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35 pratique compléments alimentaires Actualités pharmaceutiques n° 512 Janvier 2012 La gêne urinaire désigne la cystite, une infection, bénigne mais invalidante, fréquente chez la femme. À l’officine, les compléments alimentaires à base de canneberge constitueraient, en cas de récidive, une alternative intéressante à l’antibiothérapie. L es infections urinaires ou cystites sont particulièrement fréquentes chez les femmes dont l’urètre est plus court que celui des hommes. Ainsi, une femme sur trois aurait au moins une cystite dans sa vie et une sur deux serait concernée par une récidive. Chez les femmes jeunes, les rapports sexuels en seraient la première cause. Différents moyens préventifs ont été étudiés : la miction post-coïtale est ainsi recommandée. Depuis quelques années, l’industrie agro- alimentaire et pharmaceutique a déve- loppé des compléments alimentaires à base de canneberge qui revendiquent l’allégation : “Contribue à diminuer la fixation de certaines bactéries Escherichia coli sur les parois des voies urinaires”, ce germe étant le plus fréquemment en cause dans la survenue d’une cystite. Un certain nombre de femmes souffrant d’une gêne urinaire s’automédiqueraient, ce qui laisse une place importante au conseil du phar- macien d’officine. La gêne urinaire Les gênes urinaires sont des infections urinaires de la vessie ou cystites. Elles sont dites aiguës ou récidivantes dès lors qu’au moins trois épisodes surviennent par an. Elles doivent être différenciées des infections urinaires hautes (pyélo- néphrites) qui associent fièvre, douleur lombaire et signes urinaires. De même, il n’est pas question de gêne urinaire chez l’homme chez qui tout symptôme urinaire est, jusqu’à preuve du contraire, une prostatite. Les signes cliniques de la gêne urinaire sont les suivants : – brûlure urinaire ; – pollakiurie ; – mictions douloureuses ; – urines parfois troubles et malodorantes. Le germe le plus souvent (80 à 85 % des cas) en cause dans les cystites est une entérobactérie de transmission oro- fécale : Escherichia coli. Les bactéries pénètrent dans l’urètre et adhèrent ensuite à la paroi de la vessie grâce à des pilis. Une hydratation insuffisante favorise la multiplication des germes, ceux-ci n’étant plus suffisamment éliminés par les mictions alors trop peu fréquentes. Le traitement repose sur l’antibiothéra- pie et des mesures hygiéno-diététiques (encadré “Cas pratique”, page suivante). Les compléments alimentaires pourraient cependant constituer une alternative inté- ressante en cas de récidive. Le rôle des compléments alimentaires dans la gêne urinaire Différents actifs sont retrouvés dans les compléments alimentaires utili- sés pour lutter contre la gêne urinaire 1 . La canneberge (Vaccinium macrocarpon) est un petit arbre de l’est du continent américain. La partie utilisée dans les compléments alimentaires est la baie, qui renferme des sucres, de l’acide benzoï- que, de nombreux flavonoïdes, des antho- cyanosides et des oligomères proantho- cyanidoliques, dérivés de l’épicatéchine. Ces oligomères interagissent avec les adhésines par des structures spécifiques présentes à la surface des phénotypes uropathogènes d’Escherichia coli, d’où une inhibition de l’adhérence des bacté- ries sur les muqueuses. Certains compléments alimentaires asso- cient à la canneberge des extraits d’hibis- cus, de pissenlit ou de la vitamine C. Quand conseiller un complément alimentaire destiné à la gêne urinaire ? © Fotolia.com/Margo555 Baies de canneberge. Intérêt de la canneberge pour lutter contre la gêne urinaire

Intérêt de la canneberge pour lutter contre la gêne urinaire

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Page 1: Intérêt de la canneberge pour lutter contre la gêne urinaire

35 pratique

compléments alimentaires

Actualités pharmaceutiques n° 512 Janvier 2012

La gêne urinaire désigne

la cystite, une infection,

bénigne mais invalidante,

fréquente chez la femme.

À l’officine, les compléments

alimentaires à base de

canneberge constitueraient, en

cas de récidive, une alternative

intéressante à l’antibiothérapie.

Les infections urinaires ou cystites sont particulièrement fréquentes chez les femmes dont l’urètre est plus court

que celui des hommes. Ainsi, une femme sur trois aurait au moins une cystite dans sa vie et une sur deux serait concernée par une récidive. Chez les femmes jeunes, les rapports sexuels en seraient la première cause. Différents moyens préventifs ont été étudiés : la miction post-coïtale est ainsi recommandée.Depuis quelques années, l’industrie agro-alimentaire et pharmaceutique a déve-loppé des compléments alimentaires à base de canneberge qui revendiquent l’alléga tion : “Contribue à diminuer la fixation de certaines bactéries Escherichia coli sur les parois des voies urinaires”, ce germe étant le plus fréquemment en cause dans la survenue d’une cystite. Un certain nombre de femmes souffrant d’une gêne urinaire s’automédiqueraient, ce qui laisse une place importante au conseil du phar-macien d’officine.

La gêne urinaireLes gênes urinaires sont des infections urinaires de la vessie ou cystites. Elles sont dites aiguës ou récidivantes dès lors qu’au moins trois épisodes surviennent par an. Elles doivent être différenciées des infections urinaires hautes (pyélo-néphrites) qui associent fièvre, douleur lombaire et signes urinaires. De même, il n’est pas question de gêne urinaire chez l’homme chez qui tout symptôme

urinaire est, jusqu’à preuve du contraire, une prostatite. Les signes cliniques de la gêne urinaire

sont les suivants :– brûlure urinaire ;– pollakiurie ;– mictions douloureuses ;– urines parfois troubles et malodorantes. Le germe le plus souvent (80 à 85 %

des cas) en cause dans les cystites est une entérobactérie de transmission oro-fécale : Escherichia coli. Les bactéries pénètrent dans l’urètre et adhèrent ensuite à la paroi de la vessie grâce à des pilis. Une hydratation insuffisante favorise la multiplication des germes, ceux-ci n’étant plus suffisamment éliminés par les mictions alors trop peu fréquentes. Le traitement repose sur l’antibiothéra-pie et des mesures hygiéno-diététiques (encadré “Cas pratique”, page suivante). Les compléments alimentaires pourraient cependant constituer une alternative inté-ressante en cas de récidive.

Le rôle des compléments alimentaires dans la gêne urinaire Différents actifs sont retrouvés dans

les compléments alimentaires utili-sés pour lutter contre la gêne urinaire1. La canneberge (Vaccinium macrocarpon) est un petit arbre de l’est du continent américain. La partie utilisée dans les

complé ments alimentaires est la baie, qui renferme des sucres, de l’acide benzoï-que, de nombreux flavonoïdes, des antho-cyanosides et des oligomères proantho-cyanidoliques, dérivés de l’épicatéchine. Ces oligo mères interagissent avec les adhésines par des structures spécifiques présentes à la surface des phénotypes uropathogènes d’Escherichia coli, d’où une inhibition de l’adhérence des bacté-ries sur les muqueuses.Certains compléments alimentaires asso-cient à la canneberge des extraits d’hibis-cus, de pissenlit ou de la vitamine C.

Quand conseiller un complément alimentaire destiné à la gêne urinaire ?

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Baies de canneberge.

Intérêt de la canneberge pour lutter

contre la gêne urinaire

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compléments alimentaires

Actualités pharmaceutiques n° 512 Janvier 2012

L’évaluation de l’intérêt de la canne-berge repose sur plusieurs essais compa-ratifs randomisés2, 3. Une méta-analyse de trois essais a montré son intérêt en préven tion des infections urinaires basses récidivantes. Ainsi, l’incidence des infec-tions urinaires à 12 mois a été moindre de manière statistiquement significative chez les patientes ayant reçu de la canne ber ge. Il y a eu au moins une infection urinaire chez 21 % des femmes traitées versus 37 % chez les femmes ayant reçu un placebo.

En revanche, l’efficacité préventive est moins bien étayée chez les femmes âgées (moyenne 79 ans). Les essais comparatifs manquent de puissance statistique.

Conseils d’utilisation des compléments alimentaires destinés à la gêne urinaireLes oligomères proanthocyanidoli-ques sont totalement éliminés par voie urinaire en 12 heures. De ce fait, les complé ments alimentaires destinés à lutter contre la gêne urinaire doivent être pris toutes les 12 heures en cas de gêne urinaire bactérienne et ceci, pendant 10 jours. Afin de prévenir les récidives, une prise

par jour pendant 3 semaines, associée à la consommation quotidienne d’1,5 L d’eau, est conseillée. Il existerait une interaction entre la

canneberge et la warfarine. Ainsi, il en résulterait une augmentation de l’INR (International Normalized Ratio), d’où un risque hémorragique accru4. Plusieurs cas ont été recensés au Royaume-Uni dont un mortel (hémorragie digestive et du péri-carde). Des saignements post-opératoires ont également été recensés. Les patientes sous warfarine doivent donc être averties de ce risque. En cas de consommation de canneberge, elles doivent bénéficier d’un contrôle renforcé de l’INR.

ConclusionLa consommation de canneberge, en comprimés ou en solutions, de matière quotidienne permet de prévenir les risques de récidives de cystites aiguës, surtout en présence d’Escherichia coli et chez la femme jeune. �

François Pillon

Docteur en pharmacie et en médecine,

Chef de clinique en pharmacologie clinique, Dijon (21)

[email protected]

François-André Allaert

Chaire d’évaluation des allégations de

Santé & Cen Nutriment, Dijon (21)

[email protected]À retenir pour le comptoir

Escherichia coli

Quelles questions lui posez-vous avant la délivrance ?

Êtes-vous enceinte ?

Avez-vous de la fièvre ?

Ressentez-vous des douleurs lombaires ?

Avez-vous déjà subi une intervention des voies

urinaires ?

Souffrez-vous d’un diabète ou d’une pathologie

rénale ?

Prenez-vous des immunosuppresseurs ?

Quels conseils de prise d’un complément alimentaire lui donnez-vous ?

Quels conseils hygiéno-diététiques associez-vous à votre délivrance ?

Gêne urinaire, un cas pratique

Références1. Foo Ly, et al. A type proanthocyanidin trimers from

cranberry that inhibit adherence of uropathogenic

P-fimbriated Escherichia coli. J Nat Prod.

2000;63(9):1225-8.

2. Jepson RG. Cranberries for preventing urinary

tract infections (Cochrane Review). In: The Cochrane

Library. Chichester: John Wiley ans Sons; 2005.

3. McMurdo ME, Bissett LY, Price RJ, et al. Does ingestion of cranberry juice reduce symptomatic

urinary tract infections in older people in hospital?

A double-blind, placebo-controlled trial. Age Ageing.

2005;34(3):256-61.

4. Survana R, et al. Possible interaction between

warfarin and cranberry juice. BMJ. 2003;327:1454.

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.