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Institut Provincial d'Enseignement de Promotion Sociale de Liège
Quai Godefroid Kurth, 100 à 4020 Liège
Bachelier en éducation spécialisée en accompagnement psycho-éducatif
UF 12 : Approche Méthodologique 3 : Méthodologie d’analyse des organisations
Chargée de cours : Quaglia nicolas
Année scolaire 201562017
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CAPACITÉS TERMINALES
SEUIL DE RÉUSSITE (50%)
Tout en respectant les règles et usages de la langue française, l’étudiant sera capable de :
Définir et illustrer des concepts et processus ;
Utiliser de façon critique et argumentée des notions, concepts et processus abordés aux cours pour analyser des
situations relevant du champ professionnel de l’éducateur spécialisé.
DEGRÉ DE MAÎTRISE
Précision des descriptions et de l’analyse ;
Capacité à expliciter les éléments sur lesquels repose sa vision d’une situation professionnelle ;
Capacité à faire des liens entre les différentes activités d’enseignement.
MODALITÉS D’ÉVALUATION
Continue : participation active au cours et aux exercices d’analyse ;
Formative : concepts, notions et processus ;
Évaluative : examen oral
SOURCES
AMBLARDHenri, Philippe BERNOUX, Gilles HERREROS, Yves-Frédéric LIVIAN, Les nouvelles approches
sociologiques des organisations, Seuil, 2005
ARDOINO,Propos actuels sur l’éducation, contribution à l’éducation des adultes, Paris : Edition Gauthier-
Villars, 1965
BERNOUX Philippe, La sociologie des organisations : Initiation, Paris, Seuil, 1995.
CROZIER Michel, Erhard Friedberg, L'acteur et le système : Les contraintes de l'action collective, Paris, Seuil, 1981.
(1ère éd. 1977)
CROZIERMichel, Le phénomène bureaucratique, Seuil, Collections Points, 1963
RENAUDThomas, Cours de Sociologie des organisations, Campus Forse, campus numérique, Formations et
Ressources en Sciences de l’Éducation, http://www.renforse.net/mastericf/socio/socioM2p.pdf, consulté le
05/10/2013
3
I. INTRODUCTION
La première préoccupation de cette discipline a été la production matérielle puis l’efficacité de la bureaucratie. Alors que
l’éducation relève de la qualité de la relation, qualité basée essentiellement sur les compétences de l’intervenant et son
expérience. On est loin de considérations de rentabilité !
Mais quelle que soit la forme et la finalité d’une organisation (asbl, famille, école ou entreprise), l’aborder
sociologiquement, c’est se poser la question de savoir comment des êtres humains établissent des relations tant dans le
but de produire des biens matériels que dans le but de réguler et d’ajuster les comportements de chacun vis-à-vis des
autres pour vivre et travailler ensemble.
II. SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS ?
Qu’est-ce qu’une organisation ? Avec quels outils conceptuels l’observer, l’analyser ? Quelles sont les théories qui
jalonnent l’histoire de cette approche que l’on fait généralement débuter à la fin du XIX e siècle, au moment où les
sociétés ayant fait la Révolution industrielle se posent la question de la rentabilité du travail commun ?
Ainsi, c’est l’organisation du travail industriel qui fonde cette sociologie (Taylor). Parallèlement à ce développement
industriel se développe une organisation bureaucratique étatique importante qui fera l’objet d’une même approche
(Weber).
La sociologie des organisations se situe au carrefour de nombreuses disciplines dont
La psychologie qui étudie le comportement des individus en organisation et les effets de l’organisation sur les
individus (stress, harcèlement, motivation, etc.) ;
L’économie, la gestion qui se penche sur la circulation de l’information, le processus de prise de décision, la
recherche de la performance, etc.
La sociologie qui s’occupe des relations interindividuelles dans l’entreprise, les incidences sociales des
performances économiques et les influences réciproques entre société et organisation.
La sociologie des organisations est donc une branche de la sociologie qui étudie comment les acteurs construisent et
coordonnent des activités organisées. « Organisation » est donc à prendre dans son sens le plus large et c’est dans ce
sens qu’il intéresse les futurs éducateurs spécialisés.
III . ORGANISATION1 ?
Action d’organiser, de structurer, d’arranger, d’aménager (l’organisation du service a demandé du temps. Avoir
le sens de l’organisation).
Manière dont quelque chose se trouve structuré, agencé ; la structure elle-même (organisation complexe du
cerveau).
Groupement, association, en général d’une certaine ampleur, dont les buts sont définis par un qualificatif
(organisation syndicale, familiale).
En biologie :
1. Hétérogénéité structurale, observable à toutes les échelles (molécule, cellule, tissu, organe, organisme)
chez les êtres vivants tant végétaux qu’animaux, sur laquelle repose leur fonctionnement vital.
2. Processus qui fait apparaître ou qui augmente cette hétérogénéité.
On va retrouver ces différentes acceptations dans les deux postures fondamentales pour s’intéresser aux organisations :
1. En les considérants comme des objets, avec leurs caractéristiques. Objets créés que l’on observe pour voir
comment ils sont constitués, dont on analyse le fonctionnement (vision statique).
2. En les considérant comme des processus par lesquels les interactions entre acteurs sont stabilisées, reproduites
(entreprises, mais aussi cours d’école : clans, structures de pouvoir, stratégies, dominance, etc.)
1 Larousse en ligne
4
Voir comment cela se structure peu à peu, comment ça s’ordonne ;
Organisation formelle et informelle, distribution formelle du pouvoir (organigramme) et réalité ;
Comprendre comment le comportement individuel est une adaptation intelligente à une réalité ;
Observation des acteurs, de leurs comportements, de leurs interactions, de leurs rapports de pouvoir.
CARACTÉRISTIQUES DES ORGANISATIONS
Divisions du travail, du pouvoir et des responsabilités, de communication, information, etc. délibérément
instituées pour réaliser des buts spécifiques ;
Un ou plusieurs centres de décision contrôlent les efforts concertés des membres et les orientent vers les
objectifs. Ces centres de décision doivent également réviser constamment la performance de l’organisation et
remodeler la structure lorsque c’est nécessaire afin d’accroître son efficacité (CA d’une ASBL ou d’une
entreprise, par exemple) ;
Remplacement du personnel (L’organisation persiste, les hommes passent).
3 TYPES D’ACTIVITÉS D’UNE ORGANISATION
1. Réalisation des objectifs (fonction de production)
2. Maintien de la structure interne (fonction d’entretien)
3. Adaptation à et/ou modification de l’environnement externe (fonction d’innovation, par exemple le laboratoire
de recherche d’une entreprise).
POSTULATS FONDAMENTAUX DES ORGANISATIONS
1. Une organisation est constituée par une association d’individus ou groupement humains.
Mais la réalité est différente. Il n’est pas toujours aisé de tracer les frontières d’une organisation. De nombreuses
décisions peuvent être prises à l’extérieur de l’organisation. De plus, l’implication subjective peut être très différente d’un
individu à l’autre (calcul, morale, rejet. Exemple : on peut y rester parce qu’on n’a pas le choix ou pour la dissoudre de
l’intérieur).
2. L’organisation consiste en l’affirmation de l’existence de buts ou d’objectifs. Formulation écrite officialisée des
objectifs projetés par les fondateurs (statuts) et organe formel explicitement et souvent légalement reconnu
(ex. : moniteur belge), chargé d’établir les buts initiaux et de les modifier éventuellement (CA, procédure de
révision des statuts, etc.).
Les objectifs remplissent plusieurs rôles :
Orientation des activités que les membres de l’organisation s’efforceront de réaliser (lignes directrices pour
l’activité des membres) ;
Source de légitimation qui justifie les activités et en fait l’existence même de l’organisation (raison sociale) ;
Critères d’après lesquels il est possible d’évaluer le succès, l’efficacité, la rentabilité de l’organisation.
Les buts affirmés ne sont pas toujours les buts réels :
Il est plus valorisant d’affirmer des objectifs humanitaires que financiers ;
Rendement et efficacité ne vont pas souvent de pair
Il peut y avoir inversion du moyen (organisation) et de la fin (objectifs poursuivis). L’organisation devient une fin
en soi qu’il faut préserver et accroître.
3. Caractère délibéré des structures mises en place pour atteindre ces objectifs : organisation formelle, planifiée
par ses créateurs, prescrite et réglementée vs organisation informelle (issue de la formation de groupes
d’affinité et de liens, de relations de pouvoir, de rapports affectifs, etc.) qui n’a pas d’existence officielle mais
présente des effets notables sur les résultats.
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ENJEUX DE LA SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS
Cohésion sociale : comprendre comment les organisations parviennent à maintenir leurs structures et leurs
identités malgré les tensions qu’elles subissent ;
Structures formelles et informelles ;
Hiérarchie et relations de pouvoir
Circulation de l’information et de la communication ;
Adaptation : comment les organisations gèrent l’innovation et comment elles l’intègrent pour s’adapter à leur
environnement technique et socio-économique ;
Situations conflictuelles et pathologiques (conflits, stress, etc.).
IV. THÉORIES DE LA SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS
CONTEXTE HISTORIQUE : L’ÉPOQUE DES LUMIÈRES, LA MODERNITÉ (18È M E
SIÈCLE)
Les idées défendues à cette époque sont :
- l’importance du rationalisme et de l’expérience pour une ouverture au sensible et au monde des
sentiments ;
- le rejet métaphysique, de la raison seule (cf. Heidegger, philosophe) ;
- la croyance dans le progrès et la perfectibilité de l’homme ;
- le combat pour la tolérance et le respect des libertés civiles.
En parallèle, l’époque des Lumières est une période de développement du capitalisme et de l’industrialisation.
L’activité économiquequitte le cadre domestique pour être contrôlée par des organisations spécialisées qui prônent :
- la division du travail ;
- la production de masse standardisée où prime la quantité plutôt que la qualité ;
- l’immédiateté et la globalité.
Le système économique quitte un modèle où prime la confiance des personnes connues pour un système économique
basé sur la confiance en des institutions et des experts.
Les données chiffrées deviennent le cœur de la gestion de l’organisation sociale et des rapports sociaux. L’objectif est de
rendre toutes les données mesurables. Mesurer est donc devenu un attribut non plus arbitraire mais TECHNIQUE du
pouvoir. Un nouveau système de mesure des grandeurs, des poids et du temps (horloge mécanique) est défini.
Rappel historique :
- la première révolution industrielle eut lieu en Grande Bretagne à la fin du 18ème
avec l’avènement de la
machine à vapeur, l’utilisation du charbon et du coke et les nouveaux mécanismes de tissage (filatures) ;
- la deuxième révolution industrielle eut lieu dans les années 1880 avec l’arrivée de nouvelles énergies
(pétrole, gaz, électricité) ;
- la troisième révolution industrielle eut lieu à la 2ème
moitié du 20ème
siècle avec le développement de la
physique quantique, de l’électronique, de l’informatique et de la communication.
L’époque des Lumières est aussi une période de changement de la nature du pouvoir politique avec la naissance du
citoyen libre et l’émergence de l’État-Nation avec une langue, un territoire, etc. Le pouvoir y est centralisé et la
dimension « locale » et « communautaire » y prend moins d’importance afin de diminuer l’imprévisibilité et l’incertitude
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qui lui sont liée. L’état démocratique moderne veut s’appuyer sur des critères universels et neutres (généralisation) afin
de construire des principes d’égalités et de justice.
Rappel historique :
- larévolution anglaise eut lieu au 17e siècle ; en 1649, Cromwell présida cette république ;
- larévolution française eut lieu de 1789 à 1799.
Cette époque voit l’essor des organisations modernes rationnelles et le développement des sciences expérimentales,
des techniques et des technologies complexes.
« L’école et l’entreprise évaluent les individus à partir de normes dont le but est de les rendre comparables avant de les
différencier. » Le but et l’enjeu très important est d’obtenir un meilleur contrôle de l’espace social.
L’époque des Lumières ou la Modernité est donc une étape importante du « passage d’une communauté rurale,
traditionnelle, de petite taille, religieuse, à une société urbaniste, de grande taille, individualiste, de rationalisme
scientifique ».
DEUX ANALYSES ORGANISATIONNELLES FONDATRICES
Fondées sur les travaux de Taylor et de Mayo, ces deux approches, que tout sépare (25 ans, la manière de considérer la
relation entre l’homme, le travail, l’objet produit et la manière de le produire), sont fondatrices de tous les
questionnements qui suivront.
FREDERICK W. TAYLOR (1865-1915) : TAYLORISME (SCIENCE DU TRAVAIL)
Contexte : Amérique des années 1900
Industrialisation du Nord,
Agriculture et pauvreté au Sud,
Fin de l’esclavage et début de la discrimination raciale,
Exode des populations du Sud vers le Nord, immigration,
Main d’œuvre non qualifiée, etc.
Objectifs :
o Proposer la méthode optimale de travailler (« ONE BEST WAY »)
o Augmenter la productivité
o Lutter contre la « flânerie systématique »
o Mettre en place une rémunération au mérite (« fair’s day work ») ou à la pièce
o Sélectionner le meilleur ouvrier/tâche donnée
Son travail se base sur une observation des activités ouvrières et une analyse rigoureuse des gestes (chronométrage) de
chaque phase d’un travail décomposé.
→Réorganisation du travail, recherche de l’efficacité des gestes→Augmentation productivité
Méthode :Organisation scientifique du travail (OST) →optimalisation et rationalisation de la production :
Division du travail :
Verticale (conception (apparition des bureaux de méthodes) ≠ exécution
Horizontale (morcellement des tâches < décomposition scientifique du processus de
production))
Spécialisation des tâches et sélection des travailleurs (the right man at the right place)
Individualisation par une organisation de postes de travail séparés permettant d’améliorer la cadence
de production (chacun à son poste) et permettant de distinguer les rendements individuels (primes de
rendement)
Surveillance des ouvriers (chronométreurs et agents de maîtrise)
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Modification du style de gestion
Amélioration de l’environnement physique de travail.
Diriger une entreprise est une science et non une capacité individuelle (technique qui s’apprend). Il
s’agit d’organiser toute entreprise pour qu’employeur et employés soient satisfaits. Le but est
d’améliorer la production sans accroître le temps de travail.
Cependant, cette approche ne prend pas en compte les modes de prise de décision donc sa science de la
direction n’est qu’une science du travail fondée sur un modèle mécaniste.
L’ouvrier devient un pur instrument de production, ce qui permettra ensuite d’envisager son remplacement par
un robot, ce que fera Henri Ford (fordisme) dans l’entre-deux-guerres.
L’homme n’est pas une machine et n’a pas pour seule motivation de gagner de l’argent. En négligeant la
dimension psychologique et psychosociologique du travail, le taylorisme est une « théorie physiologique des
organisations ». De plus, le taylorisme ne s’applique pas au travail intellectuellement complexe.
L’OST a davantage étudié l’organisation formelle. En réaction, l’école des relations humaines mettra l’accent sur
l’organisation informelle.
ELTON MAYO (1880-1949)
Le travail pour lequel il est engagé à Hawthorne, à l’usine de la Western Electric de Chicago est de type taylorien et porte
sur l’amélioration de la productivité d’un atelier d’assemblage de circuits électriques d’appareils radio. La main d’œuvre
est essentiellement féminine, le travail monotone et répétitif.
Le résultat apparaît paradoxal : lorsque l’on modifie les conditions matérielles (éclairage, réorganisation de l’espace,
couleur des murs, mais aussi diminution des horaires, autorisation de bavarder, etc.), la productivité augmente ; mais
lorsqu’on supprime ces changements, la productivité continue d’augmenter.
Mayo fait donc apparaître le phénomène relationnel : le fait que Mayo et la direction s’intéressent aux ouvriers induit un
climat plus chaleureux qui a des répercussions inconscientes sur le sentiment d’estime perçu.
La seconde étude de Mayo porte sur l’industrie aéronautique de Californie. Elle montrera que l’absentéisme et les
démissions sont plus marqués chez ceux qui sont isolés, mal intégrés ou en mauvais termes avec l’encadrement.
Partant d’une hypothèse taylorienne, il fait donc apparaître l’importance des relations de groupes, du climat
psychologique et des modalités de commandement.
Au cours du XXème siècle, l’évolution des différents modes d’organisation du travail et les courants théoriques qui s’y
rattachent pourront se schématiser selon un double axe, vertical et horizontal.
ESPACE SOCIOLOGIQUE DES THÉORIES DE LA SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS
Un axe vertical fait apparaître deux dimensions fondamentales de la conception de l’organisation du travail :
L’approche sociale → satisfaction et motivation du personnel
L’approche rationnelle → centrée sur les résultats techniques et économiques
Un axe horizontal fait référence à la notion d’ouverture et de fermeture du système que représente toute organisation :
Un système fermé centré uniquement sur la gestion des variables internes
Un système ouvert qui prend en compte les éléments extérieurs (économiques, politiques, culturels, sociaux,
technologiques, juridiques, etc.).
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Ces deux axes déterminent 4 zones dans lesquelles se répartissent à la fois chronologiquement, idéologiquement et
conceptuellement les tendances dominantes de l’évolution des théories de l’organisation.
1. ÉCOLE CLASSIQUE (1900-1930) : WEBER, T
AYLOR, FAYOL
ORGANISER = METTRE RATIONNELLEMENT DE L’ORDRE
Max Weber (1864-1920) :
Remettant en cause la notion d’autorité traditionnelle, il propose un modèle d’organisation qui s’appuie sur des
procédures explicites de fonctionnement pour rationaliser cette notion d’autorité. Le modèle bureaucratique présente,
selon lui, la meilleure forme d’organisation.
Calquée sur le modèle de vie bourgeois de l’éthique protestante, elle se caractérise selon les critères suivants :
Division du travail fixée et officialisée
Hiérarchie clairement définie des postes et fonctions selon une stratification pyramidale où pouvoirs et
responsabilités sont clairement définis à chaque niveau
Système de règles abstraites, stables et explicites
Séparation des droits personnels et des droits officiels
Sélection du personnel sur le critère des qualifications techniques
Carrière progressant en fonction de critères objectifs.
Cette lecture marque encore aujourd’hui nos institutions publiques :
Spécialisation des tâches (division du travail)
Standardisation des tâches (règles explicites et stables définies dans le règlement et circulaires administratives)
Formalisation des tâches
Capitalisation de l’autorité (hiérarchie pyramidale)
Relations impersonnelles
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La rationalisation des tâches se déplace de l’usine (TAYLOR) à l’administration (WEBER) et au secteur tertiaire (services).
C’est ce qui sera développé par Henri FAYOL (1841-1925) qui développera les principes managériaux et la notion de
« fonction administrative ».
L’administration, fonction de l’entreprise, est une fonction à part.
A cette division poussée du travail doit correspondre un système de centralisation, de coordination et de contrôle
permettant la convergence des énergies particulières vers les objectifs des dirigeants.
Administrer, c’est :
1. Prévoir et planifier
2. Organiser (munir de tout ce qui est utile au fonctionnement)
3. Commander (tirer le meilleur parti possible des agents qui composent son unité dans l’intérêt de l’entreprise)
4. Coordonner (mettre de l’harmonie entre tous les actes d’une entreprise de manière à en faciliter le
fonctionnement et le succès)
5. Contrôler (vérifier que tout se passe conformément aux plans établis …
… selon des principes d’administration : division du travail, unité de commandement (pour une action quelconque, un
agent ne doit recevoir des ordres que d’un seul chef), unité de direction, centralisation, ligne d’autorité, hiérarchie
(organigramme = arbre), discipline, responsabilité (la potentialité de la sanction marque la responsabilité), subordination
des intérêts particuliers à l’intérêt général, rémunération, équité, stabilité, initiative, union, etc.
Henri Fayol préconise de dispenser des cours d’administration dans les grandes écoles d’ingénieurs pour développer des
qualités de leadership, de chef.
Par rapport au taylorisme, sa théorie représente cependant un progrès : elle n’est pas seulement une science du travail,
elle traite de l’organisation humaine, qui n’a plus pour seule fin le rendement, mais le meilleur fonctionnement global
de l’entreprise et qui, par conséquent, concerne davantage les dirigeants que les exécutants.
Ces trois théoriciens ont minimisé l’influence des forces de l’environnement, celle de la dynamique sociale ; ils ont
méconnu les phénomènes de groupe, les phénomènes psychologiques et sociologiques du pouvoir. Négligeant
l’affectivité de l’individu, ils participent pleinement à cette logique de système fermé qui perdure au-delà des années
30’.
2. ÉCOLE DES REALTIONS HUMAINES (1930-1960) : MAYO, MASLOW, HERZBERG, MAC GREGOR
ORGANISER = TENIR COMPTE DE LA PSYCHOLOGIE HUMAINE
La logique du système fermé prédomine encore mais les recherches en psychologie et psychologie sociale vont influencer
le regard porté à l’activité de production, tant matérielle qu’intellectuelle.
Le contexte social a aussi changé : grandes grèves ouvrières, essor du syndicalisme, conséquences humaines et sociales
de la première guerre mondiale, crise économique de 1929, Front populaire, etc.
Comme vu précédemment, Elton MAYO met en avant l’influence des attitudes et relations sur la qualité du travail.
L’organisation, plus seulement technique, se teinte d’humain et de social. L’appât du gain est insuffisant pour motiver
celui qui travaille, les motivations sont plus complexes.
Abraham MASLOW (1908-1970) met en valeur une « théorie des besoins humains » qui dépasse largement la définition
biologique en cours (se nourrir, se reposer, …) : tout être humain cherche à satisfaire chaque besoin d’un niveau donné
avant de penser à ceux du niveau au-dessus.
10
Sans négliger la dimension technique préconisée par l’« école classique », affectivité et satisfaction autre que matérielle
sont à envisager en priorité dans toute organisation de production. Satisfaire chaque strate de la pyramide, c’est assurer
une amélioration de la productivité.
Frédéric HERZBERG (1923-2000) va compléter cette théorie en cherchant avec précision quelles sont les motivations de
l’homme et quelles conditions il faut réunir pour que l’homme s’épanouisse dans son travail. Il montrera que les
circonstances qui conduisent à la satisfaction sont différentes de celles qui conduisent à une insatisfaction. Il montre que
ce n’est pas parce qu’on va supprimer les causes d’insatisfaction que l’individu sera satisfait et réciproquement. D’une
manière générale, les facteurs de mécontentement sont surtout liés à l’environnement tandis que les facteurs de
satisfaction sont ceux qui permettent un développement personnel, une considération du travail accompli.
Il faut donc « enrichir » le travail en incluant dans celui-ci des facteurs de motivation, tout en améliorant l’environnement
des salariés.
Facteurs d’hygiène, « bonne santé » des relations humaines dans l’entreprise : relations avec les supérieurs et
les collègues, avantages sociaux, salaire et conditions matérielles de travail (nécessaires pour la satisfaction mais
pas suffisants).
Facteurs moteurs, facteurs de dynamisme : possibilités de carrière, responsabilités confiées, appréciation
exprimée des performances, sentiment de pouvoir se réaliser (satisfaction et motivation au bénéfice de la
production).
MAC GREGOR (1906-1964) est l’un des premiers à rejeter les techniques de management reposant sur la théorie
classique, qu’il appelle « théorie X » :
Modèles (armée, église) plus adaptés aux réalités de l’entreprise, surtout après la 2ème
guerre mondiale ;
Ne tient pas compte de l’influence du milieu (environnement économique, politique, concurrence, etc.) ;
Hypothèses simplistes concernant les comportements humains (aversion pour le travail, flânerie systématique,
etc.) ;
Autorité comme pivot central alors que ce n’est qu’un outil, parmi d’autres, du management et de la motivation.
Il propose donc une théorie du management :
« Théorie Y » :
Contre l’idée développée par le taylorisme, l’homme n’est pas réfractaire au travail, il peut y trouver une
satisfaction.
La crainte de la sanction n’est pas le seul stimulus. Un objectif clairement défini est aussi une forte incitation
à l’action.
Jusque-là, les principes d’organisation ne permettent pas de tirer le meilleur parti des capacités de l’homme.
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Principe d’intégration : création de conditions telles que les membres de l’organisation puissent atteindre leurs
propres buts en dirigeant leurs efforts vers la réussite de l’entreprise. Le contrôle, au lieu d’être exercé par la
direction, doit l’être par les travailleurs eux-mêmes. Pour la théorie Y, une organisation qui ne tient pas compte
des buts et motivations personnelles de ses agents est une mauvaise organisation.
Nécessité d’accroître les responsabilités des agents, surtout ceux du bas de l’échelle hiérarchique, et de
promouvoir, non à la place mais à côté de la structure pyramidale, de nouvelles relations d’autorité et de
contrôle entre supérieurs et subordonnés.
Il faut attendre les bouleversements politiques, économiques et surtout culturels des années 60’ pour qu’une autre vision
commence à s’imposer, celle de l’importance de la gestion humaine de la planète, pour que la notion d’environnement
prenne sens.
3. COURANT NÉO-CLASSIQUE ET COURANT DE LA CONTINGENCE
ÉCOLE NÉO-CLASSIQUE (1960-1970)
ORGANISER = APPORT DES PRATICIENS : UNE RATIONALITÉ REPENSÉE
Ainsi nommée car elle semble être un retour vers le modèle taylorien, elle est en fait une réaction au « psychologisme »
trop important dans l’école des relations humaines. Elle est le fait non plus de chercheurs mais de praticiens.
Cette école a conservé l’idée de l’école classique que la science des organisations doit aboutir à formuler des principes
clairs, simples, praticables, valables pour toute organisation.
Alfred P. SLOAN a mené General Motors Company à la première place mondiale. Favorable à la décentralisation qui
entraîne efficacité, rapidité et responsabilité, il donne de l’importance à la circulation horizontale des informations. Alors
qu’il reste attaché à la maximisation du profit comme but de toute entreprise, ses principes rompent avec la théorie
bureaucratique classique.
Consultant chez General Motors Company, P.F. DRUCKER renversa le modèle classique de l’entreprise capitaliste en
prétendant que le but n’était pas le seul profit mais le maintien et le développement de la clientèle. Il introduit la notion
de marketing et de connaissance de la clientèle. Les deux postes de profit dans l’entreprise sont, pour lui, la Recherche et
le Marketing.
Ce qui fait progresser une entreprise, ce sont les hommes. Ce qui suppose de ne pas exiger des ouvriers qu’ils laissent leur
intelligence au vestiaire lorsqu’ils entrent à l’usine.
Décentralisations des responsabilités
Autonomie des unités de travail
Résultats de chaque unité comme seul moyen de contrôle
Cela transforme la série de tâches en objectifs à atteindre ce qui a des conséquences sur l’organisation :
Les décisions doivent être prises au niveau le plus bas possible, ce qui implique décentralisation des décisions et
formation du personnel. Ce modèle évoluera vers la notion de management participatif.
ÉCOLE DE LA CONTINGENCE
ORGANISER = PRENDRE EN COMPTE L’ENVIRONNEMENT
C’est par l’influence de l’environnement que l’on doit analyser le fonctionnement de toute organisation.Laissant
l’approche sociale et son jeu complexe de sentiments humains derrière, ce modèle retourne à une approche qui se veut
« rationnelle ».
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Repérer les déterminants extérieurs qui influent sur la construction du système organisationnel et son
évolution ;
Tout système organisationnel existe et se maintient par ce qu’il apporte à l’environnement dans les
réponses qu’il donne aux attentes de ce dernier.
La bonne organisation est celle qui sait s’adapter à son environnement, à l’ensemble des éléments sociaux,
économiques, politiques, culturels et à leurs contraintes.
4 facteurs, éléments imprévisibles et fortuits, vont affecter la structure d’une organisation :
1) Son âge et sa taille :
La structure reflète son âge : plus une organisation est âgée, plus elle est formalisée. Plus une organisation est grande,
plus sa structure est élaborée, formalisée.
2) Son système technique :
C’est-à-dire l’ensemble des instruments collectifs utilisés par les opérateurs.
3) Son environnement :
Tout le contexte (physique, historique, économique, politique) situé en dehors de l’organisation va avoir une part
d’influence sur celles-ci.
4) Les relations de pouvoir internes et externes à l’organisation :
Plus il y a de contrôle externe de l’organisation, plus son pouvoir sera centralisé.
L’école de la contingence cherche à rendre compte de la manière dont se structure lesorganisations. On parle de
contingence au sens où le poids des contraintes retenues (technologiques, marché, système institutionnel) rendrait
contingentes les structures de l’organisation. Ce courant théorique est né en 1965 des travaux d’un économiste
britannique, J. Woodward, qui a comparé les organisations d’entreprises dans un environnement institutionnel stable et
appartenant à la même région. Il a conclu que ces structures étaient liées à la technologie et au marché.
Aujourd’hui, ce type d’approche est largement vulgarisé par Henry Mintzberg, qui ajoute cependant que la structure est
certes liée à l’environnement mais qu’elle dépend aussi des buts des dirigeants.
Mintzberg a élaboré une typologie des organisations selon trois composantes :
DIVISION DU TRAVAIL ET COORDINATION DES OPÉRATEURS
5 catégories de travailleurs sont définies pour des tâches différentes
1. Le sommet stratégique :
Il est composé des cadres dirigeants et de leurs conseillers qui veillent à l’accomplissement des missions et des besoins
de ceux qui la contrôlent (acteurs politiques, économique, religieux).
Il a 3 rôles : la supervision directe, la gestion des « conditions de frontière », c'est-à-dire des relations à l’environnement,
et le développement de la stratégie de l’organisation.
2. La ligne hiérarchique :
Elle est constituée de tous les cadres moyens en ligne directe entre le sommet stratégique et le centre opérationnel.
Elle est nécessaire pour les organisations qui utilisent la supervision directe et aura tous les rôles du sommet hiérarchique
mais dans le cadre de son unité.)
3. Le centre opérationnel :
Il est constitué des « opérateurs », « cœur de l’organisation », directement liés à la production des biens et des services.
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Plus une organisation est simple et de petite taille, plus elle fonctionne par ajustement mutuel : le centre opérationnel y
est « auto-suffisant ».
Plus une organisation est complexe, plus la supervision directe devient nécessaire : le travail est divisé
administrativement entre ceux qui font (opérateur) et ceux qui supervisent (le sommet stratégique et la ligne
hiérarchique).
4. La technostructure :
Elle standardise le travail du centre opérationnel. Son travail est réalisé par des « analystes » de 3 types : les analystes du
travail qui standardisent les procédés de travail, les analystes de planification et de contrôle de tous les résultats, les
analystes du personnel et de leurs qualifications.
5. Les fonctionnels du support logistique :
Ce sont tous les services spécialisés (ex : cafétéria, conseil juridique, bibliothèque, distribution du courrier, relation
publique, etc.). Ils sont en dehors du « flux » de travail car ils n’ont pas une fonction de support direct, ils ne sont pas
nécessaires à la coordination des tâches, aux missions de l’organisation.
Mintzberg ajoute à ces catégories l’Idéologie, c’est-à-dire les traditions, les croyances, le système de valeurs, les
pratiques propres à l’organisation.
Le centre opérationnel, le sommet stratégique et la ligne hiérarchique constituent les unités opérationnelles.
La technostructure et les fonctionnels du support logistique ont un rôle de conseil ou de service et n’appartiennent pas à
la structure d’autorité formelle.
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6 mécanismes de coordination sont définis :
1) L’ajustement mutuel :
Il s’agit d’une coordination par « simple communication informelle » entre travailleurs. Les travailleurs contrôlent leur
travail.
2) La supervision directe :
Une personne est investie de la responsabilité du travail des autres. Elle leur donne les consignes et contrôle leur travail.
3) La standardisation des procédés :
Le contenu du travail des opérateurs est précisé ou programmé. Les opérations et processus à suivre sont écrits.
4) La standardisation des résultats :
Les résultats sont prévus et précisés à l’avance (performance à atteindre, rentabilité, etc.).
L’autonomie de travail est conservée dans les moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces résultats.
Les relations entre travailleurs (interface) sont importantes dans la prédétermination de leurs tâches.
5) La standardisation des qualifications :
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Les compétences nécessaires à la réalisation d’une tâche sont précisées (généralement ce sont des compétences acquises
hors de l’organisation).
6) La standardisation des normes :
Il existe une « culture d’entreprise » qui définit des normes et des valeurs partagées par tous. Elles serviront de « cadre
de référence » pour les décisions et les actions.
BUTS ORGANISATIONNELS
Buts et pouvoir sont deux dimensions indissociables : le pouvoir va viser l’accomplissement des buts et les buts ne seront
atteints que par l’exercice du pouvoir.
Les buts sont donc les « intentions précédant les décisions ou les actions ».
Les buts et les niveaux hiérarchiques
Les buts varient en fonction du niveau hiérarchique (cf. hiérarchie pyramidale).
Le sommet stratégique a pour but premier de « conserver ou d’accroître son pouvoir ». Son second objectif est la «
croissance » de l’organisation pour son intérêt et profit personnel (s’il en est propriétaire) ou pour sa survie. En effet, la
survie de l’organisation est primordiale pour le sommet stratégique puisque si l’organisation échoue, lui aussi.
La ligne hiérarchique va tenter de centrer le pouvoir à leur niveau mais leurs objectifs sont identiques au sommet
stratégique : survie et croissance de l’organisation (plus cette croissance est importante, plus les possibilités de
promotion le seront pour eux).
Les opérateurs non qualifiés cherchent à obtenir des avantages d’ordre matériel (salaires, conditions de travail, etc.) et
social puisque leur travail répétitif et très contrôlé ne lui procure pas beaucoup de satisfaction. De plus, leurs buts
rejoignent ceux du groupe et non de l’individu seul.
Les opérateurs professionnels (ou qualifiés) visent à « conserver leur autonomie en renforçant leur professionnalisation
ainsi que le prestige et les ressources allouées à leur métier ». L’amour pour son travail est important et se traduit par
son engagement, son perfectionnement professionnel. Cet aspect est son but premier mais la qualité du service qu’il
offre, s’il est en relation avec son client, le sera aussi.
Les analystes de la technostructure ont pour but premier, et raison d’être, la bureaucratisation de l’organisation et la
standardisation de ses activités. Pour justifier leur rôle, ils vont aussi promouvoir le changement parallèlement à la
stabilité qu’amène la mise en place de cette standardisation. Leur but second est le perfectionnement pour mettre en
avant les valeurs du système technocratiques qu’ils construisent.
Le personnel de soutien logistique non qualifié a les mêmes buts que les opérateurs non qualifiés.
Le personnel de soutien logistique qualifié prône la collaboration puisque l’organisation fait appel à eux.
Les buts organisationnels
Différents buts existent selon la structure du pouvoir dans l’organisation :
- les buts idéologiques : les valeurs partagées sont mises en avant dans les missions que se donne l’organisation ;
- les buts formels : imposés par l’organisation (le sommet stratégique, coalition externe ou technostructure) pour
assurer une cohérence du comportement organisationnel ;
- les buts personnels partagés : résultats d’un consensus entre les membres de l’organisation qui ont des intérêts
communs ;
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- les buts de systèmes : ils permettent de maintenir le système et de satisfaire les besoins de ses membres ou d’un «
détenteur d’influence » ou des missions ; ils sont de 4 types : la survie, l’efficience (c’est-à-dire « atteindre le plus grand
bénéfice par rapport au coût dans n’importe quel but poursuivi »), le contrôle de son environnement, la croissance (des
effectifs, de la clientèle ou de chiffre d’affaire).
DISTRIBUTION DU POUVOIR
Mintzberg définit ainsi des « configurations structurelles » selon un schéma de base dont il va ensuite décliner les
variations typiques et les éléments de pouvoir.
1. Le 1er modèle est appelé « Configuration Entrepreneuriale » : Il caractérise les entreprises naissantes où le pôle
structurant est celui du sommet stratégique. C’est autour de la direction que s’exercent la prise de décision, la
coordination et le contrôle. La formulation de la stratégie est réalisée par le leader.
2. Dans le 2nd modèle, le pôle dominant est la technostructure qui recherche l’optimisation des processus. Cette
configuration « Bureaucratique » est adaptée à un environnement stable et simple.
3. La 3ème configuration est celle où la force structurante se situe sur la ligne hiérarchique : c’est l’organisation en
divisions, où les différentes lignes sont évaluées en général sur leur performance financière. Le contexte
favorable à ce typed’organisation est celui d’un marché diversifié. La formulation de la stratégie est délicate, car
à la stratégie de « groupe » s’ajoutent les stratégies propres des Business Units.
4. La force dominante peut se situer aussi dans le centre opérationnel, c’est le 4ème
modèle, celui de l’organisation
professionnelle, marquée par une autonomie, un savoir-faire et expertise prononcée.
5. Le 5ème modèle fait émerger l’innovation qui fait se regrouper les experts en équipes pluridisciplinaires
travaillant avec les managers et où le rôle du support est clé. Le contexte est celui d’un environnement complexe
et dynamique, combinant technologies de pointe et changements fréquents de produits. C’est l’organisation
innovatrice.
6. Un 6ème modèle apparaît lorsque la force est structurée autour d’une enveloppe appelée « culture » ou «
identité ». C’est le cas de McDonald, IBM, Toyota, qui abritent cependant dans un second plan, l’un des 5
modèles exposés ci-dessus. La dynamique de la coordination est fondée sur un ensemble de normes et de
croyances qui remplacent par les régulations issues d’un des cinq pôles.
Une des limites de la théorie de la contingence est qu’elle ne met pas en lumière le rôle de l’acteur stratégique
autrement que par le fait que les jeux d’acteurs nuisent à l’émergence du modèle qui serait le plus approprié selon cette
théorie. Tout cela est manifeste dans son 7ème modèle « l’arène politique » qui est présentée de manière négative.
Une autre limite est que chez Mintzberg l’apparition des configurations est présentée comme une adaptation nécessaire
à l’environnement. « Or ce type d’évidence est profondément négateur de la liberté qui caractérise lesorganisations et
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les humains ». Profondément utile, cette théorie ne permet pas decomprendre comment les acteurs peuvent être à la
fois ceux qui construisent le système et le font évoluer. C’est l’apport de l’analyse stratégique.
4. ANALYSE STRATÉGIQUE ET SYSTÉMIQUE (1970-)
ORGANISER = PRENDRE EN COMPTE LES CONDUITES ET LEURS INTERACTIONS
Le courant de l’OST avait ignoré la place de l’affectif et le poids des individus dans l’organisation ; celui des relations
humaines avait neutralisé l’environnement que le courant de la contingence avait rendu dominant de façon absolue.
L’analyse stratégique et systémique est au confluent de ces courants de pensée.
L’analyse stratégique de Crozier et Friedberg est le socle de la sociologie en France. Pour Michel Crozier, tout système
social, et l’organisation en est un, peut être compris à partir de l’action des différents agents qui le composent. Celle-ci
est signifiante : l’acteur obéit à des mobiles, à des motifs, poursuit une fin qu’il s’est préalablement fixée, compte tenu
des objectifs organisationnels et de ses visées propres. Le problème des organisations est de constituer un système,
c’est-à-dire de réaliser l’intégration de ses membres, et de parvenir à la meilleure adaptation possible à l’environnement.
Pour ce faire, il convient, en particulier, de concilier, dans la mesure du possible, efficacité et efficience de l’action. Une
action est efficace lorsqu’elle atteint les buts qu’elle s’est fixés ; elle est efficiente si elle donne satisfaction aux mobiles et
motifs individuels des acteurs.
Onparle d’analyse stratégique en ce sens que le comportement des acteurs dépend des objectifs clairs et conscients, des
atouts qui sont à leur disposition et de la situation donnée au moment de l’action.
LA CAPACITÉ D’ACTION DE L’INDIVIDU REPOSE SUR QUATRE POSTULATS :
1. L’organisation est un construit : en ce sens que les acteurs ont bien conscience des contraintes externes, mais ce
sont eux qui vont construire sur le terrain la nouvelle organisation en fonction du jeu des acteurs.
2. L’acteur est relativement libre : l’acteur n’est jamais complètement enfermé dans son rôle dans l’organisation.
Tout le monde peut donner une interprétation de son rôle en mettant à profit les ambiguïtés, incohérences et
contradictions qu’il recèle.
3. Les objectifs des organisations et des individus se recouvrent mais pas totalement. Même dans les situations
fortement mobilisatrices (sauvetage d’une entreprise par son personnel), on observe de nombreux
arrangements négociés, ne traduisant jamais une soumission fataliste.
4. La rationalité limitée : la théorie de la rationalité limitée met en avant le fait que si tous les hommes sont dotés
d’une même « raison calculatrice », leur raisonnement, tout logique qu’il soit, est affecté, orienté, modelé par la
position dans laquelle ils se trouvent pour appréhender une situation donnée.
Crozier et Friedberg, partant de cette théorie de la rationalité limitée, proposent un nouveau type d’analyse sociologique
qu’ils appellent « l’analyse stratégique ». L’agent ne choisit pas au hasard ; ses choix dépendent certes de ses valeurs,
mais aussi de la manière dont il perçoit la situation, et des moyens dont il dispose pour en tirer parti. Chaque agent a sa
stratégie personnelle, joue son propre jeu dans le cadre du système d’actions dont il fait partie, et cherche à augmenter
son pouvoir, ainsi qu’à développer l’étendue de la zone placée sous sa responsabilité. Dans le cadre des règles que
développe chaque système d’action, les joueurs essaient de mettre en œuvre une stratégie dont la fin est d’accroître leur
influence. Le concept de stratégie permet de comprendre les « régularités de comportement » des acteurs.
Crozier, dans le Phénomène bureaucratique, étudiant les ateliers du Monopole industriel, découvre que là où
l’organigramme prévoyait des rapports techniques entre des catégories de travailleurs, apparaissent des relations de
pouvoir non voulues et imprévisibles. Il s’agit pour chacun de détenir tout le pouvoir que l’organigramme lui accorde et
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de chercher à l’accroître au détriment des autres. On retrouvera cette conception dans la « théorie des champs » de
Bourdieu, appliquée aux domaines de la légitimité culturelle.
LES JEUX D’ACTEURS EN SITUATION : LES ZONES D’INCERTITUDES
Ce sont les incertitudes qui viennent créer les situations propices aux jeux d’acteurs.
L’exemple de l’étude du monopole des Tabacs par Crozier est frappant. Dans cette entreprise, il n’y a qu’une forme
d’incertitudes (la fiabilité des machines) : ce sont les ateliers de maintenance – qui maîtrisent le plus cette incertitude -
qui peuvent alors développer des stratégies contre les autres acteurs.
Le pouvoir n’existe pas dans l’absolu ; il surgit autour des zones d’incertitudes. Quelques positions procurent cependant
des ressources importantes permettant plus particulièrement le contrôle des sources du pouvoir. C’est d’abord
l’expertise, à condition qu’elle soit pertinente pour résoudre le problème auquel on est confronté. Ce n’est donc pas
l’expertise en soi qui qu’il s’agit, mais de la compétence pertinente pour réparer une machine par exemple. Il en va de
même pour l’information. Une autre source concrète du pouvoir concerne les positions dans un réseau de
communication. Être un relais efficace avec l’environnement, avoir un « réseau » est non seulement utile pour
l’organisation mais donne du pouvoir. Enfin, la capacité d’action sur les règles du jeu est importante. Être capable
d’édicter le droit ou d’interpréter la règle dans une position ambigüe élargit le champ d’influence.
Mais comment alors les organisations peuvent-elles tenir dans le temps ? C’est le concept de système d’action concret
qui permet decomprendre le passage vers un fonctionnement collectif.
LE SYSTÈME D’ACTION CONCRET
Exemple : PME qui informatise sa « supply chain » via un logiciel performant et qui dans les premiers mois se heurte à
d’importantes difficultés d’appropriation de la solution. Heureusement, les chefs d’ateliers se confectionnent depuis
longtemps des stocks clandestins pour satisfaire les besoins des commerciaux, à l’encontre de l’organisation formelle
nouvellement imposée. Cet exemple n’est pas là pour réduire l’importance de l’organisation formelle mais pose la
question du repérage des logiques d’action que se donnent les acteurs pour résoudre les problèmes quotidiens de
l’action. Ainsi, avant l’arrivée de ce logiciel, les chefs d’ateliers, et les vendeurs, les ouvriers professionnels et les
magasiniers avaient trouvé des moyens d’ajustement bien avant l’arrivée de l’informatique. Leur jeu de pouvoir n’était
donc pas machiavélique. Chacun essayait de faire de son mieux, tant pour ses propres objectifs que pour le maintien de
l’entreprise et son développement.
A côte de son côté pratique de résolution de problèmes au quotidien, le système d’action concret concerne le maintien
de la structure par des mécanismes de régulation qui constituent alors d’autres jeux. « C’est ce construit à la fois stable et
souvent informel mais jamais achevé qui permet aux acteurs d’établir dans les situations difficiles les transactions
nécessaires au maintien et à la poursuite de l’action. »
Ce que ne dit pas, ou pas suffisamment assez, le système d’action concret de l’analyse stratégique est la manière dont
se construisent les règles. Tout un courant sociologique s’intéresse, au-delà de l’analyse des organisations, à la
production des règles dans ces organisations.
LA RÉGULATION
« La théorie sociologique de la régulation (Reynaud 1989) répond à la question de construction des règles, celles par
lesquelles un groupe social se structure et devient capable d’actions collectives. » À travers l’usage des postulats «
croziériens » du construit et de la liberté de l’acteur, J.D. Reynaud met l’accent sur la construction, en récusant le recours
à des valeurs (sauf à dire qu’elles sont elles aussi des construits). Selon la théorie sociologique de la régulation, ces règles
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(dont l’ensemble ainsi formé est appelé culture) sont le produit de la régulation conjointe, du compromis négocié.
C’est donc une culture qui se crée et recrée en permanence. « Il ne s’agit pas d’un système de valeurs, avec des
contraintes qui seraient données, elles sont le résultat des effets de la consultation et de la négociation. »
Pour autant, « se plaçant globalement dans la perspective de l’analyse stratégique, elle a les mêmes points obscurs que
celles-ci. Elle a du mal à rendre compte de la permanence des règles et de leur continuité. Pourquoi les acteurs créent-ils
des règles ? ». Elle ne donne une réponse qu’en termes de stratégie et de jeux. Introduire le concept d’identité, c’est
permettre d’aller plus loin en montrant que les finalités de ces stratégies ne sont pas qu’instrumentales, mais peuvent
avoir comme finalité pour un groupe de se définir lui-même.
Le groupe agit pour se prouver à lui-même qu’il existe, pour se faire reconnaître par les autres et pas seulement pour
conquérir du pouvoir vis-à-vis des autres. Même si« l’organisation est le royaume des relations de pouvoir, de l’influence,
du marchandage et du calcul ». L’action sert aussi et autant aux groupes à se structurer à travers la conquête de
l’influence des autres : Le fait même d’entrer dans le jeu de la négociation, d’être reconnu comme partenaire, est aussi
important que le contenu des négociations elles-mêmes.
LA CULTURE
L’observation montre, en face de ce mouvement permanent de construction/déconstruction bien mis en lumière par
l’analyse stratégique, une certaine stabilité des construits et des capacités d’action collective. Le concept de culture a
l’ambition de rendre compte de cette stabilité, de ses sources et de sa permanence.
Le concept de culture comporte beaucoup d’ambiguïtés.
On assimilera la culture au système de règles régissant les relations dans des groupes, dont les entreprises. Culture serait
pris alors au sens que M. Crozier et E. Friedberg (1977) donnent au système d’action concret, ensemble de régulations
des relations. Michel Liu (1981) a inventé le concept de « micro culture d’atelier » pour rendre compte de ces différences
à l’intérieur d’une même entreprise. Schein précise cette définition en ajoutant que la culture « est enseignée aux
nouveaux membres comme la manière correcte de penser et d’agir face à ses problèmes » (1985) Cette définition
présente la culture comme un construit. Cette définition élimine l’aspect culturaliste, culture donnée une fois pour
toute.
Les cultures nationales
Les auteurs rapportent que l’examen des entreprises comparables de pays différents, voire du même pays, montre que
des solutions apportées à des problèmes identiques ne sont jamais les mêmes. La genèse de la culture se comprend à
travers les analyses comparatives entre cultures nationales, d’une part, cultures de métier, de l’autre.
Le modèle national est composé de trois sous-systèmes : éducatif, c'est-à-dire la formation des travailleurs, les
hiérarchies et les qualifications, la mobilité, organisationnel : les structures d’emploi, les rapports dans le travail, la
hiérarchie et l’encadrement, et industriel : les rémunérations, le syndicalisme, les modes de conflits et de négociations.
Les cultures de travail
L’activité de travail est aussi une autre source d’élaboration des cultures. Les cultures de métier se constituent dans les
communautés professionnelles, à partir des expériences cumulées de capacités stratégiques venant de :
- la culture sociale antérieure (origine rurale ou citadine) qui trouve ses propres modes d’expression sur les lieux de
travail
- les caractéristiques du travail à travers ses
- L’organisation technique
- La situation stratégique dans les relations aux pouvoirs
- Le système des relations au travail (système de salaire, de promotion, de formation, syndicalisme)
Cet ensemble de variables permet de reconstituer ce qui pour un groupe social exerçant un métier particulier
correspondrait à une culture.
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V. COMMENT ANALYSER SOCIOLOGIQUEMENT UNE ORGANISATION ?
Nous retiendrons l’approche stratégique telle qu’on la voit développée chez Bernoux.Mais avant cela, nous tenterons de
définir les différents niveaux de l’organisation tels que les présente Ardoino.
LES SIX NIVEAUX D’UNE ORGANISATION : ARDOINO
Dans son ouvrage Ardoino cherche à attirer l’attention des enseignants et des responsables de réformes
sur la complexité de la réalité scolaire.
Nous utiliserons ces niveaux dans le cadre de la définition et de l’analyse d’une organisation.
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1/ Le niveau individuel : L’individu peut être considéré séparément des autres étant donné son caractère, son attitude ou son comportement, ses motivations, ses compétences (ex. « individualiste », « conflictuel », etc.). A ce niveau, l’observation porte sur la façon d’intérioriser ou non les normes sociales.
Traits de caractère, style de personnalité
Façons habituelles de réagir de cette personne, attitudes, comportements caractéristiques.
Compétences ou incompétences, aux niveaux professionnel, relationnel, social.
Enjeux personnels.
Intentions cachées
Problèmes personnels (santé physique ou mentale, problèmes familiaux). 2/ Le niveau relationnel : Les relations entre 2 membres du groupe sont prises en compte : leur lien d’amitié ou non, l’histoire de leur relation, etc.
Identifier des relations fortes entre deux personnes, soit de bonne entente, soit de mauvaise entente.
Caractériser la nature des relations « positives »: complémentarité professionnelle, amitié, relation affective, enjeux sexuels.
Caractériser la nature des relations « négatives » : conflit de compétence, rivalité pour l’obtention d’un poste, divergences idéologiques, incompatibilité d’humeur ou de caractère…
Décrire les modes de communication entre ces personnes : prennent-elles le temps de se parler, d’écouter l’autre, de vérifier les informations officieuses, de s’expliquer, d’échanger au sujet d’avis divergents ?
3/ Le niveau groupal : La façon dont le groupe se structure et s’organise est étudiée. Le groupe est étudié en terme de système avec sa dynamique propre et toujours en mouvement. Tout en sachant que l’ensemble des membres du groupe est plus que la somme de chacun de ses membres : le groupe est une entité propre et différente à chacun de ses parties.
Quels sont les groupes concernés par le conflit ?
Dans chaque groupe, repérer o Les leaders et les personnes influentes. o Les sous-groupes et les alliances o Les normes qui, si elles ne sont pas respectées, entraînent la désapprobation ou la mise à l’écart par les
autres membres du groupe. o Ce qui favorise la cohésion et la bonne ambiance dans le groupe.
4/ Le niveau organisationnel : L’organisation des différents groupes entre eux est l’objet de ce niveau d’observation. Les fonctions et rôles de chacun des membres, les processus d’influence, les relations de pouvoir, etc. sont au centre de ce niveau d’analyse.
Disposition des locaux et impact sur les relations entre les travailleurs.
Organisation des horaires et impact sur les relations entre les travailleurs.
Définition des finalités de l’entreprise et des objectifs à atteindre.
Incidence de l’évolution du marché sur la définition des objectifs : identification des acteurs de l’organisation jouant un rôle à ce niveau.
Clarté de l’organigramme.
Composition de l’assemblée générale et du conseil d’administration.
Identification des catégories d’acteurs et de leurs intérêts respectifs.
Définition des rôles et des fonctions. Est-elle claire, bien acceptée, effective ?
Exercice de la fonction de contrôle.
Diffusion et circulation de l’information officielle.
Identification des réseaux de communication informelle.
Modalités de coordination à l’intérieur des unités et entre les unités.
Clarté des modes de prise de décision, aux différents niveaux.
Existence de lieux d’échanges permettant la gestion des difficultés : o au niveau du travail proprement dit, o au niveau des relations entre les membres du personnel, o au niveau des relations entre la direction et les infirmiers et le personnel administratif, d’entretien, etc.
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5/ Le niveau institutionnel : L’institution au sens plus large à laquelle appartiennent ces groupes est observée, mettant en avant la « culture » institutionnelle. L’étude porte sur les relations internes et externes, la place de l’institution dans la société, son rôle. Il s’agit de faire le lien entre le « microcosme » institutionnel et le macrocosme dans lequel elle se situe.
Identification des « forces » présentes au moment de la fondation de l’équipe. (Par «forces », il faut entendre des familles, des groupes de pression, des sociétés extérieures, des pouvoirs publics, des organisations syndicales, des pouvoirs organisateurs,…)
Repérage de grandes dates ayant marqué l’histoire de l’institution à partir, notamment, de l’arrivée d’autres forces dans l’établissement.
Caractéristiques de l’esprit maison, de l’idéologie dominante au sein de l’établissement.
Description de ce qui s’est passé lors de moments clés tels que les grands conflits, les changements, les restructurations, les fusions…
Identification de conflits de valeurs entre les représentants de l’idéologie dominante et d’autres acteurs porteurs de projets ou de valeurs différentes. Comment se sont résolus ces conflits et quel sort l’établissement réserve-t-il à ceux de ses membres qui proposent des choses différentes ?
Identification de valeurs divergentes entre catégories d’acteurs.
Identification de valeurs divergentes entre différents secteurs ou implantations.
Identification de valeurs nouvelles au sein de la société globale, valeurs qui remettent en question les valeurs dominantes de l’entreprise. Comment celle-ci gère-t-elle cette opposition ?
6/ L’historicité : La transformation du système dans son contexte social, historique, économique et politique y est étudiée. En dehors d’être un outil d’analyse, ces niveaux renvoient aussi à différentes possibilités d’interventions.
L’APPROCHE STRATÉGIQUE
a) les postulats de l’analyse stratégique
les hommes n’acceptent jamais d’être traités comme des moyens au service debuts que les organisateurs fixent
à l’organisation. Chacun a ses objectifs, sesbuts propres.
la liberté relative des acteurs. Dans une organisation, tout acteur garde unepossibilité de jeu autonome qu’il
utilise toujours plus ou moins. C’est là, pourBernoux, le centre de l’analyse stratégique.
dans ces jeux de pouvoir, les stratégies sont rationnelles mais d’une rationalitélimitée. « Devant tenir compte
des stratégies des autres et des multiplescontraintes de l’environnement, aucun acteur n’a le temps ni les
moyens de trouverla solution la plus rationnelle dans l’absolu pour atteindre ses objectifs. » (p.122)
Il y a donc plusieurs solutions, et celle qui est choisie n’est pasnécessairement la meilleure dans l’absolu mais celle qui
convient en l’état dela situation au moment où l’on doit décider.
b) trois concepts-clés en découlent :
Le pouvoir
« Le pouvoir est la capacité pour certains individus ou groupes d’agir sur d’autres individus ou groupes. » Comme le dit
Bernoux cette définition a l’avantage de mettre l’accent sur le caractère relationnel du pouvoir.
C’est une relation et non un attribut.
Elle a également l’intérêt de mettre en avant la notion de réciprocité : en effet il y a possibilité de pression de la part de
celui qui reçoit l’ordre sur celui qui le donne (zèle, résistance passive ou revendication-contestation).
D’autre part cela met en avant la dimension du conflit possible entre pouvoirs formellement définis et entre pouvoirs
informellement construits.
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Le pouvoir se révèle donc avoir deux sources. L’une imposée qui est la contrainte, l’autre reconnue qui est la légitimité.
Max Weber a bien analysé cette situation en disant que la légitimité est définie comme la capacité pour le détenteur du
pouvoir de faire adhérer l’autre à l’idée ou la tâche qu’il impose.
Émile Durkheim l’avait, dans des termes semblables, développé à propos de la notion d’autorité morale.
Bourdieu (après Marx) a montré comment cette légitimité passait par les formes de l’aliénation, forme inconsciente de
l’allégeance au pouvoir subi.
Crozier et Friedberg énumèrent quatre sources du pouvoir :
1) « celle qui tient à la possession d'une compétence ou d'une spécialisation fonctionnelle difficilement
remplaçable. L'expert est le seul qui dispose du savoir-faire, des connaissances et de l'expérience du contexte qui
lui permet de résoudre certains problèmes cruciaux pour l'organisation. Sa position est donc bien meilleure dans
la négociation aussi bien avec l'organisation qu'avec ses collègues. Du moment que de son intervention dépend
la bonne marche d'une activité, d'un secteur, d'une fonction très importante pour l'organisation, il pourra la
négocier comme des avantages ou des privilèges". C’est le pouvoir de l’expert.
2) la maîtrise des relations avec l'environnement. La force de celui qui maîtriseles relations avec
l'environnement et les communique à l'entreprise vient de ce qu'il détient la connaissance des réseaux à la fois
dans les deux domaines.
C'est le fameux "marginal sécant" partie prenante dans plusieurs systèmes d'action en relation les uns avec les
autres". Il peut, mieux que l'expert qui en est démuni, utiliser ses connaissances dans les deux milieux pour
consolider et agrandir son pouvoir. Un acteur utilise, dans une organisation, les relations qu'il a avec une autre
organisation à des fins parfaitement stratégiques.
3) la communication. Tout individu a besoin d'informations et il dépend pour elles de ceux qui les
détiennent. On sait bien que des conseillers informant à sens unique peuvent infléchir ou modifier une politique.
Réciproquement, celui qui reçoit ces informations peut, à son tour, peser sur ses correspondants par celles qu'il
transmet ou non. La communication d'informations a toujours une grande valeur stratégique. Elle s'effectue
donc en fonction des objectifs des individus et de ceux qu'ils prêtent à leurs correspondants.
4) l'utilisation des règles organisationnelles. Les membres d'une organisation sont d'autant plus
gagnants dans une relation de pouvoir qu'ils maîtrisent la connaissance des règles et savent les utiliser. Les
grandes organisations ont familiarisé leurs membres et leurs utilisateurs à l'idée qu'on ne se débrouille bien, et
donc que l'on ne peut exercer une pression efficace, que dans la mesure où les règles sont connues. On peut
remarquer que la multiplication des règles n'a donc pas seulement comme résultat de formaliser et de préciser
les règles du jeu faisant exister par là même d'autres règles informelles où se distribue le pouvoir, mais aussi de
favoriser ceux qui ont le temps ou le goût de les étudier. Par exemple, les règles d'avancement dans la fonction
publique ne servent pas seulement à lutter contre l'arbitraire en limitant le pouvoir des supérieurs ; elles servent
à ceux qui, dans le sérail, les ont apprises, vécues et peuvent alors les utiliser mieux que ceux qui les connaissent
moins.
Les quatre sources du pouvoir renvoient toutes à la maîtrise d'une zone d'incertitude. Cette dernière est une
condition d'existence du pouvoir.
La zone d’incertitude
Elle correspond à la capacité d’autonomie de l’acteur face au pouvoir et par le pouvoir. C’est en effet le pouvoir qui est
accordé à chaque statut et la représentation qu’en a chacun du ou des rôles qui y sont liés, qui construit cette zone
d’incertitude à l’intérieur de laquelle l’acteur est autonome dans ses choix.
Du haut en bas de la hiérarchie, on va retrouver cette zone d’incertitude liée à l’autonomie même dans les statuts
professionnels les plus déqualifiés et mécanisés.
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La zone d’incertitude est d’autant plus importante que l’on ne peut prévoir, calculer l’étendue de l’autonomie de chacun.
En effet si cette autonomie des choix estprévisible, on peut mettre en place une procédure de restriction des choix.
Crozier montre par exemple comment les ouvriers d’entretien dans l’entreprise qu’il étudie s’arrangent pour être les
seuls capables d’analyser une panne, excluant les agents de maîtrise de cette capacité d’expertise.
Le système d’action concret
C’est un concept essentiel dans l’analyse stratégique. Parce que l’ensemble de l’organisation n’est pas figé mais doit
s’adapter humainement à chaque situation rencontrée, les ajustements sont permanents mais non « naturels ». Ils sont
construits. C’est « l’ensemble de ce construit des ajustements permanents qui fait le système d’action concret. ».
L’analyse stratégique (quels acteurs ?) se croise ici avec l’analyse systémique (pour quelles raisons ce système ?)
permettant ainsi de comprendre pourquoi chacun n’est pas « à sa place » selon l’organigramme, pourquoi certains font
une partie de la tâche des autres sans qu’il y ait de perte dans la production finale, etc…
C’est bien l’acteur qui crée le système en mettant en place ou en défaisant des alliances entre acteurs, et en
constituant les règles de relations qui permettent de résoudre tous les problèmes de la vie quotidienne de l’entreprise.