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Printed with joliprint Innovation de rupture: comment rechercher l’inimaginable Dans une économie qui se transforme à des vitesses de plus en plus rapides, l’innovation classique, incrémentale, a cessé d’être une protection suffisante contre l’obsolescence des produits ou la concurrence des nouveaux acteurs du marché qui veulent monter en gamme. Pour survivre, les entreprises doivent adopter un comportement révolutionnaire, l’innovation de rupture. A u milieu des années 80, Garry Hamel, un des grands gourous californiens du management, avait jeté un pavé dans la mare: l’ère du progrès conventionnel et linéaire était révolue. Le changement n’était plus ni additif, ni linéaire. Il était discontinu. Pour chevaucher ce progrès là, les entreprises devaient inventer un système créatif non linéaire. Trente ans plus tard, le postulat est passé dans les mœurs « corporate » et chaque dirigeant sait que l’innovation incrémen- tale, ce changement graduel, modeste et continu de l’existant, ne suffit plus. Pour gagner sur des marchés en maturation de plus en plus rapide, en particulier les marchés technologiques, il faut pratiquer l’innova- tion de rupture, c’est à dire enclencher un processus de dislocation des habitudes de réflexion et d’utilisation. C’est beaucoup plus facile à dire qu’à mettre en œuvre. Trouver le secret de la rupture réussie n’est pas donné à tout le monde. Pour commencer, il faut être capable, au nom d’une vision, de changer ce qui a toujours marché … L’innovation incrémentale se déploie dans un contexte connu, dit de « conception réglée ». On modifie un objet, un service, un processus, pour le rendre plus performant. Dans le secteur automobile, le frein ABS ou le système Stop & Start (dispositif d’arrêt et de redé- marrage automatique d’un moteur automobile), sont deux brillantes innovations incrémentales qui sont in- tervenues dans un espace conceptuel stable, avec des métiers, des produits et des architectures stables. Ce sont des prolongations de la réalité telle qu’elle existe déjà. On développe, mais en jouant sur seulement un ou deux paramètres, comme la vitesse ou l’efficacité énergétique. En revanche, quand un fabricant automobile passe du véhicule à essence au véhicule tout électrique, quand un entrepreneur de travaux publics délaisse le béton ordinaire au profit du béton de chanvre, il quitte le havre de la « conception réglée » et travaille sans fi- let. Le professeur Armand Hatchuel, coordonnateur de la Chaire de théorie et méthodes de la conception innovante de Mines ParisTech, est devenu, pour les entreprises, le pédagogue de la rupture : « Il faut les préparer à pratiquer la conception innovante, qui dé- coule d’une rupture dans l’identité de l’objet étudié. Elle plonge souvent dans la perplexité, soit le client, soit le service marketing, soit les ingénieurs. Pourtant, c’est cette rupture d’identité qui apportera de la valeur ». L’objet n’est pas le seul à subir une métamorphose. Tout son écosystème bascule, y compris le modèle mental accepté jusque-là par les acteurs du marché. Même le vocabulaire doit bifurquer. L’expression « véhicule électrique », par exemple, masque la vraie rupture car elle laisse croire qu’il s’agit d’une voiture normale équipée d’une batterie. Alors que la vraie révolution sociotechnique qu’elle déclenche, explique Hatchuel, c’est l’électro-mobilité. Le chercheur de la rupture ne change pas seulement l’objet. Il change le regard porté sur l’objet. Dans un groupe aéronautique, par exemple, il renoncera à per- fectionner un Rafale ou un F-18 et préférera inventer un drone. Les premiers sous marins nucléaires lan- ceurs d’engins offrent un bon cas d’école : ils avaient un problème pour transmettre des cordonnées à leurs March 15th, 2011 Page 1 http://www.paristechreview.com/2011/03/15/innovation-de-rupture-comment-rechercher-inimaginable/ ParisTech Review Rédaction This content is licensed under a Creative Commons Attribution 3.0 License. You are free to share, copy, distribute and transmit this content 12 rue d’Athènes 75009 Paris, France - Email : [email protected] / Landline : +33 1 79 85 81 19

Innovation de rupture: comment rechercher l’inimaginable · 2012-10-04 · » et chaque dirigeant sait que l’innovation incrémen-tale, ce changement graduel, modeste et continu

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Innovation de rupture: comment rechercher l’inimaginable

Dans une économie qui se transforme à des vitesses de plus en plus rapides, l’innovation classique, incrémentale, a cessé d’être une protection suffisante contre l’obsolescence des produits ou la concurrence des nouveaux acteurs du marché qui veulent monter en gamme. Pour survivre, les entreprises doivent adopter un comportement révolutionnaire, l’innovation de rupture.

Au milieu des années 80, Garry Hamel, un des grands gourous californiens du management, avait jeté un pavé dans la mare: l’ère du progrès

conventionnel et linéaire était révolue. Le changement n’était plus ni additif, ni linéaire. Il était discontinu. Pour chevaucher ce progrès là, les entreprises devaient inventer un système créatif non linéaire. Trente ans plus tard, le postulat est passé dans les mœurs « corporate » et chaque dirigeant sait que l’innovation incrémen-tale, ce changement graduel, modeste et continu de l’existant, ne suffit plus. Pour gagner sur des marchés en maturation de plus en plus rapide, en particulier les marchés technologiques, il faut pratiquer l’innova-tion de rupture, c’est à dire enclencher un processus de dislocation des habitudes de réflexion et d’utilisation. C’est beaucoup plus facile à dire qu’à mettre en œuvre.

Trouver le secret de la rupture réussie n’est pas donné à tout le monde. Pour commencer, il faut être capable, au nom d’une vision, de changer ce qui a toujours marché …

L’innovation incrémentale se déploie dans un contexte connu, dit de « conception réglée ». On modifie un objet, un service, un processus, pour le rendre plus performant. Dans le secteur automobile, le frein ABS ou le système Stop & Start (dispositif d’arrêt et de redé-marrage automatique d’un moteur automobile), sont deux brillantes innovations incrémentales qui sont in-

tervenues dans un espace conceptuel stable, avec des métiers, des produits et des architectures stables. Ce sont des prolongations de la réalité telle qu’elle existe déjà. On développe, mais en jouant sur seulement un ou deux paramètres, comme la vitesse ou l’efficacité énergétique.

En revanche, quand un fabricant automobile passe du véhicule à essence au véhicule tout électrique, quand un entrepreneur de travaux publics délaisse le béton ordinaire au profit du béton de chanvre, il quitte le havre de la « conception réglée » et travaille sans fi-let. Le professeur Armand Hatchuel, coordonnateur de la Chaire de théorie et méthodes de la conception innovante de Mines ParisTech, est devenu, pour les entreprises, le pédagogue de la rupture : « Il faut les préparer à pratiquer la conception innovante, qui dé-coule d’une rupture dans l’identité de l’objet étudié. Elle plonge souvent dans la perplexité, soit le client, soit le service marketing, soit les ingénieurs. Pourtant, c’est cette rupture d’identité qui apportera de la valeur ». L’objet n’est pas le seul à subir une métamorphose. Tout son écosystème bascule, y compris le modèle mental accepté jusque-là par les acteurs du marché. Même le vocabulaire doit bifurquer. L’expression « véhicule électrique », par exemple, masque la vraie rupture car elle laisse croire qu’il s’agit d’une voiture normale équipée d’une batterie. Alors que la vraie révolution sociotechnique qu’elle déclenche, explique Hatchuel, c’est l’électro-mobilité.

Le chercheur de la rupture ne change pas seulement l’objet. Il change le regard porté sur l’objet. Dans un groupe aéronautique, par exemple, il renoncera à per-fectionner un Rafale ou un F-18 et préférera inventer un drone. Les premiers sous marins nucléaires lan-ceurs d’engins offrent un bon cas d’école : ils avaient un problème pour transmettre des cordonnées à leurs

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missiles : ils savaient parfaitement où étaient leurs cibles mais ils ignoraient où eux mêmes se trouvaient ! La solution, ce fut un système d’auto positionnement par satellite. Depuis, celui-ci a été amélioré. Il a fait l’objet de nombreuses innovations technologiques in-crémentales. Mais ce que l’on retiendra le plus, la vraie rupture, c’est son extension civile, le GPS qui équipe nos voitures. Parmi les ruptures majeures, on compte aussi le système d’exploitation Linux, la Logan low-cost de Renault ou encore le « cloud computing » (qui consiste à déporter sur des serveurs distants des traitements informatiques traditionnellement localisés sur le poste Client de l’utilisateur).

Certains industriels ont fait de la rupture et de l’inconnu une routine. Tefal a inventé la poëlle qui n’accroche pas. Seb a pensé et mis au point la friteuse anti-odeur et la cuisson sans gras. C’est sans doute à cette créati-vité que la marque doit d’être toujours en France. En matière de rupture, Dyson est devenue une légende. La compétition faisait rage dans les années 85-90 entre fabricants d’aspirateurs, chacun proposant sa petite innovation. En lançant l’aspirateur sans sac, Dyson fut le premier à oser bouleverser le business modèle du secteur, à prendre le risque de se priver du revenu de la vente des sacs. Sollicités d’innombrables fois par des chercheurs, les ténors comme Hoover et Rowenta avaient refusé de franchir le pas. Dyson l’outsider est donc devenu la référence, il a imposé son rythme à tous ses concurrents, contraints d’inclure dans leur gamme un aspirateur sans sac comme produit premium. La morale de l’histoire : inutile d’être le leader pour de-venir la référence.

De même, quand la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP) s’essaye à la rupture d’identité, elle réalise qu’elle ne vend pas seulement du transport en métro, mais aussi de la … marche à pied. De la marche équipée, de la marche pour les seniors, pour les femmes enceintes, pour les mères avec poussettes et les voya-geurs avec bagages. D’où un programme de recherche important en sciences cognitives et en physiologie pour

mieux comprendre comment les gens marchent et com-ment penser des services en rupture.

L’aventure d’Apple dans la téléphonie illustre bien à quel point l’identification d’une rupture est en soi un défi. Avant l’iPhone, Steve Jobs avait développé la tablette iPad, un projet qui devait lui permettre de lancer un nouveau type d’écran. Mais la tablette multitouches qu’on lui présenta était d’un maniement décevant et il la confia à un ergonome. Quand celui-ci est revenu avec la fonction « scrolling » (permettant de faire défiler l’écran verticalement et horizontalement avec son doigt ), Jobs a aussitôt compris qu’il avait sous les yeux une rupture majeure, y compris dans la téléphonie, que le « scrolling » était le verrou conceptuel capable de libérer tous les terminaux mobiles de la prison de l’écran. Le « scrolling » brise l’identité du téléphone. Apple, pourtant totalement absent jusque là dans la téléphonie, a donc lancé l’iPhone, avant même l’iPad, et il est devenu « la » référence sur le marché du smartphone. La rupture crée un nouveau marché.

Pour Benoît Sarazin, fondateur de Farwind Consulting et ancien élève de Telecom ParisTech, « pratiquer l’in-novation de rupture, c’est créer un marché dont vous serez la référence, c’est à dire le seul acteur dont toutes les options stratégiques restent ouvertes ». La rupture a en effet un impact profond sur les trois piliers du business model : la proposition de valeur (j’offre quoi et à qui ?), l’architecture de valeur (comment j’installe pratiquement ma proposition avec mes clients et mes fournisseurs) et l’équation de profit (d’où viendront les revenus ?). Etre en tête constitue un avantage décisif.

Parallèlement au défi intellectuel de la rupture, émerge un défi managérial. Comment former ses équipes à la rupture ? Comment s’organiser pour capter l’imaginaire et la créativité des salariés ? Comment partir en quête de ce que vous ne pouvez même pas imaginer ? Com-ment apprendre à chercher des problèmes (problem finding) plutôt que des solutions (problem solving) ? La chaire « Théories et méthodes de la conception in-novante » de Mines ParisTech a développé une théorie

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du raisonnement de conception, la théorie C-K (pour Concept-knowledge). Elle permet de modéliser la rup-ture créative. Autour de chercheurs en Gestion, cette chaire mobilise des philosophes, des logiciens et des psychologues de la créativité. Ainsi dispose-t-on au-jourd’hui des bases d’une ingénierie qui peut conduire et organiser les situations en rupture (la méthode KCP issue de la théorie est utilisée de façon courante par les industriels).

La « théorie de la conception » montre que l’ingénieur du 21è siècle ne peut se contenter d’être un modélisateur et un optimisateur. Il doit développer une troisième capacité. Il doit devenir producteur de concepts no-vateurs en intégrant une vérité très nouvelle pour lui : le raisonnement artistique est plus sophistiqué et plus vaste que le raisonnement classique. Bref, l’architecte enveloppe l’ingénieur. Il doit garder à l’esprit que l’idée offrant le meilleur potentiel, le plus grand pouvoir d’ex-pansion, est souvent la plus troublante. L’idée « folle » est parfois la plus sûre. Jamais l’A 380 n’aurait vu le jour si Airbus avait insisté sur l’extrapolation de ses modèles précédents et n’avait pas compris que pour un avion de cette taille, les principes constructifs ordinaires de la structure centrale étaient caducs.

Il était ardu, parce que paradoxal, de construire un cadre théorique rigoureux pour aborder la logique de l’inconnu. Cela exigeait de tenir compte de l’« état du non art », c’est à dire tout ce que l’on ne sait pas. La pé-dagogie de la rupture s’appuie désormais sur la théorie C-K. Le cadre de la théorie permet à la fois de libérer et de canaliser le raisonnement créatif d’un individu ou d’une collectivité. La théorie combine deux approches : D’une part, un espace conceptuel, « C », dans lequel on lutte contre les « fixations » mentales au moyen d’ana-logies et de métaphores qui redéfinissent les objets et leurs rôles. D’autre part, un espace de connaissances « K » où, comme dans toute démarche scientifique on cherche à étendre les connaissances disponibles. La combinaison des deux espaces produit un raisonne-ment d’une grande puissance créative et où les ruptures peuvent être construites et pilotées. La théorie C-K,

mise au point par Armand Hatchuel, Benoit Weil et plusieurs de leurs collègues a, permis de montrer les propriétés créatrices qui résultent de la superposition de ces deux logiques en même temps. Synthétisée depuis peu dans un livre, Strategic Management of Innova-tion and Design, elle distingue aussi soigneusement le développement, qui résulte d’une conception réglée, et l’innovation, issue de la rupture.

La rupture va faire émerger des fonctions nouvelles et les métiers traditionnels vont devoir s’adapter. La contribution du marketing, par exemple, va évoluer. Le concept de « prototype » aussi. En conception réglée, le prototype est le premier d’une série. En conception de rupture, le prototype n’existera peut être jamais dans la réalité, à l’image d’un « concept car » dans l’automobile. Cet exercice de style, c’est la fonction « I ». Car l’entre-prise va passer d’une démarche R&D à une démarche RID : Recherche, Innovation, Développement. Dans ce nouveau triangle, « I » est une fonction nouvelle mais aussi une nouvelle façon de conduire la recherche et le développement. En mode « I », le management don-nera plus d’espace à l’exploration et évaluera le travail de manière différente. Plusieurs pistes d’exploration seront empruntées en même temps – une liberté impen-sable en mode développement – puisque nul ne sait à l’avance laquelle débouchera. En mode « I », l’impasse est rentable, à condition que les connaissances accumu-lées jusqu’à l’impasse soient réinjectées dans les autres pistes explorées. Le manager doit faire sa révolution copernicienne : si en mode « D », on pilote à coup d’« objectifs », en mode « I », on pilote en « valeur » car on ignore l’objectif. Bref, selon l’équipe de la chaire de Mines-Paristech, qui s’exprimait dès 2006 dans un ouvrage retentissant – « Les processus d’innovation : Conception innovante et croissance des entreprises » – le passage de la R&D à la RID pourrait bien entraî-ner la gestion des entreprises dans une mutation aussi universelle que le Taylorisme et le Fayolisme.

Contrairement à l’innovation incrémentale, qui néces-site parfois des investissements colossaux, l’innovation de rupture ne coûte pas forcément très cher. Elle est

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parfois carrément frugale. Le très populaire iPod n’a pu être lancé en 2000, deux semaines à peine après l’effondrement de l’action Apple, en pleine explosion de la bulle Internet, que parce que son budget était in-signifiant. Apple avait externalisé presque totalement la fabrication, se concentrant uniquement sur l’élément de rupture, en l’occurrence la célèbre molette.

La rupture impose un renversement des habitudes, qui n’est accepté que si certaines conditions sont réunies. Pour le savoir, explique Benoît Sarazin, il faut être à l’écoute des « signaux faibles », souvent paradoxaux, qu’émettent les acteurs du marché. Quand Skype se lance, c’est parce que ses dirigeants ont compris que la téléphonie peut désormais se passer d’un réseau propre. Les consommateurs y sont prêts. Quand le coureur néozélandais Jonathan Wyatt adopte les chaussures de « trail running » (course à pied sur des sentiers de montagne) et change donc de spécialité, il brise la règle qui énonçait jusque là qu’un athlète de haut niveau ne passe jamais à un autre sport en milieu de carrière. En changeant de chaussures, Wyatt lance un phénomène nouveau, le « sport extrême de masse », la super en-durance.

Les changements sociaux modifient les priorités des clients et l’innovation de rupture vient satisfaire des besoins latents qui n’étaient pas clairement exprimés auparavant. Cela dit ; le client peut être un faux ami en réclamant des innovations incrémentales coûteuses, tout en faisant la fine bouche à l’égard des innovations de rupture qui lui semblent de prime abord décevantes. Quand la rupture aura percé, ces mêmes clients n’hésite-ront d’ailleurs pas à sanctionner l’entreprise qui n’aura pas mis en place assez tôt des innovations de rupture. Voilà pourquoi les fabricants de disques durs 14 n’ont pas pu prendre le tournant du 8, que les fabricants 8 n’ont jamais percé sur le marché 5-1/4 et que les fabri-cants du disque dur 5-1/4 ont raté le marché 3-1/2…

Dès 1997 aux Etats-Unis, dans “The Innovator’s Di-lemma”, Clayton Christensen, de la Harvard Business School, attirait l’attention sur le pouvoir du client dans

l’allocation des ressources au sein d’une entreprise. Le manager doit choir entre deux risques : emprunter la voie de la rupture avec ses aléas ou affronter la menace que font peser les concurrents qui montent en gamme dès que l’ancienne technologie de rupture est devenue banale. Les erreurs de jugement se payent très cher.

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