiants de son ancienne école d’ingénieurs. Il y anime un module de quatre heures par semaine. « Notre école ne nous a pas du tout formés à monter une entreprise, regrette-t-il. Nous avons tout appris sur le tas. » À commencer par la persévérance : durant quatre années à la tête de Noveol, les jeunes patrons ont enchaîné les déboires et les bonnes nouvelles. « Pour diriger une start-up, il faut avoir les nerfs solides car, dans ce genre de moments, le moral joue aux mon-tagnes russes. » Un challenge auquel Maxi-milien Petitgenêt a pris goût lui qui, fort de son expérience, espère bien retenter l’aven-ture entrepreunariale.

JULIEN PRIVAT ET QUENTIN RAILLARD

PATRON D’UNE START-UP, MAXIMILIEN PETITGENÊT A TOUT PERDU DU JOUR AU LENDEMAIN. IL A SU REBONDIR ET SOUHAITERAIT QU’EN FRANCE ON TIENNE MIEUX COMPTE DE CETTE EXPÉRIENCE.

Pour lui, l’échec

de Noveol constitue

à la fois un atout

et un handicap

Maximilien regrette que les banques se focalisent sur l’échec passé lorsqu’un entrepreneur négocie un prêt.

VENT DEBOUT CONTRE L’ÉCHEC

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Un voyant vert clignote. Le rideau de protec-tion s’abaisse. D’une simple pression sur un bouton, un homme, l’opérateur, fait agir un grand bras articulé. Quelques mouvements nets, un bruit subtil, des étincelles. Le robot exécute des tâches programmées. Il soude des pièces. Le résultat est parfait. L’industrie d’aujourd’hui, c’est ça.Fini Les Temps modernes de Chaplin, le travail à la chaîne, les tâches monotones, physiques et éprouvantes. Le monde de l’in-dustrie a muté. L’homme n’intervient prati-quement plus dans la phase de fabrication, il a cédé sa place au robot. Il a troqué son statut d’ouvrier contre celui d’opérateur. Désor-mais, son ouvrage se limite à contrôler, régler et actionner des machines. Des machines que l’entreprise Farman fabrique et adapte pour les différentes indus-tries : automobiles, aéronautiques ou de l’énergie. Sur les 47 employés, une vingtaine assemble les appareils dans les 8 643 mètres

carrés de l’usine, qui paraissent bien vides. Pourtant, tout va bien pour Farman. Leurs 5 000 robots soudeurs et convoyeurs (tapis roulants) sont installés partout dans le monde, chez Ford comme chez Airbus.

UN ROBOT TRAVAILLE TROIS FOIS PLUS VITELa robotisation est la garante de la compéti-tivité du secteur industriel. Les cadences augmentent, la production se multiplie, donc les prix baissent. Pour les entreprises, le calcul est vite fait. « Un robot coûte entre 35 000 et 50 000 euros. Il ne fait pas d’erreur, ne tombe pas en panne et travaille trois fois plus vite que l’homme », vante Franck Davi-gnon, le directeur de Farman. Chez les travailleurs, ces technologies susci-tent une certaine appréhension. « Générale-ment, les usines mettent des robots pour supprimer des ouvriers », reconnaît Franck Davignon. Pas un jour sans qu’on entende parler de fermetures d’usines ou de suppres-

MON COLLÈGUE EST UN ROBOT

Il y aura toujours des ouvriers dans les usines robotisées, mais ils n’auront pas le même rôle.

AVEC LES PROGRÈS TECHNIQUES, LES MACHINES ENVAHISSENT LES USINES. INDUSTRIELS ET POLITIQUES VEULENT FAIRE DE LA FRANCE LE LEADER DE LA FILIÈRE ROBOTIQUE. MAIS DANS CETTE MARCHE EN AVANT QUE DEVIENNENT LES OUVRIERS ?

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sion d’emplois. PSA Aulnay-sous-Bois, Goo-dyear, Total, Fralib, Candia, tous les do-maines de l’industrie sont touchés. En 2014, 217 usines ont fermé en France. En six ans, l’emploi dans l’industrie a chuté de 32 %. C’est dans l’industrie manufacturière (textile, bois, papier, équipements industriels ou au-tomobile…) que la baisse est la plus violente.Politiques et industriels se voilent la face. En 2013, sous l’impulsion d’Arnaud Monte-bourg, le plan France robot initiatives est adopté avec un budget de 100 millions d’eu-ros. L’objectif ? Faire de la France l’un des lea-ders mondiaux de la filière d’ici 2020. Emma-nuel Macron, ministre de l’Économie et des Finances, se veut rassurant : « Il ne faut pas reproduire l’erreur de croire que robots  =  moins d’emploi », confiait-il le 1er  avril au Monde. Le directeur de Farman met, lui, l’accent sur les bienfaits des ma-chines : « Aujourd’hui, dans les usines, il y a une vraie qualité de vie. Les gens deviennent opérateurs et ont la possibilité d’être formés en robotique. »

LA DIFFICILE RECONVERSION DES SENIORSPas besoin d’être un grand économiste pour voir que tous les robots vont rempla-cer les hommes. Certes, ces machines auto-matisées créent de l’emploi, mais plutôt du côté de l’ingénierie. Les ouvriers, eux, dispa-raissent peu à peu. Désormais, il suffit d’un seul opérateur pour gérer trois à quatre ro-bots à la fois. Une étude réalisée par le cabi-net de Roland Berger confirme que d’ici 2025, 20  % des tâches seront automatisées. Ce qui devrait entraîner la perte de 3  mil-

lions de postes rien qu’en France. Pour ceux qui ont été remplacés par des machines, une seule solution : la reconversion. Une dé-marche complexe, notamment pour les se-niors. Pas facile de quitter une vie souvent déjà bien établie. Si la reconversion concerne 76 % des cadres, elle ne concerne que 45 % des ouvriers. Un chiffre qui montre bien la difficulté de tirer un trait sur le passé. Passé 50 ans, l’adaptation est si difficile que le sala-rié est mis en pré-retraites. Ce dispositif a été supprimé, mais il reste autorisé pour les sala-riés qui n’arrivent pas à s’adapter aux nou-velles technologies. Pour les plus jeunes, l’adaptation est plus aisée même si, dès le dé-part, la formation est indispensable. « Les ouvriers sans le bac ne sont plus dans l’in-dustrie », reconnaît Emmanuel Baudet, en-seignant dans un lycée professionnel. La fin des ouvriers non-qualifiés ? En quelque sorte. D’autant plus que 40 à 50  % des lycéens poursuivent leurs études en BTS.L’homme doit décider de la place qu’il va ac-corder au robot dans le futur. « Les entre-prises de robotiques envisagent de dévelop-per une machine qui pourrait travailler au côté de de l’homme », tempère Franck Davi-gnon. Une complémentarité mise en avant pour calmer les craintes ? Quoi qu’il en soit, les nouvelles technologies font évoluer l’in-dustrie. L’essayiste américain Jeremy Rifkin s’interroge d’ailleurs sur la nécessité même de travailler. Il propose de repenser le sys-tème, en laissant moins de place au travail au profit des loisirs. Une nouvelle ère indus-trielle s’ouvre et la machine prend peu à peu le pas sur l’homme. Comment en profiter ? Une chose est sûre : les robots, eux, ne pren-nent pas de vacances.

NADI DRIAMINA, YAËLLE KAHN, JULIEN PRIVAT

Certes, ces machines automatisées

créent de l’emploi, mais plutôt

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MON COLLÈGUE EST UN ROBOT

Les industriels mettent en avant la complémentarité homme-machine.

Dans l’usine Farman, à Joué-les-Tours, les ateliers semblent vides.

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AILLEURS

Par-dessus le bruit des machines à coudre, Shayna Taylor, 39  ans, raconte qu’avec ses trois enfants, elle a vécu dans sa voiture ou dans des centres pour sans-abris, à Détroit, pendant près d’un an. En 2013, elle est recrutée comme couturière à l’Empowerment Plan, une fabrique de manteaux-duvets. Le concept : des parkas qui se transforment en

sacs de couchage pour les sans-abris. Au bout de quelques mois, Shayna réussit à sortir la tête de l’eau et à louer une maison.À l’Empowerment Plan, toutes les couturières sont mères de famille et en situation de grande précarité. C’est précisément le but du projet que Veronika Scott a lancé en 2011 : extirper ces femmes du cercle vi-cieux de la pauvreté. « Ce ne sont pas les manteaux qui sont pas au cœur de l’entreprise, explique la jeune femme. Ce sont elles. Le but, c’est de les sortir de la rue et de stabiliser leur vie. » Aujourd’hui, elle emploie 25  couturières. Mi-travailleuse

sociale, mi-businesswoman, elle bouleverse les normes du travail tra-ditionnel en le centrant sur l’humain. « Ce sont ces femmes qui rendent notre société géniale », s’enthou-siasme Veronika.Que ce projet se soit développé à Détroit n’est pas anodin. Depuis quarante ans, la ville décline. Jusqu’à la faillite en 2013. Elle a pourtant connu des jours meilleurs. Surnom-mée « Motor City », c’est le berceau de l’industrie automobile. Mais en 2008, la crise immobilière et celle des subprimes ont provoqué sa ban-queroute. Actuellement, 30 % de la population vit sous le seuil de pau-

VERONIKA SCOTT A CRÉÉ UN MANTEAU-DUVET POUR LES SDF. DANS SON ENTREPRISE, ELLE NE RECRUTE QUE DES FEMMES QU’ELLE AIDE À SORTIR DE LA MISÈRE.

LA SOLIDARITÉ SOUS LE MANTEAU

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AILLEURSvreté et 34 000 personnes sont sans domicile fixe. Les pouvoirs publics ont failli depuis des décennies. Les habitants qui ont choisi de rester tentent de combattent la pauvreté, à leur petite échelle, en recréant du lien social. Ce sont des initiatives individuelles, comme celle de Véro-nika Scott qui rebâtissent la ville.C’est Phillip Cooley, un entrepre-neur local, qui permet à la jeune femme de mettre le pied à l’étrier. Ayant fait fortune grâce à une chaîne de restaurants, il crée Ponyride, deux étages d’ateliers qu’il loue à 0,25 dol-lars (0,23 euros) le mètre carré, eau, électricité et chauffage compris. Son but : soutenir des démarches sociales et solidaires comme celle de Veroni-ka Scott qui sera la première à s’y installer. À l’origine de l’idée de Veronika, un devoir pour un cours de « design ac-tiviste » qu’elle suit au College of Creative Studies de Détroit. Le sujet : « Créez un objet qui répond à un besoin. » Le design industriel l’en-nuie. Elle imagine alors ce manteau-duvet. Depuis quelques temps, elle fréquente des sans-abris dans un centre d’hébergement. Elle tente de cerner leurs besoins, réalise plu-sieurs prototypes. Elle se lie avec la communauté. « C’était pour moi un moyen de leur rendre tout ce qu’ils m’avaient apporté », commente-t-elle. En 2010, elle obtient son diplôme et se lance dans l’aventure : l’Empowerment Plan naît.

DIX-MILLE MANTEAUX FOURNISSurnommée la « crazy coat lady », la folle aux manteaux, elle réalise vite qu’elle n’est pas capable de satisfaire la demande seule. D’autant que, et elle en rit encore, elle n’est pas très habile en couture. Elle embauche alors Elisha, une première coutu-rière. « Les gens me disaient : “Tu ne pourras jamais travailler sérieuse-ment avec des sans-abris, ils ne seront jamais à l’heure au travail.” Mais des mères devant supporter une famille, si. »C’est auprès de Carhartt, une marque de streetwear fondée et située à quelques kilomètres de Dé-troit, qu’elle obtient les premiers fonds. Son projet charme même le

magazine Forbes qui l’invite à son sommet annuel en 2011. Sont pré-sents de richissimes bienfaiteurs, comme Oprah Winfrey ou Bill Gates. Veronika y joue l’avenir de son organisation car elle ne vit que de donations. Elle rencontre plu-sieurs entrepreneurs locaux qui décident de soutenir son projet. Depuis 2011, l’Empowerment Plan a fourni près de 10 000 manteaux-du-vets aux sans-abris, 6 500 pour la seule année 2014. Fabriquer un manteau coûte au total 100 dollars et requiert trois heures et demi de tra-

vail. À l’automne 2015, Veronika lan-cera une ligne de vêtements pour que la marque devienne viable. « Ainsi, on pourra développer l’em-ploi », espère-t-elle.

« C’EST GAGNANT-GAGNANT »La démarche de Veronika Scott s’inscrit dans une nouvelle philoso-phie du travail, décrite par le socio-logue français, Michel Lallement dans L’Âge du faire. De plus en plus d’individus se reconnaissent dans le « faire » : créer des objets soi-même, développer sa créativité et partager son savoir-faire. Kenyatta, une des couturière, souligne : « Chaque par-tie du manteau que j’assemble est importante. Il est destiné à quelqu’un que je ne connais pas, mais je veux être certaine qu’il sera bien dedans. » Quant à Shayna, elle apprécie la vie sociale du lieu : « Nous avons vécu les mêmes situations, ça ressert les liens. » Elle en retire une grande fier-té, celle de pouvoir assumer un loyer et le bien-être de sa famille. Les cou-turières gagnent un salaire décent, environ 10 dollars de l’heure (9,3 eu-ros). « L’organisation nous aide. Nous aidons les sans-abris. C’est ga-gnant-gagnant », se félicite Shayna.Détroit sort de la faillite. Pour la ville, Veronika Scott représente un espoir et un changement positif. « Je n’aurais pas pu créer ce projet ailleurs et à un autre moment », assure-t-elle. Profondément liée à Motor City, son initiative fait des émules dans d’autres pays et d’autres villes, comme Boulogne-Billancourt, ancienne cité automobile de la ré-gion parisienne. L’ONG Femmes d’avenir a lancé en décembre 2014 un appel aux dons pour financer un projet similaire. « C’est incroyable, s’enthousiasme Veronika. Détroit devient un modèle. »

CÉCILIA SANCHEZ, À DÉTROIT

C’est Véronika Scott (à g.) qui a eu l’idée du manteau-duvet. Toute l’entreprise est tournée vers l’aide aux sans abris, comme ces couturières (ci-dessous) à qui elle a donné un emploi et, du coup, une vie décente.

Les manteaux sont distribués dans 29 États

des États-Unis et dans 3 provinces du

Canada. Ils le seront bientôt en France

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LA NUIT LEUR APPARTIENTLA NUIT LEUR APPARTIENT

À l’heure où vous dormez peut-être, ils commencent leur journée. Ils font partie des 15 % de Français qui travaillent la nuit. Mais tous ne vivent pas leurs horaires comme une contrainte. Ils aiment la nuit, son calme et son atmosphère particulière. Le sourire en plus.

TEXTES ET PHOTOS : JUSTINE CANTREL, THOMAS CHATRIOT, EMMA PFISTER ET NATHALIE SIMONET-PICARD

PORTFOLIO

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1. Marc Jaulin, éboueur à Tours, embauche à 5 heures. Les ven-dredis et samedis matins sont ses plus grosses « journées ». 2. Miguel Malherbe aime travailler la nuit. Il s’y sent plus alerte. Poissonnier aux Halles, c’est à 5 heures qu’il réceptionne ses livraisons.

3. Bobinier, Jacques Brandner alimente les rotatives de l’imprimerie de La Nouvelle République à partir de 22 heures.

4. Stéphanie Hein est une jeune bouchère passionnée. Dans sa boutique des Halles, c’est à 5 heures qu’elle commence à préparer la viande.

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5. Jérémy Guillot est de l’équipe qui allume les fours à 3 heures. Sa bonne humeur anime le fournil de la boulangerie Hardouin.

6. Pour concilier vie privée et vie professionnelle, Cynthia Aubert a choisi un poste de nuit au centre de tri de Sorigny. Son équipe occupe le créneau 22 heures – 6 heures.

7. À La Nouvelle République, un technicien assure la maintenance des rotatives qui tournent toute la nuit

8. Le métier de kiosquier s’est retrouvé sous le feu des projecteurs lors du tirage historique de Charlie Hebdo. Catherine Serin installe ses magazines dès 5 heures.

9. Mansour Diakhate est agent de production. Il fait partie des 40 « nuiteux » du centre de tri de La Poste à Sorigny. Pour ce noctambule, le travail de nuit est un vrai choix.

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Dur, dur de se lever tous les matins pour aller au travail. Pourtant, il semblerait que ce ne soit pas le plus difficile. En France, la principale

galère, c’est l’insertion : trouver un premier emploi dans un marché du travail rigide. Pas de place pour les débutants. Car, l’employeur, lui, recherche l’expérience. Mais comment en acquérir si les portes ne s’ouvrent pas ? Beaucoup commencent par un stage. Parfois suivi d’un deuxième. Et encore un autre… Sans forcément de poste à la clé. Pour ceux qui n’ont ni diplôme ni expérience, c’est encore pire. Et puis, il y a tous ceux que le monde du travail rejette à cause de leur différence : handicap, origines sociales ou géographiques. S’insérer, un boulot à temps plein.

INSÈRE-TOI SI TU PEUXINSÈRE-TOI SI TU PEUXDOSSIER

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DOSSIER

« Les jeunes sont les premières vic-times de la crise », alerte Jean-Fran-çois Giret, économiste et professeur de sciences de l’éducation à l’univer-sité de Bourgogne. En France, le taux de chômage des moins de 25 ans avoisine les 25 %. Un problème qui existe depuis les années soixante-dix. Ce qui est plus récent, c’est la préca-rité qui accompagne l’entrée dans le monde du travail : si les trois quarts des jeunes trouvent un emploi en moins de six mois, 70 % n’obtiennent qu’un CDD selon l’Insee. La crise n’a pas frappé de la même manière tous les pays européens. Est-il besoin de rappeler les chiffres catastrophiques du chômage des jeunes en Italie, en Espagne ou en Grèce ? Ce sont les pays scandinaves

et germaniques qui s’en sortent le mieux. En Allemagne, le taux de chô-mage des moins de 25 ans est équiva-lent à celui du reste de la population, un peu moins de 8 %. En France, près de 15 points les séparent. Comme quoi, la crise n’est pas responsable de tous les maux. Les différences cultu-relles ont, elles aussi, un poids.

LA PRESSION À LA FRANÇAISEEt qui de mieux pour en témoigner que les étudiants du programme Erasmus ? Jean-Baptiste est parti un semestre au Danemark : « Après le bac, les Danois font une année de cé-sure. Ils sont beaucoup moins angois-sés par leur carrière que les Français. Moi, à 18  ans, j’étais perdu. J’aurais bien aimé faire une pause. Mais j’ai

ressenti une pression : ne pas redou-bler, ne pas perdre de temps. » Les Français, sous pression ? Beau-coup évoquent une course au diplôme. Avec la peur du chômage, les jeunes ont tendance à allonger la durée de leurs études. Parce qu’en France, le savoir-faire est moins valo-risé que le diplôme, qui prime aux yeux des recruteurs. Il conditionne l’emploi et le statut social. Les trajec-toires d’insertion sont donc très figées. Cécile Van de Velde, sociolo-gue spécialiste de la jeunesse euro-péenne, a identifié trois étapes dis-tinctes : des études non salariées, une phase d’insertion puis l’accès à l’em-ploi. Pour les jeunes Français, « le choix de la filière, comme celui du premier emploi, apparaît scellé par

CAP AU NORD, LÀ-BAS

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LES EUROPÉENS NE SONT PAS ÉGAUX FACE À LA CRISE. LE CHÔMAGE DES JEUNES

EST PLUS IMPORTANT EN FRANCE QU’EN ALLEMAGNE OU EN SUÈDE. EN

CAUSE, DES DIFFÉRENCES CULTURELLES.

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l’absence de droit à l’erreur et se pense comme le moment de choisir sa vie. » C’est « le poids de l’irréver-sible », qualifie la chercheuse. Pour lutter contre cette logique, la maison de l’orientation et de l’insertion pro-fessionnelle (MOIP) de l’université de Tours a lancé un nouveau concept pour dédramatiser l’échec : la soirée happy loose. Le principe : des profes-sionnels viennent témoigner auprès des étudiants. Ils racontent leurs par-cours, souvent marqués par des échecs et des réorientations. « Rater un examen ou changer de filière, ce n’est pas grave. C’est vraiment le mes-sage qu’on essaie de faire passer. Car l’échec est mal vécu par les étu-diants », explique Florence Gordon, chargée de l’insertion à la MOIP.

LE RYTHME À LA SCANDINAVEAu Danemark, au contraire, les jeunes prennent leur temps. Ils alter-nent ou cumulent études et expé-riences professionnelles pendant une longue période, qui peut s’étaler de 18 à 30 ans. Leurs parcours, non li-néaires, évoluent au fil de leur chemi-nement. Les pauses et les change-ments de voie ne posent pas de problème. À l’image de Sidse Holm Nielsen, Danoise de 21 ans, étudiante

en lettres en Erasmus à Tours : « Après mon bac, je suis partie dix mois comme jeune fille au pair dans le sud de la France. J’ai commencé des études de lettres. À mon retour au Danemark, j’aimerais faire un service civique dans l’humanitaire. » Même constat en Suède où Luc, Français de 26 ans, est inscrit en doctorat. « Je suis le plus jeune de mon laboratoire. Ici, il n’est pas rare de commencer un master à 30 ans ou une thèse à 40.

Mes collègues ont tous travaillé avant. » Et si les Suédois ou les Danois peuvent se permettre de débuter un master ou une thèse si tard, c’est aus-si parce qu’il est plus simple d’étudier et de travailler en même temps. « Il y

a beaucoup moins d’heures de cours là-bas qu’en France, explique Luc. Le travail personnel se combine plus facilement avec une activité profes-sionnelle. » Les parcours universi-taires sont plus flexibles : chacun peut choisir les cours qu’il souhaite et s’or-ganiser comme il le veut.À y regarder de plus près, la princi-pale différence tient en un mot : auto-nomie. Dans les pays nordiques, tout est fait pour favoriser l’indépendance dès l’âge de 18 ans. Comme au Dane-mark où les jeunes, qu’ils soient chô-meurs ou étudiants, reçoivent tous une allocation ou une bourse. En France, en revanche, il est admis que les parents paient les études de leurs enfants. Ce sont d’ailleurs les revenus des parents qui sont pris en compte pour l’attribution des bourses. Le RSA, revenu social de solidarité active, est destiné aux personnes de plus de 25 ans. Alors que presque partout en Europe, les jeunes bénéfi-cient d’un revenu minimum bien avant cet âge. Difficile dans ces condi-tions d’accéder à l’indépendance : le départ du domicile parental est sou-vent lié à l’obtention d’un emploi. En 2013, 43 % des jeunes qui ont terminé leurs études en 2010 vivaient tou-jours chez leurs parents si on en croit

« les choix apparaissent

scellés par l’absence de

droit à l’erreur »

CÉCILE VAN DE VELDE,

SOCIOLOGUE

PLUS DIFFICILE DE TROUVER LE PREMIER EMPLOIDe la génération sortie du système scolaire en 2004 à celle sortie en 2010, le taux d’em-ploi, après trois ans sur le marché du travail, a baissé de 8 points. Le taux de chômage lui a augmenté de 8 points. En cause, les difficultés de la France à proposer des dispositifs efficaces. Sources : CEREQ - 2013

Génération diplômée en 2004

Génération diplômée en 2012

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Taux de chômage trois ans après la sortie du système scolaire

Taux d’insertion trois ans après la sortie du système scolaire

Taux d’insertion trois mois après l’obtention de leur diplôme

LE TAUX D’INSERTION DES JEUNES FRANÇAIS TROIS ANS APRÈS LEUR SORTIE DU SYSTÈME SCOLAIRE

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DOSSIERl’étude Drees réalisée en juillet 2014. Armand* connaît bien cette situa-tion. À 23 ans, il n’a toujours pas quit-té la maison de ses parents. Près de deux ans après l’obtention de son BTS de maintenance industrielle, il cherche encore un travail. De nom-breuses candidatures mais peu de réponses. « J’ai passé des entretiens, mais les recruteurs finissent toujours par me dire qu’ils préférent une per-sonne plus expérimentée. » Mais comment remplir son CV si les portes sont fermées pour les novices ? Le cercle est vicieux et absurde.

FAVORISER L’ENSEIGNEMENT PROPour acquérir de l’expérience, cer-tains multiplient donc les stages (voir article stage p. 29). Armand, lui, envi-sage de préparer une licence profes-sionnelle en alternance. Une bonne option puisque l’apprentissage aug-mente considérablement les chances de s’insérer rapidement. Selon le Cedefop, un quart des jeunes Fran-çais utilise cette voie, contre la moitié des Allemands. L’Allemagne a fait de l’enseignement professionnel une filière solide et reconnue. Le système repose sur un dialogue étroit entre employeurs, syndicats et gouverne-ment. La France essaie tant bien que mal de rattraper son voisin. En vingt ans, le nombre d’apprentis a doublé. Mais ce sont surtout les diplômés du supérieur qui en profitent, au détri-ment des autres. « On aide des jeunes qui s’en sortiraient très bien sans

alternance, prévient Jean-François Giret. Les aides de l’État se déplacent vers des publics qui n’en ont pas vrai-ment besoin. Cela pose un problème d’efficacité et d’équité. On pourrait sortir plus de jeunes du chômage, alors qu’ on aide les plus avantagés. »

LES NON-QUALIFIÉS EN DIFFICULTÉEn effet, l’effort devrait se concentrer sur les jeunes sans diplôme. Ceux que l’on appelle les Neet : Not in educa-tion, employment or training, soit ni employé, ni en formation, ni à l’école. Les Français entre 15 et 29 ans sont 17 % dans cette situation, soit 1,9 mil-lion de jeunes d’après le Conseil d’analyse économique. La plupart n’ont pas dépassé le lycée. Avec la crise, la baisse des offres de travail non qualifié et le manque d’accompagnement de cette population ont provoqué une diminu-tion considérable de l’emploi chez les jeunes non diplômés. Que faire de tous ces jeunes sans qualification qui arrivent sur le marché du travail ? Plusieurs pays étrangers ont pris le problème à bras le corps. Ils ont mis en place des dispositifs combinant aides finan-cières, suivis et conseils intensifs en direction des jeunes précaires. Des moyens considérables

ont été mobilisés. Comme au Dane-mark où les jeunes sans diplôme au chômage depuis trois mois sont sys-tématiquement pris en charge. Pour continuer à toucher leurs allocations, ils doivent suivre une formation qua-lifiante d’au moins dix-huit mois. Une mesure dont le gouvernement Ay-rault s’est inspiré : la garantie jeune, lancée en 2013, permet à des Neet de bénéficier d’un accompagnement in-tensif et d’une allocation (voir article p. 30-31) pour éviter la marginalisa-tion et la paupérisation qui guettent cette population. Car aujourd’hui, parmi les 20  % de Français les plus pauvres, la moitié a entre 15 et 29 ans.

IRIS CHARTREAU, PAULINE DARVEY ET

NATHALIE SIMONET-PICARD

(*) Le prénom a été modifié.

« Je comprends les jeunes qui cherchent le meilleur endroit pour trouver un emploi et une vie décente, mais notre responsabilité est de leur apporter cette garantie partout en Europe », affirmait le président du Parlement euro-péen, Martin Schulz, en septembre 2013. En 2014, la moitié des Espagnols et des Grecs de moins de 25 ans sont au chômage. En Italie, ils sont 42,7 %. C’est quatre fois plus que les plus de 25 ans. Paolo Amorelli, 24 ans, originaire d’une ville proche de Rome, n’a pas de diplôme. Il a abandonné sa première année de psychologie. « La route était trop longue et, à la fin, j’aurais quand même été au chômage. Ici, soit on travaille au noir, soit on est précaire toute sa vie. » Aujourd’hui à son compte, il fait de la vente en ligne et de la construction de sites Web. Ses parents voudraient l’aider en lui payant des cours. Mais il ne veut dépendre de personne. Pourtant, il vit encore chez eux. Sa sœur Mariangela, 27 ans, est partie pour l’Allemagne en 2011. Malgré une licence d’économie à la Luiss, la presti-gieuse université privée romaine, elle n’a pas trouvé de travail. « En Italie, j’ai fait deux stages d’un an, sans contrat ni salaire, avec une indemnité de 350 euros par mois. » Aujourd’hui, elle vit toujours à Berlin. Son entrée dans la vie active s’est faite à égalité avec les jeunes diplômés allemands : six mois de stages, CDD d’un an et enfin un CDI. L’Italie s’inquiète de la fuite des cerveaux vers l’étranger. Elle dénonce le clientélisme et la médiocrité des classes dirigeantes. Des variables sur lesquelles la politique européenne de Martin Schulz a peu d’impact.

LE MAUVAIS ÉLÈVE ITALIEN

Pour les Neet, la garantie jeune prévoit des ateliers : CV, recherche d’emploi, santé…

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RESPONSABILITÉS ET MISSIONS, NOMBREUSES FAIBLES INDEMNITÉS… MALGRÉ LA LÉGISLATION, LA SITUATION DES STAGIAIRES AVANTAGE SURTOUT LES ENTREPRISES.« Entreprise X cherche stagiaire pour un poste d’attaché de presse. Durée : six mois. Deux ans d’ex-périence requises. » Une au-thentique annonce, banale sur ce site réservé aux offres d’emploi dans le domaine de la culture. Or, un stagiaire est par définition étudiant et donc peu expérimenté. Alors, à qui s’adresse cette annonce ?Une fois sélectionnés, les étudiants se voient souvent confier des tâches à responsabilités sans avoir été formés et sans être encadrés. Ils rem-placent souvent des employés en congé et, dans certaines entreprises, ils se succèdent sur des durées courtes, ce qui permet de ne pas les payer. Ils doivent parfois même se for-mer entre eux.Avocate en droit du travail, Ariane Belliat pointe l’absence d’encadre-ment des stagiaires. Elle estime que le problème des stages abusifs serait ré-glé si les enseignants supervisaient plus la rédaction des conventions. Et que la protection de leur statut de-vrait venir des établissements qui fournissent ces conventions.Depuis 2006, plusieurs lois se sont succédées pour défendre la situation des stagiaires. La dernière en date, votée en juillet 2014, leur accorde les

mêmes droits qu’aux salariés d’une entreprise (congés, tickets restau-rants, transport), excepté le salaire. Elle punit d’une amende de 2 000 eu-ros le non respect des délais de carence (deux mois entre deux stages de six mois) et des quotas de sta-giaires par entreprise (mais le décret d’application n’est toujours pas pris). L’inspection du travail devra sanc-tionner le recours au stage pour exé-cuter une tâche correspondant à un poste de travail permanent. Enfin, elle interdit les stages une fois le cursus scolaire ou universitaire achevé.Cette législation sera-t-elle efficace ? Vu le faible coût d’un stagiaire pour l’entreprise, on peut en douter. Un stage de deux mois ou plus ne lui revient qu’à 508,20 euros mensuels.Certains jeunes diplômés n’hésitent pas à recourir à une fausse i nscription

universitaire ou à acheter une conven-

tion auprès d’écoles peu scrupuleuses. C’est le cas d’Aleksan-dra (le prénom a été changé), 25 ans, diplômée d’un master de commerce international. Ne trouvant pas d’em-ploi, elle effectue un stage de six mois dans une multinationale. Pour ce faire, elle s’est inscrite dans une de ces « écoles » privées qui se vantent sur leur site de délivrer « des conventions de stage en quarante-huit heures ». Mais, en cas d’accident, la jeune femme risque de se retrouver sans re-cours possible ni assurance.Tant qu’un stage continuera à être moins onéreux pour les entreprises qu’un CDD, la situation aura du mal à évoluer. Un cercle vicieux d’autant que le stage reste la meilleure façon pour les jeunes de se former. Alors tout le monde ferme les yeux.

LINA BENSENOUCI ET CÉLIA MASCRÉ

STAGIAIRE, LA BELLE AFFAIRE

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Isaac, 23 ans, se tient fièrement der-rière son étal de viande. Depuis le mois d’octobre, il est apprenti- boucher dans un supermarché près de Montluçon (Allier). Une victoire pour le jeune homme qui, depuis quelques années, enchaînait périodes d’inactivité et petits boulots. À 17 ans, il a arrêté son CAP « entretien des es-paces verts » et s’est retrouvé, sans diplôme, sur le marché du travail. Comme 17 % des 15-29 ans en France, Isaac est un Neet (not in education employment or training) : ni scolarisé ni employé. Une population invisible, en grande précarité. Virginie Muni-glia, sociologue, les appelle « les jeunes vulnérables » : « La plupart du temps, ils n’ont pas de soutien paren-tal et aucune stabilité financière. » Comme les emplois non-qualifiés sont de moins en moins nombreux, il est difficile pour ces jeunes éloignés des institutions de s’insérer dans la vie professionnelle. Pour les 15-25  ans, reste une solution : frapper à la porte des missions locales. C’est ce qu’a fait Isaac. Sa conseillère l’a alors dirigé vers un nouveau dispo-sitif, encore expérimental : la garantie jeune. Lancée par le gouvernement Ayrault en 2013, elle concerne les

Neet de moins de 26  ans. Dix terri-toires pilotes, dont l’Allier, l’ont mise en place en octobre 2013. Pendant un an, les jeunes sont suivis dans leur mission locale par un conseiller. Six semaines de formation en groupe, puis c’est à eux de démarcher pour trouver un emploi. Stages, CDD, inté-rims, toute expérience est bonne à prendre. Le but est de les rapprocher de l’entreprise et de leur donner confiance en eux. « Cela demande beaucoup d’investissement, explique Nadège Thomas, coordinatrice à Montluçon. Ils doivent justifier de tout ce qu’ils font. Un an à temps plein, c’est long. » En échange, les jeunes perçoivent une allocation d’un peu moins de 500 euros par mois.

« LA GARANTIE JEUNE L’A RÉVÉLÉ »Grâce au dispositif, Isaac a trouvé un stage de deux semaines en boucherie. L’employeur lui a ensuite proposé d’intégrer un CAP en alternance. Depuis, l’apprenti a fait ses preuves. Son responsable l’a même présenté au concours du meilleur ouvrier de France. Impensable il y a neuf mois encore, lorsqu’Isaac a commencé sa formation en groupe à la mission locale. « Il faisait le pitre tout le temps.

La garantie jeune l’a révélé », constate Sabine Pinon Quartironi, sa référente. Aujourd’hui, elle est venue lui rendre visite sur son lieu de travail. Car trou-ver un emploi, c’est bien. Le garder, c’est mieux. Le suivi est très impor-tant. La conseillère d’Isaac a de quoi être satisfaite. Pour lui, la garantie jeune est une réussite.Qu’en sera-t-il de Léa, Kévin, Maxence et Brandon ? Ce matin, ils

participent à un atelier CV à la mis-sion locale de Montluçon. C’est le dé-but de leur troisième semaine de for-mation. Le brouhaha règne dans cette grande salle aux murs vert pomme. Une quinzaine de filles et de garçons sont éparpillés dans la pièce. Bran-don, peu convaincu, montre son CV à Tonia Huard, l’intervenante du jour. « Tu faisais quoi à la boulangerie ?

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DOSSIER

SANS DIPLÔME, SANS EMPLOI, SANS RESSOURCES, ILS ONT MOINS DE 26 ANS. LA GARANTIE JEUNE S’ADRESSE À EUX. UN PROGRAMME D’ENCADREMENT D’UN AN POUR METTRE CES JEUNES LOIN DU MONDE DU TRAVAIL SUR DE BONS RAILS.

LE CONTRAT DE CONFIANCE

À la mission locale de Montluçon, les jeunes suivent des ateliers pendant six semaines pour identifier leurs compétences

À la mission locale de Montluçon, les jeunes suivent des ateliers pendant six semaines pour identifier leurs compétences

« Même physiquement, les jeunes sont

transformés. Il faudrait faire une photo avant-après »

SABINE PINON QUARTIRONI

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- Ben, j’ai pétri du pain, préparé la pâte », lui répond le jeune homme, blasé. La conseillère l’encourage : « Tu vois, tu en as fait des choses. Ne te sous-estime pas. » La confiance, c’est précisément ce qui pêche chez ces jeunes. La garantie jeune a été créée pour ça : leur montrer qu’ils valent quelque chose.

LE B.A.BA DE LA VIE QUOTIDIENNEDes collages réalisés par le groupe quelques jours plus tôt sont accro-chés au mur. Une pile de magazines et une consigne simple : raconter en image une expérience positive. « Faire un CV, je comprends. Mais ça, je ne vois pas l’intérêt », peste Maxence. Ces ateliers permettent d’évaluer les « compétences fortes » de chacun. « Esprit d’équipe, facilité à entrer en relation avec les autres, débrouillar-dise… Nous avons identifié treize compétences », précise Nadège Thomas, la coordinatrice.Tout est fait pour développer le tra-vail d’équipe et le sens de l’initiative. « On rebondit sur toutes leurs idées. Par exemple, un groupe voulait orga-niser un repas de fin de formation. Nous l’avons transformé en jeu : ges-tion du budget, liste de courses, ré-partition des tâches… Ça a plutôt bien marché », raconte-t-elle. Car la garantie jeune, c’est aussi réapprendre le b.a.-ba. de la vie quotidienne. Se le-ver le matin, arriver à l’heure, faire des démarches administratives, s’organiser pour prendre le bus. Avant de trouver un contrat, les jeunes doi-vent devenir autonomes. « Il faut lever tous les freins à l’emploi, » explique Sabine Pinon Quartironi. Souvent, leur environnement familial est compliqué : déménagements à ré-pétition, ruptures avec les parents, grossesses précoces… Les problèmes personnels empiètent sur la sphère professionnelle. Aider ces jeunes à avoir une vie privée stable, c’est une autre priorité de la garantie jeune.Logement, mobilité, santé, recherche d’emploi, ils ont donc six semaines pour « mettre un pied à l’étrier », selon Nadège Thomas. Ensuite, il est temps de s’immerger dans le milieu professionnel. « Même s’ils ne trou-vent pas dans un secteur qui leur plaît, on les incite à se lancer, précise

Tonia Huard. Ils se diront “J’aime, j’aime pas, mais au moins, j’ai vu”. » Ils doivent multiplier les expériences, se créer un réseau et, surtout, se convaincre que le monde de l’entre-prise n’est pas si loin. Quand ils ne

sont pas en activité, ils doivent « poin-ter » à 8 h 30 à la mission locale. Les jeunes viennent aussi régulièrement faire un bilan avec leur référent. Cet après-midi, Sabine Pinon Quartironi les reçoit dans son petit bureau. Il est déjà 14 h 15 et Imed n’est toujours pas là. Aurore, elle, a eu des difficultés à faire garder son fils. Deuxième ren-dez-vous manqué. C’est au tour de Morgane, 20 ans, d’entrer dans le bu-reau. Dans quinze jours, la jeune fille terminera son année de garantie jeune. Ce sera l’heure du bilan de pro-gression. « Pour moi, ce serait plutôt de régression », ironise-t-elle : Mor-gane a eu des accidents de parcours qui l’ont découragée. La conseillère essaie de lui rappeler ses compétences

fortes. Morgane baisse la tête. Sabine l’encourage : « Sens des responsabili-tés, débrouillardise, relationnel, orga-nisation… Tu vois, tu en as beau-coup. » La jeune fille sourit. « C’est vrai, mais je n’arrive pas à les exploi-ter. » Demain, elle ira négocier un stage pour être serveuse dans un centre aqua-ludique. « On y croit », glisse-t-elle en repartant. Le rendez-vous l’a remotivée. Quand elle ne bé-néficiera plus de l’allocation, Morgane continuera à rencontrer un conseiller de la mission locale. Mais ce sera à elle de faire l’effort de venir si elle veut un suivi régulier. À l’horizon 2016, 100 000  jeunes auront bénéficié du dispositif. C’est peu, quand on sait qu’ils sont près de 2 millions de Neet à rester sur le car-reau. L’État va-t-il étendre la garantie

jeune à toute la France ? Problème, ça coûte cher. Environ 7 000  euros par jeune. Mais pour obtenir des résultats, il faut investir. Car si peu sortent du dispositif avec un emploi, de l’avis unanimes des conseiller, la garantie jeune est un succès. Les jeunes ont ac-cumulé des expériences. « Ça se voit même physiquement, note Sabine Pi-non Quartironi. On devrait faire une photo avant-après. » L’un des jeunes l’a constaté. Grand et costaud, il n’osait pas regarder ses interlocuteurs. Six se-maines de garantie jeune, et le résultat est sans appel : « J’ai juste relevé la tête. C’était génial. » Un geste banal pour-tant. Qui lui a permis de décrocher ses premiers contrats.

JUSTINE CANTREL ET PAULINE DARVEY

À MONTLUÇON (ALLIER),137 JEUNES ont expérimenté le dispositif entre novembre 2013 et novembre 2014 400 IMMERSIONS EN STAGE5 CDI1 EMPLOI D’AVENIR2 CONTRATS AIDÉS2 CONTRATS EN ALTERNANCE50 À 60 CDD OU INTÉRIMS

LA GARANTIE JEUNE, LOCALEMENT

Isaac, apprenti-boucher, rend régulièrement des comptes à sa référente, Sabine Pinon Quartironi.

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DOSSIER

Trois cents. C’est à peu près le nombre de candidatures qu’Amine*, Franco-Algérien de 27 ans, a envoyées entre 2011 et 2012. Dix, c’est le nombre d’entretiens qu’il a décrochés. Aucun n’a abouti. Pourtant, Amine, dynamique et travailleur, sort de l’une des plus grandes écoles de commerce du pays. Mais ses brillantes études et son « très bon relationnel », selon un camarade de promo, n’ont pas suffi. Alors, à contre-cœur, il a fait ses va-lises pour l’Angleterre et est devenu manager d’un service client. Il rejoint les 53 % de Français qui travaillent à l’étranger et qui sont titulaires d’un master. Parmi les jeunes diplômés ils sont 27 % às’imaginent faire carrière à l’étranger. Amine, lui, voyait son ave-nir en France, où il est né.Pour financer ses études, Amine a dû emprunter 18 000  euros. Son

diplôme en poche, il doit se contenter

de postes de serveur de fast-food ou de veilleur de

nuit. Martin, un ami de l’école, s’en étonne : « C’était un excellent

étudiant, bien intégré. C’est pourtant le seul de la promo à avoir autant “ga-léré”. » Il admet que ses origines « peuvent avoir joué ». Amine, lui, ne se sent pas discriminé : « Je voulais être embauché dans l’en-treprise où j’ai fait mon stage de fin d’études. Malgré ma motivation, je ne l’ai pas été. Sans que l’on m’en donne la raison. » Responsable du pôle dis-

crimination de SOS Racisme, Flore Ganon-Lecomte comprend ce déni : « Les cadres et les personnes diplô-mées ont du mal à concevoir qu’ils puissent être discriminés. Et ceux qui en sont conscients n’engagent aucune procédure, de peur de “se griller’’. » « À l’école, Amine devait être le seul à être d’origine algérienne. Il y avait très peu de Noirs, presque pas d’Arabes. Il n’y en a pas plus dans le conseil en entre-prise », constate Martin. Simple

à  constater, mais difficile à étudier. En France, les enquêtes basées sur des critères ethniques sont interdites.

UN PHÉNOMÈNE NON QUANTIFIÉCe paradoxe frappe le Défenseur des droits, l’autorité indépendante de défense des citoyens face aux discri-minations : « On demande aux em-ployeurs de faire de la diversité, mais impossible de faire des quotas. »Aux yeux d’Amine, l’Angleterre pré-sente un avantage. « Le débat autour de la discrimination y est très avancé. Dans les entreprises, il y a un code de l’employé qui stipule que toute remarque d’ordre sexiste, homo-phobe ou raciste sera sanctionnée », décrit le jeune homme. Un exemple à suivre pour le directeur du cabinet Éthique et Diversité, Khalid Hamda-ni : « Le système judiciaire est extrê-mement sévère là-bas. Les pénalités sont lourdes pour les entreprises épinglées. » Le consultant déplore la situation en France : « La justice fran-çaise, les forces de répression doivent s’emparer de la question plus ferme-ment. » Flore Ganon-Lecomte le re-joint sur l’immobilisme de l’État : « Les gouvernements successifs n’ont jamais signé le décret obligeant l’utili-sation du CV anonyme proposé dans la loi pour l’égalité des chances en 2006. » En attendant, faute de mieux, Amine reste en Angleterre. Et conti-nue, malgré les difficultés, d’envisager un retour en France.

THOMAS LABORDE

(*) Les prénoms ont été changés.

DIPLÔMÉ FRANCO-ALGÉRIEN, AMINE A DÛ PARTIR À L’ÉTRANGER POUR TROUVER DU TRAVAIL. UNE SITUATION TYPIQUE EN FRANCE, QUI NE PUNIT PAS ASSEZ LES PRATIQUES DISCRIMINATOIRES.

Titulaire d’un master en management, Amine (ici, au centre) fut également joueur de l’équipe de rugby Les Gaulois.

«les cadres ont du mal à concevoir qu’ils puissent être

discriminés »FLORE GANON-LECOMTE,

SOS RACISME

PARTIR OU SUBIR

Illustration : Lasserpe

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Comme beaucoup de Français, vous cherchez du travail. Mais comme 10% d’entre eux, vous êtes handicapé. Les méandres de l’administration font déjà peur aux valides. Pour les personnes handicapées, c’est pire. Par quoi commencer ?En vous renseignant, vous avez appris l’existence des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) : un guichet unique pour faciliter vos démarches. Mais vous allez vite vous rendre compte d’une dure réalité : une tonne de paperasse et des délais d’attente interminables.Dix ans après leur création, les MDPH se trouvent face à un paradoxe : en voulant cen-traliser tous les types de requêtes dans une volonté de simplification, c’est l’inverse qui s’est produit. L’institution est saturée. Trente mille demandes en moyenne à Tours. Iné-vitablement, il faudra s’armer de patience. Après plusieurs mois d’attente, vous obtenez un rendez-vous avec une conseillère. Vous allez définir votre projet professionnel aidé par des psychologues, des formateurs… Passée cette étape, on vous parle de la reconnaissance de la qualité de travail handicapé (RQTH). Ce statut est un précieux sésame pour entrer dans le monde du travail. Problème : votre demande fait partie des 4 000 requêtes, sur les 30 000, qui concernent les RQTH. Autant dire que vous n’êtes pas tout seul. C’est la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées qui prend la décision finale. Et l’attente sera longue. Quatre à dix mois.Enfin, muni du fameux sésame, vous vous dîtes que vous avez toutes les chances d’être engagé. Car depuis 1987, les entreprises ont

l’obligation d’embaucher 6  % de personnes reconnues comme travailleurs handicapés. Exonérés de certaines taxes, les employeurs reçoivent aussi des subventions. Chacun y trouverait-il son compte ? En réalité, les entreprises n’appliquent pas toutes ce quota. Il n’est que de 4,6  % en moyenne dans le secteur public et 3 % dans le privé, selon l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (agefiph). Plutôt que d’adapter leurs locaux, les entreprises préfèrent payer des amendes. Elles arguent que certains de leurs salariés, pourtant concernés, n’accepteraient pas de se faire reconnaître en tant que travailleurs handicapés car ils refuseraient d’être perçus comme « diminués ».

UN MONDE FAIT POUR LES VALIDESMais ce n’est pas votre cas. Vous, vous avez attendu des mois pour cette reconnais-sance. Vous comptez bien la faire valoir. Et bingo, l’embauche vous a souri. Las ! Il n’y a pas de rampe adaptée pour accéder à votre bureau. Votre emploi devient un calvaire. Comme pour Raphaël, 26 ans, étudiant en droit, qui n’a pas pu effectuer son stage au tribunal de commerce de Tours parce qu’il ne pouvait pas accéder à la salle d’audience. Si la loi de 2005 sur l’accessibilité avait été suivie à la lettre, au 1er janvier 2015, tous les bâtiments auraient été adaptés. On en est loin. Une ordonnance discutée à l’Assem-blée nationale a été déposée en 2014 pour rallonger le délai d’adaptation de trois à neuf ans. L’Association des paralysés de France crie à l’abandon et mène une cam-pagne offensive sur les réseaux sociaux. En vain pour le moment.Même problème pour vous déplacer. Deux marches pour monter dans un bus ou une poubelle mal placée et c’est un rendez-vous qui est manqué. Sur Internet, vous avez pourtant entendu le président de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, Arnaud de Broca, dire que « le handicap n’est pas un frein, mais un moteur du vivre ensemble et de l’insertion à 100  % de tous les citoyens ». Paroles de valide. Au bout de ce parcours, vous réalisez que si l’insertion est problématique, c’est aussi et surtout une histoire de mentalité. Votre ami Gregory, également non-valide, fulmine. Il aimerait « bien mettre François Hollande dans un fauteuil pendant une semaine. Juste pour voir ». Cela vous fait à peine sourire.

LINA BENSENOUCI ET THOMAS CHATRIOT

Si la loi de 2005 avait

été suivie à la lettre, au

1er janvier 2015,

tous les bâtiments

auraient été adaptés.

C’est loin d’être

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ÊTRE HANDICAPÉ ET TROUVER UN EMPLOI, UN VRAI PARCOURS DU COMBATTANT.

HANDICAP LE MARATHON DE L’INSERTION

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Vendredi 23 mars 1979. Moustache, cheveux mi-longs, blouson en cuir, Michel Olmi sort de l’autocar, prêt à crier sa colère. Ce perma-nent syndical d’origine italienne débarque tout juste de Lorraine accompagné de ses camarades cégétistes. En ce début de matinée, les sidérurgistes de Longwy, en Lorraine, se retrouvent gare de l’Est pour prendre d’assaut Paris. La plupart rejoignent la porte de Pantin, premier point de ralliement de la CGT. Par-tout sur le chemin, la « République démocra-tique et populaire de Longwy » est applaudie. Les autres militants, organisés en petits groupes, participent à des actions « coup de poing ». Jean-Pierre Marchési et ses collègues

« TRAVAILLEURS AUX MAINS D’OR », ILS ONT LUTTÉ POUR QUE VIVE LA SIDÉRURGIE. LE 23 MARS 1979, LES MILITANTS ONT DÉFILÉ DANS LA CAPITALE « CONTRE LE MASSACRE DE L’USINE ». EN VAIN. MALGRÉ LEURS EFFORTS, LA BATAILLE DE L’ACIER S’EST MAL TERMINÉE.

d’atelier, tous ouvriers de Longwy, sont de ceux-là. À peine descendus de l’autocar, ils sont guidés par les responsables syndicaux parisiens et rejoignent l’Île de la Cité. Il est 10 heures. Ils grimpent à la tour sud de Notre-Dame et font sonner le bourdon Emmanuel, une cloche qu’on ne sonne que pour les grandes occasions. « Mes oreilles s’en sou-viennent encore », s’enorgueillit Jean-Pierre. Les Longoviciens font savoir aux Parisiens qu’ils sont là. Puis, ils rejoignent la place de la République, départ de la manifestation nationale. Ils sont 50 000  selon la police, 150 000 selon les syndicats. Dunkerque, Denain, Longwy, ce sont d’abord les cités

Paris, porte de Pantin, 23 mars 1979. Les habitants de Longwy sont venus en nombre : ils seraient environ 5 000. La manifestation peut commencer.

12 décembre 1978

Le gouvernement Barre annonce le plan de « sauvetage » de la sidérurgie

25 000 personnes manifestent à Longwy, alors que le bassin compte 100 000 habitants

La CGT crée la radio Lorraine Cœur d’Acier

19 décembre 1978

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DES GROS BRAS AU CŒUR D’ACIER

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industrielles qui se mobilisent. Mais un élan de solidarité nationale soulève la capitale en ce jour de printemps. Tous viennent manifes-ter leur colère.

UN PLAN DE « SAUVETAGE » QUI PASSE MAL Les ouvriers paient les pots cassés de la ges-tion des maîtres de forges. Ces patrons, endettés à outrance, investissent à perte de-puis des années. La « minette lorraine », le minerai local, peu rentable, a été remplacée par d’autres, plus riches. Le contexte mon-dial n’arrange rien : crise financière, concur-rence de nouveaux acteurs, plan européen de restructuration du secteur, déclin de la de-mande d’acier et arrivée sur le marché de nouveaux matériaux. Autant d’éléments qui poussent le gouvernement à se saisir du pro-blème et à tailler dans le vif. Pour éviter l’ef-fondrement, le secteur sidérurgique, consi-déré comme stratégique, est partiellement nationalisé. En décembre 1978, le gouverne-ment Barre annonce un plan de « sauvetage » de la sidérurgie française. Quelque 21 750 li-cenciements sont prévus sur deux ans, dont 6 500 rien qu’à Usinor-Longwy. Pour la ré-gion, qui vivait depuis un siècle de cette mo-no-industrie, c’est toute une économie qui est menacée.

L’avenir, les habitants n’osent pas l’imaginer. L’inquiétude, la peur, le doute puis la colère s’installent dans le bassin lorrain. Et le 23  mars, c’est avec rage que les ouvriers expriment leur indignation. Si la lutte ne peut se réduire à cette marche, cette dernière symbolise toutefois la révolte des sidérur-gistes. Ce qu’ils souhaitent, c’est « vivre, tra-vailler, étudier à Longwy », comme il est écrit sur la pancarte portée par Michel Olmi. La manifestation est la suite logique d’une mul-titude d’actions. Le 19 décembre précédent, une semaine après l’annonce du plan, 250 000 personnes s’étaient rassemblées à Longwy. Cela faisait six mois que les manifestations, les barrages de routes, les occupations d’usines, de relais télévisés et de sous-préfec-tures rythmaient le quotidien du bassin.

Malgré l’interdiction (les ondes sont encore sévèrement réglementées par l’État), les syndicats ont créé des ra-dios pirates pour coordonner le combat. D’abord la CFDT, puis la CGT avec la radio Lorraine Cœur d’Acier. Le 23 mars, sur ses ondes, les journalistes Marcel Trillat et Jacques Dupont se font l’écho, heure par heure, de la marche « contre le mas-sacre de l’usine ». À Paris, sous leurs casques de sidérur-gistes, les militants entonnent L’Inter-nationale. Des banderoles décorent les rues : « Longwy, Denain montrent le chemin », ou encore « Longwy vivra ». Malgré les dissidences, cégétistes, cé-détistes (membres de la CFDT), sidé-rurgistes, commerçants, enseignants, du Nord ou de l’Est, tous sont unis pour le même combat. Dans une ambiance bon enfant, la foule piétine

Usinor-Longwy au balcon

de Notre-Dame. Jean-Pierre Marchesi

et ses collègues s’apprêtent à sonner

les cloches de la cathédrale.

Des applaudissements accompagnent la marche des manifestants. Une scène qui se répète de Pantin à République, lieu du rassemblement national.

Pic de la mobilisation, la marche sur Paris

« contre le massacre de l’usine »

Nuit d’émeute après le brouillage

de Lorraine Cœur d’Acier

CGC, FO, CFTC et CFDT signent la convention sociale. La CGT

et l’UIS-CFDT continuent la lutte

23 mars 1979

19 mai 1979

24 juillet 1979

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HISTOIREconsentir », explique Michel Olmi. La lutte aura permis des avancées so-ciales, certes – pré-retraites, primes de départ volontaire... –, mais aussi une vague de licenciements qui em-portera la majorité des sidérurgistes. La ville est sinistrée, peuplée de chô-meurs et de retraités. L’amertume et la douleur gagnent la population. Une certaine rancœur, aussi. Michel Olmi est le premier concerné. Lui qui était entré à l’usine à 14 ans, après des dif-férends avec ses confrères syndica-listes, démissionne de la CGT. Le

temps passe. Il ne trouve plus de travail. La coordination des actions et la détermination laissent un grand vide. C’est la photo qui lui permet de se raccrocher à la vie. De panser ses plaies. Photographier les générations sui-vantes en lutte, la voilà sa reconversion. La bataille de l’acier a été perdue. La métal-lurgie agonise. Elle sera achevée des décen-nies plus tard : l’extraction du fer sera stop-pée en 1993 et les hauts-fourneaux d’ArcellorMittal de Florange définitivement fermés fin 2012. C’en est fini des usines de 6 000  alariés, du syndicalisme fervent de la classe ouvrière. Terminé ces métiers pé-nibles, mais d’où jaillissaient une fierté et une identité forte. De la vallée des hauts four-neaux, il ne reste plus rien. Les blouses bleues ont été troquées contre des chemises blanches. Résonne alors Les Mains d’or, chanson de Bernard Lavilliers, l’enfant du pays : « J’me tuais à produire / Pour gagner des clous [...] J’peux plus exister là / J’peux plus habiter là / Je sers plus à rien – moi / Y’a plus rien à faire / Je voudrais travailler en-core, travailler encore / Forger l’acier rouge avec mes mains d’or / Travailler encore, tra-vailler encore / Acier rouge et mains d’or. »

JUSTINE CANTREL ET HUGO LANOË

pour rallier la place de l’Opéra. Mais là, des affrontements éclatent. Cer-tains dénoncent des provocations policières. Surtout, les « autonomes » font irruption. Ce mouvement, issu de l’anarchisme et du maoïsme, ils récla-ment l’autonomie prolétarienne : auto-nomie vis-à-vis de l’État, du capita-lisme et des syndicats. Armés de barres de fers, ils contestent dans la brutalité et tentent de pousser les autres manifestants à la violence. La quasi-totalité des vitrines des Grands-Boulevards et de la place de l’Opéra sont brisées, des magasins de luxe pillés. La cause discréditée.

INCENDIES ET GRENADES LACRYMOGÈNESJean-Pierre Marchési et ses collègues se réfu-gient d’abord dans une bouche de métro. Mais la curiosité l’emporte, ils font demi-tour. Il est 17 heures. Le spectacle est apocalyptique : les grenades lacrymogènes fusent, les barricades sont en feu, les CRS chargent. Cette présence policière massive suffit à irriter les manifes-tants. Les forces de l’ordre tentent de disper-ser la foule mais le quartier est saccagé. Des pompiers arrivent pour éteindre l’incendie allumé dans le magasin Lancel. « Nous, on est resté calme. On n’a pas pleuré sur les bijoute-ries pour autant », ironise Gérard Lagorce, responsable syndical de Longwy. Poursuivis par la police, lui et ses amis de la CFDT cou-rent sur les Grands-Boulevards en direction de la gare de l’Est où les attendent trains et autocars. L’air est saturé de gaz lacrymogène, mais les heurts se calment. Les sidérurgistes rentrent chez eux. Encore portés par l’excita-tion de la journée, ils considèrent que la marche sur Paris est un succès. En termes de mobilisation, c’est indéniable. Mais le chaos du quartier de l’Opéra, immortalisé dans la presse du lendemain, laissera une image bien terne de la révolte des sidérurgistes. Dans le train du retour, une mauvaise nou-velle circule. Roger Marin a été arrêté. Ce fils et frère de sidérurgistes, magasinier au chô-mage, est condamné à six mois de prison. Dès le lendemain, la lutte du bassin lorrain se poursuit pour soutenir « ce gars de Lon-gwy ». Face à la mobilisation lorraine, la jus-tice cède. Il sera libéré au bout de trois mois.Lorsque les congés d’été arrivent, le combat s’essouffle peu à peu. Depuis quelques se-maines, gouvernement et ouvriers négocient la convention sociale. Sa signature, le 24  juillet 1979, sonne le glas de tout espoir. Tous les syndicats la ratifient. Tous, sauf un : la CGT. « Ça aurait voulu dire accepter,

Les cheminots, solidaires, s’associent

à la cause des sidérurgistes.

En fin de journée, les heurts entre autonomes et forces de l’ordre dévastent les Grands-Boulevards.

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2015 Innova 37

ÉCONOMIE

DEPUIS HUIT ANS, PÔLE EMPLOI FAIT APPEL AU PRIVÉ POUR LA PRISE EN CHARGE DES CHÔMEURS. FRAUDES ET DÉRIVES S’ACCUMULENT. Et si un jour il fallait payer pour cher-cher du travail ? Ce n’est pas pour tout de suite mais la privatisation semble en marche. Depuis 2007, Pôle Emploi a recours au privé pour accompagner des demandeurs d’emploi. L’agence fait appel à des opérateurs privés de placement (OPP), qui suivent actuel-lement 250 000  chômeurs. « Vu le taux de chômage, le recours aux OPP est indispensable, explique Michel Abhervé, professeur d’économie à l’université Paris-Est Marne-la- Vallée. Tant que cela reste un complément ponctuel du service public, pas de problème. » C’est juste-ment la crainte des syndicats : une perte de contrôle progressive de l’État et une libéralisation à marche forcée.

SYSTÈME NON ADAPTÉ À LA FRANCE Le 3 mars dernier, la France a ratifié la convention 181 de l’Organisation internationale du travail. Un texte, déjà signé par 28 États censé encadrer le recours aux OPP. Pas de quoi rassu-rer les syndicats : « Pour un pays qui n’a pas de service public de l’emploi, la convention 181 peut être une avan-cée, mais pour la France, c’est une remise en cause du principe d’égalité dans le traitement des demandeurs d’emploi », explique Nathalie Potavin, secrétaire fédérale Pôle Emploi CGT. Même son de cloche du côté de la FSU. D’après Jean-Charles Steyger, délégué syndicale, « la convention doit garantir la gratuité du service. Mais regardons en Espagne : des offi-cines privées ont poussé sur tout le territoire. Les chômeurs doivent payer des droits d’entrée pour consul-ter les annonces dans certaines agences. » Une dérive possible

puisque cette convention est soumise à dérogation. Cha que pays peut décider d’amender le texte. Mais, pour Michel Abhervé, l’Es-pagne n’est pas la France : « Croire que le service va devenir payant est un vrai fantasme. Si le fonctionnement de Pôle Emploi n’est pas parfait, notre service public reste très structuré. »Un discours qui n’efface pas la mau-vaise réputation des OPP. Plusieurs scandales ont éclaté ces dernières an-nées. Le plus médiatique est celui de C3 Consultants en 2014. L’entreprise, devenue numéro un du placement privé, a fait faillite avec pertes et fra-cas. Bilan : 580 salariés sur le carreau et des millions d’euros de fraude. Il y a quelques mois encore, Christine Nicoud était conseillère pour cet

OPP. « On me demandait de produire de fausses signatures ou de faire signer des chômeurs pour des presta-tions qu’ils n’avaient jamais eues. Sous la pression, tous mes collègues l’ont fait. Moi, j’ai refusé. Le patron a alors essayé de me licencier. » Des pra-tiques courantes selon elle, encoura-gées par un mode de rémunération au

placement. « C’est un secteur où on peut gagner beaucoup d’argent facile-ment. Il n’y a presque pas de contrôle. Pôle Emploi préfère ne rien voir. » Une connivence entre l’État et les OPP que l’ancienne salariée n’est pas la seule à dénoncer. « Thierry Frère, P-DG de C3 Consultants, a utilisé une stratégie payante, explique Mi-chel Abhervé. Le ‘‘Too big to fail’’, trop gros pour tomber. Son entreprise gérait près de 125 000  demandeurs d’emploi. Impossible pour l’État de se séparer de lui. » Autre raison pour fermer les yeux : lorsqu’un deman-deur d’emploi est suivi par un OPP, il quitte la fameuse catégorie  A. Celle prise en compte chaque mois pour le calcul des chiffres du chômage.Ces scandales ont poussé l’État à opé-rer des changements. Pôle Emploi se réserve désormais le droit de refuser des offres trop basses. « Avant, Pôle Emploi semblait choisir les OPP uni-quement en fonction du prix, explique Véronique Pâris, directrice de l’agence de placement AB Créa. Résultat : des marges insuffisantes pour les entre-prises. Elles expédiaient les presta-tions, recrutaient des conseillers au rabais et finissaient par faire faillite. » Autre nouveauté : à partir de juillet, ce ne sont plus les chômeurs les plus éloignés de l’emploi qui seront en-voyés vers les OPP, mais ceux qui en sont les plus proches. Pôle Emploi change donc son fusil d’épaule. Une manière de tirer les leçons du passé ? PAULINE DARVEY ET GUILLAUME SAUZER

«  On me demandait de produire de 

fausses signatures ou de faire signer 

des chômeurs pour des prestations 

inexistantes »CHRISTINE NICOUD, ANCIENNE

CONSEILLÈRE POUR UNE OPP

Le système permet aussi de dissimuler le nombre officiel de chômeurs.

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Page 38: Innova n°22. Le travail change de peau

POUR LES FEMMES, À CHAQUE BOUT DE L’ÉCHELLE SOCIALE, LES INÉGALITÉS PERDURENT. PLUS NOMBREUSES DANS LA PRÉCARITÉ, IL LEUR EST AUSSI PLUS DE DIFFICILE D’OBTENIR DES POSTES À RESPONSABILITÉS. LES RÉSEAUX FÉMININS TENTENT DE CHANGER LA DONNE.

« Le monde du travail a été créé par les hommes et pour les hommes », affirme Anne Coudignac. Énergique et déterminée, cette consultante en développement commercial est membre de Femmes 3000, un réseau qui milite pour la place des femmes dans le monde professionnel. L’objectif : leur donner une meilleure visibilité et accompagner leurs pro-jets. « Les femmes ne trouvent pas forcément leur place dans le milieu professionnel, pour-suit-elle. Elles doivent toujours s’adapter. » Car le monde du travail, lui, s’adapte peu et ne leur donne pas les mêmes chances qu’aux hommes.

BRISER LE PLAFOND DE VERREAujourd’hui encore, ce sont les femmes les premières victimes de la précarité. D’après l’enquête menée par l’Insee en 2013 sur l’em-ploi, 30 % des femmes actives sont à temps partiel, contre 7 % des hommes. Elles sont aussi davantage concernées par les contrats à durée déterminée. Même dans les catégories sociales les plus favorisées, elles sont moins bien loties que leurs homologues masculins. Si elles obtiennent plus de diplômes, elles accèdent moins facilement aux postes à res-ponsabilités, que ce soit dans les comités de direction des entreprises ou dans les assem-blées politiques. C’est pour briser ce plafond de verre et lutter contre les inégalités que le réseau national Femmes  3000 a vu le jour. Laurence Hervé, directrice de la délégation pour la Touraine, propose aux membres d’échanger leurs expé-riences et de partager leurs carnets d’adresses. Des femmes viennent régulièrement témoi-gner de leur réussite. « Nous souhaitons les inciter à prendre des risques. » En 2010, seules 28 % des entreprises étaient créées par des femmes. Elle-même à la tête de deux sociétés, Laurence Hervé dénonce les barrières aux-quelles toutes sont confrontées. À l’en croire, les femmes manqueraient de confiance en

elles et n’oseraient pas, par exemple, poser leur candidature à un poste à responsabilités si elles n’ont pas toutes les qua-lifications nécessaires. Les hommes, eux, au-raient moins ce genre d’état d’âme. Frédérique Cintrat fait partie de celles qui ont osé. Consultante, elle a créé Axielles, une start-up qui fonctionne comme une plate-forme d’échanges pour les femmes qui sou haitent faire progresser leur carrière. Pour elle, les femmes ne sont pas as-sez impliquées dans ce qu’elle appelle le « ré-seautage » d’entreprise ou de connaissances. Elles n’intè grent pas spontanément cette ac-

tivité dans leur travail. « Certaines offres d’emplois ne sont jamais proposées au public, explique Frédéric Cintrat. Les postes visés s’obtiennent par le biais des réseaux, c’est-à-dire des connaissances que l’on fait générale-ment au cours de déjeuners d’affaires. »

DES RÉSEAUX ASSOCIATIFS POUR TOUTESUn train de retard, donc, qui a incité Frédéric Cintrat à créer sa start-up. L’idée : proposer aux femmes des trucs et des astuces afin qu’elles profitent, elles aussi, des réseaux. Des forums sont aussi organisés avec des théma-tiques comme « apprendre à s’imposer pen-dant une réunion » ou « savoir demander une augmentation ». Problème : ces réseaux restent réservés à un public déjà bien inséré dans le milieu profes-

Au bureau, les femmes sont toujours écrasées par les hommes. Le Laboratoire de l’égalité a lancé une campagne en 2012 pour le dénoncer.

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L’ENTRAIDE AU FÉMININ

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SOCIÉTÉ

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sionnel. Laurence Hervé reconnaît que Femmes 3000, par exemple, compte « 20 % d’entrepreneuses, 60 % de cadres et 20 % de professions libérales et de retraitées ». Causette, une ancienne aide-soignante, ne s’y sentirait certainement pas à sa place. Pour s’occuper de ses deux parents malades, cette femme énergique a dû quitter son travail. Heureusement, pour elle comme pour les autres femmes touchées par la précarité, le chômage ou le sous-emploi, d’autres réseaux existent. Comme l’association José-phine – Pour la beauté des femmes, un salon

de coiffure un peu particulier. Pour une somme symbolique (moins de 5 euros), des femmes en difficulté viennent se faire coiffer et maquiller. L’objectif est simple : les aider à renouer avec leur image, à reprendre confiance en elles et à s’insérer dans le monde du travail. Là aussi, les échanges et les ren-contres permettent de constituer un réseau. Les femmes actives proposent aide et conseils à celles qui sont en recherche d’emploi. Bigoudis sur la tête, Causette sirote tranquillement son café : « J’ai créé des liens forts avec certains bénévoles et les autres femmes qui fréquentent le salon. Nous nous voyons même en dehors », explique-t-elle dans un sourire. Jean-Charles Aponté, res-ponsable des salons de Tours et de Paris a, lui aussi « remarqué que la solidarité entre les femmes se fait très naturellement ». Si ces réseaux ne révolutionnent pas le monde du travail, ils contribuent à dépasser, progressivement, certaines conventions et barrières sociales. Pour les jeunes généra-tions, l’avenir s’annonce plus égalitaire. Selon l’Insee, entre 25 et 34  ans, les femmes ont même un peu plus de facilités que leurs homologues masculins à s’insérer sur le mar-ché de l’emploi. Les femmes gagnent du ter-rain, petit à petit.

CLARISSE BOULAIN, CELIA MASCRÉ

ET CAMILLE SELLIER

Femmes 3000 propose

à ses membres d’échanger leur

expérience et de partager leurs carnets

d’adresses

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Avec Femmes 3000, Laurence Hervé veut inspirer positivement les femmes.

LES FEMMES AU TRAVAIL EN CHIFFRESS’il n’existe pas de profil type de la femme au travail, certains chiffres éclairent cependant une réalité largement partagée : un fort investissement dans les études supérieures pour une difficile insertion dans le monde professionnel. Et pourtant elles sont toujours plus nom-breuses à travailler. Un paradoxe qui motive les femmes comme les politiques publiques à influer pour une prise de conscience et un réél changement .

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Info

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« C’est une véritable injustice. Pour les salariés qui ne sont pas sur le terrain et qui ne peuvent pas marquer les buts, c’est très dur. » Quand il est question de football, Pascal Gastien, ancien entraîneur de l’équipe de Niort, pense aux employés de l’ombre. Ceux qui se retrou-vent hors-jeu et peinent à retrouver du travail lorsque leur club cumule les mauvais résultats sportifs. L’histoire est méconnue mais elle se répète chaque année. À la fin du printemps, trois clubs de ligue 2 sont rétrogradés en national (l’équivalent de la ligue 3). Une descente synonyme de cauche-mar financier pour un club professionnel. Le budget est plombé par la baisse des revenus liés aux droits télévisuels. En général, les clubs de L2 touchent entre 3 et 6 millions d’euros grâce à la diffusion télé, ce qui représente jusqu’à 50 % de leurs finances. En national, cette somme ne dépasse guère une centaine de milliers d’euros. Conséquence : des coupes drastiques sont faites dans le budget et de nombreux salariés perdent leur emploi.

DES DÉPARTS, COMME UNE DÉCHIRUREPersonnel administratif ou membres du staff subissent alors de plein fouet ce système basé uniquement sur des performances sportives. À Niort, en 2009, lorsque le club est descendu en CFA (Championnat de France amateur, équivalent de la quatrième division), il a pro-cédé à douze licenciements économiques. « Tous les domaines ont été touchés : le sec-teur administratif, le centre de formation, la sécurité… », énumère Karim Fradin, manager général du Chamois niortais Football club. La cuisinière, l’assistante comptable, des membres du staff… tous ont travaillé de nom-breuses années pour le club et ont applaudi passionnément ses résultats, avant de devoir le quitter, du jour au lendemain. « Ces départs, quelle déchirure. Jamais je n’aurais pu l’imagi-

DANS LES PETITS CLUBS DE FOOTBALL PROFESSIONNEL, EMPLOIS ET RÉSULTATS SONT LIÉS. UNE DESCENTE, ET LES EMPLOYÉS SE RETROUVENT SUR LA TOUCHE.

ner, se remémore Eklu Dodzy, coordinateur sportif des Chamois niortais et au club depuis 1986. Ces gens, ils ont construit le club et fai-saient pleinement partie de la famille. » Nicolas Brault, 40  ans, est l’une de ces vic-times collatérales du ballon rond : après avoir donné vingt ans de sa vie à son club de cœur, Le Mans Football Club (LMFC), il perd son travail en 2013. Dix ans de bénévolat, dix an-nées en tant que responsable vidéo statistique, puis le vide. Car, à l’époque, Le Mans FC est criblé de dettes et l’équipe termine dix- huitième de L2. Des résultats qui sonnent la fin de partie pour le club : placé en liquidation judiciaire, il perd son statut professionnel et sa centaine de salariés se retrouvent sans emploi. « Je suis toujours au chômage. Les clubs recrutent très peu », désespère Nicolas Brault. Avant de tacler le monde du foot : « C’est vrai-ment un milieu précaire. Nous avons la chance de travailler pour notre passion mais il suffit d’un petit grain de sable pour faire dérailler notre vie. C’est la règle du jeu : on peut se faire virer comme un malpropre à tout moment. »Qu’en est-il pour Tours ? La situation écono-mique et sportive compliquée du club pour-rait provoquer le même type de problèmes. Après cinq saisons réussies en L2, l’équipe première se retrouve aujourd’hui en position

en cas de descente

la diminution des salaires

peut atteindre 20 % selon

les contrats

MAUVAISE PASSE POUR LES SALARIÉS

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de relégable. Pour l’instant, personne n’a per-du son poste. Mais dans le cas d’une descente en fin de saison ? Jean-Marc Ettori, président du Tours Football Club, tente un dégagement et préfère rester optimiste : « Il n’y pas de plan prévu pour l’année prochaine. De toute façon, la question ne se pose pas, puisqu’on va se maintenir ». En attendant, des coupes budgé-taires ont d’ores et déjà été réalisées. Les sala-riés qui quittent volontairement le club ne sont pas systématiquement remplacés. Pour ceux qui restent, c’est l’angoisse permanente. Dans les bureaux du complexe sportif, le sujet est presque tabou. « Incertitude », « inquiétude » sont les mots qui reviennent à chaque prise de parole. Tous ont du mal à parler de leur situation actuelle et future dans le club. Mais par un silence ou une vague ré-ponse, tous transmettent leur appréhension de l’avenir.

LES SALARIÉS RESTANTS SOUS PRESSIONSi les résultats sportifs jouent directement sur les emplois, ils touchent aussi la santé du per-sonnel : « Une descente, c’est une grave crise morale, commente le Niortais Eklu Dodzy. Certains se retrouvent en pleine dépression. Psychologiquement, c’est compliqué de ne pas savoir ce qu’il adviendra demain. » Et les conditions de travail se détériorent au fil des

rencontres sportives. « On ne connaît pas le projet du président, désespère Alexandre Bertrel, attaché de presse au Tours FC. Forcé-ment, l’ambiance est tendue. Surtout les len-demains de défaite. » Pour lui, les tâches se sont multipliées à cause de la réduction du personnel : « La responsable de la communi-cation est partie et personne n’a été recruté à sa place. C’est moi qui récupère les missions qui lui étaient confiées », témoigne-t-il, entre deux mails. Une situation déjà vécue par Eklu Dodzy : « À l’époque du CFA, j’étais entraî-neur, mais je faisais également partie de l’in-tendance et je m’occupais de la logistique. J’étais même conducteur du minibus pour les déplacements de joueurs. » Franck Azzopardi, directeur du centre de for-mation, confirme : « Tout le monde multipliait les casquettes. » Certains salariés supportent difficilement cette pression. Sans compter qu’en cas de descente, la diminution des salaires est généralement automatique et peut atteindre 20 % selon les contrats. Aujourd’hui, Niort s’en est sorti et retrouve une belle forme économique. En revanche, l’herbe est moins verte pour le Tours FC. Si le ballon ne fait plus vibrer les filets du stade de la Vallée du Cher, il fait en tout cas trembler les salariés. Ils placent leur futur dans les pieds des joueurs pour éviter le carton rouge. Un carton non mérité.

FLORIAN CADU, HUGO LANOË ET JULIEN PRIVAT

Le championnat français déplore une perte de 92,6 millions d’euros en 2014. Face à ce constat, deux

anciens dirigeants du Stade Rennais ont remis un livre blanc à Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football

professionnel (LFP). Quatre mesures ressortent de ce rapport. L’une d’elles consiste à prendre en compte l’ancienneté des

clubs dans l’élite (ligues 1 et 2). Si une équipe de L1 était reléguée en L2 après y être restée un an, elle percevrait

500 000 euros. Si elle avait passé quatre saisons dans l’élite, elle recevrait 2 millions d’euros. Le but ? Éviter les crises financières des clubs. Par ailleurs, le président de la LFP

envisagerait de réformer le système actuel de montée en L1, passant de trois à deux clubs par saison. Seul le dernier de L1

descendrait au niveau inférieur. L’avant-dernier disputerait de son côté un barrage contre le dauphin de L2.

Si la première proposition fait l’unanimité, la deuxième est loin de recevoir l’approbation des présidents de L2.

DU NOUVEAU DANS LE CHAMPIONNAT

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MAUVAISE PASSE POUR LES SALARIÉS

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SPORT

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PORTRAITS

Iki63 (un pseudo) est clermontois. Il se filme en train de jouer, c’est ça être streamer de jeux vidéos. Il streame depuis près de dix ans et ses vidéos totalisent environ 12 millions de vues sur Internet. Une webcam le filme en direct, un logiciel enregistre l’image à l’écran. Son domaine : les jeux d’ac-tion, de tir et d’aventure, sur ordina-teur ou sur console. « Tout a commencé quand DailyMo-tion a mis en place ses contrats. J’ai alors décidé d’en faire mon métier. » Mais pour assurer la course aux vues, il faut fournir des vidéos de qualité, cela demande énormément de temps : « Dans GTA 5, j’ai recommencé une scène 81 fois pour que la séquence soit réussie. »Le stream évolue depuis quelques an-nées. Au début, les joueurs cher-chaient des solutions aux endroits où

ils étaient bloqués ou des astuces pour finir l’intégralité d’un jeu. « Do-rénavant, ils les regardent pour vivre une expérience. On se met de plus en plus en scène, l’aspect comique devient très important. C’est un peu comme de la télé-réalité. » Les streamers se sont multipliés, comme certaines pratiques. « Beau-coup de plates-formes créent des programmes indépendants (bots), qui génèrent des vues, pour augmen-ter la popularité de leurs vidéos », s’indigne Iki63. Les revenus des pu-blicités ont nettement baissé, notam-ment à cause d’Adblock, ce pro-gramme qui les empêche de s’afficher. Pourtant, certains arrivent à avoir une activité rentable. « Notre métier prend forme c’est certain, mais il n’y pas de place pour tout le monde », conclut-il. GUILLAUME SAUZER

JOUER POUR VIVRE IKI63, STREAMER

SAVANT FOU RIRE LÉO, YOUTUBER

Youtube n’héberge pas que des vidéos de chats. Parmi les dernières pépites, la chaîne Dirtybiology. Elle produit des vidéos au ton humoristique et parfois scatologique qui abordent de façon scientifique des sujets excen-

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triques. Par exemple, « Les dragons pour-raient-ils vraiment cra-cher du feu » ou « Pour-quoi les animaux n’ont pas de roues ? ». Son réalisateur est Léo Grasset, la vingtaine, titulaire d’une maîtrise de biologie. Ses vidéos ne sont pas un simple passe-temps, comme le jeune homme l’explique dans l’une d’elles : « Dir-tybiology et mes autres

projets de vulgarisation sont mon vrai métier. Cela me prend 250 % de mon temps libre, c’est donc mon occupation principale. » Il est rému-néré par Youtube en fonction du nombre d’abonnés et de visionnages

de ses vidéos. Pas assez pour pouvoir en vivre, malgré ses 130 000 abonnés : « Avec mes 2 millions de vidéos vues en six mois, j’ai gagné à peine un Smic», explique-t-il dans la même vi-déo. La solution : l’expatriation. Avec d’autres Youtubers, dont son frère Colas, il est parti vivre en Thaïlande parce que, dit-il, « la Thaïlande, c’est cool. » Là-bas, le faible coût de la vie lui permet de vivre de ses vidéos. Il a aussi finalisé l’écriture d’un livre, dans la même veine décalée que ses vi-déos : Le Coup de la Girafe, paru en avril 2015 aux éditions du Seuil. Un ouvrage qui pourrait valoir davantage de reconnaissance au jeune scienti-fique. La prochaine vidéo de Dirty-biology nous dira-t-elle si le youtuber ne s’épanouit qu’en milieu tropical ? QUENTIN RAILLARD

CERTAINS MÉTIERS DISPARAISSENT, D’AUTRES SE CRÉENT. SI CEUX-LÀ N’EXISTAIENT PAS, IL FAUDRAIT LES INVENTER. EN PLEIN BOOM, LE NUMÉRIQUE ET L’ENVIRONNEMENT.

DES MÉTIERS QUI

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PORTRAITS

SEO ça vous parle ? Search Engine Optimization ou référencement. Comprenez l’optimisation d’un site Internet pour un moteur de recherche. Philippe Bouquet en a fait son métier. Ingénieur de formation, il travaillait comme chef d’équipe dans

l’automobile, enchaînait les deux huit et les heures de trajets jusqu’à l’épuisement. Amateur d’in-formatique, il démissionne et se lance à son compte en 2011. De-puis une pièce de sa maison re conver t ie en bureau, il

dirige Net Presta, son entreprise de webmaster. Conscient des exigences du métier, il fait preuve d’une pa-tience à toute épreuve et développe un bon sens de l’organisation. Philippe mise sur la relation de confiance et le long terme pour se

distinguer des autres. Pour faire re-monter un site Internet ou une page dans un moteur de recherche il faut valoriser certains mots. Être le pre-mier, oui. Mais sur quel mot ? Quelle page ? Pour y répondre, la technicité ne suffit pas. « Il faut connaître les attentes du client et le milieu dans lequel il travaille pour optimiser les mots qui peuvent être tapés. » Comptez deux mois pour faire re-monter un site. « Si on s’endort, on descend. Il faut entre trois et six mois pour avoir un travail efficace. » Aucun risque de s’endormir à en juger par les poches qu’il a sous les yeux. Philippe Bouquet travaille le jour mais aussi la nuit, un moment propice pour la maintenance. En pleine croissance, il a réussi son défi : réunir les com-pétences d’un geek et d’un bon com-mercial dans un même costume. IRIS CHARTREAU

Pour les grandes enseignes, l’objec-tif est d’être archi-original : mettre en valeur les produits et attirer les clients. Elles font donc maintenant appel à des designers 3 D. Ils créent des images en trois dimensions et ri-valisent d’imagination pour donner une esthétique toute particulière à l’intérieur des magasins. « C’est une autre manière de créer, d’aborder l’espace, explique Violaine Chapelain, designer 3 D. Les plans d’architectes ne sont pas toujours très parlants pour les clients. Grâce à nos logiciels, on peut fournir une image concrète qui permet de se projeter ».Le designer 3D commence par créer les volumes, puis définit les maté-riaux, travaille sur l’éclairage, posi-tionne les différentes caméras qui permettront une vision dynamique de l’image, « un peu comme un film », précise Violaine.

Le design en 3 D a débuté il y a une quinzaine d’année. Pourtant, les designers 3 D sont rares. Leurs compé-tences sont de plus en plus sollicitées par les entre-prises. Paradoxalement, il n’existe en France, aucune formation spécifique. Seuls les cursus en anima-tion destinés aux créateurs de jeux vidéos et de films, ou aux designers peuvent conduire à ce métier. Si les designers 3 D se concentrent sur l’archi-tecture commerciale (retail design), d’autres secteurs développent leur pôle 3 D : c’est le cas de l’hôtellerie, de l’ingénierie médicale, mais aussi de la bijouterie et de l’horlogerie. « C’est un métier d’avenir qui va en-core énormément évoluer. On doit

cumuler des compétences en design, maîtriser des logiciels très exigeants et avoir un sens créatif. Trop peu de personnes sont vraiment qualifiées, il y a des places à prendre », insiste Vio-laine Chapelin. GUILLAUME SAUZER

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LA RÉFÉRENCE PHILIPPE, RESPONSABLE SEO

PLACE À L’ESPACE VIOLAINE, DESIGNER 3 D

ONT DE L’ AVENIR

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PORTRAITS

La recherche d’un rudologue a été quelque peu cocasse. Les personnes contactées ne connaissaient pas ce mot. Pourtant, la plupart exerçaient bien cette activité. Un fois découvert le bon professionnel, on s’est rendu compte que, la rudologie, c’est beau-coup moins drôle que son nom. Et pas très sexy. C’est en fait l’étude des déchets, des biens et des espaces dé-classés. C’est un domaine primordial pour les collectivités, qui doivent ré-pondre aux nouvelles problématiques environnementales. Gaël Canevet, technicien environnement pour l’ag-glomération de Tours Plus, explique : « Notre métier, c’est d’assurer et de coordonner le service public de col-lecte, de tri et de traitement des dé-chets. Nous sommes une douzaine de personnes au sein du service des déchets ». La politique de transition énergé-tique en vigueur impose un véritable changement des pratiques. « Avant, les collectivités enfouissaient tout.

A u j o u r d ’ h u i , nous devons trouver et mettre en place des alter-natives, comme l’incinération, le compostage ou la méthanisation. » Tout a commencé avec les emplois jeunes et les ambassadeurs de tri. « Maintenant, c’est devenu un vrai métier, qui demande diverses c o m p é t e n c e s : dans l’environne-ment, au niveau technique et réglementaire ; en com-munication puisque nous avons aussi un rôle préventif et juridique », pré-cise le rudologue. À Tours, un DUT génie biologique et environnement et une licence profes-sionnelle en gestion de l’environne-

ment forment à la rudologie. « Un métier d’avenir », pour Gaël Canevet, même, « s’il est difficile de trouver sa place, car il y a peu de turn-over au sein des collectivités . » Un métier dont on aura de plus en plus besoin. GUILLAUME SAUZER

Au dernier étage de la mairie de Blois, le ser-vice environnement abrite un personnage atypique. Cédric Plou-zeau est économe de flux. Tous les services ont affaire à lui, pour des interventions qui peuvent sembler mi-nimes. C’est à lui qu’on fait appel pour réduire le chauffage d’une pièce ou pour instal-ler une porte plus iso-lante. Son rôle est de réaliser des économies d’énergie pour la ville. « C’est un poste de conviction. J’ai une connaissance et une sensibilité pour les problématiques envi-ronnementales. » Hy-drogéologue de forma-tion, il met en pratique

ses compétences techniques tout en développant ses qualités de commu-niquant. Forcer les gens est contre-productif. Cédric Plouzeau aime le dire, il n’est pas écolo et n’est pas parfait. Il en est bien conscient : il ne peut pas tout. « J’apporte un support technique, de l’aide et un accompa-gnement. La question est : qu’est-ce que l’on peut faire ensemble pour être efficace et limiter les pertes ? » Monsieur énergie veille à sensibiliser le personnel de la mairie. De l’insti-tuteur au jardinier, en passant par l’agent d’entretien de la salle des fêtes, il est amené à travailler avec toutes les personnes dont le salaire ou le lieu de travail est financé par la ville. Sur le parvis de l’hôtel de ville, il raconte le premier défi qu’il a relevé : réduire de 20 % en un an la consommation d’électricité de la salle de spectacle de la ville sans dépenser un centime. Il esquisse fièrement un grand sourire : « pari réussi ! » IRIS CHARTREAU

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PASSION DÉCHETS GAËL, RUDOLOGUE

MONSIEUR ÉNERGIE CÉDRIC, ÉCONOME DE FLUX

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Jupe ou pantalon ? Aujourd’hui, le choix est tout fait. Imaginez. Aller au boulot… dans le plus simple appareil. Le webzine The Bold Italic, lui, a tenté l’expérience. Pendant des mois, les employés de cette rédac-tion basée à San Francisco ont tra-vailler nu. C’est du moins ce qu’ils ont voulu faire croire pour un pois-son d’avril. Mais cette initiative a eu le mérite de mettre sur le devant de la scène un concept qui existe depuis 2009. Le psychologue britannique David Taylor explique que la nudité entre collègues permettrait de « ren-forcer la cohésion de groupe, de

libérer les énergies créatives et de pacifier les relations au sein de l’en-treprise ». C’est la naissance des Naked Fridays, les « vendredis à poil ». Précurseurs, les salariés de l’agence de communication One-bestway se sont véritablement mis en tenue d’Adam et d’Ève le temps d’une journée. L’expérience a été plutôt positive. Seul point négatif : l’augmentation de la facture de chauffage. Jusqu’où ira-t-on pour être bien dans sa peau au boulot ?

BONS PLANS LIVRES / DÉCALÉ / LE SAVIEZ-VOUS ?

TOUT NUS AU BUREAU

Un ingénieur américain, paresseux mais non sans ressources, a sous-traité son travail à une entreprise chinoise. Et pendant plusieurs années. Pour cela, il a tout simplement envoyé ses codes d’accès sécurisés par colis. En contrepartie du travail fourni, l’ingénieur reversait 20% de ses revenus à l’entreprise chinoise. Il ne lui restait plus qu’à faire acte de présence, c’est-à-dire passer ses journées sur Facebook, Reddit ou encore Youtube pour visionner des vidéos de chats. Le comble : il a été élu plusieurs années d’affilée «meilleur employé», avant que son entreprise ne découvre le pot aux roses. Elle se croyait victime d’un hacking en raison du nombre de connexions depuis l’étranger. Au bout de plusieurs années tout de même.

LES FLEMMARDS ONT TROUVÉ LEUR MAÎTRE

Peut-on être entrepreneur, jeune et philanthrope ? Dan Price, directeur de l’entreprise Gravity Payments, start-up de services de paiement à Seattle, est la preuve que oui. Par une initiative aussi novatrice que dans l’air du temps, il a décidé de porter les émoluments de ses 120 employés à 5 800 dollars (5 400 euros) mensuels, d’ici 2017. Son but ? Lutter contre les inégalités de salaires et offrir à tous ses collaborateurs un revenu correspondant au « seuil psycho-logique » permettant d’être plus heureux. Pour financer ces augmentations, il a lui-même divisé son salaire par 14. Des initiatives en faveur des employés qui fleurissent sur la côte Ouest des États-Unis, célèbre berceau de l’innovation. Un joli coup de com aussi, alors que le débat sur les revenus des patrons bat son plein outre-Atlantique, devenant un su-jet de prédilection pour les candidats à la Maison Blanche.

Dan Price patron philantrope.

Vous avez toujours rêvé d’être médecin ? Pas besoin d’un bac +10. Avec Les Sims 4 Au Travail, vous allez pouvoir errer dans les couloirs des hôpitaux, un stéthoscope autour du cou, soigner des patients et faire des opérations. Le temps d’une partie, glissez-vous dans la peau d’un scientifique, d’un détective ou montez votre commerce. De quoi égayer votre nouvelle vie virtuelle.

LES SIMS 4 AU TRAVAIL : ET SI ON CHANGEAIT DE MÉTIER ?

PratiquePAGES RÉALISÉES PAR L’ÉQUIPE DE LA RÉDACTION

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PRATIQUE

Avant d’être photoreporter, Raphaël Helle a été, entre autres, ouvrier. C’est donc un monde qu’il connaît. « Autrefois, l’usine était un lieu de vie, une identité, une dignité aussi, pour ce qu’on appelait encore la classe ouvrière. Mais avec la mondialisation, les machines sont parties ailleurs, vers l’Est ou le Sud. Et les ouvriers sont devenus invisibles », écrit-il sur son site. Pendant six mois, il s’est immer-gé dans le monde de « La Peuge », l’usine PSA de Sochaux, pour ren-contrer les ouvriers, les écouter, leur rendre leur visibilité. Surprise, il n’y a pas que des gros bras parmi eux.

Les femmes sont nombreuses sur les chaînes. Les jeunes aussi. La plupart sont précaires. Et obtenir un CDI est une gageure. L’intérim représente 49 % des emplois et les CDD 30 %.La revue XXI consacre trente pages de son numéro Printemps 2015 au travail de Raphaël Helle. Un travail sensible, saisissant, douloureux aussi, qui n’élude rien de la dureté de ce monde. Mais qui rend toute leur place aux gueules cassées de La Peuge.

À voir aussi sur http://www.lafrancevuedici.fr/repor-tage-la-peuge.php

DANS LA GUEULE DE LA PEUGE

CARNET D’ADRESSES HANDICAP

AGEFIPH (Association pour la gestion, la formation et l’insertion des personnes handicapées)L’Agefiph met à disposition une offre d’interventions (services, prestations, aides financières en complément des aides publiques) pour les employeurs et les per-sonnes handicapées pour soutenir leurs projets. Insertion profes-sionnelle comme maintien dans l’emploi.35, avenue de Paris45000 ORLEANS0 800 11 10 09http://www.agefiph.fr

MDPH (Maison départementale des personnes handicapées)C’est ici que sont déposées toutes les demandes au sujet du handicap (reconnaissance, emploi, etc.).19, rue Edouard Vaillant37000 Tourshttp://www.mdph.fr

Pôle EmploiC’est le premier contact pour votre inscription comme demandeur d’emploi après la MDPH. Il vous accompagne dans votre recherche et peut vous diriger si nécessaire vers CapEmploi (voir ci-dessous) ou un conseiller spécialisé.279, rue Giraudeau37000 Tourswww.pole-emploi.fr

CapEmploiIl vous accompagne pour définir ou réorienter votre projet professionnel, chercher des formations ou accéder à l’emploi. Il vous met aussi en relation avec des entreprises qui recherche des travailleurs handicapés.45, rue du Mûrier37540 Saint-Cyr-sur-Loirehttp://www.capemploi.com

Vous cherchez un endroit où travailler ? Le site Neo-nomade.com répertorie 600 espaces ouverts au public dans toute la France : coworking, centre d’affaires, café-wifi… Une application est disponible pour les smartphones. Le moteur de recherche permet de sélectionner le lieu, le nombre de personnes concernées et le type d’espaces. Cette plateforme a été mise au point par le cabinet de consultants LBMG Worklabs, qui conseille les entreprises sur les nouvelles formes d’organisation du travail.

UNE APPLI POUR LES TRAVAILLEURS NOMADES

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PRATIQUE

En livre

Un morceau de chiffon rouge est un lambeau d’histoire, celui de la radio Lorraine Cœur d’Acier (LCA). Créée en 1979 par la CGT au sein du bassin sidérurgique, cette radio pirate a accompagné au fil des mois les habitants et les travailleurs de Longwy. Informer, décrypter et coordonner. Tels ont été ses mots d’ordre jusqu’à ce que ses deux journalistes phares, Marcel Trillat et Jacques Dupont, soient évincés par la CGT elle-même. D’Alain Krivine à Guy Bedos en passant par Albert Jacquard, différentes personnalités sont passées au micro. Véritable instrument de libre expression, la radio a été la cible de brouillages orchestrés par les autorités. Trente ans plus tard, trois passionnés de radio décident de revisiter sa genèse. Cinq documentaires radiophoniques et un film retracent les peurs, les colères et les combats de toute une région.

Le témoignage de l’ancien patron de Lytess, une entreprise de textile prospère qu’il a lui-même fondée. À la suite d’une maladie, Philippe Andrieu se retrouve sur le carreau de sa propre société, renvoyé par ses actionnaires, devenus trop importants. Dans le livre qu’il a coécrit avec Benoît Piraudeau, il revient sur son parcours hors du commun.

Dans Le choix : Souffrir au travail n’est pas une fatalité, Christophe Dejours actualise ses hypothèses. Fruit d’une longue enquête, le livre relate la réorganisation progressive du travail dans une entreprise d’aménagement urbain : gain de productivité, meilleure santé mentale des salariés, etc.Avec cet ouvrage, le chercheur fournit toutes les clés aux politiques pour changer le travail, et ce faisant, la société. Servitude ou émancipation, c’est une affaire de choix.

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CD - DVD

Un morceau de chiffon rouge, Pierre Baron, Raphaël Mouterde et Frédéric Rouziès VO Editions, NSA La vie ouvrière 29,90 euros.

Patron en têtePhilippe Andrieu, Benoît Piraudeau, Autoédition. 2015, 15 euros.

À lire aussi...Travailler au XXIe siècleMaëlezig Bigi, Olivier Cousin, Dominique Méda, Laetitia Sibaud, Michel Wieviorka, Robert Laffont, 2015, 20 euros.

Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappésMarie Pezé, Flammarion,2010, 7,20 euros.

Quand le travail vous tueAude Selly, Maxima,2013, 14,80 euros.

Cette année, nous nous sommes lancés dans le financement participatif, le crowdfunding (littéralement « financement par la foule »). Le but ? Apprendre à nous valoriser, à communiquer et à entretenir une relation avec nos futurs lecteurs. Les débuts ont été difficiles. Journalistes en herbe, nous sommes encore peu habitués à l’autopromotion. Nous avons finalement atteint notre objectif. La somme rassemblée nous a permis de rembourser nos frais de reportages et une partie des frais d’impression. C’est donc grâce à vous que le fruit de notre travail, ce magazine, est entre vos mains. Un grand merci pour avoir cru en nous et nous avoir fait confiance.

NOS GÉNÉREUX DONATEURS :

PHILIPPE BOUQUET (SEUL

À NOUS AVOIR ENVOYÉ SA PHOTO

CI-CONTRE), AKYNOU, NESRINE

BENYAHIA, LOUIS-MARIE BIGOT, ALCIDE

BOCQUILLON, VINCENT BOUFFARTIGUE,

MATHILDE BRARD, GEOFFREY CANTREL,

JEAN-LOUP COLMANT, MARIE COURVASIER,

TRUDY DALLAS, EVA DENIEL, SYLVAIN

DHONNEUR, MARINE ETOURNEAU, JULIETTE

GANGA, PAUL HOLLEVILLE, FREDERIK

HUFNAGEL, CLÉMENCE JULIEN, AUBIN

LARATTE, HERVÉ LECOCQ, JULIETTE

LÉCUREUIL, ANNE LINOSSIER, SÉBASTIEN

MARTINEAU, ALEXANDRE MARTINEZ,

CLAIRE MORVAL, JEREMIE NICEY, SOLÈNE

PERMANNE, SHANEL PETIT, MAXIME

RENARD, XAVIER RIDON, AURELIEN

SANCHEZ, JOCELYNE SANCHEZ, MARINE

SANCLEMENTE, CAROLINE SELLIER, GERALD

SELLIER, MARYLÈNE SELLIER, MARTINE

SIRONI, ICHANÉ SUPERTRAMP, JULIEN

VALLÉE, COLLECTIF ARGOS.

CROWDFUNDING

En compétition pour le Festival de Cannes 2015, La loi du marché, réalisé par Stéphane Brizé, traite du dilemme moral d’un homme. Après vingt mois de chômage, Thierry (Vincent Lindon) trouve un nouvel emploi, mais peut-il tout accepter pour le garder ? La spécificité du film tient aussi à son casting. Les ac-teurs sont, en fait, de vrais employés de supermarchés. À l’affiche le 20 mai 2015.

Le Choix. Souffrir au travail n’est pas une fatalité Christophe Dejours, Bayard, 2015, 19 euros.

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Page 48: Innova n°22. Le travail change de peau

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