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Catherine Starkier Une approche de la fonction contenante Intérêt et spécificité pour l’art-thérapie Travail de recherche présenté dans le cadre de la formation continue en art-thérapie pour l’obtention du diplôme d’études post-grade HES-SO en art-thérapie Lausanne, le 30 août 2010 Haute Ecole de travail social et de la Santé Vaud Ecole d’études sociales et pédagogiques - Lausanne Unité de formation continue HES-SO Haute école spécialisée de Suisse occidentale

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Catherine Starkier

Une approche de la fonction contenante Intérêt et spécificité pour l’art-thérapie

Travail de recherche présenté dans le cadre de la formation continue en art-thérapie pour l’obtention du diplôme d’études post-grade HES-SO en art-thérapie

Lausanne, le 30 août 2010

Haute Ecole de travail social et de la Santé – Vaud

Ecole d’études sociales et pédagogiques - Lausanne Unité de formation continue

HES-SO Haute école spécialisée de Suisse occidentale

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Remerciements Je dédie ce mémoire à Michel et Pablo. Leur patience et leur soutien sans faille, leur infinie confiance m’ont accompagnée durant ces quatre années de formation. Merci à Carol dont l’amitié m’est si chère. Merci à Jean-Paul pour sa relecture attentive. Merci également à Madame Finou Du Pasquier pour sa disponibilité, son écoute et ses précieux conseils qui ont contribué à l’avancée de ma réflexion et à l’élaboration de cette recherche.

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Table des matières

1. Introduction ................................................................................................................. 5

1.1. Pourquoi ce choix d’objet d’étude .......................................................................... 5 1.2. Elaboration de mon questionnement ..................................................................... 6 1.3. Plan du mémoire ................................................................................................... 7

2. Première approche du concept de fonction contenante ......................................... 8

3. Un détour par l’art : Niki de Saint Phalle ................................................................ 10

3.1. Une relation difficile à la mère ............................................................................. 10 3.2. La période des Tirs : la peau, métaphore de la toile ............................................ 11

3.3. Maladie et création .............................................................................................. 13 3.4. Sculpter, une mise en acte de la fonction contenante ......................................... 14 3.5. Se recréer une enveloppe contenante et sûre ..................................................... 15

4. La fonction contenante : apports théoriques ......................................................... 17

4.1. Winnicott : le « handling » et le « holding » ......................................................... 17 4.2. Bion : « la fonction alpha », « la rêverie maternelle » .......................................... 18

4.3. Anzieu : « le Moi-peau », le concept d’ « enveloppe psychique », le « penser » . 19

5. Art-thérapie et fonction contenante ........................................................................ 24

5.1. La médiation et le processus de symbolisation ................................................... 24 5.2. L’emboîtement de différentes fonctions contenantes .......................................... 25

5.3. L’atelier et le cadre art-thérapeutique : un lieu pour créer et se créer ................. 27 5.4. La contenance de l’art-thérapeute et de la relation thérapeute/patient ................ 29

5.5. Quelques aspects de la contenance de l’œuvre créée ........................................ 30

6. La fonction contenante du conte et son utilisation en art-thérapie ..................... 40

6.1. Qu’est ce qu’un conte merveilleux ? .................................................................... 41 6.2. La structure du conte merveilleux, organisatrice de la pensée ............................ 42 6.3. La fonction contenante du conte .......................................................................... 42 6.4. L’atelier d’art-thérapie par le conte, un espace contenant et rassurant ............... 43 6.5. Quelques effets du conte sur les participants de l’atelier ..................................... 46

7. Conclusion ................................................................................................................ 50

8. Bibliographie ............................................................................................................. 51

9. Tables des œuvres de Niki de Saint Palle .............................................................. 53

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Résumé Depuis le début de ma formation d’art-thérapie, un mot est revenu comme un leitmotiv. Un mot utilisé par les formateurs dans plusieurs modules, à propos du cadre, à propos du soin psychique et surtout à propos de l’attitude que devait avoir le thérapeute. C’est le mot « contenant », décliné en « contenir », « contenance » ou encore « fonction contenante ». Sentant qu’il s’agissait de quelque chose de fondamental à saisir pour mon métier d’art-thérapeute, j’ai décidé d’en faire le thème de mon mémoire de fin d’étude. A partir de l’exploration de l’œuvre de Niki de Saint Phalle, puis de mes expériences d’art-thérapeute stagiaire dans un hôpital psychiatrique et dans une école spécialisée pour enfants présentant un handicap psychique, j’explicite la notion de « fonction contenante » en me référant aux théories de Winnicott, Bion, Anzieu. Je donne un aperçu des relations entre la fonction contenante et les notions de « holding », « handling », « fonction alpha », « rêverie maternelle », « Moi-peau » et « enveloppe psychique ». Ensuite, j’essaie de comprendre comment fonctionne la contenance en art-thérapie, en évoquant à l’aide de vignettes cliniques, la contenance de l’art-thérapeute, de la relation art-thérapeute-patient, du cadre thérapeutique, des matériaux et de l’œuvre créée. Enfin je parle de mon expérience d’un atelier d’art-thérapie utilisant le conte et la peinture dans une école spécialisée pour jeunes handicapés psychiques. Je montre comment se déploie la fonction contenante du conte dans un groupe, fonction soutenue par la voix et le regard et je donne des exemples de l’effet de cette fonction sur les participants.

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1. Introduction

1.1. Pourquoi ce choix d’objet d’étude

Ce mémoire est l’aboutissement de quatre années de formation. Quatre années marquées par un renouvellement complet de ma vie. Durant ces quatre années, la nostalgie de ma vie parisienne, de mon milieu familial, de mes amis, de mon métier de conseillère d’éducation s’est progressivement estompée à mesure que je m’enracinais en terre vaudoise et que, dans le même temps, je construisais ma nouvelle identité professionnelle. Durant ces quatre ans, j’ai été confrontée à un certain nombre de questions. J’ai longtemps été dans le doute : avais-je fait le bon choix de reconversion professionnelle, étais-je bien à ma place ? Mon désir d’être art-thérapeute était quelquefois vacillant. Je cherchais à relier les différentes étapes de ma vie personnelle et professionnelle afin de leur donner une unité de sens. Le stage d’observation, ma propre art-thérapie m’ont permis de répondre à cette première question : oui, j’étais bien à ma place. Ce métier était une synthèse entre ma formation initiale (les Beaux-arts) et ma deuxième formation (les sciences de l’éducation). Une question me taraudait encore et était particulièrement présente au cours de mes stages pratiques : c’est « quoi » ce qui soigne en art-thérapie ? C’est entre autres, pour répondre à cette interrogation, que je me suis intéressée à la question de la relation thérapeutique. Dans mon travail de recherche de 2ème année, j’ai essayé de mettre en lumière combien la qualité de la relation thérapeutique joue un rôle essentiel dans la réussite d’une thérapie, quelle que soit la spécificité de celle-ci. J’ai alors réfléchi aux notions de transfert et de contre-transfert, en soulignant les particularités de l’art-thérapie. Mais une autre question est apparue : comment être une bonne art-thérapeute ? Ou plutôt, si je m’inspire de la formule de Winnicott, comment être « une suffisamment bonne » art-thérapeute? Comment concilier un idéal du moi art-thérapeutique forcément exigeant et les réalités de la rencontre avec les patients ? Or, il était un mot qui, depuis le début de ma formation d’art-thérapie, revenait régulièrement. Un mot utilisé par les formateurs dans plusieurs modules, à propos du cadre, à propos du soin psychique et surtout à propos de l’attitude que devait avoir l’art- thérapeute. Etre une bonne art-thérapeute semblait avoir à faire avec ce mot-là. Ce mot semblait se comprendre de lui-même puisqu’il n’avait jamais vraiment été explicité, ni remis dans un contexte théorique précis. Ce mot, le mot contenant, décliné en contenir, contenance ou encore fonction contenante était souvent associé aux termes limites, sécurité, pulsions, enveloppes. Il s’accompagnait, dans ma tête, de représentations imagées telles que boîte, bol ou coupe, berceau, cabane ou canapé ou encore bras serrés. Je sentais qu’il s’agissait de quelque chose de fondamental pour mon métier d’art-thérapeute. C’est dans le cadre de mon premier stage pratique que j’ai, de façon concrète, saisi la nécessité de comprendre cette notion.

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En effet, j’ai créé un atelier d’art-thérapie dans une école spécialisée accueillant des jeunes entre 8 et 16 ans, présentant un handicap psychique. Cet atelier avait lieu une journée par semaine durant l’année scolaire. Dans cet atelier, j’ai pris en charge en individuel, cinq jeunes qui présentaient de graves troubles du développement (traits autistiques, psychotiques) et n’utilisaient pas ou peu de langage structuré. J’ai également suivi quatre autres jeunes qui présentaient des problèmes différents, dans un groupe d’art-thérapie par le conte, animé en cothérapie avec la psychologue de l’établissement. Ces jeunes, par leur comportement étrange, leur agitation incontrôlée, leur débordement, leurs effusions et leurs rejets violents, m’ont souvent déconcertée, bouleversée, remuée, remise en question, interrogeant avec insistance mon désir et ma façon d’être art-thérapeute. Ces séances, au début très éprouvantes, ont été l’occasion d’un travail important de lectures théoriques à la fois sur la psychose et sur le conte. Ce sont ces lectures qui m’ont fait découvrir l’importance de la fonction contenante. Ainsi, selon Winnicott, pour qu’un enfant se développe harmonieusement, il ne suffit pas d’être une bonne mère, mais avant tout d’être « une mère ordinaire », normalement dévouée. Certaines femmes ne parviennent pas à cet état où leur attention est toute entière centrée sur leur bébé, parce que, dans le même temps, elles vivent par exemple un deuil, une rupture ou souffrent d’une dépression. D’autres fois, la mère est trop préoccupée par son petit enfant et vit en totale fusion avec lui. Ces difficultés du début de la vie pourraient être à l’origine de pathologies telles que l’autisme et la psychose, les états-limites, ces maladies que j’ai rencontrées chez les jeunes de l’école spécialisée mais aussi chez les adultes hospitalisés à l’hôpital psychiatrique, au cours de mon deuxième stage pratique.

1.2. Elaboration de mon questionnement

Les lectures faites pour mieux comprendre la psychose, pour ajuster mon attitude art-thérapeutique, pour saisir l’effet thérapeutique du conte, ont rejoint mes questionnements sur l’attitude de l’art-thérapeute, sur le lien à la mère et à l’environnement maternant, sur le contenant et plus précisément sur la fonction contenante. C’est pourquoi j’ai pensé que cela pourrait être le sujet central de mon mémoire. A partir de la question principale, qu’est-ce que la fonction contenante, j’ai listé quelques interrogations :

Fonction contenante et maladies psychiques

D’où vient cette notion de fonction contenante et en quoi cette notion est-elle importante pour nous, art-thérapeutes, quand nous travaillons avec des personnes atteintes de pathologies de type psychotique ou états-limite? Est-ce utile à connaître et à intégrer pour d’autres pathologies comme la dépression ou même quand il s’agit de simple mal-être ?

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Quelques effets de la fonction contenante

Si, selon René Roussillon (cité par Ciccone, 2001, p. 85), l’intériorisation de la fonction contenante joue un rôle dans la construction de l’identité, comment cela se passe–t-il en art-thérapie auprès de jeunes et d’adultes psychiquement fragiles ? En art-thérapie, la fonction contenante permet-elle un accès facilité à la symbolisation, qui est souvent déficiente chez la personne souffrant de maladie psychique ?

La fonction contenante et la personne de l’art-thérapeute

Qu’est-ce donc qu’un art-thérapeute contenant ? En quoi l’art-thérapeute, dans sa pratique, est-il contenant ? Peut-on transposer cette fonction contenante, assurée par la relation mère-bébé, sur la relation patient-thérapeute ? La compréhension de cette fonction contenante permettrait- elle de devenir une bonne art-thérapeute ou plus exactement une art-thérapeute suffisamment bonne, pour paraphraser Winnicott ?

La fonction contenante et la pratique de l’art-thérapie

Au fond, qu’est ce qui, en art-thérapie, permet de contenir les excitations, les débordements émotionnels de nos patients ? Quel rôle joue le dispositif de l’atelier, le cadre mis en place, les matériaux, les images utilisées, l’œuvre créée dans l’établissement de la fonction contenante en art-thérapie ?

Un outil particulier : le conte

Comment le conte, qui est une médiation permettant d’entrer facilement en contact avec les enfants ou les adolescents, assure-t-il une fonction de contenant ? Quels processus met-il en jeu, quels sont ses effets thérapeutiques ?

1.3. Plan du mémoire

Après un rapide tour d’horizon de ce que veut dire, de ce que révèle le mot contenant, ce mémoire s’articulera selon 3 axes : Dans le premier axe, nous ferons un détour du côté de l’art pour découvrir si une possible fonction contenante est au travail dans les œuvres de Niki de Saint Phalle. Mon sujet de recherche de première année en art-thérapie portait sur le traumatisme. A cette occasion, j’ai découvert les écrits autobiographiques de Niki de Saint Phalle. Niki de Saint Phalle a beaucoup écrit ; l’acte d’écriture lui a permis de réfléchir sur son processus créateur et ainsi d’intégrer les souffrances et la violence pulsionnelle qui s’expriment dans ses œuvres peintes ou sculptées Cette artiste me touche beaucoup, non seulement par son histoire et ses créations, mais aussi par la dimension de son univers personnel marqué par les contes de fée où apparaissent des monstres fabuleux, Golem, sorcières et dragons. Dans son autobiographie Traces (De Saint Phalle, Traces, 1999), elle raconte combien elle a été impressionnée par une de ses grand-mères qui lui racontait d’innombrables

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contes de fées où elle pouvait s’identifier au héros. Comme dans les contes de fées, les problèmes, les épreuves, apparaissent très souvent dans les illustrations des livres de Niki de Saint Phalle sous la forme de serpents, mais aussi de dragons et autres figures fantastiques. J’ai moi-même beaucoup lu de contes et de légendes étant enfant ; ils ont enrichi mon imaginaire par leur puissance d’évocation et j’ai utilisé ce goût et cette connaissance dans mes deux stages pratiques. Dans le deuxième axe, à partir de mes expériences d’art-thérapeute stagiaire, j’expliciterai la notion de fonction contenante à partir des concepts tirés des théories de Winnicott, Bion, Anzieu, en associant les notions de holding, handling, fonction alpha, rêverie maternelle, Moi-peau et enveloppe psychique. Enfin, j’essaierai de comprendre comment fonctionne la contenance en art-thérapie. Dans le troisième axe, je parlerai de l’expérience d’un atelier de groupe d’art-thérapie utilisant le conte et la peinture comme médiations avec des jeunes handicapés psychiques de l’école spécialisée où j’ai effectué mon premier stage pratique. Nous verrons comment se déploie cette fonction contenante dans un groupe, fonction soutenue par la voix et le regard, comment le conte et sa représentation picturale transforment, comme le dit Pierre Lafforgue, cité par C. Picard, « des affects non pensés, parce que destructeurs du penser lui-même en des représentations tolérables » (Picard, 2002 p.17). Je donnerai des exemples de cet effet sur les jeunes patients.

2. Première approche du concept de fonction contenante

Le mot contenant est né au XVIème siècle comme substantif du verbe contenir. Selon l’étymologie latine, ce verbe est issu de l’expression cum tenere, c’est-à-dire : tenir avec, tenir ensemble. Selon le dictionnaire Larousse, entre autres sens, le verbe contenir signifie : empêcher quelque chose de s’étendre ou d’avancer au-delà de certaines limites, ainsi que réprimer un sentiment, empêcher sa manifestation extérieure. Contenir a pour antonyme : déborder, déverser. Parmi les synonymes de contenant proposés par le Larousse, nous trouvons : boîte, cadre et enveloppe. Il convient de retenir pour la suite de ce mémoire que les mots contenir et contenant sont associés au fait d’empêcher un débordement de sentiment ou d’émotion et aux notions de limite, de cadre, d’enveloppe et de contenu. Quant au mot fonction, selon le dictionnaire Larousse, il définit une activité spécifique attachée à l'être humain, à sa nature, à son sexe, à sa personnalité, activité assurée par un certain nombre de processus. Qu’en est-il maintenant, de la notion de fonction contenante dans l’histoire du soin psychique ? Pour aborder cette notion, je me suis d’abord appuyée sur les lectures d’Albert Ciccone et de Denis Mellier, deux auteurs qui ont beaucoup écrit sur la question. Les références de leurs ouvrages se trouvent dans la bibliographie, à la fin de ce travail.

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Selon Didier Houzel cité par Albert Ciccone, (Ciccone, 2001 p.82) en suivant chronologiquement l’histoire du soin psychique, on peut mettre en évidence trois modèles de soin, qui peuvent fonctionner simultanément et qui sont toujours actuels.

Le premier modèle est celui de la « décharge ».

Ce qui soigne, c’est de soulager par la parole, d’atténuer l’angoisse, la tension, le conflit. La parole a alors une action cathartique.

Le deuxième modèle est celui du « dévoilement ».

Le thérapeute est celui qui, par ses interprétations, va révéler et rendre conscients les fantasmes et les conflits inconscients qui font agir le patient à son insu. La psychanalyse s’est tout d’abord beaucoup intéressée aux contenus (à travers les fantasmes, les conflits, les rêves, les relations d’objet…) Depuis quelques décennies, un changement dans les pathologies a conduit les thérapeutes à prendre en charge des personnes présentant des problématiques différentes, qui se trouvent être à la limite entre psychose et névrose. Ces personnes présentent des troubles de l’identité et/ou de limites mal définies. L’analyse des contenus psychiques ne semble plus opérante pour eux, car elle ne leur permet pas une réelle prise de conscience. La psychanalyse des groupes, des psychotiques, des états limites, a « attiré l’attention vers les structures limitantes, enveloppantes et contenantes du psychisme justement parce que ces nouvelles situations analytiques confrontaient les thérapeutes aux défaillances de ces structures (Houzel, 2000, p. 44) Pour Denis Mellier, c’est cette fonction contenante (qu’il appelle aussi fonction à contenir) qui « permettrait de reconnaître et de traiter des souffrances très primitives, difficilement accessibles autrement.» (Mellier, 2005, p. 426)

Ainsi, le troisième modèle de soin est celui de la « contenance ».

Pour Houzel et Ciccone, soigner un patient dont la vie émotionnelle est troublée, ce n’est plus forcément faire en sorte qu’il se libère par la parole ou que ses fantasmes soient explicités, mais c’est lui permettre de trouver un espace où sa douleur sera reçue et contenue. «Ce qui soigne dans la thérapie, c’est la capacité du thérapeute à comprendre, à contenir les émotions, les conflits, la douleur psychique que le moi trop fragile du patient ne peut ni contenir ni penser.» (Houzel, 2000, p. 82) Ainsi, le thérapeute accueille en lui et pense les expériences traumatisantes que le patient ne peut penser et transformer seul. Contenir une douleur psychique serait d’abord la comprendre. En art-thérapie, par exemple, ce serait permettre au patient, au travers de sa création, de faire émerger un sens et de faire des liens. L’atelier de l’art-thérapeute peut être un espace qui « contient » c’est à dire « transforme », par le processus de symbolisation, les émotions débordantes, les angoisses envahissantes, les conflits, en quelque chose de représentable (au travers de l’œuvre créée) et de pensable.

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3. Un détour par l’art : Niki de Saint Phalle

Pourquoi se pencher sur l’œuvre d’une artiste pour comprendre des concepts relevant de la psychanalyse ? Si on considère la création artistique comme un processus de transformation personnelle, la connaissance du processus créateur de l’artiste peut éventuellement permettre la compréhension des dysfonctionnements de la psyché. Freud a beaucoup questionné l’art et les processus créatifs pour élaborer ses théories psychanalytiques. Winnicott et Anzieu ont porté un regard attentif sur le travail d’artistes (Bacon en particulier). Il ne s’agit pas pour moi, d’appliquer mécaniquement une grille d’analyse psychanalytique à l’œuvre de Niki de Saint Phalle, ni de chercher à dévoiler l’inconscient de l’artiste, mais plutôt de comprendre ce qui a pu permettre l’émergence de son œuvre. Pour Didier Anzieu, à l’origine du processus créateur, il y a le réveil d’une expérience très ancienne qui n’a pas pu être intégrée par le Moi. Cette expérience a été enfouie, elle a été mise de côté en attente d’une réactualisation qui permettrait son intégration. Cette expérience, qui n’a pas été symbolisée, a été conservée sous forme de traces dans la psyché. Celles-ci ne demandent qu’à resurgir sous une forme ou une autre. Créer serait raconter, mettre en image, en sons, en mots, ce qui n’a pu être intégré, ni métabolisé, parce que le psychisme était alors trop peu mature. J’ai découvert Niki de Saint Phalle lorsqu’elle créa avec Jean Tinguely la fontaine Stravinsky, près du centre Beaubourg, à Paris. Quand j’allais au musée ou à la bibliothèque, je ne manquais pas d’aller saluer la fontaine. Je me sentais bien assise là, contemplant cette exubérance joyeuse et colorée. Par la suite, la rencontre avec ses sculptures monumentales, les Nanas, fut une émotion intense. Cette apparente revalorisation de la féminité, cette glorification à première vue, joyeuse du corps féminin, de la rondeur des seins, des hanches assumées avec une opulence provocatrice semblait de prime abord pleine de fantaisie légère et d’humour. Mais de la joie initiale a surgi un malaise indéfinissable. Quelque chose de ces créations entrait en résonance avec ma psyché et c’était comme si ces formes et ces couleurs cherchaient à me transmettre autre chose, à faire partager une souffrance indicible.

3.1. Une relation difficile à la mère

Agnès de Saint Phalle est née à Paris dans une famille franco-américaine juste après la grande crise de 1929 qui ruina momentanément sa famille. Son père choisit son prénom en souvenir de son premier amour. Comme elle l’écrit (Hulten, 1995, p. 147), elle est une « enfant de la dépression », dépression liée à la crise économique, mais également dépression de sa mère qui, découvrant l’infidélité de son mari, « pleura tout le long de sa grossesse » et tint son bébé pour responsable de la situation. Niki écrit également que, dans le ventre maternel, elle ressentit ces larmes et crut que « tout était de sa faute ». Quelques mois après sa naissance, sa mère retourna à New York avec son fils aîné. Agnès fut envoyée en France chez ses grands-parents paternels dans la campagne nivernaise. Elle y passa trois ans. Dans Traces, elle écrit ainsi le souvenir de cette séparation : « Maman, Maman, où êtes-vous ? Pourquoi m’avez-vous laissée ? Qu’ai-je fait de mal ? Vous reverrai-je un jour ? Chaque femme devint Toi, Maman, maman. Je n’ai

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pas besoin de vous, Maman. Je me débrouillerai très bien sans vous ». (De Saint Phalle, Traces, 1999, p. 15). A son retour auprès de ses parents, à l’âge de 4 ans, sa mère décide de changer son prénom et de l’appeler Niki. Dans son autobiographie, Niki se représente sous la forme d’une femme à 3 visages (2 de profil et un de face), femme moitié multicolore et moitié noire. Voici la légende de cet autoportrait : « Suis-je folle ? Dérangée ? Cinglée ? Bonne à interner ? Le suis-je vraiment ? » (De Saint Phalle, Traces, 1999, p. 76). Cette légende témoigne du questionnement sur la folie qui a été le sien une grande partie de sa vie. Winnicott ainsi que Dolto ont souligné l’importance des relations précoces et leurs effets sur la santé psychique de l’enfant. Dolto, citée par Berger (Berger, 2005, p. 116) écrit que pendant la petite enfance, toute séparation avec la mère ou la personne qui joue son rôle, toute rupture spatiale avec les lieux connus et sécurisants peut entraîner des ruptures narcissiques importantes. Ainsi c’est la présence de la mère, sa voix, son odeur, son regard, ses mains qui donnent à l’enfant son unité, son sentiment continu d’exister. Si « l’objet maternel est perdu, l’enfant risque aussi de se perdre ». Dolto insiste encore sur le fait que si les absences prolongées restent « innommées par la mère », elles sont « innommables » par l’enfant et à plus forte raison par le nourrisson et cela le plonge dans un désarroi destructeur pouvant entraîner des angoisses d’anéantissement. On peut faire l’hypothèse que Niki de Saint Phalle, même si elle a reçu de l’amour de ses grands-parents, a terriblement souffert de cette absence maternelle inexpliquée. Cela aurait, semble-t-il, provoqué chez elle, par une défaillance de la fonction contenante et rassurante de la mère, un fort sentiment d’insécurité, une immense culpabilité, des bouffées d’agressivité ainsi qu’un besoin très fort de recréer autour d’elle un monde imaginaire proche de l’enfance. Selon Alexia Jaques et Alex Lefebvre, il existe une similarité entre l’expérience du petit enfant dans sa relation à sa mère et l’expérience de l’artiste dans le temps de sa création. Pour eux, « la créativité s’enracine dans cette relation première ainsi que dans les aspects primordiaux du fonctionnement corporel et psychique de l’individu. Ces aspects et éléments premiers ne s’effacent point et demeurent visibles dans les processus de création de l’individu artiste alors adulte. » (Jaques & Lefebvre, 2005, p. 201).

3.2. La période des Tirs : la peau, métaphore de la toile

A 22 ans, Niki est hospitalisée dans une clinique de Nice pour une dépression nerveuse. C’est là qu’elle découvre la peinture : « Ma vie a commencé dans l’asile. J’ai découvert la folie et la guérison (…) je me mis à peindre avec acharnement. » Elle ne cessera plus de peindre et de créer. « J’ai payé très cher ma passion pour l’art. Pour elle, j’ai fait la pire des choses qu’une femme peut faire : j’ai abandonné mes enfants. » (De Saint Phalle, Traces, 1999, p. 90) Chez Niki de Saint Phalle, la vie est intimement liée à la création et à chaque nouvelle étape correspond une nouvelle façon de créer. Dans sa première période créatrice, c’est une forte agressivité qui s’exprime. Une agressivité au départ plutôt passive quand elle collectionne les couteaux, pistolets, hachoirs qu’elle insère dans du plâtre pour créer des Assemblages. Puis c’est la série des

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Tirs où l’agressivité s’exprime de façon active, série qui la rend célèbre dans les années 60. Dans le catalogue de l’exposition qui lui est consacrée en 1992 à Bonn (Hulten, 1995), sous forme de lettres, elle explique comment lui est venue l’idée des Tirs. Par une sorte de révélation, elle imagine que la peinture est une vraie personne, qui éprouve sentiments et sensations et qui, comme tout être humain, peut être blessée et saigner. Puis elle s’imagine que cette vraie personne, c’est elle. Elle fixe sur des planches toutes sortes d’objets mêlés à des sacs contenant de la peinture. Elle les recouvre de plâtre et pour que ce soit plus blanc (c’était, dit-elle, son obsession) passe de nombreuses couches de peinture blanche. Les sacs remplis de couleurs sont ensuite percés par les spectateurs, par ses amis, par elle-même, à la carabine. L’historien d’art Ulrich Krempel, dans un article intitulé La peau des peintures, a écrit sur cette expérience : Le blanc qui recouvrait les amas d'objets, donnait aux reliefs leur substance et leur volume. La peau blanche qui les voilait était l'image de l'intégrité et de la pureté… le blanc pur des Tableaux Tirs, semblable à une peau douce, devenait porteur de sa propre destruction, la peinture qui s'étalait sur la surface lorsque l'on tirait dessus, coulait par-dessus le blanc, révélant et retenant les contrastes et traces les plus subtils : le relief blanc (…) se trouvait transformé en une structure parlante, image mouvante, surface lisible et stimulante. Peut-être n'est-ce que lorsqu'il devint nécessaire de donner une forme homogène aux objets qu'une peau se développa sur les créations de Niki de Saint Phalle. La peau devait couvrir les tableaux pour qu'ils puissent être détruits à plusieurs reprises afin d'être fidèles à la vérité. (De Grèce & al, 2001, p. 51) La peau est ici métaphore de la toile ; elle est ce qui maintient ensemble les différentes parties sous-jacentes du tableau, comme la peau maintient les différentes parties du corps ; elle est également cette surface d’inscription des traces dont parle Anzieu. La peau, on le verra dans la deuxième partie de ce mémoire, joue un rôle primordial dans la constitution du Moi. C’est par la peau que le nouveau-né perçoit les soins et les stimulations de son entourage maternant et qu’il y répond. Pour évoquer cette expérience, Niki emploie les mots : frénésie, excitations, transe, sensations irrésistibles, obsessions : on pourrait rapprocher ces mots de ceux qui évoquent un manque de contenance de la peau dans son rôle de pare-excitation, où le Moi est submergé par des sensations dont l’intensité peut le menacer de destruction. Freud, dans « Au-delà du Principe de plaisir » (Freud, 2010, pp. 77-90), définit le pare-excitation en partant du modèle d’un organisme vivant, la vésicule. Celle-ci doit s'entourer d'une « écorce », d’une couche protectrice dont la fonction est de protéger la vésicule des

Niki de Saint Phalle tirant sur une de ses toiles

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excitations du dehors, couche « qui fonctionne désormais comme une enveloppe ou une membrane spéciale qui tient l’excitation à l’écart » tout en la filtrant et en laissant passer « les énergies du monde extérieur » proportionnellement à leur intensité. « Pour l’organisme vivant, la fonction de pare-excitations est presque plus importante que la réception d’excitations » (p.78) Ainsi, pour Freud, le traumatisme survient quand il y a effraction de cette écorce protectrice par une trop grande quantité d'excitations provenant de l'extérieur. Le pare-excitation protège des excitations externes trop intenses mais Freud précise qu’il n’y a pas de pare-excitation protégeant des excitations internes trop déplaisantes. C’est pourquoi il existe : …une tendance à les traiter comme si elles n’agissaient pas de l’intérieur mais bien de l’extérieur pour pouvoir utiliser contre elles le moyen de défense du pare-excitations. Telle est l’origine de la projection qui joue un si grand rôle dans le déterminisme des processus pathologiques. (p.81) Pour Winnicott, même si la mère n’est pas un pare-excitation, c’est elle qui agit comme tel, en s'identifiant à son bébé, en s'adaptant au plus près de ses besoins, en le protégeant d’un trop plein de stimulations. Il y a pour moi quelque chose de saisissant dans ces Tirs, car si Niki fait tirer ses amis et les spectateurs des galeries, elle tire aussi elle-même sur ses tableaux, elle se tire dessus, crevant la peau, sa peau, la perçant de toutes parts, la faisant saigner dans un état de jubilation extrême. Il me semble qu’il y a là une mise en scène, une figuration symbolique de ce qu’Anzieu appelle un Moi-passoire, qui se vide continuellement de sa substance. La carabine est la représentation d’une agressivité non métabolisée, qui vit à l’intérieur de Niki et qui perce de toute part son enveloppe psychique, figurée par la couche de peinture blanche. Les tirs libèrent l’agressivité contenue et lui font du bien. « Pendant les deux années passées aux TIRS, écrit-elle, je ne fus pas malade une seule fois. Quelle thérapie ce fut pour moi ! » (Hulten, 1995, p. 161) Niki de Saint Phalle au bout de deux ans cessa la série des Tirs. Elle avait pris conscience que cela agissait comme une drogue, qu’elle était totalement dépendante des sensations, de l’émotion et de la détente qui s’en suivaient. Elle raconte que plusieurs fois elle fut tentée dans des moments de détresse de recommencer. Seule, la peur de la dépendance l’en empêcha.

3.3. Maladie et création

Niki tombe souvent malade : affections pulmonaires, asthme, typhoïde, pneumonie dépression, envie suicidaire, arthrite rhumatismale qui bloque son poignet et sa main. « Quand je suis triste ou que je refoulais une agressivité, je cachais mes peines et mes larmes, je vivais la souffrance dans mon corps.» (Hulten, 1995, p. 164) Ainsi l’agressivité, les tensions, les conflits, ce qui ne peut se dire à haute voix (le sentiment d’abandon, la sensation de n’être de nulle part, le traumatisme de l’inceste qu’elle a subi, enfant) s’incarnent continuellement dans le corps. Un rapport complexe s’est établi en elle, entre la maladie et la création : à chaque fois qu’une maladie la frappe, elle traverse ensuite une période de renouvellement de sa

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créativité. Sans doute, il n’y a que deux moyens pour elle, de se sentir exister : en éprouvant de la douleur liée à la maladie ou en se lançant à corps perdu dans la création. Anzieu dans le Moi-peau écrit qu’il existe une enveloppe de souffrance qui assure à la personne une permanence du sentiment d’exister, du sentiment d’identité. Niki écrit dans une lettre à son amie d’enfance, Marella, où elle raconte la réalisation du Jardin des Tarots, son œuvre majeure : « Et moi, est-ce que j’existe ? Si je souffre tant c’est que j’existe ». (Hulten, 1995, p. 177). Cette enveloppe de souffrance, je l’ai retrouvée chez plusieurs patients de l’hôpital psychiatrique où j’ai fait mon deuxième stage pratique et j’en donnerai un exemple. Selon Freud, le moi est avant tout corporel. Le moi est une construction, il est issu des sensations corporelles et peut être considéré comme une projection de la surface du corps. Anzieu a développé l’idée que le Moi se construit par étayage sur les fonctions de la peau et sur l’ensemble des expériences corporelles. En psychosomatique, les symptômes somatiques ne représentent pas un langage : « le symptôme est hors symbolisation, on peut dire que le symptôme ne parle pas, il fait du bruit.» (Ferragut, 2000, p. 19). Il est le signe d’une souffrance qui ne peut se dire ni même se penser. Niki écrit que les Tirs ont été là pour l’aider à lutter contre la dépression et que les Nanas ont été créées après un état de grande agonie. C’est par la création et par la symbolisation dans la création, que Niki se débarrasse de ses douleurs en les représentant dans une œuvre (tableau, sculpture, installation) en les donnant à voir une fois l’œuvre réalisée, en revisitant les créations par la suite dans l’écriture. La création lui permet de contenir les affects violents et destructeurs en les projetant dans l’œuvre. Le processus qui suit (expositions, écriture) lui permet de les métaboliser, ce qui l’empêche de sombrer, de se suicider, l’éloigne de la tentation du vide et de la destruction.

3.4. Sculpter, une mise en acte de la fonction contenante

La sculpture est une activité artistique particulière. Pour Marie-Hélène Jousse, la sculpture même abstraite, privilégie le corps comme premier repère et confronte l’artiste avec son image du corps. « C’est le volume du corps humain, c'est-à-dire la forme de l’artiste lui-même qui sert de volume de départ ». (Jousse, 2008, p. 78). Il existe plusieurs techniques de sculpture : par exemple, la taille directe qui tient compte de la structure originelle du bloc de pierre ou de bois pour faire émerger une composition imaginée par le sculpteur ou le modelage, qui consiste à façonner une matière molle pour créer des formes en ajoutant de la matière comme de l’argile. Niki de Saint Phalle utilise, elle, des structures rigides façonnées dans du grillage et recouvertes de différents matériaux : papier mâché (pour ses premières œuvres) puis bandes de tissus collées, résine, béton, carreaux de céramique et morceaux de miroir. Sculpter, c’est se confronter aux lois de la physique, à la verticalité. Pour que la sculpture tienne debout, il faut penser une structure qui la supporte. Niki de Saint Phalle parle longuement de la réalisation des structures métalliques qui soutiennent ses monumentales sculptures Pour les structures du Jardin des Tarots, pour la sculpture appelée Hon (« Elle » en suédois) Tinguely, son compagnon, souda des structures de fer qui furent recouvertes d’un filet métallique ou de grillage pour former le corps. Pour Hon, Niki de Saint Phalle

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recouvrit le squelette métallique de longues bandes de tissus trempées dans la colle de peau de lapin. Ces bandes de tissus enveloppent le corps de la sculpture, tout comme la peau enveloppe la surface entière du corps. Cela m’évoque ce que dit Anzieu de la fonction contenante du Moi-peau, métaphore qui désigne la forme du Moi par lequel s’étayent les fonctions psychiques du Moi sur les fonctions biologiques de la peau. Il me semble que le fait de recouvrir les sculptures ou plutôt de les envelopper de bandes de papier ou de tissus, a un effet rassurant et donne en retour à l’artiste la sensation d’être bien contenue dans sa peau, d’être bien soutenue par un squelette solide, sans menace d’effondrement. La réalisation d’une sculpture oblige à penser l’objet dans l’espace, à le penser en volume, ce qui force le sculpteur à tourner autour de l’œuvre en cours de réalisation, à la voir dans la globalité. « En quelque sorte, sculpter, c’est s’assurer de la permanence de l’objet. » (Jousse, 2008, p. 78). Cela donne à celui ou celle qui sculpte un sentiment d’être vivant et entier. Elaborer un volume c’est « décider d’un contour qui va délimiter le vide (l’espace) du plein (la matière) », c’est intégrer la limite corporelle dehors-dedans. Pour Marie-Hélène Jousse, le psychisme du sculpteur, grâce à cette nécessité de délimitation, « va privilégier la constitution d’un moi-peau et d’une enveloppe contenante, ainsi qu’une barrière protectrice de son identité et de son autonomie.» (Jousse, 2008, p. 93). Pour Anzieu, un des caractères signifiants de la contenance est l’enveloppe-sphère. L’utilisation récurrente chez Niki de Saint Phalle, des formes circulaires et sphériques évoque le maternel, l’inclusion, la fusion rassurante. Dans la sculpture du Jardin des Tarots qu’elle appelle Impératrice ou Sphinx, elle voulait créer « un espace tout en rondeur ondulante sans aucun angle pour m’effrayer ou m’attaquer ». (Hulten, 1995, p. 174)

3.5. Se recréer une enveloppe contenante et sûre

En 1966, Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely réalisent pour une exposition en Suède cette sculpture appelée Hon qui a fait scandale. C’était une sculpture monumentale de femme enceinte allongée. Les visiteurs entraient à l’intérieur par le vagin. Des salles de spectacles et d’exposition étaient installées dans le ventre, les seins, la tête de la sculpture. Pour Niki de Saint Phalle c’était « une déesse de la fertilité, accueillante et confortable, un rêve du retour à la Grande Mère qui absorbe, dévore des milliers de visiteurs. »

(Hulten, 1995) L’évocation de cet archétype rappelle que l’enfant, dans sa structuration psychique, est d’abord confronté à la perception d’une mère toute puissante, inquiétante parfois, aimée et haïe en même temps et dont il devra se dégager.

L’entrée dans la sculpture Hon

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La construction d’une identité individualisée est un long processus qui va permettre au petit enfant, comme l’explique Bernard Senn, …de se dégager de la période où il est confondu avec l’environnement maternel et acquérir son indépendance. C’est un chemin jalonné de peurs et d’angoisses liées à l’abandon, à la séparation, aux éprouvés de morcellement, de chute, de désintégration (…) Très tôt le jeune enfant cherche dans ses jeux à s’envelopper, à recréer une enveloppe protectrice qui le rassemble tant corporellement que psychiquement. (Senn, 2008, p. 2). A partir des années 70, Niki de Saint Phalle crée des structures habitables. Ces figures animales, dragons, Golem, monstres, servent souvent de place de jeu pour les enfants qui peuvent pénétrer à l’intérieur, sortir de la bouche par des toboggans. Après une longue période de maladie traversée par des envies suicidaires, débute en 1978, le projet du jardin des Tarots. Ce projet a habité longtemps les pensées de Niki et elle mit 20 ans à le réaliser avec l’aide de Jean Tinguely et d’une équipe d’amis fidèles. Pour elle, les difficultés affrontées lors de la création du Jardin des Tarots se sont apparentées à « la longue quête menée par le héros des contes de fées, avant que le trésor ne soit découvert ». Niki de Saint Phalle y a réalisé trois sculptures habitables, dont L’Impératrice où pendant plusieurs années, l’artiste a vécu et travaillé avec son équipe, installant sa chambre dans le sein de la statue. Voici comment elle relate cette expérience : Vivre à l’intérieur d’une sculpture, c’était mon rêve, ma nécessité. Une sculpture féminine, inventer une nouvelle mère, une mère déesse, une Mère suprême et renaître là, dans des formes sans limites, des formes proches de la nature (...) Je vivais désormais à l’intérieur de la mère. J’ai vécu pendant des années dans cette mère protectrice : elle m’a servie comme centre pour mes rencontres avec l’équipe. Je ne pouvais plus quitter cet espace, cette mère retrouvée. Réfugiée à l’intérieur de ce ventre, j’ai passé de longues heures à contempler le monde extérieur (…) je me sentais rassurée et transportée. (Lawless, 1990, p. 69) Niki cherche, semble-t-il, à retrouver le premier contenant sécurisant, le ventre maternel. Selon Patrice Cuynet, la fonction première de l’habitat est celle de contenance, c'est-à-dire « un lieu stable de dépôt qui s’objective dans un dedans et un dehors grâce à une enceinte délimitante ». (Cuynet, 2000, p. 7). C’est le rôle des murs, des toits, des portes et des volets de protéger l’intérieur des agressions du monde extérieur. Ainsi pour protéger son jardin extraordinaire, Niki va demander à son ami l’architecte Mario Botta de ceindre son jardin d’ « un mur masculin » pour, dit-elle, « protéger le monde du rêve (le jardin) du monde extérieur ». (De Saint Phalle, 2004, p. 68) La fonction contenante qui s’exprime dans ces créations-là (sculpture habitable et mur d’enceinte) induit une délimitation entre le dedans et le dehors, apporte un fort sentiment de sécurité et permet la construction d’une identité différenciée et unifiée. Ainsi que le rappelle Bernard Senn, (Senn, 2008) du ventre maternel au cercueil, les contenants sont présents tout le long de notre vie. Après la contention dans l’enveloppe

L’Impératrice

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utérine, où l’utérus est vécu comme « le sac qui maintient des fragments de conscience » (Anzieu & Ciccone, 1990, p. 96), l’enfant connaît de nouveaux contenants : …tels que les bras parentaux qui vont le soigner, l’habiller, le bercer, le nourrir, il éprouvera, selon son contexte culturel, des enveloppes de plus en plus spacieuses : berceau, chambre, cabane, maison. Ces éprouvés se tisseront tout au long de son développement précoce avec l’enveloppe d’un bain de parole qui préparera son accès au langage. (Senn, 2008, p. 2) Outre le ventre, les seins ont une grande importance pour Niki. Elle a fait des seins de la Hon, un lieu de rencontre et un milk-bar. Elle a installé sa chambre dans l’un des seins de L’impératrice. Ses autres statues ont presque toutes des seins proéminents, ronds, colorés, sphériques. Pour Bion, cité par Didier Houzel (Houzel, 2000, p. 67), le sein maternel est le prototype du contenant, sein qui représente en fait la communication entre la mère et le bébé. C’est en observant cette relation mère-bébé, que Bion a imaginé les notions de contenant-contenu, dont je parlerai dans la partie théorique du mémoire. Ainsi, après l’effet de catharsis de la révolte des Tirs, Niki s’est recréé une enveloppe protectrice qui lui a permis de mener à bien le projet de sa vie, de renouer avec ses enfants qu’elle n’avait pas pu élever, trop accaparée par l’Art, nécessaire à sa survie. Les œuvres, pour Niki de Saint Phalle, semblent avoir fonctionné comme un contenant de l’angoisse et des pulsions destructrices et comme une tentative de mettre du sens à des éprouvés difficilement compréhensibles, comme l’absence précoce d’une mère et le vécu avec un père incestueux. Enfin le regard réflexif et distancié qu’elle porte sur sa vie dans ses écrits (autobiographie ou textes des différents catalogues d’exposition) a permis, comme elle aurait pu le faire avec un thérapeute, de penser, comprendre et transformer sa souffrance. Ainsi, à travers cette évocation de l’œuvre de Niki de Saint Phalle, j’ai mis l’accent sur un certain nombre de notions qui vont se retrouver dans la partie plus théorique du mémoire : notions de limites et de délimitation, notion de dehors/dedans, d’enveloppe, de peau, de pare-excitation, de contenant et de contenu.

4. La fonction contenante : apports théoriques

4.1. Winnicott : le « handling » et le « holding »

Winnicott (Boukobza, 2003) appelle handling, les manipulations et soins corporels apportés par la mère et l’entourage au petit bébé. Ces soins corporels sont généralement accompagnés de sons et de réponses de la mère ou des personnes qui entourent le bébé, en écho à ses propres productions sonores. Cela permet au nourrisson de s'approprier petit à petit les sensations et les émotions ressenties sans se sentir détruit. Le holding pour Winnicott, est un terme qui signifie : soutenir, contenir, retenir. C’est la façon dont le bébé est tenu, porté, maintenu et qui participe à l'élaboration de son enveloppe corporelle. Ce holding assure un sentiment de sécurité, de continuité, de se sentir exister. Par le handling et le holding, la mère délimite le corps de l’enfant et lui permet de ressentir et d’intégrer les limites externes de son propre corps. L’intégration du Moi dépend du holding. En effet, comme le dit Winnicott, cité par Houzel :

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L’intégration est étroitement liée à la fonction de maintien (holding) exercée par l’environnement. Une intégration réussie est l’unité. Tout d’abord vient le Je, ce qui inclut que tout ce qui est autre n’est pas moi. Puis vient le Je suis, j’existe, j’accumule des expériences vécues, je m’enrichis, j’ai une interaction d’introspection et de projection avec le non-moi, le vrai monde de la réalité partagée. (Houzel, 2000, p. 61) Les mains maternelles qui maintiennent droit le corps du bébé sont progressivement intériorisées, constituant « une véritable colonne vertébrale psychique », ce qui permet ensuite au bébé devenu adulte de « se soutenir lui-même à travers les difficultés de la vie. » (Tisseron, 2002, p. 112) En reprenant les théories d’Anzieu, nous pouvons dire que le bébé va progressivement se construire un « Moi-contenant psychique » puis un « Moi-pensant », à partir des expériences tactiles qui constituent une « enveloppe de sensations unifiantes ».

4.2. Bion : « la fonction alpha », « la rêverie maternelle »

Pour Bion (Fognini, 2004), la psyché de l’enfant s’étaye sur la psyché de la mère. Quand le bébé vient au monde, il est assailli par des sensations et des vécus terrorisants, telle la faim. Il est bombardé de données sensorielles, d’expériences qu’il ne peut comprendre en raison de l’immaturité de son appareil psychique. L’enfant pour échapper à l’univers angoissant de ses premiers mois, va projeter sur l’extérieur, dans le psychisme de sa mère, ces éléments persécuteurs. Ce sont ce que Bion, dans « Aux sources de l’expérience », appelle les éléments-bêta, des éléments non pensables. L’enfant évacue ces expériences dans la mère qui doit être capable de les contenir, de les penser, de les transformer et de les restituer en quelque chose de filtré, choisi, nommé et partageable. La mère va en quelque sorte métaboliser les vécus corporels de l’enfant, les vécus bruts, les angoisses, elle va mettre des mots sur ses sensations, en leur donnant du sens. Elle va accueillir les identifications projectives1 de son bébé. Voici comment W.R.Bion décrit le phénomène : Le nourrisson projette dans un bon sein une partie de sa psyché, à savoir les éléments mauvais. Ceux-ci, le moment venu, sont ensuite retirés et réintrojectés. Durant leur séjour dans le bon sein, ils sont ressentis comme ayant été modifiés de telle sorte que l’objet qui est réintrojecté apparaît tolérable à la psyché du nourrisson. (Bion, 2007, p. 110)

C’est grâce à ce que Bion appelle « capacité de rêverie » que la mère peut transformer les éléments mauvais en éléments supportables pour le nourrisson. …la rêverie est un état d’esprit réceptif à tout objet provenant de l’objet aimé, un état d’esprit capable, autrement dit, d’accueillir les identifications projectives du nourrisson, qu’elles soient ressenties par lui comme bonne ou mauvaises. Bref la rêverie est un facteur de la fonction alpha de la mère. (Bion, 2007, p. 54)

1 Mélanie Klein définit ainsi ce concept d’identification projective : « C’est le fantasme de projection de l’enfant à l’intérieur du corps maternel (le non-soi) pour le maîtriser, le posséder et éventuellement le détruire en voulant contrôler les mauvais objets qui s’y trouvent déjà projetés.» Bergeret (2000) p.17. Bion différencie deux types d’identification projective : une identification projective pathologique et une identification projective normale à partir de laquelle il décrit la relation contenant/contenu.

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Si la mère accepte d’être un bon sein contenant, elle pourra penser ces sensations pour l’enfant, pour qu’il puisse les reprendre ensuite et transformer les éléments-bêta en éléments-alpha. Mais si la mère ne peut pas, pour une raison ou une autre, assumer cette fonction d’écoute, d’accueil et de contenance, les éléments-bêta ne seront pas retournés à l’enfant en éléments- alpha. L’enfant reste alors envahi par ses émotions primitives et l’activité de penser ne peut apparaître. Bion a mis en évidence un mécanisme lié au fonctionnement mère/enfant. Ce mécanisme qui est figuré par la relation entre ce qui est projeté, le contenu et l’objet qui le contient, le contenant, contribue à la formation de l’appareil « à penser les pensées ». Le bon fonctionnement de la relation mère/enfant, contenant/contenu, permet à l’enfant d’intérioriser les bonnes expériences et d’introjecter la fonction contenante de la mère (qui fait office de fonction alpha). Cette fonction est à l’origine de l’activité de pensée. Peu à peu, l’enfant va se sentir sécurisé face à ses vécus émotionnels et corporels intenses. En intériorisant la fonction contenante maternelle, il va pouvoir à son tour contenir ses propres ressentis émotionnels par la mise en mots, en images, en pensées. Devenu adulte, il pourra faire avec ses pulsions, ses fantasmes, ses tensions intérieures sans devoir passer à l’acte, sans somatiser. Si l’appareil psychique n’arrive pas à comprendre les éléments- bêtas, l’angoisse qui en résulte peut conduire à trouver des solutions extrêmes pour la supprimer. Ce peut être par exemple le recours à une addiction, au passage à l’acte envers soi-même ou autrui, à la somatisation. Ce sont les éléments-bêtas qui dominent chez les patients présentant des troubles de type psychotique, entraînant une difficulté à penser et à symboliser. Pour l’art-thérapeute, on le verra dans les exemples cités plus loin, sa capacité de rêverie, sa fonction contenante, c’est la capacité à se connecter aux vécus douloureux du patient afin de lui permettre d’en donner une forme représentable, de lui permettre également de retrouver sa créativité, d’acquérir ou de consolider des notions telles que le dedans et le dehors, l’imaginaire et le réel. On verra également comment l’atelier d’art-thérapie, que ce soit à l’hôpital psychiatrique ou à l’école spécialisée, par sa fonction contenante, associée à la création, a permis aux patients d’avoir la perception d’être contenu dans un espace contenant et de consolider leur sentiment d’identité.

4.3. Anzieu : « le Moi-peau », le concept d’ « enveloppe psychique », le « penser »

L’importance des échanges tactiles dans le développement psychique de l’enfant s’est révélée à l’occasion des recherches sur les effets psychiques des carences maternelles. C’est à partir des travaux de Bowlby sur l’attachement et de ceux de Spitz et de Winnicott qui mettent l’accent sur le rôle vital des interactions précoces dans le développement du nourrisson, qu’Anzieu a développé le concept de Moi-peau. Ce concept nous aide à comprendre la façon dont l’enfant construit sa personnalité, en mettant en lien constitution de l’appareil psychique et expérience du corps. Anzieu a montré que la peau, de par sa structure d’enveloppe sensorielle, est un des éléments permettant à l’enfant de se construire. C’est l’expérience de la surface du corps

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(être touché, toucher l’autre, être pris dans les bras) qui va permettre à l’enfant de se constituer un Moi apte à différencier l’intérieur et l’extérieur, le Moi et le non-Moi. La mise en place de l’enveloppe-peau passe par le toucher, les gestes de maternage. En le lavant, l’habillant, le berçant, le câlinant, le nourrissant, la mère (et l’environnement maternant) permet à l’enfant de sentir son corps, de le concevoir et d’en éprouver ses limites. Anzieu a également mis en évidence les similitudes des fonctions de la peau avec celles du Moi. Ainsi, écrit-il: « De même que la peau enveloppe tout le corps, le Moi-peau vise à envelopper tout l’appareil psychique. » (Anzieu, 2006, p. 124) Le Moi-peau est une figuration, une métaphore. Elle permet à Anzieu de transposer les principales fonctions de la peau (qui limite, protège et contient le corps) dans ce qu’il appelle Moi-peau : « Par Moi-peau, je désigne une figuration dont le Moi de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même comme Moi contenant les contenus psychiques, à partir de l’expérience de la surface du corps. » (Anzieu, 2006, p. 61)

Anzieu a développé huit fonctions différentes du Moi-peau, dont je retiens ici, parce qu’elles me paraissent interdépendantes, la fonction de maintenance, la fonction contenante, la fonction de pare-excitation et celle de surface d’inscription.

« Fonction de pare-excitation »

Le Moi-peau a pour fonction de protéger l’appareil psychique du débordement d’excitations internes (pulsions, pensées, etc..) et des stimulations excessives provenant de l’extérieur. Comme l’épiderme, le Moi-peau est une structure qui protège des excitations internes et externes. Par cette fonction de pare-excitation du Moi-peau, l’extérieur ne peut pénétrer à l’intérieur sans être filtré. Cette fonction permet d’éviter un débordement pulsionnel et participe à déplacer une partie de l’énergie psychique vers l’activité de penser. C’est d’abord la mère qui sert de pare-excitation à l’enfant de façon que, peu à peu, il acquière sa propre barrière de protection.

« Fonction de maintenance »

Si la peau, dit Anzieu, maintient le squelette et les muscles, le Moi-peau soutient le psychisme par sa fonction de maintenance qui s’apparente au holding de Winnicott. C’est, nous l’avons vu précédemment, la façon dont la mère soutient le corps de son enfant, le maintient dans un état de solidité et d’unité. Pour Anzieu, ce sont les mains de la mère qui ont été intériorisées et qui maintiennent le psychisme en état de fonctionner.

La fonction de maintenance est aussi représentée par l’appui pris sur la mère pour se verticaliser. Cette fonction peut être considérée comme l’axe, la colonne vertébrale du psychisme. La carence de cette fonction s’exprime souvent par un corps mou, sans tonus. Anzieu a décrit de façon passionnante dans Le corps de l’œuvre, le manque de maintenance à l’œuvre dans les tableaux de Francis Bacon. L’arête dorsale, à la limite de se détacher du dos, ne le soutient guère ; les proportions des membres entre eux et avec le tronc sont faussées (…). Plus généralement ce qui est supposé contenir – le vêtement, la peau, le volume de la pièce- lâche, s’effrite, se déchire, s’ouvre, se fend. (Anzieu, 2005, p. 335)

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« Fonction contenante »

La fonction contenante au niveau du Moi-peau est développée par le handling de la mère. Elle permet de maintenir à l’intérieur le contenu de la psyché c’est-à-dire les tensions intrapsychiques, les pulsions inacceptables, mais également les souvenirs, les plaisirs. La fonction de contenant du Moi-peau se développe grâce à la perception sensorielle à la surface du corps, perception liée comme on l’a vu, au handling maternel que l’enfant intériorise. Les soins prodigués par la mère ou l’environnement maternel, créent chez l’enfant la représentation de la peau comme sac contenant. Si les expériences de contention, de rassemblement sont répétées assez longtemps, le bébé pourra introjecter cette fonction contenante et cela lui permettra la construction d’un sentiment d’identité et la constitution des enveloppes psychiques. Eliane Ferragut, (Ferragut, 2002, p. 22) se référant au concept de seconde peau musculaire d’Esther Bick (1968), écrit que lorsque la fonction contenante ne peut se mettre en place, le bébé va chercher un autre objet qui permettrait de maintenir ensemble et unifiées, les différentes parties du Moi. Cet objet peut alors constituer un contenant de substitution avec par exemple l’agrippement du regard à un point lumineux ou encore l’hypertonicité de la musculature ou la musculature contractée.

La mère est, par son attitude et ses soins, un objet contenant c'est-à-dire selon Didier Houzel, (Houzel, 2000, p. 63), un attracteur qui attire la vie pulsionnelle et émotionnelle du bébé ou selon René Kaës, un conteneur qui transforme les vécus en quelque chose de compréhensible. René Kaës a distingué deux sortes de contenant : le contenant et le conteneur. Selon sa définition : Le contenant est stable, immobile, il s’offre en réceptacle passif ou dépôt des sensations-images-affects du bébé, neutralisées et conservées. Le conteneur correspond à l’aspect actif, à la rêverie maternelle selon Bion, à l’identification projective, à l’exercice de la fonction alpha qui élabore, transforme, restitue à l’intéressé ses sensations-images-affects rendues représentables. (Anzieu, 2006, p. 124) Le contenant est de l’ordre du pare-excitation et le conteneur de l’ordre de la surface d’inscription des traces sensorielles.

« Fonction d’inscription des traces sensorielle »

C’est grâce à la sensibilité de la peau au toucher, au froid, au chaud, à la douleur que nous percevons des informations sur le monde extérieur. Cette fonction d’inscription a un versant biologique visible comme les signes du vieillissement (rides), de la maladie (rougeurs, taches) qui apparaissent sur notre peau et un versant social visible aussi, comme les tatouages, la coiffure, le maquillage ou les scarifications. Nous verrons au paragraphe 5.5, que les scarifications peuvent être vécues « comme un besoin d'inscrire sur soi les souffrances intimes, pour à la fois les affirmer mais aussi s'en défaire ». (Duverger, 2005) De la même façon, notre psychisme garde des traces de nos expériences bonnes ou mauvaises. « Le Moi-peau est le parchemin originaire, qui conserve, à la manière d’un palimpseste, les brouillons raturés, grattés, surchargés, d’une écriture originaire préverbale faite de traces cutanées. » (Anzieu, 2006, p. 128).

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Anzieu dans ses différents livres, a souligné les diverses pathologies liées aux carences des fonctions du Moi-peau, dont je citerai deux exemples, liés à la carence ou défaillance de la fonction contenante : la personne peut vivre son corps comme troué, comme un « Moi-passoire » qui laisse filer le contenu de psychisme, les pensées, les souvenirs ou alors, elle peut s’envelopper dans une « enveloppe de souffrance » comme nous l’avons vu pour Niki de Saint Phalle. Un certain nombre de fantasmes liés à la peau jalonnent la constitution et la structuration du Moi. Le bébé éprouve d’abord un fantasme de fusion qui nie la naissance et la séparation physique d’avec la mère, puis il éprouve un fantasme d’une peau commune avec elle, qui témoigne de la dépendance symbiotique entre le bébé et sa mère. Par ce fantasme, le nouveau-né se sent véritablement partie prenante de la peau maternelle (…) la peau des mains maternelles est véritablement pour le bébé, sa propre peau en devenir (…) ce que le bébé intériorise, c’est une relation avec son environnement centrée sur sa peau, certes, mais où celle-ci est investie fantasmatiquement de fonctions dévolues à la mère avant de participer à la construction de fonctions psychiques autonomes. (Tisseron, 2002, pp. 116-117). Au cours du processus de séparation-individuation, si ce processus ne se passe pas bien, le bébé peut vivre alors des fantasmes de peaux arrachées, meurtries ou volées.

Le concept d’ « enveloppe psychique »

Le Moi-peau, comme on l’a vu, est un lieu d’échanges entre la sphère psychique et la surface du corps. Ce lieu d’échange permet de contenir et d’élaborer les expériences et de se protéger des excitations trop fortes en provenance de l’extérieur. Par la suite, Anzieu complète le concept de Moi-peau en le faisant évoluer vers le concept d’enveloppe psychique qui comprend entre autre l’enveloppe sonore, l’enveloppe olfactive, l’enveloppe de souffrance, la pellicule du rêve. Ces enveloppes psychiques sont des structures à double feuillet (pare-excitation et surface d’inscription) qui délimitent le monde interne et externe. L’enveloppe psychique se différencie du Moi-peau en ce qu’elle est « une limite non fermée qui favorise le filtrage des stimuli du monde extérieur, la différenciation dedans–dehors. L’enveloppe ne se situe ni dehors ni dedans, elle est la frontière. Ainsi elle autorise l’échange entre l’environnement social du sujet et l’appareil psychique ». (Brandibas, Sudres, Bernoussi, & Fourasté, 2003, p. 345) Le concept d’enveloppe psychique comporte plusieurs notions : « celle de sac qui contient ; celle de bord qui délimite ; celle d’interface qui met en contact les deux réalités qu’elle sépare ; celle de frontières qui filtre le passage ; celle de sphère autosuffisante. » (Anzieu, 1994, p. 129) Ainsi en me référant à Anzieu qui écrit que, comme la peau est l’enveloppe du corps, le Moi-peau est l’enveloppe du psychisme, je pourrais écrire que le cadre de l’atelier d’art-thérapie est l’enveloppe du processus art-thérapeutique et que l’institution, où a lieu la séance d’art-thérapie, est l’enveloppe de la prise en charge thérapeutique. Ces différentes enveloppes liées entre elles, ont des fonctions semblables : elles délimitent, filtrent les stimulations, inscrivent des traces et contiennent les angoisses, les émotions, les malaises du patient.

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Du « Moi-peau » au « Moi-pensant »

Anzieu a poursuivi son étude sur la constitution du psychisme en réfléchissant au passage du Moi-peau au Moi-pensant. Il a établi une grille qui met en parallèle les fonctions de la peau, du moi et du penser car si « La peau enveloppe le corps ; par analogie avec la peau, le moi enveloppe le psychisme ; par analogie avec le moi, la pensée enveloppe les pensées. L’analogie est ici non une vague ressemblance mais une correspondance terme à terme des éléments de chaque ensemble.» (Anzieu, 2003, p. 31) Il détermine huit « logiques du penser » qui sont issues des fonctions du Moi-peau. Aux fonctions de maintenance, de pare-excitation, de contenance, correspondent la consistance qui permet aux pensées de prendre leur élan, la constance qui permet de « dévier une partie de l’énergie psychique vers le travail du penser » et la contenance qui permet de « tenir ensemble » les pensées. Pour Anzieu, (Anzieu, 2003, p. 28), le « contenir » est la deuxième fonction de l’activité de penser après « le maintenir-soutenir-dresser ». Cette fonction détermine plusieurs aspects du penser qui dérivent de la relation corporelle de l’enfant avec sa mère: « Penser c’est cerner, encercler un domaine (…) c’est embrasser une question (…) c’est instaurer des limites c’est limiter, délimiter (…) c’est lutter contre l’illusion d’une vie, d’un savoir illimité.» (Anzieu, 2003, p. 29) Pour résumer les différents aspects de la fonction contenante que j’ai décrits plus haut, j’emprunte à Claudine Ourghanlian le schéma qu’elle a imaginé sur son site Lienset marges (Ourghanlian, 2009) pour expliquer ce qu’est la fonction contenante. Ce schéma récapitule, de façon claire, les qualités et les effets spécifiques de la fonction contenante du thérapeute.

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5. Art-thérapie et fonction contenante

Selon Didier Houzel, (Houzel, 1988), l’enveloppe psychique, pour qu’elle contienne au mieux les différentes parties du Moi, doit avoir à la fois des qualités de réceptivité et de souplesse et des qualités de consistance et de solidité. Ainsi, l’enveloppe psychique, pour jouer correctement son rôle, doit allier harmonieusement le pôle maternel et le pôle paternel. Dans l’atelier d’art-thérapie, le patient va pouvoir retrouver les pôles paternel et maternel, joués à la fois par le cadre et ses règles et par la souplesse du dispositif. La souplesse et la fermeté seront également incarnées par l’attitude empathique mais solide (c'est-à-dire qui résiste à la destructivité) du thérapeute2. Selon Houzel cité par Bernard Golse, (Golse, 2002, p. 407), le cadre thérapeutique serait fondamentalement bisexuel car il comporte une dimension contenante (maternelle ou féminine) et une dimension limitante (paternelle ou masculine). Enfin dans la rencontre avec les matériaux, le patient pourra également éprouver dans la création, les aspects de solidité, fluidité, souplesse, dureté ou résistance de ceux-ci.

5.1. La médiation et le processus de symbolisation

René Roussillon a réfléchi à la place de la médiation au sein d’une théorie du soin et de la symbolisation (Roussillon, 2010). Pour lui, l’utilisation des médiations artistiques en thérapie a pour objectif de matérialiser l’activité de symbolisation. Les expériences infantiles précoces, les expériences traumatiques du début de la vie, du fait de l’immaturité de la psyché infantile et de l’intensité de ce qui a été éprouvé, n’ont pas été symbolisées ou ont été mal symbolisées et donc n’ont pu être intégrées dans la vie psychique. Elles ont laissé des traces internes. C’est ce qui fait souffrir. En art-thérapie, si je reprends l’analyse de Bernard Chouvier (Chouvier, 2010, p. 32), je peux dire que « ce qui est thérapeutique c’est la rencontre entre un dispositif pensé et construit par le thérapeute (le cadre et ses règles) et une matière (terre, peinture, images etc.) capable de réveiller l’envie et le désir chez le patient, matière qui servira de médiateur (…) la matière médiatise la relation » entre le patient et l’art-thérapeute, la rendant moins angoissante qu’une relation thérapeutique verbale en face à face. L’œuvre produite dans l’atelier favorise à la fois la création du lien entre le patient et l’art-thérapeute (dynamique du transfert) et l’émergence du processus de symbolisation liée à l’introjection de la fonction contenante du cadre et du thérapeute. L’œuvre créée suscite les associations d’idées chez le patient comme chez l’art-thérapeute, facilite la mise à distance des problèmes du patient, pour restaurer en lui sa capacité à faire des liens, à penser. La médiation et son utilisation dans la créativité favoriseraient « un travail sur les contenants de pensée plus que sur les contenus non en tant qu’activité sociale ou

2 Pour faciliter la lecture, j’ai pris le parti d’adopter le mot thérapeute et/ou art-thérapeute au masculin bien que la profession soit majoritairement féminine !

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artistique mais comme une activité thérapeutique visant l’évolution psychique.» (Quélin-Souligoux, 2003, p. 33)

5.2. L’emboîtement de différentes fonctions contenantes

Dans la pratique de l’art-thérapie, la fonction contenante (qui permet au patient de créer plus librement et de faire des liens), peut être vue comme un emboitement de différentes fonctions contenantes. Celles-ci assurent les fonctions du Moi-peau et pallient les défaillances de l’enveloppe psychique du patient.

Du côté du patient, on trouve :

la contenance de l’œuvre créée qui est porteuse des projections du patient ;

la permanence de cette œuvre créée dont l’art-thérapeute est garant tout le temps de la thérapie. En général, il est signifié au patient, lors du premier entretien, que les œuvres restent dans l’atelier : le patient peut ainsi revoir son travail, prendre conscience du processus qui s’est mis en place ;

la contenance du thérapeute qui par son écoute, son empathie, sa capacité de rêverie, son regard sur l’œuvre, accueille en lui les difficultés du patient et l’aide, au travers de la création, à leurs donner du sens ;

la contenance de l’atelier et de ses règles de fonctionnement, qui est un lieu de sécurité ;

la contenance de l’institution où se déroule l’atelier qui garantit la pérennité de l’atelier, le sérieux du thérapeute, le respect d’une philosophie du soin.

Ces différents aspects de la contenance assurent au patient la possibilité de lâcher-prise, de s’exprimer, de régresser. Ainsi, la pulsion de vie du patient, souvent mise en veilleuse par les difficultés, peut s’exprimer au travers d’une créativité retrouvée.

Du côté du thérapeute :

Ce qui le contient, c'est-à-dire ce qui lui permet d’associer, de penser, ce qui lui permet de supporter les projections du patient et de les transformer en éléments alpha :

C’est le travail thérapeutique personnel sur ses propres difficultés, qu’il a effectué et peut-être effectue encore et qui lui permet l’analyse de son ressenti contre-transférentiel devant l’œuvre créée par le patient et durant les moments d’échanges verbaux et de présence du patient.

C’est son orientation théorique qui nourrit et féconde sa pensée. Ce cadre théorique donne la possibilité à l’art-thérapeute de faire des hypothèses, de les étayer, de les vérifier ou non. Jacques Hochmann, dans son livre « Pour soigner l’enfant psychotique » écrit que le thérapeute « sert de contenant à l’enfant dans la mesure où il forme et assure son propre contenant au contact de la théorie et de ses superviseurs, eux-mêmes contenus dans l’histoire de leur formation et dans leurs références théoriques. » (Hochmann, 1984, p. 182)

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Anne-Marie Latour ajoute que, quand on travaille avec des psychotiques ou des autistes, il est nécessaire de faire appel à un ensemble d’approches théoriques, à condition que « ces apports restent à l’état d’hypothèses du possible à penser et non soient considérés comme des vérités réductrices » (Latour, 2007, p. 17). Le support théorique joue alors le rôle de la rêverie maternelle au sens de Bion, il permet d’accueillir, de comprendre, de détoxiquer les effets violents des angoisses archaïques projetées par les patients psychotiques. Les références théoriques permettent de la même façon, face à des patients moins en souffrance, de penser ce qui se passe et s’est passé en séance.

C’est, le temps de la prise de notes qui est un temps pour penser, pour réfléchir sur ce qui vient de se passer en séance.

C’est le temps de la supervision qui est l’occasion d’un retour réflexif sur la pratique, de poursuivre la rêverie amorcée en séance, de prendre conscience des phénomènes de transfert et contre-transfert.

Quant à l’institution, elle peut être considérée comme un espace qui contient la dynamique psychique de tous les membres qui la composent (le personnel soignant et les patients). Elle fonctionne comme une enveloppe institutionnelle qui inscrit le travail thérapeutique de l’art thérapeute dans une philosophie du soin donnée, souvent en complémentarité avec d’autres thérapies. Ainsi dans l’hôpital psychiatrique où j’étais en stage, les patients, outre l’art-thérapie, suivent souvent d’autres ateliers (thérapie par le mouvement, musicothérapie), ce qui nécessite des échanges et un travail en réseau et permet d’appréhender le patient dans sa complexité.

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5.3. L’atelier et le cadre art-thérapeutique : un lieu pour créer et se créer

Contenance de l’atelier d’art-thérapie

Entrer dans l’espace de l’atelier d’art-thérapie crée généralement, pour le patient, un dépaysement par rapport à son espace habituel, c’est pourquoi l’atelier doit avoir un aspect agréable, chaleureux, non anxiogène. L’atelier est selon les mots de Winnicott « un espace potentiel » entre réalité interne et externe, où le patient, une fois la confiance établie, pourra vivre des expériences et fera « dans cet espace, l’expérience même de la vie créatrice ». (Winnicott, 2006, p. 191) Pour que cette confiance s’installe, il est nécessaire que, comme je l’écrivais plus haut à propos de Niki de Saint Phalle, l’atelier soit « un lieu stable de dépôt qui s’objective dans un dedans et un dehors grâce à une enceinte délimitante ». (Cuynet, 2000) Il me semble que l’art-thérapeute devrait faire en sorte que son atelier soit un lieu de repères, de sécurité, de création et de parole, mais aussi un lieu de découvertes et de surprises. L’organisation de l’espace, la position du bureau, des tables, la quantité de lumière doivent être également pensées en ce sens. Dans cet espace contenant, « pare-excitant », il me paraît aussi important d’avoir à disposition un grand nombre de matériaux, de médiums et d’instruments pour les travailler (peintures liquides ou plus épaisses, pinceaux et rouleaux fins ou gros, papiers de différentes textures, sable, cailloux, colle, terre, pastels, fusain, etc.), qui invitent à la curiosité et à l’expression de la sensorialité du patient. Ces matériaux, qui ne sont pas toujours exposés à la vue du patien, parce que cela peut être trop excitant pour lui, deviendront au gré des découvertes et des expérimentations, matières à créer et à symboliser. Toutefois, comme le rappelle Anne Brun, (Brun, 2007) utiliser la terre, la peinture, le conte, les marionnettes, la musique etc. n’est pas suffisant pour parler de « médiation thérapeutique ». L’objet médiateur créé à partir de ces matériaux ne présente aucune portée thérapeutique en lui-même, s’il ne s’inscrit pas dans un cadre thérapeutique pensé et défini, support de la fonction contenante de l’atelier.

Contenance du cadre thérapeutique

Jacques Doron (Doron, 1987, pp. 181-197) a étudié les modifications de l’enveloppe psychique dans le travail créateur en s’appuyant sur son activité picturale. Il constate que les modifications du Moi-peau ne peuvent se faire qu’à l’intérieur d’un cadre « qu’il convient de mettre en place », cadre qui permet d’entrer et de sortir de l’expérience de symbolisation. Ce cadre introduit une « rupture avec la vie banale ». Il crée un espace de transition, il sépare l’espace quotidien de l’espace de création. Le cadre contient, maintient ensemble ce qui est dynamique, c'est-à-dire le processus art-thérapeutique, le patient, le thérapeute et la création. Il représente une enveloppe qui délimite l’espace thérapeutique, permettant au patient de distinguer extérieur et intérieur. « Le cadre comme l’enveloppe, indique une frontière entre le Moi et le non-Moi, entre le lieu thérapeutique et le lieu de vie. » (Bleandonu, 1992, p. 19)

Les règles de fonctionnement de l’atelier d’art-thérapie contribuent à créer un lieu différent et contenant, c'est-à-dire fiable, sûr, permanent.

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En effet pour que le patient puisse faire peu à peu cette expérience dont parle Winnicott « d’un sentiment continu d’exister » qui est une condition nécessaire au processus d’individuation, le cadre doit apporter suffisamment de stabilité et de fiabilité dans le temps. Les règles pour le patient sont en général simples et explicitées en début de thérapie :

À l’hôpital : on ne fume pas dans l’atelier, on vient sobre, le téléphone est en mode silencieux.

À l’école spécialisée : on ne fait pas de mal à autrui, ni à soi, on respecte les participants et le matériel.

Ces règles jouent le rôle de murs psychiques, assurant la solidité du cadre. Elles sont structurantes car elles donnent la notion de limites et de frustration car on ne peut pas tout se permettre. Le thérapeute quant à lui, garantit la confidentialité de ce qui se dit, se vit, se fait dans l’atelier. Le cadre est une enveloppe qui « respire3 » : il est à la fois fermement tenu par l’art-thérapeute, si bien que les préoccupations du patient peuvent se déployer et être accueillies et à la fois suffisamment souple, de sorte qu’il peut être affecté par les actions du patient. Entre souplesse et fermeté, le processus art-thérapeutique peut se développer et le patient entrer dans un processus de changement. La fonction de holding du cadre thérapeutique s’exprime dans le fait que le cadre maintient, se maintient dans le temps et résiste aux attaques, aux crises, aux manifestations d’amour ou de haine, aux projections de peinture, aux refus et même aux absences du patient Ce cadre figure aussi une enveloppe extérieure de pare-excitation qui protège le patient des excès de stimulations et autorise la création en toute liberté. Ainsi la contenance du cadre tient dans :

l’invariance spatio-temporelle : un même lieu, une même heure, une même fréquence et durée de rencontre, un même prix de séance ;

la permanence des œuvres créées dont j’ai parlé précédemment. Cette permanence permet au patient de conforter son sentiment d’exister, de construire séance après séance un travail de liaison et d’appropriation ;

la permanence bienveillante et solide de l’art-thérapeute ; Il est important que le patient puisse éprouver la sensation que l’art-thérapeute est « indestructible ». Etre indestructible, c’est offrir au patient un contenant où ses pensées les plus agressives peuvent être reçues et métabolisées. « Contenir c’est d’abord se contenir, c’est résister aux aspects morcelant de la rencontre. » (Hochmann, 1984, p. 167).

Bien sûr l’art-thérapeute peut être touché émotionnellement par les projections du patient et s’il se sent atteint, décontenancé, il pourra (devra) travailler cette émotion contre-transférentielle en supervision. Ainsi, le cadre contient les forces destructrices du patient et protège à la fois le patient et l’art-thérapeute, permettant à chacun de rester vivant.

3 - Notes prises lors du cours de Déa Evêquoz sur le « cadre » en 2007

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La permanence de l’art-thérapeute, c’est aussi la garantie de la continuité de la thérapie, qui est primordiale pour le patient. Toute absence du thérapeute devrait être clairement annoncée et cela n’est pas toujours possible. Je me suis rendue compte à l’hôpital psychiatrique de l’importance pour les patients, de savoir que l’art-thérapeute était là, l’atelier ouvert, les œuvres de chacun posées sur leur table, marquant leur place, signifiant qu’ils étaient attendus. Alors que j’étais en stage depuis trois mois, il est arrivé que ma référente, grippée, soit absente. J’ai vu l’effet de cette absence imprévue sur le comportement de certains patients, leur désarroi et leur émotion, malgré ma présence.

5.4. La contenance de l’art-thérapeute et de la relation thérapeute/patient

Denis Mellier et Albert Ciccone ont tous les deux développé l’idée que la première qualité d’un (art-) thérapeute contenant était son aptitude à porter attention à la vie psychique du patient. C’est d’abord cette qualité d’attention, de réceptivité qui permet de contenir, apaiser et transformer les anxiétés et le mal-être des patients. Ensuite, le thérapeute, l’art-thérapeute, pour être contenant, doit moduler un équilibre qui se situe entre le trop et le trop peu : en effet, s’il donne trop, l’art-thérapeute peut provoquer la dépendance du patient, s’il ne donne pas assez, l’art-thérapeute n’offre pas assez de sécurité au patient.

La contenance de la voix

Anzieu a montré l’importance fondatrice de la voix et de la musique dans la construction de l’identité des nourrissons. Pour lui, l’espace sonore est le premier espace psychique. Dans le « Moi-peau », il écrit que le Moi se forme comme une enveloppe sonore dans l'expérience du bain de sons, qui accompagne l'allaitement et préfigure le Moi-peau. Comme l’écrit Maya Gratier (Gratier, 2001), le son échangé entre une mère et son bébé contribue à créer une enveloppe sonore qui permet de contenir et de réguler l’excitation de l’échange. Le rythme et la musicalité favorisent la construction identitaire du bébé dans la relation duelle avec la mère et, en même temps, son individuation en lui permettant de s’exprimer dans un espace contenant, délimité, pour accéder progressivement à la réalité externe. Edith Lecourt (Lecourt, 2000) a, quant à elle, indiqué comment les « enveloppes sonores » de l’enfant contribuent à constituer l’élément fondamental de construction et d’organisation de sa personnalité. Elle a mis en évidence combien le son et la voix sont un premier organisateur de la personnalité, qui sans doute se développe en même temps que d’autres sensorialités, mais qui précède la vision et la capacité de préhension ou de déplacement de l’enfant. L’enfant vit au départ dans un « bain sonore ». Bien sûr l’art-thérapeute n’a pas le choix du grain de sa voix, mais il doit être conscient que c’est aussi une donnée importante qui entre dans la constitution de sa capacité à être contenant. Ainsi, j’ai pu entrer en contact avec Tom, un jeune garçon présentant des troubles autistiques, en chantonnant au lieu de parler. Ce chantonnement dans les tons graves a capté son attention si bien qu’un travail art-thérapeutique a pu se mettre en place.

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De même, c’est par l’expérience de l’atelier d’art-thérapie « conte » que j’ai constaté l’importance de moduler sa voix et l’impact d’attracteur que celle-ci pouvait avoir auprès des enfants. J’en parlerai dans la dernière partie de ce mémoire.

La contenance de la distance

L’art-thérapie a cette particularité qu’elle associe l’écoute thérapeutique et le silence, la parole et la création. Dans le temps de création, le retrait du thérapeute favorise et accompagne l’inspiration artistique du patient. C’est ce temps qui s’apparente pour le patient « à la capacité de jouer seul en présence de la mère » dont parle Winnicott. Pouvoir « créer-jouer » dans le silence, témoigne de la vie intérieure du patient, de la constitution d’un espace intime, privé, différencié. Pour que cela soit possible, il faut au préalable que le cadre soit sécurisant et exerce un pouvoir de pare-excitation qui protège de la destruction des agressions extérieures et ouvre à l’expression de soi. Il n’est pas évident, pour qui que ce soit, de créer en présence d’autrui. Cela peut-être même très inquiétant D’où l’importance que revêt pour l’art-thérapeute le fait d’avoir intégré lui-même cette fonction contenante pour pouvoir l’incarner afin de permettre à l’angoisse du patient de s’exprimer et de progressivement s’atténuer.

Dans une psychothérapie ou dans une psychanalyse, la distance entre le thérapeute et le patient est généralement établie et clairement connue au départ. Ou le thérapeute se place derrière le patient, réduisant l’importance du visuel au profit de l’échange verbal ou alors thérapeute et patient sont assis à une distance fixe, permettant un échange de regard non intrusif et permettant au patient de percevoir l’effet de sa parole sur le thérapeute. En art-thérapie, la distance entre patient et art-thérapeute varie en fonction des temps de la séance et de la spécificité même du patient.

Durant mes stages, j’ai pu observer différentes attitudes de patients, chacune témoignant de dispositions psychiques particulières dont j’ai dû tenir compte. Certains patients ont besoin d’une présence discrète, d’autres d’une distance importante, certains tournent le dos au thérapeute, certains ne supportent pas le silence et parlent tout en créant. Certains se demandent ce que fait l’art-thérapeute pendant ce temps-là. Certains peuvent se sentir surveillés ou lâchés selon qu’ils projettent sur le thérapeute un parent persécuteur ou absent. C’est par l’attention aux mouvements transférentiels du patient et à son ressenti contre-transférentiel que l’art-thérapeute peut trouver la bonne distance, en étant ni trop lointain, ni trop intrusif, ni trop bavard, ni trop silencieux. Durant le temps de création du patient, le thérapeute soutient cette position de « mère suffisamment bonne ». Il se met dans un état de « rêverie », à l’écoute des besoins du patient et de ses propres mouvements intérieurs dans un accompagnement sécurisant.

5.5. Quelques aspects de la contenance de l’œuvre créée

Dans ce paragraphe, je vais étudier la contenance de l’œuvre, de l’image et des matériaux utilisés en art-thérapie. Il convient de garder à l’esprit qu’œuvre, image et matériaux ne sont pas intrinsèquement contenants. Ils le deviennent parce qu’ils se rencontrent dans l’atelier d’art-thérapie, dans un cadre et une relation thérapeutiques définis par l’art-thérapeute.

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L’œuvre créée : « objet de relation » pare-excitant et contenant

L’œuvre, en tant que tiers symbolique, opère comme une pensée en image, une pensée figurable. Elle met en jeu la sensorialité du patient en le reconnectant avec des expériences primitives, lui permettant de projeter ses problèmes intérieurs et de représenter angoisses, colère, désirs, plaisirs. Ainsi, le patient peut formuler plus facilement l’informulable (éléments-bêta) accompagné par la présence rassurante, contenante de l’art-thérapeute et accéder à la symbolisation et à la pensée. La représentation plastique (mais cela peut-être aussi une représentation corporelle, musicale ou théâtrale) est en résonance avec la représentation psychique du patient et entre en résonance avec celle du thérapeute par l’intermédiaire de ses perceptions et de son ressenti. Par la mise à distance de sa problématique, par les associations qui émergent grâce à la « fonction alpha », la « capacité de rêverie » de l’art-thérapeute, le patient peut mettre en lien des sensations présentes et passées, des souvenirs et éprouver par lui-même sa capacité de changement. Le transfert sur l’œuvre créée permet au patient de mettre à distance ce qui le tourmente ; l’œuvre opère comme un objet transitionnel, un objet médiateur. La notion d’objet transitionnel introduite par Winnicott, désigne un objet « trouvé-créé » par l’enfant et qui représente pour lui un substitut de la mère. Par cet objet, qui a un effet apaisant, la mère même absente est présente symboliquement. C’est la première possession « non-moi » de l’enfant et le premier usage du symbole. Selon Françoise Dolto, citée par Anne Brun (Brun A. , 2007, p. 23), l’objet créé, dessin, peinture ou autres, est « l’équivalent de l’association libre en thérapie verbale ou du rêve ». Il devient un objet de connaissance, d’exploration et de transformation, un objet de relation qui figure le lien, la relation thérapeutique, en l’externalisant. L’objet de relation, résultat d’une expérience partagée, permet de donner une forme à la rencontre thérapeute-patient, point de départ du processus de changement. Selon Christian Gimenez (Gimenez, 2004), il est le support d’une expérience sensorielle pour le patient tout en étant, dans le même temps, une rêverie pour le thérapeute.

Gimenez précise que « l’objet de relation a une fonction pare-excitative. Il filtre la violence fondamentale sous-jacente à toute rencontre et il permet au patient et au clinicien de se par-exciter réciproquement » (Gimenez, 2004, p. 95). Du fait de sa « concrétude », il est un support qui peut recevoir et contenir les émotions qui risquerait de déborder.

L’objet créé sert « d’interprète, de transformateur, de transmetteur, de symboliseur entre la réalité psychique et la réalité externe.» (Quélin-Souligoux, 2003, p. 34). Il est le support de la créativité et de la richesse du patient. L’objet créé est le support des projections du patient. Jacques Doron (Doron, 1987) dit qu’il joue le rôle « d’opérateur psychique » permettant au sujet de faire le lien entre le dehors et le dedans et de transformer ses enveloppes psychiques. Selon Doron, peindre, dessiner, sculpter, créer en quelque sorte, « c’est représenter l’espace psychique interne en renforçant l’enveloppe du Moi », c’est utiliser la réalité extérieure pour représenter son moi. L’œuvre filtre le chaos des perceptions internes du moi et réaménage les limites du Moi-peau.

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Créer, du point de vue de l’individu consiste à donner une double description du soi. Représenter sur l’interface interne sa vie psychologique, c’est utiliser l’œuvre comme contenant de ses émotions. Laisser traverser l’enveloppe et l’espace d’indétermination de sensations perçues à l’extérieur, c’est capter la partie interne du soi, la retourner, briser, reconstruire son identité. (Doron, 1987, p. 189)

L’objet est créé à partir de l’utilisation de médiums (pâte à modeler, terre, peinture, etc.) Chaque médium possède des qualités sensorielles particulières et favorise un certain mode de rapport à la sensorialité, en fonction de ses qualités tactiles, visuelle, olfactives. Il donne un accès possible à la représentation et la symbolisation de vécus douloureux.

La contenance de l’image

Serge Tisseron a comparé la relation que nous entretenons avec les images, à celle du bébé captivé par le regard de sa mère. « Le bébé investit le regard comme un moyen de préserver l’illusion de se sentir contre sa mère ». (Tisseron, 2002, p. 122) La différence, c’est que c’est nous qui choisissons, qui « adoptons nos mères-images.» (Tisseron, 2002, p. 107), ce que nous ne pouvons faire avec notre propre mère. Le pouvoir d’attraction de l’image passe par le regard, qui est, selon Tisseron, comme « une forme de toucher à distance » (p.118). Dans notre rapport aux images se joue également, une autre version du « fantasme de peau commune » vu précédemment. Selon Tisseron encore, nous pouvons nourrir ce fantasme de deux façons : « soit en plongeant dans les images un regard qui nous regarde, soit en nous abandonnant à l’illusion d’être contenus par elles tout autant que nous les contenons à l’intérieur de nous. »(p.122) Tisseron souligne que les images procurent des stimulations comme « les mères de peau » et renforcent les huit fonctions psychiques du Moi-peau. (pp. 127-153) Elles fonctionnent comme un « appui intérieur », comme « un étayage de l’identité, un pare-excitation, une source d’éveil et un contenant pour les pensées ». Les images renforcent « la fonction psychique de contenance » quels que soient leurs contenus. Tisseron précises trois aspects des pouvoirs de contenance de l’image :

L’image est délimitée par un cadre et c’est ce qui la différencie du monde réel. Regarder une image « engage toujours à intérioriser un cadre contenant en même temps que des contenus ». Nous verrons d’ailleurs plus loin la contenance du cadre et son effet sur un patient.

L’image donne « l’illusion de contenir tout ou partie de ce qu’elle représente ».

L’image donne l’impression « que tous ceux qui la regardent, la voient de la même façon ».

Ainsi, créer des images et les regarder sont des « actions proches du fonctionnement psychique dans sa capacité de contenir et de transformer en représentations des états du corps et des émotions. Avec les images, nous sommes invités à éprouver des émotions sans recourir à la régulation d’un comportement moteur et à les transformer pour nous les approprier.» (Tisseron, 2002, p. 136)

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La contenance du format de la feuille

Le format de la feuille ou de la toile influence souvent l’attitude et le déploiement corporel du patient. Comme je l’ai constaté dans mon stage d’observation à la Ligue contre le cancer ainsi que dans mon stage pratique à l’hôpital psychiatrique, le patient en début de thérapie, choisit souvent un petit format qui le tranquillise par son espace réduit. Petit à petit, à mesure que la relation thérapeutique se construit, que le cadre est intégré et que l’espace de l’atelier se vit comme un lieu sécurisé, le patient peut agrandir son propre espace pictural, favorisant une plus grande mise en jeu du corps. La feuille peut quitter l’espace rassurant de la table pour s’afficher au mur, le mouvement s’amplifie et libère l’expression. Le patient peint debout et cela autorise un meilleur enracinement. Ensuite, il peut prendre du recul pour voir son œuvre dans sa totalité. Pour Sara Païn et Gladys Jarreau (Païn & Jarreau, 1994), peindre debout face à la feuille renverrait à la position de l’enfant debout devant le miroir. Cette position rappelle celle du bébé porté dans les bras de sa mère et qui se regarde dans le miroir. L’enfant reconnaît son image, découvre qu’il n’est pas un corps morcelé et se retourne vers sa mère qui valide cette découverte. C’est la première prise de conscience de l’identité, le premier pas vers la constitution d’un moi unifié.

La toile-peau

Comme nous l’avons vu pour Niki de Saint Phalle, la toile du tableau, la feuille de papier, jouent pour certains le rôle métaphorique de la peau et l’artiste ou le patient peuvent projeter leurs préoccupations psychiques. Durant mon stage à l’hôpital psychiatrique, j’ai été confrontée à cette représentation peau=toile et à la fonction de métabolisation des souffrances non-dites par l’acte créateur.

Vignette clinique : Jean-Marc

Jean-Marc4 est un jeune homme de 20 ans hospitalisé après une tentative de suicide. Il a été adopté tout bébé et quand il avait 3 ans, ses parents adoptifs ont eu un enfant biologique, un garçon. Jean-Marc est, semble-t-il, en grande rivalité avec ce frère. Il se pose également des questions sur son identité et ses origines. Dans cet hôpital, c’est le médecin-psychiatre qui prescrit un suivi art-thérapeutique, à raison de 3 séances par semaine, jusqu’à la fin de l’hospitalisation. Pour la première séance en art-thérapie, il est habituel dans cet atelier, de proposer au patient de se présenter par un collage. Jean-Marc ne souhaite pas le faire ; il a une attitude très défensive. Il est vêtu, malgré la chaleur qui règne dans l’atelier, d’un T-shirt, d’un pull et d’une veste qu’il ne souhaite pas enlever.

4 Les prénoms des patients ont été changés et les œuvres sont présentées avec leur autorisation.

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Il choisit de dessiner au crayon feutre noir très fin un château moyenâgeux perché sur un pic rocheux. Il observe de temps en temps une jeune fille qui peint dans l’atelier sur une grande toile. Je m’assois à côté de lui pour parler de son dessin ; il aimerait représenter un aigle mais il ne sait pas le dessiner. Nous parlons de son goût pour les histoires un peu fantastiques. Jean-Marc a soudain trop chaud et retire sa veste et son pull et reste en t-shirt. Je remarque alors sur son poignet et le dessus de sa main gauche des cicatrices de scarification et des marques rondes qui semblent être des cicatrices de brûlures de cigarettes. Je ne peux masquer ma surprise. Il m’explique que « Ce n’est rien, c’est quand ça monte, il faut que je le fasse, il vaut mieux que je me fasse ça plutôt que je ne m’en prenne aux autres ». Je l’interroge sur ce que c’est que « ça ». Il ne peut mettre des mots sur ses ressentis émotionnels et parle de ses scarifications sans émotion apparente. La séance se termine là-dessus. La scarification est une entaille de la peau. C’est la plus courante des blessures corporelles que s’infligent les jeunes qui vont mal. Elle est, semble-t-il, l’expression d’une recherche d’identité. Selon Duverger (Duverger, 2005) : L’attaque du corps permet de se couper de représentations intolérables, de couper court au dialogue avec l’autre et simultanément de faire de l’enveloppe de soi une interface d’échange, qui interpelle l’autre au sujet de sa souffrance. (…) C’est là une forme de communication qui vise à attendre secrètement de l’autre, une reconnaissance de ses blessures intérieures et une prise de considération de ses plaies, à espérer une contenance et le rétablissement des limites. Les mutilations de la peau sont généralement des efforts désespérés pour maintenir les limites du corps et du Moi, pour rétablir le sentiment d'être intact et unifié. A la séance suivante, Jean-Marc demande à peindre une toile. Il choisit de la peinture acrylique noire et peint la toile entière de cette couleur. Pendant que la peinture sèche, il m’explique qu’il veut faire « des bandes de couleur sur le noir, des bandes droites » et demande comment faire en sorte que « la peinture ne déborde pas ». Je lui explique l’utilisation du ruban de masquage et lui fait remarquer qu’il doit choisir des couleurs opaques sinon le noir réapparaîtra. Il veut que je l’aide à trouver ou à fabriquer de la couleur acrylique « rouge sang ». Jean-Marc met plusieurs séances pour composer son tableau, réfléchissant à ce que va donner le rythme des lignes et l’alternance des couleurs dessus dessous. Il passe et repasse avec application de la couleur sur les éventuelles coulures qui ont pu apparaître malgré le ruban de masquage. Quand Jean-Marc peint longuement ces rayures de couleurs, entre les limites contenantes du ruban de masquage, je constate qu’il se pose, s’apaise. Il retrouve « un soulagement mais aussi une limite, une contenance empêchant la destruction, qui s’apparente à une tentative d’auto-guérison.» (Duverger, 2005) Une fois le tableau réalisé et sec, Jean-Marc veut l’accrocher dans sa chambre. La règle de l’atelier, explicitée lors de sa première visite, est celle-ci : on laisse les œuvres à

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l’atelier jusqu’au départ de l’hôpital. Jean-Marc explique que quand il regarde son tableau, ces lignes droites, « cela me fait du bien, je me sens mieux ». Ma référente de stage l’autorise alors à emporter le tableau dans sa chambre. Elle lui rappelle ce que cette création (qui est aussi porteuse de la relation transférentielle) a d’intime et de personnel. Il fera par la suite deux autres tableaux du même type avant de quitter l’hôpital.

La contenance du fond et de la forme

Pour Bernard Chouvier, la fonction de holding dans l’expression picturale, se symbolise par la construction du fond. Pour lui, les formes ne peuvent surgir que si un fond solide a été assuré précédemment : … la figure naît du fond, et le fond posé, les formes et les objets peuvent advenir de manière signifiante(…).Si la question de la fiabilité du fond n’a pas été dépassée, tout s’équivaut, et la créativité se perd dans des productions sans portées réelles pour le sujet qui les a produites (…) la trace prend sens sur le fond qui la porte. (Chouvier, 2003, p. 18)

Vignette clinique : Elisa

Elisa est une fillette de 9 ans, trisomique, née sous X et adoptée à l’âge de 2 ans par un couple déjà parents de plusieurs enfants. Elle présente de grandes difficultés relationnelles, s’enfermant dans des refus et des oppositions ponctuées de cris. Je l’ai prise en séance individuelle sur les indications de la psychothérapeute de l’institution où elle est scolarisée car elle aime beaucoup la peinture. Lors des premières séances, Elisa, avec de grands gestes, projette la couleur sur la feuille fixée au mur, tout en poussant des hurlements. La feuille est transpercée, déchirée à force d’être frappée par le pinceau. Je dois la fixer régulièrement au mur, réparer les déchirures. Selon Geneviève Haag, citée par Anne Brun, (Brun, 2003, p. 170) cette attaque du contenant-feuille correspond à de violentes angoisses « d’être arrachée, transpercée ». Elisa fait « peau commune » avec sa feuille, qu’elle asperge de couleur, en même temps qu’elle s’asperge elle-même et moi avec. C’est à peine si j’existe. Il est possible, dit Anne Brun « de concevoir la feuille comme une peau psychique qui matérialise l’accolement de la peau de l’enfant et celle de la peau maternelle » (p.170). Petit à petit, ayant éprouvé la stabilité du cadre thérapeutique, la permanence de ma présence, ayant introjecté la fonction contenante de l’atelier et la mienne, Elisa va changer. Elle entre maintenant sans inquiétude alors que précédemment franchir l’entrée de l’atelier lui était difficile. Elle se calme et ses gestes perdent leur violence. Elle peint mais alors, elle recouvre quasiment totalement sa feuille, la peinture déborde du support, la feuille et le mur sont une même surface indifférenciée, les notions de bords et de limites ne sont pas intégrées, le fond n’est pas distingué de la forme. D’ailleurs, il ne s’agit pas pour Elisa de représenter quelque chose. Si je lui demande ce qu’elle peint, elle répond invariablement « Sais pas, vais voir ». Progressivement, lentement les peintures évoluent. Elle peint de façon différente, plus en légèreté, les couleurs sont moins mélangées, passant des taches aux traits puis « un fond pour les représentations » (Brun, 2003, p. 170) émerge dans la peinture.

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Elle peut tracer une forme proche d’un cercle, forme contenante comme on l’a vu avec Niki de Saint Phalle, entourant l’image d’un lapin (son animal fétiche) qui n’est plus recouvert de couleur comme elle le faisait au début.

Evolution des peintures d’Elisa au cours de sa prise en charge dans l’atelier d’art-thérapie

Evolution des peintures d’Elisa

Elisa a pu éprouver la permanence solide et bienveillante de ma présence, qui a survécu à la violence verbale, aux projections de peinture, la permanence du médium malléable peinture, car chaque lundi, les pots sont là, sur la palette malgré les renversements dus à ses gestes désordonnés, la permanence de ses créations qui sont revisitées à chaque séance. Elisa passe d’ailleurs, d’une indifférence totale à ses productions à un intérêt certain. Je rappelle à chaque fois ce qu’elle en a dit et les mots que j’ai employés pour en parler, évoquant ainsi le travail de liaison et de figuration verbale que je fais pour elle, lui prêtant mon « appareil à penser ».

Pour Anne Brun, l’importance thérapeutique de la médiation picturale, pour des enfants en souffrance psychique de type psychotique ou autiste vient de ce qu’elle permet la constitution des contenants psychiques. Cela passe par la « constitution d’un fond pour la représentation, puis par une mise progressive des qualités plastiques de l’enveloppe psychique, parcourant par l’activité picturale, de la position d’adhésivité à la position de détachement du fond puis à la position de figuration ». (Brun A. , 2010, p. 23)

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Mettre un cadre à une œuvre peinte

Pour M. Schapiro (Schapiro, 1982, pp. 12-13) le cadre en art « est une clôture régulière isolant le champ de la représentation de la surface environnante. Pour lui, c’est un appareil placé entre le spectateur et l’image et dont le rôle est d’attirer et de centrer l’attention ». Le cadre arrête le regard, invite donc le spectateur à un parcours visuel dans l’image. Il désigne à celui qui regarde ce qu’il faut voir, il empêche l’attention de se disperser. Le cadre est aussi une bordure, un contour qui permet la démarcation entre un fond et une forme, un dedans et un dehors, il arrête l’expansion d’un contenu, il a une fonction d’individualisation.

Vignette clinique : Mehdi

Mehdi est un monsieur kosovar d’une cinquantaine d’années, hospitalisé à l’hôpital psychiatrique. Il souffre d’anxiété généralisée, se plaint de douleurs diffuses dans tout le corps. Sans papier, il vit en Suisse depuis 15 ans, parle le français avec grande difficulté. Quand Medhi arrive à l’atelier, il est tout courbé et boitille. Il a l’air de beaucoup souffrir. Dès la première séance, Mehdi souhaite faire de la peinture. Il choisit une feuille de papier blanc, de format A3. Je lui montre l’étagère où se trouvent les pots d’acrylique, les palettes. Il me dit qu’il sait comment faire, qu’il a fait de la peinture « avant ». Je remarque un changement dans son attitude. Mehdi s’agite, se met à soliloquer, il me semble que de l’excitation monte en lui car il peint avec beaucoup de précipitation des taches de couleurs sur la feuille. Je lui demande si je peux m’asseoir à côté de lui, en faisant l’hypothèse que ma présence le calmerait. Tout en peignant, il me parle alors à voix basse, mais comme s’il se parlait à lui-même. La tache verte cerclée de bordeaux, c’est lui quand il était au Kosovo, « qu’avant la guerre, on vivait bien là-bas, maintenant ce n’est plus pareil. » Les taches autour sont les autres pays « qui ont causé des problèmes ». Il répète plusieurs fois que son pays est tout petit, tout petit. J’ai beaucoup de mal à saisir ce qu’il dit, je devine plus que je ne le comprends. J’ai une sensation de malaise qui grandit à mesure que Mehdi peint ses taches avec son petit pinceau, en évoquant son passé. Dès qu’il a fini, il demande une deuxième feuille du même format et se remet aussitôt à peindre. Il dit qu’il va dessiner sa maison d’avant. Une tache blanche représente la maison dans le village, au Kosovo, le rose, c’est son jardin avec des fleurs. Les autres taches de couleur, ce sont « les autres pays qui sont tout autour ».

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Je sens que monte en lui de plus en plus son émotion, il s’agite, ses mots sont plus confus. Son regard part dans tous les sens. Moi, à regarder ses taches, j’ai la sensation que ma vue se brouille. Je lui propose alors de choisir une feuille de couleur et de coller les deux peintures achevées dessus. Il prend beaucoup de temps pour choisir la couleur du fond, teste différents bleus, du rose, du noir. Après avoir collé ses dessins, il est tout à coup mieux. Il reste longtemps silencieux puis il dit « J’ai fait des tableaux, c’est beau ». Il est soudain fier de lui. Certains autres participants viennent admirer ce qu’il a peint. Je le regarde quitter l’atelier et je constate que même s’il boitille encore, il s’est redressé. Le cadre qui évite pour le regard, la dispersion, l’éparpillement des taches colorées, est venu délimiter son œuvre. Il a contenu le flot d’émotions qui est remonté à l’évocation du passé. Comme pour un « vrai tableau » selon ses propres mots, Mehdi a pu regarder sa création en s’en distanciant, a pu partager avec les autres une émotion esthétique apaisante et revalorisante et pour un temps, rendre son exil créatif. Le bord de couleur marque une délimitation rassurante. Pour Anzieu, (Anzieu, 2006, p. 125), quand il y a carence de la fonction conteneur du Moi-peau, l’angoisse se manifeste de façon diffuse, le fonctionnement psychique du Moi peut se représenter alors comme « un noyau sans écorce ». La personne trouve dans l’angoisse et la douleur physique une écorce substitutive. Cette enveloppe de souffrance, nous dit Anzieu, est une « tentative pour restituer la fonction contenante du Moi-peau non exercée par la mère et l’entourage (…) Je souffre donc je suis. » (Anzieu, 2006, p. 125) Medhi, a d’abord projeté hors de lui et très rapidement sur la feuille de papier, une partie de ses problèmes liés à l’exil, à la perte des repères, à l’absence de statut, à l’isolement dû à la langue. Il m’a donné la sensation de se vider. La feuille de couleur figurant un fond, a pu agir comme un conteneur de l’excitation et des sensations survenues pendant la création. De lui-même, il a pu mettre des mots sur ces maux, ce qu’il n’avait pas pu encore faire avec son infirmière-référente, comme celle-ci me l’a fait remarquer lors d’un colloque.

La contenance de la sculpture

La sculpture de la stéatite appelée aussi « pierre à savon » (qui est une pierre tendre mais résistante et dont le toucher est très doux), met en œuvre des processus psychiques spécifiques. Il s’agit là de taille directe. En utilisant des outils tels que ciseaux, limes et

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papier de verre, le patient procède par retraits successifs, par évidements qui donnent corps à la forme. Le patient est confronté aux limites et aux éventuelles frustrations que lui impose la matière car ce qui est enlevé l’est définitivement. Cette confrontation, je l’ai constatée plusieurs fois dans l’atelier d’art-thérapie de l’hôpital psychiatrique, a un effet bénéfique. Le patient apprend progressivement à lâcher-prise, à accepter le hasard, l’imprévu. Le cadre rassurant, contenant de l’atelier, la présence chaleureuse, attentive de l’art-thérapeute, lui permet de s’aventurer sur les sentiers de la création en toute confiance. La sculpture est un travail qui demande du temps, qui oblige à se laisser porter par la structure de la pierre, à accepter d’être surpris lorsque, lentement, émerge de la forme, un sens. Cela n’est possible que parce que l’atelier est un lieu protecteur et enveloppant, que l’art-thérapeute assure dans l’esprit du patient une fonction d’étayage. Certains patients passent de longues heures à polir leur pierre, passant et repassant le papier de verre, effleurant du bout des doigts la surface lisse et très douce, comme le ferait une mère massant son tout-petit. Prenant soin de la pierre, ils prennent soin d’eux-mêmes.

Vignette clinique : Paul

Paul est un homme de 45 ans, hospitalisé pour dépression. Lors de la première séance il cherche des images pour se présenter dans la pile de magazines et ne trouve rien qui lui corresponde. A la toute fin de l’heure, il découpe une photographie représentant une montagne caillouteuse et grise. Il m’explique qu’il a choisi cette image « parce qu’il aime les pierres ». La séance suivante, je lui propose de sculpter la stéatite et lui rappelle les règles de travail de la pierre, les risques éventuels de cassure. Paul est d’accord d’essayer. Il s’installe à l’écart et commence à creuser dans la pierre « pour faire un chemin ». Finalement, le projet se transforme progressivement. Paul prend conscience que « le chemin mène nulle part », il tourne la pierre en tous sens puis la retourne et dans les lignes de la pierre dit « voir un visage ». A partir de ce moment, Paul sculpte soigneusement ce visage, le ponce pour en accentuer l’ovale. Quand l’œuvre est achevée, il est nécessaire d’appliquer plusieurs couches d’huile pour boucher les pores et révéler les nuances de la pierre. Paul passe alors beaucoup de temps à lustrer la surface pour lui donner du brillant, retrouvant là encore, les gestes et les soins attentifs d’une mère. En lissant si longuement ce visage de pierre, en le regardant les yeux dans les yeux, c’est un peu comme s’il se faisait du bien, comme s’il se réparait lui-même, s’autorisant à s’accorder un peu de la douceur qui lui a semble-t-il, tant manqué. Anzieu dans « Les contenants de pensée » (Anzieu, 2003, pp. 35-36) précise que la dépression « opère en trois temps : perte de l’objet ; perte du contenant fourni par l’objet ; perte du désir soutenu par le contenant.» Dans la partie théorique, nous avons vu que les soins du corps donnés par la mère éveillent chez le bébé la sensation de « la peau comme sac », selon l’expression d’Anzieu, sensation liée à la fonction contenante du Moi-peau. Par les soins que Paul procure à sa

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sculpture, il peut transposer, retrouver et intérioriser progressivement la notion de contenant.

La contenance de la terre et du toucher

Dans le modelage avec l’argile, il s’agit d’ajouter ou de retrancher progressivement de la matière, le travail se fait avec les mains par un contact direct avec la terre humide. Ce contact touche les tendances régressives du patient et rappelle ce temps de notre enfance où ce sens était primordial. Toucher permet de s’assurer de sa propre existence. Ce qui n’est pas sans risque. C’est là que doit être active la fonction contenante du cadre et de l’art-thérapeute.

Paul a entrepris après le travail de la pierre de mettre en volume un buste. A partir d’une grosse motte de terre placée sur une tournette, elle-même déposée sur une planche en bois carrée (ce qui assure symboliquement une double contenance), Paul a commencé à façonner un visage, en procédant par retrait et ajout de morceaux de terre. L’art-thérapeute référente de l’atelier offre une présence discrète mais vigilante (Paul est en effet très en retrait et souvent sur la défensive). Paul, par des gestes de lissage répétés, auxquels il semble prendre beaucoup de plaisir, amenuise le cou, mettant en péril, sans s’en rendre compte, la stabilité de la tête sur son buste. L’art-thérapeute avec beaucoup de précaution intervient alors, l’aidant à consolider et à redresser cette tête, à lui donner une verticalité qu’elle n’avait pas au départ. Il faut s’imaginer alors le sourire de Paul, cet homme quoique encore jeune, tout maigre et voûté, sa fierté et la longue contemplation de l’œuvre qui a suivi ! Paul a pu éprouver concrètement la fonction de holding décrite par Winnicott, c'est-à-dire la façon dont la mère soutient le corps de son enfant. Au cours de la stabilisation de la tête sur le buste, Paul a expérimenté avec l’aide de l’art-thérapeute, cette impression de portage et d’étayage solide, qui maintient droit. Il pourra intérioriser un peu de cette fonction de maintenance du Moi-peau.

En effet, comme nous l’avons vu dans la partie théorique, tout comme la peau soutient muscles et os, le Moi-peau assure une fonction de soutènement du psychisme. Nous pouvons faire l’hypothèse que Paul, tout au long des séances d’art-thérapie, pourra remettre en route ses facultés de symbolisation, sa faculté de pensée. « Penser est affaire de fermeté : la fermeté du corps qui se redresse se transpose en fermeté d’esprit. (…) Le penser a pour vecteur l’élan phallique qui pousse le corps humain vers le haut et le penser vers la fermeté de vue.» (Anzieu, 1994, p. 125)

6. La fonction contenante du conte et son utilisation en art-thérapie

Lors de mon premier stage pratique à l’école spécialisée, j’ai effectué des suivis d’enfants en individuel et comme je souhaitais expérimenter l’art-thérapie de groupe, j’ai proposé un atelier d’art-thérapie utilisant le conte. Durant la semaine d’observation que j’ai passée à l’école avant de commencer le stage, je me suis aperçue que le conte était fréquemment utilisé par les enseignants pour des

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moments de détente. Aussi je me suis interrogée sur la façon dont je pourrais déployer le conte dans sa fonction thérapeutique. La lecture des livres de Pierre Lafforgue et de René Kaës m’a permis de découvrir les fonctions médiatrices et contenantes du conte merveilleux et comment il permet « de jouer, de penser, de rêver.» (Picard, 2002, p. 15)

6.1. Qu’est ce qu’un conte merveilleux ?

C’est un récit assez court d’aventures imaginaires. Les contes existent depuis la nuit des temps et se retrouvent dans toutes les cultures. Ils font partie de la tradition orale et malgré le passage de l’oral à l’écrit, l’intérêt pour le conte est toujours vivace. Les contes sont l’expression d’un héritage culturel et un moyen de transmission de cet héritage, génération après génération. Pour cet atelier, j’ai choisi de raconter uniquement des contes merveilleux, c'est-à-dire des contes qui font intervenir des objets magiques (baguette magique, bottes de sept lieues, haricot magique.), des personnages surnaturels (fée, sorcière, nain, géant, ogre.). Dans ces contes, la fin est toujours heureuse, le méfait réparé et le méchant puni. Pour les enfants sujets à de grandes angoisses, c’était le cas des participants à l’atelier, cette fin heureuse et très attendue, provoquait régulièrement de l’apaisement et souvent même, un grand rire de soulagement. Le conte merveilleux s’ouvre généralement sur la formule narrative Il était une fois dans un pays lointain. La juxtaposition de l’imparfait Il était qui est le temps de la répétition avec une fois qui indique un évènement unique et datable, entraîne la suspension des repères spatiaux-temporels. Cet incipit fonctionne comme « un appel à symbolisation.» (Lafforgue, 2002, p. 13) Dans les contes merveilleux souvent, les différents personnages sont anonymes ou désignés par leur profession, (Le vaillant petit tailleur) ou leurs caractéristiques physiques ou vestimentaires (Le petit poucet, Tom Pouce, Le petit chaperon rouge) de telle sorte que l’enfant ou celui qui écoute le conte, peut s’identifier au héros et successivement aux différents personnages et exprimer des pulsions difficiles à accepter (désirs de mort, rivalité fraternelle, agressivité). Le conte permet à l’auditeur de reconnaître ses affects mêmes les plus impensables et les plus terrifiants et de les maintenir à bonne distance, jouant ainsi un rôle de pare-excitation. Le contenu du conte est proche du contenu des rêves (Freud) et grâce aux modulations de la voix, au jeu et à la gestuelle du corps du conteur, au regard qui soutient l’auditoire, il devient « métaphore vivante.» (Monzani, 2005, p. 630) Il traduit en mots les perceptions, les émotions qui sont restées intraduisibles. Comme le rêve, le conte est polysémique, sa richesse symbolique est inépuisable et fonctionne comme un objet culturel médiateur « malléable » qui s’adapte au psychisme de celui qui l’écoute. Il « se plie et se déplie dans ses différentes versions orales empreintes des créations groupales et individuelles.» (Monzani, 2005, p. 596) C’est un « objet de relation » appartenant à l’espace intermédiaire entre le jeune patient et l’art-thérapeute-conteuse qui « permet de donner corps à ce qui ne pouvait pas encore être pensé.» (Gimenez, 2004, p. 101) Chaque participant peut investir le conte à son gré, le déformer et à travers lui, donner un sens à ce qu’il vit.

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6.2. La structure du conte merveilleux, organisatrice de la pensée

Pour René Kaës, (Kaës & al., 2004, p. III) le conte a une fonction médiatrice de la vie psychique due à ses « qualités structurales internes ». Il est donc important de connaître cette structure qui se retrouve dans pratiquement tous les contes du monde entier. C’est Vladimir Propp (Propp, 1973), un folkloriste russe, qui a fait une analyse de la structure des contes merveilleux russes pour en identifier leurs plus petits éléments narratifs. Il a trouvé un certain nombre « d’invariants » existants, constituant, la structure de ces contes. Ces invariants sont aussi appelés « fonctions ». Il a relevé l’existence de sept types de personnages, comme le héros, le faux héros, le mandateur (qui envoie le héros au loin), l'adversaire ou l’agresseur ou encore l'auxiliaire (qui aide le héros) ainsi que 31 fonctions. Ces fonctions correspondent à un découpage du récit en grandes étapes successives et immuables qui constituent le schéma du conte merveilleux. Seuls les contes complexes comprennent toutes ces fonctions. Les contes que j’ai utilisés en art-thérapie sont plus simples et ne présentent que 5 ou 6 fonctions. Ces fonctions sont souvent assemblées par couple : à une interdiction correspond une transgression, à un combat correspond une victoire, à une poursuite, un secours, à une punition, une récompense, à un éloignement, un retour. Cette structure binaire que Vladimir Propp a mis en évidence, peut favoriser, selon Pierre Lafforgue, (Lafforgue, 2002) l’émergence de la différenciation au sein de l’univers troublé des enfants psychotiques, autistes ou ayant des problèmes psychiques. Les jeunes en souffrance sont sensibles à ce que Lafforgue appelle « des marqueurs de sens ». Ce sont ces oppositions binaires : dehors/dedans, nuit/jour, agresseur/héros, éloignement/retour. Au fur et à mesure que l’atelier se déroule dans la régularité des séances, le récit devient sens. Cette « fonction organisatrice » du conte peut permettre à l’enfant de sortir de la confusion, de se structurer psychiquement, de donner un sens aux évènements de sa vie et de se trouver face à des solutions pensables et non plus face au vide.

6.3. La fonction contenante du conte

Par sa structure narrative, le conte symbolise selon Stefano Monzani, s’inspirant de Bion, « un véritable appareil à penser les pensées ». (Monzani, 2005, p. 596) C’est grâce également à cette structure immuable que le conte merveilleux selon Lafforgue, a servi « d’organisateur de la pensée depuis la préhistoire. C’est un conteneur des possibilités de penser, repérable et rassurant.» (Lafforgue, 2002, p. 13) Lafforgue a représenté cette structure contenante à l’aide du schéma suivant :

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Le conte débute généralement par un manque (par exemple dans le conte « Les sept corbeaux », un père a sept fils et désire absolument avoir une fille) et/ou un méfait (dans le même conte, le père maudit ses fils qui se changent en corbeaux). Manque et méfait entraînent une dégradation de la situation qui génère de la violence. Manque, méfait, dégradation, violence représentent pour Lafforgue les « éléments-bêta » du conte. Le conte évolue ensuite de la violence vers la réparation et la liquidation de l’agresseur, qui représentent les « éléments-alpha ». Ainsi, le conte véhicule « un réservoir, une matrice contenante, c'est-à-dire une véritable fonction alpha qui tamise la violence. Le conte transforme les éléments bêtas en traces organisatrices alphas et fonctionne comme un appareil à penser les pensées.» (Lafforgue, 1988, p. 24) Il transforme « des affects et des objets non pensés, parce que destructeurs du penser lui-même, en des représentations tolérables : davantage encore, en représentations capables d’engendrer des représentations.» ( Lafforgue, cité par Picard, 2002 p.17) Jacques Hochmann souligne que l’enfant ou le jeune souffrant de troubles psychiques graves trouve dans le conte « un contenant provisoire où les pensées inimaginables trouvent à s’ordonner dans un temps, dans un espace et selon un principe de causalité qui sont ceux du récit.» (Hochmann, 2004, p. 64) Toutefois, la lecture d’un conte peut être source d’angoisse comme l’a montré Christian Guérin, faute d’un contenant adapté ou plutôt d’un « contenant humain actif apte à rendre possible la métabolisation des éléments destructeurs. ». (Guérin, 2004, p. 84) Pour Guérin, le conte est à considérer comme un « élément alpha potentiel » qui ne peut se révéler bénéfique que s’il existe une fonction conteneur chez le sujet lui-même, son entourage ou celui qui dit le conte (ici, il s’agit de l’art-thérapeute). Il ajoute que la fonction de « conteneur potentiel » du conte n’est féconde que si celui-ci s’inscrit dans un cadre et un espace qui permettent sa potentialisation.

6.4. L’atelier d’art-thérapie par le conte, un espace contenant et rassurant

Pour que le conte soit médiateur, contenant et organisateur, le thérapeute et le cadre thérapeutique, on l’a vu précédemment, doivent être contenants c'est-à-dire être solides, résister aux attaques et présenter à la fois :

Une capacité d’accueil de l’angoisse

Une capacité de transformation de l’angoisse en sens.

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Le conte doit pouvoir se dérouler dans un lieu de confort, un espace protégé où règne une certaine intimité qui permettra au jeune de se sentir suffisamment en confiance pour se risquer à revivre les angoisses archaïques qui le perturbent. Dans un tel espace, la fonction organisatrice du conte pourra alors être une aide structurante pour ces jeunes en difficulté psychique. C’est pourquoi, à l’école spécialisée, j’ai dû penser et aménager l’atelier de peinture qui tenait lieu d’atelier d’art-thérapie pour qu’il devienne un lieu clos, sécurisant et apaisant.

J’avais apporté un tapis rond jaune clair, que j’installais chaque lundi près de la fenêtre, après avoir poussé les tables. Je disposais également sur le tapis, des coussins de couleur faits dans un tissu doux au toucher. Chaque jeune a choisi le sien et pouvait, soit s’asseoir dessus, soit le prendre dans ses bras ou sur ses genoux. Ce coussin matérialisait également la place et la présence du jeune (s’il arrivait qu’il soit absent). Quant au tapis, il délimite un dedans qui est l’espace imaginaire où le conte est entendu, où s’expriment les émotions et les interactions avec les autres. Le dehors est l’espace réel où le conte est représenté par la peinture et parlé.

Les rituels et les règles

Ce sont la régularité et la fixité de son déroulement qui donnent à l’atelier « conte » sa fonction de contenance. Cet atelier avait donc lieu, pour 4 jeunes, toujours les mêmes, chaque lundi de 9h à 10h durant une année scolaire. La séance comportait 3 moments : le temps du conte, le temps pour peindre à partir du conte, le temps pour raconter ce que l’on a ressenti du conte. Le temps du conte s’ouvrait par 2 rituels. Les rituels jouent un rôle important ; ils assurent à la fois la stabilité et la contenance, mais ont également une fonction ludique. Le 1er rituel Chaque jeune choisit un ruban dans une boite placée sur le tapis. Ces rubans sont de couleurs et de matières différentes, velours, satin, lurex. A la fin du conte, chaque participant remet dans la boite son ruban en mentionnant à voix haute, s’il le veut, ce qu’il a aimé ou pas dans l’histoire. Ce ruban permet de canaliser l’angoisse que suscite pour certains l’écoute du conte, particulièrement quand apparaissent sorcière, ogre ou loup qui ravivent par exemple les angoisses de dévoration. Le ruban matérialise aussi la permanence de l’atelier. Un des participants, Alberto, a choisi le même ruban de satin rose vif toute l’année. Quand c’était le temps du conte, il entortillait ce ruban sur son index aux moments angoissants pour lui et le déroulait seulement à la fin pour le remettre dans la boite.

Le 2ème rituel

C’est un rituel d’ouverture et de fermeture : juste au moment de démarrer le contage, j’agite une petite clochette pour capter l’attention et marquer l’entrée dans le monde de

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l’imaginaire, je l’agite de nouveau quand le conte est fini, pour marquer le retour dans le réel. Ainsi ce rituel vise à éviter la dispersion de l’écoute et à délimiter l’espace du monde imaginaire que le conte offre à celui qui l’écoute.

Le son de la clochette répété à chaque nouveau conte assure, comme le ruban, une certaine stabilité et une continuité dans l’espace et dans le temps. Les règles de l’atelier ont été explicitées au début de l’année et rappelées en cas de besoin.

On dit bonjour en serrant la main.

On retire ses chaussures pour ne pas salir le tapis et pour entrer dans le monde de l’imaginaire.

Après avoir entendu le conte, on dit, si on le désire, son ressenti (j’ai aimé-je n’ai pas aimé) en remettant le ruban dans sa boite.

On met ensuite un tablier.

On choisit le sens de sa feuille, (en long ou en large).

On peint debout sans parler si possible, en se concentrant.

On ne critique pas la peinture des camarades.

Quand on a finit, on regarde bien en se reculant s’il n’y a plus rien à rajouter et on annonce : j’ai fini.

On raconte l’histoire qu’on a peinte.

On dit au revoir en se serrant la main.

Ces rituels, ces règles vont inciter le jeune à « rêver debout, c'est-à-dire à introjecter progressivement la fonction de contenant du conte, attribuée d’abord à la soignante.» (Hochmann, 1984, p. 221)

La cothérapie

La psychologue de l’établissement m’a proposé d’animer avec moi l’atelier. Nous avons convenu que je mènerais la séance (choix et narration des contes, choix du dispositif) et qu’elle serait là en thérapeute-observatrice ; elle interviendrait seulement pour m’aider à distribuer le matériel et recueillir, si besoin était, les histoires racontées après le temps de peinture. Notre place sur des petits tabourets, de part et d’autre des participants assis sur le tapis, a renforcé cette enveloppe protectrice et contenante que je souhaitais offrir aux jeunes pour qu’ils puissent plus facilement se sentir autorisés à dire leurs émotions, à faire entendre leur voix, à laisser aller leur créativité. Après la séance, nous avions un temps ensemble pour revenir sur ce qui s’était passé, confronter nos points de vue, nos ressentis, nos hypothèses. Pour Lafforgue, l’observateur a un rôle « focalisateur et rassemblant qui s’ajoute à la fonction contenante du groupe et à la fonction conteneur du conte. » (Lafforgue, 2002, p. 211)

La contenance du groupe

Dans l’atelier conte, la fonction contenante de la situation groupale entre en jeu également. Comme le souligne René Kaës, « le conte est dit dans un groupe, pour un

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groupe. Le conteur parle le groupe. Le conte est dit de groupe. Le conte est né dans un rassemblement complice des membres d’une communauté rurale. Il est le prétexte à regroupement. » (Kaës & al., 2004, p. 172) Le conte met en scène de la « groupalité », c'est-à-dire : …une forme et une structure de liens entre des objets constituant un système apte à recevoir (par projection, par identification), à figurer (par symbolisation, déplacement, diffraction et condensation) et à contenir des relations d’objet, des scénarios fantasmatiques, des complexes. (p.174). Jacques Hochmann cité par Catherine Picard, dit que dans le groupe, le conte « va fonctionner comme une sorte de récit d’un rêve commun ; chacun va en développer certaines lignes associatives, et le groupe va y trouver un premier récit unificateur » (Picard, 2002, p. 17). Le groupe permet aux enfants de faire l’expérience de penser avec d’autres et de partager avec eux plaisir et émotion à travers leur participation commune à l’écoute du conte, de créer des liens inter et intrapsychiques. Plaisir, émotions, angoisses, terreurs sont partagées et surtout partageables. Elles peuvent alors se dire, se nommer sous les vocables de loup, ogre, nain, sorcière. Donner un nom à une « terreur sans nom » (pour reprendre une expression de Bion), permet peut-être de s’en séparer.

6.5. Quelques effets du conte sur les participants de l’atelier

Quatre jeunes entre 12 et 15 ans ont participé à l’atelier durant l’année scolaire sur indication de la psychologue de l’établissement. Dans les exemples suivants, la fonction contenante et organisatrice du conte a permis aux angoisses d’être nommées, à la violence pulsionnelle de s’extérioriser sous la figure du loup ou de l’ogre, au Moi de s’individualiser.

Vignette clinique : Yann

Yann est un jeune de 14 ans qui souffre d’une épilepsie telle qu’il a dû subir une lobectomie (ablation) du lobe temporal gauche du cerveau. Les séquelles de l’opération ont entraîné une diminution de son champ visuel, un réapprentissage du langage. Yann a des difficultés à s’individualiser, a besoin d’une relation avec l’autre très proche, presque adhésive. Quand il ne se sent pas bien, il peut réagir de façon violente et totalement imprévue. La psychologue a suivi ce jeune pendant deux ans en individuel. Yann dans sa psychothérapie a beaucoup dessiné mais de façon très stéréotypée avec toujours les mêmes thèmes : arc-en-ciel, volcan, église, douche. Dans l’atelier, Yvan s’est d’abord collé aux autres, s’asseyant tout contre eux, puis il a pu trouver une place, appuyé contre le mur et s’y sentir bien. Il s’est très vite identifié aux personnages agressifs des contes, peut-être parce qu’il projetait sur eux sa violence pulsionnelle qu’il avait du mal à maîtriser. Un changement en lui a été perceptible, à la troisième séance, quand j’ai introduit, pour la première fois, la figure du loup dans le conte Le loup et les 7 chevreaux, figure à laquelle il s’est identifié et qu’il a beaucoup réclamée par la suite. Il a alors progressivement abandonné ses stéréotypies.

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Les 7 chevreaux (début octobre) La petite poule rousse (avril)

Lors de certaines séances, Yann réutilisait ses dessins stéréotypés et j’ai pu constater que cela marquait presque toujours un conflit intérieur, constatation qui me permettait d’évoquer avec lui, son mal-être et de l’aider à le mettre en mots.

Vignette clinique : Alberto

Alberto est un garçon de 12 ans, présentant un retard de développement, des difficultés d’attention et de comportement liés à de l’épilepsie et à de très fortes angoisses. Dans l’atelier, Alberto intervient beaucoup pendant la narration du conte, particulièrement quand entrent en scène loups, ogres et autres sorcières, même gentils, exprimant par là, une angoisse profonde sur laquelle il ne peut mettre des mots. Pour intégrer cette agitation sonore, je l’ai encouragé dans ses bruitages de l’histoire racontée : il éprouve alors beaucoup de soulagement et de plaisir à faire les grognements, bruits de pas, toc-toc, ronflements, durant le temps de contage.

Stéréotypies sur le conte «Jeannot et Margot » (début octobre)

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Pendant la création, Alberto a beaucoup de mal à rester silencieux et quand il ne parle pas, il racle ses pieds sur le sol, renifle et a très vite fini sa peinture. Pourtant, il est conscient de la nécessité de la règle de concentration et nous avons travaillé avec lui sur cette parole qu’il utilise, me semble-t-il, comme protection contre des angoisses très archaïques. C’est pour lui que je choisissais les histoires du Petit Tailleur, de Tom Pouce ou de Moitié de Poulet qui sont des histoires de garçons petits de taille mais qui affrontent le monde. Progressivement, il a pu prendre son temps pour dessiner et son agitation s’est estompée. Ses dessins d’abord chaotiques sont devenus plus structurés. A l’occasion du conte Les sept corbeaux, il a pour la première fois exprimé sa terreur du monde hospitalier, des piqûres et des prises de sang. Sur ces deux dessins, l’un fait au début de la prise en charge et l’autre à la fin, on peut constater l’évolution d’Alberto.

Les sept chevreaux (début octobre) Tom Pouce (fin juin)

Vignette clinique : Alexandra

Alexandra est une jeune fille de 14 ans, qui présente un retard mental associé à des troubles de la communication d’origine indéterminée. Elle a un rapport à son corps très difficile et quelques semaines avant le début de sa participation à l’atelier, elle a été opérée d’un trichobézoar. C’est un amas de matières enchevêtrées, trouvés dans l'estomac et les intestins, amas qui est composé de cheveux ingérés et qui peut occasionner une occlusion intestinale. Alexandra parle avec beaucoup de phrases stéréotypées ou en écholalie et cherche à être toujours d’accord avec l’adulte. Au début de la prise en charge, Alexandra a du mal à se rappeler le contenu des contes. Dans ses premiers dessins, elle peint un fond unicolore et par-dessus, un personnage féminin qui se dilue dans la masse colorée. Petit à petit, la forme se détache du fond. Au fur et à mesure du déroulement des séances, Alexandra gagne en assurance, son récit au moment du temps de parole devient plus structuré.

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Cette évolution s’est amorcée quand j’ai raconté au groupe mais spécialement pour elle, le conte Raiponce où la chevelure de l’héroïne joue un rôle central. Ensuite, très souvent, quand nous nous rencontrions dans les couloirs de l’Institution, Alexandra avait l’habitude de me dire « Moi, je me souviens de Raiponce » qui était un écho de la question rituelle que je posais au groupe : « Qui se souvient du conte de la semaine dernière ? » J’ai découvert par la suite, en préparant ce mémoire, que la maladie dont avait souffert Alexandra portait le nom de « syndrome de Rapunzel » qui est le nom allemand de Raiponce ! Les 3 dessins qui suivent montrent l’apparition progressive de la figure se détachant du fond. Le prince Grenouille (décembre)

Les sept corbeaux (février) Jean Mon Hérisson (mai)

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7. Conclusion

Mon travail de recherche visait à appréhender les théories qui sont à l’origine de la notion de fonction contenante et à mettre en évidence certaines des spécificités de cette fonction dans le cadre de l’art-thérapie. Cette recherche a été pour moi l’occasion de m’ouvrir à la réflexion théorique grâce à la rencontre avec des auteurs comme Winnicott, Bion et surtout Anzieu dont la richesse de la pensée m’a éclairée et nourrie depuis deux ans. J’ai découvert au cours de mes différents stages pratiques toute la valeur de l’application de cette fonction, tant pour le patient que pour l’art-thérapeute. Ainsi, la fonction contenante, parce qu’elle limite, cadre, enveloppe, apaise, maintient, protège et transforme, favorise l’expression créative, la capacité de jouer, de créer et de penser des patients. Elle leur permet d’accéder à plus de symbolisation et aux réinvestissements de la pensée. Elle aide à leur rendre tolérables, les tensions, les pulsions, les angoisses qui les assaillent et les font souffrir. Elle permet également à l’art-thérapeute de supporter les crises et les projections des patients et de garder ses capacités d’élaboration. En travaillant sur ce mémoire, je me suis rendue compte des qualités et des effets de la fonction contenante dont je pressentais intuitivement l’importance. La comprendre et l’intégrer dans ma pratique, me donneront la possibilité de faire « consciemment » de mon futur atelier d’art-thérapie, un espace potentiel, lieu de dépôt, d’élaboration et de transformation des expériences douloureuses des patients. Dans ce lieu protégé et apaisant, les souffrances pourront alors s’incarner dans des œuvres créées, séance après séance, accompagnées par ma présence empathique et attentive. Dans ce mémoire, je n’ai fait qu’effleurer la question de la contenance du groupe ; j’ai abordé de façon très succincte la relation entre fonction contenante et psychose car il m’a fallu restreindre le champ de ma recherche et faire des choix. Si je n’ai pas répondu à la question « qu’est-ce qu’une « bonne » art-thérapeute ? » c’est que, arrivant au terme de ces quatre années de formation riches de rencontres et de réflexions, j’ai réalisé que cette interrogation prenait sa source dans l’inquiétude de lâcher la main de ma « Mère-EESP » pour me lancer dans l’aventure de ce nouveau métier. Je cherchais des réponses toutes faites pour me rassurer. Maintenant je me sens prête, avec ce qu’il faut de savoirs et d’appétit de connaissances, de pistes de recherche, de ressources personnelles pour être tout simplement une professionnelle ayant pour horizon une pratique art-thérapeutique créative, respectueuse de la personne dans sa complexité et sa diversité.

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8. Bibliographie

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Page 16 : L’Impératrice (ou le Sphinx) (1979-1996) Sculpture du Jardin des Tarots. Garavicchio (Italie) Carte postale personnelle.