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JREM, Vol. 7, n° 1 & 2 55 LES REFERENCES AU SAVOIR DANS L'ENSEIGNEMENT SPECIALISE DE LA DIRECTION DE CHŒUR Marianne GUENGARD 1 La question de la référence dans l'enseignement de la direction de chœur est complexe. Nous tentons de cerner ce problème en dégageant les spécificités de la direction de chœur et de son enseignement, ainsi qu'en analysant les savoirs en jeu. Les savoirs en direction de chœur sont liés à des pratiques, à des expertises, pour lesquelles l'apprentissage joue un rôle déterminant. L'ensemble des savoirs de direction est mobilisé dans des compétences tant musicales que pédagogiques, qui aident le chef de chœur à répondre et à s'adapter à toutes les situations particulières qu'il rencontre au cours de son activité. Nous mettons en exergue la mixité des savoirs pouvant servir de référence et la nécessité de construire un modèle qui permettra ensuite d'élaborer un programme de formation. Mots-clés : référence, savoir, compétence, enseignement, pratique, direction de chœur. 1 Doctorante à L'Observatoire Musical Français, (OMF), Université Paris-Sorbonne (Paris IV). JREM vol. 7, n°1 & 2, 2008, 55-86 © OMF / université Paris-Sorbonne (Paris IV) www.omf.paris-sorbonne.fr

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LES REFERENCES AU SAVOIR DANS L'ENSEIGNEMENT SPECIALISE DE LA DIRECTION DE CHŒUR

Marianne GUENGARD1

La question de la référence dans l'enseignement de la direction de chœur est complexe. Nous tentons de cerner ce problème en dégageant les spécificités de la direction de chœur et de son enseignement, ainsi qu'en analysant les savoirs en jeu. Les savoirs en direction de chœur sont liés à des pratiques, à des expertises, pour lesquelles l'apprentissage joue un rôle déterminant. L'ensemble des savoirs de direction est mobilisé dans des compétences tant musicales que pédagogiques, qui aident le chef de chœur à répondre et à s'adapter à toutes les situations particulières qu'il rencontre au cours de son activité. Nous mettons en exergue la mixité des savoirs pouvant servir de référence et la nécessité de construire un modèle qui permettra ensuite d'élaborer un programme de formation. Mots-clés : référence, savoir, compétence, enseignement, pratique, direction de chœur.

1 Doctorante à L'Observatoire Musical Français, (OMF), Université Paris-Sorbonne (Paris IV).

JREM vol. 7, n°1 & 2, 2008, 55-86

© OMF / université Paris-Sorbonne (Paris IV) www.omf.paris-sorbonne.fr

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INTRODUCTION

La question de la référence, en didactique des disciplines, a fait l'objet de

nombreuses recherches, notamment en ce qui concerne les savoirs qui sont à

l'origine des contenus d'enseignement. Celles qui lui ont été consacrées, à travers le

concept de transposition didactique, en particulier à travers l'analyse de sa première

phase appelée "transposition didactique externe" (Chevallard, 1991), ont connu de

nombreux débats qui ont largement dépassé le cadre de la didactique des

mathématiques.

Dans la forme initiale de la théorie de la Transposition Didactique, le savoir

savant s'impose comme origine du savoir scolaire. Au cours des recherches

contemporaines et ultérieurement à l'émergence de la présentation de la théorie, est

apparue la nécessité de prendre en compte les problématiques spécifiques aux

différentes disciplines, par exemple, d'analyser les pratiques sociales auxquelles

elles font référence (Martinand, 1986). Les travaux récents en didactique de la

musique montrent l'intérêt porté à la question de la référence au savoir (Beaugé,

2002, Bourg, 2006).

La question de la référence dans le champ de l'enseignement des disciplines

musicales est d'autant plus problématique que les savoirs sont difficiles à définir.

C'est le cas pour la direction de chœur, domaine artistique diversifié et en pleine

évolution.

Comment aborder cette question de la référence en didactique de

l'enseignement de la direction de chœur ? Quels sont les savoirs qui peuvent

s'imposer comme référence en regard de la complexité de cette discipline ? C'est ce

que nous nous proposons d'éclairer dans le présent article.

Notre étude portera sur l'enseignement de la direction de chœur dans les

établissements d'enseignement spécialisé en France.

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Tout d'abord, nous chercherons à caractériser l'activité de direction de chœur.

Nous dégagerons ensuite les spécificités de son enseignement. Nous tenterons

enfin d'identifier et d'analyser les savoirs convoqués dans l'exercice de la direction

de chœur, pouvant servir de référence à son enseignement, en nous situant dans le

cadre théorique de la transposition didactique, et plus particulièrement dans son

extension aux disciplines autres que les mathématiques.

CARACTÉRISATION DE LA DIRECTION DE CHŒUR

Diversité des contextes d'implantation du chant choral

Le chant choral embrasse un large domaine de pratiques diversifiées tant dans

leur implantation sociale que dans leur organisation. Présent dans les milieux

associatifs et liturgiques, dans le monde de l’entreprise, dans l’Éducation Nationale,

dans l’enseignement spécialisé, et dans les grandes structures musicales

professionnelles, il est pratiqué par une population d’âge et de compétences variés :

enfants, adultes, personnes du troisième âge, quel que soit leur niveau musical.

La pratique chorale est majoritairement amateur en France. Cela peut

s’expliquer par la facilité d’accès à cette activité. En effet, pour chanter, il n’est pas

nécessaire de posséder des bases solfégiques, l’apprentissage pouvant s’effectuer

par mémorisation. Par ailleurs, la voix en tant qu'instrument permet une pratique

musicale immédiate, sans le souci d’un apprentissage instrumental qui requiert une

maîtrise technique.

L’orientation du choix qui s’opère vers une pratique au sein de tel ou tel chœur

dépend très souvent du type de répertoire travaillé, (et de son niveau de difficulté).

D’autres paramètres sont également déterminants tels que le nombre de chanteurs

(un chœur peut être de géométrie très variable, allant de l’ensemble vocal de 12 à

16 personnes jusqu’au chœur d’oratorio qui peut comporter environ 80 choristes,

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voire plus), la fréquence des répétitions, le lieu où se déroule l’activité, le montant

de l’inscription.

La pratique de cet art en tant que chanteur professionnel comporte une

dimension plus économique, en raison de son appartenance au monde du travail.

Ici, nous rencontrons des musiciens qui ont une formation de chanteur, et qui ont

étudié leur discipline dans une perspective de professionnalisation. Pour ces sujets,

la frontière entre choix et contrainte quant à l’orientation vers tel chœur ou tel autre

est ténue, en raison de la nécessité d’embauche. Cela a une incidence sur le statut

même du chanteur qui peut être amené à travailler en tant que salarié de la structure

qui l’emploie ou comme intermittent.

Nous observons, par les réflexions ci-dessus, la dimension sociale de la

pratique chorale.

Pluralité de profils des chefs de chœur

Les chefs de chœur présentent une pluralité de profils qui font écho à

l’importante diversité de situations dans lesquelles s’exerce la pratique chorale. Ces

chefs ont des parcours singuliers, au cours desquels l’activité musicale tient une

place plus ou moins importante.

La fonction de chef de chœur peut s’exercer dans le milieu tant amateur que

professionnel. Si l’on a reconnu au choriste amateur la possibilité de faire partie

d’un chœur sans prérequis musical, il n’en va pas tout à fait de même en ce qui

concerne les chefs. Les études menées à ce sujet montrent qu’un bagage minimum

est nécessaire pour pouvoir exercer cette responsabilité. Quand bien même le type

de répertoire abordé ne nécessiterait qu’un apprentissage par mémorisation, sans

support de partition, le chef aurait la charge de rectifier les écarts entre exemple et

réponse, et de les expliciter verbalement ou vocalement.

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Pour autant, toute personne dirigeant un chœur ne suit pas ou n’a pas suivi une

formation de direction de chœur. La grande majorité des chefs entreprend la

direction après une expérience de choriste. Certains reprennent la direction de

l’ensemble dont ils font partie lors du départ en retraite du responsable. D'autres

créent un ensemble entre amis, motivés par un répertoire donné et par le fait de se

retrouver autour d’une activité artistique et conviviale. Dans tous ces cas,

l’expérience de chef se construit directement sur le terrain, dans une dynamique

d’exploration et d’invention, en même temps que la reprise des modèles observés.

De nombreux chœurs sont dirigés également par des chefs dont le métier est

en rapport avec la musique ; on rencontre fréquemment des enseignants de

l’enseignement spécialisé de la musique, mais aussi des professeurs de l’Éducation

Nationale, des musiciens tels que des chanteurs intermittents du spectacle, des

instrumentistes, dont des pianistes engagés dans les métiers d'accompagnateur et de

chefs de chant.

La sphère professionnelle de la direction de chœur offre elle aussi une palette

représentative de cette pluralité de pratiques, que ce soit dans des structures

associatives, dans des structures municipales, départementales ou régionales, et que

les formations dirigées soient composées d'enfants, d'adolescents ou d'adultes.

Selon la structure où ils œuvrent, certains chefs de chœur sont spécialisés dans

différents répertoires et genres musicaux tels que musique ancienne, musique

contemporaine, musique sacrée, opéra.

La diversité des profils de tous les acteurs engagés dans la direction de chœur

souligne la complexité de cette fonction, mais en même temps sa richesse.

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Spécificités de la direction de chœur

Terminologie

Dans le terme “ direction de chœur ”, nous entendons clairement qu’il s’agit de

chœur, ce qui permet de comprendre dans quel domaine musical nous nous

trouvons. Mais le terme direction est plus difficile à saisir, car il est polysémique.

- En premier lieu, on peut comprendre qu’il s’agit de diriger un groupe au sens

de le conduire vers un but, de prendre des décisions pour lui – et avec lui.

- En second lieu, on comprend qu’il s’agit de l’action de diriger, c’est-à-dire

de se placer devant le chœur et de le diriger musicalement par des gestes.

La complexité de la direction de chœur peut être saisie si l’on comprend le

terme direction dans ces deux acceptions.

Une pratique artistique

La direction de chœur s'impose comme une pratique artistique. Cette pratique

se déroule dans le temps de l'interprétation d'une œuvre musicale ainsi que celui

des phases préparatoires au concert que sont le travail personnel du chef sur l'œuvre

abordée et les répétitions.

Le chef de chœur utilise des gestes pour diriger le chœur. Peut-on considérer

cette technique de direction comme une pratique instrumentale ?

Le chef est dans une situation d'interprétation particulière qui requiert, comme

pour n'importe quel interprète, une technique – ici, le geste – mais qui n'a pas de

prise directe sur le son, car l'instrument – le chœur – est celui formé par les voix

des chanteurs qui se trouvent face à lui.

Ainsi le chef pourrait-il dire, dans une certaine limite : “je joue du chœur”,

mais en aucun cas “je joue des voix”, car les voix des chanteurs prises

individuellement ne sont pas encore le chœur. Elles deviennent chœur dans une co-

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construction sonore qui se réalise entre les individus du groupe à l'intérieur de ce

groupe lui-même et d'autre part entre le groupe et le chef, sous son écoute et sous

sa conduite.

On peut ici comparer la direction de chœur à la direction d'orchestre, où là

encore, le chef ne joue pas concrètement et directement d'un instrument d'orchestre.

Henri-Claude Fantapié le souligne ainsi :

“Quant à l'orchestre, il s'agit bien d'un instrument composite, véritable

organisme vivant et plus que semi-autonome dont on ‘joue’ par procuration.

Ici, on ne lutte pas directement avec la matière, comme le font le violoniste ou

le pianiste [...]. On doit faire naître d'un conglomérat d'individus et

d'instruments a priori hétérogènes un nouvel organisme vivant qui s'appelle

l'orchestre” 1.

La direction de chœur et d'orchestre comporte, comme tout instrument, des

techniques particulières qui s'enseignent et s'apprennent, avec des codes, des

principes, consignés dans de nombreux ouvrages. (Caillard, 1994 ; Caillat, 1988 ;

Salaün, 1998 ; Berlioz [1856] 1988 ; Fantapié, 2005 ; Scherchen, 1966 ; Schuller,

1994).

Cette technique de type instrumental comporte les éléments relatifs aux battues

des différents schémas de mesures, aux respirations (levées), vitesses (tempi),

articulations, à l'amplitude (nuances), aux dynamiques, à l'expression. Elle est

communément appelée “gestique” :

“Gestique : ensemble chironomique qui se présente comme une forme de

langage servant à traduire la volonté expressive et technique du chef

d'orchestre pour un orchestre chargé de la musicalisation d'une œuvre” 2.

1 Fantapié, 2005, p. 15. 2 Id., 2005, p. 389.

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D'autres pratiques instrumentales sont à l'œuvre dans la direction de chœur,

pendant les phases de répétition. Tout d'abord, le chant, instrument privilégié du

chef de chœur, aide précieuse dans l'exemple musical, dans la mise à portée de sa

conception de l'interprétation. Le piano, instrument réalisateur, s'inscrit comme

relais de la voix, très utile dans la mise à disposition de l'exemple polyphonique de

l'œuvre, et dans le soutien harmonique du chœur.

La direction de chœur s'inscrit également dans cette pratique artistique en ce

qu'elle se déroule in situ et qu'elle requiert des prises de décisions et une adaptation

en temps réel, au cours du déroulement sonore de l'interprétation de l'œuvre.

Donnons un exemple d'un enchaînement possible de déroulement de répétition :

- le chef dirige le chœur qui chante ;

- le chef demande au chœur de suspendre l'interprétation (ou le chœur suspend

de lui-même l'interprétation en raison d'un problème particulier l'empêchant de

continuer à chanter) ;

- le chef procède à des ajustements concernant les différents paramètres

musicaux et l'interprétation. Ces ajustements peuvent être des consignes verbales,

des exemples chantés, des exemples instrumentaux - notamment, le piano ou tout

autre instrument polyphonique ;

- le chef dirige à nouveau l'œuvre, en tenant compte, dans son geste, des

consignes qu'il a données.

Les adaptations se font alors même que le chef est dans l'action de sa direction

par le geste. Le geste est lui même au service des choix opérés parmi la palette des

possibles interventions en répétition, lorsque le chœur s'arrête de chanter. Une

pratique qui s'effectue donc dans une dynamique sans cesse en évolution.

Des connaissances théoriques mobilisées dans les pratiques

Le chef de chœur est un musicien qui, quel que soit son niveau d'expertise

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musicale, a besoin de connaissances théoriques dans l'exercice de sa fonction.

Prenons par exemple le cas d'un chef de chœur ayant étudié la musique dans

un conservatoire et abordant avec son chœur des œuvres du répertoire écrit sur

partition. Le solfège est un savoir indispensable pour avoir accès à l'œuvre à travers

sa trace écrite. Il comporte une forte dimension théorique. Mais in fine, le but de

son étude n'est autre que celui de pouvoir transformer les signes musicaux en sons,

et d'appliquer la théorie dans la pratique instrumentale.

La culture musicale – l'analyse, l'histoire de la musique, l'esthétique –,

s'actualisent également dans le travail de l'œuvre pendant les phases de préparation

des répétitions, dans celles du travail avec le chœur.

Dimension pédagogique de la direction de chœur

La direction musicale d'un concert requiert une phase préalable de répétitions

ainsi qu'une préparation de ces répétitions. Le chef de chœur peut être considéré

comme un pédagogue car il mène une réflexion sur la mise en œuvre de la

répétition. Il fixe les objectifs de travail, il est au cœur des situations

d'enseignement-apprentissage, il met en place des stratégies de répétition, il guide

les chanteurs dans leur progression.

Son travail commence dès le choix du programme, qu'il effectue en fonction

du niveau du groupe, de l'âge des chanteurs, de leur nombre, des conditions dans

lesquelles se déroulent les répétitions et des lieux dans lesquels s'effectueront les

concerts.

L'adaptabilité du chef de chœur est une composante majeure dans les

situations pédagogiques rencontrées.

Chaque consigne que le chef donne ou chaque exemple qu'il chante est motivé

par l'appréciation rapide qu'il effectue pendant que le chœur chante. Ce diagnostic

va alors l'aider à réagir et à proposer des ajustements. Ces derniers ne se font pas

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dans un ordre aléatoire. Le chef organise les différentes consignes qu'il va donner,

de telle façon qu'à la prochaine reprise du passage interprété, le chœur puisse

mettre à profit les ajustements proposés.

Ainsi le travail du chef se situe-t-il à deux niveaux : un niveau d'anticipation,

qui garantit l'efficacité du geste et qui permet l'organisation des ajustements à

effectuer, et un niveau d'action en temps réel, constitué de l'écoute/diagnostic du

chœur ainsi que de la retombée de l'anticipation du geste de direction.

C'est aussi cette adaptabilité qui permet au chef de réagir à toute situation qui

ne se présente pas comme il l'avait prévue et d'optimiser le travail avec le chœur.

SPÉCIFICITÉS DE L'ENSEIGNEMENT DE LA DIRECTION DE

CHŒUR

Présentation

L'enseignement de la direction de chœur s'est considérablement développé ces

quinze dernières années dans les conservatoires à rayonnement départemental et à

rayonnement régional. Le nombre de ces établissements se situe actuellement aux

alentours de trente.

Les conservatoires nationaux supérieurs proposent respectivement une

formation de direction de chœur (Lyon), et une formation de direction de chœur

grégorien (Paris). Quelques écoles maîtrisiennes proposent une initiation à la

direction.

Comme le montre l'un des premiers rapports sur cet enseignement

(Deslandres, 2001), cette discipline présentait une importante hétérogénéité dans

les premières années de son enseignement. Peu à peu, les enseignants ont exprimé

la volonté d'une plus grande structuration de la discipline. Très vite a émergé la

question de l'homogénéisation des niveaux entre les différents établissements, afin

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que la circulation des étudiants puisse s'effectuer dans de bonnes conditions.

Par ailleurs, avec l’émergence de la discipline dans les Centres de Formation

des Enseignants de la Musique – formation diplômante délivrant le Diplôme

d’État – il a fallu proposer des cursus conduisant à ces formations, mais également

définir les conditions d’accès aux classes de direction de chœur.

Parallèlement, les sessions de rencontre entre les différents acteurs se sont

multipliées, notamment sous l’impulsion du ministère de la Culture et de la

communication, et avec les partenariats de structures telles que l’Institut Français

d’Art Choral ou les associations régionales. Elles ont permis de confronter les

propositions quant à la définition des compétences en direction de chœur.

Face aux caractéristiques de la direction de chœur, l'enseignement de cette

pratique artistique s'organise suivant deux spécificités : un enseignement incluant

plusieurs disciplines, une formation pouvant conduire les élèves vers une

professionnalisation.

Un enseignement incluant plusieurs disciplines

La plupart des conservatoires confient l'enseignement de la direction de chœur

à une équipe pédagogique comprenant l'enseignant de la discipline principale,

coordinateur de la formation, et les enseignants chargés des disciplines

complémentaires.

Ce découpage de l'enseignement en plusieurs disciplines vient de la nécessité

d'offrir aux étudiants des enseignements spécialisés dans les différentes branches

nécessaires à l'acquisition de compétences spécifiques requises pour l'activité de

direction. Le formateur en direction de chœur est un spécialiste de la direction. Cela

n'implique pas qu'il ait les compétences pour être formateur dans les autres

disciplines complémentaires, même si par exemple, il est pianiste, chanteur, et qu'il

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a suivi de surcroît des cursus d'érudition musicale.

La discipline principale comporte les enseignements relatifs à la direction. Les

disciplines complémentaires comprennent les enseignements relatifs aux

connaissances et techniques particulières que l'élève doit acquérir dans le but

d'exercer l'activité de direction de chœur. Selon les établissements, le nombre et la

nature de ces enseignements diffèrent ; mais on retrouve dans la majeure partie des

cas un socle commun : formation musicale, chant, piano – notamment la réduction

et l'harmonisation au clavier –, analyse musicale, écriture musicale. Parmi ces

disciplines complémentaires, nous trouvons également l'histoire de la musique,

l'esthétique, la direction d'orchestre, l'acoustique.

La mise en pratique des notions et techniques abordées fait également partie

intégrante de cette discipline. Des activités de tutorat, au cours desquelles les

apprentis chefs de chœur dirigent des chorales de différents niveaux sous la

responsabilité de leur enseignant de direction, viennent assurer cette expérience de

terrain.

Un enseignement visant une formation professionnelle

Les conservatoires, notamment les établissements à rayonnement régional, ont

pour mission, à coté de l'initiation et de l'éducation des jeunes enfants, la formation

des futurs musiciens professionnels.

Une des vocations des classes de direction de chœur est donc de répondre à

cette spécificité. À côté des jeunes étudiants de conservatoire visant une

spécialisation, ou d'adultes motivés par une initiation, des musiciens ayant

l'ambition d'une carrière viennent chercher une formation de ce type. Certains

étudiants sont en reconversion professionnelle. Pour ces derniers, l'enjeu est

majeur, et le passage par ce cursus s'avère indispensable pour intégrer des

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préparations au Diplôme d'État ou présenter l'examen en externe.

La plupart des étudiants, notons le également, exercent déjà la direction de

chœur soit dans le milieu associatif, soit dans des écoles de musique. Cette situation

est quelque peu particulière. L'étudiant vient chercher dans cette institution les

outils adaptés à ses besoins de terrain.

En même temps, l'institution offre une formation visant l'acquisition de

compétences spécifiques à l'activité exercée. Nous y reviendrons plus loin.

L'enseignement de la direction de chœur va donc se présenter comme une

formation complexe à mettre en œuvre, dans laquelle seront développés :

- des enseignements en vue d'une expertise musicale et technique.

- des enseignements en vue d'une acquisition de compétences pédagogiques et

professionnelles.

DES RÉFÉRENCES POUR L'ENSEIGNEMENT DE LA DIRECTION

DE CHŒUR

L'analyse des spécificités de la direction de chœur et de son enseignement a

permis de mettre en exergue plusieurs points que nous allons rappeler :

- un domaine d'activités revêtant une forte dimension sociale ;

- une implantation institutionnelle variée ;

- un domaine de pratiques dont certaines sont liées à des connaissances

théoriques ;

- une activité pouvant s'exercer à différents niveaux d'expertise musicale ;

- un enseignement spécialisé de la direction de chœur orienté à la fois vers

l'enseignement initial et vers l'enseignement pré-professionnel.

Cette analyse incite à faire l'hypothèse selon laquelle la question de la

référence pour l'enseignement de la direction de chœur ne peut être envisagée que

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dans une dimension plurielle du savoir, et que les pratiques, expertises,

compétences présentes dans l'exercice même de l'activité, ainsi que les contextes

institutionnels dans lesquels les activités se déroulent doivent être également pris en

compte.

L'observation de cet aspect multiple de la référence pour la direction de chœur

trouve un appui théorique dans l'élargissement de la théorie de la transposition

didactique tel que Jean-Louis Martinand l'a présenté dès 1981 (Martinand, 1981,

1986, 1989, 2001), mais également dans les propositions des chercheurs d'autres

disciplines, notamment celles issues de la didactique de l'enseignement

professionnel.

Pratiques sociales de référence

Jean-Louis Martinand, dans sa conception élargie de la transposition

didactique, a défendu pour la didactique de la physique une position qui tend à

prendre en compte “non seulement des savoirs mis en jeu, mais les objets, les

instruments, les problèmes et les tâches, les contextes et les rôles sociaux”1 pour

penser le problème de la référence.

C'est en cela qu'il parle de pratiques. Il s'agit donc de penser ces pratiques

" dans tous leurs aspects y compris dans leurs composantes de savoirs, discursifs ou

non, explicites ou implicites, individuels ou collectifs "2.

Ce qu'il appelle “pratiques sociales de référence”, est caractérisé ainsi :

" - ce sont des activités objectives de transformation d'un donné naturel

ou humain (‘pratique’)

- elles concernent l'ensemble d'un secteur social, et non des rôles

1 Martinand, 2001, p. 19 2 Ibid., p. 22.

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individuels (‘social’)

- la relation avec les activités didactiques n'est pas d'identité, il y a

seulement terme de comparaison (‘référence’) "1.

Sa démarche est née de la nécessité d'analyser la problématique " du degré

d'authenticité des activités scolaires proposées, par rapport aux activités

productives industrielles"2. Cette problématique s'imposait à lui pour la

caractérisation des objectifs dans le cadre de choix de contenus pour une initiation

aux techniques de fabrication mécaniques. Selon lui, un des principes

fondamentaux d'élaboration de contenus d'enseignement consiste à “ comparer de

manière systématique les activités, les situations, les matériels avec leurs éléments

correspondants dans des pratiques dont on veut donner à travers l'enseignement une

image réaliste” 3.

En ce qui concerne l'enseignement de la direction de chœur, on peut considérer

comme référence des pratiques issues du domaine de la direction de chœur. Cela ne

signifie pas pour autant que sont laissés de côté les savoirs qui leur sont liés. Il

convient au contraire de les définir précisément et d'analyser comment l'un et l'autre

s'articulent.

Liens entre pratiques et savoirs

Les spécificités de la direction de chœur nous permettent de noter en premier

lieu la présence de pratiques et de savoirs complémentaires.

Il nous semble indispensable, à ce stade, de clarifier notre terminologie.

1Martinand, 1986, p. 137. 2 Ibid., p. 128. 3 Ibid., p. 286.

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Pratique

Lorsque nous parlons de pratique, nous comprenons ce terme non seulement

dans son acception la plus courante – une activité humaine volontaire et la façon

concrète dont elle se déroule – mais aussi dans sa composante adaptative et

réflexive, qui nous intéresse particulièrement ici, comme nous l'avons vu dans le

paragraphe consacré à la dimension pédagogique de la direction de chœur.

Ce point de vue est à rapprocher de ce que Gaston Mialaret nomme " pratique

de troisième niveau " dans son analyse de la pratique de l'éducateur. Celle-ci " est

non seulement une réponse adaptée aux exigences de la situation, mais elle est

considérée par le sujet comme la recherche d'une solution – originale évidemment –

aux problèmes rencontrés dans la réalité quotidienne»1, ce qui la distingue de celles

de premier et second niveau, où le comportement du sujet est exempt de créativité.

C'est l'analyse de la situation, c'est cette faculté réflexive qui permettent à

l'éducateur d'inventer des réponses aux situations rencontrées.

En direction de chœur, le chef, directeur musical mais également pédagogue,

se trouve constamment confronté à cette situation d'inventivité adaptative en

fonction de la réponse sonore du chœur face à son geste, ses consignes, et ses

exemples musicaux.

Savoir

Lorsque nous parlons de savoir, il convient en premier lieu de délimiter le sens

que nous attribuons à ce concept. Nous proposons pour cela de nous référer à la

définition de Philippe Perrenoud. Celui-ci propose " de réserver la notion de savoir

ou de connaissance à des représentations du réel et aux concepts et théories

1 Mialaret, G., 1998, p. 164.

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savantes, expertes ou de sens commun qui les structurent »1. En direction de chœur,

plusieurs savoirs sont impliqués :

- d'une part, les savoirs nécessaires à la pratique de la direction de chœur.

Parmi eux, certains sont théoriques, comme ceux liés aux notions solfégiques, ou

encore, au vocabulaire de l'analyse musicale.

- d'autre part, les savoirs réflexifs de la pratique, grâce auxquels sont possibles

les ajustements dont nous avons parlé plus haut.

- enfin, les savoirs sur la pratique, produits par l'analyse des situations

rencontrées.

Comment articuler pratique et savoir ?

Selon nous, loin de s'opposer, ils se complètent dans une dynamique où la

pratique génère des savoirs qui eux-mêmes s'actualisent dans de nouvelles

pratiques.

Sur les pas de Philippe Perrenoud, nous postulons qu'il n'y a pas de savoirs

sans pratiques, ni de pratiques sans savoirs2. Pour l'auteur, les savoirs " pratiques "

tels que savoirs en acte, savoirs implicites, les savoirs professionnels ont la

particularité d'être « contextualisés, liés à une expérience et à des formes d’action

dont on ne les détache que pour les besoins de l’analyse»3.

Si les savoirs savants bénéficient, par leur statut social, d'une possible

décontextualisation, on ne peut pas pour autant les détacher complètement de ce qui

les a fondés. Ceci fait dire à l'auteur :

" On peut tenter de ‘faire abstraction’ des porteurs concrets d’un savoir,

de le décontextualiser, d’effacer toute ‘trace de présence humaine’. 1 Perrenoud, 1998, p. 500. 2 Ibid. 3Ibid., p. 492.

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L’abstraction qui en résulte n’aura, en fin de compte, de sens que si elle est

pensée par quelqu’un, qui la recontextualisera immédiatement en la reliant à

d’autres représentations, à son passé, à ses projets, à sa place dans la société.

Même le chercheur le plus ‘désincarné’ ne peut découvrir une théorie pointue

dans son champ de spécialisation sans se dire immédiatement : ‘ Pourquoi ne

l’ai-je pas trouvée moi-même ? Est-elle aussi solide qu’elle le paraît ? ’, sans

se demander en quoi elle va renforcer sa propre pensée ou la mettre en crise"1.

En direction de chœur, tous les savoirs en présence, du fait de leur

mobilisation dans l'action, subissent cette recontextualisation immédiate dans

chaque situation particulière.

Philippe Perrenoud justifie l'affirmation qu'il n'y a pas de pratiques sans

savoirs, en mettant en avant qu'aucune pratique ne peut se dérouler sur un mode de

pilotage automatique pendant toute sa durée. Toute pratique nécessite, à un moment

ou un autre, des phases de réflexion qui ont pour but d'anticiper ce qui va suivre, en

fonction de problèmes spécifiques rencontrés. L'auteur précise :

" Le savoir ne se présente pas alors comme un système organisé pour lui-

même, mais comme un ensemble de ressources dans lesquelles le praticien va

puiser, au gré des besoins de l’action "2.

Les réflexions de Philippe Perrenoud s'appliquent à la direction de chœur.

Nous affirmons que la direction – idéalement s'entend – n'admet aucune routine.

Dans une pratique instrumentale, il peut arriver qu'on laisse les doigts fonctionner

tout seuls, dans des moments où la concentration se relâche. Quel pianiste n'a pas

vécu ce phénomène où la pensée s'absente du contrôle des mains, laissant les doigts

à leurs automatismes, au risque d'entraver le jeu de ce qui va suivre.

1 Ibid., p. 494. 2 Ibid., p. 502-503.

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Il en va de même pour la direction : l'essence même de l'activité est de

" conduire " le chœur, c'est à dire d'avoir toujours une pensée d'anticipation par

rapport à ce que l'on désire qu'il comprenne. Déconnecté de sa pensée, le geste de

direction perdrait les fonctions qui lui sont assignées, et deviendrait inopérant.

L'effet qui en résulterait est ce qu'on appelle dans le langage des chefs " se laisser

diriger par le chœur ". À ce moment, le geste n'a plus de prise sur le son. Ce

phénomène est observable, où l'on voit le posé du geste arriver après l'émission du

son.

La direction ne peut donc se passer de cet ensemble de ressources qui en

assure l'efficacité.

« Savoirs techniques » et « savoirs hautement techniques »

Dans le cadre d'un questionnement sur la genèse des savoirs étudiés du point

de vue de leur apprentissage, Samuel Johsua introduit la notion de " savoirs

techniques " :

" J'appellerai [...] ‘savoirs techniques’ l'ensemble des cibles

d'apprentissage repérables qui nécessitent une étude systématique en vue de

leur maîtrise. Dans cette classification, il importe peu que les cibles en

question ne se manifestent que sous la forme d'une ‘pratique’ [...], comme ce

sera souvent le cas, ou d'une ‘théorie’"1 .

L'auteur oppose ce savoir, lié à une étude, à celui constitué par « frayage ».

Mais cette opposition n'est en aucun cas synonyme de frontière infranchissable. Au

contraire, selon lui, toute cible qui n'est pas technique ou hautement technique au

départ peut le devenir. Il parle de « continuum », mettant en avant qu'il n'existe pas

1 Johsua, 1998, p. 82.

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de frontière nette entre ces savoirs1.

Parmi les « savoirs techniques », Samuel Johsua distingue encore ceux qui

" nécessitent pour ce faire des dispositifs intentionnels, séparés en général de

l'environnement courant, et dont l'exemple est celui des écoles ". Il appelle ces

cibles des " savoirs hautement techniques ", et les relie aux institutions

spécialisées2.

L'auteur met également en avant l'aspect rare mais inévitable de l'étude (les

savoirs techniques) pour les apprentissages. Rare, car les individus auraient

toujours tendance à éviter au maximum l'étude, pour n'intégrer que les informations

disponibles dans leur contexte environnemental, et n'entreraient en « étude », que

lorsque cette forme d'apprentissage " économique " n'est plus possible. Inévitable,

car même dans le cas d'un apprentissage hors de toute institution ou de toute

contrainte extérieure, par exemple, d'une pratique personnelle, l'étude reste

présente.

Ce type d'appréhension des savoirs nous intéresse particulièrement pour

l'enseignement de la direction de chœur. Il réduit l'opposition pratique/théorie, car

les " savoirs techniques " et les " savoirs hautement techniques " réunissent les deux

notions dans une même catégorie. Il engage également à prendre en compte la part

de " frayage " dans les apprentissages.

Même si le conservatoire est une institution où se déroulent les apprentissages

de savoirs hautement techniques clairement annoncés, il reste un espace où siègent

l'implicite, le caché, par le jeu de dynamiques internes, et en écho des expériences

faites hors de l'institution.

Si la diversité des profils de chefs est associée aux conditions et aux contextes

1 Ibid., p. 84. 2 Ibid., p. 84.

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dans lesquels la pratique artistique se déroule, elle n'en est pas moins liée à cet

élément qu'est l'apprentissage, et au niveau d'étude du sujet. Le terrain de la

direction de chœur voit ainsi se côtoyer des chefs ayant divers niveaux d'expertise

– cela dit sans jugement de valeur. Ces niveaux dépendent du parcours personnel

de chaque sujet engagé dans une pratique de direction, et en particulier du degré

d'apprentissage préalable dont il est porteur, que cet apprentissage ait été effectué

ou non dans le cadre d'un enseignement spécialisé.

« Savoirs experts », « savoirs personnels »

La notion de savoir expert a été introduite par Samuel Johsua, dans le cadre de

l'extension du concept de transposition didactique à d'autres disciplines que celles

pouvant se réclamer d'un savoir savant. L'auteur cherche à identifier ce qui

différencie un savoir savant de tout autre savoir. Selon lui, la distinction est de

nature institutionnelle :

" Les institutions où vivent les deux types de savoir diffèrent en termes de

reconnaissance sociale. Sont considérés comme savants les savoirs qu'une

société donnée considère comme tels à un moment donné de son histoire "1.

Ainsi distingue-t-il :

- les savoirs savants, " pour lesquels une communauté restreinte a obtenu

le droit social de ‘dire le vrai’ d'une manière universelle (ou du moins à

l'échelle de toute une formation sociale) ".

- les savoirs experts, " propres à des groupes dont la visibilité est en

général moins grande, et qui surtout ne disposent pas d'un ‘droit de tirage sur

la vérité’ aussi étendu ".

- les savoirs personnels, pour lesquels " l'institution ‘experte’ concernée et 1 Johsua, 1996, p. 67.

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son réseau peuvent se résumer à quelques individus, voire à un seul »1.

Il est à noter que ces savoirs nommés " experts " par le chercheur ne sont

autres que les " savoirs techniques " et les savoirs " hautement techniques " réunis.

Selon lui, ce sont les savoirs experts qui sont les plus répandus à une époque et

dans une société données.

Nul doute que les savoirs musicaux puissent entrer dans cette catégorie.

L'auteur donne un exemple en ce sens2. En direction de chœur, le geste de direction

peut s'imposer comme un savoir expert, mais également la réduction de la partition

de chœur au piano, ou encore le chant de chaque partie vocale.

De tels savoirs experts peuvent être identifiables dans tous les axes ayant trait

au geste et au travail avec le chœur.

Compétences

L'analyse des savoirs de direction présentée ci-dessus montre que les savoirs

pratiques, techniques, théoriques, pour une part savants, sont présents de manière

imbriquée dans l'activité de direction. Tous ces savoirs peuvent être mobilisés dans

des compétences permettant au chef de chœur de faire face aux différentes

situations rencontrées avec le chœur.

Tout d'abord, précisons ce que l'on entend par compétence : on peut définir la

compétence comme un savoir en action. Elle serait du côté des savoir-faire de haut

niveau, ceux de bas niveau étant plutôt du côté des habiletés3.

Les compétences présentent les caractéristiques suivantes :

1 Johsua, 1998, p. 92-93. 2 Ibid. p. 93. 3 Perrenoud, 1995, p. 75.

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" - une compétence suppose un rapport à l’action : c’est sur ce point que

se situe la différence la plus nette avec les connaissances ; la dimension

opératoire prend le pas sur la dimension conceptuelle ;

- une compétence s’inscrit dans un contexte : elle ne peut être postulée à

priori, elle est toujours finalisée et demande une mise en œuvre effective, à

l’inverse des capacités qui peuvent être envisagées comme un préalable à

l’action ;

- une compétence mobilise la dimension cognitive : les ressources

intellectuelles du praticien se traduisent sous diverses formes, analyse de

situations, résolution de problèmes, décisions, régulations ;

- une compétence se présente comme une intégration complexe de savoirs

disciplinaires, de savoirs de situation, en vue d’une prise de décision ou d’une

résolution pertinente ;

- une compétence implique un processus de validation. Le praticien est

reconnu compétent à partir de critères ou d’indicateurs donnés 1 ».

Nous pouvons donner quelques exemples pour le domaine de la direction de

chœur et présenter les compétences classées en deux catégories :

- les compétences d'ordre musical et culturel

- les compétences pédagogiques.

Il est à noter qu'il n'est pas question de faire une séparation nette entre le

musical et le pédagogique, le musical étant toujours présent dans la situation

pédagogique qu'est la répétition ou dans les interprétations en répétition et non

uniquement dans les interprétations de concert.

Les compétences musicales en direction de chœur sont liées à la culture

générale musicale – histoire et culture musicale, styles, analyse, harmonie,

1 Jorro, 2002, p. 8.

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répertoire. Elles sont également associées à l'écoute et à la pratique instrumentale

(chant, clavier, geste) ainsi qu'aux connaissances des langues et de la phonétique,

qui sont directement liées à l'identité même de la musique vocale. Par exemple :

- élaborer une interprétation en fonction du style du compositeur ;

- chanter les parties séparées de l'œuvre chorale telles que souhaitées ;

- jouer au clavier la réduction de l'œuvre ;

- prononcer un mot, une phrase de langue étrangère et donner son sens ;

- lire un mot, une phrase grâce à la phonétique internationale, y compris pour

la langue maternelle ;

- diagnostiquer les écarts de réalisation musicale du chœur par rapport à la

partition ;

- diriger en anticipant les événements musicaux ;

- diriger l'œuvre chorale avec une gestique fidèle aux choix d'interprétation.

Les compétences pédagogiques sont liées à la pédagogie elle-même, à la

gestion et à l'animation de la répétition. Par exemple :

- choisir un répertoire adapté au chœur en présence ;

- communiquer verbalement les choix musicaux opérés en amont ;

- procéder aux ajustements susceptibles de faire progresser le chœur vers

l'interprétation souhaitée ;

- organiser le déroulement de la répétition en fonction des œuvres abordées ;

- gérer l'organisation de la répétition dans le temps imparti ;

- diriger l'œuvre chorale en incluant dans le geste les éléments relatifs aux

consignes données pendant la répétition ;

- animer la répétition de manière à susciter le désir de progression de la part

des chanteurs.

Si l'on reconnaît de telles compétences dans l'activité de direction de chœur, on

peut défendre l'idée qu'une formation de chefs de chœur va inclure les dispositifs

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permettant l'acquisition de ces compétences.

Cette question du développement de compétences en formation n'est pas

spécifique à la direction de chœur : le concept de compétence a été souvent analysé,

notamment dans le cadre de la didactique de l'enseignement professionnel, où le

rapport entre formation et professionnalisation est particulièrement étroit. (Jorro,

2002 ; Raisky, 1996, 2001 ; Rogalski et Samurçay, 1994 ; Vergnaud, 1992).

Dans une formation professionnelle, il s'agit de concevoir des programmes

d'étude qui permettent aux étudiants de développer des compétences pour être

opérationnels dans le monde du travail.

Les formations en direction de chœur sont pour une part des formations à visée

professionnelle, comme nous l'avons souligné plus haut. Un concepteur de

programme dispose de documents tels que le référentiel du diplôme d'État de

professeur de musique, rédigé en termes d'activités et de compétences. Cela

implique que les institutions spécialisées puissent proposer des dispositifs de

formation qui favorisent le développement de ces compétences. Cela s'avère

d'autant plus nécessaire que tout étudiant titulaire du Diplôme d'Études Musicales

d'un conservatoire, en fonction de son parcours antérieur, peut prétendre à se

présenter au Diplôme d'État ou au Certificat d'Aptitude sur épreuves, sans passer

par une formation supérieure diplômante. On retrouve d'ailleurs cette nécessité sur

toute la chaîne des cursus de direction, quel que soit le niveau d'études des élèves.

Cela peut se comprendre si l'on considère qu'une partie de l'évaluation s'effectue en

situation réelle de direction, ce qui consiste, pour le chef, à mener devant un jury

une séquence de travail avec un chœur.

Imaginer ces dispositifs de formation et élaborer des contenus d'enseignement

implique que la référence ait été préalablement construite. Nous utilisons le terme

de construction, car, tout comme pour l'enseignement professionnel, la référence

pour la formation des chefs de chœur est à construire. D'où l'idée de référentiel

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professionnel, qui constitue un " recueil des activités spécifiques du métier ou de

l'ensemble de métiers visés "1.

Pour construire cette référence, il s'agirait d'une part d'analyser les activités

réelles des chefs de chœur dans les diverses situations qu'ils rencontrent, de repérer

comment les savoirs décrits plus haut sont mobilisés dans les compétences

spécifiques aux situations, d'autre part de dégager des invariants dans les pratiques

de direction et de répétition afin de créer un modèle de ces pratiques. Ce qui rejoint

les propositions de Rogalski et Samurçay, qui envisagent la construction d'un

" corps de savoirs de référence ", décrit comme " un ensemble organisé d'invariants

dégagés sur les dispositifs opérationnels, les fonctions à remplir, avec différents

niveaux descriptifs, et partiellement prescriptifs "2.

Cette démarche permet de mettre en évidence les points pertinents pour

élaborer les contenus d'enseignement, et créer des situations didactiques qui

favorisent le développement des compétences identifiées comme représentatives

d'objectifs à atteindre.

CONCLUSION

À travers cette contribution, nous avons tenté d'éclairer la problématique de la

référence aux savoirs dans l'enseignement de la direction de chœur. Le concept de

" pratiques sociales de référence " développé par Jean-Louis Martinand, et les

travaux des chercheurs en didactique de la formation professionnelle ont constitué

un cadre théorique privilégié pour étayer notre analyse.

1 Raisky, 1996, p. 46. 2 Rogalski et Samurçay, 1994, p. 67.

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Nous avons tout d'abord cherché à rendre compte de la complexité du domaine

du chant choral, en mettant en exergue la variété des contextes d'implantation de

l'activité et la diversité de profils des chefs de chœur.

L'analyse des spécificités de la direction de chœur et de son enseignement a

permis de mettre en avant la dimension plurielle des savoirs pouvant servir de

référence pour l'enseignement de la direction de chœur.

Les savoirs de la direction de chœur sont, pour la plupart, liés à des pratiques.

Nous avons cherché à analyser le couple savoirs/pratiques, et à montrer son

articulation.

À la lumière des travaux de Samuel Johsua, nous avons identifié les savoirs de

la direction de chœur comme des savoirs techniques et hautement techniques que

l'auteur nomme savoirs experts. Nous avons situé les compétences tant musicales

que pédagogiques comme centrales en direction de chœur.

L'identité de l'enseignement de la direction de chœur comme formation de

type professionnel nous a amenée à envisager une approche par compétences pour

la mise en place de programmes d'études, à l'instar de l'enseignement professionnel.

Le choix de références pour l'enseignement de la direction de chœur s'avère

complexe, en regard de la mixité des savoirs et expertises mis en jeu et des

conditions de leur actualisation. Il constitue un préambule à tout projet

d'élaboration de finalités, d’objectifs, de contenus, d’organisation et d’évaluation

d'une formation de chefs de chœur.

Comme pour beaucoup de disciplines, cette référence n'est pas disponible

immédiatement. Elle est à extraire des pratiques des acteurs de la direction et des

multiples situations dans lesquelles cet art s'exerce. Elle est ensuite à construire, par

une prise en compte de toutes les composantes de la direction de chœur, mais aussi

à partir du rapport des différents acteurs – enseignants et élèves – à cette activité et

à son apprentissage.