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UNIVERSITE LUMIERE LYON 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac. Les discours médiatiques des derniers mois de présidence. Cécile Rémusat Date de soutenance : 31 août 2007 Directrice de mémoire : Mme Isabelle GARCIN- MARROU, maître de conférences en Communication jury: M. Max SANIER, maître de conférences en Communication

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  • UNIVERSITE LUMIERE LYON 2Institut d’Etudes Politiques de Lyon

    Permanences et évolutions des figures deJacques Chirac.Les discours médiatiques des derniers mois deprésidence.

    Cécile RémusatDate de soutenance : 31 août 2007

    Directrice de mémoire : Mme Isabelle GARCIN-MARROU, maître de conférences en Communication

    jury: M. Max SANIER, maître de conférences en Communication

  • Table des matièresRemerciement . . 6Introduction . . 7La figure de l’homme . . 13

    Figure du vieil homme . . 13Figure du vieil homme dépassé . . 14L’anniversaire de Jacques Chirac . . 15

    Figure du père et du mari . . 22Le mari . . 22Le père et le grand-père . . 26

    Figure de l’homme sympathique . . 30Une idée communément admise, une figure médiatique persistante . . 30L’exemple du Salon de l’agriculture : la figure « populiste » de Jacques Chirac . . 32

    Conclusion partielle . . 36La figure du politique . . 38

    Le candidat ? . . 38Le Figaro . . 39Le Monde . . 39Libération . . 40Comparaison . . 41

    Le politique qui existe en opposition à un autre . . 42Dans la presse, une figure récurrente . . 43Dans la presse satirique . . 48

    Conclusion partielle . . 50La figure du président . . 52

    Le Président en exercice . . 52Le Monde . . 53Le Figaro . . 54Libération . . 55Comparaison . . 55

    Le Président coupable . . 56Le Monde . . 57Le Figaro . . 58Libération . . 59Comparaison . . 60

    Le Président en fin de règne . . 61Le Monde . . 61Le Figaro . . 62Libération . . 63Comparaison . . 64

    Conclusion partielle . . 65

  • Conclusion . . 68Bibliographie . . 73

    Ouvrages . . 73Revues . . 73Documentaires . . 73Bande dessinée . . 73Emission télévisée . . 73Hebdomadaire . . 74Interviews . . 74

    Corpus . . 75Le Monde . . 75Le Figaro . . 75Libération . . 75

    Annexes . . 77Annexe 1 . . 77Annexe 2 . . 85Annexe 3 . . 86Annexe 4 . . 88Annexe 5 . . 89Annexe 6 . . 90Annexe 7 . . 91Annexe 8 . . 92Annexe 9 . . 93Annexe 10 . . 94Annexe 11 . . 94Annexe 12 . . 95Annexe 13 . . 96Annexe 14 . . 98Annexe 15 . . 99Annexe 16 . . 100Annexe 17 . . 102Annexe 18 . . 103Annexe 19 . . 105

    Chirac profite des ses vœux pour mettre en garde Sarkozy . . 105Annexe 20 . . 106Annexe 21 . . 107Annexe 22 . . 108Annexe 23 . . 108Annexe 24 . . 110Annexe 25 . . 111Annexe 26 . . 113Annexe 27 . . 115

  • Annexe 28 . . 116Annexe 29 . . 118Annexe 30 . . 118Annexe 31 . . 120Annexe 32 . . 121

  • Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

    6 REMUSAT Cécile_2007

    RemerciementJe tiens à remercier Madame Isabelle Garcin-Marrou qui a toujours trouvé le temps de répondre àmes questions, et qui a su me guider dans ce travail.

    Je voudrais aussi remercier Monsieur Max Sanier qui a accepté de faire partie de ce jury.

    Un grand merci à ces deux professeurs pour leur aide et leurs précieux conseils tout au longde mon parcours à l’Institut d’Etudes Politiques.

  • Introduction

    REMUSAT Cécile_2007 7

    Introduction

    Cette année 2007 marque la fin de la présidence de Jacques Chirac, débutée en 1995.Cette grande figure politique a déjà fait couler beaucoup d’encre en quarante années decarrière, dont douze années passées au pouvoir (annexe1). Les ouvrages consacrés à cepersonnage incontournable dans l’histoire contemporaine française ne manquent pas, toutcomme les commentaires sur son bilan en tant que président.

    La personnalité de Jacques Chirac recouvre ainsi de multiples identités évoquées dansles médias. Il s’agit ici d’étudier les permanences et les évolutions de ces figures durant lesderniers mois de son mandat.

    Car Jacques Chirac est un homme politique, un président, mais aussi un homme dont lalongue carrière s’achève à soixante-quatorze ans. Ce départ annoncé rythme l’informationau cours des derniers mois de sa présidence, dans un contexte de lutte pour sa succession.Cette lutte politique, engagée notamment entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal débuteofficiellement dès la fin de l’année 2006, période où débute ce travail d’analyse. L’investiturede Ségolène Royal par le parti socialiste, le 16 novembre 2006 marque le point de départprécis de recueil des données.

    Dans le contexte préélectoral, Jacques Chirac laisse planer le doute sur ses intentionspour 2007, se plaçant ainsi comme un candidat potentiel, même si cette candidature semblefinalement improbable pour les observateurs politiques. La présidence de Jacques Chiracsemble en effet toucher à sa fin depuis la succession d’échecs politiques et de crises: l’échecélectoral massif de la droite aux élections régionales, en mars 2004, le non au référendumsur le projet de constitution européenne, en mai 2005, la crise des banlieues, entre octobreet novembre 2005, et celle du CPE en mars 2006.

    Autant de remises en cause du gouvernement et du président de la République,qui apparaît dépassé et en décalage avec les inquiétudes d’une partie de la population,notamment les jeunes. C’est ainsi que les rétrospectives sur sa carrière, nombreuses durantla période étudiée, ne manquent pas de rappeler sa rencontre avec des jeunes avantle référendum sur la constitution européenne. Dans cet exercice d’un nouveau genre, leprésident, apparu en « décalage », disait alors « ne pas comprendre » leur peur de l’avenir1.

    Malgré ces échecs, malgré les critiques et les doutes, Jacques Chirac choisit de garderpour lui ses intentions jusqu’au tout dernier instant. Il ne se prononcera qu’en mars 2007,soit quelques semaines avant le premier tour. Cette ambiguïté dans la parole se retrouvedans les figures évoquées par les médias quand ils évoquent le président de la République.Les interrogations demeurent à chaque visite officielle, avec la même remarque : est-ce ladernière ? Il en va ainsi de ses « derniers » vœux à la presse ou de « sa dernière rencontreFrance-Afrique ».

    C’est aussi à cette période que resurgissent des figures apparues dans le passé,ou qu’émergent de nouvelles. Il s’agit de s’interroger sur l’apparition de ces identités,permanentes ou en évolution, et leur explication dans le contexte politique.

    1 Patrick ROTMAN,Chirac, le vieux lion, documentaire, octobre 2006

  • Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

    8 REMUSAT Cécile_2007

    Ces identités sont inhérentes au statut de Jacques Chirac, à la fois homme et chef del’Etat. Par sa fonction, il représente symboliquement la France. Ernst Kantorowicz 2évoquela dualité de l’homme et du dirigeant en l’appliquant aux souverains. Dans « Les Deux Corpsdu Roi », il distingue un corps naturel et un corps politique. L’objet de cette étude repose enpartie sur cette vision de Jacques Chirac, à la fois homme et homme d’Etat. Une nuanceest cependant apportée avec une distinction entre la figure de l’homme politique et celledu président. Car le statut d’homme politique apparaît comme un point intermédiaire entrecelui de président de la République et celui de simple citoyen. En effet, l’homme politiqueest sujet à des luttes, des oppositions, ainsi qu’à des doutes et des remises en question.Le président, se doit, en théorie, d’incarner un peuple dans son ensemble, et se place audessus des luttes pour le pouvoir, puisqu’il possède ce pouvoir. Quant à l’homme, il est celuiqui se définit comme simple être humain, mû par des passions, et qui n’existe pas par cequ’il représente mais par ce qu’il est en essence. Il s’agit ainsi de se pencher sur le corpsnaturel de Jacques Chirac, évoqué dans les médias, puis sur son corps politique.

    L’émergence de la figure de l’homme dans les discours médiatiques sur un dirigeantpolitique existe depuis quelques années, ce qui motive aussi l’analyse de cette identité.Dominique Mehl 3évoque ainsi une « psychologisation du discours public, du jeu socialet politique et de l’homme publique. » Il s’agit ainsi de comprendre comment les médiasabordent la vie privée d’un homme public, et dans quel but. Il s’agit aussi de savoir sicette intrusion d’une figure plus personnelle se fait en contradiction avec les autres, plusprofessionnelles, et si cette figure profite ou non à l’homme public. Il est important d’analyserdans quel contexte émerge cette identité nouvelle, inhabituelle, qui place Jacques Chiracdans un autre registre que celui du président ou de l’homme politique : il apparaît commeun mari, un père, un grand-père, avec des traits de caractère reconnus.

    Jacques Chirac apparaît dans la posture du chef de famille de façon assez rare. Lamédiatisation de sa femme, Bernadette, lors notamment de l’opération « pièces jaunes »,qui se tient chaque année, rend présente, de façon implicite, la figure du mari. Cette figures’affirme surtout quand le président Chirac est évoqué par sa femme. Et c’est ce qui seproduit à la fin de son mandat. Par les paroles de Bernadette Chirac, la figure du mari devientde plus en plus présente.

    La figure du père est un aspect très mystérieux de Jacques Chirac, qui ne se montrejamais avec ses deux filles. Sa cadette, Claude, le suit dans ses déplacements et s’occupede toute la communication du président, mais leurs relations apparaissent alors trèsprofessionnelles, d’autant plus que Claude, pourtant la plus exposée des deux filles deJacques Chirac, demeure elle-même loin des médias. Quant à sa fille aînée, Laurence,de santé fragile, elle n’apparaît jamais en public. La figure du père concernant JacquesChirac, quand elle resurgit, apparaît alors comme douloureuse ; une certaine pudeur et ungrand silence entourent donc cette figure. Pourtant, là encore, Jacques Chirac parle de sapaternité et d’une certaine culpabilité avant de quitter l’Elysée.

    La situation est à peine différente pour la figure du grand-père. Jacques Chirac a unseul petit-fils, Martin. Même si celui-ci a toujours, comme le reste de la famille, été éloignédes médias, Jacques Chirac n’hésite pas, là non plus, à le présenter en public, à ses côtés.

    Les deux autres identités apparaissent incontournables de fait.

    2 Ernst KANTOROWICZ, Les Deux Corps du roi, 19573 Dominique MEHL, La télévision de l’intimité , Seuil, 1996

  • Introduction

    REMUSAT Cécile_2007 9

    Celle de l’homme politique se distingue par deux figures récurrentes dans les médiasdurant ces derniers mois de présidence : une opposition constante à Nicolas Sarkozy,ministre de l’Intérieur, et un doute permanent sur l’annonce officielle de son départ, ou, defaçon très peu probable, de sa candidature. Cette opposition politique, voire personnelle àun autre acteur ainsi que ce statut de candidat potentiel ne peuvent pas être traités dansle cadre de la figure du président.

    La figure du candidat potentiel s’impose peu à peu par le silence du président. Ade nombreuses reprises, Jacques Chirac aurait eu l’occasion de préciser ses intentionspour 2007 mais s’en est abstenu, multipliant les sous-entendus et suscitant le doute. Parexemple, lors du dernier sommet France-Afrique, Jacques Chirac déclare : « c’est mondernier sommet…pour cette année ! »

    Malgré ou à cause de ces incertitudes, les médias ne manquent pas de le décrire enopposition à Nicolas Sarkozy. Ce dernier apparaît comme le double de Jacques Chirac,en plus jeune. Leurs carrières, leurs ambitions respectives, leurs parcours sont, pour lesobservateurs, des plus comparables.

    La dernière identité, la figure du président, fait partie des figures permanentes endouze ans de magistrature suprême. Elle recouvre ainsi de multiples réalités pendant lapériode étudiée : un président en exercice, qui demeure à la tête de l’Etat même dans uncontexte préélectoral, et doit remplir ses fonctions de représentant de la France lors devoyages officiels.

    La figure du président en fin de règne apparaît elle aussi : Jacques Chirac, même s’il esttoujours le chef de l’Etat, ne semble plus détenir le pouvoir pour longtemps. Une nouvellegénération d’hommes et de femmes politiques entend prendre la relève.

    A ces deux identités se joint une troisième, déjà préexistante depuis plusieurs années,mais qui resurgit peu avant la fin de son mandat: celle du président coupable. En effet,pendant la présidence de Jacques Chirac, des « affaires » retiennent l’attention des médias.Depuis les années 1990, le nom de Jacques Chirac est régulièrement évoqué dans huitaffaires judiciaires impliquant notamment la Mairie de Paris. La plupart de ces affaires sontdéjà jugées (certains de ses proches collaborateurs comme Michel Roussin, Yvonne Casetaou Alain Juppé ont été condamnés), classées sans suite ou sont en cours. Durant sonmandat de Président de la République, Jacques Chirac refuse de témoigner devant la justiceet de se rendre aux convocations des juges, invoquant le statut pénal de sa fonction etl’immunité présidentielle qui en découle. Le 16 juin 2007 (un mois après la fin de son mandat)celle-ci arrive à son terme et ce retour au statut de simple citoyen fait resurgir dans la pressela figure du politicien malhonnête qui va enfin devoir rendre des comptes.

    Méthode d’analyse

    L’objectif est de confronter trois quotidiens : Le Monde, le Figaro et Libération et des’interroger sur les permanences dans leur traitement d’une information, leurs similitudes,leurs différences. Ces trois quotidiens nationaux reflètent trois lignes éditoriales distinctes,ainsi que trois positionnements politiques. Le Monde serait plutôt de centre gauche, leFigaro, de centre-droit, et Libération serait le journal le plus à gauche des trois.

    Il s’agit de vérifier si ces positionnements politiques connus influent sur la manière detraiter l’actualité de Jacques Chirac : les figures abordées sont-elles les mêmes pour unsujet identique ? Sont-elles variées ? Les qualificatifs pour désigner Jacques Chirac sont-ils propres à un quotidien ?

  • Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

    10 REMUSAT Cécile_2007

    Il s’agit d’étudier trois articles par thème et de les comparer. Issus des trois quotidiensétudiés, les trois papiers choisis traitent toujours du même événement, afin de faire ressortirles différences entre leur traitement de l’information. L’objectif consiste à observer commentle Monde, le Figaro et Libération couvrent un même événement, afin de mettre en exergueleurs similitudes, et leurs différences.

    Après l’étude de chaque article, l’analyse se concentre sur leur comparaison, endéveloppant notamment quelles autres figures sont présentes hormis celle initialementétudiée.

    Avant de procéder à une comparaison des trois quotidien, qui peut faire apparaître denouvelles figures, chaque article est analysé. Dans cette analyse préliminaire, il s’agit dese concentrer sur la figure premièrement évoquée, afin de voir de quelle façon cette figureapparaît dans chacun des trois quotidiens. Il s’agit ainsi d’étudier de façon particulière lesqualificatifs, les attributions de paroles, les citations choisies et leur recontextualisation parle média. L’angle de l’article demeure capital, ainsi que la volonté ou non du médias de faireressortir la figure supposée.

    Les événements sur lesquels portent les articles étudiés sont sélectionnés selon leurpertinence en rapport avec le thème étudié.

    La figure de l’homme :Pour évoquer la figure du vieil homme, il s’agit de privilégier une étude des articles

    concernant le soixante-quatorzième anniversaire de Jacques Chirac, qui a lieu le 29novembre 2006.

    Pour la figure du mari, l’étude porte sur l’écho médiatique de l’émission « VivementDimanche », consacrée à Bernadette Chirac, diffusée le 11 février 2007.

    La figure du grand-père, assez rare, transparaît de façon évidente avec l’apparitionpublique du petit-fils du président, lors d’une visite officielle, le 3 avril 2007.

    Dans le cadre de l’identité plus « populiste » et « sympathique » de Jacques Chirac,aucun événement ne relève objectivement de ce registre, soumis à la subjectivité de chacun.Mais une manifestation annuelle permet d’aborder cette dimension de l’identité de JacquesChirac : la Salon de l’Agriculture, qui se tient le 5 mars 2007. Il s’agit donc de se concentrersur le côté « populaire » de l’homme d’Etat, relayé ou non par les médias, et sa façond’aborder les hommes.

    La figure de l’homme politique :Elle recoupe deux dimensions : le candidat potentiel aux élections présidentielles et le

    politique qui existe en opposition à Nicolas Sarkozy.La presse évoque pendant cette période la possibilité d’une candidature de Jacques

    Chirac. Même très peu probables, celle-ci doit rester envisageable du fait du silence duprincipal intéressé, jusqu’au tout dernier instant. Pour étudier cette figure du candidatpotentiel, il s’agit d’étudier le traitement médiatique de ses vœux aux Français, le 31décembre 2006, pendant lesquels il donne des orientations d’avenir, tel un futur candidat,sans annoncer son retrait de la vie politique.

    La figure de Jacques Chirac en opposition à un autre homme politique aurait purecouvrir de multiples facettes, Jacques Chirac ne manquant pas d’opposants. Mais defaçon très claire, durant la période étudiée, les médias se concentrent sur les tensions quiexisteraient entre lui et une personne précise : Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur.

  • Introduction

    REMUSAT Cécile_2007 11

    Cette opposition pourrait prendre trois dimensions car elle concerne à la fois deux hommesqui se connaissent depuis des années, ainsi qu’un président et son ministre.

    La juste mesure entre les deux étant une opposition entre deux hommes politiques.Tout comme d’autres figures de Jacques Chirac énoncées dans les médias, celle-ci sembledifficile à concentrer autour d’un unique événement. Car cette figure ressort dans la majoritédes articles consacrés à Jacques Chirac durant les derniers mois de son mandat. Maisle discours médiatique semble avoir stigmatisé cette opposition de façon accentuée aprèsles vœux de Jacques Chirac à son gouvernement, le 3 janvier 2007. Ce discours àson équipe gouvernementale lui aurait permis, selon la presse, d’adresser directementdes avertissements à Nicolas Sarkozy. D’un discours apparemment destiné à plusieursdestinataires, les trois quotidiens étudiés retiennent ainsi surtout un message à l’attentiond’un seul homme.

    La figure du président :Elle se distingue en trois catégories : le président en exercice, le président coupable,

    et le président en fin de règne.La figure du président en exercice demeure le point de base de chacun des

    articles consacrés à Jacques Chirac lors de déplacements officiels. L’un d’entre eux retientparticulièrement l’attention : son hommage aux Justes de France, le 18 janvier 2007. Cetévénement sert de base à l’étude de cette figure car il se produit au moment même oùles médias n’hésitent pas à présenter jacques Chirac sous les traits de l’homme politique,candidat ou s’opposant à un autre. Mais dans cette période de trouble des identités, la figuredu président demeure présente.

    Le président coupable est une figure qui ressort le 11 avril 2007 dans les médias, à lasortie d’un article du Canard Enchaîné, selon lequel Jacques Chirac aurait passé un accordsecret avec Nicolas Sarkozy afin d’échapper à la justice à la fin de son mandat.

    Le président en fin de règne est une figure récurrente durant les derniers mois dumandat de Jacques Chirac, mais trouve un large échos dans la presse le 11 mars 2007,lorsque le président annonce finalement ses intentions pour les prochaines élections. Lesderniers doutes sur sa candidature disparus, Jacques Chirac disparaît peu à peu de la scènemédiatique, avec un dernier adieu peu avant la passation de pouvoir au nouveau présidentSarkozy.

    Une conclusion partielle vient clore chacune des trois parties. Ces conclusions ne visentpas à reprendre les analyses précédentes en les confrontant une nouvelle fois. Il s’agit plutôtd’une ouverture à partir d’un ou plusieurs ouvrages pour aborder sous un angle différent lafigure choisie. Il s’agit alors parfois de sortir de l’analyse purement médiatique.

    Pour la figure de l’homme, cette conclusion porte sur la construction d’une identitépersonnelle du politique par les médias. Brigitte le Grignou et Erik Neveu4 évoquent undévoilement des affects dans « Emettre la réception, préméditations et réceptions de lapolitique télévisée » . Mais il s’agit aussi de démontrer que l’homme politique maîtrise laconstruction de ces identités, comme le montre Dominique Mehl, dans « La télévision de

    l’intimité » 5 .

    4 Brigitte LE GRIGNOU et Erik NEVEU, Emettre la réception, préméditations et réceptions de la politique télévisée5 Dominique MEHL, La télévision de l’intimité , Seuil, 1996

  • Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

    12 REMUSAT Cécile_2007

    Pour la figure du politique, l’ouverture s’effectue grâce à une étude d’ Annie Collovalddans la revue « Actes de la recherche en sciences sociales » 6portant sur les outilsbiographiques du politique. On voit ainsi comment se construit l’identité de l’hommepolitique, entre parcours professionnel et données plus personnelles.

    Pour la figure du président, la conclusion partielle se base sur une comparaison de troisfins de règne présidentiel. Le point de vue de l’historien Henri Amouroux7 permet d’aborderde façon plus critique celui du journaliste, remettant en perspective les figures évoquéespar les médias.

    6 Annie COLLOVALD, Actes de la recherche en sciences sociales , numéro 73,19887 Henri AMOUROUX, Trois fins de règne, éditions Jean-Claude Lattès, collection Essais et documents , 2007

  • La figure de l’homme

    REMUSAT Cécile_2007 13

    La figure de l’homme

    Jacques Chirac est certes le cinquième président de la cinquième République, mais il n’estplus réduit à sa seule fonction politique depuis de nombreuses années. Un recadrageidentitaire s’opère en effet lors de sa première élection au poste de président, en 1995. Cerecadrage s’effectue précisément durant la campagne de 1995 qui l’opposait à EdouardBalladur, présenté comme favori. La personnalité de Jacques Chirac est alors mise enavant dans certains médias, pour expliquer d’une façon plus psychologique son parcourspolitique. Si ce type d’analyse débute de façon parodique dans les « Guignols de L’info », ilest ensuite repris dans certains papiers comme ceux de Ghislaine Ottenheimer au « NouvelEconomiste », ou de Pascale Nivelle à « Libération ». Dès lors, la personnalisation de cepolitique se répand, comme le soulignent Annie Collovald et Erik Neveu : « l’intimité deJacques Chirac va être exploitée alors qu’auparavant il n’était qu’un personnage public sans

    vie privée » 8 .

    Cette figure de Jacques Chirac en tant qu’« homme » est peut-être plus que jamaisprésente dans les discours médiatiques durant ses derniers mois de présidence. JacquesChirac fait ainsi figure de vieil homme, mais aussi figure de père, de mari, et de grand-père. Le nom de Jacques Chirac est en outre associé depuis ses premières annéesde présidence à un adjectif laudatif employé autant par ses amis que par ses ennemispolitiques (notamment les ministres socialistes durant la cohabitation de 1997-2002) 9:Jacques Chirac serait un homme « sympathique ». Une sympathie qui se traduit par l’imagedevenue commune depuis 1995 de Jacques Chirac proche du peuple. L’émergence decette figure « populiste », expliquée par Annie Collovald et Erik Neveu10 serait alors néede la représentation purement fictive qu’en auraient fait les Guignols de l’Info pendant lacampagne présidentielle de 1995.

    Figure du vieil hommeErnst Kantorowicz formule, à partir du cas de Frédéric II de Hohenstaufen, sa théorie des« deux corps du roi »11 : le corps mortel, sujet aux vicissitudes et aux injures de la vie, et lecorps immortel, corps glorieux qui survit à l’enveloppe charnelle. Il s’agit ici de s’intéresser aucorps mortel de Jacques Chirac, aujourd’hui âgé de soixante-quatorze ans, et au traitementmédiatique de sa personne autour d’une identité apparue avec le temps, celle du vieilhomme. Les médias font-ils état de cette figure identitaire, et dans quelle mesure ?

    8 Annie COLLOVALD et Erik NEVEU, Les « Guignols » ou la caricature en abîme, revue Mots, numéro 48, septembre 1996, p-110.9 Patrick ROTMAN,Chirac, le vieux lion, documentaire, octobre 200610 Annie COLLOVALD et Erik NEVEU, Les « Guignols » ou la caricature en abîme, revue Mots, numéro 48, 1996, p-104

    11 Ernst KANTOROWICZ, Les Deux Corps du roi, 1957

  • Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

    14 REMUSAT Cécile_2007

    Figure du vieil homme dépasséJacques Chirac a traversé plus de quarante années de vie politique française. Déjà durant lacampagne de 1995, Lionel Jospin le qualifiait de « vieilli, usé, fatigué ». Jacques Chirac faitmaintenant figure d’ancien, ou de « vieux lion », comme l’évoque le titre du documentairede Patrick Rotman, en octobre 2006, consacré à celui qui était encore le président de laRépublique. Un président en fin de règne. Un homme qui fait partie de ce que l’on appellele troisième âge, ce que n’hésitent pas à souligner certains médias au moment où apparaîtune nouvelle génération de politiques.

    Ainsi, Franz-Olivier Giesbert n’hésite pas à décrire le vieil homme qu’est devenuJacques Chirac : « avec tous ses kilos perdus, il ressemble de nouveau au jeune hommequ’il était, le grand échalas à lunettes aux airs d’oiseau de proie. Sauf qu’il a une moitiéde siècle en plus sur ses épaules et que des lambeaux de peau pendent sous sonmenton comme du linge à sécher. Sauf, surtout, qu’il ne cesse de se ménager. Il quitteprécipitamment les déjeuners pour aller « piquer un roupillon » et même s’il a encore de

    l’allant, marche souvent à pas comptés, comme un futur petit vieux » 12 . Précisons encore

    que le récit se fait au présent, ou au passé, mais le futur de Jacques Chirac n’est évoquéqu’à travers l’éventualité de sa mort et du souvenir qu’il laissera de lui.

    De même, l’émission satirique « Les Guignols de l’info » met en scène le vieuxprésident, proche de la retraite. Qu’il soit en pantoufles, devant sa télévision, en compagniede sa femme, Bernadette, ou qu’il dise à celle-ci « non, pas cette année », quand elle ôte sonpeignoir. Il n’est ainsi pas épargné par la figure du vieil homme aux habitudes tranquilles,ayant perdu sa vitalité de jeune homme. La marionnette même a évolué avec le temps :sont apparus verrues, poches sous les yeux, double menton, ainsi que de profondes etinévitables rides.13

    Pierre Péan lutte contre ces représentations dans son livre « L’inconnu de l’Elysée » 14

    : « Chirac a été, est de son temps […] Malgré sa longévité politique, ce sentiment viscéralsur l’égalité des cultures a fait de lui un président parfaitement adapté à son temps».Cettedéfense farouche du président Chirac, présente tout au long du livre, s’étend à l’homme: « Jacques Chirac n’a certes pas vingt ans, mais il est en pleine forme, physique et mentale ».Pourtant, Pierre Péan semble seul à vouloir atténuer une figure qui s’impose avec le temps.

    Car ces insistances sur l’âge de Jacques Chirac se font alors que celui-ci laisse encoreplaner le doute sur une éventuelle candidature à l’élection présidentielle de 2007. Tandisque les principaux prétendants sont tous quinquagénaires, Jacques Chirac fait figure devieil homme dépassé. Jacques Chirac ne peut pas maîtriser les commentaires sur unevérité aussi indiscutable que son âge. Selon les observateurs, ses soixante-quatorze anspèsent lourd dans ses chances de remporter un troisième scrutin présidentiel consécutif.L’insistance des médias sur la figure du vieil homme ne va donc pas dans le sens d’unenouvelle candidature probable de Jacques Chirac. La figure du vieil homme renvoie àl’image de la retraite, de la fin de l’action, même en politique. L’ancien doit ainsi laisser laplace aux plus jeunes. C’est pourquoi la figure de l’homme, tout simplement, semble prendreune part importante dans le traitement médiatique du président de la République. Car une

    12 Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006, p-401.13 Les Guignols de l’info, Canal +, 200614 Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007.

  • La figure de l’homme

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    fois cette fonction symbolique disparue, il ne restera que Jacques Chirac le simple citoyen.Le corps naturel survivra ainsi au corps symbolique.

    Malgré tout, cette mise en évidence de son âge avancé se fait moins dans la presseécrite que dans la presse télévisuelle. Cet état de fait se confirme dans les discoursmédiatiques sur le soixante-quatorzième anniversaire de Jacques Chirac.

    L’anniversaire de Jacques ChiracJacques Chirac fête ses soixante-quatorze ans le 29 novembre 2006. Il s’agit alors deson dernier anniversaire en tant que président en fonction. Du côté médiatique, il s’agit des’interroger sur la façon dont les trois journaux étudiés abordent cet événement : vont-ilsinsister sur l’âge avancé du président ? L’information aurait pu être minime, personnalisée,et faire l’objet d’un court article, comme l’annonce celui que le Monde fait paraître la veilledu jour J, intitulé « 74, l’âge du président ». Ce papier, assez court pour être cité dansson intégralité, donne un aperçu de ce qu’aurait pu être la couverture médiatique de cetanniversaire.

    « Mercredi 29 novembre, Jacques Chirac fêtera ses 74 ans, après plus de onzeannées passées à l'Elysée. Ce jour-là, le chef de l'Etat sera à Riga, en Lettonie,pour un sommet de l'OTAN. Le traditionnel pot amical avec ses collaborateursaura donc lieu le lendemain. Le cadeau : lié aux arts premiers, comme chaqueannée ? "Ce sera comme d'habitude", confirme-t-on à l'Elysée. Cette fois-là estpourtant particulière. Elle sera sans doute la dernière du genre. Et puis les tempschangent : dans la campagne présidentielle qui vient, les principaux candidats, àdroite, à gauche ou au centre, sont quinquagénaires. Et l'investiture triomphalede Ségolène Royal, au PS, a donné un coup de vieux à tout le monde. Mais, pourune fois, Nicolas Sarkozy n'en a pas rajouté : il a promis qu'il n'annoncerait passa candidature le 29. »

    L’originalité de cette date réside selon ce papier dans le fait qu’il s’agit du dernieranniversaire du président Chirac pendant ses fonctions : «Cette fois-là est pourtantparticulière. Elle sera sans doute la dernière du genre ». Le journaliste ne manque pasde rappeler les informations habituelles, telles que le cadeau d’anniversaire ou la tenuedu « pot amical », sans toutefois omettre de rappeler, comme l’indique le titre, le nouvelâge du président, « 74 ans ». Un âge qui semble faire de Jacques Chirac un homme d’unautre temps (« les temps changent » ) par opposition à celui des nouveaux acteurs de lavie politique, pour la plupart, « quinquagénaires ». Comme tout le monde, Jacques Chiracprend alors « un coup de vieux » à travers ces quelques lignes, qui renforcent la figure duvieil homme désormais applicable au président français.

    Mais celui-ci va finalement bénéficier d’une couverture médiatique quelque peudifférente le jour même de son anniversaire ou le lendemain (Le Monde publie le 30novembre un long papier au ton très différent). En effet, la presse a de quoi rebondir sur dunouveau, grâce à la crise diplomatique que cet anniversaire aurait pu provoquer. Une crisequi déplace l’attention (du moins pour le Monde et le Figaro) depuis « l’âge du président »jusqu’à « l’anniversaire du président ».

  • Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

    16 REMUSAT Cécile_2007

    Car Jacques Chirac se trouve alors au sommet de l’OTAN, à Riga, en Lettonie. Or, son« ami » 15 Vladimir Poutine, le président russe, entend venir lui présenter ses vœux, ce quin’est pas du goût de certains dirigeants est-européens ou de George W. Bush. Car d’unepart cette visite imprévue serait la première d’un président russe dans l’un des trois paysbaltes, avec lesquels les relations ne sont pas des plus amicales, depuis leur indépendanceen 1991. Et d’autre part, elle risquerait d’éclipser le véritable événement, le sommet del’OTAN, dont la Russie ne fait pas partie.

    Par conséquent, l’anniversaire de Jacques Chirac se retrouve au cœur de l’actualitédu jour, mais cette fois, dans les pages internationales. Pour autant, chaque quotidien traitel’événement à sa manière, notamment le Monde et le Figaro, qu’il semble opportun decomparer puisque les deux quotidiens choisissent de traiter cet anniversaire sous l’angle dela crise diplomatique. Libération, en revanche, se distingue, évoquant davantage le « faux

    suspense » 16 sur les intentions de Jacques Chirac pour les présidentielles de 2007.

    C’est donc ainsi que titrent le Monde , le Figaro et Libération, le 29 novembre 2006 (etle 30 novembre 2006 pour Le Monde ):

    Le Monde, le 30 novembre 2006 : « Vladimir Poutine voulait fêter à Riga l’anniversairede Jacques Chirac » (annexe 2)

    Le Figaro, le 29 novembre 2006 : « un anniversaire très diplomatique pour Chirac »(annexe 3)

    Libération, le 29 novembre 2006 : « 74 ans aujourd'hui, et après? » (annexe 4)

    Le MondeLe Monde revient sur l’anniversaire de Jacques Chirac et garde une certaine distance toutau long de l’article, traitant l’information sous l’angle des interrogations qu’elle suscite chezles délégations, comme un point de vue extérieur, en quelque sorte depuis les « coulisses ».

    Ont ainsi la parole :« Les délégations » qui s’interrogent.« Les représentants des pays est-européens » qui s’indignent.« Des représentants de nouveaux pays adhérant à l’OTAN », qui « soupçonnent »

    Jacques Chirac de « russophilie ».« La présidence française » qui offre« la réponse officielle ».« Le Kremlin » qui regrette que la rencontre n’ait pu avoir lieu.Une « source américaine » selon laquelle l’affaire est minimisée.« George Bush » qui a fait une déclaration, peu applaudie du côté français, à l’intention

    de l’Ukraine et de la Géorgie, concernant leur éventuelle entrée dans l’OTAN.« Les diplomates français », sur la portée « diplomatique et symbolique » de la visite.Ces intervenants, en majorité critiques ou en opposition envers Jacques Chirac, sont

    directement cités, exceptés « les délégations » qui s’interrogent et « Les représentants des

    15 Expression employée dans les articles du Figaro, « un anniversaire très diplomatique pour Chirac », paru le 29 novembre2006, et de Libération, paru le même jour, « 74 ans aujourd’hui, et après ? ».

    16 Expression employée dans l’article de Libération.

  • La figure de l’homme

    REMUSAT Cécile_2007 17

    pays est-européens » qui s’indignent. Pourtant, ils sont les premiers évoqués, juste avant les« représentants de nouveaux pays adhérant à l’OTAN », qui soupçonnent Jacques Chirac de« russophilie ».Dès les premiers paragraphes la critique s’impose par la parole donnée auxdétracteurs qui « s'indignaient » , ou soupçonnaient (« Jacques Chirac était soupçonné »de « complaisance » et de « faire cavalier seul » .)

    « Le président russe, s'indignaient en coulisses des représentants de paysest-européens, aurait trouvé là le moyen de s'inviter en terre balte dans le butde voler la vedette à un sommet de l'OTAN, au moment où le Kremlin est misen cause pour sa politique énergétique agressive, et pour son rôle éventueldans l'assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, ou encore dansl'empoisonnement de l'opposant Alexandre Litvinenko, à Londres. JacquesChirac était soupçonné par des représentants de nouveaux pays adhérant àl'OTAN de se prêter avec complaisance à un acte de « russophilie » malvenu, etde faire cavalier seul au sein de l'Alliance. »

    La seconde partie de l’article donne certes la parole aux défenseurs de cette visite, maisd’une façon plus prudente. Les citations directes sont ainsi plus nombreuses, plaçant lejournal comme simple messager et le tenant à distance des propos tenus.

    « La réponse officielle est tombée mardi, dans la soirée. La présidence françaiseannonçait qu'un « projet de dîner » informel, qui aurait réuni mercredi à RigaM. Chirac, M. Poutine et la présidente lettonne, Vaira Vike-Freiberga, n'avait «pas pu se concrétiser, pour des raisons pratiques et logistiques ». Le Kremlincommentait de son côté que la rencontre n'aurait « malheureusement » pas lieu. »

    Et le journal insiste sur le mystère qui entoure l’annulation de la visite, laissant entendreque les excuses diplomatiques ne peuvent laisser dupe : « Les raisons de l'annulationrestaient, mercredi, assez mystérieuses, ni l'Elysée ni le Kremlin ne souhaitant s'étendresur les causes de cette confusion » .

    Mais finalement, même si les présidents français et russe sont mis en parallèle dansleurs explications et leurs motivations, les critiques ne sont pas tant dirigées contre JacquesChirac que contre Vladimir Poutine, sur lequel débute et se termine l’article. Sont ainsitout d’abord rappelés « sa politique énergétique agressive, […] son rôle éventuel dansl'assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, ou encore dans l'empoisonnementde l'opposant Alexandre Litvinenko, à Londres ». Tandis que la chute de l’article concernesur un ton apparemment dubitatif (cf. les points de suspension) l’intention du président russede lever l’embargo sur les vins moldaves.

    Paradoxalement, Jacques Chirac ne constitue donc pas le point central de l’article duMonde consacré à son dîner d’anniversaire. Il ne semble exister ici qu’en duo avec VladimirPoutine, comme en témoignent le titre ou même l’interrogation qui sert de point de départ :« Jacques Chirac allait-il marquer, mercredi 29 novembre, son 74e anniversaire en dînantà Riga en compagnie de Vladimir Poutine ? » C’est donc bel et bien le président russe etson hypothétique visite qui semblent faire de l’anniversaire de Jacques Chirac un véritableévénement. Un tel article personnalise peu Jacques Chirac (d’où une moindre insistancesur son âge)et donne davantage de relief à sa fonction présidentielle.

    Le FigaroIl en va de même pour le Figaro, mais avec d’une part une personnalisation plus présente.Les expressions pour évoquer Jacques Chirac sont ainsi plus nombreuses et diversifiées

  • Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

    18 REMUSAT Cécile_2007

    Tandis que le Monde évoque « Jacques Chirac » à deux reprises, ou « M.Chirac », ouencore, d’une façon plus distanciée, « la présidence française »-soit trois expressions entout pour quatre utilisations- le Figaro en emploie quatre différentes, pour huit évocations.

    « Jacques Chirac » revient ainsi quatre fois, « le président français », deux fois, tandisque se font plus exceptionnels des termes plus familiers, comme « Chirac », ou plusconventionnels, comme « le président de la République ».

    On note ainsi que seule une expression se retrouve commune aux deux papiers :« Jacques Chirac », pourtant deux fois plus employée dans le Figaro, qui a tendance àdavantage personnaliser cet article.

    D’autre part, le Figaro se concentre davantage sur le déroulement de la crise, mettanten scène les différents acteurs. La parole est ainsi donnée aux intervenants suivants :

    De façon directe (citation):« Le Kremlin » « Le porte-parole adjoint du Kremlin, Dimitri Peskov » « VairaKike-Freiberga », la présidente lettone « L’Elysée » « Jacques Chirac » « Desresponsables de l’Alliance atlantique » « Le porte-parole de l’Elysée, JérômeBonnafont »

    De façon indirecte (discours indirect) :« Vladimir Poutine »« Des responsables de l’alliance »

    La répartition de la parole apparaît plus en faveur de Jacques Chirac que dans l’articleprécédemment analysé, à la fois dans sa répartition et dans son ordonnancement. Lescritiques opérées par certains responsables de l’Alliance sont ainsi reléguées en toute find’article. Dès lors, même si certains termes retenus sont semblables à ceux de l’article duMonde ( « cavalier seul » ), ils sont ici cités entre guillemets. Ces citations, nombreuses,mettent ainsi la même distance entre le Figaro et les détracteurs de Jacques Chirac qu’entrele Monde et les explications officielles de l’Elysée, comme vu précédemment.

    Ainsi, quand le Monde incorpore à son article des arguments critiques de la visite deVladimir Poutine, il le fait le plus souvent en ses propres termes, faisant siens les argumentsévoqués par des responsables de l’Alliance. A l’inverse, le Figaro place ces arguments àdistance en les faisant apparaître comme une pensée individuelle :

    Le Monde : « Le président russe, s'indignaient en coulisses des représentantsde pays est-européens, aurait trouvé là le moyen de s'inviter en terre balte dansle but de voler la vedette à un sommet de l'OTAN » Le Figaro : « « On ne vaparler que de ça. Tout le reste va passer au second plan », s'inquiétaient desresponsables de l'Alliance atlantique […]» Le Monde : « Jacques Chirac étaitsoupçonné par des représentants de nouveaux pays adhérant à l'OTAN dese prêter avec complaisance à un acte de « russophilie » malvenu, et de fairecavalier seul au sein de l'Alliance. » Le Figaro : « […] en reprochant à la Francede faire « cavalier seul et d'avoir « fait beaucoup d'obstruction sur les dossiers àl'ordre du jour ». Certains y voyaient même « une véritable provocation », tant vis-à-vis des autres pays baltes, tenus à l'écart, que des nouveaux pays membres del'Otan et de l'Union européenne. »

  • La figure de l’homme

    REMUSAT Cécile_2007 19

    Ces paragraphes consacrés aux critiques concernant la visite de Vladimir Poutine à JacquesChirac ne sont pas placés de la même façon dans les deux articles : le Monde les place entête tandis que le Figaro les cite en dernière partie d’article.

    Le Figaro ouvre quant à lui son papier sur la fidélité de Jacques Chirac en amitié,qualifiant Vladimir Poutine d’ « ami bien encombrant » . La hiérarchisation diffère donc entreles deux journaux.

    Cette dimension «amicale » de la rencontre entre Jacques Chirac et Vladimir Poutine(présente avec la photo des deux chefs d’Etat illustrant l’article) est absente dans l’article duMonde, alors que le Figaro, par des termes comme « ami » ou « amitié», confère une portéeplus humaine à cet événement. Il en va de même avec la personnalisation des intervenantscités dans l’article. La présidente lettone devient ainsi « Vaira Kike-Freiberga »,le porte-parole du Kremlin, « Dimitri Peskov » et le porte-parole de l’Elysée, « Jérôme Bonnafont ».Comme vu plus haut, Jacques Chirac, lui non plus, n’est pas réduit à sa fonction, puisqueson nom est cité cinq fois, quand sa fonction présidentielle n’est évoquée que trois fois.

    En outre, si le Monde met en valeur les critiques envers cet hypothétique dîner et enversla visite de Vladimir Poutine, le Figaro établit plutôt les rebondissements dont celle-ci afait l’objet, comme en témoigne l’accumulation des indices temporels dans la narration del’article : « hier soir », « dès dimanche », « ensuite », « initialement », « dans un premiertemps », « hier, en définitive ». Cette narration des faits aboutit à la mise au second plande toute critique, ainsi que du personnage contesté de Vladimir Poutine, point central del’article du Monde. En effet, quand ce dernier titre «Vladimir Poutine voulait fêter à Rigal’anniversaire de Jacques Chirac », le Figaro, lui, n’évoque que le président français : « Unanniversaire très diplomatique pour Chirac ».

    Ces détails semblent confirmer l’hypothèse selon laquelle le Figaro, journal plus axé àdroite que le Monde, montre un peu plus d’indulgence à l’égard du président Chirac. Cetteindulgence apparaît à travers la hiérarchisation des paroles et des informations concernantun événement délicat pour le président français.

    Et pourtant, cette « indulgence » passe aussi par une plus grande personnalisation,au risque de mentionner de façon plus appuyée la vieillesse de l’homme. Car le statut de« doyen » de Jacques Chirac n’est pas oublié, contrairement au Monde, qui se contentede citer son âge sans le commenter (du moins dans l’article du 30 novembre). Le Figaroconsacre ainsi le dernier paragraphe de son papier à la seule personne de Jacques Chirac,en rappelant une fois encore sa fidélité en amitié (qui encadre l’article puisqu’elle est citéeen première et dernière ligne) :

    « Né le 29 novembre 1932, le président français est l'un des doyens desdirigeants de ce monde et, avec le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, l'undes plus anciens en exercice. À cinq mois seulement de la fin de son mandat,c'eût été prendre un risque que de s'afficher avec le maître du Kremlin. MaisJacques Chirac n'en a cure. Il répète depuis toujours qu'« il ne faut pas humilierla Russie ». « À ma connaissance, la Russie est un pays ami », fait valoir le porte-parole de l'Élysée, Jérôme Bonnafont. Et d'ailleurs, ajoute-t-il, « le président de laRépublique parle de tout avec le président Poutine ». »

    Libération

  • Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

    20 REMUSAT Cécile_2007

    Le journal Libération se distingue de ses deux concurrents en adoptant un point de vuedécentré pour traiter l’anniversaire du président. La visite de Vladimir Poutine n’est ainsiplacée qu’au rang d’anecdote, de façon presque insignifiante.

    Le journal peut dès lors se concentrer sur les intentions de Jacques Chirac pour lesprésidentielles de 2007. Deux figures sont intimement liées dans cet article, celles del’homme, étudiée ici, et celle du politique, analysée plus tard. Car son âge (qui relève dela dimension humaine) et ses mandats successifs (qui relèvent de la dimension politique)font douter d’une nouvelle candidature.

    Dans un premier temps, l’article de Libération traite de la contestée visite de VladimirPoutine, pour mieux l’ignorer ensuite. Cet épisode, point central des deux précédentsarticles étudiés, est ainsi relégué au rang d’anecdote, évoqué en seulement quelques lignes.Avec un ton nettement plus décalé que le Monde et le Figaro, Libération donne rapidementles principaux faits avant de recentrer son papier sur la personne du président.

    « Persuadé qu'il s'agit de la der de ders pour son «ami Jacques», le RussePoutine a même tenté de s'inviter aux agapes, alors que son pays n'est pasmembre de l'Otan et qu'un leader russe n'est jamais bienvenu dans un Etat balte.Embarrassé, l'Elysée avait expliqué que Poutine avait «exprimé le souhait devenir rencontrer le Président pour lui présenter ses vœux». Finalement, leKremlin a annoncé hier soir que Poutine ne se rendrait «malheureusement» pas à Riga, «compte tenu de l'impossibilité de coordonner les emplois dutemps» ».

    Dans un second temps, le journal se concentre donc sur les intentions de Jacques Chiracpour les élections présidentielles de 2007, recentrant l’attention de son public sur les affairesintérieures et sur les échéances électorales de 2007. Car celles-ci s’invitent dans le titre,qui s’interroge sur l’avenir, « 74 ans aujourd’hui, et après ? », ainsi que dans le chapô, quidonne d’emblée le ton de l’article.

    « Alors qu'il fête son anniversaire au sommet de l'Otan, à Riga, Chirac feinttoujours de s'interroger sur sa présence à la présidentielle »

    Le papier de Libération va ainsi à l’essentiel et se focalise sur la personne du présidentChirac qui vit ses derniers mois de mandat, comme s’il vivait aussi avec cet anniversaireses derniers mois d’existence. Certaines expressions témoignent de cette ambiance de finde vie : « la der de ders », « tournée d'adieux », « derniers mois de mandat », « bilan ».

    Dans le même temps, Jacques Chirac est présenté comme un homme qui, malgré sonâge et la fin proche de son mandat, n’a pas fini de faire parler de lui. L’article se base surles propos qu’il suscite de toute part. Interviennent ainsi des personnalités de l’entouragede Jacques Chirac:

    « Les très rares fidèles »« Des proches, comme François Baroin ou Philippe Douste-Blazy » « NicolasSarkozy »par les propos de « l’un de ses bras droit » « Bernadette Chirac »« Patrick Devedjian, conseiller politique de Sarkozy et ex-avocat du chef del'Etat »

    Par ces interventions, notamment celle de Bernadette Chirac et de proches, la figure del’homme s’impose à l’esprit, et se confond avec celle du politique qui souhaite exister jusqu’àla fin. Comme si Jacques Chirac refusait de disparaître, au sens propre et figuré.

  • La figure de l’homme

    REMUSAT Cécile_2007 21

    Ici, la figure du vieil homme n’est pas synonyme de déchéance, bien au contraire.Jacques Chirac apparaît comme celui, « très offensif » qui a « des malices plein sonsac » , « a occupé le terrain » et « cherché à peser sur les débats de la présidentielle »en « tourmentant » Nicolas Sarkozy. La confirmation étant donnée par Bernadette : « monmari n'est pas gâteux». En effet, si l’âge du président est rappelé à titre d’information enouverture, il n’est pas commenté, comme dans l’article du Figaro rappelant que son âgefaisait de Jacques Chirac un « doyen ». Libération , au contraire, met l’accent sur les« malices » de Jacques Chirac. La figure du vieil homme ressemble ici davantage à celledu « vieux singe » que du vieux sage ou du vieillard grabataire.

    Comparaison

    L’anniversaire de Jacques Chirac pourrait marquer un tournant dans le traitementmédiatique du président, à l’approche de la fin de son mandat. Il est certain que ce pas deplus dans le troisième âge ne passe pas inaperçu dans un contexte de lutte préélectorale.Mais seul Libération aborde l’avenir à partir de cet épisode. Le Figaro et le Monde ont uneapproche plus factuelle. Le passé composé et l’imparfait, temps du récit, sont ainsi plusprésents dans ces deux derniers quotidiens, quand Libération emploie aussi beaucoup leprésent, dans une démarche plus analytique, ainsi que le futur à travers certaines citationssur l’avenir de Jacques Chirac.

    La figure du vieil homme n’est finalement pas la plus avancée à l’occasion del’anniversaire de Jacques Chirac. Elle est parfois supplantée par celle du président qui doitéviter une crise diplomatique.

    Les trois titres étudiés traitent de différentes façons les diverses figures identitaires deJacques Chirac. Ainsi apparaît-il davantage comme le président dans l’article du Monde,la figure de l’homme étant plus présente dans l’article du Figaro, mais surtout, dans celuide Libération.

    Et pourtant, cette figure ne transparaît pas de la même manière dans ces deuxquotidiens puisque le Figaro, même s’il met l’accent sur l’âge avancé du président, sembleaussi plus indulgent vis à vis de ce dernier. Le journal n’évoque d’ailleurs à aucun momentla fin de son mandat.

    Le Figaro et le Monde se rejoignent sur ce point : les deux quotidiens évoquentl’anniversaire de Jacques Chirac comme un épisode du présent, alors que cet anniversaireest un prétexte pour aborder l’avenir dans l’article de Libération.

    Libération, qui ne dresse en rien le portrait d’un homme en déclin. Le journal insiste eneffet sur la malice du président plus que sur son âge. Et la photo illustrant l’article montre unJacques Chirac souriant devant son gâteau d’anniversaire (légende : « Jacques Chirac etson gâteau, mercredi à Riga »). L’homme n’apparaît donc pas vieux, mais simplement surle départ, prêt à livrer sa dernière bataille. Cette mise à l’écart de la figure du vieil homme auprofit d’une identité plus politique permet peut-être à ce journal de gauche de susciter peude sentiments chez ses lecteurs à l’égard de Jacques Chirac. En le représentant commecelui qui entend bel et bien exister jusqu’au bout, « comme un général sans armée, prêtà un baroud d’honneur », l’article de Libération suscite l’amusement du lecteur, au mieux,son respect, mais pas sa compassion.

  • Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

    22 REMUSAT Cécile_2007

    Figure du père et du mariJacques Chirac a toujours évité d’exposer sa vie personnelle, comme il l’explique à Pierre

    Péan dans « l’inconnu de l’Elysée » 17 . Cette discrétion, à l’opposé de la nouvelle

    « peopolisation » du politique, se traduit par une figure du père et du mari plutôt absente desmédias. Les seules images de Jacques Chirac avec sa fille Claude demeurent ainsi celles duprésident en action, puisque Claude Rey Chirac est la conseillère en communication de sonpère. Et même ces instants sont assez rares, Claude Chirac désirant rester dans l’ombre. Lemystère est encore plus grand autour de la fille aînée de Jacques Chirac, Laurence. JacquesChirac est aussi le père adoptif d’une vietnamienne, Anh Dao Traxel. Mais là encore la vieprivée du président demeure plutôt secrète. Bernadette Chirac, quand à elle, fait partie dela scène publique, en tant que première dame de France, et connaît une forte médiatisationlors de l’opération annuelle « Pièces Jaunes ».

    Pour autant, les médias font assez rarement référence à la figure du mari pour définirJacques Chirac. Certes, la vie personnelle du président est évoquée à partir de 1995, dans

    une « psychologisation […] de l’homme publique » 18 , mais cette identité du président est-

    elle permanente d’un média à un autre, ou diffère-t-elle selon le type de presse ? Les articlesétudiés dans lesquels se retrouvent la figure du père ou du mari sont issus de différentssupports, mais très peu de la presse quotidienne nationale.

    Le mariL’exemple le plus probant de cette figure durant les derniers mois de présidence de JacquesChirac est l’émission de Michel Drucker du 11 février 2007, consacrée à Bernadette Chirac.Dans « Vivement dimanche » et « Vivement dimanche prochain », le président Chirac estévoqué et présenté comme le mari de Bernadette, ce qui constitue une grande première.Bernadette Chirac tient donc la vedette et révèle quelques éléments de sa vie avec leprésident. Ce dernier ne prend finalement la parole que dans un entretien d’une vingtainede minutes avec Michel Drucker, durant lequel il s’exprime en tant que mari, et non en tantqu’homme public. Le calendrier joue pour beaucoup dans cette intervention télévisée nonofficielle, puisque la fin du mandat approche avec les élections présidentielles. Jusqu’à cejour, Jacques Chirac ne s’est pas prononcé sur ses intentions. Et c’est dans « Vivement

    dimanche » qu’il évoque pour la première fois « l’après » 19 , comme ne manque pas de

    le souligner la presse avant même la diffusion.L’émission de Michel Drucker fait écho au livre de Pierre Péan, « L’inconnu de l’Elysée »

    20 , paru le 14 février 2007, soit presque au même moment. Cet ouvrage se base surdes entretiens de l’auteur avec le président de la République, entre l’été 2006 et le débutde l’année 2007. Il s’agit pour Pierre Péan de mettre l’accent sur d’autres aspects deJacques Chirac, des aspects inconnus. D’où le titre. L’auteur évoque ainsi de façon tout àfait subjective le côté « humain » du Président et entend répondre aux précédents ouvrages,plus critiques, envers Jacques Chirac. Sont ainsi cités puis contrés les arguments ou les

    17 Pierre PEAN, « L’inconnu du l’Elysée », Fayard, 200718 Dominique MEHL, La télévision de l’intimité , Seuil, 1996

    19 Cf. le titre du Figaro du 9 février 2007, « Jacques Chirac commence à évoquer l’après »20 Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007

  • La figure de l’homme

    REMUSAT Cécile_2007 23

    dénonciations parus dans « Le Résident de la République », de Jean-Marie Colombani, « LaTragédie du Président », de Franz-Olivier Giesbert, ou encore « L’Homme qui ne s’aimaitpas », du même auteur. Il semble opportun de signaler la proximité entre « L’inconnu del’Elysée » et « Vivement dimanche », qui se complètent dans le temps et leur support, endonnant une même image de Jacques Chirac. Ainsi, Pierre Péan, lui aussi, laisse la paroleà Bernadette Chirac (les interventions de cet ouvrage étant uniquement celles de prochesdu président ou du président lui-même, contrairement au livre de Frantz-Olivier Giesbert).Les courtes interventions de Bernadette Chirac contribuent à susciter une certaine émotion.Par exemple, lorsqu’elle évoque la mort de la mère de son époux : « il était alors Ministrede l’Agriculture. A la fin de l’été 1973, ma belle-mère, très malade, était à Bity. Mon mariest venu passer 24 heures avec nous. Puis il repart pour Paris, mais, peu après, sa mèremeurt. Je réussis à le joindre et lui dis : « c’est fini ! - Déjà ! » me répond-il. Ce «déjà »jel’entendrai jusqu’à la fin de mes jours… »

    A l’évocation de ce décès, le lecteur ne peut s’empêcher de ressentir de la peine pourle Président, pour ce fils qui vient de perdre sa mère, pour cet homme qui apprend la terriblenouvelle de la bouche de sa femme.

    Pleine d’empathie, l’émission de Michel Drucker va dans le même sens. Elle n’a aucuneportée critique et évite les sujets qui dérangent : par exemple, la rencontre entre Jacqueset Bernadette Chirac à Sciences Po est longuement évoquée, ainsi que leurs études, maisil n’est pas précisé que Bernadette Chirac n’a pas obtenu son diplôme, comme le rappellele Monde.

    L’émission, plus encore que l’ouvrage de Pierre Péan du fait de l’image, permet derendre visible une figure jusque là peu exploitée de Jacques Chirac, notamment dans lapresse quotidienne nationale. Et ces confidences présidentielles ne passent pas inaperçuesdans le contexte pré-électoral. Le Monde, le Figaro et Libération se font l’écho de cetévénement médiatique inhabituel. Pour autant, les trois quotidiens, bien qu’ils traitent lesujet sous trois angles bien différents, ont un point commun : ils ne s’attardent pas sur unefigure ultra personnalisée de Jacques Chirac, si ce n’est pour en démontrer « la mise en

    scène » 21 . Sont ainsi étudiés les trois articles suivants :

    Le Monde du 13 février 2007 :« Les confidences très encadrées du couple Chirac »(annexe 6)

    Le Figaro du 9 février 2007 :« Jacques Chirac commence à évoquer l’après » (annexe7)

    Libération du 8 février 2007 :« Chirac fait un pas vers la non-candidature » (annexe 8)

    Le MondeLe Monde est celui des trois quotidiens qui accorde le plus de place à cette figure « maritale »de Jacques Chirac. Bernadette se voit qualifiée en fonction de Jacques Chirac (« sonépouse ») et, plus inhabituel, la réciproque s’applique au président, qui devient « sonépoux » ou « son mari ». Mais si le quotidien, reprend la rhétorique de l’émission de MichelDrucker, c’est pour mieux la mettre à distance. Ainsi, le journal ne manque pas de faire leparallèle avec le livre de Pierre Péan, pour cette « mise en scène du mandat de JacquesChirac » où « le hasard n’avait aucune place », avec « beaucoup de non- dits ». Le Mondemet alors un brin d’ironie dans son affirmation « du solide les Chirac : cinquante et un ande mariage».

    21 Cf. l’article du Monde, paru le 13 février 2007, intitulé « Les confidences très encadrées du couple Chirac ».

  • Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

    24 REMUSAT Cécile_2007

    Le quotidien ne manque pas de retranscrire les propos du couple Chirac, de façon plusdétaillée que le Figaro et Libération, mais tout en les mettant à distance par le discoursindirect et les citations. Ce procédé rappelle celui employé dans l’article sur l’anniversairede Jacques Chirac à Riga. Chaque propos fait ainsi l’objet d’une construction critique. Parexemple, le journal ne manque pas de rappeler les détails omis par les Chirac sur certainspoints.

    « Alors qu'il « n'est pas un spécialiste de la félicitation conjugale », comme ledit Mme Chirac, le président a raconté combien il avait été « impressionné », àSciences Po, par cette jeune fille qui avait pris d'emblée deux exposés. « Ellem'a beaucoup aidé à préparer le concours de sortie », a-t-il souligné. BREVETDE PERSÉVÉRANCE Ce qu'il n'a évidemment pas révélé et que BernadetteChirac cache soigneusement, c'est qu'elle n'a pas obtenu son diplôme. ». [..] « Leprésident s'est beaucoup émerveillé, à la télévision, du fait que son épouse lui aitprédit la présence du Front national au second tour, en 2002. Ignorait-il vraimentque c'est Laurence Parisot, alors simplement patronne de l'IFOP, qui avait avertison épouse, dont elle est une protégée ? »

    Et le journal enchaîne sur « d'autres non-dits » , comme la façon dont Jacques Chirac avécu l’anorexie de sa fille aînée.

    Le quotidien entend ainsi interpeller le téléspectateur, devenu le lecteur « invité àcomparer ». Pour cela, le Monde semble finalement orienter son lectorat vers le livre dePierre Péan, à qui Jacques Chirac «en dit bien davantage ». Sont ainsi cités les passagesde l’ouvrage consacrés aux infidélités du président, qu’il « fait mine de « découvrir » ».Le Monde termine donc avec une ironie cinglante par déconstruire la figure du gentil mariprésente dans « Vivement dimanche ».

    Le FigaroLe Figaro accorde moins de place à l’analyse de l’émission de Michel Drucker, évoquée entrois paragraphes en tout début d’article. Le terme « analyse » n’est d’ailleurs pas appropriépuisque le quotidien se contente de retranscrire certains passages de l’émission en seconcentrant sur l’information politique : « pour la première fois, Jacques Chirac évoque lemoment où il ne sera plu au pouvoir ».

    Le président apparaît alors comme celui qui « se confie » à Michel Drucker, tandis queBernadette parle « avec émotion ».Le registre émotionnel est donc activé ici, et renforcé parles nombreux extraits choisis du dialogue. Contrairement au Monde, le Figaro se contentede citer Jacques et Bernadette Chirac sans ajouter de commentaire critique. A peine est-il précisé que l’émission est « préenregistrée ». Les citations sont en outre choisies avecsoin, apparemment pour illustrer :

    Soit la figure paternelle d’un homme qui a le sentiment d’avoir été fidèle à sesconvictions pour la France et les Français :

    « Je me suis investi totalement dans ma mission que je m'étais assignée auservice des Français. Alors on peut l'approuver, la critiquer, peu importe, maisj'ai toujours essayé d'agir pour les Français et pour l'idée que je me faisais de laFrance »

    Soit l’émotion d’une femme qui doit quitter la maison dans laquelle elle a vécu durant douzeans :

  • La figure de l’homme

    REMUSAT Cécile_2007 25

    « Bernadette Chirac reconnaît, avec émotion, que l'Élysée lui « manquerabeaucoup ». « Mais je m'adapterai. Il faut bien accepter ce que le destindécide. » »

    Cette évocation du destin s’ajoute à la désormais célèbre phrase de Jacques Chirac quiouvre l’article : « il y a sans aucun doute une vie après la politique, jusqu’à la mort ». Parconséquent, la mort et le destin ouvrent et ferment cette parenthèse du Figaro consacrée à laprestation des Chirac dans « Vivement dimanche ». Le journal confère ainsi une dimensionpresque spirituelle à la figure de Jacques Chirac, contrairement à la vision plus terre à terredu Monde où Jacques Chirac apparaît comme le mari trompeur, l’homme qui a eu desfaiblesses.

    A l’opposé, le Figaro le présente, par les extraits choisis, comme le vieux sage,retranscrivant parfaitement l’ambiance du plateau de « Vivement dimanche ». En effet, c’estexactement cette image qu’a mise en scène Jacques Chirac lors de son entretien avecMichel Drucker. Comme dans le livre de Pierre Péan, il est apparu calme, serein, portantun regard plein de bienveillance sur ses proches et admettant ses erreurs passées. Loin dudiscours politique habituel, comme s’il ne cherchait à convaincre personne. Bernadette, deson côté, vante les qualités de son mari, excuse ses défauts et verse presque une larmedevant sa reconnaissance affichée.

    Mais comme le souligne le Monde, cette mise en scène n’a pas lieu à n’importe quelmoment, au hasard du calendrier. Il aura fallu attendre la fin de son mandat présidentielpour que Jacques Chirac s’exprime ainsi. Une personnalisation qui pose les bases de sonretour à la vie civile comme simple citoyen, et un moyen de faire parler de lui quand lesmédias se concentrent sur les figures émergentes de la politique française, Nicolas Sarkozyet Ségolène Royal.

    LibérationLibération ne dénonce pas. Le journal préfère ignorer la dimension très personnelle del’émission pour se concentrer, comme le Figaro, sur l’information politique. Le quotidiens’interroge : « Jacques Chirac est-il sur le point de jeter l'éponge? »

    Les papiers du Figaro et de Libération sont à mettre en parallèle puisque les deuxquotidiens ne consacrent que quelques lignes à cette émission, choisissent le même angled’approche (l’évocation de l’après par Jacques Chirac) et les mêmes extraits principaux,notamment les deux précédemment cités, repris à l’identique dans Libération :

    Il avoue ne pas être « quelqu’un qui vit dans le culte d’un passé». «Je me suisinvesti totalement dans la mission que je m’étais assigné au service des Français. On peutl’approuver, la critiquer, peu importe. J’ai toujours essayé d’agir pour les Français. Si je n’aiplus de responsabilités de cette nature, eh bien, j’essaierais de servir la France d’une autremanière », dit-il.

    Michel Drucker poursuit l’entretien et lui demande s’il y a une vie après la politique.Chirac répond sans détour. « Il y a sans aucun doute une vie après la politique, jusqu’àla mort .»

    Libération semble alors jouer sur le registre de l’émotion, au même titre que le Figaro.Par exemple, le Figaro précise que « Bernadette Chirac reconnaît, avec émotion, que

    l'Élysée lui « manquera beaucoup ».

  • Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

    26 REMUSAT Cécile_2007

    Et Libération déclare que « Bernadette Chirac revient alors au bord des larmes et avoueque « cette maison [l'Elysée] me manquera beaucoup, mais je m’adapterai, il faut bienaccepter ce que le destin décide ». » L’expression « au bord des larmes » va encoreplus loin que la simple « émotion » dont parle le Figaro. Mais le ton de Libération peutalors paraître empreint d’ironie, contrairement au papier de son concurrent. L’informationpolitique est ainsi traitée avec distance et humour par Libération, qui s’interroge en toutdébut d’article :" Jacques Chirac est-il sur le point de jeter l'éponge? » , contrairement auFigaro, où le ton employé s’avère plus précautionneux et dramatique : « LE JOUR où...Pour la première fois, Jacques Chirac évoque le moment où il ne sera plus au pouvoir. »

    ComparaisonLa figure de l’homme est présente dans les trois papiers qui concernent cette émission.Le Monde se penche sur le couple et la vie de famille du président, tout comme le Figaroet Libération, qui ne peuvent que rebondir sur les confidences de Bernadette Chirac. Maisl’analyse démontre que le registre de l’émotion semble plus présent dans le papier du Figaro,quand la critique et l’analyse prédominent dans le papier du Monde et l’ironie, dans celuide Libération.

    Mais l’émergence d’autres figures par le Figaro et Libération nuancent quelque peu ceconstat : le Figaro développe ainsi celle du politique en opposition à un autre et du présidenten fin de règne, cette dernière figure étant reprise par Libération.

    Le Figaro évoque ainsi les derniers déplacements du chef de l’Etat, comme son« ultime sommet France-Afrique » , tandis que Libération cherche dans les proposde Jacques Chirac la réponse à la question : « Jacques Chirac est-il sur le point de jeterl'éponge? »

    Cette remise en perspective du sujet par deux quotidiens opposés dans leur lignepolitique surprend. Ils exploitent ainsi les mêmes informations, pour se poser la mêmequestion : qu’en est-il de l’avenir de Jacques Chirac ?

    Or, cet avenir semble dépendre d’un autre homme politique pour le Figaro, qui estle seul des trois quotidiens à relever, par de multiples allusion, l’opposition entre JacquesChirac et Nicolas Sarkozy :

    « A droite, Nicolas Sarkozy occupe tout l'espace » « le sarkozyste François Fillonveut « tourner la page » des années Chirac » « Le chef de l'État soutiendra-t-ilformellement le président de l'UMP, alors que leurs relations restent tendues ? »

    Cette figure procure une dimension différente à l’article du Figaro en comparaison decelui de Libération. Le Figaro transforme ainsi la succession de Jacques Chirac en lutte,soulignant que « Jacques Chirac n'est pas homme à renoncer facilement au pouvoir ». Lafigure de l’homme ne prend pas alors la seule dimension familiale, mais semble influencer lafigure du politique. L’opposition à Nicolas Sarkozy et le goût du pouvoir apparaissent commefaisant partie intégrante du personnage.

    C’est pourquoi des trois quotidiens, le Figaro est celui qui développe le plus cetteidentité personnalisée de Jacques Chirac.

    Le père et le grand-pèreLa figure paternelle de Jacques Chirac est peu mise en avant dans les médias en général,Jacques Chirac protégeant beaucoup sa vie privée. Mais à quelques semaines de la fin

  • La figure de l’homme

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    de son mandat, c’est le président lui même qui s’affiche aux côté de son petit fils, Martin.Une mise en scène familiale reprise par les quotidiens, notamment avec le cliché, rare, dupetit garçon.

    Mais l’identité de Jacques Chirac en tant que père et grand-père transparaît davantage,et de façon plus ponctuelle, dans un autre type de presse, plus orientée « people ». Quatrecouvertures de Paris Match lui ont ainsi été consacrées : en 1996, « Chirac, grand-pèreheureux », 1997, « Chirac, vacances au bout du monde avec son petit-fils Martin, un anet demi », 2000, « Le président grand-père » et 2007, « Chirac, l’adieu à l’Elysée ». Dansce dernier numéro, Jacques Chirac a choisi de mettre en scène sa vie privée, comme lesouligne le Monde, le 19 novembre 2006, dans un article intitulé « Chirac intime »:

    « RARES sont les apparitions photographiques de Martin Rey-Chirac, fils deClaude Chirac et de l'ancien judoka Thierry Rey, avec son très célèbre grand-père. Pourquoi maintenant ? A cinq mois de la fin de son second mandat,Jacques Chirac a accepté pour le 3 000e numéro de Paris Match, sorti le 16novembre, la présence d'un photographe, Benoît Gysemberg, pendant unesemaine, à l'Elysée. Montrer le président au travail, raconter à quel point il estencore dans l'action, tel est l'angle de ce reportage qui n'a pu que ravir l'Elysée.Avis à ceux qui l'avaient, voilà quelques mois, jugé absent. Et puis, comme le ditla comptine, « Dimanche matin, l'empereur et le petit prince... » se sont promenésdans les jardins. »

    En effet, Paris-Match22 lui consacre sa « une » du 15 mars 2007 (et non en novembre),un cliché le représentant de dos avec son petit fils dans les jardins de l’Elysée. Les deuxsilhouettes semblent ainsi s’éloigner ensemble vers une nouvelle vie pour Jacques Chirac(« Avec son petit-fils Martin, en route vers l’avenir » titre le journal). Le ton de l’article va dansce sens : « grâce à son petit-fils, qui aura bientôt 11 ans, Jacques Chirac redécouvre le plaisirde regarder le monde à hauteur d’enfant. Dans quelques mois, il pourra savourer pleinementle fait d’être grand-père. » L’article évoque ainsi les derniers instants d’une famille.

    « Bernadette se prépare désormais à affronter l’avenir avec panache. Pourle première fois depuis 1974, loin des lambris dorés, elle va s’installer dansun appartement qu’elle décorera entièrement à son goût.. Certes, le coupleprésidentiel en possède déjà un rue de Seine, mais depuis plusieurs années,c’est Claude qui vit là avec leur petit-fils, Martin. »

    Le fait de nommer les proches du président Chirac par leurs prénoms (Bernadette, Claude,Martin), ainsi que l’utilisation du présent, leur confère immédiatement une dimension plushumaine. L’utilisation du temps présent fait naître une certaine proximité entre le lecteur etles personages évoqués,tout en rendant le récit plus percutant, plus vrai. Cet article metainsi l’accent sur le lien véridique et sincère qui unit Jacques Chirac à sa famille, notammentà son petit-fils : « quand Martin est là, le président s’efface devant le grand-père ». Et bien

    que les photos aient été prises en novembre 2006, le papier ne sort pas pour le 3000ème

    numéro de Paris-Match, comme le prédit le Monde, mais pour le numéro 3017, en mars.Cette parution a lieu à peine trois semaines avant que le petit-fils de Jacques Chirac

    ne fasse la « une » du Parisien, le 4 avril, alors que son grand-père l’avait emmené à savisite du premier régiment de parachutistes d'infanterie de marine, à Bayonne. Ces deuxévénements où Jacques Chirac se montre en compagnie de son petit-fils ne sont pas lefruit du hasard, à quelques semaines de son départ de l’Elysée. Comme dans l’émission

    22 Paris-Match, numéro 3017 du 15 mars 2007

  • Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

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    de Michel Drucker, Jacques Chirac cultive ainsi l’image d’un homme sage, presque d’un« ancien » au sens noble du terme.

    Cette apparition du président accompagné de son petit fils à Bayonne est citée dansle Monde Libération et le Figaro , mais de façon diverse, dans les trois articles suivants :

    Le Monde du 8 avril 2007 : «Dans la famille Chirac, le petit-fils » (annexe 9)Le Figaro du 4 avril 2007 : «Le grand-père Chirac et le petit fils Martin » (annexe 10)Libération du 4 avril 2007 : « A Bayonne, la dernière revue du soldat Chirac » (annexe

    11)

    Le FigaroLe Figaro choisit ainsi de faire paraître la photo de Martin Rey Chirac, avec son grand-pèreen arrière plan. Mais seule une légende complète le cliché :« Fait exceptionnel : pour sadernière visite aux Armées, Jacques Chirac était accompagné de son petit-fils, Martin. » Lavisite est quant à elle relatée dans un papier sans évoquer la présence du petit garçon. Lequotidien ne s’attarde donc pas sur la dimension familiale de cette visite, même s’il reconnaîtson caractère « exceptionnel » ,en faisant une information à part.

    Le MondeIl n’en va pas de même pour le Monde, qui mêle dans son court papier la visite présidentielleet la présence de Martin Rey Chirac :

    « À UN MOIS ET DEMI de la fin de son mandat, Jacques Chirac a invité son petit-fils Martin à l'accompagner, mardi 3 avril, au premier régiment de parachutistesd'infanterie de marine, à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). Cet exercice fréquent,qu'il affectionne, s'est transformé en événement : Martin Rey-Chirac a étéabondamment photographié et Le Parisien a choisi de mettre son portrait en «une » dans son édition du 4 avril. Une photo où le jeune garçon, qui a eu 11 ansle 22 mars, est très reconnaissable, pour les rares journalistes qui ont déjà eul'occasion de l'apercevoir. »

    Selon cet extrait, c’est bel et bien la présence du petit-fils de Jacques Chirac qui fait« événement », du fait de son caractère inhabituel. Il est ainsi précisé que « rares [sontles] journalistes qui ont déjà eu l'occasion de l'apercevoir.», ou encore, qu’il s’agit d’une «première ».

    Le quotidien revient ainsi sur un épisode du passé où le petit garçon avait là aussi étéphotographié, rappelant que cette démarche avait alors été qualifiée « d’utilisation politiqueet de communication ». Une critique qui pourrait s’appliquer une fois encore.

    Pourtant, le journal n’aborde pas cette visite de façon critique, puisque selon lejournaliste, « le contexte n'est, aujourd'hui, plus le même. Jacques Chirac s'est fait plaisiret Martin aussi. » Cette allusion au « plaisir » de Jacques Chirac et de son petit-fils rendla figure de l‘homme prédominante sur celle du président en exercice, pourtant développéeensuite. Mais c’est toujours sur le registre de l’émotion que joue le Monde. Le quotidienévoque ainsi la visite à travers les yeux de l’enfant : « Un souvenir sûrement exceptionnelpour un garçon de 11 ans »

  • La figure de l’homme

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    Cependant, l’ironie et l’analyse refont surface en toute fin d’article, soulignant qu’ « outrele simple plaisir qu'ont pu éprouver le grand-père et le petit-fils, il s'agissait de montrer qu'ily avait vraiment « une vie après la politique » pour Jacques Chirac ».

    Et l’ironie, teinté d’humour, a le dernier mot, évoquant Claude Chirac, la mère de Martinet conseillère en communication de son père : « Comme sa mère, Claude Chirac ne peutque mesurer le poids que représente une vie cachée et surprotégée pour un enfant de cetâge. Cette contrainte s'allège. Les journalistes politiques peuvent bien penser qu'avoir choisile département de François Bayrou, les Pyrénées-Atlantiques, n'est pas un hasard. Elle vaencore les trouver tordus ! »

    Cette exclamation finale évoque les significations politiques que pourrait avoir cettevisite : la présence de Jacques Chirac sur les terres d’un candidat aux électionsprésidentielles, autre que Nicolas Sarkozy, marque la figure du politique en opposition àun autre.

    LibérationQuant à Libération, le journal ne fait qu’évoquer rapidement et sobrement la présence dupetit-fils Chirac, pour mieux centrer son article sur la visite présidentielle : « Pour la premièrefois dans un déplacement officiel, le président de la République avait emmené avec lui sonpetit-fils. Le jeune Martin, fils de Claude, n'a pas perdu une miette du spectacle mis enscène par le commandement des opérations spéciales (COS) ». Le reste de l’article estconsacré à la description de la manifestation, insistant sur le « « passage de témoin » deJacques Chirac à son successeur ». Libération semble ainsi refuser toute personnalisationdu président, pour ne s’en tenir qu’à ses seules fonctions présidentielles.

    ComparaisonLa figure du grand-père se fond ainsi avec celle du président en exercice puisque JacquesChirac fait d’une visite officielle une visite familiale.

    Il est intéressant de noter que le Figaro ne s’attarde pas sur cette figure, préférantseulement illustrer une photo par une simple légende.

    Ce n’est pas le cas du Monde, qui évoque cette visite familiale comme le début d’unenouvelle vie pour Jacques Chirac. Par cette visite, la figure du président laisserait la place àcelle du grand-père, avec un message : il y aurait « une vie après la politique ».Ces termesfont échos à l’émission de Michel Drucker consacrée à Bernadette Chirac.

    Cependant, Libération choisit de ne pas développer cette figure paternelle, mais plutôtcelle du président en fin de règne. Cette visite prend alors des allures de « testamentmilitaire » et de «Passage de témoin». Cette démarche confirme une tendance,déjà observée lors de l’anniversaire de Jacques Chirac, selon laquelle Libérationn’entend pas traiter l’information telle qu’elle se présente. La présence de MartinChirac n’occupe ainsi que quelques lignes, et le journaliste détache de cette figurefamiliale la figure du président, sur laquelle porte son travail.

    La figure de Jacques Chirac « grand-père » n’est pas fréquente. Il est néanmoinssaisissant de voir que cette identité resurgit en toute fin de son mandat, provoquée par leprésident lui-même : il accepte de se faire photographier en compagnie de son petit-filset emmène ce dernier en voyage officiel. Une telle personnalisation ressemble fort à uneredéfinition de l’identité de Jacques Chirac par lui même au moment où il va changer destatut.

  • Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

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    Figure de l’homme sympathiqueUne figure plutôt positive poursuit Jacques Chirac :celle d’un président sympathique. Defaçon très subjective, le président Chirac a la réputation d’être « humain », « sympathique »,et « proche des gens ». Ces qualificatifs reviennent dans tous les ouvrages qui lui sontconsacrés, y compris les plus critiques. Car si une qualité est reconnue à Jacques Chirac,c’est bien sa sociabilité, sa façon de serrer des centaines de mains en une journée, etfinalement, une sorte de simplicité.

    Cette figure de Jacques Chirac se retrouve chaque année dans une manifestation àlaquelle il aura laissé son emprunte : le Salon de l’agriculture.

    Une idée communément admise, une figure médiatique persistanteDans son ouvrage, Franz-Olivier Giesbert reconnaît, anecdotes à l’appui, les qualitéshumaines de Jacques Chirac, qu’il n’épargne pourtant en rien tout au long du livre23 : « sison chemin a souvent croisé celui des Français, c’est parce qu’il ne se la joue pas et aimeles gens, surtout quand ils sont de peu ou de rien ».

    Sur ce point, Franz-Olivier Giesbert et pierre Péan se retrouvent. Ce dernier expliquele phénomène de façon presque scientifique. La chaleur que dégagerait Jacques Chiracserait le signe de ses talents de guérisseur. Talents que reconnaît en partie Jacques Chiracdurant l’un de ses entretiens avec l’auteur24.

    « J’ai des ancêtres dont on prétendait un peu qu’ils étaient guérisseurs. Enfin,ce qui est sûr, c’est que mon grand-père, mon père et moi sommes douésd’une sorte de sensibilité à l’état de santé des gens, sans plus. Je tente de leurremonter le moral…notamment à ceux qui sont atteints d’un cancer. En usantsimplement de ma voix… »

    Pierre Péan creuse ainsi la piste de l’homme qui aime les autres, au point de pouvoir lesguérir :

    « De lui même il m’a parlé de l’amour qu’il recherchait et de l’importance ducontact par les mains […] Vous savez, on apprend toujours quelque chose quandon serre la main des gens. On n’apprend pas toujours quelque chose quand onles écoute, mais on apprend toujours quelque chose en lisant dans leur regard ouen leur serrant la main ».

    Avec ou sans le point de vue de Jacques Chirac sur sa passion des autres, cette figurede l’homme sympathique souffre ainsi de peu de contradiction. Lionel Jospin, durant lacohabitation, se plaint même des éloges de ses ministres socialistes à l’égard du président.Un article du Figaro qui retrace la carrière de Jacques Chirac, revient sur ce point25.

    « "Il nous serrait la main avec un grand sourire, comme si nous étions l'équipe deFrance qui venait de gagner la Coupe du monde de foot", se souvient un ministresocialiste. Never explain, never complain, c'est le côté reine d'Angleterre deChirac. Et il n'est pas exclu que, sur le lot, il en trouve certains sympathiques,23 Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006, p-10.

    24 Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-10525 Article du Figaro, « Une présidence sans cesse perdue et reconquise », paru le 12 mars 2007

  • La figure de l’homme

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    ou animés d'idées qui ne sont pas pour lui déplaire. Ceux-là, il les emmène envoyage, comme Bernard Kouchner, Claude Allègre ou Jean-Pierre Chevènement.A tel point que l'austère Jospin s'agace : "Arrêtez de dire que Chirac estsympa." »

    Dans son documentaire, Patrick Rotman interroge l’un de ces anciens ministres socialistes,qui affirme avoir été « séduit » dès sa première rencontre avec le chef de l’Etat. Les gensqui l’ont côtoyé témoignent tous de son attention à leur égard, de son souci de se tenirinformé du moindre événement comme un mariage, un décès, une naissance, sur lequel illeur adresse « un petit mot gentil ».

    Dans un entretien sur son documentaire26, Patrick Rotman s’exprime sur cet aspect deJacques Chirac :

    « Je crois que Chirac n’est pas quelqu’un qu’on déteste vraiment. Même ceux à qui il afait des tours pendables reconnaissent en lui un homme chaleureux, sympathique, généreux[…]Au fond, Chirac est un bon bougre, il est populaire, au sens qu’il vient du peuple, il aun contact simple, il est près des gens. Bien sûr, c’est parfois factice, automatique, un peucalculé, mais enfin il a le goût des autres. On est loin de Balladur faisant campagne avecdes gants. »

    Cette référence à la campagne de 1995, opposant les deux hommes, permet decomprendre l’émergence de cette figure « populiste », expliquée par Annie Collovald et ErikNeveu.27 Cette identité de Jacques Chirac désormais présente dans les médias serait néede la représentation purement fictive qu’en auraient faite les Guignols de l’Info pendant lacampagne présidentielle de 1995.

    « on est passé d’un travail de projection sur les acteurs politiques desreprésentations que s’en font les scénaristes à un travail d’intégration dans lespersonnages des enjeux politiques du moment. La truculence de la marionnetteChirac à la fin 1994 relevait de l’imagination propre des réalisateurs, sommésde faire rire avec des caricatures. […] Mais avec le retour vers la réalité dela campagne, cette identité chiraquienne prend une toute autre résonance.Elle devient la marque assumée du candidat gaulliste dont la stratégie decommunication se fonde, une fois la campagne lancée, sur la proximité affichéeavec les gens ordinaires sur les lieux mêmes de leur vie. Dès lors, cette identité« populiste » devient