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AVANT-PROPOS Il me fait plaisir d’écrire l’avant- propos au livre de Gabriela Scurtu, un petit bijou, très utile pour faire connaissance avec les notions les plus importantes de la linguistique traditionnelle et moderne. La première partie fait une brève incursion dans l’histoire de la discipline, à partir des préoccupations du monde antique pour la langue et finit avec la présentation des principales dichotomies saussuriennes. La deuxième partie traite des deux pilons de la linguistique: la synchronie et la diachronie et présente la classification des langues: typologique et généalogique. Enfin, la 5

Introduction a La Ling

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Introduction à la linguistique

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Page 1: Introduction a La Ling

AVANT-PROPOS

Il me fait plaisir d’écrire l’avant-propos au livre

de Gabriela Scurtu, un petit bijou, très utile pour faire

connaissance avec les notions les plus importantes de

la linguistique traditionnelle et moderne.

La première partie fait une brève incursion dans

l’histoire de la discipline, à partir des préoccupations

du monde antique pour la langue et finit avec la

présentation des principales dichotomies

saussuriennes. La deuxième partie traite des deux

pilons de la linguistique: la synchronie et la diachronie

et présente la classification des langues: typologique

et généalogique. Enfin, la dernière partie aborde des

domaines nouveaux de l’analyse linguistique.

Le livre introduit les lecteurs aux différents

courants et méthodes de la linguistique depuis

l’antiquité jusqu’aujourd’hui. Sont abordés aussi les

domaines nouveaux et fascinants de la pragmatique,

5

Page 2: Introduction a La Ling

de l’analyse du discours, de la sémantique cognitive,

de la sociolinguistique.

La courte bibliographie qui suit chaque chapitre

permet au lecteur d’acquérir les points de repère

indispensables pour l’approfondissement des

connaissances.

Écrit dans un style agréable et alerte, le livre de

Gabriela Scurtu est facile à lire et ses explications

claires permettent une compréhension aisée.

Ce devrait être le livre de chevet des étudiants

qui apprennent le français dans les universités

roumaines.

Prof.dr.h.c. Maria Iliescu

6

Page 3: Introduction a La Ling

A R G U M E N T

La linguistique est une discipline dynamique qui

suscite un intérêt justifié, parfois même enthousiaste,

au sein d’un large public formé de spécialistes et de

non spécialistes, intérêt doublé néanmoins d’une

sensation de vertige à cause de l’immensité des

champs d’étude et la variété des théories.

Dans ce contexte, ce livre se veut une initiation

à la linguistique, présentant les fondements

théoriques, les concepts opérationnels de base, ainsi

qu’une synthèse des grandes orientations

linguistiques, avec un accent d’insistance sur les

acquis de la linguistique moderne et contemporaine,

alors que les principaux champs d’étude: phonétique

et phonologie, morphologie et syntaxe, sémantique et

pragmatique pourraient faire l’objet d’un volume à

part.

Nous exprimons notre espoir que les étudiants

qui se spécialisent en philologie, ainsi que toute

7

Page 4: Introduction a La Ling

personne intéressée par les problèmes du langage,

trouveront dans ce livre l’information systématisée

qu’ils cherchaient et l’impulsion de poursuivre le

chemin, parfois difficile, mais toujours fascinant, de

l’initiation à la linguistique.

L’auteur

8

Page 5: Introduction a La Ling

SOMMAIRE

PREMIÈRE SECTION

La linguistique 11

Bref aperçu historique des idées

linguistiques 18

La processus de communication 55

Les fonctions de la langue

65

Le caractère systématique de la langue 70

Langage – langue – parole 78

Le signe linguistique 86

La double articulation du langage humain 104

DEUXIÈME SECTION

Synchronie – diachronie 110

La méthode comparative et historique 118

La classification généalogique des langues 132

La typologie linguistique 155

La variation 170

9

Page 6: Introduction a La Ling

TROISIÈME SECTIONLa référence 187

L’énonciation 199

La déixis 208

Les actes de langage 222

La progression textuelle 229

L’anaphore 238

Abréviations utilisées 245

Index des noms 246

Bibliographie générale 248

10

Page 7: Introduction a La Ling

PREMIÈRE SECTION

LA LINGUISTIQUE

La linguistique est l’étude scientifique du langage et des

langues naturelles. Elle a pour but d’expliquer la structure,

l’évolution et le fonctionnement des langues.

La langue – objet d’étude de la linguistique. La

diversité des aspects de la langue

L’étude de la langue soulève devant les linguistes une grande

diversité d’aspects:

- D’un premier coup il faut distinguer l’apect parole de

l’apect langue. La langue est l’aspect abstrait, général, objectif,

qu’on trouve dans les grammaires. C’est le système qui est à la base

d’une langue donnée et régit tout acte de communication. Elle se

concrétise dans des actes de parole individuels - les énoncés des

locuteurs qui appartiennent à une communauté linguistique. La

parole est le domaine de l’infini, concret et subjectif, le domaine des

variantes; la langue est le domaine du fini, des invariantes (v. chap.

Langage, langue, parole).

D’autres perspectives pour aborder l’étude de la langue

pourraient prendre en compte:

11

Page 8: Introduction a La Ling

- L’aspect psychique du langage (la recherche des deux

processus d’encodage et de décodage du message linguistique, c’est-

à-dire la transformation de l’idée en signe et inversement, actes qui

ont lieu dans la conscience du sujet parlant (v. chap. La

communication linguistique).

- L’aspect physiologique de l’articulation et de l’auditon des

messages (l’étude de l’aspect acoustique du langage).

- Les deux aspects ou codes de la langue: écrit et parlé.

Toutes les langues de civilisation présentent deux systèmes

différents, ayant chacun ses règles. Si un système est premier par

rapport à l’autre, c’est bien celui de la langue parlée, puisque

beaucoup de langues existent qui n’ont pas de système écrit. On

considère plutôt maintenant la langue écrite comme un système de

transcription, comme une représentation, par un autre moyen, de la

langue parlée.

- Les diverses variétés de la langue: spatiales (langues,

dialectes, parlers régionaux), qui constituent le niveau diatopique de

l’analyse linguistique; socio-culturelles (jargons, argots, langues

techniques), qui constituent le niveau diastratique; stylistiques

(niveaux de langue), qui constituent le niveau diaphasique (v. chap.

La variation).

- Les diverses étapes dans l’évolution des langues, donc

l’histoire des langues, leur diachronique (v. chap. Synchronie –

diachronie, La méthode comparative et historique, La variation).

12

Page 9: Introduction a La Ling

La linguistique dans l’ensemble des sciences

La complexité de la nature et des fonctions de la langue

explique le fait que la science de la langue présente toute une série de

points communs et des domaines communs de recherche avec

d’autres sciences. Science empirique, science théorique, la

linguistique est aussi une science humaine, faisant partie de

l’ensemble des sciences sociales. Elle entretient, souvent en vertu

d’une longue tradition commune, des rapports étroits avec la

philologie et la philosophie, avec d’autres sciences sociales

(psychologie, sociologie, histoire), ainsi qu’avec les sciences exactes

(physiologie, mathématiques, informatique).

Les niveaux de l’analyse linguistique

On peut distinguer plusieurs niveaux d’étude dans la

linguistique. D’ordinaire, la linguistique est scindée en linguistique

théorique (générale) et linguistique appliquée. Ces deux catégories

d’études sur la langue sont corrélatives.

La linguistique générale (ou théorique)

La linguistique générale ou théorique concerne la recherche

fondamentale. Cette discipline étudie la langue en général, ce qu’il y

a de commun entre les diverses langues: ont-elles des principes

d’organisation comparables ? Essayer de trouver les relations entre

13

Page 10: Introduction a La Ling

les différentes langues, c’est nécessairement se situer à un niveau

d’abstraction assez élevée.

La linguistique générale comprend quatre branches issues de

la dichotomie saussurienne synchronie – diachronie (v. chap.

Synchronie – diachronie). À partir de cette distinction, la linguistique

générale analyse les langues selon deux points de vue: intensif (étude

interne de la langue prise en elle-même et pour elle-même) et

extensif (la langue est étudiée en comparaison avec d’autres langues).

L’étude intensive

a) synchronique:

La linguistique descriptive s’occupe de la description des

règles qui président au fonctionnement d’une langue particulière. Car

si toutes les langues ont des règles en commun, toutes ont également

des règles qui leur sont propres. La linguistique descriptive

s’interroge et essaie de répondre à la question: comment les principes

d’organisation étudiés par la linguistique générale fonctionnent-ils

dans le cas d’une langue particulière: le français, le roumain,

l’anglais, le russe, le chinois…? La description est organisée en

différents domaines: la phonétique (qui étudie les sons en tant que

réalité physique, acoustique et articulatoire); la phonologie (qui

étudie la fonction des phonèmes dans une langue particulière, où ils

constituent un système); la morphologie (qui traite des mots,

indépendamment de leurs rapports dans la phrase, en fonction de

14

Page 11: Introduction a La Ling

leurs variations); la syntaxe (qui traite de la combinaison, de l’ordre

des mots dans la phrase et de leur fonction syntaxique); la lexicologie

(qui s’occupe de l’analyse du vocabulaire); la sémantique (qui est

l’étude de la valeur, du sens ou de la signification des mots ainsi que

du rapport entre la forme et le sens, entre signifiant et signifié).

b) diachronique:

La linguistique évolutive (historique) constate les

changements qui se produisent au sein de la langue, les localise dans

le temps et en recherche les causes.

L’étude extensive

a) synchronique:

La linguistique typologique se propose de classer les langues

sur la base de leurs caractéristiques grammaticales (v. chap. La

typologie linguistique).

b) diachronique:

La linguistique historique et comparée a pour but d’établir

les filiations entre les langues, en vue de les regrouper en familles

linguistiques. Elle compare les correspondances phonétiques et

morphologiques afin de dresser la parenté généalogique de ces

langues ou de retrouver la langue-mère dont sont issues les langues-

filles La romanistique, la germanistique, la slavistique, la

linguistique indo-européenne, la sémitologie, etc. sont des branches

de la linguistique historique et comparée (v. chap. La méthode

15

Page 12: Introduction a La Ling

comparative et historique et La classification généalogique des

langues).

La linguistique appliquée

La linguistique appliquée étudie les différentes applications

des connaissances linguistiques dans divers domaines de la vie

pratique: entrainement à l’écriture publicitaire ou journalistique,

perfectionnement des traductions, traduction automatique,

constitution de bases de données en terminologie technique ou

juridique, élaboration de logiciels de correction orthographique ou

grammaticale, pédagogie de la langue maternelle ou des langues

vivantes. En ce sens il faut mentionner la linguistique contrastive

(différentielle), se proposant de mettre en évidence les traits

identiques et les traits divergents entre deux ou plusieurs langues,

apparentées ou non, et visant des objectifs théoriques (la description

de différents types de langues) et pratiques (l’élaboration de

méthodes adéquates pour l’enseignement des langues étrangères).

Bref, la linguistique appliquée utilise les données de la linguistique

théorique dans une perspective utilitaire, ou, pour citer Martinet

(1960:210): “C’est l’utilisation des découvertes de la linguistique

pour améliorer les conditions de la communication”.

16

Page 13: Introduction a La Ling

Bibliographie

Cristea, Teodora, 1977, Eléments de grammaire contrastive, Editura Didactică şi Pedagogică.Martinet, André, 1960, Linguistique appliquée, in “La linguistique. Guide alphabétique”, Denoël, p. 209-214.Slama-Cazacu, Tatiana, 1984, Linguistique appliquée: une introduction, La Scuola.

17

Page 14: Introduction a La Ling

BREF APERÇU HISTORIQUE

DES IDÉES LINGUISTIQUES

Les réflexions sur le langage datent depuis des millénaires.

L’histoire de la linguistique se déroule en trois temps:

1) Depuis l’Antiquité jusqu’aux Lumières, la réflexion

linguistique reste subordonnée à des disciplines telles que la religion,

le droit, la politique, mais surtout la philosophie et la philologie.

Une longue tradition des grammairiens hindous qui remonte

au XII-e siècle av. J. C. et dont il nous est resté les Huit livres de

Panini (IV-e siècle) décrit minutieusement le sanskrit, ancienne

langue de l’Inde. Le traité de Panini trouvera son exploitation

linguistique 2200 ans plus tard, avec la naissance de la grammaire

comparée.

La réflexion linguistique à l’époque antique procède avant

tout de préoccupations philosophiques: la parole reflète-t-elle la

pensée et la réalité? La pensée précedè-t-elle la parole? La relation

du mot à la chose est-elle nécessaire? Ce sont là des questions que se

sont posées les philosophes grecs, dès le début de l’époque classique

(VI-e et V-e siècles av. J. C.). Les tentatives de chercher des

18

Page 15: Introduction a La Ling

articulations entre les catégories de la pensée et celles de la langue

sont illustrées entre autres par les travaux de Platon, d’Aristote, des

Stoïciens. Aristote d’ailleurs est le premier à avoir proposé un

classement des composantes du discours, qu’on appellera plus tard

parties du discours. Les grammairiens latins, à leur tour, s’inspirent

de la tradition grecque en adaptant au latin les acquis de la

description du grec. À retenir surtout l’Ars grammatica de Donat

(IV-e siècle) et les Institutiones grammaticae de Priscien (V-VI-e

siècles), deux ouvrages nés d’un souci pédagogique, qui serviront à

l’enseignement du latin littéraire classique au Moyen Âge.

Au cours du Moyen Âge le latin demeure l’objet privilégié

de la description grammaticale, mais les exemples sont davantage

puisés dans la Vulgate (version latine de la Bible) que chez les

auteurs classiques. Cette époque fait surgir aussi les préoccupations

pour la description des langues effectivement parlées dans les

différents pays (les langues vernaculaires). Par exemple, en Italie, De

vulgari eloquentia de Dante (1304) s’efforce de recenser les

différents dialectes italiens. Dans le monde d’oc, l’existence de deux

traités grammaticaux (milieu du XIII-e siècle) et de Las Leys

d’Amor, qui contiennent une grammaire de l’ancien provençal et une

description phonétique, indiquent l’intérêt pour les langues

vernaculaires. Le Moyen Âge voit ainsi émerger une véritable

conscience linguistique. Les réflexions sur la langue restent

cependant soumises à la philosophie. Dans la seconde moitié du

19

Page 16: Introduction a La Ling

XIII-e siècle se développent les grammaires spéculatives (du lat.

speculum “miroir”) qui se donnent un double but: de scientificité et

d’universalité de l’objet et des méthodes.

Enfin, la période allant de la Renaissance au XVIII-e siècle

manifeste un intérêt croissant pour les préoccupations linguistiques.

D’une part l’époque est marquée par la découverte de nouveaux

horizons (les langues du Nouveau Monde), d’autre part par la prise

de conscience que la langue est un instrument de pouvoir et de lutte

politique et théologique, dans un but de centralisation, de propagande

ou de conquête. La quête d’un usage normé se concrétise en France

par la création de l’Académie française (1635) et la rédaction de son

dictionnaire (la première édition paraît en 1694). Vaugelas, membre

de l’Académie, est l’auteur des Remarques sur la langue française

(1647), ouvrage normatif destiné à fixer “le bon usage”, c’est-à-dire

la langue “correcte”, la langue à enseigner.

La réflexion grammaticale reste subordonnée à la

philosophie et à la logique, en particulier sous l’influence du

rationalisme cartésien (de Cartesius, nom latin de Descartes), selon

lequel la pensée précède la langue. La Grammaire générale et

raisonnée (1660) rédigée par Antoine Arnauld et Claude Lancelot,

connue sous le nom de “La grammaire de Port-Royal”, s’intéresse

avant tout à la syntaxe et au sens des catégories grammaticales. C’est

une grammaire “générale”, c’est-à-dire universelle, s’intéressant à ce

qui est commun à toutes les langues, et “raisonnée” en ce sens que le

20

Page 17: Introduction a La Ling

langage repose sur des fondements rationnels (toute proposition

grammaticale coïncide avec une proposition logique). Ces théories

ont marqué l’enseignement et la réflexion linguistique ultérieure.

2) Au cours du XIX-e siècle et jusqu’à Saussure, la

linguistique devient une discipline universitaire autonome.

Au début du siècle, après une longue période pendant

laquelle les linguistes se sont rendus compte de la parenté entre les

langues européennes et le sankrit, est née la grammaire comparée.

Les philosophes Wilhelm von Humboldt (1767-1835) et Friedrich

Schlegel (1772-1829) proposent une comparaison des langues fondée

sur leur structure grammaticale. D’une manière générale, la réflexion

de Humboldt sur le langage s’inscrit dans un cadre anthropologique,

ce qui le conduit à associer langue et peuple dans une formule

célèbre: “la langue est son esprit et son esprit est sa langue”.

Une étape décisive dans la création de la méthode

comparative et historique est franchie grâce aux ouvrages de deux

linguistes: l’Allemand Franz Bopp (1791-1867) et le Danois Rasmus

Rask (1787-1832).

L’ouvrage de Bopp, Le Système de conjugaison du sanskrit

comparé à celui du grec, du latin, du perse et du germanique, 1816,

dans lequel il confronte les formes grammaticales de plusieurs

langues indo-européennes, est considéré comme la date de naissance

21

Page 18: Introduction a La Ling

de la méthode, et, du même coup, de la linguistique moderne,

scientifique.

Les contributions ultérieures, celles de Rask, tout

particulièrement, qui s’intéresse aux transformations phonétiques,

affirmant la nécessité d’établir des correspondances (des règles de

passage d’une langue à l’autre), celles de Jacob Grimm, qui cherche

à établir des lois de changement (et non pas seulement des

correspondances), ou d’August Schleicher, qui tente de remonter à la

langue d’origine, par l’élaboration de l’arbre généalogique des

langues, ont perfectionné et raffiné la méthode comparative et

historique.

Tout le XIX-e siècle est dominé par la perspective

diachronique sur l’étude des langues. Par suite de l’étude du sanskrit

et de la reconstruction de l’hypothétique indo-européen, le problème

de l’origine du langage et celui de l’histoire et de la filiation des

langues sont restés au centre des préoccupations des linguistes de

l’époque (v. chap. La méthode comparative et historique).

3) La linguistique au XX-e siècle

Avec la publication posthume du Cours de linguistique

générale de Ferdinand de Saussure, en 1916, à Genève, par ses

élèves Charles Bally et Albert Séchehaye, la linguistique s’est

constituée comme science autonome. L’histoire de la linguistique du

22

Page 19: Introduction a La Ling

XX-e siècle s’énonce dès lors en termes d’écoles, de théories et de

programmes de recherche.

Saussure (1857-1913) apparaît comme un novateur, dans la

mesure où il se livre à une réflexion théorique sur la nature de l’objet

que constitue le langage et la méthode par laquelle il est possible de

l’étudier.

La phrase qui clôt le Cours de Saussure: “La linguistique a

pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle-même et

pour elle-même” institue la linguistique en tant que science

autonome, indépendante des autres disciplines.

Voici ci-dessous, énumérées succinctement, les principales

directions de la pensée saussurienne, qui seront d’ailleurs

développées dans les autres chapitres de ce livre:

- La vision de Saussure sur la langue est profondément

dualiste. Le concept de langue (phénomène social), opposé à celui de

parole (phénomène individuel), joue un rôle fondamental dans la

théorie de Saussure et il aura des conséquences énormes pour

l’évolution des théories linguistiques (v. chap. Langage, langue,

parole).

- Saussure propose deux démarches pour étudier la langue:

l’étude synchronique ou descriptive (ayant pour objet l’état

d’équilibre du système à un moment donné de son évolution) et

l’étude diachronique ou historique (s’intéressant aux changements

23

Page 20: Introduction a La Ling

linguistiques). Selon Saussure, l’étude synchronique doit avoir la

priorité (v. chap. Synchronie – diachronie).

- Après avoir ainsi défini l’objet et la méthode de la

linguistique, il faut définir les unités d’analyse de la langue. Ces

unités fondamentales sont les signes. Le signe saussurien unit un

signifié (“concept”) et un signifiant (“image acoustique”). Tous deux

sont indissociables et leur relation est arbitraire, c’est-à-dire

immotivée (v. chap. Le signe linguistique).

- Les unités de la langue entretiennent deux types de

relations, qui ont pour corrélats deux types de pratiques d’analyse:

les relations syntagmatiques (“in praesentia”) et les relations

associatives (appelées ultérieurement paradigmatiques (“in

absentia”). En d’autres termes, un syntagme est constitué par des

unités qui entretiennent entre elles un rapport de succession (A et B

et C…), alors qu’un paradigme est constitué par des unités qui

entretiennent entre elles un rapport de substitution (A ou A’ ou

A’’…) (v. chap. Le caractère systématique de la langue).

Le structuralisme linguistique

C’est un courant qui a marqué toute la linguistique du XX-e

siècle et à l’origine duquel se trouve la pensée saussurienne. Avec le

structuralisme une nouvelle conception est issue du renouvellement

des méthodes descriptives en linguistique. Tous les représentants des

écoles structurales, malgré les divergences qui les séparent, partent

24

Page 21: Introduction a La Ling

du principe que la langue est un système immanent dont chaque

terme se définit à l’intérieur du système par les rapports qu’il

entretient avec les autres termes.

Parmi les diverses écoles de type structuraliste, nous

mentionnons:

L’école de Prague (1926 -), associée aux noms des

linguistes russes Roman Jakobson (1896-1982) et Nikolas S.

Troubetzkoy (1890-1938), qui posent les principes du

fonctionnalisme. Ils appliquent les idées de Saussure à l’étude des

sons. Il faut également mentionner dans ce cadre le nom d’André

Martinet (Économie des changements phonétiques. Traité de

phonologie diachronique, Berne, 1955, ample travail de synthèse

qui discute les problèmes fondamentaux d’une théorie diachronique).

Parmi les linguistes qui ont appliqué les principes de L’école de

Prague et d’A. Martinet on peut citer, entre autres: Bertil Malmberg

(qui s’occupe des systèmes consonantique et vocalique du français et

du système vocalique de l’italien), Emilio Alarcos Llorach (auteur

d’une phonologie de l’espagnol), Giuliano Bonfante (auteur d’une

phonologie de l’italien), et, entre les linguistes tchèques, Vilém

Mathesius, qui a le mérite d’avoir essayé de dépasser les frontières

du phonologique, pour élaborer une théorie structurale de l’énoncé.

L’école fonctionnelle est représentée surtout par les

travaux de Roman Jakobson et d’André Martinet, qui ont dépassé les

principes de l’école de Prague, mettant l’accent sur la fonction des

25

Page 22: Introduction a La Ling

unités linguistiques. Jakobson décrit les fonctions de la langue de la

perspective de la théorie de l’information (v. chap. Les fonctions de

la langue), alors que Martinet développe l’analyse fonctionnelle des

unités de la deuxième articulation du langage, les monèmes (v. chap.

La double articulation du langage humain).

L’école de Copenhague (1934 -), fondée par Louis

Hjelmslev (1899-1965) et Viggo Brøndal (1887-1942). Hjelmslev est

le représentant de la discipline appelée la glossématique (science des

glossèmes, unités invariantes de la langue) qu’il définit comme un

“type purement structural de recherche linguistique” (Essais

linguistiques, Minuit, trad. fr. 1971:39). Les applications des

principes de la glossématique à l’étude des différentes langues ne

sont pas très nombreuses. Il faut citer, en premier lieu, Knud Togeby

(Structure immanente de la langue française, 1951), qui se propose

de découvrir la structure immanente, c’est-à-dire “indépendante”, ou

“autonome” du français, envisagée comme un système de

dépendances internes. L’analyse sémantique, basée sur le postulat de

la dualité du signe linguistique, a pu inspirer les principes de

l’analyse sémantique paradigmatique de L. Prieto (Principes de

noologie, 1964) et d’A.J.Greimas (Sémantique structurale.

Recherche de méthode, 1966), ainsi que l’analyse sémantique,

rigoureusement structurée, s’étendant aussi à la sémantique

syntagmatique et à la théorie sémantique diachronique d’Eugenio

26

Page 23: Introduction a La Ling

Coşeriu (Sincronía, diacronía e historia, 1958, Pour une sémantique

diachronique structurale, 1964, Les structures lexématiques, 1968).

Le descriptivisme américain, représenté par Leonard

Bloomfield (1887-1949), Edward Sapir (1884-1939), Zellig S. Harris

(1909-1992). Il est à noter que le début du XX-e siècle a été

marqué par la linguistique anthropologique, représentée, entre

autres, par Franz Boas, spécialiste dans la culture et les langues des

populations amérindiennes du continent américain. La nécessité

d’étudier, de comparer et de classifier les langues indigènes explique

le fait que la linguistique américaine développe des études

typologiques, basées sur des critères synchroniques, sur des identités

de structure. E. Sapir a esquissé les principes de la typologie

morphologique, reprises et dévelopées par J. H. Greenberg (v. chap.

La typologie linguistique). Sapir représente la direction mentaliste,

psychologisante du structuralisme américain. À son tour, L.

Bloomfield représente la direction béhavioriste (de l’angl. behavior

“comportement”), expliquant le mécansime de la communication en

termes de réaction à des stimuli (Language, 1933). Il a aussi le

mérite d’avoir mis en évidence l’importance de la position (dans la

chaîne linguistique) pour la définition des unités de la langue. La

distribution deviendra par la suite le critère fondamental dans la

classification des invariantes de la langue. Quant à Z. S. Harris

(Methods in Structural Linguistics, 1951), il a réussi à donner la

forme la plus rigoureuse et cohérente à l’analyse distributionnelle (v.

27

Page 24: Introduction a La Ling

infra) et a marqué le passage vers l’analyse transformationnelle

(Cooccurrence and transformation in linguistic structure, 1957).

En France, la linguistique structurale est représentée, à part

André Martinet (1908-1999, v. supra L’école fonctionnelle), par de

grands théoriciens de la langue comme Émile Benveniste (1902-

1976), Lucien Tesnière (1893-1954) ou Gustave Guillaume (1883-

1960). Benveniste a commencé par reconstruire des formes de

l’indo-européen (Origines de la formation des noms en indo-

européen, 1935), pour tenter ensuite de mettre en relation le

vocabulaire reconstruit et l’organisation sociale d’un peuple (Le

Vocabulaire des institutions indo-européennes, 1969-70); en outre, il

peut être considéré comme l’un des initiateurs de la linguistique de

l’énonciation (v. chap. L’énonciation). Tesnière, en se proposant de

réaliser l’analyse syntaxique de la phrase, redéfinit les classes et les

catégories grammaticales, arrivant à une représentation hiérarchisée

de la phrase sous la forme de stemma, arborescence fondée sur des

relations de dépendance syntaxique (Éléments de syntaxe structurale,

1959). Enfin, Guillaume propose une théorie qu’il appelle psycho-

mécanique (ou psycho-systématique) du langage et occupe une

position à part dans le cadre de la linguistique structurale, ses

théories anticipant par certains aspects les approches cognitivistes et

pragmatiques qui s’affirmeront dans les années à venir (Langage et

sciences du langage, 1969).

28

Page 25: Introduction a La Ling

Pour finir, on peut affirmer que si pour le descriptivisme

américain l’investigation linguistique doit porter principalement sur

le syntagme, les structuralistes européens voient plutôt dans le

paradigme le but de leur recherche.

Les méthodes d’analyse en linguistique structurale

La commutation

Le point de départ dans toutes les analyses linguistiques est

le découpage des énoncés, pour isoler et définir les unités

fondamentales qui se combinent entre elles selon des règles

spécifiques, pour former des unités plus vastes, organisées en rangs

hiérarchisés (phonologique, morphologique, phrastique). La tâche de

la linguistique serait donc de formuler les critères en vertu desquels

on opère la division (segmentation) du texte. Le mécanisme qui

permet le découpage, envisagé comme technique de procédure, est la

commutation (terme employé par les glossématiciens) ou la

substitution (pour les descriptivistes). Le texte est découpé en

contenu et expression (signifié et signifiant saussuriens) qui sont à

leur tour découpés jusqu’aux unités irréductibles. Pour vérifier si les

découpages faits dans les deux plans correspondent, on procède à la

commutation: opération de remplacement d’un élément dans un plan

(contenu ou expression) qui déclenche ou non des modifications dans

29

Page 26: Introduction a La Ling

l’autre plan. Par cette méthode, les unités de la langue sont classées

en variantes et invariantes.

Les invariantes (unités commutables) sont des unités qui

par leur substitution provoquent des modifications dans les deux

plans. Au niveau phonologique elles s’appellent phonèmes (unités

phonématiques minimales ayant une valeur distinctive). Par exemple,

si dans pierre on substitue p par b (niveau de l’expression ou

signifiant), on obtient une modification dans le plan sémantique (du

signifié): bierre. Il en résulte que p et b sont des invariantes

phonématiques (des phonèmes). Au niveau morphologique, elles

s’appellent morphèmes (unités minimales dépourvues de

signification lexicale qui s’ajoutent aux lexèmes): suffixes, préfixes,

désinences, conjonctions, prépositions. Par exemple les désinences –

ez et –ons, dont la commutation (travaillons / travaillez) entraîne une

modification dans le plan du contenu morphologique (une

modification de personne). Au niveau lexical, elles s’appellent

lexèmes: par exemple fleur et enfant.

Les variantes (unités non commutables) sont des unités

qui par leur substitution ne produisent des modifications que dans

l’un des deux plans. La classe des variantes renferme les ALLO (du

grec allos “autre”):

Par exemple, les désinences du pluriel neutre en roumain, –e

et –uri (dans chibrite – chibrituri) sont des variantes du même

morphème, car leur substitution n’entraîne pas de modifications dans

30

Page 27: Introduction a La Ling

le plan du contenu grammatical. De la même manière, les synonymes

parfaits (maigrelet et maigrichon) sont des allolexèmes (ou variantes

lexématiques).

Niveau d’analyse Invariantes Variantes

PHONOLOGIE phonème allophone

MORPHOLOGIE morphème allomorphe

LEXIQUE lexème allolexème

La méthode distributionnelle

Lancée par le descriptivisme américain, cette méthode a fini

par s’imposer dans la linguistique moderne comme un procédé

structural d’analyse de la langue du point de vue formel. La

distribution se définit comme la propriété des unités linguistiques

d’apparaître à tel point de la chaîne dans des voisinages donnés ou

contextes. Le contexte est l’ensemble des éléments linguistiques qui

entourent un segment quelconque d’énoncé (phonème, lexème,

syntagme, phrase) et qui en conditionnent la fonction et la

compréhension. C’est ainsi que le terme A, par exemple, est défini

par rapport au terme X qui le précède et au terme Y qui le suit. La

place de l’élément A peut être notée par X – Y. L’analyse

distributionnelle peut s’effectuer de deux angles différents: du point

de vue du contexte et de celui de l’unité linguistique.

1. Dans le premier cas le contexte reste fixe et les unités

varient, par exemple:

31

Page 28: Introduction a La Ling

a) - parle avec le professeur. Marie Hélène Paul Il Elle Onb) Marie parle avec – professeur.

le un mon son ce

Tous ces éléments sont équivalents dans la mesure où ils

sont substituables sans modifier la structure grammaticale de

l’énoncé. Ils remplissent la même fonction syntaxique, mais diffèrent

du point de vue sémantique. Dans tous ces cas on aboutit à des

classes d’éléments à distribution identique.

2. Dans le second cas l’élément est invariable et les

contextes varient pour établir quels sont les contextes qui acceptent

cet élément. Par exemple:

a) – homme Pd + N un l’ cet tout

b) – homme Pd + Dt + N un jeune cet honnête

32

Page 29: Introduction a La Ling

c) – homme – Pd + N + Dt un curieux

gentil

Il en résulte qu’en français un nom peut se trouver dans les

contextes suivants: précédé d’un prédéterminant (article, adjectif

possessif, adjectif démonstratif, adjectif indéfini (ex. a), précédé d’un

prédéterminant et d’un déterminant adjectival (ex. b) ou précédé d’un

prédéterminant et suivi d’un déterminant (ex. c).

La totalité des contextes qui acceptent l’élément en question

forme une classe de contextes.

L’analyse de la chaîne parlée du point de vue distributionnel

peut être synthétisée en trois types fondamentaux de distributions:

1. Distribution complémentaire: deux éléments A et B

n’ont aucun contexte commun. Par exemple le cas des articles

indéfinis du roumain: un et o.

2. Distribution défective: les éléments A et B ont des

contextes communs mais aussi des contextes différents. On peut

avoir deux situations:

a) Intersection:

C’est, par exemple, le cas des prépositions à et de, qui ont

des contextes communs: il continue de / à chanter, mais dans

33

Page 30: Introduction a La Ling

beaucoup d’autres contextes les substitutions sont impossibles: Il

pense à l’excursion./ Il parle de l’excursion.

b) Inclusion:

Tous les contextes de B sont aussi les contextes de A, mais

la réciproque n’est pas valable; donc A possède aussi des contextes

spécifiques où B n’est pas admis. C’est, par exemple, le cas des

prépositions de et par, introduisant l’agent du passif: Il est regretté

de / par ses collègues, mais L’émission est regardée par les enfants /

*des enfants.

3. Distribution identique:

A et B ont les mêmes contextes, par exemple les

conjonctions concessives bien que et quoique: Je sortirai bien qu’il

pleuve / quoiqu’il pleuve.

Le structuralisme est donc une conception classificatrice (un

modèle taxinomique) qui se propose d’inventorier et de classer les

unités linguistiques.

34

A B

A B

Page 31: Introduction a La Ling

L’analyse en constituants immédiats

L’énoncé est conçu comme une combinaison d’éléments qui

s’organisent en rangs hiérarchisés où chaque unité est définie par ses

combinaisons dans le rang supérieur. La méthode consiste à extraire

de la phrase les termes qui la constituent immédiatement, jusqu’aux

unités minimales, indivisibles (les constituants ultimes). Ce type de

grammaire comporte un axiome de départ: ici le symbole P (=

phrase), un vocabulaire composé de deux sous-ensembles: le

vocabulaire auxiliare (catégories grammaticales comme SN, SV, V,

N, etc.) et le vocabulaire terminal (les suites lexicales), ainsi qu’un

ensemble de règles de réécriture qui permettent d’engendrer les

phrases, par exemple:

P SN + SVSN Art + NSV V + SNN garçonArt leV prend

Ces règles développent (ou réécrivent) ce qui est à gauche de

la flèche sous la forme de ce qui est à droite. Elles peuvent être

représentées à l’aide d’un arbre (dit indicateur syntagmatique) qui

rend compte de différents niveaux hiérarchiques et des relations de

dépendance:

35

Page 32: Introduction a La Ling

Le garçon prend le ballon.

P

SN SV

Art N V SN

Art N

[le] [garçon] [prend ] [le] [ballon]

Un des points faibles de cette théorie c’est l’attention

exclusive portée à la dimension syntagmatique de la langue, qui n’est

étudiée qu’en tant que chaîne linéaire. Conscient des limites du

distributionnalisme, Harris a introduit le concept de transformation,

opération qui établit des équivalences entre des phrases ou des

ensembles de phrases.

La grammaire générative et transformationnelle

Le caractère statique de la description de la langue entreprise

par les structuralistes a amené les représentants des grammaires

génératives et transformationnelles à proposer une nouvelle théorie.

C’est le linguiste américain Noam Chomsky (né en 1928), élève de

Harris (v. supra Le descriptivisme américain), qui a exercé sur la

36

Page 33: Introduction a La Ling

linguistique une influence considérable dans la deuxième moitié du

XX-e siècle. Chomsky entend procéder à une description universelle

du langage. Pour lui la grammaire doit rendre compte de tous les

énoncés bien formés dans toutes les langues. La grammaire est, dans

cette vision, un modèle abstrait qui imite la capacité de l’homme

d’émettre des énoncés corrects. Cette théorie doit également décrire

les phénomènes d’acquisition du langage. La pièce maîtresse de la

grammaire de Chomsky est constituée par la syntaxe. Les faits de

syntaxe doivent être décrits par un système de règles, à l’image d’un

système formel. Les structures syntaxiques sont conçues comme ne

se réduisant pas à un corpus fini, car à partir d’un ensemble fini de

règles il est possible de générer une infinité de phrases.

Ce type de grammaire opère avec trois concepts de base:

1. Compétence / Performance. La compétence est

constituée par l’ensemble des connaissances et des aptitudes que le

locuteur natif possède de sa propre langue. La performance est la

manifestation de la compétence dans des actes concrets de parole (v.

aussi chap. Langage, langue, parole).

2. Structure superficielle / Structure profonde. La

structure superficielle (de surface) est la représentation phonétique

(la partie sonore) d’un énoncé, tandis que la structure profonde, qui

est un concept plus abstrait, est la partie significative de l’énoncé.

Une phrase ambiguë comme Il croit son fils malade représente une

structure superficielle qui correspond à deux structures profondes:

37

Page 34: Introduction a La Ling

SP1: “Il croit que son fils est malade” et SP2: “Il croit son fils qui est

malade”.

3. Grammaticalité / Acceptabilité. Chaque sujet parlant

porte sur les énoncés produits des jugements de grammaticalité: un

énoncé peut être admissible ou déviant par rapport aux règles de la

grammaire. En appliquant ces règles on ne forme que des phrases

grammaticales. Vu la complexité des réalisations concrètes, il existe

pourtant dans chaque langue un ensemble de phrases grammaticales

imprononçables ou incompréhensibles. La notion d’acceptabilité

s’applique alors aux énoncés produits, immédiatement

compréhensibles. Leur degré d’acceptabilité varie donc en fonction

des circonstances.

Par rapport au type antérieur, le modèle transformationnel a

l’avantage d’adopter un nombre de règles de transformation qui

permettent de générer, à partir d’un nombre réduit d’énoncés, toutes

les phrases correctes possibles d’une langue. Ces règles convertissent

les structures données de constituants en structures dérivées qui

donnent les unités terminales, c’est-à-dire les phrases. Elles

permettent, par exemple, de transformer une phrase active en phrase

passive (Les enfants regardent l’émission L’émission est regardée

par les enfants), une structure personnelle en structure impersonnelle

(Des trains passent tous les quarts d’heure Il passe des trains tous

les quarts d’heure), etc.

38

Page 35: Introduction a La Ling

Chomsky donne à cette grammaire une visée unificatrice, en

cherchant à articuler les faits de syntaxe, de phonologie et de

sémantique. La composante syntaxique détermine les composantes

sémantique et phonologique, qui ne sont qu’interprétatives par

rapport à la composante syntaxique.

La première période de la grammaire générative et

transformationnelle va de 1957 (Structures syntaxiques, trad. fr.

1969), en passant par l’étape de la théorie standard (Aspects de la

théorie syntaxique, 1965, trad. fr. 1971). Elle a connu à ce moment-là

un succès considérable non seulement outre-Atlantique, mais

également en Europe, rassemblant nombre de linguistes (et aussi

d’informaticiens) attirés par l’objectif d’un traitement formel et

automatisable de la langue.

39

Page 36: Introduction a La Ling

La nouvelle syntaxe chomskyenne

La deuxième période comprend les développements

ultérieurs de la théorie chomskyenne. D’abord, la théorie standard

étendue: Reflections on language (1970, trad. fr. 1977), Dialogues

avec M. Ronat (1977), qui indiquent le fait que les préoccupations de

Chomsky ont pris, au fil des années, un tour théorisant de plus en

plus marqué. Chomsky arrive avec le temps à accorder aux structures

de surface un rôle grandissant dans l’interprétation sémantique. Dans

les développements les plus récents: Théorie du gouvernement et du

liage, Les Conférences de Pise (1981, trad. fr. 1991), La Nouvelle

Syntaxe (1982, trad. fr. 1987), Chomsky développe l’idée de syntaxe

modulaire, en essayant de ramener la complexité des faits

linguistiques à l’interaction de modules. Chomsky a recours aux

notions de principe (universel valable dans toutes les langues) et de

paramètre (variable existant en petit nombre dans chaque langue et

rattaché à un module spécifique), qui permettent d’articuler à une

grammaire noyau dont les composantes sont universelles les

grammaires des langues particulières. Parmi les modules

chomskyens on peut mentionner: la théorie du gouvernement (qui

concerne les faits de rection), la théorie du liage (qui concerne les

faits d’anaphore et de coréférence), la θ-théorie (qui permet de

classer les verbes en fonction du nombre d’actants admis).

La sémantique

40

Page 37: Introduction a La Ling

Discipline linguistique relativement récente qui s’attache à

étudier la signification (Michel Bréal, Essais de sémantique, 1897),

elle entend dans un premier temps de rendre compte de l’histoire de

la signification des mots dans une perspective évolutive (les

changements de sens, les causes de ces changements). En Roumanie,

le pionnier de la sémantique est le linguiste Lazăr Şăineanu

(Încercare asupra semasiologiei limbei române, 1887) où l’auteur

étudie l’évolution des significations des mots et les causes qui les

déterminent.

La publication du livre d’Antoine Meillet, Comment les mots

changent de sens (1905-1906), marque un pas important dans

l’évolution de la sémantique historique. À la différence de ses

prédécesseurs Bréal et Şăineanu, Meillet invoque trois catégories de

facteurs responsables des changements sémantiques: sociologiques,

linguistiques et extra-linguistiques.

Depuis, la sémantique a énormément diversifié ses champs

d’investigation et ses méthodes.

La sémantique lexicale s’intéresse à la signification du

mot, envisagée à travers le travail de la définition et l’étude des

relations externes (l’étude des relations sémantiques entre des mots

différents: synonymie, antonymie, homonymie) et celle des relations

sémantiques internes (les différentes significations d’un mot:

monosémie et polysémie; sens propre et sens figuré).

41

Page 38: Introduction a La Ling

Parmi les diverses théories sémantiques modernes, nous

mentionnons:

La théorie des champs sémantiques

Elle se propose de structurer le lexique en systèmes

sémiques. C’est le linguiste allemand Jost Trier (Der deutsches

Wortschatz im Sinnbezirk des Verstandes. Die Geschichte eines

sprachlischen Feldes, Heidelberg, 1931) qui a introduit le terme de

champ linguistique (all. Feld). L’essentiel de sa pensée – la

possibilité de structurer le lexique – a fait fortune, preuve que la

théorie des différents champs linguistiques a connu d’importants

progrès au cours des dernières décennies. En principe un champ

sémantique (ou champ lexical) est “une structure paradigmatique

constituée par des unités lexicales se partageant une zone de

signification commune et se trouvant en opposition immédiate les

unes avec les autres” (Coşeriu, ap. Tuţescu, 1974:80), par exemple le

champ des animaux domestiques ou le champ de l‘habitation

(Georges Mounin, 1972:103-130).

L’analyse sémique

Elle procède d’une démarche structuraliste, en transposant à

l’étude du sens ce qui a été fait pour les sons. L’analyse sémique (ou

componentielle) se propose d’identifier par des procédures de

segmentation et de commutation les unités de sens. Les unités

minimales de signification sont appelées sèmes. Par exemple le sens

du lexème homme renferme les sèmes: “humain” + “mâle” +

42

Page 39: Introduction a La Ling

“adulte”. L’ensemble des sèmes formant le sens d’un lexème

s’appelle sémème (Bernard Pottier, 1964).

La sémantique interprétative et la sémantique

générative

J. J. Katz et J. A. Fodor (The structure of a semantic theory,

in Language, 39, 1963:170-210; trad. fr. 1966-67) proposent

d’intégrer la composante sémantique à l’étude de la syntaxe.

Chomsky va d’ailleurs intégrer au sein de sa théorie standard (v.

supra La grammaire générative et transformationnelle) une

sémantique interprétative: le sens des phrases ne peut être

interprété qu’à partir de leur syntaxe (Deep Structure, Surface

Structure and Semantic Interpretation, 1970; trad. fr. 1975, in

Questions de Sémantique). La composante sémantique est en

principe rattachée à la structure profonde: la sémantique

interprétative doit rendre compte du sens de toutes les phrases

engendrées par la syntaxe, ainsi que des relations qui peuvent exister

entre des phrases. Mais Chomsky remet en cause l’idée que seules

les structures profondes contribueraient au sens et reconnaît que les

structures de surface y contribuent aussi. Un autre point important à

souligner est que Chomsky admet que les transformations puissent

changer le sens.

La sémantique générative, représentée par les travaux de

G. Lakoff, P. M. Postal et Mac Cawley, place au centre de la

réflexion linguistique la relation forme-sens. Lakoff (Instrumental

43

Page 40: Introduction a La Ling

Adverbs and the Concept of Deep Structure, in Foundations of

Language, 4, nr.1, 1968) observe que les phrases Seymour a coupé le

salami avec le couteau et Seymour a utilisé le couteau pour couper

le salami, très proches sémantiquement, correspondent à des

structures profondes dissemblables, alors qu’elles devraient ne

pouvoir dériver que d’une même structure profonde. Celle-ci doit

nécessairement être plus abstraite que les structures profondes

chomskyennes. C’est vers la logique que l’on se tourne et les

structures profondes commencent à ressembler à des formes

sémantico-logiques. Dans cette vision, la représentation sémantique

est engendrée directement, et non pas par l’intermédiaire de la

syntaxe: syntaxe et sémantique s’y confondent au niveau profond,

“où se joue tout ce qui concerne l’interprétation de la phrase” (Fuchs,

1992:79).

La sémantique du prototype

Elle représente une description de la signification fondée sur

une approche cognitive et essaie de répondre à la question: comment

l’homme catégorise-t-il les objets du monde? Ce type d’approche

pose que les éléments s’organisent par rapport à un prototype, c’est-

à-dire le meilleur représentant d’une catégorie (par exemple pour

oiseau, le prototype est moineau). La sémantique du prototype doit

beucoup aux travaux des psychologues (dont surtout E. Rosch, dans

les années ’70), qui ont formulé la conception de la catégorie et de la

catégorisation, qui est double: a) d’une part, la structuration interne

44

Page 41: Introduction a La Ling

des catégories (pour la catégorie fruit, par exemple, les sujets

interrogés par E. Rosch ont donné la pomme comme meilleur

exemplaire et l’olive comme le membre le moins représentatif; entre

les deux, on trouve, par ordre décroissant sur une échelle de

représentativité, la prune, l’ananas, la fraise et la figue); b) d’autre

part, la structuration intercatégorielle (les catégories présentent une

organisation en trois niveaux: niveau superordonné (par exemple,

animal), niveau de base (par exemple, chien) et niveau subordonné

(par exemple boxer).

La théorie du prototype se veut une alternative à la théorie

classique du sens. Elle permet de réintégrer dans le sens d’un mot

des propriétés exclues par le modèle classique, parce que non

nécessaires et donc jugées comme connaissances encyclopédiques,

c’est-à-dire non linguistiques. Elle prouve l’existence d’une

organisation interne à l’intérieur d’une catégorie (a. la dimension

horizontale) et trace aussi une hiérarchie intercatégorielle (b. la

dimension verticale) (Georges Kleiber, 1990).

La linguistique textuelle ou du discours

À partir des années ‘70 s’est développé un courant

linguistique qui conteste à la phrase son statut d’unité maximale de la

description linguistique, lui substituant le texte, envisagé comme un

ensemble organisé de phrases. Un texte possède une structure

globale: il est donc formé de séquences dont le sens se définit par

45

Page 42: Introduction a La Ling

rapport à son sens global. La linguistique textuelle rend compte de

phénomènes d’organisation qui opèrent au-delà du niveau de la

phrase.

En s’appuyant sur la distinction entre le discours

(l’événement produit par un certain sujet, dans un lieu et dans un

moment donné et s’adressant à un destinataire précis) et le texte (le

produit fini, transphrastique), on distingue entre la cohésion (qui

dépend de facteurs sémantiques et syntaxiques et s’évalue en

fonction de l’organisation interne du texte) et la cohérence (qui est

une propriété du discours, étant un phénomène pragmatique, mis en

relation avec les conditions de l’énonciation et dépendant des

connaissances du monde de l’énonciateur et de son destinataire ou

“connaissances partagées d’univers” – Robert Martin, 1983:206). La

cohérence du texte est assurée au moyen des règles de répétition et

de progression (v. chap. La progression textuelle).

Comme le discours actualise plusieurs types textuels, la

linguistique textuelle se propose, entre autres, de réaliser la

typologie des textes (narratif, descriptif, prédictif, explicatif,

argumentatif, injonctif, etc.)

De toute façon, l’analyse textuelle et l’analyse du discours se

voient attribuer des définitions très variées, font coexister des

approches des plus diverses (tantôt linguistiques, tantôt

sociologiques, tantôt psychologistes), étant situées au carrefour des

sciences de la langue.

46

Page 43: Introduction a La Ling

La pragmatique

Le courant pragmatique en linguistique peut être relié à bien

des sources non strictement linguistiques: sémiotiques (on évoque

généralement les noms de Peirce et de Morris), logiques (Carnap et

Bar-Hillel), philosophiques (Austin, Searle, Strawson).

La pragmatique peut être définie comme l’étude du rapport

entre les signes et leurs utilisateurs (Charles W. Morris, Foundations

of the Theory of Signs, 1938). Cette discipline connaît un essor

spectaculaire dans les années ‘60, en particulier avec les ouvrages de

J. L. Austin (Quand dire c’est faire, 1962; trad. fr. 1970) et de J. R.

Searle (Les Actes de langage, 1969; trad. fr. 1972) et continue de

conserver un dynamisme exceptionnel. Ce domaine d’étude

représente une virevolte faite par la science du langage: d’une

linguistique de la langue, objective, vers une linguistique de la

parole, subjective. On peut découvrir au sein de la pragmatique

plusieurs orientations.

La linguistique de l’énonciation

Elle représente l’étude de ce qui dans la langue porte la

marque d’une énonciation particulière, ou “la recherche des

procédés linguistiques (…) par lesquels le locuteur imprime sa

marque à l’énoncé, s’inscrit dans le message (implicitement ou

explicitement) et se situe par rapport à lui” (Kerbrat-Orecchioni,

1980:32). Ce type de linguistique s’attache à étudier les unités qui

47

Page 44: Introduction a La Ling

fonctionnent comme indices de l’inscription dans l’énoncé du sujet

énonciateur: les déictiques (unités linguistiques qui font référence à

la situation d’énonciation: je, tu, ici, là, maintenant, hier, demain,

etc. v. chap. La déixis et L’énonciation) et les diverses marques de la

subjectivité dans le discours, comme par exemple:

- le champ de la modalité, qui envisage l’énoncé en tant

qu’action pour traduire un type de communication instituée entre le

locuteur et l’allocutaire (assertion, interrogation, injonction ou

exclamation);

- la modalisation, qui traduit l’attitude du locuteur envers

l’énoncé, envers lui-même ou envers son interlocuteur (probable,

possible, vrai, obligatoire, nécessaire etc.): Il viendra peut-être / sans

doute / certainement; Je pense / suis sûr qu’il viendra; Il peut / doit

arriver (v. chap. L’énonciation et La déixis).

La théorie des actes de langage

La philosophie analytique (Austin, Searle) a montré que la

langue est d’abord un moyen d’agir sur autrui. Cela revient à dire

que tout locuteur, quand il énonce une phrase dans une situation de

communication donnée, accomplit un acte de langage. La théorie des

actes de langage classe ces actes en deux grandes catégories: 1. actes

institutionnels (Je jure de dire la vérité, rien que la vérité); 2. actes

qui s’accomplissent dans les interactions quotidiennes (Je vous

promets de revenir). Ces actes peuvent s’exprimer au moyen des

formes linguistiques qui leur sont associées par convention: a)

48

Page 45: Introduction a La Ling

performatifs explicites (Je vous prie de m’excuser pour mon retard)

et b) performatifs primaires (Excusez-moi pour mon retard) ou au

moyen d’énoncés contenant des formes associées à d’autres actes

(Puis-je m’excuser pour mon retrad? ou bien, au lieu de dire Fermez

la fenêtre!, on peut employer la formule allusive Il fait froid ici) (v.

chap. Les actes de langage).

Il convient de retenir de cette succincte présentation que la

pragmatique est une discipline linguistique de date récente qui se

propose d’envisager le langage en tant qu’acte, en tant qu’interaction

entre les partenaires interlocutifs.

L’interaction communicative

H. Grice (1975) est considéré comme le pionnier de ce qu’on

appellera l’analyse conversationnelle. Il a proposé les notions

d’implicatures conversationnelles ou discursives (qui correspondent

à tout ce qui, dans le discours, est de l’ordre de l’insinuation ou de la

suggestion) et de maximes conversationnelles (qui prennent appui

sur le principe de coopération auquel les partenaires énonciatifs

doivent se conformer).

Au cours des dernières années les travaux théoriques et

descriptifs portant sur les échanges discursifs en situation (dialogues,

conversations, débats, etc.) se sont considérablement multipliés. Pour

une synthèse dans le domaine, on peut consulter avec profit les

ouvrages de C. Kerbrat-Orecchioni (1990) et d’A. Berrendonner – H.

Parret (1990).

49

Page 46: Introduction a La Ling

La sociolinguistique

Saussure (1916) l’a déjà signalé: le langage est un fait social,

mais l’apparition de la sociolinguistique ne date que des années ’50.

“Une société ne peut subsister sans un moyen de communication

entre ses membres, alors que la langue ne peut se constituer en

dehors du processus de communication qu’il est possible d’identifier

à la vie sociale, elle-même” (Baylon-Fabre, 1975:73). De cette

double implication est née la sociolinguistique, étude “de la co-

variance des phénomènes linguistiques et sociaux” (Dictionnaire de

linguistique, Larousse, in Baylon-Fabre, 1975:73).

C’est donc une discipline mixte qui associe linguistique et

sociologie, la sociologie devant être entendue dans un sens très large.

Le territoire de la sociolinguistique au sein des sciences du langage

est bien vaste et, en même temps, “perméable (…) aux champs

disciplinaires connexes: psychologie, psychanalyse, philosophie,

anthropologie, ethnologie, sociologie, histoire…” (Bayo, 1996:8) et

on pourrait y ajouter aussi: géographie, politique, etc.

Parmi les diverses directions de recherche au sein de la

sociolinguistique on se doit de mentionner:

L’ethnolinguistique

Elle représente l’étude de la langue en tant qu’expression

d’une culture, d’une civilisation. Cette discipline s’intéresse tout

50

Page 47: Introduction a La Ling

particulièrement aux sociétés dites primitives, éloignées de la

civilisation et des langues européennes.

La géographie linguistique

Cette discipline s’intéresse à la variation géographique de la

langue. Il s’agit d’étudier:

- les interférences des langues en contact (le substrat, le

superstrat, l’adstrat);

- les systèmes linguistiques mixtes (les pidgins, les sabirs, les

créoles);

- les variations dialectales (v. chap. La variation), la

diglossie, le bilinguisme.

L’étude des sociolectes

Il s’agit d’identifier et d’étudier les dialectes fondés sur des

critères sociaux (par exemple l’argot ou le jargon technique). Ce type

d’approche est marqué par deux orientations importantes:

- l’étude de la variation sociolinguistique au sein d’une

communauté linguistique (cf. Labov, qui, à partir d’un corpus

important issu de nombreuses enquêtes de terrain, étudie les

phénomènes de variation linguistique de différentes natures:

phonétique, lexicale ou syntaxique);

- l’analyse des discours sociaux (cf. notamment l’école de

Rouen, dont les recherches se rapportant aux discours politiques et

syndicaux portent en principal sur le choix des mots employés et leur

fréquence; v. L. Guespin, Typologie du discours politique,

51

Page 48: Introduction a La Ling

“Langages”, 41, 1976 et B. Gardin, D. Baggioni & L. Guespin,

Pratiques lingusiqties, pratiques sociales, PUF, 1980.)

Bibliographie

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52

Page 49: Introduction a La Ling

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***Bayo, Gloria, 1996, Eléments de sociolinguistique, Dunod.Berrendonner, A. – H. Parret (éd.), 1990, L’interaction communicative¸ Lang.Boyer, H. (sous la dir. de), 1996, Sociolinguistique: territore et objets, Delachaux et Niestlé.Cristea, Teodora, 1974, Grammaire structurale du français contemporain, Editura Didactică şi Pedagogică, p. 9-24.Drăghicescu, Janeta, 1975, Introduction à la grammaire structurale du français, TUB, Bucureşti. Drigeard, G., Fiala, P. & Tournier, M. (sous la dir. de), 1989, Courants sociolinguistiques, INALF-Klincksieck.Fuchs, Catherine & Le Goffic, Pierre, 1992, Les linguistiques contemporaines, Hachette.Gadet, Françoise, 1993, 3-e éd., Saussure, une science de la langue, PUF.Malmberg, Bertil, 1991, Histoire de la linguistique, de Sumer à Saussure, PUF, coll. “Fondamental“.Manoliu Manea, Maria, 1973, Structuralismul lingvistic, Editura Didactică şi Pedagogică.Moeschler, Jacques & Auchlin, Antoine, 2000, Introduction à la linguistique contemporaine, Colin, “Cursus”.

53

Page 50: Introduction a La Ling

Mounin, Georges, 1967, Histoire de la linguistique, des origines au XX-e siècle, PUF, “Quadrige”, Paris.Mounin, Georges, 1972, Clefs pour la sémantique, Seghers, Paris.Reboul, Anne & Moeschler, Jacques, 1998, La Pragmatique aujourd’hui, Seuil, “Points”.Robins, H.R., 1976, Brève histoire de la linguistique, Seuil, Paris.Ruwet, Nicolas, 1968, Introduction à la grammaire générative, Plon.Swiggers, P., 1997, Histoire de la pensée linguistique, PUF. Tuţescu, Mariana, 1974, Précis de sémantique française, Editura Didactică şi Pedagogică.Tuţescu, Mariana, 1982, Les grammaires génératives et transformationnelles, Editura Didactică şi Pedagogică.

54

Page 51: Introduction a La Ling

LE PROCESSUS DE COMMUNICATION

Communication et sémiologie

La communication représente le processus par lequel une

information est transmise par un émetteur à un récepteur à l’aide

d’un système de signes.

La communication peut se faire, en principe, par deux

voies: oralement ou graphiquement (par écrit).

Mais la communication n’est pas forcément orale ou écrite.

Elle peut être, par exemple, gestuelle. Elle peut s’effectuer entre les

hommes, entre les animaux, entre l’homme et l’animal. Mais ce n’est

qu’au cours de la communication interhumaine que le message est

véhiculé au moyen de signes linguistiques.

Un signe est tout élément A, de nature diverse, substitut d’un

élément B. Le signe est donc un symbole. Les signes ne sont pas tous

linguistiques. Par exemple, la colombe comme symbole de la paix ou

la balance comme symbole de la justice ne sont pas des signes

linguistiques.

Il existe en conséquence deux formes de communication:

- la communication non verbale ou sémiologique et

- la communication verbale, linguistique.

55

Page 52: Introduction a La Ling

La discipline qui étudie les signes en général (linguistiques

ou non) est la sémiologie (du grec semeion “signe” et logos “science,

étude”). Saussure (1978:33) la considère comme la “science qui

étudie la vie des signes au sein de la vie sociale” (c’est-à-dire l’étude

de tout ce qui est conventionnellement porteur de signification) et

dont la linguistique ne serait qu’une branche. Elle s’est

considérablement développée dans les années ‘60 et ‘70,

s’intéressant à l’ensemble des systèmes de communication, verbale

ou non. Par exemple, Pierre Guiraud (1971: 97-115) range dans la

sémiologie d’un côté les signes (enseignes, uniformes, noms,

surnoms, salutations, injures, civilités, politesses, etc.) et de l'autre

les codes (protocoles, rituels, jeux, modes, etc.).

Les avis divergent quant à l’opportunité de distinguer entre

sémiologie et sémiotique. La sémiotique est un nom d’origine

anglaise (semiotics) désignant de manière générale la science des

signes et des systèmes de communication. Elle s’est spécialisée dans

les annéees ‘60 et ‘70 dans l’étude des textes littéraires, par exemple

dans le domaine de la sémiotique narrative (analyse du récit), ou

dans celui de la stylistique.

Pour reprendre:

La communication et les signes peuvent être linguistiques ou

non linguistiques.

56

Page 53: Introduction a La Ling

Typologie des signes

La typologie des signes fondée sur leur nature peut être

représentée comme suit:

SIGNES

NATURELS ARTIFICIELS

LINGUISTIQUES NON LINGUISTIQUES

FONDAMENTAUX AUXILIAIRES

VOCAUX ÉCRITS

Les signes non linguistiques peuvent être des signes

naturels (symptômes ou indicateurs naturels) ou artificiels (signes

utilisés ou créés pour transmettre une information: icônes, signaux,

symboles; v. ci-dessous).

Les signes linguistiques comprennent deux catégories: les

signes fondamentaux (c’est-à-dire les signes des langues naturelles;

v. chap. Le signe linguistique) et auxiliares (c’est-à-dire les signes

des langues artificielles, telle l’espéranto).

57

Page 54: Introduction a La Ling

Les signes non linguistiques

Les signes indiciels. Il s’agit d’un fait ou d’un phénomène

naturel, non intentionnel, qui peut se charger de signification, mais

dont la fonction première n’est pas de signifier: les nuages dans le

ciel – signe de pluie, la fumée – signe de feu, la fièvre – signe de

maladie, etc. L’indice donne lieu à une interprétation.

L’icône est un signe qui représente analogiquement ce

qu’il désigne: dessin, portrait, photo. C’est une forme visuelle qui

évoque le signifié par une ressemblance naturelle.

Le signal est un fait perceptible, intentionnel et

conventionnel, produit artificiellement pour servir d’indice. Par

exemple le drapeau est l’indice d’un pays, le bâton blanc que tient

l’aveugle est l’indice de cécité. De même, la signalisation routière,

les grades militaires, les enseignes des magasins, les panneaux

publicitaires, les diagrammes sont des formes communicatives, des

éléments ayant la fonction de véhiculer un message.

Le symbole a un rapport analogique avec l’élément qu’il

représente. C’est “un objet ou fait naturel de caractère imagé qui

évoque, par sa forme ou sa nature, une association d’idées

“naturelle” (dans un groupe social donné) avec quelque chose

d’abstrait ou d’absent” (Petit Robert). On a recours au symbole

lorsque la représentation iconique d’un objet est impossible, par

exemple la balance – symbole de la justice, la colombe – symbole de

la paix, le coeur – symbole de l’amour, etc.

58

Page 55: Introduction a La Ling

Les composantes de la communication linguistique

En se plaçant dans le cadre de la communication orale, qui

est primordiale, et qui peut être transposée en communication écrite,

on retient:

Les partenaires énonciatifs

La communication linguistique suppose au moins deux

partenaires énonciatifs:

L’émetteur (appelé aussi locuteur ou encore destinateur)

est la source du message. Il produit un ensemble de sons

correspondant à un concept envisagé mentalement. L’association du

concept à une image acoustique est appelée encodage.

Le récepteur (appelé aussi interlocuteur ou destinataire)

perçoit le message par voie auditive. En associant les sons entendus à

un concept, il procède au décodage.

Les deux pôles du message linguistique – émetteur et

récepteur – sont interchangeables. Lors d’une conversation, chaque

participant est tour à tour émetteur et récepteur.

Le message

59

Page 56: Introduction a La Ling

Entre les deux partenaires énonciatifs il y a le message,

c’est-à-dire l’information transmise sous la forme de signes

acoustiques au moyen d’un canal.

Le canal ou le contact

La communication suppose un canal ou un contact qui

permet d’établir et de maintenir la communication, le vecteur par

lequel les signes sont transmis. Le canal désigne le support matériel

qui permet la transmission du message, par exemple l’air dans lequel

se propagent les ondes sonores, la lumière, les câbles électriques

pour la téléphonie et la télégraphie, la bande de fréquence radio, etc.

Le contact est le canal psychologique par lequel s’établit une relation

entre l’émetteur et le récepteur.

Le code

Les opérations d’encodage et de décodage présupposent

aussi l’existence d’un code, c’est-à-dire un système de signes

associant un concept (le signifié) à une image acoustique (le

signifiant), accompagné d’un certain nombre de règles

d’agencement, donc une langue. Le code est alors le système de

signes commun aux interlocuteurs et qui, par convention, est destiné

à représenter et à transmettre le message.

Le contexte

60

Page 57: Introduction a La Ling

La communication est associée, enfin, à un contexte,

l’ensemble des données extérieures au message proprement dit. Il

s’agit d’abord du contexte extra-linguistique qui a motivé la

communication et auquel renvoie le message et qui prend aussi en

compte la relation entre l’émetteur et le récepteur. Il s’agit également

du contexte spatio-temporel et finalement du contexte linguistique,

qui prend en compte l’entourage linguistique effectif, ce qui vient

d’être dit et ce qui va l’être et permet de comprendre le message.

Donc, l’acte de communication requiert, pour la transmission

du message, au moins deux partenaires énonciatifs: un émetteur et un

récepteur ayant un code commun et reliés par un canal.

Schémas de la communication linguistique

Le schéma de Saussure

Dans son Cours (1916, éd.1978:28), Saussure propose une

description de ce qu’il appelle le “circuit de la parole”, à partir du

schéma suivant:

Audition Phonation

61

Page 58: Introduction a La Ling

........

c. Concept

i. Image

acoustique

......

Phonation Audition

Ce schéma permet de distinguer trois types d’opérations. La

première est d’ordre physique et se réfère à la transmission des sons.

La deuxième est d’ordre psychique et physiologique (il s’agit de

l’articulation ou de l’audition). La troisième est d’ordre psychique.

Localisée dans le cerveau, elle concerne l’association d’un concept à

une image acoustique.

Selon Shannon et Weaver (Théorie mathématique de la

communication, C.E.P.L., 1975), le schéma de la communication

interhumaine se présente comme suit:

Source Émetteur Canal Récepteur Destinataired’information

62

c

i

c i

Page 59: Introduction a La Ling

Message Signal émis Signal reçu Message

Code Bruit Code

Ce schéma rend compte d’une théorie de l’information bien

plus que d’une théorie de la communication. La préoccupation des

auteurs a porté en priorité sur l’efficacité de la transmission d’un

message, sans prendre en considération la dimension énonciative et

les interactions engagées entre les interlocuteurs par la

communication (v. Zemmour, 2004:29-30).

Le schéma de la communication d’Umberto Eco

(1978:31)

Selon Eco, le signe s’insère dans un processus de

communication de type:

source – émetteur – canal – message – destinataire

schéma qui reprend sous une forme simplifiée celui qui a été élaboré

par les ingénieurs de télécommunication.

Le schéma de la communication de Roman Jakobson

(1963:214), devenu célèbre, articule les six composantes de la

communication de la manière suivante:

CONTEXTE

63

Page 60: Introduction a La Ling

DESTINATEUR ……….MESSAGE……….DESTINATAIRE

CONTACT (CANAL)

CODE

Ce schéma a été abondamment commenté, voire critiqué,

surtout en raison de la position occupée par le contexte, défini par

Jakobson comme “référent” auquel renvoie le message (mais tenant

compte de l’aspect pragmatique de la langue, le contexte a obtenu au

cours du temps une importance de plus en plus grande).

Le schéma de la communication proposé par Jakobson

s’avère particulièrement efficace dans la mesure où il fait

correspondre à chacune des composantes ci-dessus une fonction

spécifique de la langue (v. chap. Les fonctions de la langue)

Bibliographie

Eco, Umberto, 1976, La production des signes, Indiana University Press.Eco, Umberto, (1973) trad. fr. 1988, Le signe. Histoire et analyse d’un concept, Labor.Guiraud, Pierre, 1971, La sémiologie, PUF, Paris.Jakobson, Roman, 1963, Essais de linguistique générale, Minuit.Mounin, Georges, 1970, Introduction à la sémiologie, Minuit.

64

Page 61: Introduction a La Ling

LES FONCTIONS DE LA LANGUE

Roman Jakobson a élaboré une théorie concernant les

fonctions de la langue à partir des facteurs qui participent à

l’élaboration, la transmission et la réception d’un message. Jakobson

fait correspondre une fonction à chaque composante de la

communication linguistique (1963:213-216):

CONTEXTE (fonction référentielle)

DESTINATEUR MESSAGE DESTINATAIRE

(fonction expressive) (fonction poétique) (fonction conative)

CONTACT (fonction phatique)

CODE (fonction métalinguistique)

La fonction référentielle (dénotative, cognitive) est

orientée vers la situation ou l’objet du discours, c’est-à-dire vers le

contexte extra-linguistique. C’est la fonction primordiale de la

langue: transmettre des informations, permettre la communication

65

Page 62: Introduction a La Ling

interhumaine. C’est donc grâce à cette fonction que l’homme

formule, fixe et transmet sa pensée.

La fonction expressive (émotive) est centrée sur le

destinateur (locuteur). Celui-ci manifeste son affectivité à travers ce

qu’il dit. L’inventaire de l’expressivité linguistique est assez vaste.

L’intonation peut exprimer la joie, la colère, l’exaspération, la

surprise, l’enthousiasme. L’intensité du débit, le volume de la voix

complètent aussi l’expression verbale. La fonction expressive fait

également appel à des interjections et des onomatopées, à des

procédés syntaxiques comme l’ordre des mots, etc. Tous ces

éléments expressifs révèlent l’état émotif ou affectif du locuteur,

définissent ses rapports avec le message, ses idées sur le contexte.

La fonction poétique (esthétique) met l’accent sur le

message. Elle permet aux messages linguistiques de provoquer chez

l’interlocuteur des émotions artistiques. Cette fonction ne se limite

pas à la poésie, mais correspond à diverses formes d’expression:

poésie, théâtre, chansons, proverbes, slogans, publicité. Elle se

manifeste par l’emploi d’effets stylistiques à visée esthétique ou

ludique (par exemple jeu de mots, calembours). La langue devient

ainsi la forme d’expression de l’art littéraire (tout comme les sons ou

les couleurs sont devenus les matériaux d’autres arts).

La fonction conative (injonctive) est rattachée au

destinataire. Elle vise à déclencher une réaction de la part de celui-ci.

Cette réaction peut être verbale ou non verbale (geste, action). La

66

Page 63: Introduction a La Ling

fonction conative trouve son expression dans les diverses formes

d’interpellation, le vocatif, l’impératif: Sortez!, Dépêchez-vous, mes

enfants! Elle joue un rôle très important dans la vie sociale,

notamment dans les annonces publicitaires (Achetez le produit X!), la

radio, la télévision, les journaux, le discours politique, etc. Le

message centré sur le destinataire traduit les divers aspects que peut

prendre le contact entre les hommes: expression d’accomplissement

de certains actes et de certaines attitudes.

La fonction phatique vise à établir et à maintenir un

contact (une liaison psychique) entre l’émetteur et le récepteur. Le

locuteur vise à créer une ambiance propice à la réception du

message. Cette fonction apparaît dans les énoncés destinés à établir,

maintenir, rompre ou rétablir le contact, par exemple: Bonjour!, Au

revoir! Au cours d’une conversation téléphonique des formules

stéréotypées comme: Allô!, Vous m’entendez? ont le rôle de vérifier

le circuit. De même le discours pédagogique ou la conversation

courante font usage de formules comme: tu vois, vous voyez, vous

savez, alors, hein, dont la fonction est d’assurer et de maintenir le

contact avec l’interlocuteur.

La fonction métalinguistique a pour but de vérifier le

code, c’est-à-dire la langue utilisée par les interlocuteurs (l’argot

estudiantin, les différents jargons des disciplines spécialisées). Cette

fonction s’exerce aussi lorsque l’émetteur prend le code comme objet

de la description: l’objet du discours est alors la langue. Le

67

Page 64: Introduction a La Ling

métalangage (ou métalangue) est un langage naturel ou formalisé

employé par les linguistes comme instrument spécialisé en vue de

décrire les langues naturelles. Des termes comme substantif,

complément, masculin, phrase, subordonnée, désignant diverses

catégories de la grammaire, appartiennent au métalangage. Les

ouvrages traitant du code comme les grammaires, les dictionnaires,

les lexiques spécialisées sont des ouvrages métalinguistiques. Toutes

les autres fonctions du langage ne sont pas propres au langage et

peuvent s’exprimer aussi par des signes non linguistiques (mimique,

gestes, graphique). Seule la fonction métalinguistique est strictement

liée au code et à son fonctionnement.

Récapitulation

Contexte Fonction dénotative (référentielle)

Message Fonction poétique (esthétique)

Émetteur (locuteur, destinateur) Fonction expressive

Récepteur (interlocuteur, destinataire) Fonction conative

Canal (contact) Fonction phatique (de contact)

Code Fonction métalinguistique

Fonctions de la langue et types de message

C’est toujours Jakobson qui, dans l’oeuvre citée, relève le

fait que la diversité des messages consiste dans les différences de

68

Page 65: Introduction a La Ling

hiérarchie entre les diverses fonctions: “La structure verbale d’un

message dépend avant tout de la fonction prédominante” (1963:214).

Donc, les différentes fonctions de la langue ne sont pas

exclusives et peuvent se trouver combinées dans un même énoncé,

l’une ayant plus d’importance que les autres, selon les types de

messages.

Bibliographie

Jakobson, Roman, 1963, Essais de linguistique générale, Minuit.***

Baylon, Christian & Fabre, Paul, 1975, Initiation à la linguistique, Nathan, p. 59-69.Dominte, Const., Zamfira, Mihail & Osiac, Maria, 2000, Lingvistică generală, Ed. Fundaţiei România de Mâine, p. 77-95.Zemmour, David, 2004, Initiation à la linguistique, Ellipses, p. 30-31.

69

Page 66: Introduction a La Ling

LE CARACTÈRE SYSTÉMATIQUE

DE LA LANGUE

L’organisation systémique

Saussure définit la langue comme un “système organisé de

signes exprimant des idées” (Cours, 1916:170-175).

Mais qu’est-ce qu’un système ? Toutes les définitions qu’en

donnent les dictionnaires explicatifs insistent sur l’idée que c’est un

ensemble structuré d’éléments, donc un ensemble dont les éléments

se conditionnent réciproquement.

Le fait que la langue a une organisation systémique présente

au moins deux grands avantages:

- Il réalise l’économie du matériel linguistique;

- Il aide la mémoire.

L’économie signifie qu’à partir d’un nombre relativement

réduit d’unités composantes on peut créer des unités complexes, plus

nombreuses (v. aussi chap. La double articulation du langage). 20-

25 éléments articulatoires permettent de créer tous les sons de toutes

les langues. Alors, l’économie de moyens linguistiques signifie qu’à

partir d’un nombre fini de sons on peut former un nombre indéfini de

lexèmes et donc émettre un nombre infini d’énoncés possibles.

70

Page 67: Introduction a La Ling

Et ceci a des répercussions indéniables sur la mémoire. De

même, l’apprentissage de la structure grammaticale d’une langue est

facilitée par l’existence de certains modèles. Le système idéal serait

celui où tous les substantifs recevraient par exemple la même

désinence de pluriel, de genre, de cas, les verbes se conjugueraient

tous de la même manière, sans variations du radical, etc. Cet idéal

n’est atteint à l’heure actuelle que dans les langues artificielles. Dans

le cas contraire, combien il serait difficile d’apprendre séparément la

déclinaison de chaque substantif ou la conjugaison de chaque verbe !

La conception de la langue comme combinatoire

d’éléments

Ce qui est important dans un système ce sont les relations

qui unissent les éléments et non les éléments eux-mêmes. Toute

transformation d’un élément désorganise et modifie l’ensemble. La

langue est un système en ce sens qu’à un niveau donné, celui des

phonèmes ou des morphèmes, par exemple, il existe un ensemble de

relations qui lient les termes de ce niveau les uns aux autres. Si l’un

des termes est modifié, l’équilibre du système s’en trouve affecté.

Les éléments du système se présupposent réciproquement.

Les voyelles antérieures présupposent l’existence des voyelles

postérieures, les consonnes sonores, celle des consonnes sourdes, le

pluriel présuppose le singulier, le passé est en corrélation avec le

présent et le futur et ainsi de suite.

71

Page 68: Introduction a La Ling

“Dans un état de langue donné, tout est systématique; une

langue quelconque est constituée par des ensembles où tout se tient:

système de sons (ou phonèmes), système de formes et de mots

(morphèmes et sémantèmes). Qui dit système dit ensemble cohérent:

si tout se tient, chaque terme doit dépendre de l’autre” (V. Brøndal,

in Baylon-Fabre, 1975:19).

Plus une langue est systématique plus elle est apte pour la

communication. Chacun des compartiments de la langue a un

caractère systématique. La langue est donc un système ou plutôt un

système de systèmes: système phonologique, système syntaxique,

système lexical.

La théorie saussurienne de la valeur

La définition de la langue comme système de signes

implique de ne considérer les unités de la langue que dans les

rapports qu’elles entretiennent les unes avec les autres. La valeur du

signe, telle que l’entend Saussure, ne se conçoit que dans le cadre du

système au sein duquel les signes sont comparés, donc différenciés

les uns des autres et surtout définis les uns par rapport aux autres.

La notion de valeur constitue le principe orgnisateur de

l’analyse de ce que Saussure appelle les entités linguistiques (les

signes linguistiques). Elles existent seulement par les jeux

d’oppositions dans lesquelles elles sont engagées.

72

Page 69: Introduction a La Ling

Sur le plan du contenu, mouton en français, par exemple,

peut avoir la même signification que sheep en anglais, mais non pas

la même valeur, parce que l’anglais fait la différence entre la pièce

de viande (mutton) et l’animal (sheep), opposition qui ne se retrouve

pas en français. La notion de valeur est aussi valable pour les unités

grammaticales. Ainsi, la valeur d’un pluriel français ne recouvre pas

celle d’un pluriel sanskrit, bien que la signification soit le plus

souvent identique, parce que le sanskrit possède trois nombres au

lieu de deux en français.

”La notion de valeur permet de comprendre que deux

langues se distinguent moins par des différences entre leurs unités

linguistiques que par les différences dans les systèmes d’opposition

qui constituent ces langues” (Zemmour, 2004:38).

Types de relations entre les unités de la langue

On a donc vu que dans un système les unités linguistiques

n’ont pas de signification en elles-mêmes isolément, mais seulement

par rapport à l’ensemble.

Deux types de relations entre les unités sont à considérer: les

relations linéaires ou syntagmatiques et les relations

paradigmatiques (Saussure les appelait associatives). Ces relations

se déploient selon deux axes distincts: l'axe paradigmatique et l’axe

syntagmatique.

73

Page 70: Introduction a La Ling

Axe paradigmatique C

(CD) Axe syntagmatique (AB)

A B

D

L’axe paradigmatique est un axe vertical.

Un paradigme est l’ensemble des unités pouvant commuter

avec une unité linguistique, c’est-à-dire pouvant figurer dans le

même contexte. Ces unités appartiennent à une même classe

morphosyntaxique. Le paradigme est donc une classe de substitution,

un ensemble d’unités mutuellement exclusives dans la même

position:

Cette petite fille mange une pomme.

Le vieux monsieur aime la musique.

Notre grand chat attrape des souris.

Le choix d’un terme exclut l’apparition des autres. Dans

Cette petite fille mange une pomme, petite est en relation

paradigmatique avec vieux et grand, fille, avec monsieur et chat et

ainsi de suite.

Les rapports paradigmatiques sont des rapports d’oppositon,

d’exclusion, de substitution ou encore in absentia; ce sont les

74

Page 71: Introduction a La Ling

rapports qu’on peut établir entre une unité et toutes celles qui

pourraient la remplacer dans un environnement (contexte) donné.

Sur l’axe paradigmatique, le remplacement d’une unité par

une autre unité du paradigme s’appelle substitution ou

commutation (v. chap. Bref aperçu historique des idés

linguistiques):

Paul partira aujourd’hui./ Paul partira demain.

L’axe syntagmatique et un axe horizontal. C’est l’axe de

la chaîne parlée, du discours ou l’axe des combinaisons. Sur cet axe

les unités se présentent dans un ordre linéaire, c’est-à-dire qu’elles se

succèdent dans le temps (pour la parole) ou dans l’espace (pour

l’écriture).

Sur l’axe syntagmatique la valeur d’un élément est due au

contraste qu’il entretient avec ce qui suit ou ce qui précède. Par

exemple, dans le syntagme la petite ville, au niveau morphématique,

l’adjectif petite est en relation syntagmatique avec l’article la et le

nom ville. Au niveau phonématique [vil], [v], [i] et [l] entretiennent

aussi des relations syntagmatiques. Sur cet axe donc, les rapports

qu’entretiennent divers éléments sont appelés rapports

syntagmatiques, rapports de contraste, de combinaison ou encore

rapports in praesentia (présence des termes précédents ou suivants):

ce sont les rapports entre les termes d’une même construction.

Les agencements d’unités dans la chaîne sont soumis aux

règles de bonne formation que l’on désigne sous le nom de structure.

75

Page 72: Introduction a La Ling

Saussure nomme syntagme toute combinaison de deux ou

plusieurs unités linguistiques également présentes qui se suivent

l’une l’autre (des unités minimales à la phrase).

La modification d’une combinaison s’appelle permutation:

Paul rentre des vacances ce soir./ Ce soir Paul rentre des

vacances.

On peut donc retenir que le locuteur, pour former les

énoncés, opère dans un premier temps un choix dans les classes des

divers paradigmes (il choisit les unités linguistiques dont il a besoin)

et les assemble par la suite, formant les syntagmes et les phrases.

C’est une opération analogue à la construction d’une maison: on

choisit d’abord les matériaux qu’on assemble par la suite pour élever

l’édifice.

Conclusions

La distinction de principe entre ces deux types de rapports

suggère une méthode d’analyse linguistique qui montre à quel point

les rapports paradigmatiques et syntagmatiques sont solidaires et

étroitement imbriqués.

Le structuralisme linguistique, qui repose sur l’oeuvre de

Saussure, est une nouvelle conception de la langue issue du

renouvellement des méthodes descriptives en linguistique. Tous les

représentants des écoles structurales, malgré les divergences qui les

séparent, partent du principe que la langue est un système de signes

76

Page 73: Introduction a La Ling

constituant un tout unitaire dont chaque élément est défini par

l’ensemble de relations qu’il entretient avec les autres membres du

système. Le résultat de l’analyse linguistique aboutit à des

taxinomies (classes ordonnées d’unités) paradigmatiques ou

syntagmatiques.

L’objet de la linguistique est, pour le structuralisme, l’étude,

interne et synchronique, de la langue comme système de signes.

Bibliographie

Saussure, Ferdinand de, (1916), éd. 1978, Cours de linguistique générale, Payot, p. 170-175.Lyons, John, 1968, Linguistique générale, Larousse, p. 56-64.

***Baylon, Christian & Fabre, Paul, 1975, Initiation à la linguistique, Nathan, p. 88-91, 93-95, 110.Cristea, Teodora, 1974, Grammaire structurale du français contemporain, Editura Didactică şi Pedagogică, p. 9-24.Manoliu-Manea, Maria, 1973, Structuralismul lingvistic, Editura Didactică şi Pedagogică.

77

Page 74: Introduction a La Ling

LANGAGE, LANGUE, PAROLE

La linguistique peut se définir comme l’étude scientifique

des langues et du langage. Il convient alors de dissocier le sens de

ces deux termes, souvent employés de façon indifférenciée.

Le langage représente l’aptitude spécifiquement humaine à

pouvoir communiquer au moyen d’un système de signes vocaux. Le

langage est donc une virtualité. Il est universel, une faculté inhérente,

naturelle et spécifique à l’espèce humaine. Il différencie donc les

hommes des autres êtres vivants.

En cherchant à établir le véritable objet de la linguistique,

Ferdinand de Saussure analyse le langage sous deux composantes

fondamentales: dans l’ensemble des manifestations du langage, il

faut distinguer ce qui relève de l’action individuelle, variable,

unique, imprévisible, que Saussure nomme la parole, de ce qui est

constant, commun aux sujets parlants, la langue. “Le langage a donc

un côté individuel et un côté social et l’on ne peut concevoir l’un

sans l’autre” (1916, éd. 1978:24). C’est, comme on peut aisément le

voir, une vision du langage profondément dualiste.

Le langage, selon Saussure, se compose de la langue et de la

parole:

78

Page 75: Introduction a La Ling

LANGUE

LANGAGE

PAROLE

La langue est la partie sociale du langage, le code

commun à tous les membres d’une communauté linguistique, une

pure passivité. Si tous les hommes possèdent la faculté du langage,

tous, cependant ne parlent pas la même langue. Le français par

exemple est une langue composée d’un ensemble de signes différents

de ceux de l’allemand ou du russe. Ces signes sont agencés selon des

règles particulières pour former des énoncés français. La langue est

alors une forme particulière du langage, en usage dans un groupe

social qui constitue une communauté linguistique. La langue est donc

un fait collectif, représentant l’ensemble des règles qui s’imposent à

la communauté des usagers et qu’on trouve dans les grammaires. La

langue, enfin, est essentielle, nécessaire à la parole, qui à cet égard

lui est accessoire. “Il faut se placer de prime abord sur le terrain de la

langue et la prendre pour norme de toutes les autres manifestations

du langage”, affirmait Saussure (1916, éd.1978:25).

La parole est, quant à elle, un fait individuel. C’est

l’actualisation concrète de la langue dans des actes de parole

individuels: les énoncés des locuteurs, c’est-à-dire des suites de mots

prononcés ou écrits par un ou des individus donnés, à un moment

79

Page 76: Introduction a La Ling

donné et en un lieu donné. Chacun de ces énoncés est un acte

particulier, spécifique.

Il est à remarquer que cette dichotomie affirmant la primauté

de la langue sur la parole, éclaire également le rôle de la parole vis-à-

vis de la langue: d’une part, cette parole précède la langue, et elle

seule en permet l’acquisition; d’autre part, c’est la parole qui, à long

terme, est responsable des changements qui surviennent dans la

langue.

Évidemment, il y a interaction entre langue et parole. La

première reste une abstraction: un système dont la collectivité est la

dépositaire. Mais cette abstraction ne peut être décrite qu’à travers

ses manifestations concrètes, et l’on ne peut poser son existence que

parce que l’on peut observer ces actualisations. À l’inverse, les

manifestations concrètes constituant la parole ne sont possibles que

parce que le système les produit.

Il conviendrait peut-être de mentionner dans ce contexte le

nom du linguiste Henry Frei, professeur à l’Université de Genève,

auteur de La grammaire des fautes. Introduction à la linguistique

fonctionnelle. Assimilation et différenciation. Brièveté et

invariabilité. Expressivité, 1929, où il étudie de façon systématique

les “fautes” des locuteurs, en quête d’expressivité. Linguistique

fonctionnelle est chez Frei synonyme de linguistique de la parole (cf.

Iordan, 1962:335).

80

Page 77: Introduction a La Ling

D’autre part, dans la sphère des recherches de la linguistique

post-saussurienne la parole a gagné une place de choix, sous d’autres

noms (et parfois même de contenu), comme par exemple sous le nom

de discours. De toute façon, il est à relever qu’après la deuxième

guerre mondiale, la linguistique a fait une virevolte, se tournant vers

la parole et d’ici vers l’oralité.

La reformulation de la dichotomie saussurienne par

Chomsky

Langue et parole est une dichotomie saussurienne. Elle a été

reformulée par d’autres linguistes, dont Noam Chomsky (linguiste

américain, le créateur de la grammaire générative et

transformationnelle; v. chap. Bref aperçu des idées linguistiques), en

termes de compétence / performance (1971:13).

La compétence est “la connaissance que le locuteur-

auditeur a de la langue”. C’est donc un système de règles

représentant l’ensemble des connaissances que le locuteur natif

possède de sa propre langue (= le savoir linguistique des sujets

parlants).

La performance est “l’emploi effectif de la langue dans

des situations concrètes”, c’est donc la mise en ouvre de la

compétence (= l’utilisation du savoir linguistque des sujets parlants).

La grammaire, selon Chomsky, doit être une description de

la compétence du locuteur-auditeur.

81

Page 78: Introduction a La Ling

La dichotomie saussurienne langue / parole ne recouvre pas

entièrement la dichotomie chomskyenne compétence / performance.

La langue, pour Saussure, est un fait social, un trésor collectif, alors

que la compétence, pour Chomsky, concerne le sujet parlant. C’est

cette faculté pour l’individu de décoder et d’encoder (v. chap. Le

processus de communication), c’est-à-dire de comprendre et de

s’exprimer correctement.

Un autre point distingue la dichotomie saussurienne langue /

parole de la dichotomie chomskyenne compétence / performance. Si

pour Saussure l’aspect créateur est situé dans la parole (selon le

linguiste genévois “la phrase appartient à la parole et non à la

langue”), pour Chomsky la créativité (c’est-à-dire l’aptitude des

sujets parlants à produire et comprendre des énoncés inédits) est

l’apect essentiel de la compétence.

Pour Saussure, l’opposition langue / parole a les termes

marqués par les traits suivants:

Langue passivité mémoire

Parole activité création

Pour Chomsky, le premier terme de l’opposition deviendra:

Compétence système de règles créativité.

Quelques conclusions

a) La dichotomie langue / parole, si souvent discutée dans les

ouvrages de linguistique, part, dans ses lignes essentielles, de la

82

Page 79: Introduction a La Ling

théorie saussurienne. Pour Saussure, la séparation entre langue et

parole est une idée centrale et, en même temps, une première

démarche sans laquelle la linguistique même n’est pas concevable.

Certaines idées sur lesquelles le savant genévois édifie sa théorie sur

le langage sont inspirées de la pensée des théoriciens contemporains

ou de ses prédécesseurs. Mais ce qu’il faut absolument souligner

c’est que la conception de Saussure sur la distinction langue / parole

est devenue un point de référence pour porter un jugement critique

tant sur les théories antérieures touchant à ce problème que pour les

théories ultérieures, qui développent les idées de Saussure ou s’en

délimitent.

b) Langue et parole est une distinction qui se trouve à la base

du développement des recherches en linguistique moderne. Par

rapport à la parole, la langue est une abstraction alors que la parole

est la matérialisation de cette abstraction. L’on ne connaît la langue

qu’ à travers la parole.

La langue est d’ordre psychique, la parole est d’ordre

psycho-physiologique.

La langue est une institution sociale née de la vie en

communauté. “L’action de puiser dans ce trésor collectif” (Essono,

1998:44) s’appelle la parole et cette opération est un acte individuel,

ce qui permet à chacun de produire et d’interpréter un nombre infini

de phrases à partir d’un nombre limité de règles.

La langue est une forme, la parole une substance.

83

Page 80: Introduction a La Ling

La langue est un code commun que les locuteurs utilisent de

façon particulière. Dans l’acte de la parole, l’individu dispose d’une

certaine liberté d’expression: la prononciation, le rythme,

l’intonation, le choix des mots utilisés, la longueur des phrases

varient d’un individu à l’autre. La langue, en revanche, qui est un

ensemble de conventions, ne peut pas être modifiée par l’individu s’il

veut se faire comprendre par les membres de la communauté

linguistique: le sujet parlant doit se conformer à cette convention.

c) En dépit des modifications d’interprétation (v. par

exemple la reformulation de la dichotomie saussurienne par

Chomsky), cette distinction est nécessaire à toute compréhension du

phénomène du langage. On pourrait d’ailleurs essayer de voir un

dénominateur commun aux différentes utilisations des oppositions

langue / parole: c’est la nécessité d’abstraction. Le linguiste doit en

quelque sorte construire l’objet qu’il cherche à décrire, établir,

derrière les énoncés concrets, les rapports abstraits qu’il veut

expliquer (on a relevé déjà à plusieurs reprises qu’on ne peut avoir

accès à la langue qu’à travers la parole).

d) Malgré les contradictions entre les diverses écoles

linguistiques, on doit reconnaître la validité de la distinction entre ce

que le locuteur SAIT et ce que le locuteur FAIT à l’aide de ce qu’il

sait.

Voilà donc les enjeux qui se présentent à la linguistique: “En

se donnant pour tâche le langage, elle s’efforce de dégager des

84

Page 81: Introduction a La Ling

universaux langagiers, c’est-à-dire des propriétés valables pour

toutes les langues. En se donnant pour objet une ou plusieurs langues

données, elle tente d’identifier et décrire l’ensemble des règles et des

relations qui les caractérisent individuellement ou comparativement”

(Zemmour, 2004:25).

Bibliographie

Chomsky, Noam, 1971, Aspects de la théorie syntaxique, Seuil.Saussure, Ferdinand de, (1916), 1978, Cours de linguistique générale, Payot, p. 23-32.

***Arrivé, M., Gadet, F., & Galmiche, M., 1986, La grammaire d’aujourd’hui. Guide alphabétique de linguistique française, Flammarion, p. 362-373.Essono, Jean-Marie, 1998, Précis de linguistique générale, l’Harmattan, p.43-45.Zemmour, David, 2004, Initiation à la linguistique, Ellipses, p. 12, 24-26.

85

Page 82: Introduction a La Ling

LE SIGNE LINGUISTIQUE

La tentative d’interpréter le mot comme signe et la langue

comme un système de signes répond au besoin d’expliquer la nature

de la langue en tant qu’instrument de communication. Les unités

lexicales d’une langue sont des signes. On peut donc considérer que

les mots enregistrés dans un dictionnaire représentent la liste des

signes avec lesquels opère la langue en question.

C’est Ferdinand de Saussure qui, au début du XX-e siècle

(Cours, 1916), a élaboré une théorie cohérente du signe linguistique.

La théorie de Saussure

Pour Saussure le signe linguistique est “une entité psychique

à deux faces” (1916, éd. 1978:99). Il est symbole et se caractérise par

l’association, constante dans une langue donnée, d’un signifiant et

d’un signifié.

Le signifiant (Sa) du signe linguistique est une image

acoustique à l’oral ou graphique à l’écrit; il relève de la forme ou

encore de l’expression. C’est donc une forme concrète, visible ou

perceptible à l’oreille, qui renvoie à un concept.

86

Page 83: Introduction a La Ling

Le signifiant n’est pas toujours le son physique, mais

l’empreinte psychique de ce son, c’est-à-dire une forme idéale

théorique d’un élément significatif. Un même message peut être dit

par des personnes différentes, avec des voix différentes, sans

toutefois aboutir à un message différent.

Le signifié (Sé) est un concept, il relève du contenu. Si le

signifiant est l’image acoustique, le signifié est l’image conceptuelle.

C’est l’idée ou le concept qu’évoque le signifiant. Il est donc la

représentation ou la conceptualisation du référent linguistique.

Le signe repose sur l’association de la forme signifiante – ou

signifiant (Sa) – et du contenu de signification – ou signifié (Sé).

La signification est le produit d’une relation fondamentale, la

relation de référence entre le langage et les choses.

Le référent représente la manifestation du monde

observable, la réalité extra-linguistique à laquelle renvoie le signe

linguistique. Le référent est donc l’objet ou la classe d’objets qui

correspond au concept.

Ainsi le signe TABLE est formé de l’image acoustique

rendue par l’enchaînement [tabl] (signifiant) qui évoque l’idée

générale de table: “objet en bois, servant à y mettre des choses, ayant

des dimensions précises et une forme spécifique” (signifié), une

idéee abstraite qui, à son tour, renvoie à la réalité table (référent).

On peut visualiser la relation entre le signe linguistique et

l’objet de la réalité qu’il représente par un triangle sémiotique ou

87

Page 84: Introduction a La Ling

triangle de significations imaginé par Charles Ogden et Ivor Richards

(The Meaning of Meaning, London, 1923):

Référence (concept signifié)

Sa Référent

(symbole) (chose nommée)

Ce diagramme permet de faire les remarques suivantes:

- Il existe un lien direct et réciproque entre le signifiant et le

signifié. Cette relation relève d’une simple convention entre les

usagers de la langue.

- La relation entre le signe et le référent est indirecte parce

qu’elle est médiatisée par le concept (Sé). Les pointillés indiquent

qu’il n’y a pas de lien naturel entre le signe et la chose signifiée ou

référent.

Il faut donc retenir que pour Saussure le signe linguistique

est l’ensemble formé d’un signifié et d’un signifiant intimement unis:

signifié (contenu sémantique d’un concept)

SIGNE = signifiant (image acoustique, expression phonique)

Concept et image acoustique sont pour Saussure des entités

psychiques, non matérielles. Tous deux sont indissociables comme le

88

Page 85: Introduction a La Ling

recto et le verso d’une feuille de papier: c’est un rapport

d’association et non de représentation de l’un par l’autre. En d’autres

termes, le signifiant n’existe que par le signifié et réciproquement, ce

qui explique la présence des deux flèches allant de l’un à l’autre dans

le schéma (Saussure, 1916, éd.1978:99):

On a vu encore que le signe est distinct du référent. Le

référent est une partie du monde, être, chose ou notion (ou classe

d’êtres, choses ou notions), qui appartient au domaine de

l’expérience: il a une existence extra-linguistique. Le signifié, au

contraire, est une réalité psychologique: c’est une abstraction qui

regroupe un certain nombre de caractéristiques communes vérifiées

par l’être, la chose ou la notion en question.

La théorie de Hjelmslev

En continuité avec la pensée saussurienne, Louis Hjelmslev,

le principal représentant de l’école structuraliste de Copenhague

appelée glossématique, considère le signe linguistique comme une

fonction, c’est-à-dire une relation de dépendance entre deux plans: le

plan de l’expression (qui concerne les sons, donc le signifiant

89

Signifié

Signifiant

Page 86: Introduction a La Ling

saussurien) et le plan du contenu (qui concerne le sens, donc le

signifié saussurien), ces deux plans observant les mêmes règles

d’organisation. Chaque plan présente une forme (qui relève de la

langue, c’est-à-dire d’une structure) et une substance (qui relève de

l’usage, de la variation individuelle et n’entre pas dans un système

d’interdépendances):

substance

Contenu

forme

SIGNE

LINGUISTIQUE

SIGNE forme

Expression

substance

La substance de l’expression: il s’agit de la manifestation

sonore, acoustique. C’est le domaine acoustico-phonologique

amorphe, le continuum acoustico-physiologique non divisé. Sa

description relève de la phonétique.

La forme de l’expression: il s’agit du signifiant qui peut

se décomposer en phonèmes. Considérés sur le plan de la forme, les

phonèmes se définissent les uns par rapport aux autres, de manière

variable et arbitraire selon les langues, formant donc une structure.

Sa description relève de la phonologie.

90

Page 87: Introduction a La Ling

La substance du contenu: il s’agit du continuum amorphe

et compact dans lequel les langues établissent des frontières

conceptuelles.

La forme du contenu: il s’agit du signifié envisagé

comme élément d’une structure. Sa description relève de la

sémantique.

Hjelmsev prend l’exemple du spectre des couleurs (1968:71-

72). La substance des termes de couleur correspond au continuum du

spectre. La forme du contenu est liée au découpage que chaque

langue effectue de manière arbitraire entre les couleurs, et qui permet

de les définir les unes par rapport aux autres. Voici ci-dessous le

tableau comparant français et gallois:

gwyrd

vert

bleu glas

gris

brun llwyd

Le signifié (ici telle couleur) doit s’appréhender parmi

l’ensemble des couleurs et ne se définit que par rapport aux autres

couleurs, chaque langue opérant un découpage qui lui est propre.

Il faut donc retenir qu’une même substance extra-

linguistique peut se manifester par des formes variées d’une langue à

l’autre. La dichotomie forme /vs./ substance peut expliquer les

91

Page 88: Introduction a La Ling

nombreuses divergences entre les langues, situées à des niveaux

différents d’analyse.

Par exemple, la relation de parenté (directe ou collatérale)

tient de la substance extra-linguistique, alors que son reflet

linguistique diffère selon les langues. Ainsi le couple lexical nepot

(M) et nepoată (F) du roumain a comme correspondants deux

couples en français: petit-fils / petite-fille, respectivement neveu /

nièce:

petit-fils, petite-fille

nepot, nepoată

neveu, nièce

C’est une aire correspondant à une même substance, à

laquelle correspondent des formes différentes (il s’agit de la forme

du contenu), propres aux deux langues exemplifiées.

Une autre illustration du rapport entre l’identité de la

substance du contenu et la variété des formes dans différentes

langues nous est fournie par la relation de possession, impliquant un

seul possesseur (disons, de la I-e pers.) et un ou plusieurs objets

possédés. Cette relation s’exprime par quatre formes grammaticales

en roumain: (băiatul) meu / (fata) mea, băieţii mei / fetele mele, par

trois formes en français: mon (garçon) / ma (fille), mes (garçons /

filles), par deux formes en espagnol: mi (hijo / hija), mis (hijos /

92

Page 89: Introduction a La Ling

hijas) ou par une seule forme en anglais: my (son / sons; daughter /

daughters).

Il faut bien retenir que l’opposition entre les concepts de

substance et de forme en linguistique a le mérite de mettre en

évidence que la réalité, unitaire de par sa nature objective, est

analysée par les locuteurs et reflétée dans la langue de façon

relativement différente d’une langue à l’autre. Et ceci s’étend des

éléments appartenant au système linguistique jusqu’aux structures

langagières complexes, phrases, énoncés, textes.

Le rapport de solidarité entre contenu et expression institue

la fonction sémiotique: “La fonction sémiotique est en elle-même

une solidarité; expresion et contenu sont solidaires et se présupposent

nécessairement l’un l’autre” (Hjelmslev, 1968:72-73).

Donc, dans la vision de Hjelmslev, “le signe désigne l’unité

constituée par la forme du contenu et la forme de l’expression et

établie par la solidarité que nous avons appelée fonction sémiotique”

(Idem: 82).

La théorie de Bloomfield

Selon la linguistique structurale américaine, le signe

linguistique n’est pas conçu comme une unité biplane (une entité à

deux faces, comme chez Saussure et Hjelmslev), mais comme une

unité monoplane. Le signe linguistique est une phonie (une suite

constituée d’un ou plusieurs sons) qui est en corrélation systématique

93

Page 90: Introduction a La Ling

avec un objet. Le concept est donc exclu de la définition du signe (L.

Bloomfield, 1970).

Les caractéristiques du signe linguistique d’après

Saussure

Le signe linguistique est linéaire. Il est obligatoirement

ordonné dans le temps. Deux unités constitutives de la langue – deux

sons ou deux mots – ne peuvent se trouver au même point de la

chaîne parlée: il est impossible de prononcer deux sons ou deux mots

à la fois. D’où la propriété fondamentale du langage qui fait que les

énoncés sont des suites d’éléments discrets, discontinus, ordonnés de

façon linéaire.

Le signe linguistique est vocal parce qu’il utilise la voix

humaine. Le langage est avant tout un phénomène vocal. Beaucoup

de langues humaines ont ignoré et continuent d’ignorer l’écriture.

Le signe linguistique est différentiel dans la mesure où il

fonctionne par sa présence ou son absence comme une unité discrète,

discontinue. Le signe [kanar] signifie “canard” et non pas [ kanar].

Il est signe par opposition à tous les autres signes du système.

Le signe linguistique est arbitraire, immotivé,

conventionnel.

L’arbitraire du signe linguistique

94

Page 91: Introduction a La Ling

On a déjà vu que la langue associe une certaine expression

(Sa) et un certain contenu (Sé) en signes linguistiques. Cette

association est arbitraire, conventionnelle, chaque langue la

réalisant à sa façon.

La principale caractéristique du signe linguistique, selon

Saussure, réside justement dans son caractère arbitraire, c’est-à-dire

immotivé. Cette affirmation est fondée sur la constatation que le sens

des mots ne demande pas nécessairement une certaine dénomination.

La preuve en est l’existence des noms différents dans différentes

langues pour la même notion: roum. casă, fr. maison, angl. house,

russe дoм (dom), etc. C’est cette absence de lien entre le contenu

exprimé et l’expression que l’on nomme l’arbitraire du signe

linguistique. Le signifiant, dit Saussure, est “immotivé, c’est-à-dire

arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il n’a aucune attache

naturelle dans la réalité” (1916, éd. 1978:101).

Il n’existe donc aucun lien intrinsèque entre une table, le

concept de “table” et la suite de sons [tabl]; aucun lien entre le

canard et le nom du canard et ainsi de suite.

En fait, le terme d’arbitraire est quelque peu impropre, car il

suggère l’idée que les sujets parlants pourraient modifier le signe à

leur fantaisie. Or, entre le complexe sonore (Sa) et la notion (Sé) il

existe un lien nécessaire, conventionnel, qui découle de la nature de

signal de la langue. Cette constatation a été nuancée par Émile

Benveniste qui souligne le fait qu’il existe un rapport de nécessité

95

Page 92: Introduction a La Ling

entre signifiant et signifié puisque tous deux sont indissociables: une

fois que le lien entre signifiant et signifié est établi, il est impossible

aux usagers de le modifier sous peine de ne plus se faire comprendre.

En revanche, le signe dans son ensemble, c’est-à-dire le couple

signifiant / signifié, est arbitraire par rapport au référent extra-

linguistique. En même temps, il est le résultat d’une convention. Une

convention est un accord entre individus. Or la langue est une

convention (à long terme, pouvant se transmettre d’une génération à

l’autre). L’individu ne peut changer la langue que dans la mesure où

la communauté linguistique est d’accord avec cette innovation et la

modification suit l’évolution objective de la langue.

Le problème du rapport arbitraire / motivé

Le problème du rapport arbitraire / motivé entre le Sa et le

Sé est envisagé de façon différente selon que l’on considère: a) le

plan de la formation de la langue; b) celui de la langue déjà formée.

a) Selon l’opinion de la majorité des linguistes, les premières

manifestations linguistiques ont été forcément des interjections et des

onomatopées, qui auraient pu évoquer la représentation, puis l’idée

d’un objet, d’un phénomène, d’une situation. Les premiers mots

auraient donc eu un caractère motivé.

b) Dans le cadre du système déjà formé, la plupart des

éléments composants sont immotivés. L’étymologie (science qui

étudie l’origine et l’histoire des mots) peut parfois expliquer

96

Page 93: Introduction a La Ling

pourquoi un objet porte un certain nom. Par exemple, le fr. abîmer a

signifié initialement “précipiter dans un abîme”; étonner “frapper par

le tonnerre”, etc., mais par l’effacement du sens initial, l’indice qui

s’est trouvé à la base de la dénomination ne peut plus être identifié

par les locuteurs.

La motivation du signe linguistique

À part les mots non motivés, il existe aussi de nombreux cas

où le signe est motivé. La motivation est de deux types: absolue et

relative.

1. La motivation absolue

Ce type de motivation renferme les mots dont la forme

sonore reproduit certaines caractéristiques du contenu.

Les interjections: ah ! oh ! aï !, etc. représentent une

extériorisation naturelle de certains états affectifs.

Les onomatopées: cocorico ! coucou ! tic-tac, etc.

évoquent, par imitation, une sensation auditive. Mais, attention !

les onomatopées ne sont pas identiques dans toutes les langues: le

miaulement d’un chat, le mugissement d’une vache sont différents

d’une langue à l’autre. Ce qui signifie que la motivation de

l’onomatopée n’est que partielle.

Les mots à symbolisme phonétique: roum. înghiţi,

sughiţa, vâjâi évoquent partiellement, par les sons, le phénomène

97

Page 94: Introduction a La Ling

désigné. On parle de symbolisme phonétique aussi lorsqu’un ou deux

sons ont une signification quelconque, par exemple le groupe fl, dont

on dit qu’il évoquerait l’idée d’écoulement: roum. fluviu, fr. fleuve,

angl. to flow, etc. De nombreux linguistes sont d’accord que les

sonorités peuvent avoir une valeur évocatrice, expressive: “Un lien

naturel existe entre les sons aigus et la clarté et entre les sons sourds

et l’obscurité. De là il n’y a qu’un pas à faire pour voir un rapport

entre les mots et les états d’âme” (O. Jespersen, ap. M. Cressot, Le

style et ses techniques, Paris, 1980:29). Les écrivains, surtout les

poètes symbolistes, à la suite de la théorie baudelairienne des

correspondances, essaient d’exploiter de façon systématique le

pouvoir suggestif des sonorités. Par exemple, l’harmonie imitative

dans ce vers de Verlaine: “Les sanglots longs des violons de

l’automne…”.

2. La motivation relative

Ce type de motivation renferme les mots qui présentent une

forme interne analysable, c’est-à-dire une structure transparente.

Les mots dérivés à l’aide de suffixes et de préfixes: roum.

cititor, călătorie, fr. regagner, monumental sont motivés par rapport

à citi, călători, respectivement gagner et monument, même si ceux-ci

sont à leur tour arbitraires ou immotivés.

Les mots composés: all. Wasserfall, russe вoдoпaд

(vodopad), hongr. viseses “cascade” sont motivés par le sens des

98

Page 95: Introduction a La Ling

éléments composants: “eau” et “chute”. De même: fr. perce-neige,

angl. snowdrop (“goutte de neige”), all. Schneeglöckchen (“clochette

de neige”). Fréquemment utilisée en sanskrit ou en vieux grec, la

composition est un procédé très courant de formation de nouveaux

mots dans des langues comme l’allemand, le hongrois, le russe, etc.

Les figures de style sémantiques

Il s’agit de métaphores, comparaisons telles que roum.

fereastră “heures libres”, fr. gueule “bouche d’animaux” (pop.)

“bouche”; un puits de mélancolie “gouffre insondable dû à une

situation psychologique déplorable”; un aigle, terme laudatif quand il

désigne une personne, etc.

La motivation relative par la forme interne représente un

facteur de progrès dans l’évolution des langues; elle réalise une

économie de signes par le recours au matériel lexical déjà existant.

La perte de la motivation du signe linguistique

Parmi les causes se trouvant à la base de la perte de la

motivation des signes linguistiques, on peut mentionner:

La disparition du mot de base

Les verbes roum. pieri et fr. périr lat. PERIRE (formé de

PER + IRE) sont devenus inanalysables, donc immotivés, suite au

fait que le verbe eo, ire (“aller”) n’est entré que partiellement dans

les langues romanes.

99

Page 96: Introduction a La Ling

Dans une famille de mots, la structure motivée est maintenue

par la perception d’une racine en tant que signe fondamental,

caractéristique de toute la famille. En latin, par exemple, la structure

analysable des mots d’une même famille est très évidente. C’est ainsi

qu’autour de la racine CAPIO se sont formés des dérivés très

importants qui se sont conservés dans les langues romanes:

LATIN FRANÇAIS ROUMAIN

CAPIO *capitare - căpăta

*accaptare acheter -

*accaptiare - agăţa

*captiare chasser -

excapitare - scăpăta

incapere - încăpea

incipere - începe

percipere percevoir pricepe

recipere recevoir -

Capio, capere ne s’est conservé ni en français ni en roumain.

C’est la raison fondamentale de la perte de la structure analysable qui

réunissait en latin toute la famille lexicale formée autour de cette

racine.

Les changements phonétiques

Le lat. COLLOCARE était formé de CUM +LOC+ARE,

structure longtemps analysable pour les locuteurs, car LOC- restait

100

Page 97: Introduction a La Ling

intact. Dans les langues romanes (roum. culca, fr. coucher), à cause

de l’évolution phonétique, le lien avec loc, respectivement lieu, s’est

perdu.

Il peut même arriver, comme le fait remarquer Saussure

(1916, éd.1978:102), qu’un mot perde son caractère onomatopéique,

suite à l’évolution phonétique, devenant ainsi immotivé: lat. PIPIO,

PIPIONE(M) fr. pigeon.

Les changements de sens

Certains mots d’une famille, liés par une même racine,

peuvent avoir une évolution sémantique divergente, devenant de la

sorte immotivés: roum. nebun n’est plus senti comme un dérivé

antonymique de bun.

C’est aussi le cas du fr. route lat. RUPTA, part. passé de

rumpere “rompre”. Rupta, initialement épithète de via (via rupta

“route”) arrive à désigner tout seul une “route”. Route devient ainsi

un mot immotivé car aucune attache sémantique n’est plus possible

entre route et rompre.

L’emprunt

L’emprunt représente le cas des mots qui passent d’une

langue où ils étaient analysables, donc motivés, dans une autre où ils

perdent leur motivation. Par exemple, roum. garderobă, portmoneu,

abajur, tirbuşon, empruntés au français garde-robe, porte-monnaie,

101

Page 98: Introduction a La Ling

abat-jour, tire-bouchon, ne sont plus analysables dans leurs éléments

composants, comme dans la langue d’origine.

Malgré les facteurs de perte de la motivation, la tendance

générale de la langue vise à la renforcer. À partir de mots existants

on en forme continuellement d’autres, qui deviennent de la sorte

motivés: roum. floarea-soarelui (floare + soare), fr. comptable,

comptabilité ( compte), etc. C’est un phénomène qui mène au

renforcement du sens concret. Cela répond au principe d’économie

des moyens linguistiques et représente un facteur de progrès dans la

langue.

Bibliographie

Benveniste, Émile, 1966 et 1974, Problèmes de linguistique générale, 2 vol., Gallimard.Bloomfield, Leonard, Language, (1933), trad. fr. 1970, Le langage.Coşeriu, Eugenio, 1995, Introducere în lingvistică, Editura Echinox, p. 21-23, 50-51, 56-57, 94-95, 120-123.Hjelmslev, Louis, 1968, Prolégomènes à une théorie du langage, Minuit.Miclău, Paul, 1967, Căile pierderii motivării în franceză şi în română, in “Probleme de lingvistică generală”, vol. V, Bucureşti, p.116-119.Saussure, Ferdinand de, (1916), éd.1978, Cours de linguistique générale, Payot, p. 97-113

***Graur, Alexandru, Stati, Sorin & Wald, Lucia (red.), 1972, Tratat de lingvistică generală, Editura Academiei, p.183-199.

102

Page 99: Introduction a La Ling

Miclău, Paul, 1970, Le signe linguistique, Klincksieck, Paris, Edition de l’Académie, Bucarest.Vasiliu, Emanuel, 1992, Introducere în teoria limbii, Editura Academiei Române, Bucureşti, p. 14-26.Wald, Lucia (red.), 1977, Antologie de texte de lingvistică structurală, Tipografia Universităţii din Bucureşti, p. 154-169.

103

Page 100: Introduction a La Ling

LA DOUBLE ARTICULATION

DU LANGAGE HUMAIN

Le langage humain est articulé. Formulée par André

Martinet (1970:13-15), la théorie de la double articulation du langage

concerne la combinaison des éléments unitaires constitutifs du

message. Elle stipule que le langage observe deux types

d’organisation ou articulation en éléments distincts constituants du

message.

La première articulation comprend des unités biplanes.

Le message peut se décomposer en une chaîne d’unités significatives

associées à une forme vocale, la combinaison de ces unités obéissant

à certaines règles. Dans la terminologie de Martinet, cette unité est le

monème.

Le monème (du grec monos “seul”) est la plus petite unité

douée d’une forme sonore (le signifiant) et d’un sens (le signifié).

Il ne doit pas être confondu avec le mot, qui peut se

décomposer en plusieurs monèmes. Par exemple dans maison il y a

un seul monème, alors que dans maisonnette il y en a deux (maison

et –ette, suffixe diminutif). De même, la forme verbale chantons se

104

Page 101: Introduction a La Ling

compose du radical chant- et de la désinence verbale -ons, alors que

dans rejetable, on distingue trois monèmes: le préfixe itératif re-, la

racine -jet et le suffixe -able. Le monème peut donc être un mot

simple (maison, fleur), un radical (chant-), un préfixe (re-), un

suffixe (-ette), une désinence (-ons).

Donc:

L’organisation des unités linguistiques dans un énoncé

donné constitue la première articulation du langage.

La deuxième articulation concerne la combinaison

phonique. Si l’on cherche à décomposer le monème en unités de rang

inférieur, il n’existe plus d’unités de sens et l’on entre alors dans le

plan phonique. Un nombre restreint d’unités phoniques distinctes, les

sons de la langue, se combinent pour former un nombre très étendu

de monèmes. Ces unités monoplanes de la deuxième articulation sont

appelées phonèmes.

Les phonèmes sont doués de forme sonore et dépourvus de

sens:

sac [sak] 1 monème 3 phonèmes

dent [dã] 1 monème 2 phonèmes

Les phonèmes ont une valeur pertinente d’opposition,

servant à distinguer les signes linguistiques:

105

Page 102: Introduction a La Ling

[f] / [v] fin / vin

[t] / [d] ton / don

[p] / [b] pierre / bière, poule / boule,

raison pour laquelle ils sont appelés unités distinctives.

Il faut mentionner que les études de phonologie ont été

initiées par les représentants de L’école structurale de Prague (v.

chap. Bref aperçu des idées linguistiques).

La combinaison des unités distinctives (les phonèmes) dans

l’intention de réaliser des oppositions significatives (lexicales ou

grammaticales) représente pour Martinet la deuxième articulation du

langage.

Le nombre de phonèmes varie d’une langue à l’autre, mais il

est fixe pour une langue donnée. Ils appartiennent à une liste fermée.

Chaque langue possède donc un nombre fini de phonèmes.

Les unités linguistiques de base

Martinet distingue parmi les monèmes, les lexèmes et les

morphèmes.

Les lexèmes sont des monèmes appartenant à un inventaire

illimité, à une classe ouverte. Ils trouvent leur place dans le lexique,

le vocabulaire de la langue.

Les morphèmes sont des monèmes relevant de la

grammaire. Ce sont des grammèmes. Ils sont en nombre limité et

appartiennent à une classe fermée.

106

Page 103: Introduction a La Ling

Le syntagme

Ce terme est très courant dans la théorie linguistique

moderne. Saussure l’a proposé pour désigner toute combinaison,

réunion ou fusion de deux ou plusieurs unités significatives en un

complexe. Pour Martinet, toute combinaison d’unités de première

articulation ou monèmes est appelée syntagme. Il s’agit donc d’une

unité syntaxique découlant d’une collocation d’éléments lexicaux.

Les règles de groupement varient selon les langues.

Le terme syntagme, en grammaire générative, est toujours

suivi d’un qualificatif qui définit sa catégorie grammaticale, c’est-à-

dire suivant le rôle et la fonction des monèmes qui composent

chaque syntagme.

Par exemple:

- syntagme nominal (abrégé SN), constitué d’un nom,

éventuellement avec un prédéterminant et un ou plusieurs

déterminants: une maison, ce bon M. Dupont, l’enfant de ma voisine;

- syntagme verbal (SV) constitué d’un verbe et de son

auxiliaire, éventuellement suivi d’un ou de deux compléments

d’objet: (Pierre) se promène, (il) mange une pomme, (il) a écrit une

lettre à son ami;

-syntagme adjectival (SA) constitué d’un adjectif, le cas

échéant, précédé d’un adverbe et suivi d’un complément de

l’adjectif: (un) très beau (film), (un élève) enclin à la paresse, (une

jeune fille) plus appliquée que sa collègue;

107

Page 104: Introduction a La Ling

- syntagme prépositionnel (SP) constitué d’une préposition

et suivi d’un syntagme nominal: (une table) de bois; (des arbres) en

fleur, (il pense) à son examen.

Le tableau des unités linguistiques (selon Martinet)

Unités de la deuxième articulation Unités de la première articulation

Phonèmes Monèmes Syntagmes Énoncés

Voyelles Consonnes Semi-cons. Lexèmes Morphèmes SN SV SA SP Simples Complexes

Définition de la langue

Envisagée sous l’angle de la théorie discutée, la langue peut

se définir comme un système de signes vocaux doublement articulés,

propre à une communauté linguistique donnée. Plus exactement,

pour Martinet, représentant de L’école linguistique appelée

fonctionnaliste, la langue est “un instrument de communication

selon lequel l’expérience humaine s’analyse, différemment dans

chaque communauté, en unités douées d’un contenu sémantique et

d’une expression phonique, les monèmes; cette expression phonique

s’articule à son tour en unités distinctives et successives, les

phonèmes, en nombre déterminé dans chaque langue, dont la nature

et les rapports mutuels diffèrent eux aussi d’une langue à une autre”

(Martinet, 1970:20).

108

Page 105: Introduction a La Ling

La double articulation et l’économie du langage

La double articulation est l’un des traits spécifiques qui

particularisent le langage humain par rapport aux autres systèmes de

communication. Elle permet de réaliser l’économie du matériel

linguistique, la langue étant un outil de communication souple, facile

à manier et capable de transmettre une information complexe avec

économie de moyens d’expression. Le nombre des énoncés possibles

dans une langue est théoriquement infini. De même, la liste des

monèmes d’une langue est ouverte: on ne peut pas préciser avec

exactitude le nombre de monèmes lexicaux d’une langue donnée. En

revanche, la liste des phonèmes est fermée (une trentaine dans le

système de chaque langue). Alors, l’économie de moyens

linguistiques signifie qu’à partir d’un nombre fini de sons, on peut

former un nombre infini de monèmes et donc émettre un nombre

infini d’énoncés.

Bibliographie

Martinet, André, 1970, Eléments de linguistique générale, Armand Colin, Paris, p. 7-10, 13-15, 17-18.

DEUXIÈME SECTION

SYNCHRONIE - DIACHRONIE

109

Page 106: Introduction a La Ling

Le terme de synchronie a été introduit en linguistique par

Saussure en opposition à celui de diachronie (Cours, 1916, chap.

III).

La synchronie (du grec syn “avec” et chronos “temps”)

représente l’aspect de la langue (et son étude) à un moment donné.

La diachronie (du grec dia “à travers” et chronos

“temps”) est l’évolution de la langue et l’étude de cette évolution.

Le caractère en quelque sorte hétérogène de ces définitions

impose une précision préliminaire: la synchronie et la diachronie

dans la vie de la langue ne se confondent pas avec la synchronie et la

diachronie en tant que principes d’investigation de la langue.

a. La synchronie et la diachronie dans la vie de la

langue

Une statique absolue de la langue n’existe pas. La langue, en

tant que phénomène social, est en évolution permanente. La

synchronie est une section découpée dans le flux de la langue, un

point sur la ligne ininterrompue du mouvement, un moment dans

l’écoulement continu de la diachronie.

La synchronie et la diachronie dans la langue ont été

représentées par Saussure (1916, éd.1978:115) sous la forme de deux

axes qui se croisent, l’un horizontal A – B (de la synchronie) et

l’autre vertical C – D (de la diachronie).

110

Page 107: Introduction a La Ling

C

A O B

D

AB = axe des simultanéités–Linguistique

synchronique

CD = axe des successivités – Aspect prospectif

OD (suit le cours du temps) – Aspect rétrospectif

OC (remonte le cours du temps) – Linguistique

diachronique

Le moment synchronique contient un élément dynamique,

dû à la tendance à l’innovation, et un autre statique, déterminé par la

tradition. Il s’agit en somme de la coexistence dans le système

d’éléments vieillis, en voie de disparition, et d’éléments nouveaux,

en voie d’affirmation. Ainsi, en morphologie, on observe

fréquemment l’existence simultanéee, dans un état de langue unique,

de plus d’un système (pluriel des noms en -al: -aux et -s) ou en

syntaxe (ne … pas / pas comme morphèmes de la négation). Des

faits de même ordre s’observent en phonologie. La simple

constatation de l’existence de ces usages différents relève de la

synchronie. Mais dès qu’on observe que l’un d’eux, plus fréquent

que l’autre, semble être en cours de généralisation, on introduit

inévitablement une considération diachronique.

Il faut encore préciser que le “synchronique” n’est pas à

proprement parler du “statique”, puisque le fonctionnement normal

111

Page 108: Introduction a La Ling

d’une langue c’est déjà du mouvement, même si ce n’est pas de

l’évolution.

Dans la langue la synchronie et la diachronie ne s’excluent

donc pas; la synchronie est un moment de la diachronie. Il y a un

rapport dialectique entre ces deux aspects, relevé aussi par Coşeriu

(1958:154-155): “La langue fonctionne en synchronie et se constitue

en diachronie”.

b. La synchronie et la diachronie - principes

d’investigation de la langue

Le problème du rapport entre synchronie et diachronie se

pose différemment en linguistique.

La linguistique synchronique étudie la langue,

abstraction faite de l’action du temps sur elle, sur l’axe des

simultanéités. Elle fait apparaître les relations instituées entre les

unités dans un état de langue donné, c’est-à-dire les systèmes que

constituent ces unités; par exemple, le système du nombre

grammatical du français contemporain. Elle envisage donc la langue

dans son fonctionnement interne telle que parlée au sein d’un groupe

à un moment précis de son évolution historique et sans référence aux

états antérieurs. Par exemple le français du XIV-e siècle, de 1700 ou

de 1995. Donc l’étude synchronique d’une langue porte sur un état

déterminé, qui peut être actuel ou (très) reculé dans le temps (par

exemple le latin).

112

Page 109: Introduction a La Ling

La linguistique diachronique étudie l’intervention du

facteur “temps” dans la langue: son domaine est celui des phases

successives de l’évolution d’une langue. Elle étudie et compare les

différents états d’une langue à travers le temps. Les changements

atteignent tous les systèmes constitutifs de la langue. Par exemple la

comparaison du système phonologique du français moderne à celui

du latin, dont il est issu, donne une idée de l’ampleur du changement:

5 voyelles en latin, chacune d’elles comportant une opposition de

longueur, 14 en français (dans certains systèmes), sans opposition de

longueur pertinente. Quant au système morphosyntaxique, on se

contentera de donner l’exemple des morphèmes des fonctions

nominales: manifestées en latin par l’opposition des cas de la

déclinaison, les fonctions du syntagme nominal le sont en français

par l’ordre des mots et par les prépositions. La déclinaison, déjà

réduite en ancien français à deux cas, a entièrement disparu pour les

noms en français moderne. Des constatations similaires peuvent être

faites en envisageant le système lexicosémantique: le sens des

éléments linguistiques est aussi affecté par l’évolution diachronique.

Par exemple, le signifiant chef, du lat. caput, affecté en ancien

français au signifié ”tête” (il en subsiste dans le composé couvre-

chef), est en français moderne réservé au signifié “supérieur

hiérarchique”.

113

Page 110: Introduction a La Ling

La linguistique diachronique est donc une linguistique

historique. Elle présente deux perspectives, l’une suit le cours du

temps – axe OD – et l’autre remonte le cours du temps – axe OC.

On peut se demander, évidemment, s’il est possible de

dissocier l’étude du fonctionnement de celle de l’évolution, toute

langue changeant à tout instant. Pourtant, dans certaines étapes de la

recherche, la séparation entre la synchronie et la diachronie est non

seulement recommandée, mais même nécessaire. A. Martinet (1967,

2-2) montre qu’un même fait peut être étudié soit d’un point de vue

synchronique, soit d’un point de vue diachronique. Nous empruntons

son exemple (p. 29): “Soixante-six Parisiens nés avant 1920, réunis

par le hasard, ont tous deux voyelles distinctes dans patte et pâte;

parmi quelques centaines de Parisiens nés après 1940, plus de 60%

ont, dans ces mots, une même voyelle [a]”. En synchronie, on

constate que l’opposition [a] vs. [α] n’est pas générale dans l’usage

actuel et que la confusion éventuelle entre ces deux phonèmes

n’empêche pas la communication. En diachronie, on constatera que

l’opposition entre [a] vs. [α] a tendance à disparaître de l’usage

parisien.

c. La synchronie et la diachronie – dans l’histoire

de la linguistique

La recherche synchronique est tout aussi justifiée que celle

diachronique; par surcroît, elle est devenue même une condition de la

114

Page 111: Introduction a La Ling

recherche diachronique. En envisageant le problème du rapport entre

synchronie et diachronie du point de vue de l’histoire de la

linguistique, on constate que le XIX-e siècle a été dominé par la

vision historique dans la recherche des faits de langue, alors que le

XX-e siècle a vu naître la tendance contraire: la description

minutieuse, attentive des éléments du système et de leurs relations,

en dehors de considérations sur leur changement dans le temps.

Saussure accorde la primauté théorique et méthodologique à la

linguistique synchronique sur la diachronie: “L’aspect synchronique

prime sur l’autre puisque pour la masse parlante, il est la seule

réalité” (Cours, p. 128).

Cette réduction scientifique est nécesaire du point de vue

méthodologique: on travaille avec des faits de langue existant en

concomitance en négligeant temporairement ce qui n’appartient pas

au système envisagé du point de vue statique. Le résultat en sera une

image fidèle de la manière dont la langue “est” et “fonctionne” à un

moment donné. Le danger consiste à décréter que les recherches

synchroniques représentent l’unique préoccupation justifiée de la

recherche linguistique. Mais notre image de la langue en serait ainsi

unilatérale et appauvrie. La synchronie ne peut pas répondre à des

questions fondamentales telles que: Comment la langue est-elle

arrivée à l’état actuel ? Comment change-t-elle ? Quelles sont les

causes de ce changement ? La réponse nous est donnée par la

linguistique diachronique, mais pas celle de vieille tradition qui

115

Page 112: Introduction a La Ling

ignorait la recherche synchronique, mais par la linguistique

diachronique moderne, qui valorise pleinement les résultats des

recherches synchroniques. L’évolution d’un système A en un

système B qui lui est postérieur ne peut être décrite qu’en termes de

transformation de la structure synchronique A et une autre structure

synchronique B. Toute évolution met en cause l’organisation

générale du système; son étude ne peut se faire sans connaissance

préalable des états synchroniques.

Aujourd’hui l’intérêt pour la diachronie est très grand. Par

exemple, une des préoccupations, devenue moderne, est la réanalyse

et la grammaticalisation dans l’évolution des langues.

Une vision intégrale sur la langue impose donc d’appliquer

les deux types de recherche. L’un ou l’autre ont leur intérêt, leur

nécessité: la description complète d’une langue doit non seulement

contenir les deux, mais il serait aussi souhaitable que l’un puisse

permettre de comprendre et de prévoir l’autre.

Bibliographie

Saussure, Ferdinand de, (1916), éd.1978, Cours de linguistique générale, Payot, p.114-140.Coşeriu, Eugenio, 1958, Sincronía, diacronía e historia. El problema del cambio lingüístico, Montevideo.

116

Page 113: Introduction a La Ling

Martinet, André, 1955, Économie des changements phonétiques, Francke.Martinet, André, 1967, Eléments de linguistique générale, Armand Colin.

***Arrivé, M., Gadet, F. & Galmiche, M., 1986, La grammaire d’aujourd’hui, Flammarion, p. 220-224, 661-663.Graur, Al. & Wald, Lucia, 1965, Scurtă istorie a lingvisticii, Editura Ştiinţifică, p. 75-76.Graur, Alexandru (coord.), 1972, Introducere în lingvistică, Editura Ştiinţifică, p. 286-300.Graur, Alexandru, Stati, Sorin & Wald, Lucia (red.), 1972, Tratat de lingvistică generală, Editura Academiei, RSR, p. 351-368.

117

Page 114: Introduction a La Ling

LA MÉTHODE COMPARATIVE ET

HISTORIQUE

La linguistique moderne, scientifique, date du début du XIX-

e siècle, étant étroitement liée à la création de la méthode

comparative et historique. Aujourd’hui encore, c’est la principale

méthode d’étude de l’histoire des langues.

Elle représente un ensemble de procédés à l’aide desquels on

étudie l’évolution des langues apparentées et vue d’éclairer leur

histoire. Elle a pour tâche l’établissement de la parenté génétique, le

classement des langues en familles linguistiques et la reconstruction

des langues (ou des formes linguistiques) non attestées.

Aperçu historique de la méthode

La création de la méthode comparative et historique a été

préparée par une longue période où l’on a rassemblé un riche

matériau linguistique et l’on a fait les premières tentatives de classer

les langues d’après les ressemblances entre elles. Déjà au début du

XIV-e siècle, Dante (De vulgari eloquentia) avait entrepris

d’inventorier, pour les comparer, les dialectes italiens, ou encore de

118

Page 115: Introduction a La Ling

classer en familles les langues européennes. Au XVI-e siècle on

formule l’idée de la descendance des langues romanes du latin.

Les tentatives pour répertorier les langues et les classer en

les comparant ne sont donc pas tout à fait nouvelles. La voie vers la

création de la méthode a été ouverte avec la découverte du sanskrit

par les philologues européens. Le sanskrit, la langue sacrée des

brahmans de l’Inde, conservé dans de nombreux textes écrits dans le

premier millénaire av. J. C., a été connu, jusqu’à la conquête de

l’Inde par les Anglais, uniquement par les érudits indiens. Les

ressemblences entre le sanskrit et certaines langues européennes ont

été relevées à plusieurs reprises, mais leur explication par la

descendance de ces langues d’une source commune a été formulée

pour la première fois par l’Anglais William Jones en 1786, lors

d’une communication soutenue à la Société Royale d’Asie de

Calcutta, dans laquelle il soutient la parenté du sanskrit avec le latin,

le grec et les langues germaniques. La fin du XVIII-e siècle marque

donc une étape importante, car on a cherché à regrouper les langues à

partir d’origines communes.

Une autre étape majeure, au début du XIX-e siècle, fut de

proposer une comparaison des langues fondée sur leur structure

grammaticale. C’est dans ce cadre que Wilhelm von Humbldt ou

Friedrich Schlegel proposent une telle typologie des langues. Mais la

grammaire comparée n’est pas encore née pour autant, car cette

119

Page 116: Introduction a La Ling

typologie oppose des types de langues et ne cherche pas à évaluer le

degré de parenté entre elles.

Les principes de l’élaboration de la méthode comparative et

historique ont été élaborés par Franz Bopp et Rasmus Rask.

Le mémoire publié par le linguiste allemand Franz Bopp en

1816 (Le Système de conjugaison du sanskrit comparé à celui du

grec, du latin, du perse et du germanique) est considéré comme

l’acte de naissance de la méthode comparative et historique (bien que

le livre de Rask ait été écrit déjà en 1814, en danois, et publié en

1818). Dans cet ouvrage, tout comme dans sa grammaire comparée

des langues indo-européennes (3 volumes, 1833-1852), Bopp a mis

un accent particulier sur la morphologie (les formes grammaticales,

en particulier les désinences) pour démontrer les rapports de parenté

entre les langues. Ce principe est valable encore aujourd’hui. Il a

déduit que les langues en question proviennent d’une langue non

attestée (nommée arbitrairement par les linguistes l’indo-européen),

dont les traits se sont le mieux conservés en sanskrit.

Le linguiste danois Rasmus Rask, dans son ouvrage publié

en 1818, en danois (Investigation sur l’origine du vieux norrois ou

islandais), où il étudie les relations entre l’islandais, les langues

germaniques, le grec, le latin, le slave et l’arménien, démontre les

traits indo-européens des langues germaniques. Fondateur de la

grammaire historique et de la philologie nordiques, Rask a établi le

principe des correspondances phonétiques, le principal point d’appui

120

Page 117: Introduction a La Ling

dans l’application de la méthode comparative et historique. Rask

s’intéresse ainsi aux changements de lettres et aux transformations

phoniques, évoquant la nécessité d’établir des correspondances,

c’est-à-dire des règles de passage d’une langue à l’autre. La

comparaison n’est plus seulement grammaticale, mais lexicale et

phonique.

Par la suite Jacob Grimm dans sa Deutsche Grammatik

(1819) compare les langues dans une perspective historique fondée

sur des critères morphologiques d’abord, phonétiques ensuite. À son

tour, August Schleicher s’appuie sur des lois de transformations

phonétiques systématisées pour tenter de remonter à une

hypothétique langue originelle. Placée sous l’influence des

recherches biologiques, et plus particulièrement du darwinisme, qui

rayonnent à l’époque sur la plupart des disciplines scientifiques (une

langue naît, se développe, puis décline et meurt), cette recherche le

conduit à l’élaboration d’un arbre généalogique des langues

permettant de situer la famille indo-européenne par rapport à d’autres

familles linguistiques (Stammbaum Theorie).

La méthode comparative et historique a été ensuite appliquée

à des groupes de langues plus restreints. Georg Curtius l’emploie

dans l’étude des langues classiques, A. H. Vostokov l’applique aux

langues slaves, alors que Friedrich Diez (Grammatik der

romanischen Sprachen, 3 volumes, Bonn, 1836-1843) jette les bases

de la grammaire comparée des langues romanes.

121

Page 118: Introduction a La Ling

Les représentants de l’école des néo-grammairiens (Karl

Brugmann, Hermann Osthoff, etc.), courant formé par des jeunes

linguistes à Leipzig, ont élaboré des grammaires historiques des

langues indo-européennes et se sont donné pour ambition d’établir

des lois à caractère universel et immuable, par la prise en compte de

nouveaux facteurs d’évolution, par exemple le contact géographique

entre langues. Ces orientations sont liées au développement de la

dialectologie, science de l’étude des dialectes.

Des mérites incontestables dans le perfectionnement de la

méthode reviennent à Ferdinand de Saussure et à ses élèves. La

contribution la plus importante de Saussure est son célèbre Mémoire

sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-

européennes (1878), où il reconstitue un état plus ancien de l’histoire

de la langue commune et jette les bases du procédé de la

reconstruction interne.

Plus tard, Émile Benveniste applique la reconstruction

interne en morphologie (Origines de la formation des noms en indo-

européen, 1935).

Antoine Meillet, indo-européniste réputé (La méthode

comparative en linguistique historique, Oslo, 1925), corrige l’erreur

d’avoir considéré la langue-source comme étant unitaire, bien qu’on

puisse supposer qu’elle aussi était divisée en dialectes (Les dialectes

indo-européens, Paris, 1908).

122

Page 119: Introduction a La Ling

Négligée ou repoussée par certaines écoles linguistiques

modernes, qui s’occupent intensément de la description de la langue,

la méthode comparative et historique continue d’être le principal

instrument de travail dans la linguistique historique et le seul

instrument de reconstruction des langues non attestées.

Les principes de la méthode

L’application de la méthode comparative et historique a été

possible grâce à deux caractéristiques de la langue: a) la non-

motivation de la forme sonore par rapport au sens (le caractère

arbitraire du signe linguistique; v. chap. Le signe linguistique) et b)

la régularité des changements phonétiques.

a. L’arbitraire du signe linguistique

Il s’agit du fait que dans des langues différentes le même

concept porte des noms différents (par exemple roum. om, angl. man,

hongr. ember, chin. zen, etc.). S’il arrive que dans deux langues non

apparentées les mêmes mots aient des formes ressemblantes il s’agit

soit:

- des mots imitatifs (onomatopées), qui sont motivés: lat.

cuculus, rus.cucuska, all. Kuckuck, angl. cuckoo, turc guguk etc.;

- des mots du langage enfantin, du type mama, tata, papa,

provenant d’articulations involontaires des enfants;

123

Page 120: Introduction a La Ling

- des emprunts: par exemple roum. bivol, gât milă, rană,

empruntés aux langues slaves; les mots turcs ambülans, ekspres,

otobüs sont à leur tour empruntés au français, etc.;

- des ressemblances dues au hasard: chin iaţă et roum. raţă;

roum. fiu “fils” et hongr. fiù “garçon”; bad “mauvais” en anglais et

en persan, etc.

Donc, des ressemblances fondées sur de tels phénomènes ne

peuvent constituer un argument en faveur de la parenté de deux

langues.

Mais si l’on élimine de la sphère des recherches

comparatives et historiques ces types de ressemblances et l’on se

trouve en présence de ressemblances ou d’identités phonétiques,

sémantiques et grammaticales massives, c’est qu’il y a

apparentement linguistique. Par exemple:

LATIN ROUMAIN FRANÇAIS ITALIEN ESPAGNOL

FOCUS,-I foc feu fuoco fuego

SOL,-IS soare soleil sole sol

HOMO,- INIS om homme uomo hombre

LUPUS,-I lup loup lupo lobo

CANTO,-ARE cânta chanter cantare cantar

Dans le cas des langues apparentées (telles les langues

romanes, issues du latin), le nombre d’éléments semblables est en

124

Page 121: Introduction a La Ling

principe considérable. Les ressemblances visent surtout les mots du

fonds principal (le noyau du vocabulaire) et les formes

grammaticales. L’argument le plus concluant de la parenté des

langues est la ressemblance des formes grammaticales irrégulières.

Par exemple:

Sanskrit Latin Gotique

ásti est ist “est” (prés. de être)

ahán ego ik “je” (pron.I-e pers. N)

nám me mik “me”(pron.I-e pers. Ac.)

b. La régularité des changements phonétiques

Pour établir la parenté des langues on s’appuie sur un fait

très important: à savoir que les modifications produites dans l’aspect

sonore d’une langue ont un caractère régulier. Le phonétisme des

langues se développe en conformité avec les lois internes spécifiques

de chaque langue (les lois phonétiques). Ce développement peut

prendre des voies totalement différentes dans deux langues

apparentées, mais à l’intérieur d’une même langue, les sons qui se

trouvent dans une même position se sont transformés de manière

identique. Ainsi si l’on constate que le l intervocalique latin est

devenu en roumain r dans SOL(E) soare, on voit qu’on a le même

changement dans GULA gură, MOLA moară, VOLUNT vor,

etc.

125

Page 122: Introduction a La Ling

On peut mettre en évidence de telles concordances dans

toutes les langues, si l’on considère, par exemple, l’évolution du

groupe latin CT dans les langues romanes:

LATIN ROUMAIN ITALIEN FRANÇAIS ESPAGNOL

OCTO opt otto huit ocho

LACTE lapte latte lait leche

NOCTE noapte notte nuit noche

DIRECTUS drept diretto droit derecho

FACTUM fapt fatto fait hecho

Au fond, ces séries ne valent pas par leurs “ressemblances”

(hecho, par exemple, ne ressemble guère à fapt !), mais par la

régularité de leurs correspondances.

On peut donc exprimer le traitement du groupe latin – CT –

dans les langues romanes par la formule:

lat. ct = rm. pt = it. tt = fr. it = esp. ch

Comme l’action des lois phonétiques est limitée dans le

temps, les mots empruntés ne subissent plus l’influence de ces

transformations. Le roum. nocturn, le fr. nocturne, l’esp. nocturno

(du lat. nocturnus), qui conservent le groupe latin ct, indiquent, par

leur forme même, que ce sont des formes savantes, donc des

126

Page 123: Introduction a La Ling

emprunts, soit du latin (en français) soit d’une autre langue romane

(en roumain).

Les correspondances phonétiques ont agi aussi dans les

langues qui se sont séparées depuis très longtemps du tronc commun

(l’indo-européen). Les spécialistes ont constaté par exemple que la

consonne gutturale sourde *k de l’indo-européen s’est maintenue

telle quelle en latin (centum), s’est transformée en s en sanskrit

(satam), en vieux persan (satem) et en vieux slave (suto) et en h dans

les langues germaniques (all. hundert, angl. hundred).

Voici encore, dans quelques langues indo-européennes, les

mots pour “mère” et “père”:

“Mère”. Ancien nordique: mothir; irlandais: mathir; latin:

mater; grec: mater ou meter; vx. slave: mati; arménien: mayr; ancien

indien: mâta.

“Père”. Gotique: fadar; irlandais: athir; latin: pater; grec:

pater; arménien: hayr; ancien indien: pita.

On observe que: a) les mots de ces listes sont en relation

sémantique constante; b) ils sont aussi en relation constante sur le

plan des signifiants. Dans le cas de la série “mère”, on trouve dans

toutes les langues un m initial. Dans le cas de la série “père”, on peut

remarquer que le f du gotique correspond à un p en latin, en grec et

en ancien indien, à ø en irlandais et à un h en arménien. Le caractère

systématique de cette concordance est confirmé par d’autres séries

127

Page 124: Introduction a La Ling

onomasiologiques (par exemple: got. fisks, irl. iasc, lat. piscis

“poisson”).

La reconstruction linguistique

Établir la parenté des langues ne représente qu’un premier

pas dans l’application de la méthode comparative et historique. Le

but principal de la méthode est la reconstruction de la langue-base,

permettant d’étudier ensuite l’évolution historique des langues qui en

dérivent (surtout pour les périodes pour lesquelles on ne dispose pas

de témoignages écrits). En comparant les langues dans leurs formes

attestées et se servant de leur histoire, les spécialistes peuvent établir

quelles sont les langues qui ont conservé la forme primitive ou de

quelles formes primitives peuvent s’expliquer les variantes attestées.

C’est ainsi qu’en s’appuyant sur les faits linguistiques connus, on

peut reconstruire en quelque sorte a) soit la langue-base dans le cas

où elle n’est pas attestée (par exemple le vieux germanique, source

des langues germaniques actuelles, le vieux slave, d’où sont issues

les langues slaves actuelles ou même l’indo-européen); b) soit (dans

le cas d’une langue attestée telle le latin) l’état datant de l’époque qui

sépare les dernières attestations de la langue-base des plus vieilles

données sur les langues qui en dérivent.

Pour reconstruire l’étymon dans la langue-base on choisit les

plus vieilles formes linguistiques attestées, en comparant les corps

sonores phonème par phonème. Par exemple, en comparant les mots

128

Page 125: Introduction a La Ling

indo-européens signifiant “coeur” (lat. cor, -dis, grec kardia, angl.

hart, all. Herz, russe сердцe (serdtze), on constate, conformément à

la correspon-dance phonétique régulière, “l’identité“ de la première

consonne dans toutes les langues: k, h, s proviennent d’un *k primitif

(l’astérisque indique que l’on a affaire à une forme reconstruite

hypothétiquement). La voyelle suivante étant différente (o, a, e), il

en résulte qu’aucune n’est primitive. On peut supposer que la

consonne r était syllabique (comme elle l’est aujourd’hui en tchèque)

et cet r a dégagé diverses voyelles avec lesquelles il s’est combiné.

R est donc primitif, tout comme le d qui suit. En latin, le mot est

identique à la racine, en grec on lui a attaché le suffixe -ia, en slave -

tze. Le résultat de la reconstruction serait un i.e. *krd d’où peuvent

s’expliquer toutes les formes dans les langues attestées et dans les

langues intermédiaires reconstruites (vieux slave et vieux

germanique).

Le principal problème que pose la reconstruction est celui de

la réalité des formes reconstruites. On a reconnu la valabilité du

procédé grâce aux formes latines découvertes dans des textes, après

avoir été initialement reconstruites. Par exemple le mot roumain

căpăţână a été longtemps considéré comme un dérivé de cap. Al

Graur (Corrections roumaines au REW, “Bulletin linguistique“, V,

1937, p.14) formule l’hypothèse d’un possible étymon reconstruit

*capitina, pour qu’en fin de compte la forme capitina soit

129

Page 126: Introduction a La Ling

découverte dans un texte (Maria Iliescu, Revue de linguistique, 2,

1960, p. 319-321), ce qui prouve que la reconstruction a été correcte.

On ne peut pas appliquer cette méthode à tous les

compartiments de la langue avec les mêmes chances de succès.

Le système phonétique peut être reconstruit avec le plus

d’exactitude, car on travaille dans ce cas avec des unités en nombre

relativement restreint et qui se sont transformées dans chaque langue

de manière régulière, conformément à certaines lois.

On peut ensuite appliquer la méthode avec succès dans le

domaine de la morphologie, car c’est l’une des parties les plus

stables de la langue. Les formes irrégulières constituent une preuve

irréfutable de la parenté (par exemple le lat. sunt, le sanskrit santi,

l’allemand sind ou le viex slave sonti permettent de reconstruire un

i.e.*snt).

Les plus grandes difficultés surgissent lorsqu’on veut

appliquer la méthode comparative et historique en général et la

reconstruction en particulier aux faits de syntaxe. Cela est dû aux

rapports entre la syntaxe et les structures logiques de la pensée,

identiques – en grandes lignes – chez tous les peuples. Donc, dans le

cas de constructions communes, il est difficile de préciser si elles

tirent leur source de la langue-base ou bien si elles ont été créées

indépendamment dans chaque langue.

130

Page 127: Introduction a La Ling

Bibliographie

Ducrot, Oswald & Schaeffer, Jean-Marie, 1996, Noul dicţionar enciclopedic al ştiinţelor limbajului, Editura Babel, p. 17-24Iordan, Iorgu, 1962, Lingvistica romanică. Evoluţie. Curente. Metode, Editura Academiei RPR.Graur, Al. & Wald, Lucia, 1965, Scurtă istorie a lingvisticii, Editura Ştiinţifică, p. 19-35.Graur, Alexandru, Stati, Sorin & Wald, Lucia (red.), 1972, Tratat de lingvistică generală, Editura Academiei, p. 88-102.Malmberg, Bertil, 1991, Histoire de la linguistique, de Sumer à Saussure, PUF, coll. “Fondamental”.Mounin, Georges, 1967, Histoire de la linguistique, des origines au XX-e siècle, PUF, “Quadrige”.Zemmour, David, 2004, Initiation à la linguistique, Ellipses, p. 9-11, 43-44.

131

Page 128: Introduction a La Ling

LA CLASSIFICATION GÉNÉALOGIQUE

DES LANGUES

La classification des langues

Elle peut se faire en observant divers critères:

La classification généalogique (ou génétique) groupe les

langues, selon le critère de l’origine commune, en familles de

langues.

La classification typologique groupe les langues selon les

traits communs de leur structure (v. chap. La typologie linguistique).

La classification généalogique

Par cette classification les langues sont groupées en tenant

compte de leur degré de parenté, de leur provenance d’une source

commune, la même langue-base (langue-mère). Celle-ci peut être

attestée (par exemple le latin, source des langues romanes), ou non

attestée (par exemple le germanique ou le slave communs).

Les différences existant entre les langues apparentées sont le

résultat de leur évolution spécifique.

La classification généalogique détaillée est devenue possible

à peine au XIX-e siècle, avec l’application de la méthode

132

Page 129: Introduction a La Ling

comparative et historique, quoique les ressemblances entre les

langues aient été observées dès le Moyen Âge. Au Moyen-Orient,

par exemple, c’est dès le X-e siècle que les grammairiens juifs et

arabes ont remarqué les similitudes entre l’hébreu et l’arabe et ont

entrevu l’existence d’une famille que l’on appellera plus tard la

famille sémitique. En Europe, l’origine latine de certaines langues a

été reconnue par Dante au début du XIV-e siècle (v. chap. Bref

aperçu des idées linguistiques). Enfin, d’autres apparentements ont

été aussi pressentis dès le XIII-e siècle: entre le grec ancien et les

dialectes grecs modernes, entre certaines langues d’origine celtique,

etc.

Les familles de langues

La famille indo-européenne

Elle est la plus importante des familles linguistiques en

nombre de langues et de locuteurs. Elle est aussi la plus étudiée. En

font partie la plupart des langues d’Europe, certaines langues d’Asie,

ainsi que les langues parlées aujourd’hui par la plupart des habitants

du continent américain et de l’Australie. On peut donc constater

l’extension géographique des langues de cette famille. Toutes ces

langues se sont détachées d’une langue ancienne, nommée

arbitrairement par les savants la langue indo-européenne.

La parenté de ces langues apparaît aussi bien dans leur

vocabulaire que dans leur grammaire. Seules quelques rares langues

133

Page 130: Introduction a La Ling

européennes (le hongrois ou magyar, le finnois, l’estonien, le lapon,

le basque, le turc) appartiennent à d’autres familles. En partant de

l’hypothèse que les caractères communs de ces langues viennent

d’un ancêtre unique, il est possible de reconstituer la plupart des

propriétés caractéristiques de cet ancêtre (v. chap. La méthode

comparative et historique). Il est alors évident que l’on peut étudier

selon le même procédé les diverses branches de la famille indo-

européenne et proposer la construction d’un arbre linguistique ayant

pour racine cet ancêtre commun: le proto-indo-européen (c’est-à-dire

l’indo-européen primitif). Cette théorie de l’arbre linguistique a été

élaborée, vers les années 1860, par le philologue allemand August

Schleicher (v. chap. La méthode comparative et historique). Le

proto-indo-européen, tel qu’ont cru pouvoir le reconstituer les

comparatistes, devait être une langue dans laquelle les noms se

déclinaient et connaissaient trois nombres: le singulier, le duel et le

pluriel, et deux genres: l’animé (scindé plus tard en masculin et

féminin) et l’inanimé (devenu plus tard le neutre). Le verbe avait

deux voix: l’actif et le médio-passif, et trois modes: l’indicatif, le

subjonctif, l’optatif, ainsi que de nombreuses formes d’impératif.

“Quoiqu’il en soit, on peut se demander si le proto-indo-

européen des linguistes a réellement existé. Langue de peuplades ne

connaissant pas l’écriture, il ne s’agit pas d’une langue attestée, mais

d’une langue reconstituée hypothétiquement: en fait, ce n’est pas un

134

Page 131: Introduction a La Ling

indo-européen qui a dû être parlé réellement, mais des indo-

européens, des dialectes assez voisins (…).” (Perret, 1998:17)

La famille des langues indo-européennes est elle-même

ramifiée en sous-familles ou branches.

1. Les langues indiennes

Elles sont connues sous les trois aspects de leur évolution:

ancien, moyen, moderne.

a) L’ancien indien connaît deux variantes:

- la langue védique, celle des plus vieux textes: les Veda

(XVIII-X siècles av. J.C. – recueil d’hymnes, de prières attribués à la

révélation de Brahma), les Sutra (règles concernant la vie religieuse,

juridique et familiale), les Upanichades (VIII - VI-e siècles av. J. C.,

méditations philosophiques);

- le sanskrit: langue littéraire (la langue des célèbres épopées

Mahabharata et Ramayana) et le sanskrit classique (dans lequel sont

écrites les oeuvres de Kalidassa, V-e siècle av. J. C.). Les

grammaires du sanskrit écrites à cette époque-là (Panini, IV-e siècle

av. J. C.) sont supérieures aux grammaires latines ou grecques.

b) Le moyen indien (pāli - langue sacrée du bouddhisme

méridional et prākrits – littéralement “vulgaires”).

135

Page 132: Introduction a La Ling

c) L’indien moderne est constitué d’un grand nombre de

langues:

- l’hindoustani est la langue nationale des Indiens. Elle a

deux formes littéraires: l’hindi (langue officielle de l’Union indienne,

à côté de l’anglais - environ 200 millions de locuteurs) et l’ourdou

(langue officielle au Pakistan, à côté du bengali, et dans plusieurs

États indiens – environ 75 millions de locuteurs);

- le bengali (langue officielle au Bengale et au Pakistan –

environ 150 millions de locuteurs). C’est la langue dans laquelle sont

écrites les oeuvres de Rabindranat Tagore;

- le gitan (tzigane, romani) est la langue d’une population

indienne partie du nord-ouest de l’Inde au V-e siècle, arrivée en

Europe au XV-e siècle.

En Inde on parle aussi des langues non indo-européennes,

surtout à l’Est et au Sud, des langues dravidiennes.

2. Les langues iraniennes

Elles proviennent de l’iranien commun et se divisent en deux

groupes:

L’iranien occidental

Les langues de ce groupe présentent trois phases d’évolution:

a) Le vieux perse (connu par des inscriptions cunéiformes,

dont les plus vieilles datent de l’époque de Darius et de Xerxes);

136

Page 133: Introduction a La Ling

b) Le moyen perse (pehlevi ou pahlavi, du III-e siècle av. J.

C. au IX-e siècle de notre ère);

c) Les langues modernes:

- le persan (langue officielle en Iran et en Afghanistan, à

côté de l’afghan, environ 20-25 millions de locuteurs) est la langue

de Firdousi;

- le tadjik (langue officielle en Tadjikistan, parlée aussi en

Iran, en Afghanisatn, en Kazahstan - environ 3 millions de

locuteurs);

- le kurde (parlé en Kurdistan, territoire partagé par la

Turquie, l’Iran, l’Irak, la Syrie et l’ex-URSS).

L’iranien oriental comprend des langues autrefois parlées en

Asie centrale:

- le sarmathe;

- le scythe;

- le bactrien, etc.

et des langues modernes:

- l’afghan (langue officielle en Afghanistan, à côté du

persan; environ 12-15 millions de locuteurs);

- l’ossète (parlé dans le Caucase central; environ 300.000 –

400.000 locuteurs) représente un reste de l’ancien scythe), etc.

Les langues indiennes et iraniennes sont très apparentées,

étant connues sous le nom de langues indo-iraniennes ou aryennes.

137

Page 134: Introduction a La Ling

3. Les langues tokhariqes sont des langues mortes, parlées

jusqu’au VII-e siècle au Turkestan.

4. Les langues anatoliennes sont des langues parlées dans

l’Antiquité en Asie Mineure, dont le hittite, avec des textes des XIX

– XII siècles av. J. C., les plus vieux textes indo-européens (écrits en

alphabets hiérogliphique et cunéiforme).

5. L’arménien forme à lui seul un groupe distinct. C’est la

langue officielle en Arménie, parlée aussi en Turquie, au sud-est de

l’Europe (y compris en Roumanie), au Canada, aux États-Unis, en

Amérique du Sud (environ 4 millions de locuteurs). L’arménien a

une physiononomie à part, vu qu’il s’est formé et développé au sein

de langues non indo-européennes. La langue est attestée dès le IX-e

siècle, quand on a traduit la Bible. Elle a un alphabet propre.

6. Le groupe illyrien, thraco-phrygien et albanais

Localisé dans la Péninsule Balkanique, ce groupe comprend:

- l’illyrien (au nord-ouest des Balkans), identifié au VIII-e

siècle av. J. C., était formé d’un groupe de langues comprenant les

idiomes des Slaves du sud;

- le thrace - langue parlée au nord-est de la Péninsule

Balkanique par une population très nombreuse. Le getto-dace faisait

partie de la branche thrace. On n’en a conservé que des noms de

138

Page 135: Introduction a La Ling

localités et de personnes, quelques glosses et inscriptions en alphabet

grec (Ezerovo, Bulgarie, V-e siècle av. J. C.);

- l’albanais (peut-être un descendant de l’illyrien), langue

officielle en Albanie (avec deux dialectes: le tosk et le geg), parlée

également en Serbie (Kossovo), en Bulgarie, en Turquie et dans le

sud de l’Italie (environ 3 - 4 millions de locuteurs).

7. Le groupe hellénique

Ce groupe comprend deux sous-groupes:

- le grec:

a) le grec ancien (les plus anciennes oeuvres littéraires sont

les poèmes homériques, IX-VIII siècles av. J. C.) s’étend jusqu’au

VI-e siècle de notre ère;

b) le grec moyen (byzantin), nommé ainsi parce que le seul

centre de culture grecque a été le Byzance (Constantinople), s’étend

du VI-e au XV-e siècles;

c) le grec moderne (néogrec), à partir du XVI-e siècle,

langue officielle en Grèce, à Chypre, parlée aussi dans certaines

zones des Balkans, de Turquie, d’Italie (environ 10 millions de

locuteurs). L’époque moderne a vu une tension entre une variété

littéraire, pure, katharevousa, et une variante dite “populaire”,

demotiki; aujourd’hui, unifiées en demotiki.

139

Page 136: Introduction a La Ling

- le macédonien - langue du peuple d’Alexandre le Grand

(parlée dans la Macédoine, région historique située au nord de la

Grèce), quittée dès le IV-e siècle av. J. C. en faveur du grec.

8. Les langues slaves

Le groupe slave se subdivise en trois sous-groupes:

a) Le slave oriental (d’Est) qui s’est scindé en:

- le russe (parlé par plus de 120 millions de personnes,

langue officielle en Russie). Cette langue a connu au XIX-e et au

XX-e siècles une remarquable expansion vers l’Est et a joué le rôle

d’une langue fédératrice dans l’espace de l’ancienne Union

Soviétique;

- le biélorusse (ou le russe blanc), langue officielle en

Biélorussie (environ 10 millions de locuteurs);

- l’ukrainien (langue officielle en Ukraine; environ 35

millions de locuteurs).

Toutes ces langues utilisent l’alphabet cyrillique.

b) Le slave occidental comprend:

- le polonais (langue officielle en Pologne; environ 35

millions de locuteurs);

- le tchèque (langue officielle en Tchéquie; environ 10

millions de locuteurs);

- le slovaque (langue officielle en Slovaquie; environ 4

millions de locuteurs);

140

Page 137: Introduction a La Ling

Ces langues utilisent l’alphabet romain (ou latin).

À part les langues sus-mentionnées, ce groupe comprend

aussi quelques langues de moindre diffusion dont survit encore:

- le sorabe (parlé en ex-République Démocratique

d’Allemagne, sur un territoire restreint uniquement à la campagne

entourant Cottbus et Bautzen; environ 100.000 locuteurs, tous

bilingues). Cette langue occupe une position intermédiaire entre le

polonais et le tchèque.

c) Le slave méridional (de Sud) comprend:

- le bulgare (langue officielle en Bulgarie; environ 7-8

millions de locuteurs). Cette langue utilise l’alphabet cyrillique;

- le macédonien (langue officielle en Macédoine, province

de l’ex-Yougoslavie, parlée aussi en Bulgarie et en Grèce; environ

1,5 millions de locuteurs);

- le serbo-croate (le serbe est langue officielle en Serbie, le

croate en Croatie; environ 20 millions de locuteurs). Les Serbo-

Croates ont formé d’abord un seul groupe, mais qui, à cause des

conditions culturelles et politiques différentes, sont passés dès le

Moyen Âge à deux variantes avec des graphies différentes (le serbe

se sert de l’alphbet cyrillique, alors que le croate utilise l’alphabet

romain);

- le slovène (langue officielle en Slovénie; presque 2 millions

de locuteurs); alphabet latin.

141

Page 138: Introduction a La Ling

Les plus vieux textes sud-slaves datent du IX-e siècle et

représentent des traductions de textes religieux grecs faites par les

moines Cyrille et Méthode, créateurs de l’alphabet cyrillique. Ils ont

écrit dans un dialecte nommé le slavon, le vieux slave ou le vieux

bulgare, qui s’est imposé au Moyen Âge comme langue du culte

religieux chez tous les peuples slaves orthodoxes (en Roumanie

aussi, comme langue de l’église et des documents officiels).

9. Le groupe balte

Les langues baltes se rapprochent des langues slaves. Ce

groupe comprend:

- le lituanien (langue officielle en Lituanie; environ 3

millions de locuteurs);

- le letton (langue officielle en Lettonie; environ 2 millions

de locuteurs);

- le vieux prussien (langue éteinte dès les XVII-XVIII

siècles, les Prussiens étant assimilés par les Allemands).

Les groupes balte et slave sont souvent associés au sein d’un

groupe balto-slave.

10. Les langues germaniqes

Le groupe germanique comprend trois sous-groupes:

a) Le groupe oriental representé par:

142

Page 139: Introduction a La Ling

- le gotique (ou gothique), langue disparue, qui a été parlée

par une population venue des régions de la Vistule et qui a fondé au

cours du II-e siècle de notre ère deux puissants royaumes: ostrogoth

et vizigoth. Cette langue est connue grâce à quelques fragments de la

Bible traduits par l’évêque Wulfila (IV-e siècle), créateur de

l’alphabet gothique;

- le burgonde;

- le vandale.

b) Le groupe nordique ou scandinave, qui procède du vieux

norrois et possède les plus vieux textes germaniques, des inscriptions

datant du III-e siècle de notre ère, écrits en caractères runiques. La

période de la communauté nordique dure jusqu’au IX-e siècle, après

quoi les différenciations dialectales s’acentuent menant à la création

de quatre langues:

- l’islandais (langue officielle en Islande; 200.000 locuteurs);

caractère archaïque à cause de l’isolement; proche du vieux norrois;

- le norvégien (langue officielle en Norvège; plus de 4

millions de locuteurs);

- le suédois (langue officielle en Suède et en Finlande, avec

le finlandais; plus de 8 millions de locuteurs);

- le danois (langue officielle au Danemark, y compris le

Groenland; environ 5 millions de locuteurs).

c) Le groupe occidental (d’Ouest) est le plus nombreux. Il

comprend:

143

Page 140: Introduction a La Ling

- l’allemand (langue officielle en Allemagne, en Autriche, au

Luxembourg, en Suisse, au Liechtenstein; environ 100 millions de

locuteurs). Jusqu’au XIX-e siècle, entre les dialectes de l’allemand il

y avait de très grandes différences. Le processus d’unification réalisé

sous l’influence des grands écrivains et philosophes classiques

(Lessing, Schiller, Kant) n’est pas complètement achevé;

d’importantes différences dialectales subsistent encore de nos jours;

- le hollandais (langue officielle en Hollande, environ 12-13

millions de locuteurs; c’est aussi la deuxième langue de 4 millions

d’Afrikaaners en Afrique du Sud; parlé aussi en Amérique, en

Océanie). La langue littéraire moderne est connue sous le nom de

néerlandais;

- le flamand (variété locale du néerlandais, langue officielle

en Belgique, avec le français; environ 5-6 millions de locuteurs);

- le yiddish (langue maternelle pour 1 million de personnes et

environ 5 millions de locuteurs; ne vit guère que sur le territoire de

l’ancienne Union Soviétique, en Israël et aux Etats-Unis). C’est une

langue germanique provenant d’un dialecte moyen-allemand, avec

des éléments provenant de l‘hébreu, qui est devenue partiellement

une langue internationale des Juifs;

- l’anglais (langue officielle et première langue en Grande-

Bretagne, aux États-Unis, au Canada, sauf le Québec, en Australie,

en Nouvelle Zélande, en Afrique du Sud, soit au total environ 354

millions de locuteurs; avec une expansion devenue mondiale, langue

144

Page 141: Introduction a La Ling

officielle, seule ou avec d’autres langues, souvent seconde langue, en

Afrique, dans la mer des Antilles, dans l’Océan Indien, en Asie, en

Océanie, soit au total environ 312 millions de personnes). Cette

langue est apportée aux V-e et VI-e siècles par les tribus

germaniques du nord de l’Allemagne (anglo-saxons). Avant cette

date on y parlait des langues celtiques. L’anglais procède de la

standardisation des parlers anglo-saxons, ayant subi des influences

danoises et norvégiennes, pénétrés par le latin et fortement influencés

par l’anglo-normand depuis 1066.

11. Les langues italiques parlées dès l’Antiquité dans la

Péninsule Italique. Elles forment deux groupes:

- l’osque-ombrien (l’ombrien était localisé dans la vallée du

haut Tibre, alors que l’osque occupait l’Italie méridionale);

- le latino-falisque (le falisque était pratiqué au nord de

Rome, alors que le latin est devenu la plus importante langue

italique). Parlé d’abord autour de Rome, dans la région appelée

Latium, le latin s’étend dans toute la péninsule, pour devenir la

langue de l’Empire Romain (du nord de l’Afrique et de la Péninsule

Ibérique, en passant par la Gaule, en Dacie et au sud du Danube). Au

moment où l’empire s’effondre (V-e siècle de notre ère) la langue de

chaque province évolue différemment, ayant comme résultat la

formation des langues romanes.

145

Page 142: Introduction a La Ling

12. Les langues romanes comprennent deux groupes:

a) Le groupe occidental est représenté par:

- le portugais (environ 200 millions de locuteurs; langue

officielle au Portugal et au Brésil; il est également parlé dans les pays

qui ont été colonisés par le Portugal, surtout en Afrique - en Angole

et au Mozambique). Cette langue s’est formée dans l’ancienne

provine romaine la Lusitanie;

- l’espagnol (plus de 300 millions de locuteurs; langue

officielle en Espagne, dans le reste de l’Amérique Centrale et du

Sud). Elle s’est formée sur la base du dialecte castillan;

- le catalan (environ 7 millions de locuteurs; parlé en

Catalogne, province espagnole dont la capitale est Barcelone, où le

catalan est langue officielle, aux îles Baléares, en Andorre). À part la

Péninsule Ibérique, le catalan est aussi parlé en France, dans la

province appelée le Roussillon;

- l’occitan ou le provençal (entre 7-12 millions de locuteurs,

selon différentes sources; parlé dans 38 départements du Midi de la

France). À noter, pour éviter les possibles confusions, que le terme

de provençal s’emploie au sens large, synonyme d’occitan et au sens

retreint, pour nommer un dialecte de l’occitan. Ce n’est pas une

langue uniforme au point de vue linguistique; l’occitan est formé de

plusieurs parlers romans de langue d’oc. Le vieux provençal, est une

langue de culture, la langue de la poésie des troubadours;

146

Page 143: Introduction a La Ling

- le français (environ 57 millions de locuteurs en France;

langue officielle en France, en Belgique, à côté du flamand, en

Suisse, à côté de l’allemand, de l’italien, et du romanche, en

Andorre, à côté de l’espagnol et du catalan, au Luxembourg, à côté

de l’allemand, au Canada - environ 6,5 millions de locuteurs

(Québec) et dans les ex-colonies françaises, Haïti, Algérie, etc., soit

au total environ 90-100 millions de sujets parlants). Le français s’est

formé sur la base du dialecte francien parlé dans l’Ile-de-France. On

considère comme acte de naissance de la langue française les

Serments de Strasbourg, prononcés en 842 par Charles le Chauve et

Louis le Germanique, petits-fils de Charlemagne;

- le rhéto-roman (environ 800.000 locuteurs; c’est un groupe

de dialectes parlés dans quelques régions de l’Italie, de la Suisse et

de l’Autriche). On distingue trois groupes distincts:

1) les dialectes occidentaux: le romanche (langue parlée dans

le canton des Grisons, en Suisse orientale); le ladin ou engadinois

(parlé dans le Tyrol du Sud);

2) les dialectes centraux: le ladin dolomitique (parlé en Italie,

dans la région des Alpes Dolomitiques);

3. les dialectes orientaux: le frioulan, parlé dans le Frioul, au

nord-est de l’Italie;

- le sarde (environ 1.200.000 de locuteurs; langue à caractère

archaïque parlée en Sardaigne, formée d’un groupe de dialectes);

147

Page 144: Introduction a La Ling

- l’italien (environ 60 millions de locuteurs; langue officielle

en Italie, y compris en Sicile, en Suisse, à côté du français, de

l’allemand et du romanche, au Vatican et dans la République

indépendante de Sain-Marin). L’italien s’est formé sur la base du

dialecte toscan, langue de Dante, de Pétrarque, de Boccace.

b) Le groupe oriental comprend:

- le dalmate (langue morte aujourd’hui, parlée en Croatie, est

de l’Adriatique); les derniers sujets parlants ont disparu au XIX-e

siècle;

- le roumain (environ 25 millions de locuteurs). Le premier

texte est La lettre de Neacşu de Câmpulung adressée au juge de

Braşov Hans Benkner (1521). A la base de la langue littéraire se

trouve la langue employée par le diacre Coresi, dans le seconde

moitié du XVI-e siècle (sud de la Transylvanie et nord de la

Valachie).

Le roumain commun s’est scindé en plusieurs dialectes:

a) au nord du Danube:

- le daco-roumain (le roumain actuel);

b) au sud du Danube:

- l’aroumain (macédoroumain) – environ 350.000 locuteurs

(dans la Péninsule Balkanique, sur un vaste territoire, en Grèce, en

ex-Yougoslavie, en Bulgarie, en Albanie); idiome à caractère

archaïque, peut-être le plus proche du roumain commun;

148

Page 145: Introduction a La Ling

- l’histroroumain (idiome parlé dans la Péninsule Histria, sur

la rive de la Mer Adriatique); le nombre de sujets parlants va

diminuant et se situe à environ un millier;

- le méglénoroumain – le nombre de locuteurs est apprécié à

14.000-25.000 (idiome parlé dans quelques localités grecques, sur la

vallée du Vardar, et dans la Macédoine ex-yougoslave).

13. Les langues celtiques

Les Celtes occupaient au milieu du 3-e siècle av. J.C. deux

tiers du continent européen, mais leur espace allait par la suite se

rétrécir sous la pression d’autres populations.

Selon que l’on parle des langues celtiques anciennes ou

contemporaines, on emploie des termes différents.

Le celtique ancien se subdivise en: gaélique (Irlande et

Ecosse), celtibère (dans la Péninsule Ibérique;) et brittonique, dont

faisait partie le gaulois, la plus vieille langue celtique attestée, qui

consitue le substrat du français.

Les langues modernes, cantonnées à l’extrême ouest et nord-

ouest de l’Europe, sont formées de deux groupes:

a) Le groupe insulaire est représenté par:

- le gaélique qui comprend: le gaélique irlandais ou

l’irlandais et le gaélique d’Écosse ou l’écossais. Ces langues ont le

statut de langues co-officielles, à côté de l’anglais;

149

Page 146: Introduction a La Ling

- le brittonique comprend: le gallois, parlé, à côté de

l’anglais, au Pays de Galles; le cornique, parlé dans le Cornwall,

langue éteinte au XVIII-e siècle, mais qui connaît un remarquable

mouvement de résurrection, comme toutes les langues celtiques

d’ailleurs; le manxois, parlé dans l’île de Man.

b) Le groupe continental comprend aujourd’hui le breton,

langue parlée en Bretagne et apportée par une population venue aux

V-VI-e siècles du Sud de l’Angleterre.

Les autres familles de langues

La famille des langues sémito-chamitiques (Péninsule

Arabique, nord et nord-est de l’Afrique), avec deux branches, dont

les noms dérivent d’un tableau des populations comprises dans la

Bible (Genèse) où l’on dit que les populations proviennent des deux

fils de Noé (Sem et Ham):

- Les langues sémitiques: l’accadien (babylonien et

assyrien), le phénicien, l’hébreu, l’abyssinien, l’arabe.

- Les langues chamitiques: l’égyptien ancien, le copte, les

langues berbères, le somali.

La famille des langues finno-ougriennes: le finnois, le

lapon, l’estonien, le hongrois (langues agglutinantes).

La famille des langues ibéro-caucasiennes: le grusin

(Caucase), le basque (Pyrénées, en Espagne).

La famille des langues turco-tatares.

150

Page 147: Introduction a La Ling

La famille des langues mongoliques.

Ces deux dernières familles sont parfois rattachées dans la

famille altaïque, avec deux branches:

- les langues turques (turc, turkmène, kazakh, etc.)

- les langues mongoles.

La famille des langues sino-tibétaines (regroupe des

langues parlées en Asie): le chinois, le vietnamien, le tibétain, le

siamois, le birman.

La famille des langues malayo-polynésiennes (regroupe

des langues parlées en Polynésie): le malais, l’indonésien, le

javanais.

Les langues tunguses: le nippon (japonais), le coréen.

La famille des langues dravidiennes (Sud de l’Inde et

Ceylon).

La famille des langues africaines (peu étudiées). Elle

regroupe un nombre très important de langues: les langues bantou

(du Cameroun au Kenya et jusqu’à l’Afrique du Sud), le peul et le

wolof (sur l’Ouest Atlantique).

La famille des langues amérindiennes (langues des

Indiens américains): algonquines, iroquoises, mayas, uto-aztèques,

etc. Les vieilles civilisations, surtout aztèque (au Mexique) et inca

(au Pérou), ont été détruites. Les plus vieux textes indiens sont les

textes maya (en Amérique Centrale, à l’époque pré-colombienne, III-

e siècle de notre ère).

151

Page 148: Introduction a La Ling

Conclusions

Cette classification est incomplète: il est difficile sinon

impossible d’inventorier de façon exhaustive toutes les langues

parlées sur le globe.

Elle reste provisoire, la recherche aboutissant à découvrir ou

à récuser des parentés entre langues.

L’appartenance généalogique de certaines langues reste

controversée et parfois même mystérieuse. Voir par exemple le cas

du basque qui présente des analogies avec le hongrois et le géorgien,

ce qui laisse l’hypothèse d’un essaimage vers l’Ouest jusqu’au pays

basque de tribus originaires du Caucase. Ou le fait que les langues

amérindiennes présentent des analogies avec les langues

agglutinantes, notamment finno-ougriennes, ce qui pourrait

s’expliquer par l’histoire du peuplement du continent américain qui

se serait fait il y a 40.000 ans, lors de périodes glaciaires qui ont

permis à des populations parlant ces langues de franchir le détroit de

Behring.

Bibliographie

Iliescu, Maria, 1989, La classification des langues romanes, in Dieter Kremer (ed.), “Actes du XVIII-e Cogrès International de

152

Page 149: Introduction a La Ling

Linguistique et Philologie Romanes”, Vol. 7, Tübingen, Niemeyer, p. 47-63.Iliescu, Maria & Livescu, Michaela, I, 1970, II, 1980, Introducere în studiul limbilor romanice, Reprografia Universităţii din Craiova.Klinkenberg, Jean-Marie, 1999, Des langues romanes, 2-e éd., Duculot, p. 90-100.Malherbe, M., 1995, Les langages de l’humanité, Robert Laffont, “Bouquins”.Perret, Michèle, 1998, Introduction à l’histoire de la langue française, Sedes.Sala, Marius & Rădulescu-Vintilă, Ioana, 1981, Limbile lumii, Editrura Ştiinţifică şi Enciclopedică..Walter, Henriette, 1994, L’aventure des langues en Occident, Robert Laffont.

153

Page 150: Introduction a La Ling

LA TYPOLOGIE LINGUISTIQUE

L’immense variété, à un premier abord, des langues parlées

sur la Terre cache pourtant une double unité: de structure et

d’origine.

Unité de structure, parce que les langues doivent remplir

les mêmes fonctions, exprimer les mêmes processus logiques de la

pensée. Elles sont toutes constituées d’une enveloppe sonore, ont un

nombre variable de mots qui désignent les notions et un nombre

variable de procédés grammaticaux qui servent à exprimer les

relations entre les notions.

Unité d’origine, car il est hors de doute que les langues

actuelles dérivent d’un nombre réduit de langues primitives (ou

originelles), ayant appartenu aux premières communautés humaines

(v. chap. La classification généalogique).

La classification typologique

La typologie linguistique est d’essence comparative. Elle

répond au besoin de trouver des critères permettant de classer les

langues inventoriées. Elle compare des états de langue en se fondant

sur des critères morpho-syntaxiques, indépendamment de toute

154

Page 151: Introduction a La Ling

considération généalogique. Plus précisément, il s’agit de savoir

comment s’expriment les relations grammaticales dans les

différentes langues (par exemple, la marque du pluriel, ou encore

celle d’un cas - nominatif, accusatif, etc.).

La classification typologique traditionnelle établit les types

structuraux suivants:

isolantes

non isolantes agglutinantes

synthétiques

Langues flexionnelles

analytiques

incorporantes (polysynthétiques)

Les langues de type isolant

Tous les mots ont une seule forme. Ils sont donc invariables.

Ces langues n’ont pas de structure morphologique. Par conséquent

les relations grammaticales entre les mots s’expriment par des

procédés syntaxiques, tels l’ordre des mots, par des mots auxiliaires

aptes à marquer ces relations, ainsi que par des procédés

suprasegmentaux (en particulier l’accent). Il n’y a pas de langue

entièrement isolante. Proche de ce type sont le vietnamien et le

chinois.

155

Page 152: Introduction a La Ling

Exemple de structure isolante chinoise, emprunté à Wald et

Slave (1968:13): la proposition ren ai wo “un homme m’aime”, mot-

à-mot “homme aimer je”, où le premier mot est le sujet, le second le

prédicat, suivi de l’objet direct.

Mais comme la plupart des langues réunissent dans leur

structure des procédés grammaticaux divers, le chinois a aussi des

éléments agglutinants. De même, le français ou l’anglais, langues

flexionnelles analytiques, comportent aussi des traits isolants. Dans

des exemples comme Pierre admire Marie ou Le professeur écoute

l’étudiant, seul l’ordre des termes permet d’identifier le sujet et

l’objet direct:

Pierre admire Marie. / Marie admire Pierre

(sujet) (objet) (sujet) (objet)

Les langues de type agglutinant (du lat. agglutino, -are

“coller”)

Les relations grammaticales s’expriment par des affixes

ajoutés à la racine des mots.

- Le même affixe correspond toujours à une seule valeur.

- Une même valeur est toujours exprimée par le même

affixe.

156

Page 153: Introduction a La Ling

Le mot apparaît comme une succession d’affixes attachés à

la racine. Hjelmslev (1991:123 sq.) donne l’exemple du turc: -lar

(-ler) est la désinence du pluriel, -a celle du datif, -da du locatif, -dan

de l’ablatif, ce qui, pour le mot kuş “oiseau” donne le tableau de

déclinaison suivant:

Sg. Pl.

Nom. kuş kuş-larDat. kuş-a kuş-lar-aLoc. kuş-da kuş-lar-daAbl. kuş-dan kuş-lar-dan

Un autre exemple illustrant le paradigme du substantif ev

“maison” est emprunté à Lyons (1970:45):

Sg. Pl.

Nom. ev ev-lerPossessif ev-i ev-ler-iAbl. ev-den ev-ler-in-den

Un autre trait caractéristique du type agglutinant est

l’invariabilité de la racine. On y rencontre pourtant le phénomène de

l’harmonie vocalique, conditionné par des facteurs phoniques: les

voyelles des affixes s’adaptent aux voyelles de la racine. Par

exemple hongr. kert “jardin”/ kertek “jardins”, mais ház “maison”/

házak “maisons”, ou bien kertben “dans le jardin” et szobában“

dans la chambre”.

157

Page 154: Introduction a La Ling

Sont agglutinantes les langues finno-ougriennes, turco-

tatares, bantou, etc.

Les langues de type flexionnel

Elles se rapprochent du type agglutinant par l’utilisation

d’affixes pour exprimer les diverses relations grammaticales. Mais

elles se différencient du type agglutinant par le fait que:

- D’une part, un seul affixe peut exprimer simultanément

plusieurs relations grammaticales (amalgamées). C’est, par exemple,

le cas du lat –us, qui dans bonus marque à la fois le nominatif, le

singulier et le masculin ou du fr. travaillez, où la désinence –ez

marque le mode, le temps, la personne et le nombre du verbe.

- D’autre part, une même valeur grammaticale peut

s’exprimer par des affixes différents. Par exemple le pluriel des noms

est marqué en français, dans le code écrit, par -s, -x, ø, etc.

Le radical du mot peut subir des changements liés à la

flexion. Cette variabilité de la racine est appelée flexion interne

lorsqu’elle sert à exprimer des valeurs grammaticales. Par exemple

l’alternance observée en roumain dans les couples a) frumos /

frumoasă, b) noapte / nopţi, c) chem / cheamă, servant à exprimer

dans a) l’opposition de genre (M / F), dans b) l’opposition de

nombre (Sg. / Pl.) et dans c) l’opposion de personne (I-e pers. / III-e

pers.) est un procédé grammatical redondant (supplémentaire), car il

s’ajoute aux morphèmes spéciaux (les désinences exprimant ces

158

Page 155: Introduction a La Ling

valeurs), alors que dans acesta (M) / aceasta (F) on remarque que

l’opposition de genre ne s’exprime que par l’alternance du radical.

La flexion interne est fréquente dans les langues germaniques: par

exemple, all. Bruder / Brüder (“frère / frères”), Vogel / Vögel

(“oiseau / oiseaux”) ou angl. tooth / teeth (“dent / dents”), goose /

geese (“oie / oies”), etc. Dans les langues sémitiques (arabe, hébreu)

toutes les voyelles changent d’un paradigme du mot à l’autre, alors

que la racine consonantique reste invariable, par exemple arabe

kataba “(il) a écrit” / yaktubu “(il) écrit”.

Sont en principe flexionnelles les langues indo-européennes,

sémitiques et chamitiques.

Langues synthétiques / langues analytiques

La proportion entre les moyens morphologiques et

syntaxiques dans la structure grammaticale diffère d’une langue à

l’autre.

Dans le cas des langues synthétiques, la fonction

grammaticale d’un mot s’exprime dans la phrase surtout par des

modifications de la forme (ces langues ont donc une flexion plus

riche, comme par exemple le latin).

Les langues analytiques se servent surtout d’outils

grammaticaux, comme les verbes auxiliaires (pour l‘expression de la

diathèse, du mode ou du temps) ou de prépositions.

159

Page 156: Introduction a La Ling

Ainsi, si le latin employait les désinences casuelles, en

français les fonctions syntaxiques sont rendues, pour certains cas, par

les prépositions:

Cas Latin Français

Nom. homo hommeGén. hominis de l’hommeDat. homini à l’homme

Le roumain, qui a perdu en grande mesure la flexion

casuelle, mais conserve encore pour certaines classes de mots une

forme de Gén. – Dat., différente de celle de Nom. – Ac. (fata / fetei,

frumoasa fată / frumoasei fete, băiatul / băiatului, tinerii / tinerilor,

acesta / acestuia, aceasta / acesteia, etc.) est donc moins analytique

que les langues romanes occidentales.

Il faut encore remarquer que, souvent, les deux types de

structures (analytique et synthétique) coexistent dans une même

langue:

Structures synthétiques Structures analytiques

Gén. angl. Paul’s friend (the cover) of the book

(“l’ami de Paul”) (“la couverture du livre”)

Futur fr. (je) parlerai rm. voi vorbi

Plus-que-parf. rm. vorbisem fr. (j’)avais parlé

Dans les langues romanes au moins, la flexion verbale

synthétique a été maintenue en grande mesure (les désinences

verbales pour les temps simples sont amalgamées), alors que la

160

Page 157: Introduction a La Ling

flexion nominale est analytique (les fonctions syntaxiques des noms

s’expriment, en principe, par la position avant ou après le verbe,

pour le cas nominatif et accusatif, et par les prépositions, pour les cas

génitif et datif). Cependant l’accusatif [+personne] est parfois

marqué dans plusieurs langues romanes par des prépositions (a en

espagnol et en italien méridional et pe en roumain).

L’analytisme et le synthétisme sont des formes dans

lesquelles se développe la structure grammaticale. Dans une certaine

période les langues évoluent surtout vers le synthétisme, dans

d’autres vers l’analytisme, enfin il y a des langues qui peuvent rester

dans le cadre d’un même type, en perfectionnant les moyens

d’expression dont elles disposent.

Entre les langues synthétiques et les langues analytiques il

n’y a pas de frontières précises. Une langue peut être synthétique par

rapport à une série de langues, mais analytique par rapport à d’autres.

En principe:

L’anglais est une langue analytique.

Les langues slaves (sauf le bulgare), l’allemand, le latin sont

synthétiques.

Les langues de type incorporant (ou polysynthétique)

Toutes les relations grammaticales peuvent s’exprimer par

des adjonctions ou des transformations faites à un radical. C’est ainsi

que ces langues incluent (incorporent) dans la forme du verbe les

161

Page 158: Introduction a La Ling

compléments, parfois aussi le sujet, en sorte que la phrase se présente

comme un mot unique, correspondant à une suite de mots dans les

autres types de langues.

Par exemple, dans une langue sibérienne, tivalantoa’k veut

dire “j’ai sorti le couteau”, où ti = préfixe qui marque la I-e pers. sg.;

vala = “couteau”; nto = “sortir”; a’k = suffixe pour le temps passé.

Sont incorporantes les langues sibériennes paléo-asiatiques

et les langues amérindiennes.

La typologie moderne

Le concept moderne de typologie, employé pour la première

fois en 1928 dans les thèses de l’école de Prague, est qualitativement

différent du concept utilisé au XIX-e siècle et qui envisageait,

comme on l’a vu, la classification des langues. La typologie a

enregistré des progrès à mesure que sa méthodologie est devenue

plus complexe et raffinée, capable de saisir un nombre toujours accru

de traits distinctifs et caractéristiques des langues analysées, tout en

multipliant en même temps le nombre de critères utilisés pour

comparer les langues.

Des traits communs des langues non apparentées

génétiquement ont été relevés dans tous les compartiments, surtout

en morphologie, phonologie et lexique, mais aussi en syntaxe. Ainsi,

dans la typologie de J. H. Greenberg (A Quantitative Approach to the

Morphological Typology of Languages, in IJAL 26, 3, 1960, p.178-

162

Page 159: Introduction a La Ling

194) les langues romanes appartiennent au groupe SVO / Prép. /

NAdj. / NGén., de même que l’albanais, le khmer, le malais, les

langues bantou, etc. (ap. Klinkenberg, 1999:104). Ces sigles

indiquent que dans ces langues: a) l’ordre standard de la phrase

assertive est sujet + verbe + objet; b) les rapports circonstanciels sont

exprimés à l’aide des prépositions; c) le qualificatif a tendance à

suivre le nom; d) dans la construction possessive, le possesseur suit

le possédé.

Il existe évidemment d’autres critères, qui permettent des

analyses plus élaborées encore: l’évaluation quantitative des traits

structuraux, l’analyse des traits concrets de la structure grammaticale

(présence/absence des classes nominales, existence/inexistence du

genre grammatical, la forme du radical), la position et le nombre des

déterminants du sujet, respectivement du prédicat, etc.

Dans le cas de la comparaison typologique des langues

apparentées se pose toute une série de problèmes comme: “quel est

le degré de variabilité structurale auquel peuvent aboutir des langues

qui ont une origine commune ? Y a-t-il des voies de développement

préférées, ou même nécessaires?” (Bossong, 1998, ap. Iliescu,

2001:63). En principe, on distingue des recherches typologiques non

syntaxiques et dans une plus grande mesure des recherches

syntaxiques.

Dans la première catégorie, nous voulons nous référer à la

typologie structurale de Coşeriu, qui différencie dans chaque langue

163

Page 160: Introduction a La Ling

trois niveaux hiérarchiques: la norme, le système et le type. Plusieurs

normes peuvent correspondre à un système et plusieurs systèmes à

un seul type. Les langues romanes représentent les diverses

réalisations du type roman. Les paramètres d’analyse sont l’axe

paradigmatique et l’axe syntagmatique. Ce qu’on entend par

analytique et synthétique n’est autre chose qu’une détermination

paradigmatique interne patris / patri, altus / altior ou bien une

détermiantion syntagmatique externe de patrem / ad patrem, altus /

magis altus. C’est ainsi que la morphologie et la syntaxe des langues

romanes suivent le principe de la détermination interne pour les

fonctions internes et le principe de la détermination matérielle

externe pour les fonctions et les relations externes, ce qui a comme

suite que ces langues ne sont ni totalement synthétiques ni totalement

analytiques.

Une autre contribution à la typologie non syntaxique

romane est due à M. Iliescu et L. Mourin (1991), qui se sont proposé

de faire une analyse globale de la morphologie verbale romane et de

trouver le prototype roman, tout en analysant aussi la distance de

chaque idiome par rapport au prototype (les conclusions sont que le

catalan est le plus proche du prototype, alors que le français en est le

plus éloigné).

D’autre part, dans les recherches syntaxiques modernes on

distingue plusieurs directions. Par exemple, la typologie corrélative,

qui observe l’existence d’une liaison entre différents domaines de la

164

Page 161: Introduction a La Ling

langue - ordre des mots et morphologie, phonétique et morphologie,

etc. - (cf. Körner, 1983) ou la typologie sérielle, la plus en vogue

aujourd’hui, qui consiste dans l’analyse de l’ordre des mots et dont

l’initiateur est Greenberg (cf. supra). Bien que ses comparaisons ne

portent pas sur les langues romanes, les résultats de ses recherches

sont importants pour la linguistique romane aussi, par exemple, la

constatation d’ordre diachronique que dans l’évolution du latin aux

langues romanes il y a eu un changement important dans l’ordre des

éléments fonctionnels: du type latin SOV les langues romanes sont

passées (en grandes lignes) au type SVO. Nous mentionnons

également, dans ce cadre, un article de L. Renzi (1989), qui, en

appliquant le critère sériel, découvre 14 caractéristiques présentes

dans toutes les langues romanes (prépositions et non pas

postpositions, l’auxiliaire se trouve devant le verbe lexical, le

pronom interrogatif se trouve devant le verbe, l’adverbe se trouve

devant l’adjectif qu’il modifie, le temps et le mode sont exprimés par

le verbe, et ainsi de suite).

Quelques conclusions

a) Le rapport entre typologie et généalogie

Il ne faut pas chercher à faire correspondre type linguistique

et familles linguistiques. Pourtant, on peut constater que, en grandes

lignes, les deux types de classification se correspondent, car les

ressemblances de structure d’un groupe de langues sont dues, en

165

Page 162: Introduction a La Ling

premier lieu, à l’origine commune. C’est ainsi que la plupart des

langues indo-européennes sont flexionnelles, les langues ouralo-

altaïques sont agglutinantes, les langues sino-tibétaines sont

isolantes, etc.

b) La variabilité du type morphologique

Il est fréquent qu’une langue, au cours de son évolution,

change de type. L’arménien, par exemple, originellement de type

plutôt flexionnel, est aujourd’hui de type plutôt agglutinant. Un autre

exemple typique est fourni par les langues romanes. Le latin, la

langue d’origine, était une langue flexionnelle ayant un caractère

synthétique très marqué. Les langues romanes (surtout occidentales)

sont devenues analytiques.

c) L’amalgame de types

La plupart des langues appartiennent à des types mixtes, les

différents types se rencontrant dans des proportions variables, selon

les langues. Le fait que les langues réunissent dans leur structure des

procédés grammaticaux divers constitue la principale difficulté dans

la réalisation de ce type de classification. Le chinois, langue de type

isolant, présente aussi des traits agglutinants. Le français et l’anglais,

langues flexionnelles analytiques, comportent aussi des traits isolants

et ainsi de suite. On ne saurait parler dans ces conditions que de

dominantes typologiques et non pas de types exclusifs ou purs.

166

Page 163: Introduction a La Ling

d) Les recherches typologiques modernes

La typologie se trouve aujourd’hui au centre des

préoccupations linguistiques, mais “le sens même du terme

typologie est loin d’être univoque et les directions de recherche sont

multiples” (Iliescu, 2001:61). On se propose d’identifier les traits qui

caractérisent certains groupes de langues, apparantées ou non, et

aussi de trouver des traits qui caractérisent l’ensemble de langues

d’un certain espace (par exemple des langues européennes, formant

une communauté linguistique et culturelle, réalisée au long des

siècles).

Bibliographie

Bossong, Georg, 1998, Typologie des romanischen Sprachen, in LRL, vol. VII, p. 1003-1019.Coşeriu, Eugenio, 1979, Synchronie, Diachronie und Typologie, in “Sprache, Strukturen und Funktionen”, Tübingen, Narr, p. 77-90.Coşeriu, Eugenio, 1988, Der romanische Sprachtypus. Versuch der Typologisierung der romanischen Sprachen, in Albrecht, Lüdtke, Thun, Bd. 1, p. 207-224.Greenberg, J. H., 1960, A Quantitative Approach to the Morphological Typology of Languages, in IJAL 26, 3, p. 178-194.Iliescu, Maria, 2001, La typologie des langues romanes. État de la question, in “Actas del XXIII Congreso Internacional de Lingüística y Filología Románica”, Salamanca, p. 61-81.Iliescu, Maria & Mourin, Louis, 1991, La typologie de la morphologie verbale romane, Verlag des Instituts für Sprachwissenschaft, Innsbruck.Hagège, Claude, 1982, La structure des langues, PUF, “Que sais--je ?”.

167

Page 164: Introduction a La Ling

Hjelmslev, Louis, 1991, Le langage, Gallimard, “Folio”.Klinkenberg, Jean-Marie, 1999, Des langues romanes, 2-e éd., Duculot.Körner, Karl-Hermann, 1983, Considerazioni sulla tipologia sintattica delle lingue romanze, in RJb, 34, p. 34-41. Rădulescu-Vintilă, Ioana, 2004, Introducere în lingvistica generală, I, Universitatea Creştină “Dimitrie Cantemir”, Bucureşti, p. 25-36.Renzi, Lorenzo, 1989, Wie können die romanischen Sprachen typologisch karakterisiert werden ?, in VR 48, p. 1-12.Wald, Lucia & Slave, Elena, 1968, Ce limbi se vorbesc pe glob, Editura ştiinţifică.

168

Page 165: Introduction a La Ling

LA VARIATION

La diversification linguistique

Les langues sont le principal moyen de communication

entre les hommes, répondant à des besoins multiples: communication

rationnelle, affective, besoin de survie, de pouvoir, etc.

Les langues n’ont pas un caractère homogène: au contraire,

la diversité à l’intérieur d’une même langue peut être telle qu’elle

gêne l’intercompréhension. Les variations affectent tous les

compartiments de la langue: la phonétique tout d’abord, mais aussi la

syntaxe et la morphologie et même la pragmatique. Pour rendre

compte de toutes ces différences, les linguistes emploient le terme de

variété.

Les axes de variation

Les langues varient selon trois axes: l’espace, le temps et la

société:

- la variation selon le temps s’appelle diachronique;

- la variation selon l’espace est dite diatopique;

169

Page 166: Introduction a La Ling

- la variation sociale est dite diastratique (variation à

laquelle on associe la variation stylistique ou diaphasique, qui

concerne les différences entre les diverses modalités d’expression).

Ces axes fournissent chacun des critères de description des

variétés linguistiques.

Il faut préciser que les terms de diatopique et de

diastratique ont été proposés par L. Flydal en 1951, alors que le

terme de diaphasique a été introduit par E. Coşeriu (v. Coşeriu,

2000:263)

Les trois types de variation ne peuvent être dissociés que

pour les besoins de la classification. En fait, ils sont en étroite

relation les uns avec les autres.

Par exemple, la variation dans l’espace peut dépendre de la

variation temporelle. En évoluant dans le temps à partir de t0, mais de

manière distincte selon les endroits où l’on se trouve, une même

langue L0 peut se trouver, en t1, à l’origine de variétés apparentées

L1, L2, L3, etc. (le latin - L0 à t0 - aboutit en t1 aux dialectes romans

que sont le picard - L1-, le wallon - L2-, le normand - L3-).

La variation temporelle peut dépendre à son tour de la

variation sociale. Au cours de l’histoire, les bouleversements

sociaux, amenant au devant de la scène des groupes différents,

influencent le visage que présente la langue. Ainsi, si L1 et L2 sont des

variétés sociales, on peut s’imaginer que L1 domine en t0 parce que la

classe sociale qui pratique cette variété est dominante. Tout comme

170

Page 167: Introduction a La Ling

si en t1 la classe qui pratique L2 est au pouvoir, certains traits de

cette variété pourront s’imposer à l’ensemble du corps social. Par

exemple, la lente imposition de la demotiki (L2) au détriment de la

catharevousa (L1) dans la langue écrite en Grèce contemporaine; la

victoire du norvégien (L2) contre le danois (L1) en Norvège, etc.

On pourrait multiplier les exemples illustrant comment les

trois facteurs de variation linguistique s’interconditionnent,

s’associant deux à deux ou même trois à la fois.

Unification et diversification

Toutes les langues sont influencées dans leur développement

par deux forces antagonistes: des forces centrifuges ou de

diversification et des forces centripètes ou d’unification. “Selon les

circonstances historiques, les unes prévalent sur les autres. Les forces

d’unification dominent lorsque les communications sont intenses; les

forces de diversification dominent lorsque les communications se

relâchent” (Klinkenberg, 1999:33).

Les facteurs temps, espace géographique et espace social

jouent simultanément dans le processus complémentaire de

diversification et d’unification.

171

Page 168: Introduction a La Ling

1. La variation dans le temps (ou diachronique)

Les langues évoluent: c’est ce qui s’appelle la variation

temporelle. Les changements peuvent être lents ou rapides,

superficiels ou profonds, erratiques ou systématiques.

Types de changements linguistiques

La langue et son évolution sont d’une grande complexité et

se laissent difficilement étudier.

Les mutations du système phonologique se produisent en

général sur des périodes relativement longues. Au contraire, nous

sommes très sensibles au renouvellement du stock lexical, qui se

produit très rapidement, presque sous nos yeux, le vocabulaire étant

le compartiment de la langue le plus sensible aux mutations

extérieures (mais il y a dans chaque langue un noyau de mots qui ne

se renouvellent que très lentement, par exemple les mots qui

désignent “la mère”, “la terre”, “le soleil”, “l’eau”, “le pain”, etc.,

formant le fonds principal du vocabulaire).

D’autre part, les changements phonétiques peuvent

provoquer des changements dans la morphologie et puis dans la

syntaxe, donc ils ont des répercussions sur tout le système. Par

exemple, la chute des finales dans les mots latins, aboutissant à la

réduction des désinences dans la déclinaison et dans la conjugaison,

a pour effet le développement des prépositions et des pronoms (pour

marquer, respectivement, les cas et la personne du verbe), ainsi

172

Page 169: Introduction a La Ling

qu’une syntaxe positionnelle (l’ordre des termes devient beaucoup

plus rigoureux qu’en latin classique: dans les langues romanes, la

structure canonique de la phrase assertive non marquée est: Sujet +

Verbe + Objet). Au contraire, le renouvellement du vocabulaire

n’affecte pas profondément l’économie générale de la langue.

Les causes des changements linguistiques

Il est difficile de préciser les causes des changements

linguistiques. On peut néanmoins distinguer entre les facteurs

internes (relatifs à l’équilibre du système) et les facteurs externes

(relatifs à la situation des locuteurs et des groupes dont ils font

partie).

Les facteurs internes

La loi du moindre effort, qui gouverne tout mouvement

biologique et social, est souvent la cause des changements et se

manifeste par l’économie des moyens linguistiques mobilisés: par

exemple, chute des voyelles finales et réduction du volume des mots,

réduction des groupes consonantiques difficiles à prononcer,

élimination des verbes appartenant à des conjugaisons difficiles, etc.

Il s’agit dans ce cas d’une loi du moindre effort physique,

articulatoire.

Des changements contraires à cette loi du moindre effort

physique se produisent souvent: c’est qu’une langue n’est pas

seulement un instrument neutre de communication, elle sert aussi à

173

Page 170: Introduction a La Ling

des fins expressives. En outre, l’abréviation excessive des mots, par

exemple, menace la compréhension; il y a donc aussi une loi du

moindre effort psychique chez l’interlocuteur. La recherche d’une

communication distincte mène à maintenir la structure phonique du

mot, la distinction lexicale, à conserver et même à enrichir le stock

des phonèmes.

Entre ces deux tendances il y a un équilibre précaire,

toujours brisé et refait, tant que la langue est vivante.

La chute des finales (dans le passage du latin vers les

langues romanes) est, selon Wartburg (1963), l’exemple le plus

représentatif d’action de la loi du moindre effort. Mais pourquoi pas

la chute des initiales ? C’est parce que, selon Malmberg (1962), les

initiales portent une plus grande information. Cette information va

décroissant vers la fin du mot, les derniers sons étant, souvent,

prévisibles. Plus un son est riche en information, plus il se prononce

énergiquement et donc plus il a de chances de se conserver. Voilà

pourquoi la commodité a agi en éliminant les sons finals.

Une des forces qui contrecarre les “dégâts” provoqués par

l’économie linguistique est l’analogie (changement analogique). Elle

est une force psychologique régularisatrice, une tendance vers l’ordre

et le système et consiste à réduire la diversité des formes, en alignant

les moins fréquentes et irrégulières sur les plus utilisées. Pourtant,

l’analogie n’agit pas en même temps sur tous les cas similaires. Par

exemple, l’ancien français a changé (nous) dimes en (nous) disons

174

Page 171: Introduction a La Ling

sur le modèle de (nous) lisons, mais (vous) dites a été maintenu. La

fréquence d’emploi d’une forme la met souvent à l’abri de la force de

la régularisation analogique: qu’on pense seulement aux verbes

auxiliaires, qui sont des formes conservant un grand nombre

d’irrégularités dans toutes les langues !

Les facteurs externes

Parmi les facteurs externes, les plus importants sont les

contacts entre les langues et les changements sociaux.

Les contacts entre langues peuvent générer des situations

de plurilinguisme et de diglossie, ce qui a pour effet la production

des interférences. Les interférences collectives modifient le système

de la langue affectée. On doit se rapporter à cet égard à la théorie

des strats, dont le rôle dans le changement linguistique a été souligné

à maintes reprises, surtout dans le passé.

Les changements sociaux consistent en premier lieu dans la

modification du contexte référentiel: les réalités nouvelles impliquent

des expressions nouvelles. Ceci se manifeste dans le cas des sciences

et des techniques, qui exigent un développement constant et

prodigieux des terminologies, dans le cas des innovations sociales ou

politiques, tout comme dans les nouveaux modes de vie

(économiques, relationnels, vestimentaires, alimentaires, etc.), qui

imposent de nouveaux mots et locutions. Ces mutations entraînent

aussi des restructurations des systèmes sémantiques des langues,

témoignant d’un changement d’attitude vis-à-vis des réalités:

175

Page 172: Introduction a La Ling

pensons, par exemple, à l’évolution des mots ambiance ou

environnement !

2. La variation dans l’espace (ou diatopique)

Quand une langue est parlée sur une certaine étendue

géographique (ce qui est toujours le cas, même si le territoire est

restreint), elle tend à se morceler en usages d’une région ou d’une

zone. ”La diversité diatopique est le premier type de variation pris en

compte dans l’histoire des sciences du langage, et c’est là que la

variation a été la plus ample. Mais il est maintenant souvent difficile

de localiser un locuteur à l’écoute, les facteurs sociaux comme la

mobilité, l’éducation et les médias ayant eu des effets à la fois

homogénéisants (entre variétés proches) et hybridisants (entre

idiomes). Les particularismes locaux se maintiennent surtout quand

les contacts sont limités: dans les campagnes, chez les plus âgés et

les moins éduqués” (Gadet, 2003b:8).

Le produit de ce type de variation est le dialecte, alors que

le produit de ce type d’unification est la langue standard.

Le dialecte est en général défini comme:

a) une variété régionale d’une langue: “forme particulière

d’une langue (…) parlée et écrite dans une région d’étendue variable

(…)“ (Trésor de la langue française), par exemple le français de

Liège ou l’allemand d’Autriche;

176

Page 173: Introduction a La Ling

b) le produit de la diversification d’un stade très ancien de la

langue. La dialectologie, qui a pour objet les dialectes au sens b),

utilise les techniques de l’enquête dialectale et la cartographie

linguistique (les atlas linguistiques);

c) toute variété linguistique subordonnée à une langue

standard; par exemple le normand et le picard sont dominés par le

français standard, le francique ripuaire est dominé par l’allemand

standard et ainsi de suite.

Dans certains cas, le dialecte s’efface sous l’action de la

langue standard. Par exemple, les dialectes provenant de la langue

d’oïl en France (wallon, picard, champenois, bourguignon, berrichon,

etc., dont certains, selon Walter, 1994:297, “se sont aujourd’hui

pratiquement dissous dans un français régional coloré”), ne résistent

pas aussi bien au standard que bon nombre de dialectes italiens.

Pour délimiter les dialectes sur une carte on se sert des lignes

d’isoglosses (des frontières délimitant l’aire géographique d’un

dialecte; du grec iso “égal” et glossa “langue”). Ces frontières

linguistiques permettent donc de délimiter des zones homogènes au

regard du phénomène considéré. Les isoglosses sont souvent de

nature phonétiqe, mais on peut observer aussi des isoglosses

lexicales, morphologiques, syntaxiques. Exemple d’isoglosse

morphologique: la Romania occidentale est séparée de la Romania

orientale par la marque du pluriel des substantifs: -s à l’Ouest,

voyelle à l’Est.

177

Page 174: Introduction a La Ling

Les langues standard

La langue standard est “la variété de langue dans laquelle

tous les membres d’une communauté linguistique acceptent de se

reconnaître” (Klinkenberg, 1999:38) ou celle qui est “la plus

couramment employée au sein d’une communauté linguistique (…)”

(Trésor de la langue française). En d’autres termes, les membres de

telle ou telle communauté linguistique se reportent à un même

modèle idéalisé de langue.

La naissance des langues standard est due à des causes

extra-linguistiques, qui peuvent être de nature politique, religieuse,

économique ou culturelle. C’est ainsi que le besoin d’unité

religieuse, tout comme celui d’unité politique, agit en faveur de

stabilisation d’une langue. Par exemple l’arabe dans lequel est écrit

le Coran assure la cohésion de l’arabe classique, variété d’arabe

relativement homogène à travers le monde arabophone. Il faut encore

préciser que, contrairement à une idée assez répandue, l’apparition

d’une langue standard n’est pas nécessairement liée à celle d’un État,

bien que ce soit souvent le cas (voir le cas du français, du russe, de

l’anglais). Mais l’union politique peut être postérieure à la naissance

des standards: c’est le cas de l’italien ou de l’allemand (pour lequel

le choix du haut allemand comme standard doit beaucoup à la

traduction de la Bible par Luther en 1534).

Les langues standard connaissent souvent une forte

institutionnalisation. Il s’agit en premier lieu de l’enseignement, car

178

Page 175: Introduction a La Ling

c’est surtout à travers l’école que les modèles linguistiques sont

transmis, mais d’autres instances de légitimation sont les productions

telles que les dictionnaires, les grammaires, les manuels de langues,

la littérature, les chroniques langagières, tout comme les organismes

gouvernamentaux ou intergouvernamentaux, la législation

linguistique, les médias audiovisuels, etc.

L’écriture, à son tour, est un des plus puissants facteurs de

standardisation et d’institutionnalisation des langues. La fixation

d’une norme écrite est d’ailleurs une composante essentielle du

processus de standardisation.

Il y a des langues qui ont subi de bonne heure le processus

de standardisation. Tel est, par exemple, le cas du français: “La

question de la langue est omniprésente en France, pays

historiquement unifié sur la base de l’expansion linguistique” (Gadet,

2003b:17).

Les modalités linguistiques de constitution des langues

standard sont assez diverses:

- une variété peut s’imposer: le castillan en Espagne, l’hindi

aux Indes;

- le standard apparaît suite à une synthèse de plusieurs

variétés: le mandarin et une variété contemporaine (“la langue

commune”) pour le chinois du Nord;

179

Page 176: Introduction a La Ling

- une tierce variété s’impose: le danois s’impose de 1530 à

1814 comme langue officielle et littéraire en Norvège, ou l’anglais

pour les communautés noires d’Afrique du Sud.

3. La variation sociale (ou diastratique)

La variation de la langue en fonction des facteurs sociaux

fait l’objet de la sociolinguistique. Ces facteurs amènent le locuteur à

employer diverses variété linguistiques (ou sociolectes), en fonction

de: a) la situation sociale des interlocuteurs; b) le contexte de la

communication; c) d’autres indices sociaux.

La situation sociale des interlocuteurs

Tout locuteur a sa disposition un éventail de ressources

expressives dans lequel il opère son choix: il s’agit d’utiliser les

variétés (considérées comme) les plus adéquates pour atteindre les

objectifs visés par la communication. Les langues possèdent en

général des ressources pour distinguer entre les différents types de

relations interpersonnelles (v. Kerbrat-Orecchioni, 1994:35-36), qui

s’organisent suivant deux grands axes, à savoir:

a. L’axe “horizontal” (de la distance). Cette dimension de

la relation renvoie au fait que dans l’interlocution, les partenaires

énonciatifs peuvent se montrer plus ou moins “proches” ou

“éloignés”, cette distance étant fonction de leur degré de

connaissance mutuelle, de la nature du lien socio-affectif qui les unit,

de la nature de la situation énoncitaive (familière / formelle).

180

Page 177: Introduction a La Ling

b. L’axe “vertical” (de la hiérerchie). La distance verticale

est elle aussi de nature graduelle et se reflète dans la nature de ses

marqueurs, par exemple l’emploi des pronoms d’adresse (formes de

politesse): l’espagnol tutoie plus vite que le français, celui-ci plus

vite que l’allemand, etc. Mais il y a aussi des langues (le japonais et

le coréen) ayant un système de révérence très complexe: 5-6 formes

de pronoms personnels de la 2-e personne qui désignent

l’interlocuteur selon son statut social.

Le contexte de la communication

a. Le contexte social représente “l’ensemble des situations,

lieux et circonstances qui déterminent un certain type d’expression

linguistique” (Klinkenberg, 1999:45). On pourrait situer ces

situations sur une échelle allant de la situation formelle (caractérisée

par l’emploi d’un registre de langue élevé) à la situation informelle

(qui laisse toute latitude dans le choix des registres, jusqu’aux

registres bas).

b. Le contexte instrumental est constitué par “les

contraintes techniques qui pèsent sur la communication” (idem:46).

Le canal de la communication détermine le choix de certaines

variétés. Par exemple le style télégraphique, une conversation

téléphonique, une conférence enregitrée subissent des contraintes

dans le choix des moyens d’expression. L’écriture, à son tour, peut

être considérée comme un contexte instrumental de premier ordre,

pour toutes les langues qui connaissent les deux codes de

181

Page 178: Introduction a La Ling

communication: oral et écrit. Son avantage est d’élargir la

communication dans le temps et dans l’espace.

c. Le contexte référentiel, enfin, est constitué par “le

contenu même de la communication” (idem:47). En fonction du

thème de la communication et des attitudes sociales à son égard, le

locuteur peut choisir des registres différents. Les Anciens parlaient

déjà, dans les techniques de l’art oratoire, de l’adéquation entre le

style de la langue et le thème traité: on distinguait entre le noble,

propre à émouvoir, le simple, pour expliquer et l’agréable, pour

plaire. Le principe d’adéquation référentielle varie avec le temps et

les sensibilités.

Les indices sociaux

Il faudrait y ajouter d’autres indices sociaux, dont certains

sont quantifiables (comme le sexe, l’âge), ou non (par exemple la

position sociale). Les problèmes qu’une telle classification soulève

sont bien connus de la sociologie: sur quels critères classer les

locuteurs ? Trois facteurs sont souvent exploités comme indices de la

position sociale: niveau d’étude, profession (en particulier différence

entre travail d’exécution et travail intellectuel) et type d’habitat

(rural ou urbain).

De tels classements, utilisés dans les enquêtes sociologiques,

ne sont pas toujours capables de saisir la diversité d’usages

(socio)linguistiques, sensibles à des facteurs multiples, d’une

dynamique étonannte: décentralisation, régression du monde rural

182

Page 179: Introduction a La Ling

(avec pour effet l’atténuation des spécificités diatopiques),

immigration et nouveaux contacts de langues porteurs de nouvelles

identités et ainsi de suite.

4. La variation stylistique (ou diaphasique)

Un locuteur, quelle que soit sa position sociale, dispose d’un

répertore diversifié selon la situation où il se trouve, les

protagonsites, la sphère d’activité ou les objectifs de l’échange.

Ce type de variation peut donc entraîner elle aussi des

différences notables, selon les communautés linguistiques. Pour

désigner ces variétés, il existe une terminologie assez diversifiée:

niveaux de langue, registres stylistiques, etc. La notion de niveau

s’est constituée au carrefour de problématiques didactiques,

stylistiques et linguistiques. Selon la pratique courante, les

principaux termes offerts par les manuels scolaires, les dictionnaires

ou les grammaires sont:

Terme Synonymesoutenu recherché, soigné, élaboré, cultivéstandard standardisé, courant, commun, usuelfamilier relâché, spontané, ordinairepopulaire vulgaire, (+ argotique)

La diversité de chenal, oral ou écrit, peut aussi être rapportée

au diaphasique (on appelle encore ce type spécial de variation

diamésique). De nombreux ouvrages récents en ont montré les

implications conceptuelles et cognitives à partir de l’organisation

183

Page 180: Introduction a La Ling

même de l’information, différente par oral et par écrit. La langue

parlée favorise, entre autres, l’existence de certains phénomènes de

structuration du discours, de certaines procédures conversationnelles,

analysables à différents niveaux: lexical, syntaxique, rhétoriqe,

pragmatico-énonciatif, etc. (cf. Blanche-Benveniste, 2000). D’autre

part, l’oral et l’écrit sont aussi opposés par l’implication du locuteur,

jugée plus faible à l’écrit. L’oral voit le locuteur interagir, en général

en co-présence. L’engagement du locuteur dans son discours se

manifeste à travers les déictiques, la présence d’éléments évaluatifs,

de modalisateurs.

D’autres différences peuvent encore être mises en évidence

entre la langue “courante”, usuelle et la langue littéraire, entre le

langage courant et le langage administratif, etc. Dans la langue

littéraire on enregistre des différences sensibles entre la poésie et la

prose, entre la poésie épique ou lyrique, etc.

De toute façon, il est à relever que la plupart des traits

linguistiques variables concernent à la fois le diastratique et le

diaphasique.

Conclusions

La langue est un moyen de communication qui reste efficace

dans une très grande variété de situations. Elle varie nécessairement

dans le temps, car les langues évoluent, mais aussi dans l’espace et la

184

Page 181: Introduction a La Ling

société, comme on vient de le voir. La variabilité est ainsi inscrite

dans l’être même de la langue.

Le tableau suivant, emprunté à Gadet (2003b:15), synthétise

les relations entre les termes de la variation:

Variation selonl’usager

temps changement diachronieespace géographique,

régional, local, spatial

diatopie

société social diastratieVariation selonl’usage

styles, niveaux, registres

situationnel, stylistique, fonctionnel

diaphasie

chenal oral / écrit diamésie

Selon Coşeriu (2000:266), la langue ne constitue pas un seul

système linguistique, mais un diasystème, un ensemble plus ou

moins complexe de “dialectes”, “niveaux de langue” et “styles”. On

parle, dans un sens analogue, de l’architecture de la langue ou

d’architecture variationnelle.

185

Page 182: Introduction a La Ling

Bibliographie

Blanche-Benveniste, Claire, 2000, Approche de la langue parlée en français, Ophrys.Coşeriu, Eugeniu, 2000, Lecţii de lingvistică generală, Editura ARC.Gadet, Françoise, 2003a, La variation: le français dans l’espace social, régional et international, in Yaguello, Marina, “Le grand livre de la langue française”, p. 91-152.Gadet, Françoise, 2003b, La variation sociale en français, Ophrys.Guiraud, Pierre, 1968, Langage et théorie de la communication, in “Le Langage”, Encycplopédie de la Pléiade, p. 145-167.Kerbrat-Orrecchioni, Catherine, 1994, Les interactions verbales, II, Armand Colin.Klinkenberg, Jean-Marie, 1999, Des langues romanes, 2-e éd., Duculot, p. 29-56.Malmberg, Bertil, 1962, La notion de “force” et les changements phonétiques, in “Studia Linguistica”, XVI, 1, p. 38-44.Saussure, Ferdinand de, (1916), éd. 1978, Cours de linguistique générale, Payot, p. 261-312.Wartburg, Walter von, 1963, Problèmes et méthodes en linguistique, PUF.

186

Page 183: Introduction a La Ling

TROISIÈME SECTION

LA RÉFÉRENCE

Cadre théorique

Parler des individus, des objets qui nous entourent ou de

toute entité appartenant à un univers quelconque n’est pas

concevable sans l’établissement d’une relation particulière entre la

langue et le monde. Quand on dit, par exemple, Mon chat est malin,

le sujet de la phrase désigne un objet du monde que l’interlocuteur

doit pouvoir identifier: le référent. L’énonciation du groupe de mots

(syntagme nominal) mon chat permet alors de réaliser un acte de

référence. Celui-ci consiste donc à utiliser des formes linguistiques

(mots, syntagmes, phrases) pour évoquer des entités (objets,

personnes, propriétés, procès, événements) appartenant à des univers

réels ou fictifs, extérieurs ou intérieurs. Selon Charolles (2002:248),

la référence est un “acte intentionnel visant à renvoyer à une entité

extra-linguistique par le biais d’une expression linguistique”.

Historique

L’approche linguistique des phénomènes de référence n’est

pas de date récente. Ce problème a été abordé par les plus grands

philosophes comme Platon, G. Leibniz, J. Locke, S. Mill, G. Frege,

187

Page 184: Introduction a La Ling

E. Husserl, P. Strawson, W. Quine et a suscité une quantité

impressionnante d’études linguistiques.

F. de Saussure exclut le référent dans la représentation

biplane du signe linguistique. Il souligne dans son Cours de

linguistique générale que “le signe linguistique unit non une chose et

un nom, mais un concept et une image acoustique” (1916,

éd.1978:98), ce qui a permis le développement par la suite d’une

sémantique intralinguistique (immanentiste). Contrairement à cette

démarche, le triangle sémiotique de C. Ogden et I. Richards ménage

une place au référent (The Meaning of Meaning, London, 1923) (v.

chap. Le signe linguistique), tout comme le triangle de S. Ullmann

(Semantics, Oxford, Blackwell, 1962) reproduit ci-dessous:

Sens

Nom Chose(= référent)

Malgré cela, les travaux de linguistique se sont pendant

longtemps cantonnés à l’étude des relations entre le symbole (ou

nom) et la pensée (ou sens). Mais aujourd’hui les linguistes

considèrent que l’analyse des phénomènes touchant à cette

problématique constitue un chapitre essentiel de la sémantique et de

la pragmatique, voire de la syntaxe, et cela pour plusieurs raisons:

”La question qui se pose, notamment depuis le développement de la

pragmatique, est d’arriver à comprendre comment les différentes

188

Page 185: Introduction a La Ling

langues offrent aux sujets qui les parlent le moyen d’échanger non

pas seulement des pensées mais des pensées à propos de choses et

de s’entendre (en général correctement) sur la détermination de ces

choses, fussent-elles vagues, fictives, spéculatives, etc. (Charolles,

2002:12).

Référence actuelle et référence virtuelle

Cette distinction a été établie par J.-C. Milner (Ordres et

raisons de langue, Seuil, 1982:10).

La référence virtuelle est définie relativement à l’unité

lexicale: “À chaque unité lexicale individuelle est attaché un

ensemble de conditions que doit satisfaire un segment de réalité pour

pouvoir être la référence d’une séquence où interviendrait

crucialement l’unité lexicale en question (…) L’ensemble de

conditions caractérisant une unité lexicale est sa référence virtuelle“

(ibid.).

La référence actuelle est constituée par les segments de

réalité, les référents, qui sont attachés à telle expression employée.

L’ami de Mari, par exemple, est une expression qui désigne un être

particulier qui constitue sa référence actuelle.

189

Page 186: Introduction a La Ling

Expressions prédicatives et expressions référentielles

Dans la représentation sémantique d’une phrase telle que

Mon chat est malin, on distingue traditionnellement les expressions

sujet (SN) et celles qui constituent le groupe du verbe (SV). G. Frege

(1971) y voit une opposition fonctionnelle entre:

- les expressions référentielles qui désignent des objets

particuliers (en l’occurrence, mon chat) et

- les expressions prédicatives (en l’occurrence, est malin)

qui assignent une caractéristique (au sens large du terme) au sujet.

Cette distinction correspond en grandes lignes à l’analyse

grammaticale de la phrase comme une prédication articulant un

syntagme nominal sujet et un syntagme verbal (ou prédicatif). Les

expressions référentielles n’occupent pas obligatoirement la position

syntaxique de sujet. Dans la phrase Paul a rencontré son ami, le SN

sujet Paul, tout comme le SN objet son ami, identifient, chacun, des

êtres particuliers.

L’analyse de ces expressions peut se faire à plusieurs

niveaux:

a) syntaxique: Paul est un constituant du noyau de la phrase

(SN sujet), alors que son ami est un constituant du SV (COD);

b) sémantico-logique: Paul est le premier argument, ayant le

rôle d’agent, son ami est le second argument du prédicat rencontrer,

ayant le rôle de patient;

190

Page 187: Introduction a La Ling

c) communicatif: Paul constitue le thème de la phrase (le

constituant qui porte l’information supposée connue), alors que son

ami constitue avec le verbe dont il est l’objet le rhème (le constituant

qui apporte l’information supposée nouvelle) (v. chap. La

progression textuelle).

Typologie des expressions référentielles

1. La distinction entre référence générique, référence

spécifique et référence attributive

La référence générique

En considérant les phrases suivantes:

Le lion est un animal pacifique.

Un lion est un animal pacifique.

Les lions sont des animaux pacifiques,

on constate qu’on peut utiliser chacune d’elles pour asserter une

proposition générique, c’est-à-dire une proposition qui dit quelque

chose, non pas de ce lion ou groupe de lions particuliers, mais de la

classe de lions en tant que telle. Les sujets de ces phrases renvoient

donc à un référent générique (représentant la classe entière). En

français, l’article défini (singulier et pluriel), ainsi que l’article

indéfini (singulier) peuvent conduire à l’interprétation générique

d’un SN.

191

Page 188: Introduction a La Ling

La référence spécifique

Dans ce cas le référent visé est une entité particulière:

Mon chat / ce chat est très malin.

Il / celui-ci / le mien est très malin.

Le référent est présenté comme identifiable dans une

situation donnée.

La référence attributive

Dans l’interprétation globale de la phrase, l’identité du

référent importe moins que les caractéristiques véhiculées par

l’expression descriptive:

L’assassin de Smith est fou

veut dire qu’”il faut être fou pour avoir tué Smith”. Le locuteur qui

prononce cette phrasee n’a présente à l’esprit aucune personne

déterminée, son intention étant de faire allusion à la personne, quelle

qu’elle soit, qui a commis le crime. La description définie est utilisée

dans ce cas attributivement. Si, au contraire, le locuteur fait allusion

à un individu précis, parfaitement identifié, la description définie est

utilisée référentiellement.

2. La distinction entre référence déictique et référence

anaphorique

Cette distinction s’inscrit depuis Benveniste dans la

problématique plus large de l’énonciation.

La référence déictique (ou situationnelle)

192

Page 189: Introduction a La Ling

L’expression réfère relativement à la situation d’énonciation

dans laquelle elle s’incrit. Dans les phrases

Il arrive ! (dite à propos d’un train qui entre en gare)

Je veux cette revue (dite en montrant l’objet en question),

on désigne au moyen du pronom de la 3-e personne, respectivement

du déterminant démonstratif, des référents dont ils situent l’existence

dans la situation du discours.

La référence anaphorique

Dans ce type de référence, dite anaphorique, le référent de

l’expression n’est accessible qu’à travers d’autres segments du texte:

Paul est mécontent; il s’en va.

Le type grammatical de l’expression référentielle

Du point de vue lexico-syntaxique, une expression

référentielle peut être:

dénominative

Le référent est alors identifié par un nom propre (Np). D’un

point de vue référentiel, les Np peuvent se rapporter à différentes

catégories d’identités particulières: noms des personnes, des lieux,

des villes, des fleuves, mais aussi des animaux domestiques, des

bateaux, des organismes, etc. L’usage d’un Np ne signale aucune

autre intention chez le locuteur que de viser un être unique: Socrate

peut référer au célèbre philosophe grec, mais aussi à un chat, à un

programme éducatif, etc. Les Np ne font allusion à aucun attribut

193

Page 190: Introduction a La Ling

descriptif de leur porteur. L’identification de celui-ci ne peut se faire

que si l’allocutaire a une connaissance préalable de “qui (ou ce qui)

s’appelle Np”. D’autre part, les Np sont liés à leur porteur par une

convention qui est indépendante de leurs caractéristiques

substantielles. Ils constituent, de ce fait, ce que S. Kripke appelle des

désignateurs rigides (cf. Récanati, 1983:106-118). En reprenant

l’exemple de Charolles (2002:55), on dira que pour référer à l’actuel

président de la République Française on peut utiliser soit le nom

propre Jacques Chirac soit une description définie comme l’actuel

président de la République Française. Quoique les deux formules

paraissent équivalentes, le choix de l’une ou de l’autre peut être

motivé par des raisons communicatives (on peut soupçonner, par

exemple, que celui à qui on s’adresse ignore que Jacques Chirac est

l’actuel président de la République Française).

définie

La référence se réalise au moyen de l’article défini suivi d’un

nom avec ou sans déterminant. Ce nom fournit une indication sur la

nature du référent, trait partagé aussi par les SN démonstratifs,

possessifs et indéfinis qui, contrairement aux noms propres et aux

pronoms, fournissent des informations sur la catégorie des entités

qu’ils servent à désigner. C’est pour cette raison qu’on parle à leur

propos de descriptions définies, démonstratives, etc.

194

Page 191: Introduction a La Ling

La description définie, à son tour, est jugée complète ou

incomplète (elle sollicite alors un complément d’information

situationnelle ou contextuelle).

Les descriptions définies complètes, comme, par exemple,

l’auteur de “La Peste”, le champion mondial 2000 du saut à la

perche, la plus jeune actrice qui a remporté l’Oscar, sont valides

pour un seul référent. Elles sont constituées, pour la plupart, par

l’adjonction au nom d’un complément ou d’une relative

déterminative qui restreignent l’extension des SN définis à une seule

entité déterminée.

Les descriptions définies incomplètes ne possèdent pas la

même autonomie référentielle que les premières (on ne peut pas

identifier le référent indépendamment des informations sur le

contexte où les expressions sont employées). Dans l’exemple Le

premier ministre a démissionné, l’ancrage de l’expression

référentielle définie dans le contexte est bien visible: il s’agit, en

l’absence d’une description plus complète (le premier ministre de X),

du premier ministre du pays où l’énoncé est émis.

Dans la conversation quotidienne nous utilisons souvent des

descriptions définies incomplètes:

Où as-tu mis la clé ?

Le chat s’est sauvé.

Tu devrais arroser les fleurs,

195

Page 192: Introduction a La Ling

dans lesquelles l’identification du référent se fait sans difficulté,

parce que connu des deux interlocuteurs.

démonstrative

La référence se réalise au moyen d’un adjectif démonstratif

introduisant le SN, ou d’un substitut démonstratif:

Ces gâteaux sont excellents.

Je préfère celle-là.

Le référent désigné par l’expression nominale démonstrative

(tout comme dans le cas de l’emploi du pronom démonstratif) ne

peut être établi en dehors de la situation d’énonciation dans laquelle

l’expression est utilisée. C’est un trait commun de toutes les

expressions déictiques (comme je, tu, ici, là, maintenant, aujourd’hui

etc.; v. chap. La déixis). En outre, l’emploi du démonstratif peut être

accompagné d’un geste d’ostension (fort: doigt tendu, ou faible:

mouvement de la tête et orientation du regard) en direction d’un

référent perceptible à la fois par le locuteur et les allocutaires.

Lorsque le SN démonstratif est accompagné d’un

déterminant, celui-ci n’a pas le même rôle que dans le cas des SN

définis. Dans l’exemple:

Donne-moi la / cette revue que tu viens d’acheter,

on voit qu’avec le défini le déterminant participe à l’identification du

référent, alors qu’avec le démonstratif, le déterminant se limite à

indiquer la catégorie du référent.

indéfinie

196

Page 193: Introduction a La Ling

L’expression référentielle est dans ce cas un SN introduit par

un déterminant indéfini (article ou adjectif). Les SN indéfinis

constituent des expressions autonomes référentiellement: ils ne

sollicitent aucune préconception de l’entité visée. C’est cette

propriété qui les rend aptes à introduire les référents nouveaux:

Un homme pouvant avoir une cinquantaine d’années

montait l’avenue du Maine.

Les indéfinis (un, deux, des, plusieurs, quelques, tout, aucun,

certains) quantifient également, mais pas tous de la même façon:

Des fleurs ornaient la chambre.

Quelques enfants jouaient dans la cour de l’école.

De surcroît, les SN indéfinis peuvent imposer une lecture

générique du référent:

Un homme est venu me voir (lecture spécifique).

Un homme est grand / gentil / sociable (lecture générique).

pronominale

L’expression référentielle est un pronom, avec ou sans

expansion déterminative.

Dans toutes les langues, les expressions pronominales

constituent une classe extrêmement diverse, regroupant des pronoms

personnels, démonstratifs, possessifs, indéfinis, interrogatifs et

relatifs. Ces pronoms ne véhiculent pas, au moins directement,

d’indication sur la catégorie de leur référent, ce qui ne les empêche

197

Page 194: Introduction a La Ling

pas de renvoyer à des entités précises et donc de référer de manière

définie.

Il (= Paul) est déjà parti. (il substitue Paul, en emploi

anaphorique)

Celui-ci est plus intéressant. (emploi déictique, peut être

accompagné d’un geste indicatif)

Chacun d’eux entrait et prenait place.

Qui veut répondre ?

Bibliographie

Charolles, Michel, 2002, La référence et les expressions référentielles en français, Ophrys.Frege, G., 1971, Écrits logiques et philosophiques, Seuil.Lyons, John, 1968, Linguistique générale, Larousse, p. 326-333.Lyons, John, 1978, Éléments de sémantique, Larousse, p. 143-190.Récanati, F., 1983, La sémantique des noms propres: Remarques sur la notion de désignateur rigide, in “Langue française”, 57, p.106-118.Riegel, Martin, Pellat, Jean-Christophe & Rioul, René, 1994, Grammaire méthodique du français, PUF, p. 569-574.

198

Page 195: Introduction a La Ling

L’ÉNONCIATION

Le cadre énonciatif

L’énonciation constitue le pivot de la relation entre la langue

et le monde: d’un côté elle permet de représenter dans l’énoncé des

faits, mais d’un autre elle constitue elle-même un fait, un événement

unique dans le temps et dans l’espace.

On peut définir l’énonciation comme l’acte individuel de

création par lequel un locuteur met en fonctionnement la langue: un

échange linguistique met en jeu des individus (locuteur et

allocutaire), dans une situation de communication particulière . “Pour

individuel et particulier que soit cet acte, il n’en obéit pas moins à

certains schémas inscrits dans le système de la langue. Il faut donc

distinguer entre le matériel linguistique abstrait (ou énoncé-type), et

les multiples réalisations que sont les actes de discours (ou énoncés-

occurrences): c’est à ce niveau que s’inscrit la problématique de

l’énonciation” (Arrivé et all., 1986:254).

Tout acte d’énonciation se réalise dans une situation de

communication particulière, dont les éléments constitutifs sont:

- Les partenaires énonciatifs, protagonistes fondamentaux,

“acteurs de la communication” (Riegel et all., 1994:575);

199

Page 196: Introduction a La Ling

- Les données référentielles spatio-temporelles spécifiques;

- Les objets présents qui constituent l’environnement

perceptible des protagonistes.

Historique

Énonciation est un terme ancien en philosophie. Depuis le

Moyen Âge il a été employé avec un sens logique et grammatical.

L’énonciation correspondait, à l’origine, à la proposition, au sens

logique du terme. À partir du XIX-e siècle, le terme a pris d’un côté

un sens très large et de l’autre un sens linguistique précis. Il a fait, en

linguistique, l’objet d’un emploi systématique à partir de Ch. Bally

(1932) et surtout d’Émile Benveniste. Pour Benveniste l’énonciation

est “la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel

d’utilisation”, l’”acte même de produire un énoncé“ (1974:80).

Benveniste définit aussi l’énonciation comme un processus

d’appropriation de la langue. “Le locuteur s’approprie l’appareil

formel de la langue et il énonce sa position de locuteur par des

indices spécifiques, d’une part, et au moyen de procédés accessoires,

de l’autre” (1970:14). Cet acte d’appropriation de la langue introduit

celui qui parle dans sa parole. Il est “le fait du locuteur qui mobilise

la langue pour son compte” (idem).

Énonciation et énoncé

200

Page 197: Introduction a La Ling

L’énonciation représente l’acte de production d’un

énoncé, le processus complexe qui l’engendre.

L’énoncé, à son tour, est le produit, oral ou écrit, de l’acte

d’énonciation. C’est donc la structure signifiante, achevée et close,

perçue par celui qui décode la langue.

L’énonciation s’oppose à l’énoncé comme un acte qui se

distingue de son produit.

Une autre distinction est à prendre aussi en compte: énoncé-

type et énoncé-occurrence.

Énoncé-type

Un énoncé peut être envisagé indépendamment des diverses

énonciations qui peuvent le prendre en charge. En d’autres mots, au-

delà des occurrences distinctes de son énonciation, le contenu d’un

énoncé reste stable; il est alors envisagé comme “type”.

Énoncé-occurrence

Le même énoncé peut être émis par telles personnes en telles

situations, ce qui correspond à autant d’occurrences distinctes.

L’étude de la langue doit prendre en compte l’énonciation

dans la mesure où celle-ci laisse des traces dans l’énoncé. Tout

énoncé est donc repéré directement ou indirectement par rapport à la

situation d’énonciation où il est produit. Il existe, bien entendu, des

énoncés qui peuvent être relativement indépendants de leur situation

d’énonciation: les textes scientifiques, par exemple. Une phrase

définitoire véhiculant une vérité générale comme La Terre tourne

201

Page 198: Introduction a La Ling

autour du Soleil ne semble prise en charge par aucun énonciateur

particulier. Mais, en règle générale, les formes linguistiques, pour

être complètement interprétées, doivent être mises en relation avec la

situation d’énonciation. Ou, en d’autres termes, on ne peut pas

déterminer avec précision le sens d’un énoncé si l’on ne prend pas en

compte, outre ce que signifie l’énoncé en tant que type, les

circonstances de son énonciation. Dans Je viendrai demain,

l’identification du locuteur (je), de même que la localisation

temporelle (demain), ne sont accessibles qu’à partir de la situation.

Les indices de l’énonciation

La plupart des énoncés comportent des éléments qui

“réfléchissent” l’acte d’énonciation. L’étude des phénomènes

relevant de l’énonciation prend en compte “les procédés par lesquels

le locuteur imprime sa marque à l’énoncé, s’inscrit dans le message

(implicitement ou explicitement) et se situe par rapport à lui”

(Kerbrat-Orecchioni, 1980:32).

On appelle souvent marques ou traces énonciatives les

unités linguistiques qui indiquent le renvoi de l’énoncé à son

énonciation. Certaines formes de la langue, les déictiques et les

modalités en particulier, ne peuvent s’expliquer qu’en fonction des

éléments constitutifs de l’acte d’énonciation.

Les déictiques

202

Page 199: Introduction a La Ling

Il s’agit d’abord des pronoms personnels, je, tu et leurs

variantes. Les possessifs, déterminants et pronoms, de première et

deuxième personne, s’interprètent eux aussi en fonction de la

situation d’énonciation (mon livre). La référence à l’espace (ici) et au

temps (maintenant) ancrent également le discours dans la situation.

De même, la marque temporelle du présent s’interprète comme

référence au moment de l’énonciation. Par rapport à ces trois

données que l’on schématise comme moi-ici-maintenant, s’organise

l’ensemble des phénomènes de repérage. Il est ce qui n’est ni je ni tu.

Le système spatio-temporel des adverbes (là-bas, ailleurs, hier,

demain) ou des prépositions (depuis, devant) s’instaure par

opposition à ici et maintenant. Les démonstratifs (déterminants et

pronoms) et les présentatifs (voici, voilà) sont toujours liés à

l’instance d’énonciation.

L’ensemble du système de déictiques ne constituent pas une

liste d’unités isolées, au contraire, ils forment un système qui

organise un énoncé, qui lui donne son ancrage (v. chap. La déixis).

Les modalités

L’étude du champ de la modalité relève aussi de

l’énonciation dans la mesure où les modalités sont considérées

comme des éléments qui expriment un certain type d’attitude du

locuteur par rapport à son énoncé.

203

Page 200: Introduction a La Ling

On distingue en général entre modalités d’énonciation et

modalités d’énoncé.

1. Les modalités d’énonciation

Les modalités d’énonciation marquent l’attitude énonciative

du sujet de l’énonciation dans sa relation avec l’allocutaire. Elles se

traduisent par les différents types de phrase:

Assertif: Jean fait son devoir.

Interrogatif: Jean fait-il son devoir ?

Injonctif: Fais ton devoir, Jean !

Exclamatif: Jean fait son devoir !

2. Les modalités d’énoncé

Les modalités d’énoncé expriment l’attitude du sujet de

l’énonciation vis-à-vis du contenu de l’énoncé ou, selon Nølke

(1993), le “regard du locuteur” sur le contenu de ce qu’il dit.

Les marques des modalités sont diverses:

- Verbes modaux: Je peux traduire le texte.

- Adverbes modalisateurs: L’enfant a peut-être faim.

- Adjectifs modalisateurs: C’est bien triste de rater un

examen.

- Modes et temps verbaux: Je regrette qu’il ne soit pas venu.

En général, les ouvrages de linguistique prennent en compte

les modalités suivantes:

204

Page 201: Introduction a La Ling

- Modalités ontiques: définies comme les modalités du

possible, de l’impossible, du nécessaire et du contingent et illustées

par certains usages des verbes pouvoir, devoir, etc.

- Modalités déontiques: marquent la permission ou

l’obligation et sont illustrées par les verbes pouvoir, devoir, exiger,

interdire ou par les modes impératif et subjonctif;

- Modalités épistémiques: expriment le degré de certitude

du locuteur par rapport au contenu de son assertion et sont illustrées

par les emplois des verbes savoir, croire, douter, ignorer, des

adverbes modaux comme peut-être, probablement, sans doute,

vraisemblablement, etc.;

- Modalités subjectives: indiquent les attitudes

psychologiques du locuteur:

a) bouliques: vouloir, souhaiter, espérer;

b) appréciatives: il est bon mauvais / juste / heureux…;

regretter, souhaiter.

La subjectivité dans la langue

Aux modalisateurs peuvent s’ajouter toutes sortes

d’appréciations subjectives:

- Affectives - qui concernent toute expression d’un sentiment

du locuteur;

- Évaluatives - qui correspondent à tout jugement ou

évaluation du locuteur (Kerbrat-Orecchioni, 1980).

205

Page 202: Introduction a La Ling

L’inventaire de l’expresion linguistique de la subjectivité

renferme:

- Des noms affectifs ou évaluatifs: baraque vs. maison;

bagnole vs. voiture;

- Des adjectifs affectifs: drôle, terrible ou évaluatifs: grand,

petit, chaud, froid, bon, beau;

- Des verbes: aimer, détester, craindre, penser, croire,

prétendre;

- Des adverbes et des locutions adverbiales: réellement,

franchement, heureusement, à vrai dire, en toute franchise;

- Des interjections: Hélas, bravo;

- L’intonation, surtout dans les phrases exclamatives,

exprime l’appréciation du locuteur: Oh! Madame! Quelle bonté!

s’écria Mahaut. (Radiguet)

De toute façon, le cadre théorique de la modalisation

s’élargit continuellement, à partir des conceptions restreintes aux

conceptions larges, selon lesquelles toute assertion est modalisée,

puisque assumée par un locuteur. De plus en plus nombreux sont les

linguistes qui adhèrent au point de vue selon lequel tout énoncé a une

valeur modale, étant modalisé par son énonciateur, puisque la parole

“ne peut représenter le monde que si l’énonciateur, directement ou

non, marque sa présence à travers ce qu’il dit” (Maingueneau, in

Images de soi dans le discours. La construction de l’ethos, Lausanne,

1999:87)

206

Page 203: Introduction a La Ling

Bibliographie

Bally, Charles, 1932, Linguistique générale et linguistique française, Ernest Leroux, Paris; 1965, Berne, Francke.Benveniste, Émile, 1970, L’appareil formel de l’énonciation, in “Langages”, 17 Mars, p. 12-18.Culioli, Antoine, 1990, Pour une linguistique de l’énonciation. Opérations et représentations, Ophrys.Culioli, Antoine, 1999, Pour une linguistique de l’énonciation. Formalisation et opérations de repérage, Ophrys.Dubois, Jean, 1969, Énoncé et énonciation, in “Langages”, 13 Mars. Kerbrat-Orecchioni, Catherine, 1980, L’énonciation. De la subjectivité dans la langue, Colin.Maingueneau, Dominique, 1991, L’énonciation en linguistique française, Hachette, p. 7-100.Nølke, Henning, 1993, Le regard du locuteur. Pour une linguistique des traces énonciatives, Kimé.

207

Page 204: Introduction a La Ling

LA DÉIXIS

Le mot déixis, emprunté au grec ancien où il signifie “action

de montrer”, est une façon de conférer son référent à une séquence

linguistique. L’on entend communément par déixis “la localisation et

l’identification des personnes, objets, processus, événements et

activités (…) par rapport au contexte spatio-temporel créé et

maintenu par l’acte d’énonciation” (Lyons, 1980:261). Elle est

marquée linguistiquement par des déictiques et des éléments en

emploi déictique.

Les linguistes distinguent en général entre embrayage et

déixis, embrayeurs et déictiques.

Embrayage et embrayeurs

L’embrayage est la procédure discursive par laquelle le sujet

de l’énonciation manifeste, grâce à l’emploi des embrayeurs, sa

présence dans l’enoncé.

Les embrayeurs (en anglais shifters) sont les éléments

linguistiques qui manifestent dans l’énoncé la présence du sujet de

l’énonciation. Jakobson (1963:178) affirme que “la signification

générale d’un embrayeur ne peut être définie en dehors d’une

208

Page 205: Introduction a La Ling

référence au message”, c’est-à-dire que le référent qu’ils désignent

ne peut être identifié que par rapport à l’acte de l’énonciation unique

qui a produit l’énoncé à l’intérieur duquel il se trouve. Coupé des

circonstances de son énonciation, le discours comportant des

embrayeurs est ininterprétable. Dans Je ne viendrai pas avec vous au

théâtre, je et vous s’interprètent en fonction des participants au

message.

Déixis et déictiques

À la différence de l’embrayage, la déixis, clairement

observable dans le fonctionnement des démonstratifs, ne se satisfait

pas des seules indications fournies par l’acte même de l’énonciation.

Dans la phrase Je veux cette voiture, le repérage du référent se fait

grâce à l’emploi du déictique cette, accompagné (éventuellement)

d’un geste d’ostension (désignation).

Il est à remarquer que certains auteurs emploient de façon

indifférente les termes d’embrayage et déixis, embrayeurs et

déictiques. C’est d’ailleurs la démarche adoptée dans ce qui suit.

Les déictiques

Les déictiques sont des unités linguistiques “dont le sens

implique obligatoirement un renvoi à la situation d’énonciation pour

trouver le référent visé“ (Kleiber, 1986:12). L’étiquette de déictique

ne recouvre pas toujours les mêmes unités linguistiques. Pour

209

Page 206: Introduction a La Ling

certains, elle s’applique à tous les éléments qui, par nature, suscitent

une référence de type déictique (personnes, indicateurs spatio-

temporels); d’autres la réservent aux seuls indicateurs spatio-

temporels. Concurremment à déictique, dans la littérature de

spécialité circulent aussi d’autres dénominations (embrayeurs, v.

plus haut, symbole indexical, expression sui-référentielle,

Charaudeau, 2002:158).

On considère comme prototypes de la déixis: les

démonstratifs, les pronoms personnels de la première et de la

deuxième personne, certains adverbes de temps et de lieu, comme

maintenant et ici, ainsi que d’autres catégories grammaticales ayant

trait aux circonstances de la communication.

Il est à remarquer que les expressions déictiques connaissent

également un emploi non déictique, en principal anaphorique, mais

aussi non anaphorique:

a) emploi déictique:

Je veux cette voiture, pas celle-là ! (phrase qui peut être

accompagnée d’un emploi gestuel)

Tu viens avec nous ?

b) emploi non déictique:

Mon frère s’est acheté une nouvelle voiture. Cette voiture

lui a coûté les yeux de la tête. (emploi anaphorique)

Tu commences à parler et il t’interropt tout le temps.

(emploi non anaphorique)

210

Page 207: Introduction a La Ling

Classes de déictiques

Les pronoms personnels

Les pronoms de dialogue (de première et de deuxième

personnes) désignent des référents humains ou anthropomorphes (par

exemple, dans les fables):

- Je désigne le locuteur (celui qui parle);

- Tu désigne l’allocutaire (celui à qui le locuteur parle);

- Nous inclut le locuteur et d’autres personnes (allocutaire,

délocuteur):

Moi et toi, nous sommes contents.Moi et lui, nous sommes contents.Moi, toi et lui, nous sommes contents.

- Vous désigne l’allocutaire et peut inclure une tierce

personne (délocuteur):

Toi et lui, vous êtes amis.

Le pronom personnel de troisième personne ne désigne

pas un participant au processus de communication; il se définit par

des traits négatifs: non locuteur, non allocutaire. Il, à la différence de

je et tu, est un pro-nom au sens strict, c’est-à-dire un élément

anaphorique qui remplace un SN introduit antérieurement dans le

discours. “Certes, je-tu et il ont un point commun: ils ne tirent leur

référence que du contexte où ils sont placés (…) mais il ne s’agit pas

du même contexte dans les deux cas; pour je et tu il s’agit du

211

Page 208: Introduction a La Ling

contexte situationnel, alors que pour il comme pour tout élément

anaphorique il s’agit du contexte linguistique” (Maingueneau,

1991:19).

Le pronom personnel de troisième personne peut toutefois

prendre une valeur déictique quand il sert à désigner une personne ou

un objet présent(e) dans la situation:

Regarde-le, comme il est mignon !

Les possessifs (déterminants et pronoms) de première et

deuxième personne peuvent avoir eux aussi une valeur déictique,

puisque leur sens intègre une mise en rapport avec le locuteur ou

l’allocutaire:

Je ne veux pas ton livre, donne-moi le mien !

Les démonstratifs

Les démonstratifs (déterminants et pronoms) entrent dans la

constitution des SN qui réfèrent à des objets / personnes présent(e)s

dans la situation, surtout lorsqu’ils sont accompagnés d’un geste

d’ostension:

Regarde cette voiture / celle-ci !

Donne-moi ce livre / celui-ci !

En français, le démonstratif adjectival ne présente qu’un seul

terme: ce (+ variantes), alors que les substituts ont des formes

marquant le genre et le nombre: celui, celle, ceux, celles. La

précision de la proximité / éloignement se fait par les particules

212

Page 209: Introduction a La Ling

déictiques -ci / -là. Les formes composées des démonstratifs

présentent ainsi une organisation binaire: celui-ci / celui-là, ce…-ci /

ce…-là, selon le trait proximité / distance par rapport au lieu du

locuteur:

Cette maison-ci est plus belle que celle-là,

mais, parfois, cette opposition se neutralise, en faveur de là ayant le

sens de ci:

Cette montre-là ne marche pas bien.

D’autre part, on remarque en français actuel l’emploi de plus

en plus fréquent de là aux dépens d’ici, “dans le sens que

l’opposition proximité / éloignement se réalise surtout à l’aide de ø /

là: ce livre / ce livre-là” (Iliescu, 1975-1976:41).

Dans d’autres langues, l’idée de proximité / distance est

intrinsèque au démonstratif: roum. acesta / acela, angl. this / that.

Le latin classique avait un système ternaire d’organisation

des démonstratifs, qui correspondent à la situation du dialogue:

objets qui se trouvent près du locuteur, près du récepteur (allocutaire)

et loin des deux partenaires discursifs. L’opposition fondamentale

était celle de proximité / éloignement, la proximité étant subdivisé à

son tour en proximité par rapport à l’émetteur et en proximité par

rapport au récepteur (Idem:33):

proximité éloignement

émetteur (ego) HIC

213

Page 210: Introduction a La Ling

ILLE délocutairerécepteur (tu) ISTE

Le latin parlé et tardif a opéré une réduction du système, par

neutralisation du deuxième terme “près de récepteur” par le premier

terme “près du locuteur”: (eccu) iste / (eccu) ille.

Le système ternaire existe encore en portugais et en

espagnol. En espagnol (este, ese, aquel), este marque la proximité

par rapport à l’émetteur, ese la proximité par rapport au récepteur,

aquel, l’éloignement, mais on enregistre la tendance à la réduction du

système, la troisième personne, assimilée à la deuxième, étant

souvent désignée à l’aide du démonstratif ese, en sorte que

l’opposition devient: este (proximité) / ese (éloignement).

Le système du latin a laissé des traces aussi en italien, qui

présente une organisation ternaire du système des déictiques

adjectivaux: questo, codesto / quello, alors que le système des

substituts est devenu binaire, par la perte de codesto.

On voit donc, qu’au moins dans les langues romanes, les

démonstratifs sont organisés selon le système ternaire (portugais,

espagnol, catalan, italien) ou le système binaire (français,

rhétoroman, roumain), mais dans la langue parlée et familière on

remarque la tendance à la simplification, par le passage du système à

trois termes à un système à deux termes, marquant l’opposition

proximité / éloignement.

214

Page 211: Introduction a La Ling

Il est aussi à remarquer que l’article défini, employé dans les

mêmes conditions, peut conférer au SN une valeur déictique, mais le

fonctionnement référentiel des SN introduits par ces deux

déterminants n’est pas identique (v. chap. La référence):

Passe-moi le cric.

Les expressions indiquant la localisation spatio-

temporelle

Ce type de déictiques a pour fonction d’inscrire les énoncés-

occurrences dans l’espace et le temps par rapport au point de repère

que constitue le locuteur. La triade moi-ici-maintenant est

indissociable, “clé de voûte de toute l’activité discursive”

(Maingueneau, 1991:26).

a. Les expressions indiquant le lieu peuvent repérer leur

référent par rapport au lieu de l’énonciation: l’adverbe ici désigne le

lieu du locuteur et s’oppose à là, lieu du non locuteur:

Je ne le trouve pas ici.

Il est à remarquer qu’en français, l’adverbe là peut désigner

le lieu de l’interlocuteur, mais aussi, par neutralisation du trait

“éloignement par rapport au locuteur”, justement le lieu du locuteur:

Viens là ! (au lieu de: Viens ici !)

Les autres adverbes et locutions adverbiales sont organisés

en divers micro-systèmes sémantiques: près / loin; en haut / en bas;

à gauche / à droite, etc., qui correspondent à divers découpages de la

215

Page 212: Introduction a La Ling

catégorie de la spatialité. Si l’on ignore la position de l’énonciateur

qui les a émis, ces termes restent opaques.

À côté des adverbes, diverses autres catégories

grammaticales peuvent avoir une valeur déictique: les prépositions

(devant, derrière) et même les verbes. Ainsi, venir marque un

déplacement vers le lieu où se trouve le locuteur, alors qu’aller

s’emploie dans les autres cas. Cette propriété a été montrée par Ch.

Fillmore (1966) pour les verbes anglais come (“venir”) et go

(“aller”), mais elle est caractéristique pour d’autres langues aussi: it.

andare et venire, roum. a se duce et a veni, etc.

b. Les compléments de temps déictiques

Le système des déictiques temporels est beaucoup plus

complexe que celui des déictiques spatiaux. Ils sont repérés par

rapport au moment de l’énonciation. Le point de repère des

indications temporelles est le moment où l’énonciateur parle, le

moment d’énonciation (t0). C’est par rapport à son propre acte

d’énonciation que le locuteur ordonne la chronologie de son énoncé.

Ainsi dans Aujourd’hui je ne me sens pas très bien, l’adverbe

aujourd’hui, tout comme le présent du verbe, ne sont interprétables

que si l’on sait à quel moment cet énoncé a été produit: tous deux

constituent des éléments déictiques temporels. On en traitera à tour

de rôle.

216

Page 213: Introduction a La Ling

Les compléments de temps déictiques (adverbes, SN et SP)

qui s’organisent par rapport au présent du locuteur (t0) peuvent

exprimer:

- la coïncidence (maintenant, aujourd’hui, à présent, ce

matin, en ce moment, etc.):

Nous partons aujourd’hui

ou le décalage, marquant, respectivement:

- l’antériorité (hier, avant-hier, hier matin, la semaine

passée, le mois dernier, etc.):

Hier, il faisait encore beau.

- la postériorité (demain, après-demain, demain soir, bientôt,

désormais, la semaine prochaine, etc.):

Je dois le voir demain.

À remarquer que les adverbes déictiques hier, aujourd’hui,

demain peuvent se référer à l’intervalle dans son ensemble

(Aujourd’hui il fait froid) ou à un point, à un sous-intervalle de

l’intervalle (Paul est allé hier au cinéma).

Il faut donc retenir que pour les déictiques le repère coïncide

avec le moment t0.

Toutes les indications temporelles ne sont cependant pas

directement repérées par rapport au moment de l’énonciation. Dans

ce cas il ne s’agit plus de déictiques: alors, la veille, la semaine

d’avant, le lendemain, l’année suivante, etc. C’est ainsi que dans Le

lendemain de la fête Paul s’est trouvé malade, le point de repère de

217

Page 214: Introduction a La Ling

l’expression le lendemain est le SN la fête. Ce point de repère est lui-

même rapporté à t0 par l’emploi d’un temps du passé. Pour les

éléments non-déictiques le repère est donc distinct du moment t0.

c. Les temps du verbe

Les temps verbaux sont repérés par rapport au moment de

l’énonciation t0 ou, pour citer Jakobson (1963:174), “le temps

caractérise le procès de l’énoncé par référence au procès de

l’énonciation“.

“De l’énonciation procède l’instauration de la catégorie du

présent, et de la catégorie du présent naît la catégorie du temps. Le

présent est proprement la source du temps” (Benveniste, 1974:83).

C’est ainsi que les formes verbales s’organisent en deux grands

groupes, selon la référence impliquée:

1. Si le point de départ de la division des formes verbales est

le moment de l’énonciation (t0), on obtient une division primaire du

temps que l’on appelle, selon diverses terminologies, temps du

discours (Benveniste), situé sur l’axe déictique moi-ici-maintenant,

ou l’axe de l’énoncé (Jakobson). Selon le cas, l’énoncé peut exprimer

un procès simultané au moment t0, ou décalé dans le passé ou dans le

futur:

Comme il a beaucoup travaillé aujourd’hui il se dit qu’il

continuera demain.

Le temps qui exprime une relation directe avec le moment t0

est considéré comme un temps déictique.

218

Page 215: Introduction a La Ling

2. Au contraire, si la référence au moment t0 est indirecte (le

point de référence est situé dans le passé ou dans le futur), il résulte

un autre axe où les temps sont rapportés les uns aux autres: le temps

de l’histoire (Benveniste), situé sur l’axe du récit (Jakobson):

Comme il avait beaucoup travaillé ce jour-là il se dit qu’il

continuerait le lendemain.

Le temps qui exprime une relation temporelle par rapport à

un temps (événement) différent du moment t0, qui nécessite donc

l’appui d’une autre référence temporelle, est considéré comme un

temps anaphorique.

Cependant “l’analyse des textes révèle non seulement le

caractère trop rigide de cette division mais aussi et surtout le fait

qu’elle ne permet pas de formuler les règles d’emploi des temps

verbaux, étant donné qu’un temps répertorié comme déictique peut

fonctionner comme temps anaphorique. C’est pour cette raison que

l’on parle actuellement d’emploi déictique ou anaphorique” (Teodora

Cristea, Stratégies de la traduction, Ed. Fundaţiei “România de

mâine”, Bucureşti, 1998:79).

D’autres conceptions de la déixis

Selon d’autres conceptions de la déixis, elle peut être

envisagée aussi comme facteur de cohésion textuelle

(thématisation; focalisation) permettant d’introduire dans le discours

de nouveaux objets (v. chap. La progression textuelle).

219

Page 216: Introduction a La Ling

On parle aussi de déixis textuelle pour les déictiques qui

réfèrent à des lieux et à des moments du texte où ils figurent: ci-

dessus, au chapitre précédent, infra, etc. Dans ce cas, le repère est le

lieu ou le moment du texte où apparaît l’expression déictique.

En analyse de discours il faut considérer la situation qui est

pertinente pour le genre de discours concerné, à quoi peut s’ajouter la

situation que construit le discours même et à partir de laquelle il

prétend énoncer: c’est dans cette perspective que D. Maingueneau

(Nouvelles tendances en analyse du discours, Hachette, 1987:28)

parle de déixis discursive.

Bibliographie

Costăchescu, Adriana, 2001, Verbes déictiques, actant zéro et aspect, in “Actes du colloque Fin(s)s de siècle(s)”, Iaşi, p. 184-193.Fillmore, Charles, 1966, Deictic categories in the semantics of come, in “Foundations of Language”, 2, p. 219-227.Iliescu, Maria, 1975-1976, Considértions sur le système des démonstratifs déictiques dans les langues romanes, in “Buletinul Societăţii Române de Lingvistică romanică”, 11, p. 33-45.Kleiber, Georges, 1986, Déictiques, embrayeurs, etc., comment les définir ?, in “L’information grammaticale”, 30, p. 3-22.Kleiber, Georges, 1991, Anaphore – déixis, in “L’information grammaticale”, 51 , p. 3-18.Lyons, John, 1980, Sémantique linguistique, (trad. fr.) Larousse.Maingueneau, Dominique, 1991, L’énonciation en linguistique française, Hachette, p. 7-100.Riegel, Martin, Pellat, Jean-Christophe & Rioul, René, 1994, Grammaire méthodique du français, PUF, p. 577-579.

220

Page 217: Introduction a La Ling

Vuillaume, M., 1986, Les démonstratifs allemands dies- et jen-. Remarques sur les rapports entre démonstratifs et embrayeurs, in David, J. et Kleiber, G., (éds.): “Déterminants. Syntaxe et sémantique”, Klincksieck.

221

Page 218: Introduction a La Ling

LES ACTES DE LANGAGE

L’usage de la langue ne peut pas se réduire à la transmission

d’informations. Les philosophes analytiques J. L. Austin (Quand dire

c’est faire, 1962) et J. R. Searle (Les Actes de langage, 1969) ont

montré que la langue est un moyen d’agir sur autrui. Tout locuteur,

quand il énonce une phrase dans une situation de communication

donnée, accomplit un acte de langage qui instaure un certain type de

relation avec l’allocutaire. Dans la perspective de l’analyse

pragmatique des actes de langage, centrée sur leur fonction

communicative, l’acte de langage constitue l’unité pragmatique

minimale.

Les actes de langage sont d’abord classés en actes

institutionnels et actes qui s’accomplissent dans les interactions

quotidiennes.

Les actes institutionnels sont accomplis dans le cadre

d’une institution sociale:

Je déclare la séance ouverte.

Je jure de dire la vérité, rien que la vérité.

Je vous déclare unis par les liens sacrés du mariage.

222

Page 219: Introduction a La Ling

Je te baptise Pierre.

Ils ne sont réalisés effectivement que s’ils sont reconnus par

cette institution.

Les actes qui s’accomplissent dans les interactions

quotidiennes

Ces actes se réalisent par l’énonciation-même de la phrase:

“dire, c’est faire” (Austin), par exemple:

Je te promets de revenir. (promesse)

Je vous ordonne de sortir. (ordre)

Je te prie de fermer la porte. (prière)

Je vous félicite pour votre réussite à l’examen. (félicitation)

Selon Searle, un acte de langage possède une force

illocutoire (F) qui s’applique à un contenu propositionnel (p)

représentant un état de choses, ce qui est notée par la formule F(p).

Alors Je vous ordonne de sortir peut être représenté sous la forme:

ORDRE (vous + sortir). La force illocutoire d’un énoncé peut varier,

selon les situations. Je viendrai demain, par exemple, peut

s’employer tantôt avec la force d’une menace, tantôt avec celle d’une

promesse ou d’une simple information.

223

Page 220: Introduction a La Ling

Types d’actes

Selon Austin, un acte de langage se décompose en trois types

d’actes:

Un acte locutoire (locutionnaire)

C’est l’acte de dire quelque chose, l’acte de production d’un

énoncé: a) production des sons; b) acte de combinaison des mots en

phrases; c) acte de référence (les mots sont liés à un référent).

Un acte illocutoire (illocutionnaire)

C’est l’acte de langage proprement dit, l’acte effectué en

disant quelque chose: poser une question, donner un ordre, féliciter,

etc.

Un acte perlocutoire (perlocutionnaire)

Il représente l’effet produit par l’acte sur l’allocutaire (l’acte

accompli par le fait de dire quelque chose), permettant d’évaluer la

réussite ou l’échec de l’acte illocutionnaire, en fonction des réactions

de l’allocutaire. Une question peut avoir pour effet la réponse

demandée, une autre question, un refus…

Taxinomie d’actes de langage selon leur valeur

illocutoire

Parmi les nombreuses propositions de dresser l’inventaire de

différents actes, nous présentons celle de Searle (1979). Il distingue

224

Page 221: Introduction a La Ling

cinq grands types d’actes de langage, chacun de ces types pouvant

être analysés en sous-types:

- Représentatifs:(assertion,information)

- Directifs:(ordre,requête, question, permission)

- Commissifs:(promesse, offre)

- Expressifs:(félicitation, excuse, remerciement, plainte, salutation)

- Déclaratifs:(déclaration, condamnation, baptême)

le but illocutoire est la description d’un état de fait: Il viendra demain. J’affirme qu’il pleuvra demain. le but illocutoire est de mettre l’interlocuteur dans l’obligation de réaliser une action: Sortez ! Je vous ordonne de quitter la salle.

le but illocutoire est l’obligation contractée par le locuteur de réaliser une action future: Je vous aiderai.

le but illocutoire est d’exprimer l’état psychologique associé à l’acte expressif: Excusez-moi. Merci de votre aide.

le but illocutoire est de rendre effectif le contenu de l’acte:Je déclare la séance ouverte.Je te baptise Pierre.

Actes de langage directs et indirects

Tout énoncé s’interprète comme réalisant directement ou

indirectement un acte de langage.

225

Page 222: Introduction a La Ling

Les actes de langage directs

Ces actes sont accomplis au moyen de la forme linguistique

qui leur est associée par convention. Ils se réalisent dans deux types

d’énoncés:

1. Les énoncés performatifs explicites

Ces énoncés renferment un verbe performatif qui explicite

l’acte de langage accompli (promettre, jurer, ordonner, défendre,

demander, prier, s’excuser, remercier, etc.):

Je te demande de venir.

Je vous prie d’entrer.

Je vous défends de quitter la salle.

Les verbes performatifs présentent la particularité

d’accomplir ce qu’ils disent, d’instaurer une réalité nouvelle par le

seul fait de leur énonciation. Ils doivent être employés à la première

personne de l’indicatif présent et s’accompagnent d’un complément

explicitant l’allocutaire; l’acte s’accomplit au moment de

l’énonciation, au présent. L’énoncé Je lui ai demandé de venir n’est

plus performatif, mais purement constatatif.

2. Les énoncés performatifs primaires

Ils correspondent aux quatre grands types de phrase:

déclaratif (assertif), interrogatif, impératif et exclamatif. L’acte de

langage est accompli dans ce cas par l’emploi du type de phrase

associée par convention à un type d’acte spécifique:

a) Jean fait son devoir. (asserter quelque chose)

226

Page 223: Introduction a La Ling

b) Jean fait-il son devoir ? (poser une question)

c) Fais ton devoir, Jean ! (donner un ordre)

d) Jean fait son devoir ! (s’exclamer)

Ces quatre énoncés ont en commun la réalisation d’un acte

identique: le locuteur réfère à un même individu (Jean) et lui attribue

(prédique) la même propriété (“faire son devoir”). En d’autres

termes, ces énoncés ont même référence et même prédication. Les

actes de référence et de prédication constituent l’acte

propositionnel. Ce qui distingue ces énoncés c’est donc leur valeur

illocutoire: en prononçant ces phrases on accomplit autant d’actes de

langage: a) assertion; b) question; c) ordre; d) exclamation.

Selon Benveniste (1974:84), ces actes de langage (il en

exclut l’exclamatif) correspondent aux “trois comportements

fondamentaux de l’homme”.

Les actes de langage indirects

Ce type d’actes sont accomplis au moyen d’un énoncé

contenant une forme associée conventionnellement à un autre acte

que celui qu’il vise à accomplir.

Par exemple, la phrase assertive Il fait froid ici peut formuler

indirectement une injonction (“Fermez la fenêtre !”). De même La

soupe manque de sel peut renfermer une allusion du type “Passez-

moi le sel”. Dans tous ces cas le sens littéral de l’énoncé n’est pas

annulé par l’acte indirect, qui “s’y ajoute, de manière secondaire,

227

Page 224: Introduction a La Ling

comme un sous-entendu, déterminé par la situation” (Riegel,

1994:589).

En revanche, dans les exemples:

Pouvez-vous me passer le sel, s’il vous plaît ?

Voulez-vous me passer le sel ?

les phrases perdent leur valeur interrogative pour exprimer une

injonction: “Passez-moi le sel !” La valeur littérale de la phrase est

donc remplacée par la valeur dérivée indirecte.

Bibliographie

Austin, J. L., 1962, How to do things with words, Oxford University press; trad. fr. 1970, Quand dire c’est faire, Seuil.Benveniste, Émile, 1966 et 1974, Problèmes de linguistique générale, 2 vol., Gallimard.Ducrot, Oswald, 1972, Dire et ne pas dire, Hermann.Récanati, F.,1981, Les énoncés performatifs, Minuit.Searle, J. R., 1969, Speech acts: an essay in the philosophy of language, Cambridge University press; trad. fr. 1972, Les Actes de langage, Hermann.Searle, J. R., 1979, Expression and meaning, Cambridge University press; trad. fr. 1982, Sens et expression, Minuit.

***Moeschler, Jacques, 1985, Argumentation et conversation, Hatier, p. 23-44.Riegel, Martin, Pellat, Jean-Christophe & Rioul, René, 1994, Grammaire méthodique du français, PUF, p. 583-590.

228

Page 225: Introduction a La Ling

LA PROGRESSION TEXTUELLE

Niveaux d’analyse de la phrase

La progression textuelle vise la répartition de l’information

dans un texte. Chaque phrase s’insère dans un contexte et apporte des

“renseignements nouveaux” (le rhème); d’un autre côté, elle contient

aussi un point de départ connu (le thème).

Par exemple, les phrases ci-dessous:

1) J’ai rencontré Pierre; il lisait un journal.

2) J’ai rencontré Pierre; il a été renvoyé par son patron.

3) J’ai rencontré Pierre; il s’est vu accorder une bourse par

son directeur,

s’analysent:

a) au niveau syntaxique: le SN1 (il) est sujet;

b) au niveau sémantique: il recouvre des relations

différentes: agent dans 1), patient dans 2), bénéficiare dans 3).

c) au niveau informationnel: il est thème (élément connu

mentionné déjà), alors que les SV sont des rhèmes, apportant

l’information nouvelle qui fait avancer le texte.

229

Page 226: Introduction a La Ling

Historique

La distinction thème / rhème vient de la logique classique.

Toute proposition asserte un jugement ou prédique une propriété.

Dans Socrate est mortel, on distingue le sujet logique Socrate et le

prédicat est mortel. Ch Bally (1932) a reformulé cette distinction en

opposant thème et propos, distinction qui a été développée par la

suite surtout par l’École de Prague. Les linguistes tchèques et en

particulier V. Mathesius (1947) considèrent que la fonction

communicative est la fonction primaire de la langue. L’hypothèse de

travail est que le but de la fonction communicative – dans les

énoncés particuliers - est d’apporter une information nouvelle au

récepteur. L’articulation se fait donc entre une théorie syntaxique

(comment les syntagmes s’organisent-ils en phrases?) et une théorie

informationnelle (comment l’apport d’information se traduit-il dans

des structures formelles, relevant du système de la langue?)

L’opposition entre la structure porteuse de l’information

ancienne et la structure porteuse de l’information nouvelle connaît

plusieurs variantes terminologiques: thème / prédicat, thème / rhème,

thème / propos, topique / commentaire (ou focus), selon la diversité

des points de vue (logique, sémantique, pragmatique, etc.).

Thème / rhème

Communiquer consiste à transmettre une information à

l’allocutaire, à lui dire quelque chose à propos de quelqu’un ou de

230

Page 227: Introduction a La Ling

quelque chose. Dans cette perspective, dite “communicationnelle”,

la phrase s’analyse en deux constituants:

Le thème est ce dont parle le locuteur, le point de départ

de la communication et de la phrase, la partie connue (par la situation

ou le contexte antérieur).

Le rhème (ou propos) est ce qu’on dit du thème, l’apport

d’information de la phrase.

Dans une phrase canonique, la distinction thème / rhème

correspond à l’analyse syntaxique en deux constituants (SN et SV).

Ainsi, dans l’exemple:

- Que fait Pierre ? - Il lit un roman,

· il est: a) sujet; b) agent; c) thème;

· lit un roman est: a) SV (verbe + complément); b) procès +

objet; c) rhème.

Mais en sortant de ce cadre, les équivalences trop simples

disparaissent.

Dans l’exemple:

- Qu’est-ce que Pierre a lu ? - Il a lu un roman de Balzac,

le thème est formé du sujet il et du verbe a lu, alors que le rhème est

formé du complément un roman de Balzac.

Dans l’exemple:

(- Que s’est-il passé ?) Un piéton vient d’être renversé,

l’ensemble de la phrase est le rhème, car toute l’information peut être

considérée comme nouvelle.

231

Page 228: Introduction a La Ling

Il en résulte que le découpage thème / rhème ne coïncide

pas exactement avec les constituants syntaxiques ou

sémantiques de la phrase.

On admet généralement que l’ordre linéaire de la phrase

reflète l’ordre de l’information: le thème est, en général, placé en tête

de phrase et suivi par le rhème. Mais, dans certaines structures,

l’ordre est inversé. Par exemple, quand un adverbe apporte un

commentaire incident à une phrase, il joue le rôle de rhème:

Heureusement, tout s’est bien passé.

Dans les phrases emphatisées, le rhème est extrait de la

phrase et mis en relief au moyen de c’est… qui / que. Le reste de la

phrase constitue le thème:

C’est écrivain qu’il voulait devenir.

L’analyse d’une phrase en thème et rhème doit se faire en

tenant compte du contexte, linguistique ou situationnel. Le thème

assure la continuité du texte, alors que le rhème, qui apporte

l’information nouvelle, assure sa progression.

Types de progression

On a déjà vu que chaque phrase possède, d’une part, des

éléments récurrents (supposés) connus, qui assurent la cohérence –

cohésion de l’ensemble, et, d’autre part, des éléments nouveaux,

porteurs de l’expansion et de la progression textuelle. On peut donc

définir le texte comme “un lieu de tension entre ce qui assure son

232

Page 229: Introduction a La Ling

unité - sa cohésion - et ce qui engendre sa dynamique - sa

progression. Le texte peut être considéré comme une unité

contradictoire, issue de la complémentarité entre un principe de

cohésion:

Tout texte est une séquence de phrases (P) liées:

P1 (c) P2 (c) P3 (c) P4 …Px

et un principe de progression:

Tout texte est une séquence progressive de phrases:

P1 P2 P3 P4 … Px “ (J. M. Adam, 1985:42).

La répartition de l’information en thème et rhème varie

d’une phrase à l’autre dans le développement d’un texte. B.

Combettes (1983) distingue différents types de progression

thématique:

La progression linéaire

Le rhème (R) de chaque phrase devient le thème (T) de la

phrase suivante, suivant le schéma:

P1 : T1 R1

P2 : T2 (=R1) R2

Le thème reprend totalement ou partiellement les

informations qui sont apportées dans le rhème précédent.

233

Page 230: Introduction a La Ling

La progression linéaire donne une impression

d’approfondissement: le thème initial est en quelque sorte oublié et

le texte se trouve relancé, à chaque phrase, sur des bases nouvelles:

Autour de l’appartement (T1) étaient rangés des escabeaux d’ébène (R1). Derrière chacun d’eux (T2) un tigre de bronze pesant sur trois griffes supportait un flambeau (R2). Toutes ces lumières (T3) se reflétaient dans les losanges de nacre qui pavaient la salle (R3). Elle (T4) était si haute que la couleur rouge des murailles, en montant vers la voûte, se faisait noire (R4). (Flaubert)

La progression à thème constant

Le même thème est repris d’une phrase à l’autre et chaque

fois on lui ajoute un rhème différent:

P1 : T1 R1

P2 : T1 R2

P3 : T1 R3

La progression à thème constant s’appuie sur le même point

de départ dans toutes les phrases d’un passage, ce qui fait que le

lecteur conserve en permanence un point d’ancrage. Dans le cas

d’une description, par exemple, on aura une sorte d’épuisement de la

réalité décrite, alors que dans la narration les événements successifs

sont articulés à partir du même thème, d’habitude l’agent des actions:

Il (T1) a mis le café / Dans la tasse (R1) Il (T1) a mis le lait / Dans la tasse de café (R2) Il (T1) a mis le sucre / Dans le café au lait (R3)… (Prévert)

La progression à thèmes dérivés

234

Page 231: Introduction a La Ling

C’est un type de progression plus complexe que les

précédents. Elle s’organise autour d’un hyperthème (HT)

(linguistiquement exprimé ou non, auquel cas il doit être reconstitué

par le lecteur), repris en plusieurs sous-thèmes (ST) dans les phrases

du texte:

Ainsi les Barbares (HT) s’établirent dans la plaine tout à leur aise (R1)(…). Les Grecs (ST1) alignèrent sur des rangs parallèles leurs tentes de peaux (R2); les Ibériens (ST2) disposèrent en cercles leurs pavillons de toile (R3); les Gaulois (ST3) se firent des baraques de planches (R4); les Libyens (ST4) des cabanes de pierres sèches (R5), et les Nègres (ST5) creusèrent dans le sable avec leurs ongles des fosses pour dormir (R6). (Flaubert)

Ce type de progression est assez fréquent dans les

descriptions, où les diverses parties de la réalité sont prises comme

points de départ de chaque phrase. Il est aussi bien représenté dans

les textes explicatifs ou argumentatifs, dans lesquels il s’agit souvent

de développer différents points:

Pour découvrir les causes de cette extension il y a lieu d’analyser les principaux types d’erreurs orthographiques. Les unes altèrent la substance phonique d’un mot (…); d’autres altèrent la physionomie graphique d’un mot (…); d’autres encore altèrent la forme qu’un mot devrait revêtir (…). (ap. Combettes)

Combinaisons de types

On peut faire alterner fréquemment dans les textes les

différents types de progression thématique, selon la séquence

235

Page 232: Introduction a La Ling

textuelle (description, narration, etc.), le référent évoqué, l’effet

stylistique visé.

Par exemple, dans le texte ci-dessous tiré de La Condition

humaine, la relation entre P1 et P2 est établie selon une progression à

thèmes dérivés (l’un des nouveaux arrivés / les autres) dont

l’hyperthème est implicite (les blessés qui attendent leur exécution),

alors qu’entre P2 et P3 il y a une sorte d’hétérogénéité thématique;

l’homme est relié anaphoriquement à l’un des nouveaux arrivés,

selon une progression constante:

L’un des nouveaux arrivés, couché sur le ventre, crispa ses mains sur ses oreilles, et hurla. Les autres ne criaient pas, mais de nouveau la terreur était là, au ras du sol. L’homme releva la tête, se dressa sur ses coudes. (Malraux)

Ruptures

Quand il y a rupture thématique, le thème d’une phrase ne

peut être rattaché au contexte précédent. L’élément “nouveau”,

auquel on donne une valeur thématique, y est introduit alors sans lien

avec le contexte. Dans ce cas c’est l’ensemble de la phrase qui est

rhématique. La nouveauté du thème est évidente dans les débuts des

romans, comme dans l’exemple ci-dessous, où le héros se détache en

position de thème:

Dans la plaine rose, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. (Zola)

236

Page 233: Introduction a La Ling

En dehors des exemples-types illustratifs, présentant un seul

modèle de progression, dans les textes longs il y a en général

mélange, combinaisons des principales progressions observées.

Bibliographie

Adam, J. M., 1985, Le texte narratif, Nathan, p. 41-49.Bally, Charles, 1932, Linguistique générale et linguistique française, Ernest Leroux, Paris; 1965, Berne, Francke.Combettes, B., 1983, Pour une grammaire textuelle. La progression thématique, A. de Boeck, Duculot.Neveu, Franck, 1995, Progressions et ruptures thématiques. Aspects de la technique descriptive dans “La Condition humaine”, in “L’Information grammaticale”, 67, p. 35-38.

237

Page 234: Introduction a La Ling

L’ANAPHORE

Définition

La notion d’anaphore (du grec ancien ana- “en arrière”)

permet de décrire l’organisation du texte, sa cohérence, qui repose en

partie sur la répétition. C’est ainsi que certains segments du discours

ne peuvent être compris que si l’on prend en compte la relation qu’ils

entretiennent avec d’autres segments qui sont apparus

antérieurement; cette relation est dite anaphorique. L’anaphore peut

donc être définie comme “toute reprise d’un élément antérieur dans

un texte” (Riegel et all., 1994:610).

L’antécédent ou l’anaphorisé (c’est-à-dire le terme

antérieur) peut avoir des dimensions variables: mots, groupes de

mots, phrases, succession de phrases.

L’anaphorisant (c’est-à-dire l’expression anaphorique) est

d’habitude représenté par un morphème grammatical qui joue le rôle

de substitut (pronom) ou qui permet la reprise (démonstratif):

Paul est mécontent, il s’en va.

Il était une fois un roi. Ce roi,….

mais il peut être représenté aussi par des expressions nominales, de

divers degrés de complexité:

238

Page 235: Introduction a La Ling

Utilisez un dictionnaire: cet ouvrage vous est indispensable

pour traduire le texte.

On remarque qu’en général entre l’anaphorisant et

l’anaphorisé il y a relation de coréférence: ils désignent le même

référent. Dans les exemples ci-dessus, il et Paul, respectivement un

roi et ce roi renvoient aux mêmes personnes, tout comme un

dictionnaire et cet ouvrage renvoient au même objet. Il y a aussi des

cas où les expressions mises en jeu ne renvoient pas aux mêmes

référents: J’ai préparé ma communication. As-tu pensé à la tienne ?

Anaphore et cataphore

Dans la relation anaphorique, le renvoi se fait à un élément

antérieur du texte.

Lorsque le renvoi se fait à un élément postérieur dans le

texte, donc lorsque le substitut précède l’élément qu’il représente, on

parle de cataphore (du grec ancien cata “en bas”, “en descendant”):

Elle est encore en retard, Sylvie.

Son cri rend le corbeau antipathique.

Rappelle-toi bien ceci, mon enfant: les livres sont les vrais

amis. (Daudet)

Certains auteurs emploient le terme de diaphore pour

désigner l’ensemble de procédés anaphoriques et cataphoriques

(Maillard, 1974).

239

Page 236: Introduction a La Ling

Anaphore et déixis

L’anaphore est traditionnellement opposée à la déixis. “Cette

opposition s’appuie sur une différence de localisation du référent: s’il

se trouve dans le texte, il y a relation anaphorique; si le référent est

situé dans la situation de communication immédiate (faisant

intervenir les interlocuteurs, le moment de l’énonciation ou des

objets perceptibles), il y a référence déictique” (Charaudeau,

2002:159).

Une même expression peut cumuler les deux valeurs. Dans

la phrase De toutes ces robes je préfère celle-ci, le démonstratif

celle-ci désigne un objet présent (valeur déictique) tout en renvoyant

au SN antérieur ces robes (valeur anaphorique).

Des approches d’inspiration cognitiviste ont proposé de

fonder l’opposition déixis / anaphore sur l’opposition nouveau /

saillant, c’est-à-dire sur la mémoire: “il y aurait anaphore quand il y

a renvoi à un référent censé déjà connu de l’interlocuteur ou

inférable par lui, et déictique quand il y aurait introduction dans

l’univers de discours d’un référent nouveau, pas encore manifeste”

(Charaudeau, ibid.).

240

Page 237: Introduction a La Ling

Types de relations anaphoriques

L’anaphore grammaticale

Dans les cas les plus simples, l’anaphorisant est représenté

par un morphème grammatical (substitut). On parle alors

d’anaphores pronominales: les pronoms personnels de troisième

personne, les pronoms démonstratifs, possessifs, relatifs, indéfinis

servent à remplacer un segment antérieur, pour éviter la répétition et

pour réaliser une économie de moyens d’expression, tout en

contribuant à la structuration du texte:

Cette vieille maison, il faut bien la vendre.

J’ai mal à la tête. – N’y pense plus !

Je travaille beaucoup et cela me fatigue.

Ils ont des amis que j’aimerais bien connaître.

Les spectateurs étaient ravis; quelques-uns applaudissaient

à tout rompre.

On doit remarquer que le pronom représente totalement le

segment antérieur (c’est surtout le cas des pronoms personnels de

troisième personne, des démonstratifs, des relatifs) ou bien il

représente seulement une partie de l’antécédent (c’est le cas des

possessifs ou des indéfinis).

L’ anaphore nominale

Les SN définis (noms précédés d’articles définis, d’adjectis

démonstratifs ou possessifs) peuvent reprendre des segments

241

Page 238: Introduction a La Ling

antérieurs de diverses dimensions, avec (a) ou sans changements

lexicaux (b). On parle alors d’anaphore fidèle (a) ou d’anaphore

infidèle (b):

a) Tout à coup il aperçut une paysanne qui arrachait les mauvaises herbes (…). La paysanne avait une jupe rouge et un corset blanc. (Zola)

b) Utilisez un dictionnaire: cet ouvrage vous est indispensable pour traduire le texte.

(…) un tigre de bronze pesant sur trois griffes supportait un flambeau. Toutes ces lumières se reflétaient dans les losanges de nacre qui pavaient la salle. (Flaubert)

L’anaphore associative

Elle s’appuie sur la conceptualisation de l’anaphore

nominale. L’expression anaphorique renvoie dans ce cas à un

référent qui est identifié indirectement. Dans:

Nous sommes arrivés dans le village. L’église était fermée,

l’antécédent (village) est uni à l’anaphorique (église) par une relation

de type partie-tout. Cette association repose sur une connaissance

générale du monde, partagée par la communauté linguistique.

L’anaphore conceptuelle

La relation anaphorique recouvre également des phénomènes

plus ou moins complexes qui impliquent une analyse du sens des

éléments concernés. La reprise prend souvent la forme d’une

242

Page 239: Introduction a La Ling

nominalisation (le SN anaphorique contient un nom formé à partir

d’un verbe ou d’un adjectif qui ne doivent pas figurer dans le

contexte antérieur).

Ainsi, dans:

Nous avions perdu notre chat, nous avons longtemps

cherché avant de le retrouver. L’aventure s’est bien terminé

(exemple emprunté à Arrivé et all., 1986:63),

l’aventure reprend l’ensemble de la phrase antérieure grâce à un

processus de condensation.

De même, dans l’exemple reproduit ci-dessous d’après

Riegel (1994:615):

L’envieux alla chez Zadig, qui se promenait dans ses jardins avec ses deux amis et une dame, à laquelle il disait souvent des choses galantes, sans autre intention que celle de les dire. La conversation roulait sur une guerre que le roi venait de terminer heureuesemnt contre le prince d’Hyrcanie, son rival (Voltaire),

le SN la conversation résume globalement le contenu de la phrase

précédente.

Bibliographie

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244

Page 241: Introduction a La Ling

ABRÉVIATIONS UTILISÉES

all. = allemand

angl. = anglais

esp. = espganol

fr. = français

hongr. = hongrois

i.e. = indo-européen

it. = italien

lat. = latin

roum.= roumain

Abl. = ablatif

Adj. = adjectif

Art. = article

Dat. = datif

Gén. = génitif

Loc. = locatif

Nom. = nominatif

M = masculin

F = féminin

COD = complément d’objet

direct

Dt. = déterminant

N = nom

Np = nom propre

O = objet

P = phrase

Pd. = prédéterminant

Plus-que-parf. = plus-que-parfait

Prép. = préposition

S = sujet

Sa = signifiant

Sé = signifié

SN = syntagme nominal

SV = syntagme verbal

trad. = traduction

V = verbe

v. = voir

245

Page 242: Introduction a La Ling

INDEX DES NOMS

Adam J.M., 233Arnauld A., 20Aristote, 19Arrivé M., 199, 243Austin J.L., 46, 47, 48, 222, 223, 224Baggioni D., 51Bally C., 22, 200, 230Bar-Hillel, 46Benveniste E., 28, 96, 122, 192, 200, 227Berrendonner A., 49Blanche-Benveniste C., 184Bloomfield L., 27, 93, 94Boas F., 27Bonfante G., 25Bopp F., 21, 120Bossong G., 163Bréal M., 40, 41Brøndal V., 26, 72Brugmann K., 122Carnap, 46Charaudeau D., 210, 240Charolles M., 187, 189, 194Chomsky N., 36, 37, 39, 40, 42, 43, 81, 82, 84Combettes B., 233, 235Coşeriu E., 27, 42, 112, 163, 170, 185Cristea T.,219Curtius G., 121Dante A., 19, 118, 133, 148Descartes R., 20Diez F., 121Donat, 19Eco U., 63

Fillmore C., 216Flydal L., 170Fodor J.A., 42Frege G., 187, 190Frei H., 80Fuchs C., 44Gadet F., 176, 179, 185Gardin B., 51Graur A., 129Greenberg J.H., 27, 162, 165Greimas A.J., 26Grice H., 49Grimm J., 22, 121Guillaume G., 28Guiraud P., 56Harris Z.S., 27, 36Hjelmslev L., 26, 89, 93, 157Humboldt W. (von), 21Husserl E., 188Iliescu M., 129, 164, 167, 213Iordan I., 80Jakobson R., 25, 26, 63, 64, 65, 69, 208, 218, 219Jespersen O., 98Jones W., 119Katz J.J., 42Kerbrat-Orecchioni C., 47, 49, 180, 205Kleiber G., 45, 209Klinkenberg J.M., 163, 171, 178, 181Körner K.H., 165Kripke S., 194Labov W., 51Lakoff G., 43Lancelot C., 20

246

Page 243: Introduction a La Ling

Leibniz G., 187Llorach E.A., 25Locke J., 187Lyons J., 157, 208Mac Cawley, 43Maillard M., 239Maingueneau D., 206, 212, 215, 220Malmberg B., 25, 174Martin R., 46Martinet A., 16, 25, 26, 28, 104, 106, 107, 109, 114Mathesius V., 25, 230Meillet A., 41, 122Mill S., 187Milner J.C., 189Morris C., 46Mounin G., 42Mourin L.,164Ogden C., 88, 188Osthoff H., 122Panini, 18, 135Peirce C.S., 46Parret H., 49Perret M., 135Platon, 19, 187Postal P.M., 43Pottier B., 42Prieto L., 26Priscien, 19Quine W., 188Rask R., 21, 22, 120, 121Récanati F., 194Renzi L., 165Richards I., 188Riegel M., 199, 228, 238, 243Rosch E., 44Sapir E., 27Şăineanu L., 40, 41Saussure F. (de), 21, 22, 23, 24, 25,

49, 56, 61, 70, 72, 73, 76, 78, 79, 82, 83, 86, 88, 89, 93, 94, 95, 101, 107, 110, 111, 115, 122, 188Schlegel, F. (von), 21, 119Schleicher A., 22, 121, 134Searle J.R., 46, 47, 48, 222, 223, 224Séchehaye A., 22Strawson P., 46, 188Tesnière L., 28Togeby K., 26Trier J., 41Troubetzkoy N.S., 25Ullmann S., 188Vaugelas, 20Vostokov A.H., 121Walter H., 177Wartburg W. (von), 174

247

Page 244: Introduction a La Ling

248

Page 245: Introduction a La Ling

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* À part la bibliographie générale du cours, chaque chapitre est accompagné de références bibliographiques permettant d’approfondir les connaissances dans des domaines précis.

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Page 250: Introduction a La Ling

254

Page 251: Introduction a La Ling

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