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ARTICLE ORIGINAL Intérêt de la toxine botulinique de type A dans le traitement des syndromes de Raynaud sévères secondaires à la sclérodermie systémique Botulinum toxin type A contribution in the treatment of Raynaud’s phenomenon due to systemic sclerosis J. Serri a , R. Legré a , V. Veit b , C. Guardia a , A.-M. Gay a, * a Service de chirurgie de la main, CHU Conception, 145, boulevard Baille, 13005 Marseille, France b Service de me ´ decine interne, CHU Conception, 145, boulevard Baille, 13005 Marseille, France Rec¸u le 6 juillet 2011 ; accepte´ le 13 novembre 2011 MOTS CLÉS Syndrome de Raynaud ; Sclérodermie systémique ; Toxine botulinique de type A Résumé Buts de l’e´tude. Le syndrome de Raynaud est un acrosyndrome vasculaire paroxystique responsable, au niveau des mains, de douleurs, impotence fonctionnelle, troubles trophiques, voire d’ischémies digitales chroniques. Les traitements médicaux et chirurgicaux actuels ne sont pas uniformément efficaces et comportent des effets secondaires. Des travaux récents ont souligné l’intérêt de la toxine botulinique de type A (BTX A) dans le traitement du syndrome de Raynaud primitif. La particularité du syndrome de Raynaud secondaire à la sclérodermie systémique est d’associer au vasospasme artériel une composante mécanique due à une sclérose de la paroi artérielle pouvant théoriquement diminuer l’efficacité du BTX A. Ce travail a pour but d’étudier l’efficacité du BTX A chez les patients atteints de phénomènes de Raynaud secondaires à la sclérodermie. Patients et me´thode. Nous avons réalisé une étude prospective sur une durée de 12 mois. Dix- huit patients sclérodermiques consultant pour un syndrome de Raynaud sévère invalidant ont bénéficié d’injections de BTX A au niveau des deux mains. Les critères évalués avant et après injection étaient : persistance de troubles trophiques, QuickDASH Score, douleur, pression partielle en O 2 transpulpaire. Re´sultats. À j30 postinjection, la cicatrisation des ulcères était acquise, le QuickDASH Score évoluait de 39,4 à 20, la pression partielle en O 2 passait de 16 à 42 mmHg, la douleur de l’échelle visuelle analogique (EVA) variant de 6/10 à 2/10. Annales de chirurgie plastique esthétique (2013) 58, 658662 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A.M. Gay). Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com 0294-1260/$ see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2011.11.001

Intérêt de la toxine botulinique de type A dans le traitement des syndromes de Raynaud sévères secondaires à la sclérodermie systémique

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ARTICLE ORIGINAL

Intérêt de la toxine botulinique de type A dans letraitement des syndromes de Raynaud sévèressecondaires à la sclérodermie systémiqueBotulinum toxin type A contribution in the treatment of Raynaud’sphenomenon due to systemic sclerosis

J. Serri a, R. Legré a, V. Veit b, C. Guardia a, A.-M. Gay a,*

a Service de chirurgie de la main, CHU Conception, 145, boulevard Baille, 13005 Marseille, Franceb Service de medecine interne, CHU Conception, 145, boulevard Baille, 13005 Marseille, France

Recu le 6 juillet 2011 ; accepte le 13 novembre 2011

MOTS CLÉSSyndrome de Raynaud ;Sclérodermiesystémique ;Toxine botuliniquede type A

RésuméButs de l’etude. — Le syndrome de Raynaud est un acrosyndrome vasculaire paroxystiqueresponsable, au niveau des mains, de douleurs, impotence fonctionnelle, troubles trophiques,voire d’ischémies digitales chroniques. Les traitements médicaux et chirurgicaux actuels ne sontpas uniformément efficaces et comportent des effets secondaires. Des travaux récents ontsouligné l’intérêt de la toxine botulinique de type A (BTX A) dans le traitement du syndrome deRaynaud primitif. La particularité du syndrome de Raynaud secondaire à la sclérodermiesystémique est d’associer au vasospasme artériel une composante mécanique due à une sclérosede la paroi artérielle pouvant théoriquement diminuer l’efficacité du BTX A. Ce travail a pour butd’étudier l’efficacité du BTX A chez les patients atteints de phénomènes de Raynaud secondairesà la sclérodermie.Patients et methode. — Nous avons réalisé une étude prospective sur une durée de 12 mois. Dix-huit patients sclérodermiques consultant pour un syndrome de Raynaud sévère invalidant ontbénéficié d’injections de BTX A au niveau des deux mains. Les critères évalués avant et aprèsinjection étaient : persistance de troubles trophiques, QuickDASH Score, douleur, pressionpartielle en O2 transpulpaire.Resultats. — À j30 postinjection, la cicatrisation des ulcères était acquise, le QuickDASH Scoreévoluait de 39,4 à 20, la pression partielle en O2 passait de 16 à 42 mmHg, la douleur de l’échellevisuelle analogique (EVA) variant de 6/10 à 2/10.

Annales de chirurgie plastique esthétique (2013) 58, 658—662

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (A.M. Gay).

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

0294-1260/$ — see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

doi:10.1016/j.anplas.2011.11.001
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Conclusion. — Le BTX A améliore significativement la symptomatologie des patients scléroder-miques porteurs de syndrome de Raynaud malgré la composante de sclérose artérielle pariétale.# 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSRaynaud’s phenomenon;Systemic sclerosis;Botulinum toxin type A

Summary

Aims. — Raynaud’s phenomenon is a vasospastic disorder of the extremities that can lead, in thehands, to pain, disability, ischemic ulcers and digital chronic ischemia. Medical and surgicalcurrent treatments are not fully effective while causing side effects. Recent studies haveemphasized the value of botulinum toxin type A (BTX A) in the management of primary Raynaud’sphenomenon. The originality of Raynaud’s syndrome secondary to systemic sclerosis is tocombine both arterial vasospasm and sclerosis of the arterial wall, what is supposed to reduceBTX A effects. The purpose of this work is to evaluate BTX A efficiency in patients with Raynaud’sphenomenon secondary to systemic sclerosis.Patients and method. — We performed a prospective study for 12 months. Patients with severeRaynaud’s phenomenon due to systemic sclerosis were injected with BTX A in the two hands.Evolution of ischemic ulcers, QuickDASH Score, O2 partial pressure, pain were measured beforeand 30 days after injection.Results. — We treated 18 patients. Thirty days after injection, we noticed a complete healing ofulcers, QuickDASH Score was improved from 39.4 to 20, as the O2 partial pressure from 16 to42 mmHg and the pain from VNS from 6/10 to 2/10.Conclusion. — BTX A appears to improve significantly Raynaud’s phenomenon symptomatologyin patients with systemic sclerosis despite the component of arterial sclerosis.# 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Intérêt de la toxine botulinique de type A 659

Introduction

Le phénomène de Raynaud est une pathologie bien connuequi touche 90 % des patients atteints de sclérodermie systé-mique. Il est dû à un vasospasme artériel en réponse à uneexposition à un stress ou à un changement de température,et se manifeste par une pâleur, suivie d’une cyanose et d’unehyperhémie au niveau des extrémités digitales. Les symptô-mes varient de simples douleurs et paresthésies dans lesformes modérées, à des ulcères, voire une gangrène digitaledans les formes les plus sévères [1,2]. Les options thérapeu-tiques sont nombreuses et débutent traditionnellement pardes règles hygiéno-diététiques d’éviction des facteursdéclenchants comme le tabac, l’alcool, le froid et les stressémotionnels [3]. Les traitements médicamenteux, proposésaprès échec des règles hygiéno-diététiques peuvent consis-ter en l’application topique de dérivés nitrés, la prise d’inhi-biteurs calciques [4] et dans les cas les plus sévères des curesd’ilomédine [5] (analogue de la prostacycline). Les théra-peutiques plus invasives comme les sympathectomies chi-rurgicales, les blocs du ganglion stellaire, les gestes derevascularisation et les amputations sont réservés aux casles plus graves [6—8]. Les traitements médicaux de premièreintention n’ont qu’une efficacité limitée et peuvent entraî-ner des effets secondaires importants chez des patientssouvent polymédiqués. Les traitements médicamenteuxlourds tels que l’ilomédine et la chirurgie peuvent égalementêtre à l’origine de complications.

Des travaux récents ont souligné un possible intérêt de latoxine botulinique de type A (BTX A, Onabutilinumtoxin A)dans la prise en charge du syndrome de Raynaud primitif(maladie de Raynaud), montrant une amélioration de ladouleur, une cicatrisation des troubles trophiques et unedisparition des troubles sensitifs via une action myorela-xante sur la musculature lisse pariétale des vaisseaux

distaux [9—11]. Néanmoins, aucune étude ne s’estintéressée spécifiquement aux résultats de l’utilisation dela toxine botulinique de type A dans la prise en charge dusyndrome de Raynaud chez les patients sclérodermiques,dont la particularité est d’associer au vasospasme unecomposante mécanique due à une sclérose de la paroiartérielle pouvant théoriquement diminuer l’efficacité dela toxine. Nous rapportons dans le présent article les résul-tats d’une étude prospective sur l’utilisation de la toxinebotulinique de type A dans la prise en charge du syndrome deRaynaud chez 18 patients sclérodermiques. Nos objectifsétaient de montrer que malgré la composante de sclérosepariétale, l’utilisation de la toxine botulinique de type Apermet d’améliorer significativement le syndrome deRaynaud des patients sclérodermiques.

Patients et méthodes

Nous avons réalisé une étude prospective des patients scléro-dermiques qui ont consulté pour un syndrome de Raynaud à laconsultation de chirurgie de la main entre novembre 2009 etnovembre 2010 et bénéficié dans ce cadre d’une injectionpérivasculaire de BTX A.

Tous les patients subissaient un bilan vasculaire completavant le traitement par BTX A qui comportait une artério-graphie et/ou une échographie-Doppler des vaisseaux dumembre supérieur, une mesure transcutanée de la pressionpartielle en oxygène pulpaire. Les patients qui présentaientune thrombose des artères radiale ou ulnaire étaient excluset réorientés vers une prise en charge thérapeutiqueadaptée. Les traitements précédemment entrepris étaientnotés ainsi que la douleur moyenne mesurée sur une échellevisuelle analogique (EVA). La présence de troubles trophi-ques était également notée. Tous les patients étaientinformés et signaient un consentement éclairé de cet usage

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Figure 2 Protocole B : 18 injections, en jaune les pointsd’injection digitaux, pas de points d’injection palmaires.

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hors AMM de la toxine botulinique de type A. Les critèresd’exclusion étaient représentés par les contre-indications del’utilisation de la toxine : allergie ou hypersensibilité connueà la toxine botulinique de type A, grossesse, allaitement. Lespatients refusant de suivre les règles hygiéno-diététiquesconseillées, en particulier l’arrêt de tout tabagisme, étaientégalement exclus.

L’injection de toxine était réalisée au bloc opératoiresous légère sédation ; 100 unités de BTX A diluées dans 10 mLde sérum physiologique injectable étaient injectées danschaque main (dilution = 10 UI/mL), à l’aide d’une aiguillede 25 Gauges. Deux protocoles standardisés d’injections ontété réalisés pour cette série, le but étant d’apporter de laBTX A au contact des pédicules vasculaires digitaux enévitant au maximum les effets secondaires : le protocoleA (Fig. 1) comportait 14 sites d’injection et a été utilisé pourles cinq premiers patients, avant d’être remplacé par leprotocole B (Fig. 2) qui comportait 18 sites d’injection, dufait de l’observation de trois cas de paralysie intrinsèqueavec le protocole A. Quel que soit le protocole, le volumeinjecté était le même pour chaque site d’injection.

Deux types de toxine botulinique de type A, de deuxlaboratoires différents, ont été utilisés dans cette étude :Xéomin

W(laboratoire Merz) et Botox

W(laboratoire Aller-

gan), pour un coût moyen par patient de 299,65 euros.À chaque visite postopératoire, les patients étaient

évalués cliniquement : présence ou non de troubles trophi-ques, modification de l’aspect de la main par rapport à laconsultation précédente, temps de recoloration cutanée,douleur évaluée sur une EVA, QuickDASH score, et sentimentsubjectif des patients (aggravation, pas de changement,légère amélioration, très amélioré). Une évaluation para-clinique était également réalisée 21 jours après l’injectionet consistait en une mesure transcutanée de la pressionpartielle en oxygène.

Les résultats ont été analysés à l’aide du logiciel SAS (SASInstitute Inc., Cary, NC). Les critères analysés étaient lapression partielle en oxygène, la valeur de l’EVA et la valeurdu QuickDASH. Les valeurs pré- et postinjection étaientcomparées au moyen d’un test non paramétrique de compa-raison des moyennes. Le niveau de significativité était fixé àa inférieur ou égal à 0,05.

Figure 1 Protocole A : 14 injections, en jaune les pointsd’injection digitaux, en blanc les points d’injection palmaires.

Résultats

Entre novembre 2009 et novembre 2010, 18 patients (16 fem-mes, deux hommes) d’âge moyen 46 ans (23—76) présentantun syndrome de Raynaud dans le cadre d’une sclérodermiesystémique ont reçu une injection de BTX A. Tous les patientsprésentaient un syndrome de Raynaud invalidant dans leurvie quotidienne, tous suivaient les règles hygiéno-diététi-ques usuelles, tous les patients bénéficiaient d’un traitementmédicamenteux conventionnel du syndrome de Raynaud,mais aucun n’était contrôlé par ce dernier. À noter que huitpatients nécessitaient des hospitalisations régulières pourbénéficier de cures d’ilomédine.

Sur les 18 patients, dix présentaient des ulcères digitaux,quatre en moyenne par patient. Tous les ulcères étaientcicatrisés un mois après l’injection de BTX A. Le QuickDASHpréinjection moyen était de 39,4 (26—48). À trois semainespostinjection, celui-ci était significativement amélioré avecun score moyen de 20 (12—33), p = 0,006.

La pression partielle en oxygène moyenne mesurée auniveau des pulpes digitales était également significativementaméliorée, et passait de 16 mmHg (12—24) en préinjection à42 mmHg (23—58) à trois semaines postinjection ( p = 0,003).L’EVA passait d’une moyenne de 6/10 en préinjection (4—9) à2 en postinjection (0—5) ( p = 0,02).

Concernant l’impression subjective des patients,15 patients se déclaraient très satisfaits du résultat, deuxse déclaraient satisfaits et un patient ne trouvait pas dechangement par rapport à l’état antérieur. Sur les 17 patientsayant ressenti une amélioration, le délai moyen entrel’injection et l’amélioration subjective de la symptomato-logie était de sept jours (1—16) (Fig. 3 et 4).

Aucune complication majeure n’a été observée, cepen-dant trois patients ayant bénéficié du protocole d’injection Aont développé une paralysie intrinsèque spontanément réso-lutive.

Discussion

L’objectif de cette étude était de montrer que, malgré lacomposante de sclérose pariétale, l’injection périvasculaire

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Figure 3 Ischémie pulpaire subintrante des deuxième et troi-sième doigt. Clichés avant injection.

Figure 4 Patiente revue à deux semaines après injection(protocole B).

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de toxine botulinique de type A permettait d’améliorersignificativement le syndrome de Raynaud des patientssclérodermiques.

Nos résultats vont dans le sens des données de la littéra-ture en confirmant l’apport des injections de toxine botuli-nique sur le syndrome de Raynaud, et permettent demontrer, pour la première fois à notre connaissance, qu’ellessont efficaces également sur le syndrome de Raynaud despatients sclérodermiques.

Un des mécanismes d’action possible de la toxine botu-linique de type A serait une inhibition de la libérationd’acétylcholine au niveau présynaptique, par son actionsur la protéine SNAP-25 issue du complexe SNARE [12]. LaBTX A entraînerait ainsi une diminution du tonus des fibresmusculaires lisses de la paroi vasculaire et une moindrecapacité de vasoconstriction. Le délai d’action serait deun à quatre jours.

Son action équivaudrait donc à une sympathectomie chi-mique, mais avec le double avantage par rapport aux sympa-thectomies chirurgicales de son caractère peu invasif, maiségalement de la possibilité de bloquer la transmission sur une

plus grande distance. En effet, le protocole B de 18 injec-tions, utilisé dans la seconde partie de la présente sériepermet une infiltration périvasculaire de toxine depuis le plipalmaire palmodigital jusqu’à la troisième phalange, àl’inverse des sympathectomies chirurgicales qui ne déner-vent qu’un segment artériel de l’ordre du centimètre.

Le choix délibéré d’un protocole d’injection focalisé surles doigts (protocole B), en évitant toute injection dans le plipalmaire distal (protocole A), nous a permis de diminuer,voire supprimer le risque de complications certes réversiblesmais invalidantes que sont les paralysies des musclesintrinsèques de la main.

L’intérêt du BTX A par rapport à l’ilomédine, repose surson faible taux de complications et d’effets indésirables. Eneffet, plus de 10 % des patients traités par ilomédine présen-teront des céphalées, nausées/vomissements, boufféesvasomotrices au court de leur traitement. De plus, l’admi-nistration de l’ilomédine se fait obligatoirement par voieintraveineuse, en milieu hospitalier, durant une cure de cinqjours, sous surveillance médicale devant le risque non négli-geable de complications telles que : bradycardie, hypoten-sion artérielle pouvant être à l’origine de phénomènesthromboemboliques, d’insuffisance cardiaque [13]. Il existedonc un intérêt évident en termes de morbidité et de coûtpour la BTX A dans cette nouvelle indication.

La diminution de la douleur observée est probablementdue à l’amélioration des conditions vasculaires locales. Cer-tains auteurs ont évoqué un mécanisme d’action différentdevant l’observation d’un effet quasi immédiat de la toxinecomparé aux quelques jours nécessaires pour obtenir uneparalysie musculaire avec l’effet anticholinergique de latoxine. Cet effet serait dû à l’inhibition de canaux sodiquesectopiques, ou à une action de la neurotoxine sur certainsneurotransmetteurs intervenants dans la transmission noci-ceptive comme la norépinephrine, la substance P, le gluta-mate [14] ou la calcitonin gene-related peptide (CGRP) [15].Dans la présente série, nous n’avons pas observé de telseffets immédiats ; le délai entre l’injection et l’améliorationde la symptomatologie était comparable avec le délai néces-saire à un blocage de la transmission neuromusculaire (actionanticholinergique BTX A).

À l’heure actuelle, en France, le sérotype A de la toxinebotulinique est le plus représenté sur le marché de par sesindications validées, le sérotype B (Neurobloc

W, laboratoire

Elan Pharma) est réservé au traitement des dystonies cervi-cales. D’après une étude prospective, randomisée de Kranzet al. en 2010, il n’y pas de différence d’efficacité entre lessérotypes A et B, seules leurs pharmacocinétiques différe-raient, avec une durée d’action plus prolongée pour le BTX A(> 1 an) et un effet à court-terme plus important pour le BTXB [16]. Le choix du BTX A apparaît donc pertinent chez lespatients sclérodermiques en permettant de diminuer lafréquence des injections.

Nous avons arbitrairement choisi le dosage de 100 unitésde toxine botulinique de type A, en accord avec les donnéesde la littérature pré-existante. Cependant, il serait intéres-sant d’étudier plus précisément, la posologie minimaleefficace.

Il nous a semblé utile dans un premier temps de réaliserune étude confirmant l’efficacité de la toxine botulinique detype A chez les patients porteurs de syndromes de Raynaudsévères dans le cadre d’une sclérodermie systémique.

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Cependant, il sera utile de réaliser une étude comparantl’efficacité de la toxine botulinique de type A avec unplacebo injectable, chez le même type de patients. Demême, il sera utile, afin d’augmenter la puissance de cetype d’étude et d’asseoir nos résultats, d’augmenterle nombre de patients inclus et d’obtenir un recul plusimportant.

Conclusion

La physiopathologie du syndrome de Raynaud chez lespatients atteints de sclérodermie, quelle que soit la formede la maladie, est singulière par rapport aux autres formesobservées en pathologie courante, car elle comporte unepart d’obstruction mécanique du fait de la sclérose parié-tale qui touche les artères. C’est pour cette raison qu’ilnous a semblé important de s’intéresser spécifiquement àcette forme ; d’autant que 90 % des patients atteints desclérodermie en souffrent et qu’il s’agit souvent de formessévères ayant un retentissement fonctionnel important etqui conduit parfois à réaliser des amputations digitales. Ilsemblerait donc que malgré cette composante de sclérosepariétale, l’action de la toxine botulinique de type Asoit positive sur le syndrome de Raynaud des patientssclérodermiques. Nos résultats encouragent donc l’utilisa-tion de la toxine botulinique de type A dans cetteindication.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

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