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I Introduction à la philosophie Joe-Kodzo HOMEZO [email protected] ++4122-7317120 Genève, 04 mars 2011 Il manque d’ouvrage de philosophie en Afrique. J’ai produit ce texte à l’intention des élèves en classe de philosophie à la demande de certains membres d’Africa Commons. Le présent document est donc basique. L’on pourrait caractériser la physionomie ou l’image générale du monde contemporain par certains traits généraux perceptibles par les préoccupations suivantes : 1.- les progrès de la techno-science 2.- la mondialisation des systèmes d’information et de communication 3.- la globalisation de l’économie de marché 4.- la généralisation des problèmes d’environnement et du climat 5.- la fin des grands discours sur Dieu, le pouvoir et l’Etat 6.- le recul de la démocratisation et la ruine de l’Afrique 7.- la création littéraire, artistique et l’imaginaire social 8.- l’affirmation de la subjectivité, du corps et des formes de sexualité Prises ensemble, les thématiques ci-dessus mentionnées s’articulent autour des problèmes de la connaissance et de l’action. La réflexion sur la connaissance est une constante de la philosophie. Car l’homme aspire à connaître le monde qui l’entoure pour mieux accroitre ses moyens d’action conformément à la raison. La connaissance est dès lors une constante de la philosophie. Mais, qu’est-ce que connaître, quels sont nos moyens de connaissance et quelle est la validité de nos savoirs ? La connaissance est une démarche par laquelle un sujet (acteur, connaisseur, savant) se met en relation avec un objet (chose à connaître ou connue). Il existe plusieurs formes de connaissance : la connaissance intuitive, la connaissance empirique et la connaissance scientifique. La philosophie réfléchit sur les systèmes ou formes de connaissance. Dans la connaissance intuitive (in-tueri = voir dedans), le connaisseur se transporte immédiatement dans l’objet à connaître ou connue. Un bébé connaît sa maman sans avoir besoin de la regarder. L’intuition est directe, immédiate et instantanée. L’intuition nous transporte au cœur d’une chose que nous comprenons intégralement. En revanche, la connaissance empirique (empirique veut dire concret) passe par les sens (la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et de toucher). Lorsqu’on demande à X et à Y de porter une table chez le menuisier, l’un peut trouver cet objet facile à transporter, pendant que l’autre y renonce. Selon sa constitution physique, X déclare que la table est légère, alors que Y peut la déclarer lourde. L’expérience empirique dépend de chacun : c’est une connaissance assez vague, générale et imprécise.

Introduction à la philosophie - nzaher710.free.frnzaher710.free.fr/pdf/introductoire.pdf · 5.- la fin des grands discours sur Dieu, le pouvoir et l’Etat ... Au XXe siècle, la

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I

Introduction à la philosophie

Joe-Kodzo HOMEZO

[email protected]++4122-7317120Genève, 04 mars 2011

Il manque d’ouvrage de philosophie en Afrique. J’ai produit ce texte à l’intention des élèves en classede philosophie à la demande de certains membres d’Africa Commons. Le présent document est doncbasique.

L’on pourrait caractériser la physionomie ou l’image générale du monde contemporain parcertains traits généraux perceptibles par les préoccupations suivantes :

1.- les progrès de la techno-science

2.- la mondialisation des systèmes d’information et de communication

3.- la globalisation de l’économie de marché

4.- la généralisation des problèmes d’environnement et du climat

5.- la fin des grands discours sur Dieu, le pouvoir et l’Etat

6.- le recul de la démocratisation et la ruine de l’Afrique

7.- la création littéraire, artistique et l’imaginaire social

8.- l’affirmation de la subjectivité, du corps et des formes de sexualité

Prises ensemble, les thématiques ci-dessus mentionnées s’articulent autour des problèmesde la connaissance et de l’action. La réflexion sur la connaissance est une constante de laphilosophie. Car l’homme aspire à connaître le monde qui l’entoure pour mieux accroitre sesmoyens d’action conformément à la raison. La connaissance est dès lors une constante dela philosophie. Mais, qu’est-ce que connaître, quels sont nos moyens de connaissance etquelle est la validité de nos savoirs ?

La connaissance est une démarche par laquelle un sujet (acteur, connaisseur,savant) se met en relation avec un objet (chose à connaître ou connue). Il existe plusieursformes de connaissance : la connaissance intuitive, la connaissance empirique et laconnaissance scientifique. La philosophie réfléchit sur les systèmes ou formes deconnaissance. Dans la connaissance intuitive (in-tueri = voir dedans), le connaisseur setransporte immédiatement dans l’objet à connaître ou connue. Un bébé connaît sa mamansans avoir besoin de la regarder. L’intuition est directe, immédiate et instantanée. L’intuitionnous transporte au cœur d’une chose que nous comprenons intégralement.

En revanche, la connaissance empirique (empirique veut dire concret) passe par lessens (la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et de toucher). Lorsqu’on demande à X et à Y de porterune table chez le menuisier, l’un peut trouver cet objet facile à transporter, pendant quel’autre y renonce. Selon sa constitution physique, X déclare que la table est légère, alors queY peut la déclarer lourde. L’expérience empirique dépend de chacun : c’est uneconnaissance assez vague, générale et imprécise.

II

À la différence, la connaissance scientifique se veut être précise, car fondée sur uninstrument de mesure. Lors que la table en question est posée sur une balance, X et Ypeuvent lire le poids exact de la table. Devant une bassine d’eau, X et Y peuvent avoir desappréciations différentes : l’eau est chaude, déclare l’un ; pendant que l’autre affirme quel’eau est froide. Le thermomètre permet de départager les deux individus, puisque l’un etl’autre diront que l’eau en question fait 31° (degré). Une connaissance est scientifique,lorsqu’elle est mesurée par des appareils ou tout autre instrument approprié. Ainsi là où lecommun des gens déclare qu’il y a beaucoup d’eau, le savant dira précisément qu’il s’agit detel nombre de molécules d’eau.

La scientificité est liée au degré d’intégration de l’outil mathématique dansl’explication des faits. Le microscope photonique prolonge nos sens, en permettantd’observer le mouvement des paramécies dans une fusion d’herbes. Mais, le microscopeélectronique ou les rayons X utilisés en radiographie expliquent davantage. On parle deprogrès des sciences dans la mesure où les théories qui ont servi à fabriquer le microscopephotonique sont obsolètes et rudimentaires par rapport aux rayons X et aux rayons laser.Les connaissances scientifiques sont donc relatives en fonction de la qualité des instrumentsde mesure.

La physique classique, de Lavoisier à Newton, était construite autour de l’atome,jusque-là considéré comme l’élément de la matière. Expliquer scientifiquement, c’est tenterde modéliser la loi ou la causalité, c’est aussi énoncer ce qui rend telle ou telle chosepossible ou ce par quoi une chose se produit. La physique traditionnelle ou physique del’atome explique les mouvements des corps grâce à la mesure du temps.

Au XXe siècle, la physique des quanta, encore appelée mécanique quantique, sespécialise dans la description de l'infiniment petit. Depuis les années vingt, les travaux deMax Planck, d’Einstein et d’Heisenberg, en physique des particules, ont fait chavirer touteidée de déterminisme. La physique des particules démontre l’existence de quartz oul’antimatière. C’est-à-dire des ondes et de l’énergie. La propriété des particules estondulatoire : les électrons, les protons ou les particules de la lumière dénommées "photons"ne semblent guère obéir à la loi de la causalité. Du moins, l’on ne sait plus évaluer leurmobilité, ni leur structuration. C'est l'indéterminisme qui régit le monde quantique. Peut-onconférer un statut univoque à la réalité matérielle, en la réduisant à l’espace euclidien,tridimensionnel ?

Dans la mesure où toute nos connaissances sont relatives et jamais absolue, il estpossible de considérer problématiques nos savoirs et nos méthodes d’approche de la réalité.Un sujet ou une situation est problématique quand il/elle donne lieu à des questionnements.Lorsqu’un individu déclare qu’il ne dort pas, c’est qu’il manifeste des problèmes d’insomnie.On peut lui demander s’il a mangé, s’il a des soucis ou s’il est simplement malade ?Lorsqu’un paysan déclare avoir faim, on peut considérer la faim comme une problématique :comment se fait-il que… ? Peut-être que l’intéressé n’a pas cultivé son champ, qu’il n’a passemé à temps, que la saison pluvieuse a ravagé ses récoltes, etc. On peut chercher àcomprendre ce qui lui arrive, dans quelles circonstances et comment en est-il arrivé là ?

Pour analyser et comprendre cette situation, on peut émettre des hypothèses,suggérer des réponses et vérifier si les tentatives d’explication sont valables ou s’il estbesoin de changer de mode de questionnement, d’approche ou de réponse. En d’autrestermes, une problématique transforme les problèmes en questionnements et en réponsesprovisoires, mais qui, sans cesse, sont sujets à des modifications. Puisque touteconnaissance est approchée (Gaston Bachelard) et relative, que signifie dès lors,l’expression « problématique de la connaissance » ?

III

11..-- LLaa pprroobblléémmaattiiqquuee ddee llaa ccoonnnnaaiissssaannccee eenn pphhiilloossoopphhiiee

Le terme de problématique évoque le doute, l’incertitude ou la probabilité. On dit d’unesituation qu’elle est problématique, lorsqu’elle suscite des doutes, des appréhensions ou toutsimplement parce que la situation en cause reste ouverte, possible et sujette à desincertitudes. En outre, la problématique signale l’existence des problèmes, des questionsouvertes, des hypothèses. La problématique désigne enfin les solutions provisoires que l’onsuggère, mais pour autant que les réponses préconisées ne sont pas définitives.

En intitulant ce chapitre « problématique d’une introduction à la philosophie », jevoudrais signifier que l’introduction à la philosophie pose des problèmes de définition, deprésentation et que les penseurs ne sont pas toujours d’accord entre sur ce que philosopherveut dire et le sens même du mot philosophie.

Le mot « philosophie » [filosofia = ] est un terme grec formé par deuxracines étymologiques : le substantif (nom) philo ] vient du verbe filein ] qui veutdire désirer, rechercher, vouloir, aimer. Mais le mot Philo ] est la conjugaison du verbeaimer à la première personne du singulier = philéo / qui veut dire « j’aime ». Le désir,la recherche ou la poursuite se dit « Philê » à ne pas confondre avec l’amour au sensthéologal [agapê = ]. Le second terme étymologique de philosophie est Sophia, lequel évoque la sa gesse, la connaissance, le savoir ou la science.

Du point de vue définitoire, lorsqu’on s’en tient aux racines étymologiques de « Philê /= » et de Sophia = , la philosophie est une attitude qui consiste dansl’amitié pour la sagesse. Dans ce sens, les religions, les savoirs mythiques, lesreprésentations symboliques africaines, asiatiques, précolombiennes, etc. seraient tousphilosophiques. Mais il est des approches de la philosophie en tant que méthode rationnelle,critique et analytique de recherche de la vérité qui réduisent la philosophie aux seulssystèmes doctrinaux, aux textes écrits et à l’histoire de la pensée occidentale.

En quoi consiste la méthode philosophique ? L’homme s’émerveille de la beauté dumonde et de l’ordre apparent de l’univers. Il s’étonne également face aux contradictions del’existence humaine et se met à douter des choses. L’étonnement engendre desquestionnements et suscite le besoin de connaissance. Le doute au sujet de ce que l’on croitconnaître entraîne l’homme à examiner et à réexaminer les situations et les choses, pour sefaire une idée assez claire. Parfois l’homme réfléchit sur lui-même et le sens de sonexistence à partir des bouleversements (naturels, accidentels, sociaux) et du sentimentd’impuissance (tremblements de terre à Haïti tuant innocents et méchants hommes,détruisant les grands édifices et les habitations des pauvres, aggravant la paupérisation).

Du point de vue méthodologique, la philosophie est une interrogation radicale et uneréflexion globale. Cette discipline oscille entre la connaissance et l’action. Je tracerai un brefrécit de l’histoire de la philosophie en Occident.

11..11..-- LL’’éécclloossiioonn ddee llaa ppeennssééee pphhiilloossoopphhiiqquuee

Comme bien d’autres civilisations humaines, la société grecque antique avait produit desmythologies. Un mythe est, comme un conte, une légende, un récit imaginaire construit in Ilotempore, dans des temps immémoriaux. Les mythes n’ont pas d’auteurs connus. Mais leshistoires qu’ils racontent sont supposées avoir lieu en des temps et des lieux imaginés. Les

IV

récits mythiques deviennent mythologies, lorsque ces discours sont écrits par des poètes oudes écrivains. Les mythologies sont bâties sur des satyres, des personnages énigmatiques,mi-boucs mi-hommes, des exploits de monstres hypostasiant la nature et des récits fabuleuxdes dieux-animaux qui actionnent l’ouragan ou les tremblements terrifiants du monde.Hésiode décrit l’irruption de la terre :

« La Terre, la toute belle aux seins épanouisSe leva, elle qui est la base inébranlable de toute chose.Et la blonde Terra mit d’abord au monde le Ciel étoilé, son égal,Afin qu’il la recouvrît de tout côtés et devintLa demeure éternelle des dieux immortels »1.

Les discours mythologiques sont des systèmes d’explication de l’univers danslesquels le monde visible et l’univers invisible se côtoient, où des puissances surnaturelles etdes forces occultes interviennent dans la vie humaine, où des mystères surgissent dans lecours ordinaire de l’histoire.

À partir du sixième siècle avant notre calendrier, survient un changement radical dansles rapports des hommes à l’univers, une rupture inédite avec l’enchantement, un passagede l’explication mythique du monde à un autre mode de justification désormais fondé sur leconcret et non plus sur les habitudes imaginaires et les sentiments intuitifs des poètes et desdevins. « Laissons de côté les combats des Titans et des Géants, les aventures desCentaures, fables inventés par les Anciens », écrivait Xénophane de Colophon2.Désormais, ce n’est plus Dieu, mais c’est l’homme qui est la mesure de toute chose. Lescosmo-logies se substituent désormais aux cosmogonies et aux mythologies.

L’avènement de la philosophie est corolaire de la recherche d’explication rationnelleet empiriquement fondée des choses et de l’univers. La réflexion philosophique ouvre la voieà la problématisation du réel, à la remise en cause des croyances. Car désormais, il n’y aplus de réponses données, mais de solutions construites et rationnellement voulues.

11..22..-- LL’’aappeerrççuu dd’’hhiissttooiirree ddee llaa pphhiilloossoopphhiiee

Dans la mesure où la philosophie consiste en une démarche rationnelle, une tentative despéculation pour comprendre, ordonner ou unifier les divers matériaux de l’univers, lesPrésocratiques (7è, 6è et 5è siècle av. J.-C.) semblent être les premiers à tenter cet effort enOccident. Ces penseurs prenaient comme point de départ les données sensibles, aiguisaientleur curiosité et observaient la nature avec une grande attention. Alors que les habitudesséculaires consistaient à consulter les dieux, les oracles et les divinités, pour justifier le coursdes événements, les présocratiques, encore appelés physiocrates, réduisirent la complexitédes phénomènes à un élément ou principe premier. Au lieu de consulter Zeus, Apollon,Dionysos, les présocratiques s’en tiennent à la causalité et inaugurent l’ère du réalisme. Telest le Miracle grec, c’est-à-dire l’explication des choses par la tangibilité, la concrétion :

Thalès de Millet, l’eauAnaximandre la terreAnaximène, l’air [l’indéterminé = « apeiron » ]Héraclite, le feu.

1Hamilton E., La mythologie, Verviers, 1962, Marabout Université, p. 70.

2Xénophane de Colophon, « Fragments », in Voilequin G., Les penseurs grecs avant Socrate, Paris, Garnier,

1941, p. 42.

V

La référence très empirique des physiciens d’Ionie est vivement critiquée par diverses écolesphilosophiques rivales, dont le pythagorisme et l’éléatisme. Pythagore de Samos (- 540 av.J.C.-) avait fondé une école de pensée qui porte son nom et qui décrit les essencesrationnelles en termes d’intelligibilité mathématique. Ce qui veut dire que le monde estnombre et que le nombre est le chiffre de l’être. Pythagore de Samos avait étudié latrigonométrie en Egypte, à l’époque où cette région appelée la Vallée du Nil était un territoiredes africains noirs !

Un autre penseur grec antique, du nom de Parménide, avait également créé uneécole à Elée. Parménide affirme vouloir aller au-delà de la connaissance sensible. Car selonlui, « l’être est ». C’est l’école de l’ontologie. Aussi les Eléates s’opposent-ils à la doctrinedes Ioniens. Dans la ville d’Ephèse, il y avait une école rivale qui affirmait que rien n’est enfait, que tout devient à travers la conflagration des contraires par le feu. Cette école estl’œuvre d’Héraclite. Selon lui, l’être n’est pas. C’est le non-être qui est.

Enfin les Sophistes constituent à partir du Ve siècle av. J.-C., un groupe deconnaisseurs qui savaient habilement spéculer sur toute chose. C’était des professeurs d’artutiles, des démagogues confirmés, comme Protagoras et Caliclès, qui avaient l’art de fairetriompher l’opinion, quelle qu’elle soit, vraie ou fausse. Ces spécialistes de rhétoriqueparcouraient les villes et tenaient des conférences à l’agora (place publique) et démontraientqu’il n’y a ni justice ni vérité, et que l’homme est la mesure de toute chose.

Si la sophistique était perçue comme l’un des plus grands dérèglements de l’esprit, ilurge de noter que l’antiquité grecque avaient connue de célèbres personnages commeSocrate (470-399). On lui attribue la célèbre formule qu’on lisait au fronton du Temple deDelphes : « Connais-toi, toi-même ! ».

11..33..-- LLaa pphhiilloossoopphhiiee ddee SSooccrraattee

Socrate est souvent considéré comme l’inventeur de la philosophie, parce qu’il y a indiqué laméthode. Socrate a appris la musique, l’astrologie et la géométrie. Il s’intéressait égalementà la philosophie naturaliste des Ioniens. Mais son projet principal, c’est d’œuvrer en faveurdu bonheur de l’être humain auquel il indique comment conduire et orienter la vie. Laméthode de Socrate peu être caractérisée d’un double point de vue, l’ironie et la maïeutique.

11..33..11..-- LL’’iirroonniiee ssooccrraattiiqquuee

Cette approche de la philosophie consiste à engager un dialogue avec un interlocuteur et àlui poser des questions sur ce qu’il sait ou croit savoir et à pousser l’interlocuteur jusquedans ses propres contradictions. Socrate se dit ignorant. Il veut sortir de cette situationmalheureuse et s’adresse à un tiers, pour que celui-ci lui apporte des réponses savantes. Enfait, le connaisseur avance des certitudes. Mais Socrate lui demande davantage deprécisions. Plus le savant/connaisseur se met en exercice, plus Socrate exige des réponsesplus précises. Au final, l’interlocuteur s’essouffle et enfin découvre l’inconsistance de sonpropre pseudo savoir. Ce que je sais, c’est que je ne sais rien !

VI

11..33..22..-- LLaa mmaaïïeeuuttiiqquuee

Il s’agit de faire jaillir un savoir inconscient. Socrate se comporte comme une accoucheusequi aide la femme enceinte qui parvient à termes à se débarrasser du bébé qu’elle porte.Aussi la philosophie ne consiste-telle pas à suggérer des solutions, mais à favoriser laconstruction de la vérité. Ce n’est pas Socrate qui donne le bébé à naître. Il aide la maman àaccoucher le joli bébé qu’elle porte.

La philosophie est une discipline spéculative qui poursuit la connaissance de la véritépar la critique, l’utilisation de la logique et le raisonnement rationnel. La philosophie est unedémarche critique et analytique qui procède par la remise en question. Philosopher, c’est semettre en route, disait Karl Jaspers. Et en philosophie, les questions sont plus importantesque les réponses et chaque réponse est une nouvelle question.

Il est précisé en début de cette approche définitoire que la philosophie est l’amitié dela sagesse. Ce qui signifie que tous les peuples et civilisations ont fait œuvre de philosophied’une manière ou d’une autre et que la philosophie ne peut être limitée à l’Occident.L’Europe n’a pas le monopole de la philosophie. Qu’en est-il de la philosophie africaine ?

44..-- LLaa pphhiilloossoopphhiiee aaffrriiccaaiinnee

La philosophie est traditionnellement définie comme l’ensemble des questionnements desindividus et des sociétés qui tentent de projeter des idées sur le monde et leurs sociétés parl’usage de la raison. La philosophie est une interrogation radicale (radis = racine) et uneréflexion critique qui se veut être à la fois épistémologique (connaissance), sociopolitique(critique des institutions) et théologico-morale (critique des croyances et des systèmesd’administration du sacré). Chaque méthode de philosopher est historique, initiée à partir dequestionnements sur des cultures ou civilisations données. Dans ces conditions, toutesociété possède inéluctablement ses propres philosophies, sagesses et visions du monde.

Or divers acteurs et libres penseurs ressortissants des églises, du colonat ouexerçant dans les milieux académiques préconisaient que l’Afrique et les Africains étaientincapables de philosopher. Telle était la position du philosophe allemand, Wilfried Hegel qui,au XVIIIe siècle, publia un ouvrage intitulé La raison dans l’histoire dans lequel il dénia àl’Afrique toute historicité, c’est-à-dire la conscience de vivre dans l’histoire. Selon Hegell’Afrique n’a pas encore été visité par la raison. L’Afrique noire serait au stade d’enfanceperpétuelle. Hegel détache l’Afrique du Nord et l’Egypte antique de l’Afrique noire. Cettedernière n’aurait pas d’historicité. L’historicité étant la conscience d’usage de la raison dansl’espace-temps : « l’historicité réconcilie l’histoire et le rationnel en présentant l’histoirecomme une totalité dont le sens est déchiffrable par la raison »3.

En fait, Hegel méconnaît l’histoire africaine. Cheik Anta Diop a démontré que l’Egyptepharaonique était noire, que l’Egypte (Kemet), le Soudan (Kouch et Napata) et l’Ethiopie(Abyssinie) formaient tous ensemble la civilisation noire de la Vallée du Nil. Lesconstructions pyramidales se retrouvent en miniature au Soudan. De plus, les philosophespenseurs grecs ont pour la plupart étudié en Egypte : Platon (427-347) a passé de longuesannées à Mégare, Cyrène, Crotone, de 399 à 387. Il a étudié à Héliopolis, chez Sekhnuphis.À Memphis, l’Athénien avait été enseigné par le prophète Khnuphis vers 405-350.

3Théophile Obenga, Cheikh Anta diop, Volney et le Sphinx, Présence Africaine, Khepera, p. 22.

VII

Pythagore de Samos avait appris la géométrie dans la Vallée du Nil. Saint Augustin,l’inventeur de la doctrine de la Trinité, était un Africain noir. Bien d’autres Pères de l’église,dont Saint Athanase, Grégoire de Nice, Grégoire de Nazianze ou Tertullien, étaient tousAfricains noirs4. Le 31 juillet 1969, le Pape Paul VI avait clamé le rôle de ces Noirs, Pères etDocteurs de l’Eglise, au Symposium des Evêques d’Afrique à Kampala: « L’Occident aussi asu puiser aux sources des écrivains africains, comme Tertullien, Ottavius de Millet, Origène,Cyprien, Augustin ». (Cf. La Documentation Catholique, n°1546 du 7 septembre 1968).

En 1946, en pleine période coloniale, un missionnaire belge, Placide Tempels, publieun ouvrage titré Philosophie bantu5. Le but avoué de l’auteur était de connaître les systèmesde pensée des bantous, pour mieux les évangéliser. L’ouvrage expose les visions du monde,les arts et les pratiques religieuses des populations Baluba du Congo. L’auteur caractérisel’ontologie bantoue par la Force vitale. L’être bantu est avant tout Force et Énergie vitale.Cette dernière n’est pas une notion abstraite, mais dynamique. Tempels qui était préoccupépar l’évangélisation des indigènes, critique l’européocentrisme, notamment les préjugés etles dénis de toute valeur de civilisation aux Noirs, alors même que les Bantous ont leursvisions du monde et leurs représentations des énergies vitales dans les choses et leshumains. L’ouvrage était mal reçu parmi les Européens. Mais ce livre ouvrit la voie à d’autresrecherches sur l’Afrique subsaharienne longtemps dénigrée en Occident.

Un autre religieux, mais d’origine africaine, l’abbé Alexis Kagame, écrit saPhilosophie Batu-Rwandaise de l’être6. L’auteur met en exergue l’ontologie bantu ens’inspirant de la philosophie de l’être d’Aristote7. Marcel Griaule étudie les Dogon du Mali etpublie le Dieu d’eau. Bref, les sociétés d’Afrique précoloniale ont des systèmes de pensée etde représentation du monde diversement exprimés dans l’art symbolique, les formesgraphiques, les chants et les contes. Mais les religions chrétiennes, le régime de colonisationeuropéenne et des universitaires continuent à nier la pensée rationnelle en Afrique.

Marcien Towa, Eben-Ezer Ngo, Paulin Hountondji8 affirment que les contes, leslégendes, les mythes africains relèvent de l’ethnophilosophie. Selon eux, la philosophie estavant tout une démarche individuelle et non collective. La vision globale du monde ne seraitguère philosophique, écrit Hountondji, qui affirme que pour exister, la philosophie africainedoit être l’œuvre d’africains : La philosophie africaine doit être « un ensemble de texte,l’ensemble précisément des écrits par des africains et qualifiés par leurs auteurs eux-mêmesde philosophiques » (Hountondji, p. 11).

En quoi les sagesses des mythes, des légendes et des contes ne seraient-elles pasphilosophiques ? Un texte est avant tout un support, lequel peut être écrit, oral, acoustique ou visuel. Ily a une multiplicité de textes en Afrique, que Hountondji et ses collègues ne semblent pas percevoir.Les scarifications sont des graphies, des traits parfaitement lisibles et compréhensibles. Dansl’alphabet, la lettre B n’est-elle pas une verticale fixant deux demi-croissants à 180° ? Et la lettre Vn’est-elle pas deux verticales jointes à la base et décrivant un certain angle ?

Bref, la philosophie africaine existe. Elle se trouve partout, dans nos villages et nos maisons,alors même que les Africains veulent l’ignorer, comme ils ignorent la profusion des écritures, desexpressions et des langages de nos terroirs. L’Europe n’a pas l’apanage de la sagesse et encoremoins de la philosophie. De tout temps les africains ont exercé leur raison dans divers domaines etformulé des textes, des imaginations sociales et divers moyens de lutte, dont la négritude orientéevers la dénonciation du colonat.

4Cf. décret du Concile Vatican II, “Optatam Totius Ecclesiae Renovationem”, n°16.

5Rev. Placide Tempels, Bantu Philosophy, Présence Africaine, 1959.

6Alexis Kagame, Philosophie Batou-Rwandaise de l’être, , Académie Royale des Sciences Coloniales, Bruxelles,

19597

Elungu P. E., Eveil philosophique africain, L’Harmattan, Paris, 1984.8

Paulin Hountondji, « Remarques sur la philosophie africaine contemporaine », in Diogène, 1978, n° 71, pp.128-140.

VIII

LLAA NNAATTUURREE EETT LLAA CCUULLTTUURREE

La philosophie est une discipline spéculative qui poursuit la sagesse par l’exercice duquestionnement et de la critique. Dans ce chapitre consacré à la thématique de la nature etde la culture, je commencerai par définir les termes et discuterai ensuite des relationssusceptibles d’exister entre eux. Mais le couple conceptuel « Nature et Culture » indique dequestionner la place de l’homme et le rôle des institutions dans l’organisation des sociétés.

11..-- LLeess ppeerrcceeppttiioonnss ddee llaa nnaattuurree

On appelle concept, une idée générale. Ainsi le mot table est un concept, dans la mesure oùil désigne tout objet monté sur pieds. Le terme de nature désigne tout ce qui est là, donné,comme l’environnement, l’univers, les ressources naturelles que l’homme et les sociétésn’ont pas produits ou cultivés : « everything that exists in the world independently of people,such as plants and animals, earth and rocks, and the weather »9. La nature (natus) évoquece qui n’est pas issu de l’intelligence ou de la création humaine. U produit est naturel dèslors qu’il est brut, comme l’eau qui coule dans les fleuves et les rivières, comme les matièrespremières forestières (bois de chauffage), les ressources fossiles (le pétrole, le gaz naturel,l’eau thermale) ou minières (cuivre, le phosphate, l’or). La nature est donnée, alors que laculture est produite. Celui qui cultive son orangeraie, sa palmeraie ou sa plantation de maïss’inscrit dans une dynamique de culture, de travail et d’organisation.

La définition qui précède de la nature est cependant problématique. La sociétéhumaine et la culture humaine sont-elles séparables de la nature ? L’être humain peut-ilvivre indépendamment de la nature ? Est-il possible d’envisager un monde naturelanalytiquement séparable des sociétés ? Les sciences modernes sont basées surl’opposition des phénomènes naturels et les subjectivités humaines. Mais telle n’est pasl’approche des sociétés amérindiennes, précolombiennes (l’Amérique du Sud avant l’arrivéede la colonisation espagnole) et précoloniales d’Afrique. Les sociétés pré-modernesreconnaissent une âme, un esprit aux choses qui nous environnent et qu’elles vénèrentparfois, comme les fées des eaux et des rivières, les divinités terrestres et l’esprit de certainsarbres. La nature est donc diversement construite et perçue suivant les sociétés. Certainesperçoivent le monde de l’extérieur, pendant que d’autres regardent l’environnement del’intérieur et parfois avec du cœur.

Au demeurant, la nature est une représentation sociale. Comme concept, lareprésentation désigne le contenu concret d'un acte de pensée, la manière de traduire unobjet ou une situation en provoquant l’apparition de son image au moyen d’un objet qui luiressemble ou qui lui correspond. L'objet représenté n'est plus dans ce cas un simple donné.Il est entièrement produit par un acteur ou un groupe. Dès lors, représenter, consiste àprésenter à nouveau. La représentation est une « forme de connaissance socialementélaborée et partagée »10. D’après Emile Durkheim11, les représentations collectivesprocèdent tant des traditions, que des rites et se transmettent aux générations successives.

9Longman Harlow, 1987, Longman dictionary of contemporary English, p. 693.

10 Jodelet D., « Représentations sociales : un domaine en expansion », Lesreprésentations sociales, Paris, P.U.F., 1989, p. 36.11 Durkheim E., Les règles de la méthode sociologique, P.U.F., 22è éd., Paris, 1986.

IX

Les sociétés traditionnelles abordent leurs milieux naturels par l’exaltation, le totémisme etles récits de fondation. Les mythes de l’espace mettent en scène l’intervention des génies,des animaux, des végétaux et/ou des éléments naturels12 dans le quotidien des êtreshumains : « La terre n’est pas un simple support de la production, ni la forêt une simpleréserve de bois, ce sont les éléments d’une cosmogonie à laquelle l’homme participe et aveclesquels il entretient des liens mystiques »13. Le sacré et le profane sont des sphèresdifférentiées qui s’impliquent et s’imbriquent mutuellement. « The space is a religious spacebetween human beings, the ancestors and the spirits, whose mystical relations areessentially based on the spiritual power of the Earth »14. Ces récits holistiques humanisent lanature et environnementalisent les humains. Divers groupes sociaux affirment êtreontologiquement de même nature que certains phénomènes ou produits naturels (végétaux,animaux, insectes), qu’elles magnifient par des évocations analogiques15. Ainsi les Akpossose déclarent comme léopards. Il existe ainsi plusieurs manières de voir la même chose, del’extérieur, mais également de l’intérieur. La tradition analytique ou objectiviste de Galilé,Descartes et Newton, construit le monde ad intra. Mais, il est aussi des approchescompréhensives émises par nombre de sociétés traditionnelles.

12Certaines populations du Togo reconnaissent comme totem, la couleuvre ou le python,

un serpent (au demeurant) non venimeux. D’autres, en particulier les Akposso, sedéfinissent elles-mêmes comme des léopards. D’autres enfin possèdent des mythologiesde la tourterelle ou des produits des champs. Dans le sud-est, chez les Kpessi, onraconte le récit légendaire d’une courge providentielle qui a servi à désaltérer desancêtres lors de migrations décisives.13 Rossi Georges, “Nous et les autres. Points de vue sur la dialectiqueenvironnement/développement”, in Georges Rossi, Philippe Lavigne Delville et DidierNarbeburu, Sociétés rurales et environnement. Gestion des ressources et dynamiqueslocales au Sud (sous la direction de), Karthala, Regards et Gret, Paris, 1998, p. 14.14 Bayili B., 1998, Religion, droit et pouvoir au Burkina Faso : les Lyèlae du Burkina Faso,L’Harmattan, Paris & Montréal, p. 484.15 L’analogie est un procédé d’attribution de qualités à un être dans une circonstanceprécise. L’analogie est vraie lorsque le titre convient en propre à la réalité (ressignificata). C’est le cas lorsque la Bonté, la Sagesse ou la Pureté sont des attributs deDieu. En revanche, le langage analogique devient impertinent dans le contexte où lemode de signifier (modus significandi) oblige le locuteur à préciser l’essence, le nom oula propriété des choses. Dans l’analogie totémique, les objets choisis comme totems sontadmis comme des sacrements - symboles et réalités vivantes – de l’esprit des ancêtres.

X

22..-- LLeess rreepprréésseennttaattiioonnss hhoolliissttiiqquueess ddee llaa nnaattuurree

Je caractériserai les représentations topologiques et l’apprivoisement de l’espace et desressources par le mythe du Python sacré, appelé “Dangbui” (serpent sacré) chez les Xwla-Xweda, lire Pla-Péda du Sud-Est Togo. Les Xwla-Xweda constituent un groupe ethniqueoriginaire des abords sud du fleuve Mono. Cette entité était partie intégrante du royaumed’Abomey au XVIIIe siècle d’où il s’est essaimé pour former ensuite le royaume d’Agbanakinou de Savi (actuel Ouidah). Les Xwla sont établis sur le littoral de l’océan Atlantique etforment une population relativement importante de Lomé (la capitale du Togo). Les Xwlasont de fervents dévots du Python sacré16, dont j’évoquerai la mythologie.

16 Gayibor Nicoué L., L’aire culturelle Adja-Tado des origines à la fin du XVIIIe siècle,Paris, thèse d’Etat, 1985, Sorbonne / CRA, 3 vol. Cf. Goerg Odile, Pouvoirs locaux etgestion foncière dans les villes d’Afrique de l’Ouest, L’Harmattan, Paris, 2006, pp. 31-32.17 Mveng Engelbert, L’Art d’Afrique Noire : liturgie cosmique et langage religieux, EditionsClé, Yaoundé, 1974, p. 81.

Le mythe du Python sacré

Les Peda (Houeda) ont le Python royal comme totem. Ce gros reptile donne

l’allure d’un fauve redoutable. Comme la plupart des serpents, sa morsure ou sa

capacité d’étranglement ne laisserait aucune chance à ses victimes. Mais il n’en

est rien : le python est paisible, inoffensif et doux. Les natifs Houeda [Serpent

domestique] (Xwla-Xweda) revendiquent la même identité de nature que le

reptile ancestral « Togbé-Dangbé », littéralement Serpent-Ancestral, auquel

ils s’identifient par les scarifications (deux fois cinq traits verticaux) qu’ils

portent au visage, notamment sur le front, les joues et les tempes.

« Les combinaisons de lignes y dessinent [dans l’espace] des figures qui

chantent le destin de l’homme devenu créateur, au sein du grand drame qui

prépare la victoire de la vie »17. En attribuant des emblèmes totémiques à ce

serpent, la communauté Xweda tente de signifier que les personnes en position

d’autorité et de force doivent cultiver des vertus de sérénité et de

tempérance. Le Python royal est un animal protégé par les us et coutumes Fort

cet apprivoisement, le gros reptile rôde paisiblement aux alentours des

concessions, pénètre et sort des cases comme bon lui semble.

Quiconque retrouve la dépouille dudit serpent ancestral doit y reconnaître

l’Enigme qui lui imposerait de recueillir l’Ineffable et Lui offrit une sépulture

et des funérailles dignes des ancêtres.

L’ethnonymie de Xweda se décline par deux étymologies, (a)xwe = maison ;

dan = serpent. Ce qui signifie serpent domestique ! En fait, Reptile sacré.

XI

L’eau que l’on tire à la fontaine publique ou sous le robinet est-elle encore naturelle ? ÀAtakpamé, l’eau potable distribuée par la Régie des eaux provient d’un barrage construit surla rivière Ôfê, dans les plateaux de l’Akposso. En outre, la station la désinfecte avant d’enassurer la distribution aux consommateurs. Quelle encore est la naturalité de ces eaux ? Onpeut adresser la même question aux planteurs de maïs, dont on sait que les semences sonthybrides et cultivées grâce à l’utilisation des engrais chimiques. La forêt de teck quisurplombe le Collège NDA est constituée par le gouvernement par un arrêté de création etprotégée. En quoi les forêts classées sont-elles -elles naturelles ?

Ces questions et bien d’autres nous laissent entrevoir comment les sociétéshumaines dépendent de la nature qu’elles dégradent et conservent également. Il y a doncune étroite dépendance entre l’homme et la nature qui rend impensable la distinction Natureet Culture. Les théories du XIXè siècle envisageaient la nature comme un donné, une chosedévolue, une altérité (autre) face à laquelle l’homme ne peut que se plier. En objectivant lanature comme une chose, l’industrialisation finit par en faire un produit. Les destructionscausées à la nature par la pollution, la désertification et les massacres des animauxpénalisent les sociétés qui se trouvent en situation de pénurie ou de raréfaction de labiodiversité végétale, animale et des espèces. Il devient impossible d’appréhender la natureindépendamment de la société et vice versa, note Ulrich Beck18.

33..-- LLeess ddiissccoouurrss aanntthhrrooppoocceennttrriiqquuee ddee ll’’uunniivveerrss

Plusieurs discours d’explication du monde (perception objective, ad intra) ont été élaborésqui traitent de l’origine du monde et de l’homme. Deux théories créationnistes etévolutionnistes se croisent sans s’accorder en la matière. Les religions historiques, encoreappelées religions du Livre (Judaïsme, Christianisme, Islam) sont à l’avant-garde del’approche créationniste et assertent que Dieu a créé le monde ex nihilo (à partir de rien) et aplacé l’homme pour dominer sur la création. Ce discours anthropocentrique rallieparadoxalement ensemble croyants et cartésiens.

33..11..-- LLaa lleeccttuurree ccrrééaattiioonnnniissttee eett ccaarrttééssiiaanniissttee

Depuis l’époque moderne, Descartes et les post-cartésiens opposent l’esprit et la matière etérigent l’homme en maître et possesseur de la nature. Le « cogito » ou la conscience dusujet19 est décrit de manière antithétique à l’univers matériel, lequel est considéré commetoute quelconque substance étendue : « Nous saurons que la nature de la matière, ou ducorps pris en général ne consiste point en ce qu’il est une chose dure ou pesante, oucolorée, ou qui touche nos sens de quelque autre façon, mais seulement en ce sens qu’elleest une substance étendue en longueur, largeur et profondeur »20.

18Ulrich Beck, La société du risque. P. 146.

19 Descartes René, Œuvres, Paris, Gallimard, Collection Bibliothèque de la Pléiade, Paris,1953. Cf. Descartes, R., Le Discours de la méthode, « Deuxième Méditationmétaphysique » (IX, 21).20 Descartes, Principes de la philosophie, II, paragraphe 4.

XII

L’épistémologie postcartésienne présente ainsi l’être humain comme une substanceessentiellement pensante et prétend que les animaux, à la différence, sont de simplesmatières21 qui agissent sous la motion uniquement de leurs instincts.

Le présupposé dualiste qui forme l’ossature des cartésianismes de toute obédienceapparaît être également dans la cogitatio fidei des théologiens chrétiens. Certes, lecartésianisme et le christianisme sont doctrinalement antithétiques. Cependant, leurssystèmes doctrinaux convergent, notamment lorsque chrétiens et cartésiens clament laprimauté de l’homme sur le monde environnant et définissent les produits naturels commede simples biens d’usage et de commodité. Dans leurs théorisations sur la place de l’hommedans l’univers, les doctrinaires chrétiens subordonnent l’existence des produits naturels à lasatisfaction des besoins humains.

Les magistères ecclésiastiques, de même que les analystes postcartésiensconsidèrent globalement les ressources naturelles comme des choses meubles que l’hommepeut s’asservir dans ses intérêts. Le magistère romain se prévaut du poème de la création etprofesse que l’être divin, créateur de l’univers, a placé la terre et les ressources naturellessous la maîtrise de l’homme : « Dieu les bénit et Dieu leur dit, ‘‘Fructifiez, multipliez,emplissez la terre et soumettez-la, maîtrisez les poissons de la mer et les volatiles des cieuxet tout vivant qui se meut sur la terre’’ »22. Sur la base de l’exégèse du fragment scripturairequi précède, l’Église revendique l’annonce eschatologique du salut de Dieu dans l’histoire.Le christianisme confesse et enseigne que l’homme est le sommet de la création, qu’ilpossède ainsi la primauté sur toute chose et que sont conformes à la révélation divine, laconsommation des animaux, l’utilisation des fourrures dans le vestimentaire et l’usage desdéfenses animales dans la décoration esthétique23. Les théories chrétiennes et cartésiennessoumettent le sort de la nature et de l’environnement au bon vouloir des personnes. Un telanthropocentrisme favorise l’insouciance et porte préjudice à la biodiversité.

21 Descartes René, « Lettre au Marquis de Newcastle », 23 novembre 1646, in Œuvres etLettres, Gallimard, Pléiade, Paris, 1983.22

Cf. La Bible de Jérusalem, (Genèse, 1, 28).23 Toutefois, le discours normatif de la catholicité officielle est vivement contesté par desmilieux écologistes. La Fondation Franz Weber (FFW) se dit choquée par le Nouveaucatéchisme de l’église catholique publié en 1992, dont les enseignements sont qualifiésd’être trop courts. La FFW accuse le saint Siège d’en appeler au massacre des animaux,principalement la grande faune. Des pétitions sont alors diligentées qui pressent l’églisede Rome, de retirer, sous peine d’action en justice, les paragraphes troubles à proposdes animaux. En effet il n’existe nulle part dans la Bible, d’ordonnance explicite àconsommer et à violenter les animaux. Il est plutôt écrit : « Voici : je vous donne touteherbe faisant semence sur la face de toute la terre, et tout arbre qui porte en lui un fruitfaisant semence : ce sera votre nourriture. À tous les vivants de la terre, et à toutvolatile des cieux et à ce qui se remue sur la terre et qui a un souffle de vie, toute herbedeviendra nourriture » (Gen. 1, 28-29).

Face à l’ampleur des critiques, l’édition 1998 du Catéchisme parle désormais departenariat entre l’animal et l’homme avec un langage plus apaisant et conciliant : « Ilexiste une solidarité entre toutes les créatures du fait qu’elles ont toutes le mêmeCréateur et que toutes sont ordonnées à sa gloire » (article 343-344). Le théologienAndré Wénin écrit justement : « Dès lors, les uns et les autres ne devront pas lutterentre eux pour leur nourriture, et les humains n’auront donc pas à user de violenceenvers les bêtes ». Cf. Wénin André, « L’humain face à l’animal. Maîtrisez les animaux…(Gen. 1, 28) », Etudes, Mai 2002, N°3965, Paris, p. 636.

XIII

33..22..-- LLeess ddiissccoouurrss éévvoolluuttiioonnnniisstteess

Mais à l’opposé, la théorie évolutionniste représentée par Darwin, Lamark et Lapalce stipuleque tout a évolué dans notre univers. Nous n’exposerons pas ici la théorie de Darwin. Nousnous contenterons d’un rappel actuellement admis dans la communauté scientifique.

Notre univers qui pèse environ 1051 tonnes existe depuis environ 15 milliardsd’années (15x109). La terre dont le poids total de 5,9x1021 tonnes couvre une superficie de5,1x108 Km2 s’est formée il y a quatre milliards et demi d’années (4,6x109). La coucheterrestre s’est constituée par suite des mouvements volcaniques et tectoniques datant dequatre milliards d’années (4x109) favorisant des plateformes continentales couvrant 1,49x108

Km2 apparue il y a deux millions et demi d’années (2,5x109) environ. La combinatoired’homéostasie (negative feedbacks) et gaz de conditions atmosphériques (positivefeedbacks) de divers (N2, 50% Vol., CO2, 40% Vol., H2O, CH4, NH3, CO, etc.) ont concouru àl’émergence de la vie des organites proto-cellulaires qui se sont ensuite démultipliéesdonnant lieu à des métazoaires. La vie est apparue sur terre, il y a environ 3,8x109 années(environ 4 milliards d’années).

Il est ridicule de penser que la terre est créée en six jours. Le discours biblique faitétat d’une analogie énonçant qu’un jour de Dieu vaut 1.000 ans. L’homme n’est pas apparunon plus en six mille ans! Les philosophies et les religions ont échafaudé des chiffres qu’ilfaut prendre comme des allégories : la philosophie Indoue postule l’infinité de l’univers àtravers des cycles de développement et de déclin. Chaque cycle est un jour de Brahma (« aday of Brahma ») qui dure 4,3 milliards d’années. La sagesse dogon (peuple du Mali) adéveloppé un comput (mesure) d’astronomie qui serait fastidieux à exposer dans ce texte.

Il existe aussi des débats sur l’origine de l’homme. Deux thèses se confrontentégalement à ce sujet. La première est la thèse du polycentrisme, qui affirme que l’hommeserait apparu dans divers endroits de notre planète. Contre le poly centrisme, le savantsénégalais Cheik Anta Diop a apposé son argument du monogénitisme, à savoir quel’homme est apparue en Afrique de l’Est (Kenya, Tanzania, Ethiopia) et c’est à partir ducontinent noir que le genre homo s’est répandu dans le reste du monde. L’Afrique est, dit-il,le berceau de l’humanité. Les races ne sont que l’adaptation du Sapiens Sapiens à diversesconditions écologiques. Voici comment Cheikh Anta Diop démontre sa théorie.

La terre dans son mouvement ne passe jamais deux fois au même endroit. Chaquelieu (latitude est unique). Et c’est l’Afrique qui a réuni les conditions favorable à l’apparitionde l’homme sur terre. Six spécimens homos ont apparu en Afrique. Les trois premiers sontsortis d’Afrique, mais ont ensuite disparu : ce sont l’homo Erectus, l’home Habilis et l’homoErgatus. Le quatrième et le cinquième n’ont jamais quitté l’Afrique et sont moins développés.Le sixième qui s’appelle Homo Sapiens Sapiens, est apparu en Afrique orientale il y a200.000 ans. Il est sorti d’Afrique il y a 120.000 ans et est allé en Indonésie (où il est identifiécomme Homo florentius). Il est également allé en Chine, il y a 70.000 ans. Le même SapiensSapiens a quitté l’Afrique, il y a 40.000 ans, et est allé jusque dans les hauteurs deHeidelberg en Allemagne (où on le surnomme Homo Neandertalis). Il y a 35.000 ans, leSapiens sapiens africain est arrivé en France, en Dordogne, dans les grottes de Cro-Magnon. Le Sapiens sapiens africain est repéré en Espagne sur les crêts de Grimaldi il y a25.000 ans. Bref, l’homo Sapiens Sapiens avait deux possibilités de quitter l’Afrique parl’isthme du Caire (Egypte) ou le détroit de Gibraltar.

Outre la géohistoire, la naturedes réflexions sur le pouvoir.pouvoir.

44..-- LLeess tthhééoorriieess

Plusieurs philosophes ont mené des réflexions politiques en imaginant unopposent à l’état de société. Certes, l’état de nature n’a jamais existé et n’existeraprobablement jamais. Cependant, la métaphore de la nature leur permet d’inventer unesituation fictionnelle jugée périlleuse qu’il faut quitter par

44..11..-- LL’’ééttaatt ddee nnaatt

La nature est considérée comme un contexte où les individus donnent libre cours à leurspassions d’accroitre leurs pouvoirs sur les autres. La recherchel’état de nature périlleuse. En effet l’égalité des hommes à l’état de nature devient unesource de menace généralisée. En 1751, Thomas Hobbes publie un ouvrage intituléLéviathan dans lequel il théorise sur l’absolutisme.

XIV

, la nature est une source d’inspiration des philosophesdes réflexions sur le pouvoir. Nous traiterons dans le chapitre suivant des rapports de

ddee ll’’ééttaatt ddee nnaattuurree

Plusieurs philosophes ont mené des réflexions politiques en imaginant unopposent à l’état de société. Certes, l’état de nature n’a jamais existé et n’existeraprobablement jamais. Cependant, la métaphore de la nature leur permet d’inventer unesituation fictionnelle jugée périlleuse qu’il faut quitter par l’organisation de la civilité.

ttuurree cchheezz TThhoommaass HHoobbbbeess

La nature est considérée comme un contexte où les individus donnent libre cours à leurspassions d’accroitre leurs pouvoirs sur les autres. La recherche effrénéel’état de nature périlleuse. En effet l’égalité des hommes à l’état de nature devient une

généralisée. En 1751, Thomas Hobbes publie un ouvrage intitulédans lequel il théorise sur l’absolutisme. Dans l’état de nature, tous les hommes

spiration des philosophes qui ont poursuiviNous traiterons dans le chapitre suivant des rapports de

Plusieurs philosophes ont mené des réflexions politiques en imaginant un état naturel qu’ilsopposent à l’état de société. Certes, l’état de nature n’a jamais existé et n’existeraprobablement jamais. Cependant, la métaphore de la nature leur permet d’inventer une

l’organisation de la civilité.

La nature est considérée comme un contexte où les individus donnent libre cours à leurseffrénée de pouvoir rend

l’état de nature périlleuse. En effet l’égalité des hommes à l’état de nature devient unegénéralisée. En 1751, Thomas Hobbes publie un ouvrage intitulé Le

e nature, tous les hommes

XV

sont égaux. Mais l’égalité de fait, à l’état de nature, était la principale cause du malheur deshommes. En effet dans cette situation de guerre de tous contre tous, les faibles, exposésaux exactions des plus forts, tentent également de se faire justice: l’homme est un loup pourl’homme (Homo omini lupus). Comment épargner les gens contre le cycle infernal desviolences interpersonnelles ?

Hobbes théorise sur la nécessité d’inventer un pacte civil, une convention, parl’abdication des forces naturelles respectives de chacun entre les mains du Prince. Celui-cidispose du droit d’usage de la force, peut s’en servir pour protéger ses propres intérêts etdéfendre ses sujets24 : « … that right which every man had before to use his faculties to hisown advantage, is now wholly translated on some certain man, or council, for the commonbenefit»25. L’instauration de l’inégalité de droit met une fin à l’égalité de fait qui prévalait àl’état naturel.

44..22..-- JJeeaann BBooddiinn eett llee ddrrooiitt nnaattuurreell

Jean Bodin a également théorisé sur la nécessité du pouvoir absolu pour assurer la paixcivile, Bodin26 déclare également vouloir éviter le risque d’indiscipline ou le refus d’obéir (ob-audire) à l’altérité. La désolation de la société de son époque résulte, en partie, del’indiscipline caractérisée des moines religieux qui se sont alors révoltés contre l’autoritéecclésiale. Chacun clamant ses propres droits naturels, sans égard à la moindre autorité,bascule dans ses passions. Les coûts sociaux des rebellions étant redoutables, Bodinpréconise de les surmonter par l’affirmation de la suprématie absolue de l’État27. Une telleinstitutionnalisation serait indispensable à la protection des personnes et des patrimoines,pour autant, note-t-il, que la toute-puissance royale elle-même soit subordonnée au droitdivin, à la loi fondamentale de l’État et à la justice naturelle.

44..33..-- NNiiccoollaass MMaacchhiiaavveell eett llee PPrriinnccee

La réflexion sur le pouvoir est également au centre de l’œuvre de Machiavel [lire Makiavel].Le souverain recherche en priorité la conservation de sa principauté contre les menaces deses ennemis extérieurs et intérieurs. Le Prince qui détient sa principauté par héritage, paracquisition ou par conquête, est extérieur à sa contrée. Puisqu’il n’en fait pas partie, lerapport qui le lie à sa principauté est « un lien soit de violence, soit de tradition, soit encoreun lien qui a été établi par l’accommodement de traités et la complicité ou l’accord des autresprinces, peu importe ; de toute façon c’est un lien purement synthétique »28. Le Prince quientretient des rapports d’extériorité et de transcendance avec sa principauté, n’a pas d’autrebut que la conservation dudit territoire. Aussi concentre-t-il par la force, le pouvoir dans sesmains, pour protéger la principauté contre tout risque de danger interne et externe. Eninspirant la crainte à ses sujets et en s’inspirant de la ruse du renard (diplomatie) et de laforce du lion (militaire), le prince défend ses intérêts et consolide ses territoires.

24 Thomas Hobbes, Le Léviathan, cf. chap. XIV et XXI.25 Hobbes Thomas, 1983, De Cive, The English version, Oxford: Clarendon.26

Jean Bodin, Les six livres de la République27 Kriegel Blandine, La République incertaine, Paris, Quai Voltaire, 2è édition, 1992, pp.8-9.28 Miche Foucault, « La gouvernementalité », Dits et écrits II, 1976-1988, p. 638.

XVI

Dans l’opuscule qu’il adresse à Laurent de Médicis, le Florentin met en exergue lamétaphore du simulacre dans la fonction dirigeante. Car pour mieux gouverner, le prince doitsavoir agir à propos, à la fois en bête et en homme : « … il y a deux manières de combattre,l’une avec les lois, l’autre avec la force »29. Selon J. Derrida, « Le prince doit être un renardnon seulement pour être rusé comme le renard mais pour feindre d’être ce qu’il n’est pas etde ne pas être ce qu’il est. Donc pour feindre de ne pas être un renard, alors qu’il est envérité un renard. C’est à la condition qu’il soit un renard ou qu’il devienne renard ou commeun renard, que le prince pourra être à la fois homme et bête, lion et renard »30.

44..44..-- LL’’ééttaatt ddee nnaattuurree sseelloonn RRoouusssseeaauu

Enfin Jean-Jacques Rousseau émet l’idée selon laquelle l’homme naît bon, mais c’est lasociété qui le corrompt. Rousseau impute l’origine de l’inégalité parmi les hommes auxinstitutions, aux sciences et aux arts. La résistance à l’oppression sociale est au cœur de lapensée politique de Rousseau, lequel théorise sur la volonté générale en tant que forcepolitique et ferment de la démocratie. Alors que l’économiste anglais Adam Smith considèrela loi comme un moyen de protection des riches contre les pauvres31, Rousseau, incrimine,quant à lui, les artefacts institutionnels, dont le droit, d’être la cause des inégalités quirongent les sociétés32. Rousseau décrit la loi comme un moyen d’assujettissement desfaibles par les puissants33. En effet l’esprit général de la loi vise à soutenir le plus fort contrele plus faible et à légitimer l’arrogance des possédants contre tous les démunis. L’éthiquerousseauiste des rapports de pouvoir tranche radicalement avec tout système absolutiste34 :« Lorsqu’un peuple est contraint d’obéir et qu’il s’y soumet, il fait bien. Mais, lorsque lepeuple assujetti secoue le joug de l’oppression, il fait nettement mieux »35, note le Genevois.

La société étant corrompue, il faut alors envisager l’éducation de l’Emile. Maisl’homme vit en famille. Il urge alors d’inventer une nouvelle famille, La Nouvelle Eloïse. Lasociété doit être organisée conformément à la raison à travers la définition des règles de vieen communauté, par un Contrat Social.

Après ces réflexions sur le pouvoir, il s’impose de voir ce que les agents sociaux fontde la nature. Je poursuivrai l’analyse des problèmes d’érosion des ressources naturelles etles stratégies de limitation de la dégradation.

29 Machiavel, N., Le Prince, UGE, Paris, chap. XVIII.30 Derrida, Jacques, « Le loup oublié de Machiavel », [texte inédit] in Le Monde diplomatique, n°654, Septembre 2008, p. 3.31 “Laws and governments may be considerated as a combination of the rich to oppress the poor,and preserve to themselves the inequality of the goods which would otherwise be soon destroyedby the attacks of the poor”. 1762, Monthly Review 32(5):13.32 Rousseau J-J., Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, (1754).33 Rousseau, J-J., L’Emile et de l’éducation, Vol. 2, p. 200.34 Cf. Jean Bodin, Les six livres de la République; Nicolas Machiavel, Le Prince; Thomas Hobbes (Ducitoyen [De cive], Principes fondamentaux de la philosophie de l’Etat; Le Leviathan) ouMontesquieu ([1748] 1989), The Spirit of the Laws.35 Rousseau, Le contrat social, UGE, Paris, 1986.

XVII

55..-- LLeess ddiissccoouurrss ddee pprrootteeccttiioonn ddee ll’’eennvviirroonnnneemmeenntt

Alors que l’industrialisation encourageait la prédation des ressources, depuis la fin du XIXesiècle, la nature et les produits naturels sont davantage abordées en termes écologiques.Les sociétés sont de plus en plus confrontées à la fragilité des écosystèmes et à laperturbation des cycles climatiques. Les produits naturels et les écosystèmes sont alorsperçus comme des biens rares sujets à des limites et susceptibles d’extinction. Plusieursdiscours énoncent les problèmes environnementaux en projetant des stratégies de limitationde l’érosion naturelle. La dégradation du patrimoine naturel est de plus en plus présentéecomme une menace collective36.

La recherche théorique a également analysé la précarisation des biens naturels etpréconisé de limiter l’anthropie par l’imposition des prix37, l’appropriation privative ou lacréation des aires protégées. Il s’agit désormais de faire du développement durable (TheSustainable Development) qui permette d’assurer la protection de l’environnement en faveurdes générations futures ; et l’ambition de poursuivre le développement respectueux del’humain, suivant les termes du rapport du PNUD sur le développement dans le monde(Human Development Reports – UNDP).

La crise des ressources devient alors une préoccupation des Etats, des organisationsde la société civile et de la communauté internationale. Nous récapitulerons la constrictioninternationale des problèmes d’environnement et les tentatives de réponses envisagées.

Depuis le début des années cinquante jusqu’à nos jours, l’environnement est l’objetde discours écologiques et de stratégies de conservation. Les acteurs locaux savent qu’ellesdoivent tout à la nature qui leur fournit la matière et l’énergie nécessaires à leurs activités.Les exploitants agricoles puisent leurs eaux d’irrigation dans les lacs, les rivières et lesfleuves qui leur fournissent également des produits halieutiques. Les artisans utilisentégalement la rente différentielle des forêts alentours dans lesquelles ils prélèvent des boisd’œuvre, des essences phytosanitaires ou des produits de chasse. Enfin les éleveurspaissent leurs troupeaux qui parcourent les savanes et les montagnes herbacées. Lessociétés locales et les riverains considèrent l’environnement comme leur premier alliéqu’elles se doivent de préserver pour subsister.

Les communautés rurales considèrent les produits de la nature comme desressources d’intérêt collectif. On appelle ressource collective, toute entité non délimitabled’utilités naturelles accessibles sans exclusive à l’ensemble de la collectivité. La littératurespécialisée désigne les biens d’utilité collective par l’expression “Common Pool Resource”(CPR) : « A public good is one which, if available for anyone, is available for everyone...Briefly, a common pool resource is a resource for which there are multiple owners (or anumber of people who have rights to use the resource) and where one or a set of users canhave adverse effects upon the interests of other users »38.

36Hardin Garrett, “The Tragedy of the Commons”, Science, Vol. 162, N°3859, 1968.

37 Coase R., « The Problem of Social Cost », The Journal of Law and Economics, 3: 1-44,(1960). Cf. R. Coase, Essays on Economics and Economists, University of Chicago Press,Chicago, 1995.

38 Baden John, « A Primer for the Management of Common Pool Resources », in GarrettHardin and John Baden, Managing the Commons, Freeman and Company, 1977, USA,pp. 138-139.

XVIII

L’environnement et le développement durable

Joe-Kodzo Homezo.Genève, le 19 oct. 2010

L’un des tout premiers discours internationaux sur la crise des ressourcesnaturelles remonte à la publication d’un document appelé Halte à lacroissance (1972)39. Ensuite, le Rapport Brundtland sur Notre avenircommun (1987)40 débouche sur le Sommet mondial de Rio (1992) et laConvention sur la biodiversité (1994)41. Les pays sont conviés à élaborerleurs propres plans d’action de développement, en accord avec l’Agenda 21des Nations-Unies et à signer le Protocole de Kyoto42.

Deux décennies plus tard, la problématique du développement durable estplus actuelle que jamais. L’activité humaine transforme, mais ne crée pasde la matière. Cette dernière est l’objet de diverses perceptions. Au plananthropocentrique, le cartésianisme préconise que l’homme devienne« maitre et possesseur de la nature » (Descartes, Discours sur la méthode),Jean-Paul II (Nouveau catéchisme de l’église catholique, 1992). Mais lessociétés locales n’ont eu de cesse de considérer la nature comme un bieninaliénable d’utilité collective (Common Pool Resource). La perspectiveécologique (récente dans l’histoire de l’Occident) aborde l’environnement entant que patrimoine de l’humanité (Convention sur la biodiversité, 1994).

39 Créé en 1968, le Club de Rome a chargé une équipe de chercheurs du Massachusetts

Institute of Technology, d’étudier le problème de la croissance. Les experts ont rendu en1971, le Rapport Dennis Meadows, ainsi désigné du nom du président de laditecommission et intitulé The Limits of Growth, les « limites de la croissance », traduit enfrançais par Halte à la croissance et qui tire la sonnette d’alarme et allègue de ce que lapoursuite de la croissance économique, sur la même lancée, entraînerait la raréfactiondes sols cultivables, l’épuisement des ressources renouvelables et déclencherait unechute démographique brutale au cours du vingt et unième siècle.Cf. Meadows Donella et al., The Limits to Growth, New York, Universe Book, 1972.Traduction française, sous le titre Halte à la croissance, Fayard, Paris, 1972.40

Gro Harlem Brundtland, Notre Avenir à tous, Montréal, Éditions du Fleuve, 1988.41

Cette convention est prise lors du Sommet de Rio de Janeiro, en 1992. Son objectif est

la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique.42

Le Protocole de Kyoto est un ensemble de dispositions légales contraignantes adopté en

1997, dans le but de limitation ou de réduction des émissions des gaz à effet de serre. LeProtocole repose sur trois piliers : le permis d’émission, qui est un mécanisme d’échangede droits d’émissions et de projets concrets de réduction d’émission entre paysindustrialisés ; la mise en œuvre conjointe, permet de créer, de transmettre et d’acquérirdes unités de réduction d’émission (URE) entre les pays industrialisés et ceux entransition économique ; le mécanisme pour un développement propre (MDP), assiste lespays en développement et leur facilite l’accès des capitaux, en vue du développementdurable. Un pays développé qui contribue aux stratégies durables dans un pays du Sud,peut être crédité des unités de Réduction d’Emissions Certifiées (REC) qu’il a créées.

XIX

Certes, personne ne peut nier l’amenuisement des ressources ou la lenteurde reconstitution des stocks. Mais personne ne saurait dire non plusprécisément le niveau d’extinction de la biodiversité. En fait, le problèmen’est pas tant les prescriptions normatives de conservation des utilités, quel’impasse, au niveau conceptuel de nos instruments intellectuels etthéoriques. En effet la notion de développement est imprécise (Comeliau,1993). Plus de 60 définitions discordantes ont été émises en 1989 sur cetteterminologie. Le Rapport Brundtland de 1987 charrie six différentessignifications du développement (Hatem, 1990).

En fait, le développement est perçue par certains comme un phénomènenaturel d’injection de l’énergie et de l’information à des fins detransformation de la matière. Le paysan qui ouvre un potager, l’artiste quitaille du bois ou les villageois qui creusent un puits, font du développement.Sont également des acteurs en développement, la personne et/ou lacompagnie qui injectent du capital dans la production des biens destinés àla vente sur les marchés. Néanmoins, à la différence, ces dernierss’inscrivent dans des dynamiques de production et d’expansion et deconquête des parts de marché ― démarches, sommes toutes, résolument capitalistes et prométhéennes visant la croissance économique, ainsi que laprise insatiable des utilités.

L’industrialisation est un système de croissance et non une économie strictosensu. Le sens du mot économie (oika-nomos) est travesti depuis quel’activité marchande ou capitalistique est labélisée du terme « économie ».En fait, le système capitaliste est né en Espagne et en Italie du nord entre1450 et 1850. Ce système-monde (Wallerstein Immanuel, 1985) procèdepar « L’exploitation-destruction de la forêt tropicale, la multiplication desgrands aménagements hydrauliques, l’imposition de monoculturesd’exportation » (Guillaume Cruse, 1994 : 153). A posteriori l’activitéindustrielle pollue, saigne la forêt, favorise la salinisation et la latérisationdes sols. Bref, en principe, la croissance est une activité prédatrice de lanature.

Dans la notion de croissance, il y a le terme chrématistique (Krematistikos =calcination). Ni le développement industriel, ni l’économie capitaliste nepeuvent protéger l’environnement. Pour faire du durable, il faut commencerpar changer de système de croissance. Car il est impossible de prétendrefaire du développement durable dans les termes actuels de l’économieclassique dominante qui est le principal terme du problème.

Bibliographie

Cruse Guillaume, « La prise en compte de l’environnement comme facteur dedéveloppement », Revue Tiers Monde, t. XXXV, n°137, janv. - mars, 1994.

Christian Comeliau, « Développement du développement durable ou blocageconceptuels, Revue Tiers Monde, t. XXXV, n°137, janv. - mars, 1994.Hatem Fabrice, « Le concept de développement soutenable, Economie prospectiveinternationale, 44, 1990, pp. 101-117.

XX

J’ai posé le problème de la connaissance en termes dichotomiques marquant ladifférence entre l’approche objective et subjective. Mais peut-on sérieusement parlant tenirune telle opposition ? Toute connaissance n’est-elle pas une subjectivité ? Je résumerai cedébat avec la réflexion ci-après:

Backing comments on what I’ve depicted as the “objective” (left) and

“subjective” (right) approaches to Nature, it seems to me that I must move

beyond the ideal type categorization I’ve inherited from the Max Weber

Sociology. In doing so I could be able to change my former perception with the

following question: How do we know things that surround us?

Husserl, the Father of the Phenomenology school stressed that “Any

consciousness is the consciousness of something”. He means that our conscious

to subjects [knowledge] is always linked to our history, memory, temporality,

passions, etc. So that, we all of time are in subjectivity process. Because we

select, chose and sort things we want to see and direct into particular

perspectives. According to the Husserl regards, the criterion of “exterior” and

“indoor” eyes is meaningless, as well as is the paradigms of “objectivity” and

“subjectivity”.

Scholars for their academic simplest readings pretend that there are four

models of knowledge: intuition, empiricism, scientific and theoretic (speculation).

In fact, it is me/You who construct our world. Things never exist per se, as in

the Kantian a priori philosophy. It is me /you who project meanings

[consciousness] on what I/ You already select.

When I open my eyes, there is flash back information whose reflects tape my

retinas which send the reversed images to my brain. My brain quick moves and

tries to ordering the reversed images till at the end of the combinations, I could

be able or not to coordinate, link and interpret the whole according to what I

knew, desired and select before. So my consciousness is not the record of a

brute material thing, but a personal reading process that let me/You convert

scatted data onto unified intelligible information.

The fact that different people confronted to the same and unique information

or event never get the same knowledge or appreciation seems to be an index of

the eminent role of our subjectivity that adds meanings to what we give

existence and consistence. The vision of the nature and the world is then

contextual, contingent and, mobile constructions. Conflicts among people, couple,

friends and families seem in relation to the way each concerned person feels,

appreciates and inputs his meanings to things that previously have been admitted

as common, but which are now perceived different. So I must give up quick the

dichotomist worldview depiction I drew.