Introduction Au Lexique de Phéno

Embed Size (px)

Citation preview

  • 7/24/2019 Introduction Au Lexique de Phno

    1/3

    INTRODUCTION AU LEXIQUE

    l'usage des tudiants en phnomnologie psychiatrique

    Le lexique a pour but d'clairer les concepts fondamentaux de la phnomnologie psychiatrique.Efforons-nous ici de lier selon l'ordre du discours ce que le lexique clate en une multiplicit depositivits et de significations isoles.

    La phnomnologie psychiatrique est une discipline, inspir!e de Husserl et de Heidegger, quiredonne ses lettres de noblesse au concept de mthode : c'est en effet une voie - mthodos -dont l'horizon de sens est la comprhension des maladies mentales. En France, laphnomnologie psychiatrique a connu un authentique essor grce aux travaux d'Arthur Tatossianet de Henri Maldiney, mais les pres fondateurs de cette discipline sont les psychiatres LudwigBinswanger et Karl Jaspers. Le dtour par la philosophie leur permet de commencer tout denouveau depuis les fondements, " a primis fundamentis denuo inchoandum ", pour donner uneassise fondamentale aux recherches psychopathologiques.

    Le concept inaugural de la phnomnologie psychiatrique est celui de comprhension. Il faut

    distinguer la comprhension de l'explication : alors que l'explication repose sur des constructionsthoriques a priori, sur des lois anonymes et impersonnelles, la comprhension opre la gensedes troubles psychiques et en recherche les motivations historiques dans la vie singulire dupatient, dans sa ralit personnelle et contextuelle. Dans sa Pscychopathologie Gn!rale, KarlJaspers affirme que la personne humaine se manifeste dans des figures et des associationspsychiques, dont l'intelligibilit est accessible seulement travers son projet global de vie, c'est--dire son projet de sens. C'est ainsi que "la comprhension affective est la vritablecomprhension de la vie psychique elle-mme ". " Il y a comprhension intuitive d'un cas lorsquetout le dveloppement du sujet parat aussi clair que le dveloppement des sentiments humainshabituels " prcise Lanteri-Laura. Les tats successifs de la personnalit ne sont plus spars pard'incomprhensibles ruptures, mais leur volution devient intelligible. Comprendre, c'est doncdonner un sens humain aux conduites observes chez les malades. Faut-il considrer cecomprendre comme un danger et une illusion ? Non seulement il n'est pas un leurre mais il estprimordial, poursuit Jaspers : " la comprhension rationnelle n'est pas vraiment psychologique, ellen'est qu'une simple constatation des contenus rationnels que possde la pense d'un individu.Mais la comprhension affective a pour objet les vcus qui constituent la vie psychique del'individu. " De mme la comprhension, dans sa dimension ordinaire, repose sur ce qui est vcuensemble entre moi et autrui. Elle est rendue possible par " un acte d'empathie, au sens o jesaisis le vcu d'autrui en me transposant en son me ". Mais n'y a-t-il pas l un paradoxe entre lesexigences rationnelles de la communication et les implications affectives de la comprhension? Enfait, si le psychiatre parvient un savoir communicable, c'est qu'il comprend mais " qu'il isoleaussi les phnomnes psychiques : il les dmle et les d!limite, il en fait la description et ladnomination " prcise Cabestan. Enfin la comprhension ordinaire comme la comprhension

    psychologique ne sont jamais donnes dfinitivement, elles ne sont jamais quelque chose dacquisdurablement, elles sont bien plutt toujours conqurir, et tout l'effort de la communication n'est-ilpas de tendre vers cette profondeur d'me que Jaspers nomme comprhension affective ?Mais que s'agit -il de comprendre pour le psychiatre ?

    Dans son Introduction l'analyse existentielle, Binswanger utilise la formule hraclitenne dekoinos cosmos pour dsigner l'vidence du monde ordinaire, du monde commun auquel participelhomme veill, par opposition l'idios cosmos, le monde propre ou priv dans lequel le rveurest plong. Le malade se trouve situ dans une voie l'impossible, dans un monde l'intrieurduquel il sest enferm et duquel il narrive pas sortir. Le malade peut voir une porte de sortie deson monde propre ou priv - idios cosmos - dans lequel il sest enferm que lorsquil arrive

    constituer une passerelle avec le monde commun - koinos cosmos - qui va donc prendre en partiela place du monde priv. Il est important de revenir sur la notion de rupture avec le mondecommun. Le monde commun est le monde de la communaut en gnral, de la socit, il est rgipar une rgularit de pratiques et de faons de se comporter les uns avec les autres , par un

    sur1 3

  • 7/24/2019 Introduction Au Lexique de Phno

    2/3

    systme cohrent de formes de vie et d'action. Le monde priv, au contraire, le monde dans lequelsest enferm le malade, nen reste pas moins un monde galement, avec des connexions et desrenvois spcifiques, avec des pratiques et des codes particuliers, avec des formes dincarnation etdexpression originales, un monde qu'il s'agit de comprendre. Lhomme de ce cosmos errant, de cemonde nomade, sefforce encore de communiquer avec ses semblables, de renouer lacommunication, mais selon des pratiques qui ne sont pas utilises dans la communaut. Lepsychiatre phnomnologue doit rechercher, ou pour mieux dire, doit mettre en oeuvre unestratgie de comprhension qui lui permette davoir accs ce monde priv, pour faire en sorte derestaurer la communication dficiente de cette personne. Le monde du malade, cest un mondedont la dcouverte, lexploration et la comprhension vont tre les buts de lentreprise commune etsolidaire du psychiatre phnomnologue et du patient.Lobjectif de la phnomnologie psychiatrique est de restaurer laccs du malade au mondecommun et de lui permettre dans le mme temps de rinscrire ses possibilits dexistence les pluspropres. Cest le devoir pour le thrapeute, de sortir le malade de la situation sans issue danslaquelle il se trouve pour le ramener sur terre. La situation sans issue, cest le cheminhistoriquement impraticable du sujet, duquel il faut le dsengager et le conduire vers un cheminnouveau. Le phnomnologue va reconstruire lhorizon dexprience du patient avec dautres

    schmas intentionnels que ceux que cette personne partage avec la communaut. Ce sont cesschmas, ces formes dexistence, ces structures dexistence sur lesquelles vont porter lesrecherches des phnomnologues, qui ont ainsi dgag des formes dexistence propres auxpsychoses. Il sagit des idaux-types, des formes manques de la prsence au monde. Tandis quelhomme sain incarne plusieurs de ces formes sans y rester, le malade incarne une de ces formesde faon approfondie. Ces formes dexistence particulires, ces schmas nosographiques qui ontt dgag travers ces recherches, vont favoriser laccs aux phnomnes, laccs au mondepriv, au monde du malade. Il ne s'agit pas de classer les malades mais daccder auxphnomnes, au monde priv de cette personne.

    La rduction, comme principe mthodologique, consitue la condition sine qua non pour accder au

    monde priv du malade. Il sagit dune mise entre parenthses - poch - de toute orientationpralable du thrapeute et de toute interprtation. Oprer une rduction cest pour le thrapeutemettre entre parenthses le prjug courant selon lequel la maladie mentale serait produite parune dficience organique ou par une perte dune facult intellectuelle. Dpasser ce prjug permetau thrapeute de ne pas enfermer le patient dans son statut dhomme alin et donc ainsi de nepas tre un frein la restauration de la communication. Lopration de la rductionphnomnologique cela consiste en ltude par le thrapeute de la cohrence des actes de vieintentionnelle du patient, on retrouve ici la cohrence du monde priv et cette pratique est fate parle praticien sans quil se prononce sur la validit ou la prtention dire la ralit de ces actes. Il nya pas dinterprtation de ces actes. Lopration de rduction doit aussi permettre au psychiatre deressaisir pour lui les actes intentionnels qui sous-tendent le discours du patient et qui articulent cediscours selon des liens logiques dassociation qui sont inaccessibles demble. Donc la rduction

    doit creuser les perceptions, les fantasmes, les actes de langage jusquau niveau transcendantalo se joue cette articulation.

    Aprs avoir procd la rduction, le thrapeute analyse, pour chaque patient, son mode detemporalisation, de spatialisation (tre-au-monde) et sa vie intersubjective (tre-avec-autrui). Sestrois domaines danalyse servent la constitution des idaux-types.La temporalisation repose sur le principe selon lequel tout prsent est la fois un prsent passou en train de se passer (une rtention selon Husserl), et une prsent futur, ouvert un avenirimmdiat (une protention).Pour lhomme commun, le prsent est une synthse en incessante formation entre ce quil saisit,

    peroit, de cet instant prsent et les rapports de cette perception immdiate avec le pass et lefutur. Mais pour lhomme malade, cette synthse ne se fait pas en permanence et ses rapports autemps sont perturbs.

    sur2 3

  • 7/24/2019 Introduction Au Lexique de Phno

    3/3

    Pour le mlancolique, les attentes de son prsent quant son futur sont inhibes par le poids dupass. Celui-ci est sans cesse ractualis et la projection de lavenir se fait dans le pass. Lemlancolique se retourne toujours en arrire et dit souvent : si tel vnement navait pas eu lieu,il me serais alors possible de.Par opposition, le maniaque se projette dans un avenir thr, dans le possible et lhypothtiquepur. Pour lui, il ny a pas de persistance durable des choses et donc ses protentions sont dlestesdu poids du pass : il est dans une dispersion fugace dides daction , qui se traduit chez luipar une fuite des ides.Enfin, le schizophrne vit dans une perspective dattente : il a peu de marge de manuvre en tantquacteur de sa vie, et ne peut que subir un destin prform, vcu comme une rptition creuseparfois entre les gnrations. Il ne fait donc pas de diffrence entre le pass, le prsent et le futuret cette difficult de temporalisation se retrouve dans son discours : lorsquil raconte un pisode desa vie, on est incapable de dterminer si cela sest droul il y a 2 mois, 1 an ou 15 ans.

    Lanalyse de la spatialisation est fonde sur un principe semblable celui de la temporalisation :on veut dcrire les rapports du sujet avec le proche et le lointain au niveau spatial.La psychomotricit du mlancolique est alourdie par une tonalit affective qui le fige sur place et lerend apathique. Tout comme il na pas accs lavenir par le poids du pass, laccs au lointain lui

    est hors de porte.Pour le maniaque, il y a une mise disposition quasi-immdiate des choses, de la mme faonquil se projette totalement dans le futur. Il a un accs direct au lointain, quil ne diffrencie pas dece qui lui est proche.Les modes de temporalisation et de spatialisation, cest--dire les rapports du sujet au monde(tre-au-monde), ont une influence sur sa vie relationnelle (tre-avec-autrui).La vie intersubjective du malade est perturbe dans son systme des apprsentations (Husserl) :les intuitions qui offrent un accs indirect au vcu psychique dautrui, laide des indices dephysionomie, des gestes et de la parole (empathie). Les relations que lon tente dtablir avec luisont peu videntes en raison de certaines perturbations de ce systme.

    Le vcu psychique de la personne mlancolique nous parat dpourvu de toute force expressive etmotionnelle : il est peru comme totalement apathique, vide .Par opposition, on a un accs immdiat, htif voire excessif, au vcu du maniaque qui effacelopacit constituant lautre : on a limpression dune indiffrenciation entre nous et lui.Face au schizophrne, on observe une mise en chec radicale du systme des apprsentationscar on a aucun accs son vcu psychique.Les concepts de comprhension, de monde commun, de rduction, puis de spatialit, temporalitet d'intersubjectivit constituent donc le socle partir duquel le lexique peut tre lu commeensemble discursif homogne, c'est--dire un espace de rsonance o les significations setrouvent enrichies d'harmoniques nouvelles.

    sur3 3