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GÉRARD DE POUVOURVILLE RECHERCHE INNOVATION THÉRAPEUTIQUE ET SURVIE EN CANCÉROLOGIE CHAIRE ECONOMIE ET MANAGEMENT DE LA SANTÉ

Innovation therapeutique et_survie_en_cancerologie

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GÉRARD DE POUVOURVILLE

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Association loi 1901 représentant les filiales françaises de 15 Laboratoires Internationaux de Recherche, le LIR est un think tank dont la vocation est

d’analyser, débattre et proposer des idées en faveur d’un système de soins innovant et efficient.

INNOVATION THÉRAPEUTIQUE ET

SURVIE EN CANCÉROLOGIE

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CHAIRE ECONOMIE ET MANAGEMENT DE LA SANTÉ

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édito

En France, le thème « industrie et innovation » évoque les secteurs de l’énergie, de l’aéronautique et du spatial. C’est faire fi d’un secteur très dynamique, riche en innovations, en recherche et créateur de valeur pour notre pays : les industries de santé.

Dans son rôle de « Think tank » santé, le LIR a confié au Professeur Gérard de Pouvourville des travaux de recherche dans le but de répondre à la question de l’impact de l’innovation médicamenteuse dans le domaine du cancer en conditions d’utilisation courante et notamment des bénéfices qu’elles apportent en termes de survie pour notre population.

Bousculant les idées reçues, ce travail a pour objectif de nourrir l’échange et le dialogue entre tous les acteurs de santé sur la valeur à accorder au progrès thérapeutique d’un point de vue médical, économique et sociétal.

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BRésumé

Même si les essais cliniques font la démonstration de l’efficacité des innovations thérapeutiques dans un cadre expérimental, la question de leur impact en conditions d’utilisation courante et notamment des bénéfices qu’elles apportent en termes de survie est régulièrement posée par les organismes de financement des soins de santé. Il est possible de faire cette démonstration en s’appuyant sur les méthodes de l’épidémiologie, mais ces études sont longues, coûteuses et généralement centrées sur une seule intervention. Elles ne permettent pas non plus de mettre en relation le rythme d’apparition et de diffusion des innovations sur l’amélioration de la santé des patients, notamment en termes de survie.

Pour mener ce type d’étude sans avoir recours aux études épidémiologiques, on peut recourir aux méthodes d’économétrie de panel. Là encore peu d’études de ce genre sont réalisées, car elles sont très exigeantes en matière de données. Elles sont souvent plus concluantes lorsqu’elles ciblent un domaine pathologique particulier.

Le cancer est un bon modèle pour réaliser de telles études, à la fois parce que ce domaine a connu un rythme rapide d’innovations médicamenteuses au cours de trente dernières années, mais aussi parce que ce rythme a varié suivant les localisations. On rapporte dans cet article le petit nombre d’études qui ont tenté de mettre en relation la disponibilité de molécules innovantes et leur taux d’utilisation avec les gains de survie relative pour les patients cancéreux. Utilisant des méthodes et des données de sources différentes, ces travaux montrent que le taux d’innovation explique une partie des gains de survie relative observables en cancérologie et, ce, de façon statistiquement significative.

L’étude la plus aboutie a été menée aux états-Unis et estime que l’augmentation du nombre de molécules disponibles en cancérologie expliquerait 44% du gain observé de survie relative sur les années 1992 à 2003.

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intRoduction

U n élément essentiel du débat autour de la maîtrise des dépenses et de l’efficience des services de santé est celui du rôle joué par l’innovation. L’opinion la plus répandue est celle d’un progrès technique

inflationniste : le progrès technique en santé élargit le domaine d’intervention des services, soit parce qu’il offre des solutions pour des problèmes de santé mal couverts, soit parce qu’il augmente les possibilités thérapeutiques. A priori, il se traduit au moins lors de l’émergence d’innovations par des prix unitaires plus élevés qui ne sont pas complètement compensés par le fait que ces innovations se substituent à des services existants. Ces prix élevés sont la rémunération des investissements consentis dans le développement de produits nouveaux.

Le progrès technique présente alors une double face : attractif puisqu’il permet d’améliorer la prise en charge des patients, inquiétant par les besoins de financement qu’il nécessite dans des systèmes contraints.

Lorsque la face inquiétante domine, la contribution de ce progrès technique est remise en cause, à la fois par le payeur final mais aussi par les critiques d’une médecine qui prendrait en charge les effets mais pas les causes profondes de la mauvaise santé d’une population. Dans ce cas, ce qui est remis en cause est souvent le rendement marginal de certaines innovations en termes de santé, par rapport à d’autres investissements possibles. Cette critique peut devenir radicale et dénier même toute contribution significative aux innovations thérapeutiques.

P our alimenter ce débat avec des faits et non seulement des opinions, il est possible de réaliser des travaux empiriques démontrant la contribution réelle d’innovations thérapeutiques à l’amélioration

de la santé des populations. Ces travaux sont néanmoins complexes à réaliser car il s’agit de montrer, sur la longue période, la contribution du progrès technique à l’amélioration de la santé. Le critère principal retenu est généralement la survie : la difficulté consiste alors à démêler les apports respectifs de multiples facteurs pouvant avoir un impact sur cette survie.

L’arsenal méthodologique de référence est alors celui de l’épidémiologie et des différentes méthodes de contrôle qu’elle propose pour identifier une contribution d’une innovation à l’augmentation de la survie. Ces études sont longues et coûteuses et ont surtout pour inconvénient de se focaliser sur une intervention particulière parmi d’autres. Elles sont donc concluantes (ou non) pour cette intervention, mais ne permettent généralement pas de tirer des conclusions sur un effet global du progrès technique sur l’amélioration de la survie.

Il est néanmoins possible d’utiliser d’autres méthodes pour mesurer cet impact global. Par exemple, un travail déjà ancien de Johan Mackenbach1, spécialiste hollandais de la santé publique, s’est appliqué à

montrer l’apport des moyens d’intervention de la médecine au cours de la deuxième moitié du XXème siècle. Il a comparé l’évolution de la mortalité en Hollande entre la période 50/54 et la période 80/84 pour des maladies pour lesquelles des progrès avérés des interventions médicales étaient apparus.

Il montre alors un gain d’espérance de vie de près de trois ans pour les hommes et de quatre ans pour les femmes pour ces maladies, soit 1,2 mois par an pour les hommes et 1,6 mois pour les femmes.

1 Mackenbach JP. The effects of health care on the health of populations. Conférence prononcée à la Honda Foundation Conference, “Determinants of health: prosperity, health and well-being”, Toronto, 16-18 octobre, 1993.

Mackenbach TH et al. Post-1950 mortality trends and medical care: gains in life expectancy due to declines in mortality from conditions amenable to medical intervention, Social Science and Medicine 1988 27:889-894.

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Quels sont les schémas d’étude possibles pour aboutir à de telles démonstrations ?

Rappelons que l’objectif poursuivi n’est pas de mesurer la contribution d’une intervention particulière : dans ce cas, les études épidémiologiques bien faites permettent de répondre à la question posée. En l’occurrence, la variable d’intérêt est à la fois le « stock » disponible d’interventions médicales et le rythme de son évolution par le biais du progrès technique. Prenons l’augmentation de la survie comme marqueur de l’impact des interventions en santé et du rythme du progrès technique.

Un premier schéma d’étude possible est celui de l’analyse transversale : on dispose par exemple à un moment donné de données comparatives de survie entre plusieurs pays (ou régions), de données équivalentes sur le recours aux interventions des services de santé, et des variables permettant de contrôler l’état de santé relatif de la population de chaque région. Il faut également contrôler le rôle que peuvent jouer d’autres facteurs dans l’amélioration ou la dégradation de la survie dans chaque pays. Si l’étude est bien conçue, elle peut permettre de montrer quelle est la part des différences de survie observées entre régions qui peut être expliquée par des différences dans les degré de recours à des innovations thérapeutiques.

Un deuxième schéma possible est celui de l’analyse longitudinale sur une population donnée. Ceci peut se faire en comparant, comme Mackenbach, la survie dans une population d’études à deux périodes distinctes dans le temps. Là encore, la clé de la pertinence de telles analyses réside dans la capacité du chercheur à démêler les interactions entre facteurs explicatifs ; l’analyse temporelle ajoute la difficulté de ne pas décréter de façon fallacieuse des liens de causalité entre des évolutions simultanées.

Une troisième approche possible combine les deux précédentes, en utilisant les méthodes d’analyse de panel. Le panel serait en l’occurrence un échantillon de populations (nationales ou régionales) pour lesquelles on saurait observer à la fois l’évolution de la survie dans le temps et dans l’espace, ainsi que des variables d’adoption d’innovations thérapeutiques et différentes variables de contrôle qui pourraient être explicatives des différences observées. De telles méthodes permettent à la fois de mesurer des liens entre facteurs mais aussi entre évolution des valeurs prises par ces facteurs au cours du temps.

L’obstacle premier à la réalisation de telles schémas est la disponibilité de données fiables et comparables d’une population ou d’une région à une autre : ceci explique sans doute leur relative

rareté. Néanmoins, pour illustrer notre propos, nous utiliserons ici un article de Nixon et Ulmann1 qui présente à la fois une revue de la littérature et une étude originale sur 15 pays européens dont l’objet n’était pas le progrès technique mais les dépenses de santé. Ils ont retenu pour leur revue 16 articles présentant les caractéristiques suivantes :

ils traitaient principalement de la relation entre dépenses de santé et résultats ou dépenses de santé, croissance a. économique et résultats ; ils présentaient des résultats empiriques en utilisant des méthodes économétriques au niveau macro-b. économique ;ils portaient sur des pays européens ou de l’OCDE ; c. ils pouvaient également inclure des panels de pays développés et en voie de développement. d.

1 Nixon J, Ulmman Ph. Relationship between health care expenditures and Health Outcomes. European Journal of Health Economics 2006 7:1;7-18

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L’étude originale est une étude de panel (donc à la fois longitudinale et transversale) examinant l’impact sur l’espérance de vie à la naissance des hommes, des femmes et sur la mortalité infantile des variables suivantes :

la dépense de santé par tête ; –la dépense de santé en part du PIB ; –la densité médicale ; –la densité de lits hospitaliers ; –le nombre d’admissions à l’hôpital par tête ; –la durée moyenne de séjour ; –le taux de couverture des dépenses par un système d’assurance maladie ; –le taux de chômage ; –les consommations de tabac et d’alcool ; –les comportements alimentaires ; –les indicateurs de pollution atmosphérique. –

La période d’étude était de 1980 à 1995.

Les résultats saillants de la revue de la littérature, tels qu’ils sont résumés par les auteurs, sont les suivants : dans 12 études sur 16, une relation significative et positive a été trouvée entre dépenses de santé per capita et au moins l’un des indicateurs de longévité. Cinq études ont trouvé en complément que le revenu avait un effet indépendant alors que cet effet annule l’effet « dépenses » dans une étude.

Pour notre propos, les auteurs notent que les quatre études qui ont inclus la dépense de produits pharmaceutiques par tête ont trouvé une relation positive entre cette consommation et la longévité. Les comportements à risque ont été associés avec une moindre longévité.

L’étude originale a abouti aux résultats suivants : pour les trois indicateurs de résultats, la longévité masculine, la longévité féminine, la mortalité infantile, les dépenses de santé et la densité de médecins ont un impact positif sur la longévité.

Pour les hommes, les comportements alimentaires à risque et la pollution ont un effet péjoratif qui n’existe pas chez les femmes. L’estimation des gains de longévité obtenus grâce aux dépenses de santé a été de 2,6 années pour les hommes, de 2,8 années pour les femmes. Le taux de mortalité infantile a baissé de 0,63% en relation avec les dépenses de santé. Rapportés à l’année, ces gains de longévité correspondent à une moyenne de 1,18 mois chez les hommes et de 2,24 mois chez les femmes. Les auteurs concluent à un effet marginal alors que cela correspondrait à un peu moins de la moitié de l’augmentation annuelle d’espérance de vie observée aujourd’hui dans les pays développés qui est de trois mois par an ! Sur la base des données françaises de 2006, la dépense moyenne de santé per capita est de 2500 € ; la moyenne des gains pour les hommes et les femmes serait de 1,8 mois par an, soit un coût par année de vie gagnée de l’ordre de 17 000 €.

Il est plus difficile de trouver des études prenant comme variable d’intérêt le progrès technique. En l’occurrence, un auteur américain, Frank Lichtenberg, cumule le plus grand nombre de citations sur ce

thème. Il a utilisé toute la gamme possible des schémas d’étude décrits ci-dessus.

Ses travaux témoignent de la difficulté de collecter des données pertinentes pour mener une démonstration convaincante. Ils ont été publiés sous forme de « working papers » du National Bureau of Economic Research et

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peu d’entre eux ont été publiés dans des revues à comité de lecture en économie de la santé. Pour des raisons de manque de disponibilité de données longitudinales au niveau individuel, l’auteur a eu la plupart du temps recours à des unités d’analyse au niveau des pathologies et doit réconcilier des données provenant de bases hétérogènes. Certains modèles mélangent des données de niveau différent (prescription/patient/pathologie) sans pour autant différencier les contributions de ces niveaux aux résultats obtenus. Les modèles estimés utilisent peu de variables de contrôle ou à un niveau agrégé. En particulier, l’ajustement sur les variations inter-temporelles des incidences des différentes maladies et de leur sévérité n’est pas toujours réalisé de façon satisfaisante. Les articles ne donnent pas tous les éléments requis pour juger du pouvoir explicatif de la variance des estimations réalisées. Mais il est habituel dans ce type d’études d’obtenir des résultats modestes sur ce point. Enfin, les articles sont en très grande majorité relatifs au contexte des états-Unis d’Amérique.

Sous réserve de ces limites, certains résultats se retrouvent de manière régulière d’une étude à l’autre.

Le premier résultat est que, plus que la consommation globale de médicaments, ce qui compte est le degré de nouveauté des médicaments prescrits et sa variation dans le temps.

De façon consistante mais avec des variations quant à l’ordre de grandeur de l’impact, l’auteur trouve une relation entre millésime des médicaments prescrits et longévité, productivité du travail et recours aux autres services de santé.

Sur ce dernier point, le degré d’innovation médicamenteuse aurait pour effet de diminuer les recours à l’hospitalisation.

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innovations théRapeutiques et canceR

Malgré les limites méthodologiques des études brièvement décrites ci-dessus, il existe cependant un faisceau de résultats tendant à montrer que les dépenses de santé et le progrès technique, en particulier

dans le domaine du médicament, contribuent à l’amélioration de la survie.

Une des difficultés majeures rencontrées par l’auteur tient à l’ambition de son projet, puisqu’il s’intéresse à l’impact de l’innovation médicamenteuse sur la survie globale, toutes pathologies confondues. Un projet plus modeste et plus réaliste consiste à isoler un domaine pathologique particulier, ce qui a le double avantage de mieux identifier des indicateurs de progrès techniques spécifiques et éventuellement de disposer de données épidémiologiques comparatives dans le temps et l’espace plus homogènes. C’est la voie qui a également été choisie par Frank Lichtenberg dans ses études sur le cancer.

Deux publications récentes justifient l’intérêt d’une telle étude pour notre pays. En 2008, l’étude Concord1 a présenté ses premiers résultats sur la survie des patients atteints d’un cancer au niveau mondial sur quatre localisations : le cancer du sein, le cancer de la prostate, le cancer du côlon et le cancer du rectum. L’étude a mesuré la survie relative à 5 ans à partir de données de registres couvrant la période 1990-1999. Les pays sont classés en fonction de leur performance mais les auteurs appellent à la prudence dans l’interprétation du classement, compte tenu de l’incertitude statistique sur les résultats. Avec cette réserve, l’étude montre que la France est toujours dans le peloton de tête des pays européens, avec une performance très élevée sur les cancers du côlon et du rectum chez la femme, mais moins bonne chez les hommes ; la France est 6ème et 3ème pays européen pour le cancer de la prostate sur 30 pays, 9ème et 3ème pays européen pour le cancer du sein. Les résultats sur d’autres localisations ne sont pas connus, aussi est-il difficile d’en inférer une performance globale de notre pays pour la prise en charge du cancer, mais il s’agit de localisations les plus fréquentes.

La performance en termes de survie est liée à de nombreux facteurs, cités par les auteurs : l’efficacité des programmes de dépistage qui permettent un diagnostic et une prise en charge précoce, ensuite la qualité

même de la prise en charge et l’efficacité des traitements. Malgré ceci et les réserves méthodologiques évoquées plus haut, il est tentant de mettre en relation les résultats qui précèdent avec les données de l’étude publiée en 2005 par Jönsson et Wilking2 sur les taux et la vitesse d’adoption des innovations thérapeutiques médicamenteuses mises sur le marché entre 1999 et 2004 en cancérologie.

En conclusion générale du rapport, les pays qui adoptent le plus rapidement les innovations thérapeutiques étudiées sont la Suisse, l’Espagne et l’Autriche mais la France arrive en général en deuxième ou troisième position au sein des cinq grands marchés européens.

Est-il possible de mettre en relation ces résultats pour mesurer l’impact des innovations thérapeutiques sur la survie des patients atteints de cancer ?

1 Coleman MP et al. Cancer survival in five continents : a worldwide population based study (CONCORD). 2008 Lancet-Oncology, publié en ligne le 17 juillet 2008.

2 Wilking N, Jönsson B. A pan-european comparison regarding patient access to cancer drugs. Karolinska Institute, Stockholm School of Economics, Stockholm, 2005.

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Les innovations thérapeutiques en cancérologie contribuent-elles à l’augmentation de la survie ?

Nous ne présentons ici que les études qui ont tenté de mettre en relation le taux d’utilisation d’innovations thérapeutiques en cancérologie et la survie, toutes localisations confondues, conformément à notre question de recherche initiale. Avec cette restriction, la recherche bibliographique a abouti à nouveau à l’identification des travaux de F. Lichtenberg.

La première étude1 teste l’hypothèse de l’impact de l’innovation médicamenteuse dans le domaine du cancer sur la mortalité aux états-Unis. L’étude intègre également le rôle de l’innovation dans le domaine de la chirurgie et de la radiothérapie. L’auteur dispose de données, d’une part de mortalité par localisation cancéreuse, d’autre part, de recours aux traitements médicamenteux, chirurgicaux, de radiodiagnostic et de radiothérapie. Ces deux sources ne portent cependant pas sur les mêmes patients, ce qui le conduit à travailler sur la localisation cancéreuse ajustée ou non sur son stade : l’hypothèse testée est que le degré moyen d’innovations pour une localisation a un effet sur la survie moyenne pour celle-ci. Il s’agit donc d’une étude de panel, les populations d’étude étant les différentes localisations cancéreuses. La caractérisation de l’innovation est la part prise par des traitements apparus après 1990 dans les traitements mis en œuvre entre 1992 et 2003. Dans le modèle de base, l’auteur mesure l’augmentation relative de survie des patients cancéreux par rapport à la mortalité générale dans la population. Il utilise deux techniques différentes pour estimer le logarithme de la survie. A nouveau, plusieurs variantes sont estimées pour tester la sensibilité des résultats à la prise en compte de différentes variables d’ajustement. En particulier, l’ajustement sur les stades de cancer pose le problème de l’évolution des techniques de diagnostic sur la période, se traduisant éventuellement par des prises en charge plus précoces ou traitements plus adaptés. Enfin, trois mesures différentes de la survie ont été utilisée : la survie à 1, 2 et 3 ans.

Le résultat s’interprète de la façon suivante : la localisation cancéreuse qui aurait connu le plus fort taux d’innovation est aussi celle qui aurait connu la plus forte augmentation relative de la survie.

Le pourcentage de médicaments post-1990 est passé sur l’échantillon de 9% en 1992 à 29% en 2003, traduisant une forte progression des innovations sur la période. Dans le même temps, la progression de la survie relative des patients atteints d’un cancer a été de 1,7 % à un an, de 2,8% à deux ans et de 3,4% à trois ans. Quelque soit la spécification du modèle adopté, la progression du taux d’innovation médicamenteuse explique une part significative de ces gains de survie relative. En revanche, la progression des innovations en chirurgie et en radiodiagnostic n’a pas d’impact significatif sur la survie. Seule l’innovation en radiothérapie a un impact significatif sur le taux de survie à deux ans.

Le gain relatif est le suivant :avec la première méthode d’estimation utilisée, la progression du taux d’innovations médicamenteuses –explique 26% à 39% de l’amélioration de la survie à un an, de 14% à 37% à deux ans et de 12% à 20 % à trois ans. Une progression observée de 20% sur la période du taux de médicaments nouveaux se traduirait donc à un an par une amélioration relative de la survie au cancer de 0,44 % à 0,66 % (26% de 1,7% et 39% de 1,7%) ; avec le deuxième modèle d’estimation, les résultats obtenus sont plus importants. La part du gain de survie –lié à une amélioration de 20% de médicaments nouveaux serait de 77% à un an, de 40% à deux ans et de 29% à trois ans. En moyenne sur toutes les estimations, l’augmentation du taux d’innovations thérapeutiques expliquerait 44% des gains de survie relative.

1 Lichtenberg FR. Pharmaceutical innovation and US cancer survival in the 1990s: evidence from linked SEER-MEDISTAT data. 2006 NBER, Cambridge, USA

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Le principal biais de l’étude tient à la base de données permettant d’estimer les recours aux soins durant la période d’étude : celle-ci n’apparaît pas représentative de la prise en charge des cancers au niveau national. L’auteur estime que ce biais aurait conduit à sous-estimer les bénéfices de l’innovation, mais ce point est peu argumenté. La deuxième limite tient à l’ajustement sur le stade des cancers. La troisième limite tient comme dans d’autres études aux erreurs de mesure de l’innovation non médicamenteuse. L’absence d’effet de l’innovation hors médicament sur la période peut s’expliquer par le faible taux d’innovations mesuré sur la période, par contraste avec les innovations médicamenteuses. Par ailleurs, dans le cas du cancer, on peut discuter du choix de mesurer de façon indépendante l’impact des différentes modalités de traitement : chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie, alors que ces trois modalités sont souvent associées.

Malgré ces limites, cette étude montre néanmoins que l’adoption d’innovations thérapeutiques a un impact statistiquement significatif sur les progrès de survie en cancérologie, même si ces progrès sont globalement modérés sur la période d’étude.

L a deuxième étude1 analyse la survie à cinq ans par localisation cancéreuse dans cinq pays : la France, l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni en 2002. L’auteur montre que la part des

médicaments mis sur le marché après 1985 a un impact positif et significatif sur la survie à 1 an et à 5 ans. Les différences inter-pays en termes de part de ces médicaments expliquaient entre 14% et 19% des différences de taux de survie, après ajustement pour les différences de fréquence des localisations cancéreuses.

L a troisième étude réalisée2 analyse l’impact du nombre de médicaments anticancéreux dont la mise sur le marché est postérieure à 1982 et disponibles dans 38 pays, sur la survie relative pour

17 localisations cancéreuses. Le dispositif d’étude est complexe puisqu’il combine une analyse d’un effet « disponibilité des médicaments » et une analyse d’un effet « pays » par localisation cancéreuse. Supposons qu’en moyenne pour tous les pays, la survie relative pour le cancer A est supérieure de 25% à celle relative au cancer B, et que la disponibilité de médicaments est de 35% supérieure pour le cancer A par rapport au cancer B. L’année de référence est l’année 2000. L’auteur fait alors l’hypothèse que si dans un pays donné, la disponibilité effective de médicaments pour le cancer A n’est que de 20% supérieure à celle observée pour le cancer B, le gain de survie relative de A par rapport à B devrait être inférieur à 25%. L’étude montre alors qu’une augmentation dans le nombre de médicaments disponibles pour un pays et pour une localisation donnés est associée à une augmentation relative de la survie à un an et à cinq ans.

U ne dernière étude3 analyse l’impact du taux de médicaments mis sur le marché après 1985 par pays sur le taux global de mortalité par cancer dans vingt pays sur la période 1995-2003. L’étude

montre que les pays pour lesquels la part de médicaments innovants était la plus importante étaient ceux qui avaient le plus fort déclin du taux de mortalité. Un « rajeunissement » de 10 ans du millésime des médicaments diminuait le taux de mortalité pour cancer de 5,9%, après ajustement sur la croissance de la richesse nationale. Le « rajeunissement » des médicaments expliquait 30% de la baisse du taux de mortalité ajusté sur la richesse nationale.

1 Lichtenberg FR. Pharmaceutical innovation and cancer survival : US and international evidence. In Wilking N, Jönsson B. A pan-european comparison regarding patient access to cancer drugs. Karolinska Institute, Stockholm School of Economics, Stockholm, 2005, p 86-91.

2 Id.3 Lichtenberg FR, Jonsson B, Wilking N. Pharmaceutical innovation and cancer survival. 2007, Communication, IHEA 6th Congress in

Health Economics, Copenhaguen.

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conclusion

Mettre en évidence l’impact des innovations médicamenteuses sur la survie, en se plaçant au niveau d’un pays, présente des problèmes méthodologiques complexes aggravés par la difficulté de constituer des séries chronologiques sur la longue période, avec suffisamment de variables permettant d’identifier l’impact spécifique d’un facteur. En particulier, on mesure beaucoup moins bien l’intensité d’utilisation des innovations hors médicaments, alors que les ventes par produit et par pays sont bien documentées par des opérateurs prestataires de services pour l’industrie ou par les organismes payeurs. Ceci explique sans doute qu’en dehors des grandes études épidémiologiques qui se concentrent en général sur une seule intervention, peu de travaux aient été effectués sur ce thème. Le centrage sur un domaine thérapeutique permet de réduire partiellement ces difficultés : l’existence de données de registres en cancérologie et de publications nationales et internationales sur la survie par localisation cancéreuses fait du cancer un domaine de prédilection, cela d’autant plus que ce domaine a bénéficié d’un flux important et régulier d’innovations médicamenteuses sur les trente dernières années.

Malgré cela, peu d’études ont été publiées dans ce domaine. Celles que nous avons pu recenser proviennent d’un même auteur qui a de façon continue tenté de montrer l’impact de l’innovation thérapeutique sur la survie relative des patients atteints de cancer. En utilisant une gamme large d’approches méthodologiques et de données, ses travaux mettent en évidence un effet statistiquement significatif et non négligeable de l’innovation médicamenteuse sur la survie en cancérologie.

Ceci pourrait apparaître comme une évidence. En principe, les innovations thérapeutiques doivent faire la preuve de leur efficacité avant d’être mises sur le marché, mais il est cependant rare que les essais cliniques permettent d’évaluer leur impact sur la mortalité. Ceci est particulièrement vrai en cancérologie où le résultat se mesure généralement soit en taux de réponse au traitement, soit en survie sans progression de la maladie. Dès lors, la question se pose de l’impact final du traitement en conditions réelles d’utilisation, cela d’autant plus que les protocoles de chimiothérapie associent plusieurs molécules. Dans ce contexte, faire la démonstration que la disponibilité accrue de molécules grâce au progrès technique améliore la survie est un enjeu important. De ce point de vue, les travaux cités apportent une réponse positive : il y a contribution du progrès technique à l’amélioration de la survie. Une partie du chemin reste cependant encore à faire : celui de la mise en relation des dépenses induites avec les gains obtenus et la comparaison relative du rendement dans ce domaine avec d’autres domaines thérapeutiques ou avec d’autres innovations.

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