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Introduction générale : croissance, développement et changement social. TES4. Année 2006-2007. Charrier Eric 1 INTRODUCTION GENERALE : CROISSANCE, DEVELOPPEMENT ET CHANGEMENT SOCIAL SECTION 1. DU QUANTITATIF AU QUALITATIF. A. La croissance économique. 1. Définition et mesure. a. Définition. Cf. doc.1 page 30 La croissance économique peut se définir comme l’augmentation sur la longue période (ce qui la différencie de l’expansion) de la production de biens et services. Ainsi pour F. Perroux la croissance est « l’augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes d’un indicateur de dimension significatif. » Certains auteurs comme Simon Kuznets ont une approche plus restrictive de la croissance puisqu’ils ne considèrent que son résultat supposé càd l’amélioration du niveau de vie et plus précisément du revenu par habitant. Ce qui signifie qu’il n’y aura croissance que si le produit réel croît plus vite que la population. b. la mesure de la croissance et ses difficultés. Cf. doc. 2 page 31. La production du pays est habituellement mesurée par le PIB càd le Produit Intérieur Brut. Il est établi à partir d’une évaluation monétaire des biens et services créés par les unités institutionnelles résidentes sur le territoire national (quelle que soit leur nationalité) sur une période donnée. L’agrégat est qualifié de brut car n’ont pas été déduits les amortissements càd la part des richesses consacrée au renouvellement du capital obsolète. On parle de produit car sont additionnées production marchande et production non marchande. Le PIB marchand évalue la production des SI marchands (EI, SQSNF, IC, EA) à partir des prix du marché ou des prix susceptibles de couvrir les coûts de production. Le calcul du PIB marchand passe d’abord par le calcul de la Valeur Ajoutée (VA). VA = CA - CI PIB marchand (aux prix du marché)= VA+TVA+droits de douane -subventions d’exploitation. Le PIB non marchand évalue la production des services non marchands (essentiellement produits par les administrations). Elle est estimée, non pas à partir des prix du marché, mais par rapport aux dépenses qu’elle entraîne : rémunérations des salariés, dépenses d’investissement... On dit qu’elle est estimée aux coûts des facteurs. PIB = PIB marchand (aux prix du marché) = PIB non marchand (aux coûts des facteurs). Le PNB mesure ce qui a été produit au cours d’une période par l’ensemble des agents nationaux, que ceux-ci se trouvent ou non sur le territoire national. PNB = PIB + revenus reçus du reste du monde - revenus versés au reste du monde.

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Introduction générale : croissance, développement et changement social. TES4. Année 2006-2007. Charrier Eric

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INTRODUCTION GENERALE : CROISSANCE, DEVELOPPEMENT ET CHANGEMENT SOCIAL

SECTION 1. DU QUANTITATIF AU QUALITATIF.

A. La croissance économique.

1. Définition et mesure.

a. Définition. Cf. doc.1 page 30 La croissance économique peut se définir comme l’augmentation sur la longue période (ce qui la différencie de l’expansion) de la production de biens et services. Ainsi pour F. Perroux la croissance est « l’augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes d’un indicateur de dimension significatif. » Certains auteurs comme Simon Kuznets ont une approche plus restrictive de la croissance puisqu’ils ne considèrent que son résultat supposé càd l’amélioration du niveau de vie et plus précisément du revenu par habitant. Ce qui signifie qu’il n’y aura croissance que si le produit réel croît plus vite que la population.

b. la mesure de la croissance et ses difficultés. Cf. doc. 2 page 31. La production du pays est habituellement mesurée par le PIB càd le Produit Intérieur Brut. Il est établi à partir d’une évaluation monétaire des biens et services créés par les unités institutionnelles résidentes sur le territoire national (quelle que soit leur nationalité) sur une période donnée. L’agrégat est qualifié de brut car n’ont pas été déduits les amortissements càd la part des richesses consacrée au renouvellement du capital obsolète. On parle de produit car sont additionnées production marchande et production non marchande. Le PIB marchand évalue la production des SI marchands (EI, SQSNF, IC, EA) à partir des prix du marché ou des prix susceptibles de couvrir les coûts de production. Le calcul du PIB marchand passe d’abord par le calcul de la Valeur Ajoutée (VA). VA = CA - CI

PIB marchand (aux prix du marché)= ∑VA+TVA+droits de douane -subventions d’exploitation. Le PIB non marchand évalue la production des services non marchands (essentiellement produits par les administrations). Elle est estimée, non pas à partir des prix du marché, mais par rapport aux dépenses qu’elle entraîne : rémunérations des salariés, dépenses d’investissement... On dit qu’elle est estimée aux coûts des facteurs. PIB = PIB marchand (aux prix du marché) = PIB non marchand (aux coûts des facteurs). Le PNB mesure ce qui a été produit au cours d’une période par l’ensemble des agents nationaux, que ceux-ci se trouvent ou non sur le territoire national. PNB = PIB + revenus reçus du reste du monde

- revenus versés au reste du monde.

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Cf. doc. 3 page 31 et fiche 6 page 447. La croissance économique se mesure à l’aide du taux de croissance du PIB ou du PNB. Cependant, le PIB s’élève mécaniquement avec l’inflation (hausse généralisée des prix) sans que cela corresponde à un enrichissement réel de la nation. Aussi, les économistes distinguent le PIB à prix courants ou PIB en valeur (on dit aussi PIB nominal) calculé aux prix de la période du PIB à prix constants, ou PIB en volume (on dit aussi PIB réel) calculé à l’aide des prix d’une année de référence. On dit que l’on déflate la série statistique de l’indice des prix en passant des PIB en valeur aux PIB en volume ou PIB réel. PIB réel (ou en volume) = PIB nominal (en valeur) / indice des prix x 100 Indice PIB réel = Indice PIB en valeur / indice des prix x 100 Taux de croissance réelle (ou en volume) = indice PIB réel - 100. La mesure de la croissance pose plusieurs problèmes. Cf. doc. 4 page 32 et texte distribué (extrait du manuel de terminale La Découverte). 1. Le PIB ne prend en compte que la production résultant d’une activité rémunérée. Certaines activités productives lui échappent comme le travail domestique, le travail bénévole... A. Pigou disait : « tout homme qui épouserait sa femme de ménage ferait baisser le PIB national. » 2. L’économie souterraine qui comprend les activités illégales (drogue et prostitution), les activités non déclarées (fraude fiscale) et le travail au noir n’est que partiellement prise en compte dans le PIB. Par nature, ces activités échappent à la mesure. En France (selon un rapport européen), l’économie souterraine représenterait 6,5% du PIB et en Italie le phénomène atteindrait les sommets avec 20 à 26% de la production nationale. 3. Un indicateur synthétique tel que le PIB a du mal à rendre compte de l’évolution de la qualité de la production. Les transformations des prix relatifs sont mal assimilées. Le calcul du PIB suppose que les prix relatifs rendent bien compte de la valeur relative des biens. Que dire des services non marchands qui sont évalués aux coûts des facteurs ? Les comparaisons internationales s’avèrent très périlleuses. Pour certaines productions non exposées à la concurrence internationale (les services en général, et, en particulier, les services non marchands), les comparaisons entre les prix ne sont pas significatives. De la même façon, l’utilisation des taux de change peut fausser les comparaisons. C’est pourquoi l’on a recours au calcul des parités de pouvoir d’achat. Sujet développé dans le paragraphe consacré aux indicateurs du développement). 4. Le PIB est-il un bon indicateur du niveau de vie ? S’il recense toutes les richesses créées par les unités de production résidentes mais rien n’assure que ces richesses bénéficient aux habitants du pays. Si l’unité de production est une filiale d’une FMN, le rapatriement des bénéfices vers le pays d’origine va réduire le revenu national. Dans le cas d’une économie fortement internationalisée, le PNB est un meilleur indicateur que le PIB. 5. La mesure du PIB ignore les externalités négatives de la production. Nuisances, pollutions, l’épuisement de certaines réserves de ressources naturelles ne sont pas pris en compte dans le calcul du PIB. Même pire, le traitement de la pollution engendrée par une entreprise, lorsqu’il est assuré par le secteur marchand, va contribuer à faire augmenter le PIB. De la même façon, un accident de la route ou un bouchon sur l’autoroute entraîne un accroissement du PIB en raison des activités et des dépenses qu’ils entraînent. Il est certain que la prise en compte de ces phénomènes par les comptabilités nationales pourraient aboutir à des taux de croissance beaucoup plus faibles voire négatifs.

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2. La croissance sur la longue période. Travail sur les documents 8 page 26, 14 et 13 du livre page 37 et suivants :

Indicateurs de l’économie mondiale 1500 – 1992

(en millions et en taux de variation annuel moyen) 1500 1820 1500 - 1820 1992 1820 - 1992 Population mondiale 425 1068 0.29 5441 PIB par habitant (dollars de 1990) 565 651 0.04 5145 PIB mondial (milliards de dollars 1990) 240 695 0.33 27995 Exportations mondiales (milliards de dollars 1990)

n.d. 7 n.d. 3786 3,73

Source : A. Maddison, L’économie mondiale, 1820 – 1992, OCDE

Une croissance inégale selon les régions. Niveau du PIB par habitant

(dollars internationaux de 1990)

Taux de croissance du PIB par habitant (moyen

annuel) 1820 1998 1820 – 1998 (en %) Europe de l’Ouest 1232 17921 1,5 Pays d’immigration européenne *

1201 26146 1,7

Japon 669 20413 1,3 Amérique latine 665 5795 1,22 Europe de l’Est et ex-URSS

667 4354 1,05

Asie (hors Japon) 575 2936 0,9 Afrique 418 1358 0,66 Monde 667 5709 1,21

* Etats Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande

Source : A. Maddison, l’économie mondiale, une perspective millénaire, OCDE, 2001 Si l’on réfère au chiffrage établi par l’économiste américain Maddison, depuis 1820, le PIB mondial a été multiplié par 40, la population par 5, le produit par habitant par 8 et le commerce mondial par 540. De 1500 à 1820, la croissance moyenne du revenu par habitant a été 30 fois inférieure à celle enregistrée depuis 1820. La croissance économique est un processus inégal dans le temps. Les plus forts taux de croissance ont été observés entre 1950 et 1973. Ensuite et dans l’ordre décroissant, on trouve deux autres périodes : 1973-1992 et 187-1913. En prenant le PIB par habitant, les deux périodes s’inversent. Si l’on s’en tient au seul taux de croissance, la période 1973-1992 se caractérise comme un retour à la tendance de long terme. Le taux de croissance est plus instable et tend à diminuer tendanciellement. Par opposition à l’expression forgée par J. Fourastié, « Les Trente Glorieuses », certains économistes parlent de croissance molle, des « Vingt Médiocres » ou encore des « Trente Piteuses ». La croissance est un phénomène inégal dans l’espace. Ce sont dans les pays initialement les plus prospères qu’elle a progressé le plus rapidement depuis 1820. Elle a été multipliée par 13 pour l’Europe Occidentale et par 17 pour les « pays neufs » (USA, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande). Il existe une réelle divergence entre les pays et les zones géographiques. Globalement, les pays les plus pauvres connaissent une croissance plus lente. Pour autant, les positions ne sont pas figées. Ainsi, depuis 1950,

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l’écart entre les USA, l’Europe Occidentale et l’Europe du Sud a tendance à décroître. De même l’Asie qui, après 130 ans de croissance faible, connaît une convergence avec les USA.

3. La croissance s’inscrit dans des cycles économiques. La croissance économique et, plus généralement, l’activité économique ne se caractérisent pas par la stabilité et la régularité. Elles s’inscrivent dans des fluctuations économiques formant éventuellement des cycles. Les fluctuations désignent l’ensemble des mouvements à la baisse ou à la hausse de l’activité économique. Ces mouvements sont repérés à l’aide d’indicateurs statistiques tel le niveau de la production ou celui des prix. L’étude des fluctuations a permis aux économistes de mettre en évidence des cycles économiques. Les cycles économiques sont l’expression de la périodicité et de la régularité des fluctuations. Ils ont en général la forme suivante :

La crise est un moment important des cycles. Au sens courant du terme, la crise = une période dépression ou de stagnation durable de la conjoncture économique. Au sens strict du terme, la crise = processus de retournement du cycle économique en son point le plus haut qui interrompt la phase d’expansion et précipite l’économie dans la dépression. Plusieurs types de cycle sont distingués. les cycles courts sont de 2 types : - les cycles Kitchin (mis en évidence par J. Kitchin en 1923), qualifiés aussi de cycles mineurs ont une durée d’environ 40 mois. Ils sont liés à des pratiques de gestion de stocks selon que les intermédiaires de la distribution et les industries de transformation accumulent ou liquident les stocks - les cycles Juglar ou cycles majeurs qui ont été mis en évidence par C. Juglar dès 1860. d’une périodicité de 6 à 10 ans, ce cycle est général et régulier. La crise, comme moment de retournement de la conjoncture, touche l’ensemble des pays capitalistes et des activités et se caractérise par une contraction de la production et des prix. Le cycle est d’une ampleur importante (différence entre le point haut et le point bas de la conjoncture). Ce cycle est le rythme fondamental qui scande la conjoncture des pays capitalistes au cours du XIX° siècle. Dans la période contemporaine et, en particulier lors de la croissance des trente Glorieuses, il semble que ce cycle ait disparu. La période de crise inaugurée en 1973 marque le retour d’une plus grande instabilité de la conjoncture économique et des cycles économiques. La mise en cause de l’intervention de l’Etat n’est peut-être pas étrangère à ce fait.

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Les cycles longs ont été mis en évidence dès 1922 par un économiste russe : N. Kondratieff. Analysant la croissance industrielle des pays capitalistes à l’aide d’un important matériel statistique et documentaire, il mit en exergue des mouvements longs et concordants des prix et de la production. C’est J. Schumpéter qui baptisa ces cycles du nom de leur « auteur » qui est mort dans les camps staliniens pour avoir montré que le capitalisme avait survécu à de nombreuses crises alors que la doctrine officielle voulait voir dans la crise de 1929 la fin du capitalisme. ces cycles sont d’environ 50 ans et sont constitués de 2 phases : - phase A càd la phase de croissance se caractérisant par une tendance à la hausse des prix et des taux de croissance relativement élevés - phase B càd la phase de dépression qui se manifeste par une tendance à la baisse des prix et un tassement des rythmes de croissance.

B. Développement et changement social.

1. Le développement : un phénomène complexe difficile à évaluer.

a. Le développement : un phénomène complexe… Alors que la notion de croissance entend désigner des phénomènes essentiellement quantitatifs, le terme de développement procède d’une démarche plus qualitative. Il désignerait une transformation sur la longue période des structures démographiques, économiques et sociales (industrialisation, urbanisation, salarisation, tertiarisation…), mais aussi des représentations (systèmes de valeurs, conceptions du monde…) et des comportements (rationalisation, calcul économique…). Implicitement, la notion de développement suppose que ces changements structurels entraînent une amélioration des conditions générales de la vie. Pour P. Bairoch, la notion de développement se définit par « l’ensemble des changements économiques, sociaux, techniques et institutionnels liés à l’augmentation du niveau de vie résultant des mutations techniques et organisationnelles issues de la RI du XVIII°. »

b. … difficile à évaluer. La première méthode pour tenter d’évaluer le développement est de considérer le rapport entre le PIB (ou le PNB) et le nombre d’habitants : PIB / nombre d’habitants. Certains organismes comme la banque mondiale considèrent qu’il est un assez bon indicateur des conditions de vie concrètes : alimentation, alphabétisation, santé etc. Les comparaisons internationales nécessitent l’utilisation d’une monnaie commune, en général le dollar. Le PIB / hab. est converti en dollars suivant le taux de change effectif. Le problème qui se pose est que le pouvoir d’achat càd la quantité de biens que l’on peut acheter avec un certain montant d’une monnaie diffère d’un pays à un autre. C’est pourquoi les économistes ont recours aux parités des pouvoirs d’achat (PPA). Le calcul des PPA nécessite d’abord que l’on définisse un panier type de biens analogues dont on détermine le coût dans chaque pays : les NU ont choisi un panier de 151 catégories de produits dont les prix sont mesurés dans 60 pays. Ensuite sont calculés les taux de change en PPA, exprimés en dollars internationaux afin que la même somme d’argent permette d’acheter la même quantité de biens dans chaque pays.

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Si un panier type vaut 100 $ aux USA, 110 $ dans le pays A et 80 $ dans le pays B, le taux de change en PPA sera le taux de change divisé par 1,1 pour le pays A et le taux de change divisé par 0,8 pour le pays B. C’est à partir d’un tel indicateur que la banque mondiale procède au classement suivant des pays en voie de développement : - pays à faible revenu - pays à revenu intermédiaire - pays exportateur de pétrole - pays comprenant moins d’1 million d’habitants. L’ONU, plus exactement la CNUCED, distingue trois types de pays en voie de développement : - NPI - pays de l’OPEP - PMA (pays les moins avancés). Approximativement, le PIB / tête permet de connaître les formidables inégalités dans le monde et d’appréhender les difficultés de financement que rencontrent les PVD en matière d’infrastructures et de politiques publiques. Mais il présente plusieurs inconvénients : 1. le PNB / hab. n’est qu’une moyenne qui masque les disparités de revenus qui augmentent en général avec la pauvreté 2. il ne permet pas de connaître le niveau de vie réel des habitants. En effet, il n’intègre pas des éléments du niveau de vie très importants comme l’économie rurale traditionnelle, le secteur informel ou l’autoconsommation. La prise en compte de tels éléments permet de rehausser le niveau de vie de ces populations ce qui atténue les inégalités (cf. p. 34 du livre). Pour autant, il n’est qu’un indicateur très partiel en regard du phénomène qu’il entend mesurer. L’ONU a mis au point l’IDH afin de mieux évaluer le degré de développement des économies. L’IDH doit permettre de mesurer le degré de satisfaction des besoins humains fondamentaux. C’est un indicateur synthétique qui combine 4 valeurs : le PIB réel / hab., l’espérance de vie, le taux d’alphabétisation et le nombre moyen d’années d’études (ou le taux de scolarisation). Les deux premières valeurs comptent pour 1/3 de l’indicateur, les deux suivantes pour respectivement 2/9 et 1/9. La valeur de chaque critère oscille de 0 à 1 sur des échelles de valeurs allant de : - 25 à 85 ans pour l’espérance de vie - 0 à 100% pour le taux d’alphabétisation - 0 à 100% pour le taux de scolarisation - 100 à 40000$ pour le PIB réel / hab. (cf. exercice). L’IDH aura donc une valeur globale variant entre 0 et 1. Plus complet que le PNB / hab., l’IDH présente des limites : - il ne prend en compte que 3 critères socioculturels alors que d’autres aspects du développement humain sont délaissés - c’est encore une moyenne nationale qui masque les inégalités.

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Un nouvel indicateur a été proposé par le PNUD en 1995 afin d’intégrer les inégalités sexuelles : l’ISDH ou indicateur sexospécifique de développement humain). Cf. doc. 6 et 7 page 33 du livre

2. Les écarts de développement Répondre aux questions sur le doc. 8 page 34.

3. Quid du changement social ?

Si le développement se définit comme la transformation des structures économiques et sociales accompagnant la croissance économique, alors il s’accompagne nécessairement d’un « changement social » qui ne doit pas donc appeler d’investigations supplémentaires. Alors pourquoi distinguer ces deux termes ? En fait, cette distinction se justifie par la séparation qui existe entre sociologie et économie. Développement et changement social constitueraient deux lectures différenciées mais liées d’un même phénomène, la première étant privilégiée par les économistes, la seconde par les sociologues. Comment définir le changement social ? Guy Rocher le comme « toute transformation observable dans le temps qui affecte d’une manière qui ne soit pas que provisoire ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de l’organisation sociale d’une collectivité donnée et modifie le cours de son histoire. » Celui-ci peut s’observer à l’aide de toute une batterie d’indicateurs sociaux et démographiques. SECTION 2. CROISSANCE ET DEVELOPPEMENT : QUELS RAPPORTS ?

A. L’interdépendance entre croissance et développement.

1. Croissance et transformations des structures économiques.

a. Croissance et consommation de masse. Quand production et productivité augmentent cela signifie que chaque actif produit plus de richesses à la disposition de tous et de chacun, autrement dit que le pouvoir d’achat s’élève ce qui a généralement pour effet de doper la consommation. L’observation de l’évolution de la consommation en France illustre bien ce mécanisme. En effet, la croissance de la consommation a été particulièrement forte au cours des années 60 et 70. De 1959 à 1996, la consommation totale des ménages en volume a été multipliée par 3,4. Cela signifie une quantité de biens et de services consommés par habitant 2,6 fois plus élevée en 1996 qu’en 1959. Alors que les dépenses des ménages s’accroissaient à un taux supérieur à 5% par an dans les années 60, progressivement le rythme a décru en particulier sous l’effet de la crise : 3,5% par an en volume de 1970 à 1980, 2,6% de 1980 à 1990 et 1,3% de 1990 à 1996. Cette accroissement considérable de la consommation n’a pu se faire que parce qu’ont été mises en place des procédures spécifiques de partage des gains de productivité entre entreprises et salariés. L’indexation des salaires sur les prix et la productivité (cf. SMIC) a constitué l’une de ces procédures majeures ; De la même façon , le développement de l’Etat providence a permis le développement de la consommation de catégories sociales jusque là écartées de la consommation : chômeurs, retraités… On retrouve ici l’illustration d’un des cercles vertueux de la croissance mis en évidence par Nurkse :

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Croissance de la production � élévation de la productivité � augmentation du revenu national � augmentation du revenu des ménages � augmentation des dépenses de consommation � débouchés croissants pour la production � croissance… A l’inverse, une trop faible croissance ne permet pas de distribuer des revenus suffisants ce qui bloque la consommation et l’investissement (absence de débouchés) et entretient la pauvreté (les cercles vicieux de la pauvreté de Nurkse). Mais la croissance n’a pas seulement provoqué une augmentation des quantités consommées, elle s’est aussi accompagnée d’une transformation des structures de la consommation.

40 ans de consommation des ménages (en %) Part dans la consommation effective des ménages à prix

courants Evolution annuelle moyenne en volume

1960 2000 2000/1960 Produits alimentaires 23,2 11,4 2,3

Boissons alcoolisées, tabac 5,4 2,7 1,5 Habillement et chaussures 9,7 4,0 1,8

Logement, chauffage, éclairage 10,7 19,1 4,0 Equipement du logement 8,4 5,1 3,0

Santé 1,5 2,9 6,4 Transports 9,3 12,2 3 ,9

Communications 0,5 1,7 9,4 Loisirs et culture 6,2 7,1 4,5

Education 0,5 0,5 2,2 Hôtels, cafés, restaurants 6,5 6,0 1,6 Autres biens et services 5,7 6,0 2,7 Total dépense de

consommation des ménages 87,6 78 ;7 3,2

Dépense de consommation des ISBLSM*

1,1 0,9 1,4

Dépense de consommation des APU**

11,3 20,4 4,5

Consommation effective des ménages

100 100 3,4

* Dépenses de consommation des institutions sans but lucratif au service des ménages en biens et services individualisables (organisations caritatives, clubs sportifs…) ; ** Dépenses de consommation des administrations publiques en biens et services individualisables. Source : base 1995, Insee première n° 832

Travail à réaliser : - Quels ont été les principaux bouleversements des structures de la consommation ? - L’évolution observée illustre-t-elle la « loi d’Engel » ?

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b. Une économie de plus en plus tournée vers la production de services.

L’avènement de la consommation de masse est à la fois la cause et la conséquence des changements qui ont affecté les structures de la production dans les pays riches. Tout d’abord, la croissance a pesé sur l’évolution des secteurs d’activité. Ainsi, au cours du XXième siècle, la croissance économique a eu pour effet une forte augmentation du revenu ce qui a généré une forte poussée de la consommation de biens industriels et de services et donc une augmentation du poids relatif de la production industrielle et tertiaire et une baisse de la part de la production agricole. A l’inverse, la décélération du rythme de croissance qui se manifeste dès le début des années 70 (la « crise ») a eu pour conséquence une moindre augmentation des revenus et des ventes en particulier pour l’industrie. La faillite de nombreuses entreprises, la substitution du capital au travail et les délocalisations vers des pays à moindres salaires ont eu raison d’une grande part de l’emploi industriel. Par ailleurs, au cours du siècle, l’augmentation de la production a nécessité un usage toujours plus grand de services productifs (publicité, commercialisation, finance, etc.) et a permis de financer la production de services collectifs ce qui a favorisé l’essor du secteur tertiaire. C’est à partir de ce constat que de nombreux économistes ont développé la thèse de la désindustrialisation des PDEM, désindustrialisation correspondant pour certains sociologues au passage à une société « post-industrielle ». Les pays du Sud, pour leur part, semblent avoir entamer un processus analogue de mutations de leurs structures de la production et de l’emploi. Ensuite, l’évolution des secteurs d’activité a elle-même une influence sur le niveau de la productivité et donc sur la croissance économique. Ainsi, la baisse du primaire et le déversement d’une partie de la main d’œuvre dans l’industrie jusqu’au début des années 70 a eu pour effet d’accroître la productivité moyenne des économies ce qui s’est traduit par une hausse des revenus et une baisse des coûts de production unitaire ce qui n’a pas été sans effet sur la croissance elle-même. A l’inverse, la montée de la part du secteur tertiaire dans la population active a eu pour effet une baisse des gains de productivité et donc un ralentissement du rythme de la croissance.

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Evolution des structures de la population active

1975 2000 En % de la population

active

Agriculture Industrie Services Agriculture Industrie Services

Nigéria 69,1 11,1 19,3 37,7 7,5 54,8 Egypte 48,8 18,4 32,8 29,8 22,3 47,9 Inde 70,7 12,9 16,4 59,6 - - Chine 76,3 12,1 11,6 47,5 18,1 34,4

Corée du Sud 44,4 25,5 30,1 8,5 27,8 63,7 Japon 12,7 35,9 51,4 4,2 31,0 64,8 USA 4,1 30,6 65,3 2 ,2 22,4 75,4 Brésil 37,9 24,3 37,8 23,4 20,1 56,5

Allemagne 6,8 45,4 47,8 2 ,5 32,9 64,6 France 10,3 38,6 51,1 4,0 24,5 71,6

Source : L’état du monde 2001, La Découverte Travail : à l’aide des deux graphiques et du tableau, dressez un bilan statistique de l’évolution des structures de la production et de l’emploi en France, dans les principaux pays riches et dans les pays en voie de développement.

c. Une meilleure couverture des besoins humains. Au total, la croissance et les transformations de la production et la consommation qui l’accompagnent semblent générer une élévation de l’IDH, particulièrement marquée dans les pays les pays du Nord, traduisant une meilleure couverture des besoins humains. Cf. doc. 8 et 11 pages 34 et 35 du livre.

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2. Croissance et changement social. Document :

Demain, un seul monde ? par Noël BENCHETTRIT.

L'urbanisation et le salariat s'étendent, rapprochant les sociétés du Nord et du Sud. Une évolution qui rend plus criantes et inacceptables les inégalités, qui se creusent. L'urbanisation et son corollaire, le salariat, progressent à grands pas dans le monde. Ce mouvement a des effets contradictoires. Il rapproche les sociétés du Nord et du Sud, car les rapports sociaux fondamentaux qui les régissent, ceux des sociétés urbaines et des économies monétaires, deviennent semblables. Un mouvement que signalent au Sud la rapidité de la transition démographique, l'élévation sensible du niveau d'alphabétisation ou l'évolution du statut des femmes. Mais ce rapprochement souligne aussi, et rend de plus en plus insupportable, le gouffre qui demeure et même se creuse du côté des revenus monétaires. L'urbanisation progresse à grands pas Avec la diminution de l'emploi agricole, l'urbanisation du monde progresse vivement. Entre 1950 et 2000, la part de la population mondiale habitant en ville est passée de 30 à 47 %. L'Onu estime que l'on dépassera les 50 % en 2006, pour atteindre 58 % en 2025 ((1)). En partie en aspirant la population des campagnes, mais pas uniquement. Le Population Reference Bureau ((2)) estime que 40 % en moyenne de l'essor des villes dans le monde seraient dus à l'exode rural, 60 % provenant de leur croissance intrinsèque. Aujourd'hui, les trois quarts des habitants des pays riches et des pays d'Amérique latine habitent en ville, contre un tiers seulement en Asie et en Afrique. Ces dernières décennies ont vu la croissance rapide de mégapoles dans le tiers monde, comme Lagos (Nigeria) ou Dhaka (Bangladesh). Chacune devrait rassembler 23 millions d'habitants en 2015. Quant à

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Bombay, elle en compterait à elle seule 28 millions. Seules deux villes des pays industrialisés (Tokyo et New York) figureront encore en 2015 parmi les dix plus grandes agglomérations mondiales. L'urbanisation change les modes de vie. Elle entraîne une dépersonnalisation des relations entre individus et un relâchement des liens communautaires. La communauté traditionnelle voit le contrôle social qu'elle exerce limité au profit des autorités collectives (Etat, partis politiques, syndicats, etc.). Le lien social se transforme : des rapports de dominations anciens (le père, les anciens, les voisins, etc.) sont affaiblis et de nouveaux se créent (l'entreprise, les représentants de l'ordre, etc.). Les individus, en se fondant dans la masse, gagnent en liberté de mouvement. La monétarisation de nombreuses activités (repas, transports, etc.) libère du lien de face-à-face, mais entraîne aussi une déshumanisation des rapports sociaux.

Source : Alter Eco HS N° 42

Le mode de vie urbain implique des pratiques nouvelles. La restriction des espaces joue sur la taille des familles. Les nouveaux biens et services (électricité, eau courante, appareils ménagers) modifient les pratiques, et notamment les emplois du temps. Le fonctionnement de la ville elle-même permet des économies d'échelle immenses (logement, transports, infrastructures collectives, etc.), mais il engendre aussi son lot de nuisances (pollutions, embouteillages), surtout quand la croissance urbaine est beaucoup plus rapide que celle du traitement des déchets, de l'assainissement de l'eau ou des transports. La situation de nombreuses mégapoles du Sud est, de ce point de vue, catastrophique aujourd'hui. L'essor du salariat Parallèlement, l'essor du salariat se poursuit dans la plupart des pays développés, même si la condition salariale a été bousculée par la montée du chômage de masse. Le pays capitaliste le plus avancé, les Etats-Unis, est aussi celui qui compte le moins d'indépendants. Le Japon est passé d'un peu plus de 50 % de salariés au début des années 60 à plus de 80 % au milieu des années 90. Dans les pays industrialisés, le taux de salariat s'étend de 70 à 90 %. Et, ces dernières années, les pays en développement ont emprunté le même chemin. Ainsi, selon le Bureau international du travail (BIT), la part des salariés est passée de 47 à 63 % en Corée entre 1980 et 1997, de 28 à 38 % en Thaïlande entre 1990 et 1996. Les situations, toutefois, demeurent encore très diverses. Le BIT estime ainsi que le taux de salariat dépasse tout juste 12 % au Bangladesh. Même si les conditions de travail et de rémunérations sont très difficiles, le salariat représente souvent, conjointement avec la vie en ville, un progrès pour de nombreux habitants du Sud. Il entraîne une plus grande stabilité des revenus (toute relative dans le tiers monde). En réduisant l'incertitude des horizons de vie, le salariat et la protection qui va

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avec ont, par exemple, un effet sur la baisse de la fécondité. En outre, via le travail salarié, les femmes acquièrent une place nouvelle, plus autonome, qui modifie à son tour les pratiques et les relations sociales. Mais cette extension du salariat au Sud contribue en fait à creuser les inégalités au sein du salariat mondial. Qu'y a-t-il de commun entre l'employé d'une compagnie d'assurances française, qui dispose d'un quinzième mois de salaire et a accès à une protection sociale développée, et le travailleur d'une firme de textile d'Asie du Sud-Est, payé moins d'un euro de l'heure sans protection sociale ? Cette contradiction explique la crispation croissante de nombreux salariés du Nord, qui perçoivent ceux du Sud comme des concurrents, en même temps qu'elle nourrit au Sud les frustrations à l'égard de la mondialisation, dans la mesure où celle-ci n'entraîne guère, pour l'instant, un rapprochement des conditions d'emploi et de rémunération entre le Nord et le Sud. Une heure de travail d'un ouvrier mexicain valait 22 % de celle d'un ouvrier américain en 1980, et 11 % aujourd'hui... Le développement de l'économie monétaire Ce processus de salarisation et d'urbanisation, très inégal suivant les pays, transforme les conditions de vie. L'urbanisation implique, en particulier, de financer par l'impôt la prise en charge de besoins essentiels, comme la sécurité, les systèmes de soin, l'éducation, etc. Et la difficulté de construire des services collectifs efficients est un des obstacles principaux au développement de nombreux pays du Sud. Les progrès sont cependant significatifs. Le niveau d'analphabétisme est tombé de 29 % en 1980 à 18 % en 1998 pour les hommes, et de 48 à 33 % pour les femmes, pour l'ensemble des pays en développement. Dans le même temps, l'espérance de vie à la naissance est passée de 58 à 65 ans, et la mortalité infantile a de son côté reculé de 135 à 79 pour mille. Parallèlement, l'univers de consommation se diversifie. Les changements les plus visibles concernent les moyens de déplacement et de communication, ainsi que l'amélioration des conditions de logement et l'équipement du foyer. Avec trois objets symboles de cette société de consommation : la voiture, la télévision et le téléphone. Dans l'ensemble des pays en développement, on comptait 172 téléviseurs pour 1 000 habitants en 1998, contre 662 dans les pays développés. Et la diffusion des téléphones portables ou de l'automobile est rapide, avec tous les problèmes qui y sont associés. Cette vision d'un progrès d'ensemble souffre cependant de terribles exceptions : 800 millions de personnes souffriraient de la fin dans le monde. Les progrès les plus essentiels sont parfois remis en cause. Ainsi, alors que l'on éradiquait certaines maladies de la surface du globe, le sida et les mauvaises conditions de santé ont fait diminuer l'espérance de vie dans plusieurs pays d'Afrique. Le fardeau de la dette empêche encore de nombreux pays de développer les infrastructures essentielles (voies de communication, sécurité, éducation, logements, etc.). La proximité croissante entre le Nord et le Sud, à travers l'extension du mode de vie urbain et des relations monétaires, et en particulier du salariat, est loin de suffire pour affirmer que nous formons progressivement un seul monde. (1) Des chiffres à considérer comme des ordres de grandeur, puisque la définition même de l'habitat urbain n'est pas unifiée dans le monde. (2) Population Bulletin vol. 55, n° 3, septembre 2000. Site web : www.prb.org Alternatives économiques, n° 048 (04/2001) Page 76 Auteur : Noël BENCHETTRIT.

Questions : - Quelles sont les mutations sociales qui affectent les sociétés du Nord et du Sud que se propose

d’étudier l’auteur dans son article ? - Relevez les principaux faits illustrant l’urbanisation massive et rapide du monde. - Quelles sont les conséquences de cette urbanisation sur les modes de vie, le lien social et le

système des valeurs ? - Qu’est-ce que le salariat ? Quelle a été son évolution ? - Quels en sont les différents effets ? - En quoi le développement de l’économie monétaire transforme-t-il les conditions de vie ? - Quelle est la conclusion de l’auteur ? - En vous appuyant sur un exemple, vous montrerez comment croissance et changement social

s’entraînent mutuellement.

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B. La croissance ne génère pas nécessairement le développement.

1. Au Nord, les « pluies acides de la croissance ».

a. La croissance n’a pas supprimé les inégalités. Si la croissance a contribué à réduire les inégalités jusqu’au début des années 80, elle ne les a pas éradiquées. Et comme l’a fort bien montré Tocqueville, dans une société qui s’enrichit, la moindre inégalité devient de plus en plus intolérable. Non seulement les inégalités n’ont pas cessé mais celles-ci tendent à s’accroître depuis le début des années 80. Article :

Extrait de « Les fractures françaises », Alter Eco, HS, N°68 « Tout d'abord, parce que la pauvreté est redevenue une question d'actualité. Sa nature a cependant profondément changé en trente ans, révélant par là même des domaines mal pris en charge par l'Etat-providence. Alors qu'auparavant les retraités constituaient la plus grande partie des pauvres en France, ceux-ci ont vu leur niveau de vie moyen progresser nettement En revanche, la dégradation de la condition salariale, la progression des emplois pré-caires et l'accroissement du nombre de familles monoparentales sont à l'origine de la réapparition d'une forme de pauvreté qui avait beaucoup diminué au coins des Trente Glorieuses, celle des travailleurs pauvres. Non seulement le chômage n'a quasiment jamais cessé de progresser, à l'exception des périodes 1986-1990 et 1997-2000, mais l'essentiel des emplois créés sont désormais des emplois précaires, principalement dans le secteur tertiaire. En 2004, près de 1,2 million de personnes étaient en situation de sous-emploi et 12,5 % des salariés (soit 2.7 millions de personnes) ne disposaient que d'un statut précaire, qu'ils soient intérimaires, apprentis ou surtout en contrat à durée déterminée (CDD). En vingt ans, le nombre de personnes en CDD a été multiplié par six, passant de 260 000 à plus de 1,6 million.

Le décompte de la pauvreté fait l'objet de nombreux débats, car il existe plusieurs manières de la définir (1). Si on retient la définition européenne, on dénombrait 6,8 millions de pauvres en France en 2001, soit 11,5 % de la population. Le revenu disponible des 10 % les plus pauvres est actuellement de 874 euros par mois en moyenne et ceux-ci ne perçoivent que 4 % de la masse totale des revenus, alors que les 10 % les mieux lotis en reçoivent 22,7 % (après redistribution). Et cela bien que les chiffres disponibles ne prennent que très partiellement en compte les reve-nus du capital.

Le nombre des allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI, 433 euros mensuels actuellement pour une personne seule) a de son côté plus que doublé ces quinze dernières années, passant de 500 000 à 1,2 million. Chaque année, près de 40 % des Français n'ont pas la possibilité de partir en vacances. L'espérance de vie d'un ouvrier reste toujours significativement plus faible que celle d'un cadre. 67 millions de repas ont été servis par les bénévoles des Restaurants du coeur auprès de 630 000 personnes durant l'hiver 2004-2005, et on estime entre 1 et 2 millions le nombre d'enfants pauvres. De quoi expliquer la perte de confiance envers l'Etat providence et sa capacité à corriger les inégalités ! Une ségrégation spatiale Cette aggravation de la pauvreté monétaire chez les actifs et les jeunes est d'autant plus mal vécue qu'elle

s'accompagne d'une ségrégation spatiale accrue. La distinction géographique se superpose de plus en plus à la distinction sociale. Les catégories populaires sont les grandes perdantes des évolutions urbaines récentes. Alors que 35 % des employés vivaient en centre-ville en 1982, ils ne sont plus que 28 % actuellement. Les nouvelles classes tertiaires aisées s'accaparent désormais les centres-villes et les anciens quartiers populaires des villes, renvoyant à la périphérie les populations les plus défavorisées. Un phénomène que les spécialistes décrivent comme une « gentrification urbaine », d'après le mot anglais « gentry », qui désigne les classes sociales supérieures.

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Parallèlement. L'accession à la propriété de la résidence principale s'est répandue. Plus d'un Français sur deux est désormais propriétaire (56 % en 2002). Mais à l'autre extrémité du spectre, la dégradation du cadre de vie s'est accentuée dans les quartiers difficiles des banlieues. 4,6 millions de personnes se concentrent dans les 750 zones urbaines sensibles (ZUS). Le chômage y touche 500 000 personnes (19 %). La proportion de chômeurs chez les jeunes de 15 à 24 ans est particulièrement élevée (38 %), et plus encore (48,7 %) chez les jeunes issus de l'immigration (2).

Ces difficultés sont connues et visibles, à la différence de la grande pauvreté rurale. Celle-ci pèse pourtant d'un poids de plus en plus important avec l'envolée des prix du foncier dans les zones urbaines, qui pousse nombre de RMIIstes et autres exclus toujours plus loin du coeur des villes. A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, un effort considérable avait été entrepris pour augmenter le parc de logements sociaux et leur nombre était passé de 300 000 à plus de 3,8 millions actuellement. Mais ce mouvement s'est brutalement arrêté : entre 1994 et 2002, le nombre de constructions est tombé de79 000 à 40 000 par an. Le Conseil économique et social estime qu’il en faudrait 120 000 chaque année, sachant que le mal logement concerne 3 millions de personnes, dont 750 000 sont en très grande détresse. La ségrégation spatiale induit de plus d'autres formes d'inégalité. II en va ainsi de l'accès aux services publics,

aux biens culturels et récréatifs pour lesquels les habitants des ZUS, comme ceux du rural profond, connaissent une situation d'exclusion particulièrement préoccupante. L'offre de services privés et publics est généralement faible et de mauvaise qualité. E isolement: des pauvres en milieu rural est aggravé par la fermeture des services publics de proximité (école, bureau de poste, commissariat, etc.). La moitié des communes françaises ne disposait plus de commerces de proximité à la fin des années 90 (3).

L’absence de logements décents augmente également considérablement les taux d'échec scolaire et ces relégations territoriales multiplient les formes d'insécurité. Cette ségrégation spatiale marque en effet profondément la carte sco-laire, remettant en cause l'idée même d'une égalité des chances grâce à l'école républicaine. L’enseignement supérieur forme désormais 2 210 000 étudiants et le taux de bachelier a doublé en moins de trente ans. Pourtant, les handicaps ou les avantages liés aux origines familiales ne s'effacent pas avec l'école. Ils se renforcent même. L'échec scolaire touche encore six fois plus les 10 % des familles les plus pauvres que les 10 % il des familles les plus riches. »

(1) Deux modes de calcul coexistent actuellement, En France, la population pauvre se définit par convention, à 50 % du revenu de vie médian en France Dans la mesure où il s'exprime en

fonction de l’ensemble des ressources d'une population, il évolue en fonction de la richesse globale. Ainsi, l'augmentation du niveau de vie médian de 658 euros en 1970 à 1160 euros en

2000 a entraîné une augmentation du seuil définissant le taux de pauvreté, qui est passé de 329 euros à 580 euros. L’Union européenne, avec Eurostat, retient pour sa part le

seuil de 60 % du revenu de vie médian. Selon ce mode de calcul, on passe en France de 3,6 millions de pauvres à 7 millions en 2003. La différence est donc significative et l'enjeu de taille.

(2) « Ségrégation urbaine et intégration sociale », rapport N°43 du conseil d’analyse économique

(3) Inventaire communal 2003

Question : quelles sont les principales inégalités relevées dans ce texte ?

b. Incertitude et précarité. La croissance des années 90 s’est accompagnée d’un retour de l’incertitude et de la précarité. Article :

Dépendance et précarité : avoir 20 ans en 2006 LE MONDE | 23.03.06 |

u milieu des années 1970, un indicateur aurait dû jouer le rôle d'alerte. Les économistes le mettent en avant pour dater le début de la dégradation de la situation des jeunes : l'inversion de la courbe de la distribution des revenus.

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Jusqu'alors, les pauvres étaient les personnes âgées qui n'avaient pas cotisé assez longtemps pour tirer des bénéfices du système de retraite créé en 1945. Beaucoup vivaient dans la misère, alors que les moins de 30 ans surfaient sur la vague des "trente glorieuses", années d'après-guerre où la France s'est reconstruite, puis industrialisée. Les entreprises et l'administration recrutaient, et garantissaient à leurs employés une carrière continue et un bon salaire d'embauche.

L'écart de rémunération moyenne entre un quinquagénaire et un trentenaire est alors faible - de l'ordre de 15 % -, selon les calculs du sociologue Louis Chauvel (Le Destin des générations, PUF, 2002). L'explosion scolaire des années 1970 et la création du collège unique permettent à des enfants d'ouvriers de devenir techniciens ou à des enfants d'agriculteurs d'intégrer la fonction publique. Les conditions de travail étaient dures, les rapports sociaux tendus, l'autoritarisme de mise, le niveau de vie faible, mais l'ascenseur social fonctionne. On aura, on a une vie meilleure que celle de ses parents, qui ont cumulé les malheurs : deux guerres mondiales encadrant une crise économique épouvantable.

Mais en 1975, deux ans après le premier choc pétrolier, l'Hexagone découvre le chômage de masse. En octobre, le seuil du million de demandeurs d'emploi est franchi alors que, cinq ans plus tôt, 250 000 personnes seulement pointaient à l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE). C'est le début de la crise, qui s'amplifiera dans la décennie suivante. Les jeunes sont les premiers à la subir : baisse des revenus, accès plus long à un emploi stable... Tandis que les seniors quittent la vie active après trente ans de travail, s'installent dans une retraite confortable et voient leur niveau de vie progresser. Pour les moins de 30 ans et leurs successeurs, c'est le début d'un mauvais film dont le contrat première embauche (CPE) fait les frais, apparaissant comme "la" mesure de trop. Les jeunes le perçoivent, en raison de la précarité qu'il engendre, comme la confirmation, voire l'officialisation, de ce mal-être qui les ronge depuis trois décennies.

Les gouvernements - de droite comme de gauche - n'ont pas réussi à redresser la barre après l'avis de tempête de 1975. Toutes leurs décisions ont tourné autour d'un même axe : maintenir dans l'emploi les 30-50 ans, quitte à en écarter les plus jeunes et les plus âgés. Pour les plus de 55 ans, les "mesures d'âge" conduisent à la préretraite ; pour les juniors, l'allongement des études et les innombrables "dispositifs" censés organiser la transition vers l'emploi - ils accueillent de 35 % à 40 % des jeunes actifs de moins de 26 ans depuis le milieu des années 1990 - auront pour effet de les répartir dans une longue file d'attente aux portes du marché du travail, en fonction du niveau et de la nature de leur formation.

Les plus diplômés sont les premiers "servis" dès que la conjoncture économique repart, comme à la fin des années 1980, puis à la fin des années 1990. Mais les moins diplômés sont stigmatisés par leur manque de qualification aux yeux des employeurs, lancés dans la modernisation du système productif français.

Reste que l'emploi des jeunes "sur réagit" aux variations de la conjoncture, observent Yannick Fondeur et Claude Minni, chercheurs à l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Ainsi, ceux qui sortent de l'école en 1993, au plus fort de la crise, ne sont que 40 % à trouver un emploi dans l'année qui suit ; c'est le cas de 60 % de ceux qui en sortent en 2000, alors que le boom d'Internet dynamise l'économie.

Par ailleurs, les entreprises, encouragées par les politiques publiques qui tentent d'abaisser le "coût du travail" pour les inciter à créer de l'emploi, multiplient les embauches précaires : contrat à durée déterminée (CDD), contrats aidés, intérims, stages ... Censées offrir aux jeunes l'expérience qui leur manque pour accéder à l'emploi stable - rôle qu'elles jouent dans bien des cas -, ces formes d'emploi deviennent un mode d'ajustement des effectifs à une conjoncture économique de plus en plus mouvante et concurrentielle. Une "drogue" dont les employeurs peuvent de moins en moins se passer, y compris les bonnes années.

Ainsi, seulement 50 % des jeunes embauchés dans l'année qui suit leur sortie du système éducatif en 2000 obtiennent un contrat à durée indéterminée (CDI). C'était le cas de 75 % de ceux sortis en 1984. Entrée dans l'emploi retardée,

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fragilisation des trajectoires d'insertion, émaillées de périodes de chômage et de contrats précaires... Tous ces phénomènes se traduisent dans le niveau de vie.

Aujourd'hui, constate Louis Chauvel, sociologue à Sciences Po Paris, l'écart de rémunération entre quinquagénaires et trentenaires atteint 40 % ! Le taux d'épargne des moins de 30 ans a chuté de moitié (de 18 % à 9 %) entre 1995 et 2001 ; celui des "quadras" passant de 12 % à 18 % et celui des "quinquas" de 19 % à 26 %. L'ouverture des droits sociaux, mais aussi l'accès au crédit bancaire et au logement, institutionnellement liés aux formes classiques du salariat (CDI et, a fortiori, statut de fonctionnaire), sont, désormais, de plus en plus tardifs.

In fine, les sociologues observent ce qu'ils nomment "l'allongement de la jeunesse", c'est-à-dire la prolongation des situations et des comportements de dépendance vis-à-vis des parents. Un manque d'autonomie qui renforce les inégalités sociales entre jeunes, ajoutant à l'inégalité de niveau de diplôme celle du revenu des parents.

Surtout, cette dépendance prolongée souligne encore les effets de pauvreté engendrés par le manque d'emplois et d'accès aux droits sociaux. Les Français s'aperçoivent, pour la première fois en temps de paix, que le sort de leurs enfants pourrait bien être moins bon que le leur. L'ascenseur social est bien tombé en panne : en 2002, si 22 % des Français âgés de 30 à 35 ans avaient atteint une catégorie sociale plus élevée que leurs parents, 17 % avaient, en revanche, connu un "déclassement", contre respectivement 32 % et 10 % pour les Français âgés de 50 à 54 ans. La précarité peut être considérée comme une étape nécessaire sur la voie de l'insertion durable. Cela reste le cas pour la majorité des jeunes, dont 70 % obtiennent un emploi stable dans les trois années qui suivent leur sortie du système éducatif.

Aujourd'hui, 87 % des Français en activité ont un emploi à durée indéterminée : un chiffre qu'il ne faut pas oublier à l'heure où les adultes présentent volontiers aux jeunes la précarité comme la forme "moderne" de l'emploi. Mais cette précarité peut être aussi perçue comme le signe avant-coureur d'une régression sociale généralisée si ses conséquences néfastes sur le niveau de vie et le statut de ceux qui la subissent ne sont pas compensées par l'ouverture de nouveaux droits sociaux.

Marie-Béatrice Baudet et Antoine Reverchon Article paru dans l'édition du 24.03.06

c. Les « externalités négatives » de la croissance. Pollution, épuisement des ressources naturelles, dégradation des conditions de travail et de vie sont autant de conséquences négatives de la croissance qui en diminue la portée et le caractère positif. Documents :

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Question : quels commentaires vous inspirent ces dessins ? Quel mécanisme illustrent-ils ?

2. Au Sud, le mal développement.

a. La croissance facteur de dépendance. La croissance peut être facteur d’une dépendance accrue et donc d’une plus grande fragilité pour les PVD si celle-ci s’appuie l’exportation de matières premières, des FMN incontrôlables ou si elle entraîne une diffusion de nouveaux modèles de consommation, en particulier dans les couches les plus riches de la population, que la production locale ne pourra pas satisfaire.

b. La croissance facteur de désarticulation. Elle peut être aussi facteur d’une désarticulation (dislocation) de ces économies si elle s’appuie sur un élargissement des rapports marchands détruisant les secteurs traditionnels de l’économie (économie informelle) ou sur de trop fortes inégalités. Cf. document 10 page 27 du livre. Dislocation, dépendance expliquent dans certains cas un écart très important entre IDH et PIB/tête.

c. Des inégalités de développement toujours criantes. Travail sur les documents 6 à 9 du livre pages 25 à 27 du livre et documents distribués. Doc. supplémentaire. La misère du monde (Article Alter ECO N°177, janvier 2000) Près de la moitié des habitants de la planète, soit 2,8 milliards de personnes, n'ont pas les moyens de se nourrir, de s'instruire, de se soigner et de se loger. Comment ça va, le monde ? Cette entrée dans l'an 2000 n'aura pas été célébrée dans la joie et l'allégresse par la majorité des habitants de la planète. Pas seulement à cause de calendriers qui diffèrent : pain, eau potable, soins, éducation, logement..., les éléments de base d'une vie décente font souvent défaut. Les riches demeurent peu nombreux : le monde qui vit dans l'abondance, sans souci du lendemain, n'est qu'un microcosme au sein de l'humanité. " L'ampleur de la pauvreté humaine à la fin du XXe siècle est une insulte à la dignité humaine. (...) La prochaine génération ne mérite pas de recevoir un tel monde en héritage " : le dernier bilan de la pauvreté dans le monde, dressé par le Programme mondial des Nations unies pour le développement, Pnud (1), est sans équivoque. Le tiers monde –

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terme inventé par le démographe français Alfred Sauvy en 1952 – est toujours là. Pas moins de 1,2 milliard d'habitants ne disposent, pour subsister, que d'un dollar par jour, seuil officiel de pauvreté. Quelque 2,8 milliards de personnes – près de la moitié de l'humanité – doivent vivre avec moins de deux dollars (une douzaine de francs) par jour ! Douze francs n'ont jamais permis à quiconque de se nourrir, de se soigner, se loger et de s'instruire, même dans des sociétés où l'activité marchande n'est pas aussi développée que dans la nôtre. Dans les sociétés riches, de larges poches de pauvreté persistent. Les Etats-Unis, première puissance économique mondiale, comptent 34,5 millions de pauvres, l'essentiel du quart monde. Leurs ressources dépassent de loin celles des plus déshérités de la planète, mais elles demeurent insuffisantes pour vivre dignement. L'Europe n'a pas de quoi pavoiser : on compte ainsi 12 millions de démunis au Royaume-Uni et 6 millions en France. Une planète sous éduquée. Pauvre, la planète demeure en même temps sous éduquée. Deux cents ans après Diderot et Rousseau, le XXIe siècle sera-t-il enfin un Siècle des lumières à l'échelle du monde ? L'Unesco estime à 850 millions le nombre d'analphabètes et à 110 millions celui des enfants non scolarisés au primaire (2), soit un sur sept. Au total, une centaine de millions d'enfants travaillent au lieu d'étudier. L'objectif d'une " école pour tous en l'an 2000 ", fixé lors de la conférence internationale de Jomtien en Thaïlande en 1990, est loin d'avoir été atteint. Les femmes sont particulièrement en position d'infériorité : elles constituent les deux tiers des analphabètes. La scolarisation des filles est souvent jugée inutile : au Bangladesh, au Népal et au Pakistan, environ 80 % des femmes seraient analphabètes. La crise de l'école est accentuée par la pénurie d'emplois rémunérés de façon satisfaisante. Pour l'Organisation internationale du travail (OIT), il y aurait officiellement 150 millions de demandeurs d'emploi. Le manque de postes de travail est difficile à mesurer dans des économies en développement où l'agriculture et le secteur informel gardent une large place, où le salariat demeure peu développé et où l'on manque surtout de revenus. Au total, l'OIT estime à environ un milliard (un actif sur trois) le nombre de " sous-employés " (3), qui ne travaillent qu'un petit nombre d'heures et voudraient travailler plus ou qui gagnent moins que le minimum vital. L'Organisation reconnaît de fait l'échec des signataires de la charte de Philadelphie (Etats-Unis) de 1944, dont le premier objectif était " la plénitude de l'emploi et l'élévation des niveaux de vie ". Une partie du monde crève de faim Une partie de l'humanité vit dans la même incertitude du lendemain que la population des pays riches avant que croissance économique et luttes sociales n'assurent une meilleure sécurité. Pas moins de 800 millions d'êtres humains souffrent de la faim, estime l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Ses pères fondateurs ont, eux aussi, échoué à faire respecter les objectifs de la conférence de Hot Springs (Etats-Unis) de 1943. La FAO l'a implicitement reconnu à Rome en 1996, où elle s'est fixé l'objectif de réduire à 400 millions de personnes le nombre de mal-nourris en 2015. Cette division par deux peut paraître ambitieuse. Mais elle consacre implicitement la faim dans le monde pour de nombreuses années encore. Les éléments naturels ne sont pas les premiers responsables du sous-développement et de la faim. L'Afrique était, jusque dans les années 60, considérée comme le " grenier du monde " et, avec l'Amérique du Sud, détient les plus grandes réserves d'eau. De même, " il n'y a pas de lien direct entre densité de population et faim ", note Sylvie Brunel, spécialiste de l'alimentation dans le monde et conseillère de l'association Action internationale contre la faim, AICF (4). Le Congo, la République centrafricaine, le Gabon et le Soudan sont des pays peu denses, où la malnutrition frappe pourtant. Les pays riches, mais aussi certains pays en développement ont su trouver les moyens techniques de protection, de stockage et de répartition des ressources pour réduire l'impact des changements climatiques. On aurait presque tendance à oublier que " c'est l'insuffisance de pouvoir d'achat qui empêche une partie de la population d'accéder aux aliments en quantité et en qualité adéquates ", rappelle Yannick Jadot, de l'organisation non gouvernementale (ONG) Solagral. Cette sous-alimentation a des répercussions directes sur l'état de santé. " Plus d'un milliard de personnes vont aborder le XXIe siècle sans avoir profité de la révolution sanitaire : leur vie demeure brève et marquée par la maladie ", souligne Gro Harlem Bruntland (5), qui dirige l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Comme pour l'éducation, l'objectif de " santé pour tous en l'an 2000 ", fixé en 1978 lors de la conférence internationale d'Alma-Ata (Kazakhstan), n'a pas été tenu : 1,3 milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau potable et 1,8 milliard n'ont pas d'équipement sanitaire de base. La moitié du continent africain serait dans ce cas. Le sida, qui touche 33,6 millions de personnes dans le monde, est devenu la première cause de mortalité infectieuse : 2,3 millions de morts en 1997,

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selon l'OMS. Mais il s'agit d'une maladie récente. Les maladies de la pauvreté, que les pays riches ont éradiquées parfois depuis un siècle, frappent encore durement au Sud. Les maladies diarrhéiques (typhus, choléra, etc.) ont tué 2,2 millions de personnes en 1997 (principalement des enfants) et la tuberculose, 1,5 million. Mieux répartir les richesses Revenu, éducation, alimentation, santé : aucun des objectifs que s'était donnés la communauté internationale n'ont été atteints. Le tiers monde et le quart monde demeurent à l'écart du progrès. Trois grands déséquilibres menacent. La folle inégalité des revenus qui règne dans le monde, au sein des pays comme entre pays, ne peut qu'aggraver les tensions politiques et sociales. L'urbanisation incontrôlée rend insoutenables les conditions de vie de centaines de millions de personnes. D'autant plus que la rupture des anciennes solidarités familiales – dernier recours en l'absence de protection sociale – est mise à mal par l'extrême pauvreté : environ 40 millions d'enfants (dont 7 millions pour le seul Brésil) seraient totalement livrés à eux-mêmes dans les métropoles du tiers monde, estime l'Unicef. Notre incapacité collective à éliminer la misère apparaît d'autant plus choquante que l'état des techniques permettrait d'assurer à l'échelle mondiale une vie décente à tous. Comment accepter qu'une partie de l'humanité demeure en quête de nourriture quand l'autre ne sait que faire d'une production agricole excédentaire et cherche à alléger son alimentation ? (1) Vaincre la pauvreté humaine, rapport de Pnud sur la pauvreté, Nations unies, 1998. (2) Voir notre récent " L'école, avenir du monde ", Alternatives Economiques No 175, novembre 1999. (3) Rapport sur l'emploi dans le monde, 1998-1999, OIT, septembre 1998. (4) Auteur notamment de La faim dans le monde, éd. Puf, 1999. (5) Rapport sur la santé dans le monde, 1999, OMS.

Travail : faites un résumé de l’article.

Non seulement le développement n’est pas automatiquement généré par la croissance mais il peut être provoqué par des facteurs extra économiques tel le système de valeurs ou les structures politiques.

C. La croissance n’est pas seule à l’origine du développement.

1. La culture facteur de développement. Culture : selon Tylor, « la culture, prise dans son sens ethnologique large, est ce tout complexe englobant les connaissances, les croyances, l’art, la morale, les lois, les coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société. » Selon M. Weber, l’éthique de certains groupes protestants présenterait des « affinités électives » avec l’esprit du capitalisme. Ainsi, la religion, facteur culturel par excellence, expliquerait pourquoi le développement et le capitalisme sont nés en Europe. A la fin du XVII ième, une partie des protestants ont développé une morale fondée sur l’ascétisme. Cette éthique protestante, contraire à l’hédonisme, véhiculerait, d’après Weber, des principes moraux et des valeurs indispensables à l’émergence et au développement du capitalisme : importance et discipline du travail, conscience professionnelle, esprit d’épargne, austérité du train de vie et des mœurs… Le protestantisme valoriserait l’entrepreneur qui crée des richesses et des emplois. La réussite individuelle est perçue comme une obéissance à la volonté divine et celui qui s’enrichit par son travail et son épargne peut être considérée comme un élu de Dieu. La fameuse phrase de Marx « accumulez, accumulez, c’est la loi et les prophètes » décrivant l’esprit animant le capitalisme trouverait une justification et une explication dans l’éthique protestante. Par ailleurs, le protestantisme en favorisant l’individualisme, en participant au mouvement général de libération des consciences diffuserait des valeurs incitant à l’innovation, l’esprit scientifique…

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2. Démocratie et développement. Le cadre politique dans lequel se déploient les activités économiques et sociales des hommes est aussi facteur de croissance et de développement. Pour certains auteurs comme J. Baechler, la démocratie a été l’une des conditions de développement du capitalisme. En promouvant les libertés individuelles et le respect de la propriété privée, la démocratie s’est révélée être le seul système politique compatible avec l’économie capitaliste. Pour d’autres comme G. Hemet, la relation entre démocratie et développement n’a rien d’automatique. Dans certains pays, la présence de régimes autoritaires aurait stimulé le développement (cf. l’Amérique Latine…) et l’histoire européenne ne permet pas de conclure à une relation causale entre capitalisme et démocratie (cf. la Grande-Bretagne et l’Allemagne qui ne caractérisent pas par un contexte politique démocratique lors de leur décollage économique). Malgré cela, on peut penser comme Amartya Sen que droits civiques et performances économiques se renforcent et que la démocratie est le seul moyen pour que le cercle vertueux du développement s’enclenche, notamment en Afrique.