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11 Introduction Vers une primarisation de la vie politique française ? Rémi LEFEBVRE et Éric TREILLE Longtemps, l’importation du système des primaires, associée au processus repoussoir de « l’américanisation de la vie politique », a été jugée comme une greffe impensable à la vie politique française. Alors qu’un projet de primaires ouvertes était discuté à droite, dans le prolongement de travaux portés par Charles Pasqua, les propos du juriste Georges Vedel le 21 novembre 1994 sur l’antenne de France 2 traduisaient bien « l’incongruité 1 » même de la proposition : « Vouloir faire des primaires en France c’est comme faire avaler un beefsteak à un ruminant : son estomac n’est pas fait pour cela. » Il poursuivait : « une telle consultation conduirait les partis dans un parcours de contentieux dont l’issue était difficile à prévoir et qui pourrait mener soit au Conseil d’État soit au Conseil constitutionnel 2 ». Cette procédure de sélection était non seulement considérée comme contraire à la culture politique hexagonale et à l’« esprit » des institutions de la V e République mais aussi attentatoire aux prérogatives des partis, seuls maîtres du choix de la sélection des candidats à l’élection suprême. Si les primaires fermées (réservées aux adhérents) se sont développées à partir des années 1990 3 , le cap des primaires ouvertes, objet de cet ouvrage, semblait difficile à franchir. La centralité des primaires Cette procédure hier rejetée en bloc s’est pourtant imposée comme une règle du jeu centrale du système politique. Mieux : depuis 2011 et la désignation de François Hollande par près de trois millions de « sympathisants » socialistes, le système des primaires ouvertes ordonne désormais la mise en récit de la vie partisane française et imprime un nouveau tempo au jeu politique, la séquence présidentielle s’organisant ainsi en quatre tours, voire six lorsque sont intégrées les élections législatives 4 . 1. Brehier E., « Les primaires à la française : de l’incongruité à la réalité », in Mélanges en l’honneur de Jean- Claude Colliard, Paris, Dalloz, 2014. 2. Le Monde, 23 novembre 1994. 3. La première primaire fermée au PS a lieu en 1995 pour désigner le candidat à l’élection présidentielle. 4. Comme le souligne Jean-Christophe Lagarde, le président de l’UDI à propos de la négociation portant sur la participation de son parti aux primaires organisées par Les Républicains : « il y a un bloc constitué par la Les primaires ouvertes en France — Rémi Lefebvre et Éric Treille (dir.) ISBN 978-2-7535-5179-4 — Presses universitaires de Rennes, 2016, www.pur-editions.fr

Introduction Vers une primarisation de la vie politique ...pur-editions.fr/couvertures/1477491720_doc.pdf · candidature aux primaires de la droite et du centre qui se tiendront les

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IntroductionVers une primarisation de la vie politique française ?

Rémi Lefebvre et Éric TreiLLe

Longtemps, l’importation du système des primaires, associée au processus repoussoir de « l’américanisation de la vie politique », a été jugée comme une greffe impensable à la vie politique française. Alors qu’un projet de primaires ouvertes était discuté à droite, dans le prolongement de travaux portés par Charles Pasqua, les propos du juriste Georges Vedel le 21 novembre 1994 sur l’antenne de France 2 traduisaient bien « l’incongruité 1 » même de la proposition : « Vouloir faire des primaires en France c’est comme faire avaler un beefsteak à un ruminant : son estomac n’est pas fait pour cela. » Il poursuivait : « une telle consultation conduirait les partis dans un parcours de contentieux dont l’issue était difficile à prévoir et qui pourrait mener soit au Conseil d’État soit au Conseil constitutionnel 2 ». Cette procédure de sélection était non seulement considérée comme contraire à la culture politique hexagonale et à l’« esprit » des institutions de la Ve République mais aussi attentatoire aux prérogatives des partis, seuls maîtres du choix de la sélection des candidats à l’élection suprême. Si les primaires fermées (réservées aux adhérents) se sont développées à partir des années 1990 3, le cap des primaires ouvertes, objet de cet ouvrage, semblait difficile à franchir.

La centralité des primaires

Cette procédure hier rejetée en bloc s’est pourtant imposée comme une règle du jeu centrale du système politique. Mieux : depuis 2011 et la désignation de François Hollande par près de trois millions de « sympathisants » socialistes, le système des primaires ouvertes ordonne désormais la mise en récit de la vie partisane française et imprime un nouveau tempo au jeu politique, la séquence présidentielle s’organisant ainsi en quatre tours, voire six lorsque sont intégrées les élections législatives 4.

1. Brehier E., « Les primaires à la française : de l’incongruité à la réalité », in Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Colliard, Paris, Dalloz, 2014.

2. Le Monde, 23 novembre 1994.3. La première primaire fermée au PS a lieu en 1995 pour désigner le candidat à l’élection présidentielle.4. Comme le souligne Jean-Christophe Lagarde, le président de l’UDI à propos de la négociation portant sur

la participation de son parti aux primaires organisées par Les Républicains : « il y a un bloc constitué par la

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À moins d’un an de l’échéance présidentielle, il semble même catalyser la quasi-totalité des jeux tactiques et concurrentiels intra et interpartisans, de droite comme de gauche, dans une relation mêlée de fascination et de détestation.

Au sein du parti Les Républicains, pour exprimer sa vision de la France ou plus prosaïquement pour exister médiatiquement et prendre date, chaque leader – de premier comme de second rang – est ainsi sommé de déclarer sa candidature aux primaires de la droite et du centre qui se tiendront les 20 et 27 novembre 2016, au risque de la multiplication du nombre de postulants (onze en juin 2016). Jean-François Copé, opposant farouche à la primaire en 2011, la juge désormais comme un moment démocratique « incontour-nable » et est même le premier à avoir déposé ses parrainages de parlementaires. Nadine Morano se singularise en traduisant tout haut cette transformation des jeux compétitifs à droite : « Pourquoi pas moi ? Qu’est-ce qui m’interdirait de servir mon pays ? La primaire, c’est le Koh-Lanta des politiques. Ça permet de faire des stratégies entre candidats, pas de dégager le meilleur 5… » Malgré des sondages défavorables, François Fillon maintient sa candidature parce que « la seule chose qui compte, c’est d’être vivant au moment de la primaire 6 ». Les dirigeants de l’UDI, pour se distinguer de leur partenaire d’opposition et construire un rapport de forces pour négocier les investitures aux élections législatives de 2017, menacent de ne pas participer au processus électoral et finalement le rejettent (en mars 2016).

À gauche, c’est l’appel « Notre primaire » lancé dans les colonnes du journal Libération qui polarise les débats 7. Au PS, les primaires, inscrites dans les statuts, suscitent ainsi de vives controverses. La gauche du parti (« les frondeurs »), pour-tant opposée aux primaires en 2011 pour une partie de ses représentants, s’y rallie pour en faire un « levier » contre le président sortant et contrarier sa candidature. Le Premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, multiplie les déclarations contradictoires pour à la fois entretenir la flamme de 2011, « jouer la montre » et protéger le Chef de l’État. Il crée in fine la surprise en proposant le 18 juin 2016 la tenue de primaires de la « Belle Alliance populaire » les 22 et 29 janvier

primaire, la présidentielle et les législatives. Et ce n’est pas par le casting de la primaire que l’on construit une majorité », Libération, 19 mars 2016.

5. Le Parisien, le 23 août 2015.6. Il répond au Monde, le 22 janvier 2016. « Dans cette période qui nous sépare de cette échéance, l’objectif

du système et l’objectif des concurrents, c’est d’éliminer les candidats, de faire en sorte que, les uns après les autres, ils se découragent… Et il y aura sans doute quelques coups bas. Je connais les compétiteurs. Le combat sera dur. La seule chose qui compte, c’est de tenir, parce qu’au moment de la primaire, les compteurs seront à zéro. »

7. Pour les initiateurs de l’appel « Notre primaire » publié par le journal Libération, la demande d’une consulta-tion doit permettre de « débloquer le débat » et de construire un espace de délibération politique qu’interdit l’organisation en conclave des partis. Libération, 11 janvier 2016. Les primaires suscitent bien aujourd’hui une forme de « militantisme procédural » qui déborde le cadre partisan et se construit d’ailleurs souvent contre lui. D’autres initiatives citoyennes sont lancées autour des primaires comme « la primaire de gauche » ou « laprimaire.org ». Elles ont en commun d’utiliser les primaires comme un moyen de déverrouiller « le système des partis ».

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LLE2017 8. Donné éliminé du premier tour de la présidentielle par de multiples

sondages, François Hollande semble se rallier alors à l’exercice des primaires pour mieux se « relégitimer » au sein de sa propre famille politique. Le numéro Un du PCF, pour éviter de devoir se retrouver à nouveau en tête à tête avec Jean-Luc Mélenchon, affirme vouloir discuter, échanger et construire dans ce nouveau cadre en janvier 2016. Mieux : Pierre Laurent n’exclut pas de « forcer sa nature » et d’être candidat à une primaire de la gauche tout en regrettant une vie politique qui « personnalise tout ». Quelques mois plus tard, le PCF rejette une procédure qui permettrait à François Hollande d’être à nouveau candidat. Cécile Duflot se dit également prête à « signer » pour cette « primaire de la gauche et des écologistes » et à être candidate. Puis, suite à l’échec de l’initia-tive et à la décision de Nicolas Hulot de ne pas se présenter, ne parvient pas à empêcher le conseil fédéral d’EELV d’adopter une motion sur l’organisation de primaires semi-ouvertes au mois d’octobre 2016, une « mécanique infernale » qui « abîme tout le monde 9 » selon le long courriel que la députée de Paris a diffusé l’avant-veille du vote. Dernier exemple : le leader du PG, Jean-Luc Mélenchon, clairement hostile aux primaires mais qui dit « regarder tout ça en observateur gourmand », a été mis en demeure d’accélérer son calendrier personnel et de se présenter à l’élection présidentielle sans consultation interne et sans « attendre que la cathédrale gothique soit terminée 10 ».

Seul un parti se tient à l’écart de ce débat multiforme : le FN, alors même que la prophétie de la qualification pour le second tour de l’élection présidentielle de Marine Le Pen est pourtant un des éléments clés de la légitimité des primaires tant à gauche qu’à droite, son recours étant de fait considéré comme une « garan-tie d’unité » pour éviter la répétition du « 21 avril 11 ».

Contre toute attente, les primaires sont donc en voie de « digestion ». Dans leur mise en œuvre comme dans les multiples commentaires qu’elles suscitent, enthousiastes comme défavorables, les primaires se donnent aujourd’hui à voir comme la norme dominante du fonctionnement de partis politiques qui ne semblent plus pouvoir distribuer une légitimité suffisante aux candidats par leur seule « investiture 12 ». Après le quinquennat et l’inversion du calendrier décidée

8. Quelques jours auparavant, le premier secrétaire n’excluait pas de convoquer un congrès extraordinaire pour modifier les statuts du parti et dispenser François Hollande de participer à une primaire.

9. Le Monde, le 9 juillet 2016. 10. Le Monde, le 13 janvier 2016.11. Olivier Duhamel pointe le paradoxe selon lequel « l’avancée démocratique » des primaires procède dans une

large mesure des progrès électoraux du FN. Duhamel O., Les Primaires pour les nuls, Paris, First Editions, 2016. Ce lien entre le développement des primaires et la progression du FN est établi par les acteurs poli-tiques eux-mêmes comme en témoigne cette déclaration d’Emmanuel Macron : « de prime abord, on se dit : la primaire, c’est génial, c’est démocratique… En fait, cela crée de la tauromachie plus tôt. On fait tourner les vachettes avant d’aller à la corrida. Certains y vont pour gagner, d’autres pour perdre proprement afin que la structure se perpétue. La primaire, c’est la réponse d’un système partidaire fatigué pour survivre au risque qu’est devenu le FN » (Le Point, 1er septembre 2016).

12. Les primaires sont incontestablement l’envers de la « crise » des partis et un aveu d’impuissance. « La rétention des choix programmatiques ou politiques par 200 000 adhérents ne se justifie plus. Il y a un autre horizon au militantisme dans la mobilisation des convictions et de leur partage civique. » (Paul Alliès, secrétaire national adjoint à la rénovation et politiste, Libération, le 14 mars 2013.)

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en 2002, les primaires accusent également la centralité de l’enjeu présidentiel, accélèrent encore un peu plus le temps politique et dilatent la campagne, devenue quasi-permanente.

Au travers des débats et des controverses qu’elles alimentent aussi bien sur la personnalisation, la qualité ou la dégradation du débat public, « l’esprit » des institutions de la Ve République, on ne peut qu’être frappé par les appré-ciations contradictoires qu’elles appellent sur leur rapport à la démocratie, les institutions ou les transformations des partis 13. Pour les uns, les primaires affai-blissent la légitimité militante et idéologique des partis 14. Pour les autres, elle conduit à leur renouvellement et leur relégitimation 15. Elles sont conformes aux institutions de la République, en donnant plus de pouvoir aux citoyens et en disqualifiant les partis 16 et dans le même temps « partinisent » l’élection présidentielle. Elles affaiblissent la fonction présidentielle, « livrée aux diktats de l’opinion publique 17 » et/ou la renforcent. Elles hyperprésidentialisent et/ou amorcent une « déprésidentialisation 18 ». Elles donnent un nouveau droit démocratique aux citoyens 19 et/ou appauvrissent le débat public 20. Elles offrent

13. Le numéro spécial de la revue Pouvoirs de 2015, précité, traduit bien cette polyphonie. Sur le caractère très incertain et variable des conséquences des primaires, voir Sandri G., Seddone A., Venturino F. (dir.), Party primaries in comparative perspective, Farnham, Ashgate, 2015.

14. Lefebvre R., « Primaire à gauche : une perspective très improbable », Le Monde, le 10 février 2016. Comme l’écrit Frédéric Sawicki, « le modèle de la primaire tourne le dos au travail d’éducation politique de fond », longtemps central dans les partis de gauche et « acte la transformation des partis en machine à fabriquer des programmes électoraux ad hoc par l’intermédiaire d’experts et de spécialistes en communication » (Libération, le 11 juin 2011). Sur le lien entre primaires et affaiblissement des partis dans une autre accep-tion, Hopkin J., « Bringing the members back in? Democratizing candidate selection in Britain and Spain », Party Politics, 7, 2001, p. 343-361. Selon l’auteur, les primaires ouvertes tendent à affaiblir la loyauté du candidat à l’égard du parti.

15. Grunberg G., « Les primaires présidentielles ouvertes : mort ou renaissance des partis ? », Pouvoirs, n° 154, 2015, p. 55-65.

16. C’est la position de Charles Pasqua. Pasqua C., Monzani P., Petit manuel de survie pour la droite. Les primaires à la française, Paris, Fayard, 2015.

17. Benetti L., « Les primaires et notre monarchie républicaine », Pouvoirs, n° 154, 2015, p. 5-13. « Le succès des élections primaires marque la fin de cette convention sur laquelle s’était fondée la Ve République : la relation immédiate de la nation et de son chef. »

18. Voir l’analyse iconoclaste de Bernard Dolez qui relit les primaires à l’aune des difficultés du mandat de François Hollande et des divisions du PS qui le caractérisent. Selon lui, l’autorité du président sur son propre parti est plus difficile à établir durant la campagne et, le cas échéant, après sa victoire. Dolez B., « Le Parti socialiste, les primaires et la (dé)présidentialisation du régime », Pouvoirs, n° 154, 2015, p. 67-79.

19. « Les primaires sont un instrument de la démocratie en ce qu’elles sont un vecteur de politisation, un instrument qui entraîne les citoyens à entendre et à parler politique. Elles sont aussi, sans doute, un facteur de personnalisation, mais elles n’en sont pas la cause » (Rousseau D., « Les primaires : un sens et un projet démocratiques », Pouvoirs, n° 154, 2015, p. 125-131).

20. Cette thèse est défendue par des auteurs aussi différents que Pierre Avril ou Jacques Rancière. Pour le premier, « les contraintes de la primaire présidentielle ont poussé à l’extrême la tendance (commune aujourd’hui à toutes les élections) qui fait prévaloir la communication sur la délibération. Cette instrumen-talisation s’est traduite par la substitution de « marqueurs » idéologiques à l’argumentation et des « éléments de langage » au discours articulé ». Pour le second, la « grande ferveur pour les primaires socialistes en France, renouvelle l’illusion que l’élection présidentielle est le cœur battant de la démocratie, alors qu’elle n’est que la dernière figure de la monarchie, de l’homme qui incarne la collectivité dans sa personne » et il conteste que ces « fameuses primaires » soient un « renouveau démocratique ». Il ajoute : « il n’y a pas de démocratie si on l’identifie exclusivement aux formes de partage de pouvoir organisées autour du système

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LLEun cadre de régulation à la concurrence politique ou « ensauvagent » la compé-

tition électorale. Elles abîment le candidat désigné ou le rendent incontestable.Un relatif consensus s’est cependant établi autour du caractère « démo-

cratique » des primaires, même si officieusement, c’est surtout leur efficacité électorale et leur capacité de mobilisation citoyenne que les acteurs politiques ont souhaité ainsi accréditer. En démontrant en 2011 que l’organisation d’une consultation ouverte à plusieurs millions de votants pouvait conduire le candidat désigné à la victoire, le PS a posé l’acte fondateur d’un changement politique de grande ampleur. Conséquence directe : les deux partis dominants du système politique, LR et le PS ont désormais inscrit ce mode de désignation dans leurs statuts et vont organiser, à quelques mois d’intervalle, leurs propres primaires.

Cette transposition d’un système « étranger » à la culture politique française marque une profonde rupture dans la tradition parlementaire et militante des partis politiques et défie l’analyse par sa rapidité et par son ampleur. Il y a bien une énigme 21 des primaires qui appelle analyse. Car paradoxalement (en appa-rence), la démocratie des partis que l’on croyait définitivement remise en cause par une procédure qui dépossède les adhérents de leur pouvoir de désignation n’a pas chancelé. Les primaires demeurent une « affaire de partis ». Ce sont bien les organisations partisanes qui mettent en place et codifient la procédure et qualifient les candidats qui peuvent y prendre part. Devant l’émergence de ce que les commentateurs ont appelé « tripartition » de la vie politique, en lieu et place de la classique bipolarisation, l’organisation de primaires est ainsi présentée cinq ans après son institution – notamment dans les différents appels venant de la gauche du PS – comme le seul moyen de permettre à un candidat unique de la gauche ou de la droite d’accéder au second tour (cet élément était peu présent en 2009 dans le débat autour de la primaire socialiste). Pour trancher l’impossible désignation du leader de la droite et du centre, les principaux responsables de LR ont finalement accepté de « s’en remettre à plusieurs millions de citoyens » selon la formule de François Fillon, après avoir vivement dénoncé la consulta-tion organisée par le PS en 2011. Depuis 2006 et l’affrontement entre Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius à travers une primaire encore fermée, puis plus surement depuis 2011, le PS a accentué la personnalisation de son mode d’organisation interne reconnaissant ainsi la « centralité de l’élection présidentielle 22 » tandis que de son côté, LR a fait le choix d’une solution procé-durale qui s’écarte du principe gaullien du lien direct que doit nouer son chef avec le peuple français 23.

parlementaire et présidentiel » (Le Monde, le 7 mai 2013). Avril P., « Les primaires : un affaiblissement de la démocratie ? », Pouvoirs, n° 154, 2015, p. 133-142. Voir aussi Lefebvre R., « Les fausses évidences démocratiques des primaires », Libération, le 30 septembre 2011.

21. Lefebvre R., Les Primaires socialistes. La fin du parti militant, Paris, Raisons d’agir, 2011, p. 7.22. Haegel F., Sawicki S., « Résistible et chaotique, la présidentialisation de l’UMP et du PS », dans

Deloye Y., Deze A., Maurer S. (dir.), Institutions, élections, opinion. Mélanges en l’honneur de Jean-Luc Parodi, Paris, Presses de Sciences Po, 2014, p. 20-39.

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En transportant dans les partis dominants la logique de la Ve République, les primaires amplifient ainsi la polarisation de la vie politique autour de l’élection présidentielle 24 mais aussi paradoxalement garantissent leur unité ou régulent leurs luttes et donc protègent leur spécificité. Comme le souligne le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, à propos de la tenue des primaires de la « Belle Alliance populaire » de 2017, « cette primaire met un garrot sur l’hémorragie de candidatures. Parce qu’à la fin tout le monde devra se retrouver derrière le gagnant 25 ». Les partis restent le cadre collectif de la vie politique même si leurs frontières se sont déplacées et si militants et dirigeants sont dépos-sédés de la fonction de sélection des candidats. Le rôle des partis est redéfini. À droite, le député-maire du Havre, Édouard Philippe qui a négocié les primaires pour Alain Juppé décrit la nouvelle donne partisane : « le parti devient une plate-forme organisationnelle plutôt qu’une institution au service de son chef 26 ». Les primaires sont également une machine à conforter le bipartisme 27. Alors que la Constitution ne reconnaît que très partiellement le rôle des partis – ils ne font que concourir à l’expression du suffrage – et qu’aucun texte à portée normative ne fait référence aux primaires 28, ces dernières renforcent leur institutionnalisation, accentuant ainsi la « partinisation » du régime. C’est tout particulièrement le cas des « grands » partis qui ont seuls la capacité matérielle, logistique et financière d’organiser un scrutin à grande échelle sur l’ensemble du territoire. Pour résumer cette spécificité, Gérard Grunberg évoque même la catégorie nouvelle de « partis à primaires 29 ».

Si le mimétisme fonctionnel entre partis, notamment entre le PS et LR, concourt ainsi un peu plus à l’homogénéisation du système politique français, sa contagion reste cependant très limitée par le bas. La diffusion des primaires au niveau local (et pour l’instant exclusivement municipal) procède toujours de logiques propres et continue à ménager les intérêts des élus en place comme le montre ici Rémi Lefebvre. Les primaires ne dépossèdent surtout qu’en partie les élites dirigeantes de la maîtrise de la sélection des candidats. Pour une raison simple : si les outsiders jouent un rôle souvent décisif dans le processus 30, les

24. Pour le politiste Vincent Martigny, les primaires renforcent le légitimisme institutionnel et démonétise la critique des institutions de la Ve République, devenue quasiment inaudible. L’abandon du débat institu-tionnel apparaît patent. Martigny V., « La mort du débat institutionnel », Le 1, 96, 2016.

25. Le Monde, 27 août 2016.26. Duhamel O., Les Primaires pour les nuls, op. cit., p. 103.27. C’est en ce sens que François Bayrou ou Jean-Luc Mélenchon qui cherchent de diverses manières à subvertir

le bipartisme s’y opposent. François Bayrou, Le Parisien, le 11 mai 2015, déclare : « Le mécanisme des primaires suppose d’accepter le camp contre camp, ce que j’ai toujours refusé. Je suis en retrait de ce procédé qui ne correspond pas à nos institutions. L’esprit de la Ve République est de classer les candidats au premier tour et les sélectionner au second. »

28. Levade A., « Le droit des primaires : règles, contrôle, finances, sanctions », Pouvoirs, ibid.29. Grunberg G., art. cit. Le parti devient « une quasi-institution » dans le processus général de désignation

du président de la République. La primaire ouverte s’impose comme « un facteur de simplification et de rassemblement des forces politiques dans le système pluripartite français ».

30. La demande de primaires ouvertes « peut être interprétée comme un instrument pour mettre en cause le pouvoir de leaders en place en mobilisant la rhétorique de la démocratie ». Corbetta P., Vignati R., « The primaries of the centre left: only a temporary success? », Contemporary Italian Politics, 1 (1), 2013, p. 83.

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LLEresponsables de partis ont également cherché à le maîtriser à travers le contrôle

des règles. La procédure institutionnelle est ainsi largement définie par ses usages et par les investissements politiques et stratégiques dont elle fait l’objet. Si les primaires sont une « tendance lourde » de la vie politique, leur mise en place procède de logiques conjoncturelles, de rapports de forces contex-tuelles ou de situation de crise ou de « mise en crise » dont il faut reconstituer l’économie.

Dans ce cadre, l’analyse de Piergiorgio Corbetta et Rinaldo Vignati à propos de l’Italie vaut pour la France : « une tendance est à l’œuvre au Parti Démocrate pour organiser des primaires mais il faut éviter d’interpréter cette dynamique comme une loi sociologique qui tendrait naturellement vers plus d’ouverture et de démocratie partisane ». Les auteurs invitent ainsi à appréhender le déve-loppement des primaires de manière « réaliste et politique » comme « le résul-tat de luttes entre différents acteurs animés d’objectifs eux-mêmes différents qui luttent pour conquérir ou conserver le pouvoir 31 ». Le fait doit ainsi être rappelé : les primaires constituent un mode de consultation « privé ». Les partis ont donc le pouvoir de délimiter les conditions de l’expérience de ce scrutin 32. En conséquence, ce sont bien in fine les partis qui codifient et adaptent les règles du jeu, et ce, même au gré du processus 33. Et pour ce faire, les partis disposent de nombreux leviers, du choix du calendrier 34 à la limitation du nombre de candidatures au travers de la création du filtre des parrainages ou encore du formatage de l’électorat appelé à s’exprimer (« le sélectorat » selon l’expression anglo-saxonne 35). À ce titre, la question du nombre de bureaux de vote comme moyen d’augmenter ou de brider la participation apparaît ainsi décisive. En tablant pour la primaire de la « Belle Alliance populaire » de 2017 sur la mise en place de 6 000 à 8 000 bureaux de vote contre plus de 9 000 ouverts en 2011, Jean-Christophe Cambadélis s’est aussitôt exposé à de vives critiques, notamment venant des proches d’Arnaud Montebourg, sur la remise en cause du caractère « loyal et équitable » du scrutin.

Dans cette perspective, les primaires constituent de fait un scrutin hybride « mi-partisan, mi-électoral » dans la mesure où les sympathisants sont amenés à départager des candidats membres d’un parti (et à la marge de partis

31. Ibid.32. En déboutant le 15 juin 2016 les trois adhérents socialistes qui avaient demandé l’organisation d’un scrutin

militant, la première Chambre du Tribunal de grande instance de Paris a confirmé la liberté d’action des partis politiques dans leur fonctionnement interne. Dans son jugement, la 1re chambre civile du TGI souligne que la rédaction des articles des statuts du parti à cet égard « apparaît contradictoire, ou à tout le moins ambiguë ». Et « au regard de ces équivoques, aucune obligation de résultat ne saurait dès lors être attachée à ces dispositions statutaires ».

33. La crainte qu’un postulant à droite ne sollicite des parrainages de députés de gauche pour se qualifier se fait jour début 2006. Se rendant compte que la charte des primaires avait omis cette question, LR décide d’y ajouter en mars un codicille obligeant les parrains de candidats à signer la charte d’adhésion aux valeurs de droite.

34. Il a fait l’objet d’un usage stratégique en 2011 alors qu’une candidature de Dominique Strauss Kahn apparaissait encore incontournable.

35. En Italie, ces règles font l’objet de controverses constantes.

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partenaires) 36. Pour preuves : les diverses appellations qui attestent de la variété des usages disponibles – primaires concurrentielles, de contestation, de ratifi-cation, de légitimation, de refondation 37… – et de la difficulté à stabiliser de manière définitive une définition univoque du scrutin. On le voit : le processus de désignation quitte certes les coulisses de l’organisation pour s’opérer au grand jour, sacrifiant ainsi à l’idéologie médiatique de la transparence. La spécificité de son encadrement délimite cependant les conditions d’une expérience qui demeure principalement un mode de régulation des luttes internes par-delà son caractère « démocratique ».

Le précédent de 2011 ou l’exemplarité des primaires socialistes

Si les primaires s’inscrivent dans une tendance historique à la « démocratisa-tion 38 » des formations partisanes, l’institution d’une procédure ouverte en 2009-2010 constitue néanmoins une rupture profonde. La diffusion des primaires ouvertes dans le système politique doit beaucoup au « succès » de 2011, véritable mythe fondateur de l’histoire des primaires ouvertes en France 39.

Le résultat d’une crise et d’une mobilisation

Alors que les primaires ouvertes ont longtemps relevé de l’impensable au regard de la culture interne spécifique d’un « parti de militants », elles se sont imposées comme « la » solution procédurale à la crise que traverse alors le PS après trois défaites présidentielles consécutives.

Deux logiques se sont de fait croisées : des logiques structurelles liées à la transformation de l’organisation et au rétrécissement de la base militante socia-liste et des logiques de situation liées à la défaite à l’élection présidentielle de 2007 et au spectacle de la division du Congrès de Reims. Ce contexte critique a ainsi ouvert le champ des possibles. Censé solder la défaite électorale de Ségolène Royal, le Congrès de la « refondation » a porté Martine Aubry à la tête de la direction socialiste dans des conditions controversées et a disqualifié les votes internes 40. À mesure que s’est accrédité un cadrage des « dysfonction-nements » socialistes centré sur les questions de leadership a cheminé l’idée de primaires ouvertes. La mise à l’agenda de ce projet est le produit d’une

36. Les primaires de coalition posent de redoutables problèmes comme on le voit à gauche et à droite (avec l’UDI) en 2016.

37. Les finalités assignées à la primaire socialiste de 2011 et de 2017 sont très différenciées.38. Pour une analyse critique, Lefebvre R., Roger A., Les Partis politiques à l’épreuve des procédures délibératives,

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.39. Le statut des primaires dans le système politique est sans doute fragile. Édouard Balladur prédit : « dès qu’un

candidat gagnant aux primaires perdra la course à la présidence de la République, les primaires risquent fort de disparaître des priorités de son parti » (Duhamel O., Les Primaires pour les nuls, op. cit., p. 10).

40. La délégitimation des votes internes (à l’UMP suite à la crise de 2012 ou à Marseille pour les élections municipales de 2014) joue un rôle essentiel dans l’ouverture des primaires tout en imposant le recours à des tiers « neutres » et garants comme les hautes autorités. Tout se passe comme si les partis ne parvenaient plus à réguler en interne une concurrence exacerbée notamment par la présidentialisation.

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LLEcoalition, associant la Fondation Terra Nova, un think tank proche du PS, des

outsiders du jeu partisan comme Arnaud Montebourg, Secrétaire national à la rénovation et des organes de presse engagés comme Libération et Le Nouvel Obs. Tous ont cherché à importer une procédure à laquelle ont d’abord été associées la mobilisation de millions d’Italiens en 2005 en faveur du candidat de la gauche, puis la victoire de Barack Obama en 2008 41. La défaite des européennes de 2009 a constitué alors une fenêtre d’opportunité pour ces différents entrepreneurs de réformes mais également pour Martine Aubry qui a vu dans l’adoption des primaires le moyen de régler le différend de Reims et d’imprimer une dynamique de « rénovation ». Elles doivent également leur succès au fait qu’elles sont apparues comme une réponse simple à une question complexe. L’instrument, fondé sur une croyance procédurale non réellement réinterrogée par ses défenseurs, a su agir comme un réducteur d’incertitude dans une situation critique et comme un moyen de trancher par un « juge » externe l’impossible détermination du leadership interne.

Si le principe des primaires a été arrêté, une lutte tout aussi importante s’est également engagée sur leur usage et les règles du jeu. Amorcée avant l’été mais perturbée par la défection surprise de Dominique Strauss Kahn, la campagne des primaires s’est ainsi intensifiée à partir d’août 2011. Ouvert à tous les électeurs se reconnaissant « dans les valeurs de la gauche et de la République », le scrutin a départagé les six candidats en octobre 2011. Présentées unanimement comme un succès « démocratique », les primaires socialistes de 2011 ont alors créé un précédent 42.

La production d’un succès

Les primaires ont indiscutablement constitué une prise de risque pour le PS. Elles pouvaient entraîner l’exacerbation et la publicisation des divergences partisanes à quelques mois de l’échéance présidentielle, donner lieu à des couacs techniques ou ne pas trouver leur public, le scrutin ouvrant un nouveau « droit » aux sympathisants qu’ils pouvaient ne pas s’approprier.

Quelques semaines après le vote, la Fondation Terra Nova peut écrire dans son rapport de bilan : « la surprise a été à la hauteur de l’évidence : aucune des craintes ne s’est matérialisée ; tous les objectifs ont été atteints. La primaire se révèle un formidable élément de modernisation démocratique et un atout poli-tique pour la gauche 43 ». Au-delà de l’exercice d’auto-promotion, ce constat a été largement partagé dans la presse et chez les commentateurs politiques mais aussi les dirigeants de droite d’où est ressortie une appréciation unanime. Les

41. Les promoteurs de la procédure cherchent à recycler une « solution » déjà là dont la portée est réévaluée dans leur récit réformateur.

42. Dammame D., « Les précédents. L’enjeu de la qualification », Politix, n° 20, 1992.43. Terra Nova, « Les primaires : Une voie de modernisation pour la démocratie française », novembre 2011,

p. 23. Le rapport n’évoque ni la faible participation des milieux populaires, ni le rôle sans doute déterminant que les sondages et les médias ont joué dans la désignation de François Hollande, consacré par les enquêtes d’opinion comme le plus « présidentiable » des candidats en lice face à Nicolas Sarkozy.

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primaires socialistes ont été consacrées comme un triple succès démocratique, logistique et médiatique.

Organisées dans plus de 10 000 bureaux de vote sur le territoire, les primaires ont constitué une prouesse sur le plan organisationnel qui a remobilisé l’appareil militant pendant près d’un an et réactivé une forme de fierté militante, même si elle n’a pas été durable. Les médias ont également salué la bonne tenue, la maîtrise et la qualité des débats malgré une campagne rugueuse entre les deux tours 44. La participation électorale a été jugée très forte même en l’absence d’éta-lon de référence. Le PS avait lui-même été prudent en se donnant un objec-tif officiel atteignable d’un million de participants. On a dénombré au final 2 661 231 participants au premier tour et 2 860 000 au second. Les journaux télévisés ont pu filmer deux jours durant des bureaux de vote plein de sympathi-sants enthousiastes et fiers d’exercer un nouveau droit.

La presse unanime

Les primaires ont été célébrées comme une « fête démocratique » et un succès citoyen. « Pendant des semaines, le PS qui avait habitué les Français à l’inverse a offert le visage d’une formation capable de débattre sans se battre » (Libération, le 13 octobre 2011). « On a assisté non à une cacophonie mortifère mais à une polyphonie où les différences assumées ne mettaient pas en péril l’harmonie d’ensemble » (Le Monde, le 1er octobre 2011). « C’est une révolution politique. Aucun autre parti ne peut se targuer d’avoir su mobiliser autour de lui autant de participants, hors d’une élection officielle » (Le Parisien, le 10 octobre 2011). Le Figaro n’a pas moins été réservé : « Le Parti socialiste a réussi son pari en créant un élan populaire autour de son processus de désignation. Scrutin inédit en France, la primaire a connu un important succès » (le 17 octobre 2011).

Le PS est ainsi parvenu à mobiliser autour de 30 % de son électorat de référence. Près de 600 000 contacts de sympathisants, présentés comme « une armée de réserve », ont été recueillis en vue de l’élection présidentielle. Les primaires ont généré une dynamique de pré-mobilisation électorale d’autant plus intense que le parti organisateur a bénéficié d’un incontestable bonus médiatique. Les primaires ont produit un effet de saturation du paysage média-tique, leaders et propositions étant surexposés pendant sept semaines. Si on analyse les temps d’antenne fournis par le CSA, on constate que le PS a béné-ficié entre juillet et octobre 2011 d’un temps d’antenne en moyenne supérieur de 80 % à celui de la majorité. De même, le premier débat entre candidats a rassemblé, à la surprise générale, 5 millions de téléspectateurs. La convention d’investiture retransmise en direct a mis en scène le ralliement de l’ensemble

44. Martine Aubry dénonce en François Hollande « le candidat du système », Vincent Peillon évoque des propos dignes de « Martine Le Pen »…

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LLEdes candidats à François Hollande et l’unité retrouvée des socialistes 45. Le PS,

replié depuis 2002 sur ses luttes internes, a donné une image d’ouverture, de « rénovation » et de modernité démocratique.

Au total, la procédure a conféré à François Hollande une légitimité incontes-tée qui avait fait défaut en 2007. Le candidat socialiste aurait-il vaincu Nicolas Sarkozy sans cette première phase de campagne ? Il est impossible de le détermi-ner mais sa victoire a de fait validé et conforté ex post la pertinence du choix des primaires ouvertes. Ce verdict unanime de succès des primaires a contribué à la diffusion de la procédure. Un effet de sidération s’est produit chez les dirigeants de droite, frappés par cette efficacité électorale.

Les primaires ont également joué un rôle essentiel dans la composition des gouvernements Ayrault et contribué ce faisant à un certain « renouvellement » politique. François Hollande s’est ainsi affranchi des équilibres internes du PS pour d’abord s’appuyer sur ses principaux soutiens de campagne (Michel Sapin, Pierre Moscovici, Jean-Yves Le Drian ou encore Stéphane Le Foll) puis sur les candidats qui l’avaient rallié entre les deux tours comme Arnaud Montebourg et Manuel Valls, au risque de s’enfermer dans ce nouveau rapport de force. Arnaud Montebourg, notamment pendant la crise de Florange, a fait ainsi du résultat qu’il avait obtenu lors des primaires le socle principal de sa légitimité politique : « ce n’est pas le ministre de je-ne-sais-quoi qui te parle, c’est le troisième homme de la primaire 46 ! »

Un nouveau standard international. État des lieux de la recherche

On le voit : de nombreux éléments se sont conjugués pour créer les conditions d’un quasi-unanimisme politique. Ce mode d’investiture n’est pourtant ni récent, ni spécifique à la France. Depuis une quinzaine d’années, les primaires se sont en effet diffusées comme un mode de désignation alternatif à la sélection tradition-nelle des candidats par les instances dirigeantes ou des conventions partisanes.

En Amérique latine (Mexique, Argentine…) et en Europe occidentale (Italie, Grèce, Portugal, Grande-Bretagne, Espagne…) mais aussi au Québec, en Australie ou en Russie, on observe ainsi le passage de méthodes de sélection fermées ou confinées à des procédures de désignation plus inclusives impliquant directement à travers des votes les adhérents (primaires dites fermées) ou les sympathisants, sans que l’adhésion partisane soit nécessaire (primaires dites ouvertes) 47. Podemos en Espagne en a fait un mode systématique de désignation de ses candidats. En Italie, le parti démocrate ou en Grande Bretagne le parti

45. Pour détourner l’attention médiatique, l’UMP organise le même jour une convention UMP sur le thème « Le projet socialiste à la loupe : le grand malentendu ».

46. Astruc V., Freyssenet E., Florange, la tragédie de la gauche, Paris, Plon, 2013.47. Pour un premier bilan, Sandri G., Seddone A., Venturino F. (dir.), Party primaries…, op. cit. L’ouvrage

porte tant sur les primaires ouvertes que sur les primaires fermées. Il traite à la fois de la désignation des candidats aux élections et des dirigeants de partis.

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travailliste désigne désormais le responsable de leur organisation à travers des procédures ouvertes (ou semi-ouvertes) à des non-adhérents.

La dynamique est donc profonde et générale. Des processus de circulation internationale des méthodes de désignation sont à l’œuvre qui favorisent le mimétisme et la convergence des processus de sélection autour d’un nouveau standard « démocratique ». Essayer de comprendre les raisons qui ont permis l’acclimatation de ce mode de désignation en France implique de faire un détour par les travaux qui ont analysé les primaires dans d’autres contextes politiques ou en lien avec les transformations plus globales affectant les partis.

De fait, l’essentiel des travaux en science politique sur les primaires sont américains ou anglo-saxons 48. Cette littérature s’est cependant principalement intéressée aux primaires sous l’angle de leurs conséquences et a largement délaissé jusqu’à une période encore récente les facteurs de leur adoption et leur institutionnalisation. La problématique des effets y est centrale 49. La question de l’impact électoral des primaires, le plus souvent pensé comme « négatif », traverse ces travaux (« primary penalty thesis ») 50. Selon un motif récurrent dans ces analyses, les primaires attirent des électeurs radicaux (« hardcore partisans ») dont le choix s’oriente vers des candidats en décalage avec les préférences de l’électeur médian 51. En d’autres termes, les primaires produisent des candidats dont les performances électorales sont plus faibles dans les élections générales (les communications de David Gouard, Julien Audemard et Pierre Mongaux montrent dans cet ouvrage que le profil des sympathisants socialistes en 2011 est proche de celui des adhérents du parti). Les primaires peuvent laisser par ailleurs le candidat victorieux abîmé, épuisé financièrement et affaibli. Cette thèse a cependant été récemment mise en cause par une étude comparative des primaires présidentielles en Amérique latine 52 qui donne plutôt crédit à la thèse

48. Sans doute pour deux raisons. Il existe d’abord une longue tradition d’étude de la sélection des candidats : Gallagher M., Marsh M., Candidate selection in comparative perspective : The secret garden of politics, Londres, Sage, 1988 ; Cohen M., Karol D., Noel H., Zaller J., The party decides: presidential nomi-nations before and after reform, Chicago, University of Chicago Press, 2008 ; Cross W., « Democratic Norms and Party Candidate Selection: Taking Contextual Factors into Account », Party Politics, 14 (5), 2008, p. 596-619 ; Cross W., Blais A., « Who Selects the Party Leader? », Party Politics, 18 (2), 2012, p. 127-150. D’autre part, le système américain des primaires est le plus ancien et le plus codifié. Notons que le terme « primaire » aux États-Unis renvoie à une acception très large : il désigne des élections où les candidats sont « choisis ». Les règles des primaires au moment des élections présidentielles sont très variables selon les États.

49. Gerber E. R., Morton R. B., « Primary Election Systems and Representation », Journal of Law, Economics, and Organization, 14 (2), 1998, p. 304-324 ; Morton R. B., Williams K., Learning by Voting: Sequential Choices in Presidential Primaries and Other Elections, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2001 ; Meirowitz A., « Informational Party Primaries and Strategic Ambiguity », Journal of Theoretical Politics, 17 (1), 2005, p. 107-136 ; Adams J., Merrill III S., « Candidate and Party Strategies in Two-Stage Elections Begininning with a Primary », American Political Science Review, 52 (2), 2008, p. 344-359.

50. Bruhn K., « Too Much Democracy? Primaries and Candidate Success in the 2006 Mexican National Elections », Latin American Politics and Society, 52 (4), 2010.

51. Norrander B., « Explaining Cross-State Variation in independent Identification », American Journal of Political Science, 33, 1989.

52. Carey J. M., Polga-Hecimovich J., art. cit.

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LLEinverse d’un primary bonus 53. Le développement des primaires en Europe mais

surtout en Amérique latine 54 a stimulé un nouvel agenda de recherches centré, dans une perspective clairement orientée rational choice, sur les arbitrages coûts/bénéfices qui conduisent au choix des primaires.

Une décision analysée en termes de coûts/bénéfices

Divers modèles probabilistes ont été alors construits pour comprendre les ressorts stratégiques conduisant les élites à perdre le contrôle politique et idéo-logique sur le candidat de leur parti. Le changement de mode de sélection du candidat est entendu comme le produit d’un calcul coût/avantage des respon-sables de partis 55. L’adoption des primaires est conçue comme une décision appréhendée à travers les catégories analytiques du choix rationnel et prise par des élites clairvoyantes (car ce sont bien les élites qui décident formellement d’adopter cette règle). Les primaires sont tantôt conçues comme un outil de maximisation de la performance électorale, tantôt comme un mode de régulation de luttes internes.

De nombreuses études insistent d’abord sur les bénéfices électoraux attendus de l’utilisation de ce mode de sélection. Les primaires permettent d’optimiser la phase de désignation du candidat en produisant le candidat le plus « apte » à concourir 56 ou permettant d’améliorer sa valeur et de mieux cibler les inté-rêts de l’électeur médian 57. Les primaires obéissent en ce sens à une forme de « rationalité informationnelle ». Ces modèles qualifiés donc d’« information-nels 58 » insistent tantôt sur les informations acquises à la faveur des primaires par les candidats sur les préférences des électeurs 59, tantôt sur les informations que les électeurs acquièrent sur les candidats. Pour G. Serra, le bénéfice attendu – accroître la valeur électorale du candidat – peut compenser dans certaines conditions le coût qui tient à la perte de contrôle idéologique du candidat dési-gné. Les primaires permettent de tester l’éligibilité des candidats, d’accroître le nombre de candidats et d’en faire le tri dans un pré-processus électoral précé-dant les élections générales. Cette première phase améliore les savoir-faire de

53. Le bonus électoral d’un candidat désigné à travers des primaires est estimé de 4 à 6 % pour un candidat aux élections présidentielles.

54. Dans ce continent, le pourcentage de candidats nommés à travers des primaires est passé de 3 % dans les années 1980 à 12 % dans les années 2000, voir Serra G., « Why primaries? The party’s tradeoff between policy and valence », Journal of Theoretical Politics, 23 (1), 2011, p. 21-51. Les primaires sont fréquentes en Argentine, Chili, Colombie, Mexique, Nicaragua, Venezuela… Par une loi de 2009, un système de primaires obligatoires et ouvertes a ainsi été mis en place en Argentine pour les élections présidentielles et législatives (premières primaires en août 2011).

55. Serra G., art. cit. ; Hortala-Vallve R., Mueller H., « Primaries: The Unifying Force », Barcelona Economics Working Paper Series, Working Paper no 496, sep. 2010.

56. Adams J., Merrill III S., art. cit. ; Snyder J. M., Ting M. M., « Electoral Selection with Parties and Primaries », American Journal of Political Science, 55 (4), 2011, p. 782-796.

57. Caillaud B., Tirole J., « Parties as political intermediaries », Quaterly Journal of Economics, 11 (4), 2002, p. 1453-1489.

58. Adams J., Merrill III S., art. cit. ; Serra G., art. cit.59. Meirowitz A., art. cit.

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campagne du candidat désigné et optimise ses stratégies de présentation de soi et de communication (« primary skill bonus »).

Les primaires permettent à des dirigeants initialement peu connus et recon-nus par les élites en place de se « révéler » à la faveur des primaires (la victoire de Barack Obama dont le « charisme » a été découvert lors des primaires de 2004 peut donner crédit à cette hypothèse). Les primaires apportent ainsi des informations qui peuvent être utiles dans la conduite de la campagne des élec-tions générales. Les primaires comportent aussi des coûts dans la mesure où le programme du candidat peut échapper aux dirigeants du parti et être plus ou moins en décalage avec la ligne politique dominante en son sein. De ce fait découle que la probabilité d’élections primaires décroît quand la distance idéologique entre les positions des élites et celles des électeurs des primaires est grande 60 (on peut analyser en ce sens la difficulté de mettre en place en France en 2016 une primaire de toute la gauche tant la polarisation idéologique de la gauche dans son ensemble s’est accentuée avec le « tournant » politique qui a marqué le quinquennat de François Hollande).

A. Meirowitz adopte non pas le point de vue des élites mais celui des électeurs. Les primaires offrent ainsi aux électeurs la possibilité de donner des informations aux candidats sur leurs préférences avant que les candidats n’aient produit leur programme pour les élections générales. Les primaires font donc plus que désigner un candidat : elles obéissent également à une fonction d’information. Dans un environnement où les candidats sont incertains sur les préférences des électeurs, la définition des programmes est une entreprise difficile. Avant les élections primaires, les candidats, conscients que l’information sur les préférences des électeurs est à venir, ont intérêt à être ambigus sur leurs programmes. Les primaires donnent des informations sur les préférences des électeurs ou plus précisément, elles offrent l’opportunité à une partie des électeurs de donner leurs préférences avant que le candidat n’ait défini son offre programmatique. Les primaires sont dans cette perspective moins une arène partisane de confrontation sur des programmes qu’un forum permettant de constituer et d’agréger des informations sur les électeurs 61 (la communication de Rafael Cos sur les programmes des candidats à la primaire socialiste remet cependant en cause ici cette analyse).

D’autres modèles sont plus sensibles aux rationalités des dirigeants confrontés aux luttes et divisions au sein de leurs partis 62. Les primaires constituent alors un mode de régulation des luttes intra-partisanes 63. La variable intra-partisane est déterminante pour expliquer le recours aux primaires qui permettent de préserver l’unité du parti, de conjurer les scissions et d’éviter les dissidences (« intra-party

60. Serra G. parvient aussi au résultat que les partis extrêmes ont plus de probabilité d’adopter les primaires que les partis modérés…

61. Meirowitz A., art. cit., p. 109.62. Giannetti D., Benoit K. (dir.), Intra-Party Politics and Coalition Governments, Londres/New York,

Routledge, 2009.63. Hortala-Vallve R., Mueller H., art. cit. ; Kemahlioglu O., Weitz-Shapiro R., Hirano S., art. cit.

Pour ces auteurs, les partis les plus hétérogènes idéologiquement et divisés sont ceux qui recourent le plus aux primaires.

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LLEpolitics based models »). Les mises en garde de la direction du PS – mais également

des proches de Benoît Hamon et de Gérard Filoche, candidats de l’aile gauche du PS à la primaire 64 – à l’encontre d’Arnaud Montebourg depuis sa déclaration de candidature à l’élection présidentielle – et non explicitement à la primaire de la « Belle Alliance populaire » – le dimanche 21 août 2016 à Frangy-en-Bresse peuvent constituer une illustration française de cette recherche de cadres d’auto-régulation des conflits internes mais également de ses limites. Ce modèle est centré sur les jeux entre factions au sein des partis et leurs effets en interaction avec l’environnement institutionnel. Les primaires sont le dispositif que les élites dirigeantes opposent aux ambitions de la minorité partisane pour leur donner le change et éviter ainsi leur défection.

Les primaires sont souvent revendiquées par des minorités ou des fractions réformistes dont les préférences ne sont pas reflétées par les candidats choisis par l’élite partisane. Les primaires sont adoptées quand la menace d’une scis-sion devient crédible et probable (les cas du PS ou de LR, voire EELV abordés dans l’ouvrage par Rémi Lefebvre, Éric Treille et Vanessa Jérome rentrent bien dans ce cadre analytique). Ce sont bien néanmoins les élites qui ont la main sur les règles de désignation et qui ne concèdent les primaires que pour éviter l’éclatement du parti tout en prenant en compte les conséquences négatives de ce choix. Des variables comme l’intensité des différences idéologiques à l’intérieur du parti, le poids de chacune des factions et les règles du système électoral interagissent pour créer des incitations différentielles conduisant à recourir aux primaires. Deux conditions sont requises pour que des primaires soient adoptées. La menace de scission par la minorité contestatrice doit être crédible, l’élite partisane doit être prête à abandonner la sélection du candidat pour éviter l’explosion. Les primaires peuvent donc jouer un rôle d’unification qui conduit à éviter l’éclatement.

Une réponse à des défis externes et aux transformations récentes des partis politiques

Ces analyses, centrées sur les préférences des élites, tendent cependant à méconnaître à la fois les pressions qui s’exercent sur les partis politiques et les transformations qui les affectent 65. L’analyse historique de l’adoption des primaires aux États-Unis a ainsi été récemment revisitée 66 et conduit

64. Jean-Christophe Cambadélis a ainsi déclaré dans Le Journal du Dimanche du 21 août 2016 que « toute personne qui est candidate contre le candidat du PS est en dehors du PS ». Selon l’équipe de Benoît Hamon, « la primaire est un gage de réussite et de rassemblement. Il serait très aventureux de se présenter hors de ce cadre ». Gérard Filoche appelle également à la participation à la primaire : « vous vous rendez compte, s’il (N.D.L.R. Arnaud Montebourg) se présente directement ? Vous aurez Mélenchon, Duflot, Montebourg et peut-être Hollande. C’est mort » (Le Parisien, 23 août 2016).

65. Elles tendent aussi à inférer les causes des conséquences des primaires. Elles appellent aussi des critiques qui tiennent globalement au caractère très formaliste, schématique et a-sociologique du Rational Choice.

66. Lawrence E., Donovan T., Bowler S., « The adoption of direct primaries in the United states », Party politics, 19 (1), 2013, p. 3-18.

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à réhabiliter le poids des pressions externes 67. Les auteurs cherchent à comprendre pourquoi et quand précisément on est passé du système des conventions aux primaires directes pour désigner les candidats (fin xixe, début xxe) 68. L’hypothèse la plus couramment défendue est que les élites partisanes ont adopté les primaires directes pour protéger leurs intérêts internes. Elles sont le produit d’un calcul stratégique qui les ont amené à changer les règles lorsqu’elles pouvaient les adapter à leurs intérêts (leur soutien étant la condition nécessaire de leur adoption). Il s’est agi ou de réguler les tensions dans leur parti qui peuvent compromettre leurs perspectives de victoires ou de retrouver une maîtrise du processus de sélection des candidats et d’affaiblir la minorité. Les élites pouvaient être en mesure d’adopter la lettre mais pas l’esprit de la proposition des réformistes.

Les auteurs, sans nier ces phénomènes (leur analyse est multifactorielle), mettent cependant en avant d’autres facteurs comme la force des « pressions réformistes », principalement externes. Les conventions, qui désignaient jusque-là les candidats, ont été jugées peu représentatives, contrôlées par les boss et par des intérêts économiques et industriels. Les primaires sont présentées par les réforma-teurs qui les défendaient comme un outil de modernisation, de démocratisation du système et de lutte contre la corruption. Il est éclairant de constater que dans les États où les pressions réformistes étaient les plus fortes, les primaires ont été adoptées plus précocement. La pression réformiste est d’autant plus forte que l’État est urbanisé et la corruption plus répandue.

Le processus d’adoption des primaires dans la période plus contemporaine doit être inscrit dans des dynamiques de transformations des partis qui ont fait l’objet de nombreux travaux. Depuis les années 1990, on observe ainsi une « démocratisation 69 » et une individualisation (multiplication des votes militants) des processus de désignation des candidats dans les partis politiques 70. Cette tendance participe du développement d’une culture plus participative dans la définition des choix collectifs, censée renforcer l’attractivité de l’adhésion mili-tante en crise et correspondre à de nouvelles attentes démocratiques, celle d’un militant plus « distanciée » et « critique », discours qui fonctionne pour partie sur le mode de la prophétie auto-réalisatrice 71.

67. Sur l’histoire des primaires aux États-Unis et une approche en termes de coûts-bénéfices des élites diri-geantes, voir le classique Ware A., The American direct primary : party institutionalization and transformation in the North, Cambridge, Cambridge University Press, 2002.

68. Les États du Nord adoptent pour la plupart le principe des primaires entre 1901 et 1915.69. Trois ensembles de variables ont pu être identifiés comme façonnant les processus de « démocratisation » des

partis : les règles du système institutionnel et politique, le système partisan et les types de parti. Barnea S., Rahat G., « Reforming Candidate Selection Methods: A Three-Level Approach, Party Politics », 13 (3), 2007, p. 375-394.

70. Gauja A., « The “Push” for Primaries: What Drives Party Organisational Reform in Australia and the United Kingdom? », Australian Journal of Political Science, 47 (4), 2012.

71. Pour une discussion de cette question, voir Lefebvre R., « Le militantisme socialiste n’est plus ce qu’il n’a jamais été. Modèle de l’engagement “distancié” et transformations du militantisme au Parti socialiste », Politix, n° 102, 2013, p. 13-36.

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LLELa « directisation » des processus de désignation 72 a cependant été para-

doxalement une manière pour les élites dirigeantes de renforcer leur pouvoir (notamment sur les élites intermédiaires ou régionales 73). Le développement des primaires fermées conduit ainsi parfois à leur élargissement aux sympathisants et aux électeurs (là encore, le calcul peut être de contourner une base militante trop radicale avec parfois des résultats très contre-intuitifs 74). Le préalable de la primaire ouverte, c’est la primaire fermée (pour le PS comme pour l’UMP). Pourtant, le passage de l’une à l’autre n’a rien de naturel ni de linéaire. La procé-dure « directe » de désignation du candidat par les militants leur confère un nouveau pouvoir et ouvre une rétribution symbolique de nature à redynamiser le militantisme et à le rendre plus attractif. La primaire ouverte conserve le carac-tère direct de la sélection mais conduit à un phénomène inverse : elle retire une prérogative au militant et tend à démonétiser son statut en égalisant les droits de l’adhérent et du sympathisant.

Les primaires ouvertes constituent ainsi une réponse à l’affaiblissement des partis politiques dans un contexte de développement de la démocratie parti-cipative. Le rétrécissement de la base militante, le déclin de la représentativité et de l’ancrage social des partis conduisent alors à délégitimer les modes de sélection traditionnels. Les primaires apparaissent d’autant plus « démocra-tiques » que, dans un contexte de « crise » du militantisme, l’implantation des partis dans la société s’est fortement érodée. Comment la surface sociale des partis, de plus en plus étroite, pourrait-elle justifier que la production du candidat soit le seul fait de ses militants ? Les partis cherchent aussi à améliorer leur image à travers les primaires qui constituent une stratégie de rénovation de leur « façade » institutionnelle et de « monstration » de la modernité démo-cratique. À mesure que se fragilise l’identification partisane, que s’effritent les allégeances de classe sur lesquelles elle était indexée, les liens entre électeurs et partis s’affaiblissent d’autant plus que leurs périmètres d’action se rétré-cissent. Dans ce contexte, les primaires constituent une manière de resserrer ces liens en intégrant les électeurs dans le choix 75. Elles participent à ce titre de « l’électoralisation » croissante des partis de plus en plus orientés dans leur fonctionnement vers la maximisation de leur rendement électoral 76 comme Rémi Lefebvre et Éric Treille le montrent dans le chapitre 7. À travers les primaires qui semblent consacrer l’ère du « sympathisant » s’opère ainsi une

72. Pilet J.-B., Cross W., The Selection of Political Party Leaders in Contemporary Parliamentary Democracies. A Comparative Study, Londres/New York, Routledge, 2014.

73. Roger A., Lefebvre R., op. cit. Sur le lien entre primaires fermées et affaiblissement des élites intermédi-aires des partis, voir Russell M., Building the new labour: the politics of party organization, New York, Palgrave, 2005.

74. Cette stratégie a été celle de la direction du parti travailliste anglais en 2015. Elle a pourtant conduit à la désignation du candidat le plus marqué à gauche, Jérémy Corbyn.

75. Cross W., Gauja A., « Designing Candidate Selection Methods: Explaining Diversity in Australian Political Parties », Australian Journal of Political Science, 49 (1), 2014, p. 22-39.

76. Katz R., Mair P., « Changing models of party organization and party democracy. The emergence of the cartel party », Party Politics, 1 (1), 1995.

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fluidification des frontières partisanes 77 même si cette porosité, trompeuse à bien des égards, n’implique pas une décommunautarisation des partis 78. Le renforcement de la dimension électorale des partis, évolution centrale dans le modèle du parti-cartel, conduit de fait les partis politiques, selon une logique analytique proche, à externaliser la fonction de sélection de leurs candidats. Il s’agit dans cette perspective d’optimiser le choix du candidat, d’accroître la légi-timité des partis et leur crédibilité dans l’opinion publique, d’enrichir le choix des électeurs jusque-là limité, de pré-mobiliser les électeurs ou de renforcer le sentiment de participer à un projet politique commun.

Dans un contexte de montée d’un « impératif participatif 79 » dans les démocraties représentatives, les partis cherchent, à travers cette innovation démocratique, à projeter une image d’ouverture et de modernité qui tranche avec le caractère autocentré et « stérile » des luttes internes 80. Le développe-ment des primaires interroge ainsi la nature et le statut même des militants dans les partis dans la mesure où elles les privent d’un droit et donc d’une rétri-bution symbolique essentielle. Cette procédure s’inscrit dans un contexte de dévaluation des ressources partisanes. « Parties without partisans » ? pouvait alors s’interroger R. J. Dalton en 2002 81. On le voit, les primaires sont la solution à des « problèmes » multiples, très différenciés et pas forcément interconnectés auxquels les partis sont confrontés, les promoteurs des primaires cherchant à ajuster la définition des problèmes considérés aux solutions qu’ils cherchent à mettre en avant.

Le développement des primaires : un processus incertain

La mécanique des primaires s’est imposée aux formations politiques parce qu’elle apparaissait de manière générale comme une réponse aux nouveaux défis et à la crise de légitimité auxquels elles étaient confrontées. Mais ces facteurs généraux doivent être contextualisés et rapportés à des configurations et contextes spécifiques. Au temps long de la transformation structurelle, il faut ajouter le temps court du moment de l’adoption des primaires et porter attention à des « logiques de situation 82 ». Le risque est d’analyser le développement des primaires dans

77. Scarrow S., Beyond Party Members. Changing Approaches to Partisan Mobilization, Oxford University Press, 2014.

78. Lefebvre R., « Le militantisme socialiste n’est plus ce qu’il n’a jamais été », art. cit.79. Blondiaux L., Sintomer Y., « L’impératif participatif », Politix, n° 57, 2002.80. Pour Florence Faucher, le « récit » de la démocratie et de l’empowerment des sympathisants qui accompagne

les primaires est aussi important que l’efficacité directe prêtée à ce nouveau mode désignation. « As our liberal representative regimes are experiencing a systemic crisis characterised by a decline of trust in political actors, direct elections are becoming organisational myths ». Faucher F., « Leadership Elections: What is at Stake for Parties? A Comparison of the British Labour Party and the Parti Socialiste », Parliamentary Affairs, 68 (4), 2014.

81. Dalton R. J., Parties Without Partisans, Political Change in Advanced Industrial Democracies, Oxford, Oxford University Press, 2002.

82. Dobry M., « Ce dont sont faites les logiques de situation », dans Favre P., Fillieule O., Jobard O. (dir.), L’Atelier du politiste. Théories, actions, représentations, Paris, La Découverte, 2007.

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LLEune perspective adaptative par trop fonctionnaliste. Il n’y a pas de « nécessité »

des primaires. Dans la conversion aux primaires ou leur adoption, apparaissent souvent déterminants des éléments conjoncturels (des crises internes, des défaites répétées ou des anticipations d’échec…) ou d’autres facteurs comme la mobi-lisation d’entrepreneurs de réformes comme ce fut le cas au PS, la stratégie des dirigeants ou des régulations imposées par les luttes internes aux partis politiques. Limités encore à un nombre restreint de partis (les plus centraux), les processus d’adoption des primaires ouvertes ne sont en général ni univoques ni linéaires et ni irréversibles, notamment parce que les primaires relèvent de la liberté organi-sationnelle et constitutionnelle des partis 83.

Variabilité et précarité des règles du jeu

Présentée comme un progrès démocratique, l’ouverture du processus de dési-gnation est aussi largement maîtrisée par les élites dirigeantes qui modifient les règles en fonction du contexte politique et des rapports de forces, comme on l’a vu en juin 2016 avec le lancement d’une primaire par le PS qui a surpris les commentateurs 84. Les débats qui ont marqué LR sur le statut des parrains néces-saires pour candidater (doivent-ils s’inscrire ou non dans le cadre partisan de la droite et du centre ?) ou encore le PS sur le choix calendaire du scrutin de 2011, l’obligation de déclencher une primaire pourtant « de droit » (puisqu’inscrite dans les statuts) ou les débats sur les règles pour la primaire de janvier 2017 en témoignent encore 85.

Certes, la décision d’adopter le principe de primaires ouvertes est centrale en soi mais le processus de définition des règles précises encadrant la consultation électorale (le choix du mode de scrutin, la durée de la mobilisation, la définition de l’électorat, le nombre de bureaux de vote, l’organisation de débats télévisés…) est sans doute plus décisif encore. La règle du jeu ne règle pas ainsi son usage comme de nombreuses communications le montrent dans cet ouvrage.

Depuis qu’elles existent, le développement des primaires alimente débats et controverses sur leurs effets anticipés (bonus versus handicap électoral, « machine à perdre » versus « rampe de lancement »…), les croyances causales en leurs effets,

83. Le seul pays à avoir constitutionnalisé des primaires ouvertes est l’Argentine où elles sont obligatoires. L’histoire des primaires en France est encore très récente. En Italie, les primaires, plus anciennes et généra-lisées (au niveau local, pour le parti démocrate) suscitent une certaine lassitude. Voir Meny Y., « Primaires : vertus (apparentes) et vices (cachés) d’une greffe américaine », Pouvoirs, 154, 2015, p. 27-40.

84. Giannetti D., Lefebvre R., « Adoption, institutionnalisation et diffusion des primaires ouvertes. Une approche comparée franco-italienne », Revue internationale de politique comparée, à paraître, 2016. Le fait que les règles soient privées et donc évolutives produit en Italie tâtonnements, instabilité et un jeu de « trial and errors ». Meny Y., art. cit.

85. Le conseiller spécial de François Hollande, Bernard Poignant, déclare non sans ironie en janvier 2016 alors que la perspective d’une nouvelle primaire ouverte est jugée peu probable : « ça va être un paradoxe pour le PS, parce qu’en 2011 on a fait les primaires qui n’étaient pas dans nos statuts, et on n’en ferait pas pour 2017 alors qu’elles le sont désormais. Il faut avoir une capacité d’adaptation à la situation » (nous soulignons, Le Figaro, le 28 janvier 2015). Les primaires du PS ont été inscrites dans les statuts lors du Congrès de Toulouse de 2012.

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labiles, se redéfinissant au gré des expériences. Une forme de réflexivité s’est de fait développée sur les primaires. Les dirigeants à droite ont constamment à l’esprit l’expérience socialiste de 2011 lorsqu’ils codifient et mettent en place les primaires (on le verra dans le chapitre rédigé par Rémi Lefebvre). Les médias se disputent les futurs débats télévisés à droite parce que les émissions de 2011 ont été marquées par des niveaux inattendus d’audimat, comme le montre Éric Treille ici. Un certain nombre de critiques encore peu audibles en 2011 font désormais consensus (plus aucun analyste ou commentateur ne conteste ainsi que les primaires renforcent la personnalisation de la vie politique). À mesure qu’elles s’institutionnalisent, les usages politiques des primaires n’apparaissent pas réductibles à celui d’un dispositif de sélection d’un candidat : elles sont mobilisées comme un outil de communication, de production de leadership, de pré-mobi-lisation de l’électorat ou encore de contournement des règles de financement de la vie politique.

On le voit donc : la diffusion des primaires est domestiquée par les partis qui les retraduisent et les acclimatent à leurs cultures organisationnelles, « les biens échangés se transformant dans la transaction 86 ». En donnant un nouveau pouvoir aux sympathisants, les primaires dépossèdent les partis et les militants de leurs fonctions traditionnelles de sélection mais les acteurs concernés cherchent toujours à maîtriser cette nouvelle règle et à rester maîtres du jeu 87. Comme le note F. G. Bailey, « lorsqu’on introduit une nouvelle ressource dans le jeu, on n’a pas encore formulé les règles pragmatiques qui édictent les limites de cet outil et la manière de l’utiliser efficacement. On n’y aboutit qu’à travers un proces-sus relativement coûteux d’essais et d’erreurs 88 ». Il apparaît donc important de restituer les tâtonnements et les bricolages constants qui contribuent à l’institu-tionnalisation des primaires.

Dans ce cadre, la thèse ou prophétie d’une généralisation des primaires enten-due comme un processus irréversible apparaît au final largement mécaniste. Le terme de « primarisation » doit donc être mobilisé avec prudence. L’histoire des primaires ne s’arrête pas à leur adoption mais se redéploie à travers la question des règles, de leur interprétation, du calendrier, de la logistique…

86. Payre R., Pollet G., Socio-histoire de l’action publique, op. cit., p. 83.87. Au niveau municipal, la diffusion des primaires est ainsi fortement canalisée. Pour les deux partis en 2013,

la consultation n’est ouverte aux sympathisants qu’en fonction de contextes locaux bien déterminés. Les partis et les notables locaux en place ont gardé dans une très large mesure la maîtrise des investitures.

88. Bailey F. G., Les Règles du jeu politique, Paris, PUF, 1971, p. 132. Sur la distinction entre règles normatives et pragmatiques, à la suite de F. G. Bailey, voir Faucher F., « Leadership Elections: What is at Stake for Parties? A Comparison of the British Labour Party and the Parti Socialiste », art. cit.

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L’échec d’une « primaire des gauches et des écologistes »

Si la règle des primaires a su être intégrée par le PS et LR, la tenue de primaires de coalition ou inter-partisanes se heurte en revanche à divers obstacles : l’UDI a décidé de ne pas participer à la « primaire de la droite et du centre » de 2016, remettant ainsi en cause la volonté d’élargir le cercle des organisateurs89. Le projet d’une « primaire des gauches et des écologistes » lancé par le texte d’appel paru dans le journal Libération le 11 janvier 2016 a de son côté suscité de fortes résistances et a finalement suivi la même voie.Cet appel prend acte de la situation de blocage dans laquelle se trouve la gauche. Fragmentée, défaite idéologiquement, démobilisée politiquement, celle-ci risque, selon le texte, de ne pas pouvoir se qualifier pour le second tour de l’élection prési-dentielle. Le levier des primaires apparaît alors comme une réponse à cette impuis-sance. Selon la formule du député signataire EELV Yannick Jadot, les primaires permettraient de « réhabiliter le débat à gauche » et de faire prévaloir la logique des idées et des projets alternatifs sur le seul objectif de réguler la concurrence des candidats. Elles permettraient ainsi de déboucher sur « une coalition de projet et un contrat de gouvernement » qui soit avant tout « un temps d’intelligence collec-tive » – et plus prosaïquement, ne pas laisser LR seul organisateur d’une grande consultation alors même que le PS a inscrit ce principe dans ses statuts.En appelant directement au « peuple de gauche » et à « la gauche d’en bas90 », les signataires de l’appel ont cherché à contourner et à court-circuiter les partis91. Cet essai n’a pas été couronné de succès : si la proposition a dans un premier temps rencontré un certain écho, les arrière-pensées tactiques ont tout de suite entravé la démarche. Résultat : les organisations partisanes sont restées les maîtres du jeu. Le projet des primaires n’a rassemblé pour l’essentiel que les adversaires de François Hollande. Les « frondeurs » socialistes ont ainsi utilisé cette initiative comme un levier pour contester « l’automaticité de la candidature » de François Hollande92. Il s’est agi de contraindre le président, soit à ne pas se représenter, soit à être déjugé par les électeurs. Le PCF – après avoir déclaré par la bouche de son Secrétaire natio-nal « sa porte ouverte » – et EELV – Cécile Duflot a déclaré « pour moi, c’est oui » – ont vite posé leurs conditions à leur participation en réclamant notamment « un socle de valeurs communes » pour finalement, se retirer de la dynamique. Le conseil national du PCF du 15 avril s’est ainsi prononcé contre une candidature de François Hollande : « si le processus des primaires amenait à la candidature de François Hollande, nous n’en serions pas » (Olivier Dartignolles, responsable commu-niste, Le Monde, le 18 avril 2016). De son côté, Jean-Christophe Cambadélis, Premier secrétaire du PS, a posé comme préalable à la participation de son parti la présence de Jean-Luc Mélenchon et dans le même temps a cherché à temporiser le jeu avec les contre-feux de « l’alliance populaire » ou des « cahiers de la prési-dentielle ». La raison en est simple : le calendrier joue pour le dirigeant du PS.

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89. Notons qu’en 2011 la primaire socialiste est aussi celle des radicaux de gauche.90. Libération, le 11 avril 2016.91. Les débats organisés par le bas sont censés mettre les partis « devant leurs responsabilités ».92. Pour Christian Paul, « il n’y a pas d’automaticité dans la candidature du Président » (Libération, 3 février

2016).

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Si les primaires ne sont pas rapidement décidées, elles sont de fait vouées à l’échec puisqu’elles exigent une logistique importante. Plus direct encore, Jean-Luc Mélenchon a refusé de participer à la consultation : « Je n’y serai pas. Supposez que François Hollande soit candidat et l’emporte. Je ne renoncerai pas au point de vue que je défends depuis 2012 » (Le Monde, 13 janvier 2016). Au final, Christophe Borgel, Secrétaire national chargé des élections, peut ainsi déclarer en mai 2016 que « pour le moment, le seul parti qui se bat pour une primaire, c’est le PS » (L’Opinion, 23 mai 2016), et Jean-Christophe Cambadélis, Premier secrétaire du PS, affirmer au mois d’août 2016 que « depuis le début, nous avons milité pour une primaire de toute la gauche. Les écologistes et les communistes l’ont refusée. Ils en portent la responsabilité. Nous allons essayer de faire la primaire de l’unité autant que possible93 ». Pour preuve : le conseil national du PS s’est prononcé le 9 avril 2016 à l’unanimité pour une primaire « sans préalable et sans préjugés » en précisant qu’elle doit donner la possibilité que le président de la République « puisse se présenter s’il le souhaite ». Plus le processus échoue, plus le PS revient sur les réserves qu’il avait initialement exprimées, devenant même l’acteur principal du comité de liaison entre les partis de gauche travaillant à l’organisation de la désignation. Tout se passe comme s’il était impossible de s’opposer aux primaires et à leur caractère démocratique…Résultat : Daniel Cohn Bendit, signataire de l’appel du 11 janvier, déclare : « la primaire à gauche n’est plus possible » (Le Monde, 5 avril 2016). À sa suite, Yannick Jadot, peut le 13 avril 2016 compléter le constat : « soit les partis deviennent des acteurs engagés de ce débat citoyen et prennent en charge l’orga-nisation de cette primaire. Soit ça ne marche pas et on dit que le show a assez duré. On ne peut pas faire semblant de tirer cette dynamique et laisser les partis politiques être gentiment observateurs et flinguer cette affaire94 ».On le voit : pour être viable, la procédure des primaires suppose le partage d’un socle idéologique minimal. Lui seul garantit que les perdants ne se renient pas en se ralliant au gagnant. Or, la polarisation idéologique de la gauche s’est renfor-cée et la proposition d’un périmètre des primaires de « Macron à Mélenchon », répondant aux vœux du Premier secrétaire socialiste, apparaît comme la meil-leure manière de compromettre la démarche. Le projet des primaires achoppe en somme sur les divisions de la gauche et des écologistes qu’elles sont censées surmonter et purger.

Un objet protéiforme. Des entrées multiples sur les primaires 93 94

Les primaires constituent, plus qu’un objet, un ensemble de terrains permet-tant de multiplier les focales d’analyse et d’interroger les transformations de la politique contemporaine. Elles sont à la fois une procédure civique de dési-gnation des candidats, une nouvelle offre de participation, une technologie de sélection, un rituel de légitimation 95, un principe d’organisation politique, une

93. Le Monde, 27 août 2016.94. Libération, le 13 avril 2016.95. Florence Faucher analyse les primaires sous l’angle d’un nouveau rituel de légitimation du leadership,

d’intronisation du candidat, d’unification du parti et insiste sur les mécanismes symboliques que cette

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LLEingénierie du vote partisan, un défi logistique, un évènement médiatique, un

emblème démocratique que se disputent les partis… Elles marquent une exten-sion du domaine des sondages 96, une nouvelle séquence du temps présidentiel, un type inédit de mobilisation électorale ou de campagne… Elles relèvent d’un changement institutionnel qu’elle accentue (la présidentialisation), interrogent les transformations de la démocratie (avènement de la démocratie d’opinion ou du public ? personnalisation mais de quel type 97 ?), font émerger une nouvelle catégorie d’électeurs aux contours indécis (le « sympathisant », produit par et de la procédure). Leur analyse requiert en ce sens la mobilisation conjointe de la sociologie des partis, des institutions, des médias, du comportement électoral, du militantisme, la théorie politique, le droit…

Depuis le choix des procédures visant à garantir l’encadrement – notamment matériel – du scrutin jusqu’aux modes de mobilisation des candidats en lice en passant par la structuration de ses sources de financement ou encore le poids des sondages dans la compétition 98, les questions soulevées par l’organisation pratique de primaires ne manquent pas. Mieux : l’institutionnalisation même de ce principe au sein des partis oblige de fait à penser autrement la politique, au-delà des seules frontières traditionnelles. Ce déplacement du regard a guidé les choix exercés par cet ouvrage. Les approches classiques, développées par la science politique américaine, s’attachent à la mesure du résultat de ces scrutins et de leurs effets. Cet ouvrage collectif entend élargir la réflexion à ce qui a rendu possible la procédure des primaires, leur codification et les transformations qui affectent les modes de fonctionnement et de gouvernement partisans.

Cette nouvelle procédure de désignation oblige d’abord à revenir sur les processus qui en ont conduit à l’adoption – de la pression réformiste à la délé-gitimation des modes de sélection traditionnels. Quand, pourquoi, comment et selon quelles règles les primaires ouvertes ont-elles été adoptées ? Des entre-preneurs de réformes ont-ils joué un rôle particulier dans ce processus d’adop-tion ? Quelle efficacité électorale est prêtée à cette méthode de désignation ? Quels types de controverses ont pu faire naître le choix d’adopter un système de primaires ? Pourquoi des partis de tradition militante en viennent à dépossé-der leurs membres de la fonction partisane traditionnelle de sélection des élites politiques ? Pourquoi les élites dirigeantes se privent-elles (en apparence ?) d’un pouvoir de désignation qu’elles maîtrisaient jusque-là ? Dans ce cadre, Éric Treille, Rémi Lefebvre et Vanessa Jérome reviendront sur les manières avec lesquelles le PS, LR et EELV ont redéfini leurs règles du jeu interne afin d’intégrer ce nouveau standard électoral.

procédure charrie avec elle. Ce rituel crée de la solidarité, de la lisibilité, édifie le camp adverse avant le combat final. Faucher F., « Leadership Elections: What is at Stake for Parties? A Comparison of the British Labour Party and the Parti Socialiste », Parliamentary Affairs, 68 (4), 2014.

96. Lefebvre R., « Les primaires : triomphe de la démocratie d’opinion ? », Pouvoirs, n° 154, 2015, p. 111-123.97. Poguntke T., Webb P., The Presidentialization of Politics: A Comparative Study of Modern Democracies,

Oxford, Oxford University Press, 2005 et Le Bart C., L’Ego-politique. Essai sur l’individualisation du champ politique, Paris, Armand Colin, 2013.

98. Lefebvre R., « Les primaires : triomphe… ? », art. cit.

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Elle nous oblige également à revenir sur l’organisation du scrutin – de la dimension matérielle du vote aux modalités pratiques de la campagne. Comment ont été définies les règles notamment financières encadrant la consultation élec-torale et ses usages ? Que veut dire faire campagne dans un cadre mi-partisan mi-électoral ? En quoi les primaires peuvent-elles être source d’innovation poli-tique, notamment dans le domaine des techniques de mobilisations électorales ? De quelles manières les primaires peuvent-elles renouveler les relations entre les organisations partisanes et les médias ? Les programmes des partis sont-ils solubles dans ce nouveau processus, plus individualisé 99, de production de l’offre politique ? Romain Rambaud, Éric Treille, Rémi Lefebvre, Rafael Cos et Anaïs Theviot reviendront sur l’impact financier de la mobilisation notamment lors des élections municipales qui se sont tenues à Marseille, sur la transformation du statut du sympathisant, sur l’impact médiatique des primaires socialistes de 2011, sur la production des programmes de campagne des candidats socialistes et sur les stratégies de gestion de données d’Alain Juppé.

Elle nous oblige enfin à revenir sur l’élection elle-même et la diffusion de la procédure au niveau local. Qui sont les participants aux primaires ? Est-ce que la sociologie électorale des votants diffère de celle des adhérents de partis ? En quoi l’étude des primaires peut-elle enrichir la sociologie électo-rale ? Quelle a été la diffusion des primaires au niveau local ? Laurent Olivier, Julien Audemard, David Gouard, Pierre Mongaux et Rémi Lefebvre revien-dront sur l’organisation des primaires socialistes de 2011 dans le département de Meurthe-et-Moselle, dans les villes de Montpellier et d’Amiens et lors des élections municipales de 2014.

Les contributions qui suivent apportent ainsi des éclairages sur les diffé-rentes facettes de l’exercice des primaires. Des variables communes se dégagent cependant : dans un contexte de discrédit de l’autorité et d’affaiblissement mili-tant des partis, le recours aux primaires ouvertes apparaît aujourd’hui comme le moyen mobilisé par les organisations politiques pour réguler leurs divisions internes, produire un leadership, légitimer électoralement le candidat dési-gné et donner une image plus démocratique. Ces travaux rappellent aussi que le processus engagé en 2011 n’est en rien mécanique. Des règles nationales peuvent très bien ne pas trouver de traductions locales, notamment lors des élections municipales. Une démarche, même inscrite dans des statuts, peut être jugée un temps « peu probable 100 » par le Premier secrétaire du PS puis, contre toute attente, être traduite en actes. Un candidat – surtout s’il est président sortant – peut refuser de s’y soumettre pour finalement en accepter – à ses conditions cependant – le principe. L’initiateur des primaires de 2011, Arnaud Montebourg, peut se déclarer candidat à l’élection présidentielle de 2017 tout en se gardant de dire s’il passera ou non par la consultation organisée par le PS. Un ministre de l’économie dans le passé très proche conseiller de François

99. Le Bart C., L’Ego-politique. Essai sur l’individualisation du champ politique, op. cit.100. Europe 1, 11 janvier 2016.

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LLEHollande, Emmanuel Macron, peut démissionner de son poste pour se consa-

crer entièrement à son mouvement « En marche » et affirmer sa volonté de s’éloigner des « jeux tactiques et d’appareils 101 ». Ces débats qui traversent le PS et plus largement l’ensemble de la gauche le soulignent ainsi avec force : la « primarisation de la vie politique française » a une histoire qui ne suit en rien un cheminement évolutionniste.

En effet, le succès des primaires ne doit pas masquer l’essentiel : ce nouveau rituel électoral est devenu une figure centrale du jeu politique français dans une dialectique d’attraction et de répulsion. Entrées par « infraction 102 » dans le système partisan et dans un mouvement plus large de rénovation des pratiques politiques, les primaires se sont imposées comme une procédure de désignation désormais obligée sous peine d’élimination des candidats isolés et des mouvements récalcitrants. Les partis qui s’y refusent se font ainsi rares, même si les formations qui ont intégré cette nouvelle règle du jeu n’en ont pas mesuré toutes les conséquences sur leur organisation interne et l’ont souvent accepté avec résignation ou de manière subie. De fait, l’inscription des primaires au sein des formations politiques françaises ne saurait se réduire au seul apprentissage d’une innovation démocratique d’origine nord-américaine ou à la mise en œuvre d’un nouveau laboratoire civique. Elle peut aussi se vivre comme un « mal nécessaire 103 » auquel les partis ont dû s’accoutumer, souvent au terme d’affrontements ou de négociations et ce, de manière non linéaire. LR vit ainsi à son rythme depuis plus de deux ans, au risque d’une dévitalisation de son fonctionnement interne et d’une multiplication des micro-partis en son sein. Le PCF dont ce n’est pas la « culture » a surpris l’ensemble des formations partisanes en annonçant qu’il souhaitait ouvrir sa « porte » à une participation au projet porté par le journal Libération. Favorable dans un premier temps à la tenue d’une « primaire des gauches et des écologistes », EELV a décidé, suite à l’échec de l’initiative et au retrait de Nicolas Hulot, d’organiser ses propres primaires, ouvertes à des personnalités externes au parti. Le PS, pourtant l’inventeur de ce mouvement en 2011, a tout fait pour contrecarrer ces demandes afin de « protéger » le président de la République pour finalement annoncer par surprise, une fois l’échec de l’initiative portée par le journal Libération constaté, l’organisation d’une procédure sur-mesure à la fois tardive – les 22 et 29 janvier 2017 – et réduite à la seule « Belle Alliance populaire 104 ». Ce sont les enseignements des investigations empiriques proposées par cet ouvrage : la machinerie politique et l’ingénierie électorale qui donnent le visage des primaires représentent plus qu’une solution procédurale. Elles consacrent des pratiques, des usages et des savoir-faire qui affectent de manière nouvelle

101. Déclaration d’Emmanuel Macron à Bercy le mardi 30 août 2016 lors de l’annonce de sa démission du gouvernement.

102. Selon la formule de Matthias Fekl, in Pouvoirs, n° 154, 2015.103. Libération, 13 avril 2016.104. Cette alliance regroupe le PS, le Parti radical de gauche (PRG) et l’Union des démocrates et des écolo-

gistes (UDE).

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les façons d’élire et de se faire élire. Elles invitent également à une extension de la démocratie représentative à des terrains politiques inédits. Elles redéfinissent enfin durablement le rôle même des partis dans l’espace public français, au-delà du strict cadre défini par la Constitution de la Ve République.

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