14
Introduction Le choix d’étudier la formation d’une filière industrielle s’est effectué en lien avec le contexte économique actuel. Depuis les années 1990 les activités, liées à la transformation du bois, l’exploitation des forêts, pourtant anciennes, sont redécouvertes par les décideurs politiques et économiques et suscitent un regain d’intérêt. Dans un contexte économique difficile marqué par la perte de nombreux emplois industriels, ces activités sont souvent estimées et présentées comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois, grâce à la création et au développement de nouveaux produits de consomma- tion à partir du bois. Une image revalorisée du travail du bois Événements certes symboliques mais significatifs, le président de la République, Nicolas Sarkozy s’est rendu à deux reprises dans le massif vosgien, en 2008 et en 2009, pour mettre en avant les atouts de la filière bois et manifester l’intérêt de l’État pour ses activités1. Depuis les années 1970, plusieurs rapports ont été 1. Nicolas Sarkozy se rend le 18 décembre 2008 dans la cité vosgienne de Darney. Cette visite est placée sous le thème de la ruralité et de l’aménagement des territoires, mais le président affirme sa volonté de relancer la filière bois. L’Est Républicain, 18 décembre 2008. Le 19 mai 2009, il fait la visite de la scierie Siat-Braun à Urmatt en Alsace et dans son discours explique la mise en place d’un plan de soutien du développement de la filière bois (création d’un fonds stratégique d’investissement exclusivement dédié à la filière, développement de l’utilisation du bois pour la production d’énergie ainsi que pour le secteur de la construction). www.scieurs-alsace.com, site du Syndicat Régional des Scieurs et Exploitants Forestiers d’Alsace. La forêt des Vosges – Éric Tisserand ISBN 978-2-86906-663-2 — Presses universitaires de Rennes, 2018, www.pur-editions.fr

Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

Introduction

Le choix d’étudier la formation d’une filière industrielle s’est effectué en lien avec le contexte économique actuel. Depuis les années 1990 les activités, liées à la transformation du bois, l’exploitation des forêts, pourtant anciennes, sont redécouvertes par les décideurs politiques et économiques et suscitent un regain d’intérêt. Dans un contexte économique difficile marqué par la perte de nombreux emplois industriels, ces activités sont souvent estimées et présentées comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois, grâce à la création et au développement de nouveaux produits de consomma-tion à partir du bois.

Une image revalorisée du travail du boisÉvénements certes symboliques mais significatifs, le président de la République, Nicolas Sarkozy s’est rendu à deux reprises dans le massif vosgien, en 2008 et en 2009, pour mettre en avant les atouts de la filière bois et manifester l’intérêt de l’État pour ses activités1. Depuis les années 1970, plusieurs rapports ont été

1. Nicolas Sarkozy se rend le 18 décembre 2008 dans la cité vosgienne de Darney. Cette visite est placée sous le thème de la ruralité et de l’aménagement des territoires, mais le président affirme sa volonté de relancer la filière bois. L’Est Républicain, 18 décembre 2008. Le 19 mai 2009, il fait la visite de la scierie Siat-Braun à Urmatt en Alsace et dans son discours explique la mise en place d’un plan de soutien du développement de la filière bois (création d’un fonds stratégique d’investissement exclusivement dédié à la filière, développement de l’utilisation du bois pour la production d’énergie ainsi que pour le secteur de la construction). www.scieurs-alsace.com, site du Syndicat Régional des Scieurs et Exploitants Forestiers d’Alsace.

La foret des Vosges.indb 17 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr

Page 2: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

18• la forêt des vosges. naissance d’une filière industrielle au xixe siècle

rédigés pour faire le point sur les ressources forestières du pays et mesurer les possibilités de développement qu’elles pouvaient procurer. Et durant la der-nière décennie, trois nouvelles études sont commanditées par les responsables politiques, celles de Jean-Louis Bianco en 1998, de Dominique Juillot en 2003 et de Jean Puech en 20092. Toutes mettent en avant plusieurs thèmes récurrents :

– Une meilleure exploitation des ressources forestières du pays est possible et doit conduire à une augmentation en volume des récoltes annuelles en forêts publiques et privées3.

– Il faut favoriser le développement de l’usage du bois comme source d’éner-gie et lui redonner sa place comme matériau de construction4.

– Le développement des nouveaux secteurs (énergie, construction…) ainsi que des activités liées aux nouveaux usages des espaces forestiers (loisirs, aménagement et protection…) devraient créer plusieurs milliers d’emplois5.

L’ensemble des mesures préconisées par ces rapports s’inscrivent également dans une politique d’environnement et de développement durable ou soute-nable : un meilleur usage du bois, présenté comme un éco-matériau et une source d’énergie renouvelable, permettrait notamment de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Tous ces aspects ont fait également l’objet d’une large réflexion lors des Assises de la forêt qui se sont tenues en novembre 2007. Parmi les principales conclusions, on retrouve l’objectif d’augmenter l’exploitation

2. Pour mémoire, rappelons les rapports de Jouvenel de 1977, de Méo-Bétolaud de 1978 et de Duroure de 1982. Les trois derniers sont : La forêt : une chance pour la France, rapport de M. Jean-Louis Bianco au Premier ministre Lionel Jospin, 25 août 1998 ; La filière bois française. La compéti-tivité, enjeu du développement durable, rapport du député Dominique Juillot au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, 17 juin 2003 ; Mise en valeur de la forêt française et développement de la filière bois, rapport de Jean Puech au Président de la République Nicolas Sarkozy, 6 avril 2009.3. Pour Jean-Louis Bianco, il faut récolter 4 millions de m3 supplémentaires en forêts publiques et 2 millions de m3 en forêts privées. Jean Puech propose une révision complète des conditions d’exploitations pour récolter plus et mieux protéger les espaces forestiers ; il prévoit de passer à une récolte de 12 millions de m3 en 2012 à 21 millions de m3 en 2020.4. Le rapport Bianco préconisait un plan bois-matériau pour favoriser l’utilisation du bois comme matériau de construction. Dominique Juillot proposait de faire passer de 10 % à 12,5 % la part du bois en valeur dans les matières consommées pour le bâtiment ; objectif qui avait été prévu par la charte Bois construction environnement signée en mars 2001. Jean Puech reprend cet objectif et s’appuie également sur la loi sur l’air de mars 2005 qui impose une incorporation de bois dans les constructions neuves à hauteur de 2 dm3/m2 ; l’ancien ministre propose de faire passer cette norme à 20 dm3/m2. Il préconise également entre autres mesures, la création d’un label bâtiment « biomatériau », des déductions fiscales pour la pose des parquets et des lambris, un encouragement à l’isolation extérieure des bâtiments en utilisant du bois…5. Le rapport Bianco estimait que l’on pouvait créer 100 000 emplois. Le rapport Puech parle de la création de 30 000 à 80 000 emplois supplémentaires, venant s’ajouter aux 45 000 emplois exis-tants.

La foret des Vosges.indb 18 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr

Page 3: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

introduction •19

forestière en mobilisant 12 millions de m3 supplémentaires dans les cinq ans à venir et la création de 40 000 emplois supplémentaires « ancrés dans les territoires »6. Celles-ci s’appuient sur le rapport présenté à cette occasion et intitulé Pour mobiliser la ressource de la forêt française qui estime que les forêts françaises sont sous exploitées et préconise le doublement de la récolte com-mercialisée actuelle (soit environ à 50 millions de m3) d’ici 10 ans7.

Les ambitions affichées dans ces rapports publics sont cependant en contra-diction avec les capacités réelles de la filière. Concernant, le bois énergie, Andrée Corvol fait remarquer que les prévisions de consommations envisagées par le Grenelle de l’environnement supposeraient un effort de mobilisation considé-rable pour accroître l’exploitation forestière, soit un prélèvement supplémen-taire de 30 millions de m3 entre 2005 et 2020 qui ne pourra probablement pas être atteint8.

Si l’expression de filière bois peut paraître simple et se trouve couramment employée, elle cache donc une situation assez complexe, car elle regroupe un ensemble d’activités fort diversifiées, allant de l’exploitation forestière aux activités dites de première et seconde transformation du bois (travail du bois, meuble, industrie papetière), et incluant également celles assurant la commer-cialisation des produits. L’expression filière forêt-bois9 est également utilisée pour souligner l’importance des activités en amont et rappeler que ces indus-tries utilisent un espace particulier, celui des forêts, dont les enjeux ne sont pas uniquement économiques mais aussi environnementaux et sociaux, ce qui renforce d’ailleurs le caractère complexe du fonctionnement et de l’organisa-tion de cette filière.

6. Michel Barnier, ministre de l’Agriculture et de la Pêche a lancé les Assises de la forêt, le 21 no-vembre 2007, lors du Conseil supérieur de la forêt, des produits forestiers et de la transformation du bois. Ces assises réunissent l’ensemble des acteurs de la filière forêt-bois (plus de 120 personnalités) pour réfléchir aux moyens de renforcer la production forestière en s’inscrivant dans une gestion durable, prenant en compte la biodiversité forestière et la gestion des risques. agriculture.gouv.fr/les-asises-de-la-forêt.7. Ce rapport est réalisé, en octobre 2007, par le conseil général de l’agriculture, de l’alimenta-tion et des espaces ruraux, sous la direction de Jean-Marie Ballu, ingénieur général du Génie rural des Eaux et des Forêts. agriculture.gouv.fr/les-asises-de-la-forêt.8. Andrée Corvol, Les usages ligneux de la forêt, Journée d’Études Forêt, Environnement et Société, XVIe-XXe siècle, IHCM, Paris, École normale supérieure, janvier 2012, IHCM-CNRS, Cahier d’Études no 23, 2013, p. 5.9. L’expression est employée dans le rapport Juillot, lors également des Assises de la forêt et dans le rapport Puech.

La foret des Vosges.indb 19 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr

Page 4: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

20• la forêt des vosges. naissance d’une filière industrielle au xixe siècle

La situation actuelle de la filière bois en France

La filière emploie actuellement environ 173 000 salariés et réalise 33 milliards d’euros de chiffre d’affaires10. Un artisanat important complète ses capacités avec 58 000 salariés et un chiffre d’affaires de 7 milliards d’euros. Elle a cepen-dant perdu 25 000 emplois, sur la période 2000-2008, hémorragie qui est due au ralentissement de l’activité dans l’industrie papetière (− 15 000 emplois) et dans celle du meuble (– 10 000 emplois).

Les industries du travail du bois rassemblent les secteurs des scieries, des panneaux, des menuiseries-charpentes, de l’emballage et autres objets en bois et en liège. Composées de 870 entreprises de 20 salariés ou plus, elles emploient 58 000 salariés. Depuis les années 2000, ces activités connaissent un essor sou-tenu, excepté pour les articles divers en bois et les objets en liège, dont la pro-duction se contracte fortement. Cet essor est nourri par l’augmentation des constructions de logements collectifs et individuels et par un engouement pour la maison à ossature bois. Le groupe des industries charpentes-menuiseries a ainsi augmenté leurs effectifs de 7 % et leur chiffre d’affaires de 25 % sur la période 2000-2008. Dans ce premier ensemble industriel, les petites entre-prises, souvent d’origines familiales prédominent. C’est le cas notamment pour les scieries, qui sont plus de 2000 et dont 93 % emploient moins de 20 salariés ; seule une dizaine compte un effectif supérieur à 100 salariés11. Elles réalisent une production de 10 millions de m3 par an, mais seules 300 peuvent être consi-dérées comme de véritables unités industrielles, assurant 85 % de la produc-tion, et une trentaine d’entre elles, sont de « dimension internationale », en réalisant une production de 500 000 à 800 000 m3/an. Globalement ce secteur

10. Pour cette présentation, nous utilisons :– Le bois en chiffres, production industrielle (hors série), chiffres clés, Insee, édition 2008.– Le meuble en chiffres, production industrielle (hors série), chiffres clés, Insee, édition 2008.– L’industrie papetière en chiffres, production industrielle (hors série), chiffres clés, Insee, édition 2008.– L’avenir de la filière bois française. Des opportunités !, rapport du Haut conseil de la coopération agricole, septembre 2008.– Les rapports Bianco, Puech op. cit.11. Elles étaient au nombre de 2 106 en 2005 et 2 050 en 2009. On distingue trois groupes de scieries en fonction de leurs capacités de production : les scieries artisanales qui débitent moins de 2 000 m3 de bois par an, celles-ci représentent 58 % des effectifs et réalisent 8 % de la production (chiffres de 2005) ; les scieries semi-industrielles avec une production de plus de 2 000 m3 et infé-rieure à 6 000 m3, elles représentent 24 % des effectifs et 18 % de la production ; les scieries indus-trielles, avec une production supérieure à 6 000 m3 par an, elles représentent 18 % des effectifs et 74 % de la production.

La foret des Vosges.indb 20 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr

Page 5: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

introduction •21

est fortement concurrencé, avec une production qui stagne depuis trente ans, alors que celle des pays voisins européens continue à progresser, notamment en Suède, en Finlande, en Allemagne et en Autriche12. Les productions de sciage entre feuillus et résineux sont largement déséquilibrées au profit des seconds : pour exemple, en 2006, la production en feuillus atteint 1,8 million de m3 contre 8 millions de m3 pour les résineux.

L’industrie des panneaux se démarque par une atomisation moins pronon-cée, avec une taille moyenne des entreprises à 125 salariés. Elle se subdivise en trois secteurs : les panneaux de particules, les panneaux MDF (fibres moyen-nement densifiées) et les contreplaqués, qui ont connu des difficultés, car la fai-blesse de la demande européenne au début des années 2000 a déséquilibré l’offre et la demande, entraînant une surproduction et une baisse des prix. Ceci s’est accompagné d’une hausse des coûts de production, provoquée par une envolée des prix concernant les bois de trituration, des colles et de différents composants chimiques utilisés par ces secteurs. Cette situation de surproduction semble être surmontée cependant depuis 2005. La production de panneaux de particules est prédominante, représentant les deux tiers des fabrications réalisées13.

L’industrie du meuble présente des caractéristiques similaires à celle du travail du bois. Comprenant 580 entreprises de 20 salariés ou plus, elle mobilise 52 000 salariés dans une majorité de petites unités de production. Une entre-prise sur deux compte moins de 50 salariés. Elle réalise un chiffre d’affaires de 4,2 milliards d’euros. Cette industrie est en difficulté, bien que la consomma-tion des ménages en meubles se soit accrue durant les années 2000, car elle ne parvient pas à faire face à une très forte concurrence à l’échelle européenne (Italie, Pologne…) et mondiale avec la percée de la Chine, devenue le premier pro-ducteur et le premier exportateur de meubles. Les entreprises qui rencontrent les plus graves difficultés sont les fabricants de sièges, dont la fabrication se décompose en deux secteurs : le fauteuil et le canapé, appelé communément le « rembourré » et la chaise. Le secteur des meubles meublants14 est également en crise avec une chute des ventes des meubles traditionnels délaissés par les consommateurs. Seuls, les fabrications pour hôtellerie et collectivités et celles concernant le meuble en kit connaissent une progression. En compensation, la production de meubles de cuisine se maintient à un niveau élevé et cette branche

12. Maurice Chalayer, L’avenir de la scierie française, L’Harmattan, Paris, 2007, p. 14-17.13. En 2006, la production totale de panneaux atteignait 6 millions de m3 dont 74 % correspon-daient à des panneaux de particules, 19 % à des panneaux MDF et 7 % à des contreplaqués.14. Par cette expression, on désigne à la fois les meubles de salle à manger, salon (table, buffet, bibliothèque, living, etc.) et ceux de chambre à coucher (lit, armoire, dressing…).

La foret des Vosges.indb 21 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr

Page 6: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

22• la forêt des vosges. naissance d’une filière industrielle au xixe siècle

constitue un des moteurs de l’industrie du meuble. Il se distingue par une impor-tante concentration des acteurs qui s’oppose à l’atomisation rencontrée dans les autres activités. La taille des entreprises y est plus élevée avec 133 personnes contre 90 en moyenne dans le meuble. Les possibilités de développement sont encore importantes, puisque le taux d’équipement des ménages pour ce type de produits était seulement de 58 % en 2006, mais la concurrence européenne est également forte, notamment en provenance de l’Allemagne, qui est le premier producteur européen de cuisine. Le mobilier professionnel, regroupant deux pôles de fabrication, l’un orienté dans le mobilier de bureau (meubles et sièges) et l’autre dans celui des magasins (agencement des boutiques) est également un secteur porteur, mais tous les produits réalisés ne sont pas uniquement en bois, mais en métal, notamment pour le secteur du mobilier de magasin, qui a connu une forte progression sur la dernière décennie.

L’industrie papetière ne peut être intégrée en partie dans la filière bois, que pour ses activités de fabrication de pâte à papier et de papier-carton à partir de fibres ligneuses. Elle représente 24 000 salariés et génère un chiffre d’af-faires de 7,7 milliards d’euros. Ce secteur de production utilise pour 70 % de ses approvisionnements en bois, des sous-produits de la forêt française (cimes des arbres, taillis et bois d’éclaircies). Le reste de ses approvisionnements pro-vient des déchets produits par les scieries. Mais le bois utilisé ne représente que 40 % de la matière employée pour la fabrication, le reste étant constitué de papiers et cartons récupérés et recyclés. Réparties dans trois régions prin-cipales (Rhône-Alpes, Lorraine et Aquitaine), les entreprises font partie de grands groupes industriels, dont les deux tiers sont contrôlés par des capitaux étrangers. Les années 2000 ont été marquées par de sérieuses difficultés pour ce secteur, confronté dans le même temps à la faiblesse de la demande et à un renchérissement de ses coûts de production. En effet, les prix du bois, de la pâte à papier et du papier récupéré se sont envolés, ainsi que celui des prix de l’amidon et des produits chimiques, entrant largement dans la composition des pâtes. De plus, cette « industrie énergivore » a souffert de la hausse des prix des combustibles fossiles et de l’électricité. La nécessité de mieux adapter l’offre à la demande a obligé ces entreprises à se restructurer et à fermer des unités de production. À partir de 2006, le marché a commencé à se rééquilibrer et les entreprises ont réalisé au cours de cette année une production de pâte à papier de 2,4 millions de tonnes et pour les papiers de 10 millions de tonnes15.

15. On distingue quatre principales familles de papiers et cartons :– les papiers à usage graphique : papiers journaux et papiers impression écriture (papiers à usage bureautique, livres, magazines, etc.) ;

La foret des Vosges.indb 22 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr

Page 7: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

introduction •23

La filière consomme ainsi, pour ses différentes activités, plusieurs catégories de bois. Les bois d’œuvre sont des bois de catégories supérieures, issus pour l’essentiel des parties inférieures des fûts de beaux arbres. Ils sont destinés au sciage de bois de charpente ou bien de plots pour la menuiserie et pour toutes les activités de production qui en dépendent (aménagements, meubles…). Les bois d’industrie regroupent ceux de qualité inférieure, à cause de leur petit dia-mètre, de la présence de certains défauts (absence de rectitude, nœuds, fente, altérations…). Ils sont destinés aux industries de trituration (production de panneaux, de lamellés-collés, pâte à papier…). Le développement du secteur bois énergie donne de nouvelles possibilités d’exploiter des bois de faibles qua-lités (coupes d’éclaircie forestière non commerciales, taillis à courte rotation, branchages…) mais aussi d’écouler et de valoriser les déchets issus des autres activités de la filière (sciures, écorces, dosses, délignures…) ainsi que les pro-duits de fin de vie (palettes usagées, vieux meubles…). Les produits proposés par ce secteur vont de la bûche aux pellets (granulés pour les particuliers) et aux plaquettes pour les collectivités et les industries.

La filière n’est pas cependant en mesure de répondre à toutes les consom-mations. Le déficit commercial en produits ligneux reste un problème récur-rent : en 2013, il atteint ainsi plus de 6 300 millions d’euros avec le monde, dont 5 400 millions avec les pays de l’Union européenne ; le déficit est parti-culièrement inquiétant pour les produits d’ameublement (meubles de bureau, de magasin, de cuisine et sièges) et du travail du bois (sciage, bois profilés, placages et panneaux, parquets, charpentes et menuiseries). Augmenter la récolte annuelle en bois n’est donc pas la seule solution, il faut également que la filière soit en mesure de mieux développer ses activités de transformation, et d’intégrer davantage les technologies nouvelles de production16.

Malgré ses déficiences structurelles et ses difficultés en compétitivité, la filière est bien aujourd’hui une réalité et se constitue de nombreuses branches et sous branches. Une filière aussi diversifiée ne s’est pas constituée en quelques années et on souligne souvent aujourd’hui son ancienneté, au moment où l’on cherche à la valoriser. Nous avons souhaité nous interroger sur sa formation, en remontant au XIXe siècle, période où se sont constitués les grands secteurs

– les papiers d’emballage et de conditionnement : papiers pour ondulé, emballage souple (sacs à ciment, pour boulangerie, etc.) et carton plat (liquides alimentaires…) ;– les papiers à usage domestique et sanitaire (essuie-tout, serviettes de table…) ;– les papiers à usage industriel et papiers spéciaux (filtres, papier photographique…).16. Notamment pour la fabrication de produits complexes issus du collage pour les usages en structure (poutres en 1, murs préfabriqués) et en menuiserie (lamellés collés aboutés). Andrée Corvol, Les usages ligneux de la forêt…, op. cit., p. 5-6.

La foret des Vosges.indb 23 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr

Page 8: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

24• la forêt des vosges. naissance d’une filière industrielle au xixe siècle

de l’industrie française, grâce à des mutations progressives et plus ou moins rapides des activités de fabrication17. Cette filière s’est-elle constituée vérita-blement à cette période et selon quelles modalités ? En quoi son organisation actuelle est-elle un héritage de transformations plus anciennes ? Ces ques-tions, qui peuvent être posées pour toute autre activité, prennent ici une autre dimension, dans la mesure, où l’on sait que le travail du bois n’apparaît pas au XIXe siècle, mais est déjà très présent aux périodes plus anciennes, notam-ment du Moyen Âge et davantage encore de la période moderne. Il y a donc permanence et continuité avec les siècles précédents, pour ces activités qui entrent désormais dans l’ère industrielle. Les activités du bois ont-elles parti-cipé à l’essor industriel du XIXe siècle ? Et si c’est le cas, quelle place ont-elles occupé dans ce processus ? Autrement dit, notre tentative pour répondre à ces interrogations doit permettre de mieux cerner le rôle de ce secteur dans l’évolu-tion des activités économiques, car il est souvent présenté comme traditionnel, qui est resté longtemps à l’écart de l’avancée des techniques et du travail. En privilégiant l’étude de la formation et de la construction de cette filière, nous menons cette analyse sur l’ensemble du XIXe siècle, de la révolution jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. Mais nous avons choisi de mener cette réflexion, non à l’échelle nationale, mais à celle du département des Vosges, car sa filière bois actuelle est très développée et son organisation reflète assez bien celle observée pour l’ensemble du territoire français.

La filière bois dans le département des VosgesLa filière vosgienne présente en effet un grand nombre des caractéristiques de la filière nationale : tous les secteurs de production y sont implantés (travail du bois, meubles, papeterie, bois énergie) ; le tissu des entreprises comporte également de fortes disparités, avec des secteurs d’activité fortement atomisés (scieries, construction) et d’autres plus concentrés, contrôlés par de grands groupes (papeterie, meubles en partie), ainsi qu’une très grande variété de la taille des entreprises ; la situation de cette filière reste contrastée, combinant des résultats performants et prometteurs (construction à ossature bois, meubles

17. De nombreux travaux historiques ont montré que ces transformations ne permettent pas toujours d’employer le terme de révolution industrielle, car elles se firent parfois sur de longues périodes et par étapes, avec le maintien parfois d’activités proto-industrielles durant tout le XIXe siècle. Voir à ce sujet, notamment les synthèses : Maurice Lévy-Boyer, sous la direction de, Histoire de la France industrielle, Larousse Bordas, 1996, 550 p. ; François Caron, Histoire économique de la France, Armand Colin, 1999, 452 p. ; Patrick Verley, L’échelle du monde. Essai sur l’industria-lisation de l’Occident, Gallimard, 2013, 935 p.

La foret des Vosges.indb 24 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr

Page 9: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

introduction •25

haut de gamme) et des handicaps avec des activités en difficultés (papeterie, meubles traditionnels…), qui luttent difficilement contre une concurrence nationale et internationale.

L’implantation de cette filière18 s’explique par l’importance des ressources forestières départementale. Les forêts couvrent 48 % de sa surface19, soit 280 000 hectares, qui appartiennent pour 46 % aux communes, 35 % à des propriétaires privées et 20 % à l’État. Globalement, la récolte de bois dans les Vosges dépasse le million de m3 par an, composée de 60 % de résineux et de 40 % de feuillus : en 2013, cette production se répartissait pour 71,5 % de bois d’œuvre, 20,9 % de bois d’industrie et de trituration et 7,6 % de bois énergie20.

Graphique 1. Les caractéristiques actuelles des forêts départementales des Vosges.

Source : Insee, 2013. Réalisation : É. Tisserand.

18. Pour la présentation de cette filière, nous nous appuyons sur : Économie lorraine, no 158-159, publication de l’Insee, février 2009. Trois études sont proposées sur les thèmes : – de la forêt, Denis Parmentelot, Un des premiers départements forestiers de France ;– des activités industrielles, Marie-Paule Tourte-Trolue, Jean-François Lechaudel, Une industrie dynamique dans un contexte de mutations économiques ;– et une synthèse, Mireille Florémont, Vosges : Inventer de nouvelles voies économiques pour contrer le déclin industriel et fixer la population.19. La zone de montagne, située dans la partie orientale, est très boisée ( 60 % de la surface dépar-tementale), alors que dans la zone de plaine, située à l’ouest, le taux de boisement est plus faible (30 % de la surface). On constate également un déséquilibre pour la répartition des essences : les résineux sont concentrés également à l’est contrairement aux feuillus.20. La récolte de bois et l’activité des scieries en 2013, publication de Agreste Lorraine, direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, février 2015.

La foret des Vosges.indb 25 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr

Page 10: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

26• la forêt des vosges. naissance d’une filière industrielle au xixe siècle

Les productions de sciage, suivant la tendance nationale, ont fortement diminué, celles de résineux sont les plus touchées par cette baisse depuis 2006. En 2009, le département a réalisé une production de 366 932 m3 de sciages, soit 55 % de la production lorraine21. La filière vosgienne réalise des produits très variés : bois de construction, charpente, productions spécialisées, comme les carrelets lamellés-collés, moulures de bâtiment, parquets, poteaux élec-triques et téléphoniques, tonnellerie, mobilier urbain, construction bois, habi-tat léger et de loisirs, emballage… Selon l’Insee, ses effectifs se répartissent entre 1 055 salariés dans l’exploitation forestière, 1 938 dans le sciage et le travail du bois, 2 142 dans le secteur de l’ameublement, soit également 631 entreprises sur les 1 907 présentes en Lorraine. 400 salariés travaillent également dans 13 entreprises qui se sont spécialisées dans la fabrication de chalets. Le secteur de la papeterie est doté de plus d’une dizaine d’unités de production, emploie 3 750 salariés et produit annuellement 1,3 million de tonnes de papier. Au total, la filière mobilise un peu plus de 10 000 salariés. En termes d’effectifs, il s’agit du quatrième secteur d’activité, après ceux de la transformation des métaux, du bâtiment et travaux publics, et du textile/habillement. C’est dans ce dépar-tement lorrain, qu’elle mobilise le plus d’emplois industriels : 28 %, contre 25 % dans la Meuse, 10 % en Meurthe-et-Moselle et 7 % en Moselle22.

Longtemps mises en retrait, ces activités s’imposent à nouveau en secteur d’avenir, pouvant créer encore des emplois, notamment dans la partie orientale du département, où l’activité textile s’est effondrée tandis que d’autres indus-tries sont à leur tour en difficulté23. On retrouve ainsi les thèmes nationaux déjà évoqués, dans les analyses et les propositions faites en matière économique pour la Lorraine et les Vosges : en 2008, la nouvelle assemblée régionale entendait relancer les secteurs industriels et notamment la filière bois24 ; en février 2011, le Conseil économique et social de la région estimait que cette filière était insuffi-samment organisée, exportant notamment trop de bois bruts et peu de produits

21. Idem. Cette production se répartit de la manière suivante : sciages feuillus 66 306 m3 (soit 18 % du volume total), sciages résineux 293 410 m3 (constitués à 94 % de sapin et épicéa et représen-tant 80 % du volume total), merrains 5 264 m3 (1,4 % du volume total), bois sous rail 1 962 m3 (0,6 % du volume total).22. « Industrie du bois », www.vosges.fr, site du Conseil départemental ; Le nombre de salariés exact est 10 343 salariés. Pierre-Yves Berrard et Noël Spitz, « Emplois et entreprises du bois en Lorraine : une filière bien implantée », Économie lorraine, no 277, février 2012.23. Économie lorraine, no 158-159, publication de l’Insee, février 2009. Le secteur industriel vos-gien qui employait 46 000 personnes en 2000 a perdu 10 000 emplois entre 2000 et 2007. L’hémor-ragie a particulièrement touché le textile qui a perdu 2 400 emplois, sur la même période, soit 42 % de ses effectifs.24. « L’industrie doit changer son image ! », La Liberté de l’Est, 19 avril 2008.

La foret des Vosges.indb 26 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr

Page 11: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

introduction •27

transformés ; mais le secteur au potentiel important, selon cette instance, pour-rait créer 10 000 emplois sur une décennie25. Dans le département des Vosges, ces activités font également l’objet d’une nouvelle attention : celles existantes revalorisent leur image, avec le soutien du conseil général, en mettant en avant la qualité de leurs produits et leurs savoir-faire : le secteur du sciage qui comprend un grand nombre de petites unités26 se mobilise pour mieux s’organiser, avec l’appui de plusieurs organismes départementaux et régionaux27 ; les scieries de résineux se sont notamment associées pour mettre en place un label de fabri-cation « Sélection Vosges » depuis 1988 ; de même le secteur de l’ameublement participe à un pôle lorrain ameublement bois (PLAB)28.

La création du pôle de compétitivité Fibres Grand Est, installé à Épinal depuis 2005, a également pour but de renforcer les performances des industries du papier-carton, du bois et du textile29.

Dans le même temps, le développement de la filière se poursuit, notamment par des projets d’implantation de nouvelles activités : en 2007, l’entreprise Ossabois, groupe de construction de maisons à ossature bois, reprend le site de production Seb sur la commune du Syndicat et réemploie une partie du per-sonnel licencié, qui se reconvertit et passe ainsi de la production « du grille-pain à la maison en bois30 ». Cependant cette nouvelle stratégie du bois a ses limites, comme l’ont montré les difficultés du secteur de l’ameublement et la perte de 450 emplois entre 2009 et 201131. Sur le modèle du secteur textile qui a périclité,

25. « Bois : une filière à réchauffer », Vosges Matin, 26 février 2011.26. En 2008, le département comptait 75 scieries dont 63 réalisent une production de moins de 10 000 m3/an ; seules 4 réalisent une production de plus de 20 000 m3/an. Elles emploient en moyenne 7 salariés. Action scieurs, publication du centre des techniques et innovation de la filière artisanale bois (CeTIFAB), mars 2011.27. Le centre des techniques et innovation de la filière artisanale bois (CeTIFAB) et le centre régio-nal de l’innovation et du transfert de technologie pour les industries du bois (CRITT-Bois). À l’échelle régionale, le groupe interprofessionnel de promotion de l’économie du bois en Lorraine (GIBEPLOR). Voir à ce sujet leur site internet, très documenté sur la filière bois lorraine : www.gibeplor.com. Il y a également une chambre patronale des exploitants forestiers et scieurs des Vosges.28. Ce pôle rassemble 90 entreprises en Lorraine. En revanche, le projet de la communauté de communes du Pays de Neufchâteau pour créer un pôle vosgien d’excellence de l’ameublement dans l’ouest du département a été abandonné. « Le pôle d’excellence de l’ameublement abandonné », La Liberté de l’Est, 3 décembre 2008.29. Économie lorraine, no 158-159, publication de l’Insee, février 2009.30. « Ossabois grossit en reprenant un site Seb », formule utilisée dans cet article du journal L’entreprise, no 274, janvier 2009.31. L’année 2009 fut marquée par les difficultés de l’entreprise vosgienne Manuest de Châtenois (fabrication de meubles de cuisine et de salles de bains), employant 382 salariés, qui évite de justesse le dépôt de bilan et parvient à maintenir 145 emplois. En 2010, l’entreprise ECB de Poussay a fermé ses

La foret des Vosges.indb 27 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr

Page 12: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

28• la forêt des vosges. naissance d’une filière industrielle au xixe siècle

on observe également une orientation vers les productions de haute gamme et de luxe dans le secteur de l’ameublement, apparaissant comme une solution pour maintenir ses activités et faire face à la concurrence internationale32. De même le secteur de la construction diversifie ses produits, en développant les réalisations à ossature bois (maison, bâtiments commerciaux et publics…) et en proposant en quelque sorte une « high-tech de la charpente33 ». Le départe-ment a également misé sur le développement de la formation de sa population aux métiers du bois, dans le cadre des lycées professionnels et par l’implantation pour l’enseignement supérieur, de l’École nationale supérieure des technologies et industries du bois (ENSTIB), installée à Épinal, depuis 198534.

Le département des Vosges apparaît ainsi comme un territoire d’étude par-ticulièrement adapté pour mener une recherche historique sur la filière bois, compte tenu de sa diversité et de son importance sur le plan national, en occu-pant une place de leader pour la production en volume du bois d’œuvre et pour le secteur de la papeterie. Le cadre départemental a donc été retenu et non celui du massif vosgien, ce qui nous a permis de concentrer notre travail sur un corpus d’archives cohérent. L’utilisation du concept de filière présente aussi l’avantage de garder à l’esprit le soin de mener une réflexion plus générale sur la construction d’activités industrielles (voir annexe 1).

Une recherche ciblée sur des thèmes et des temps fortsNotre démarche nous a conduits à organiser notre exposé en trois parties. Les deux premières présentent les principaux aspects du développement interne de la filière (formation et organisation des segments, évolutions des activités et des techniques d’exploitation et de production). Cette présentation est entre-prise sur un large siècle, qui s’étend depuis la création du département en 1790

portes, ainsi que la société de distribution Vogica. « La filière cuisine change de chefs », Vosges Matin, 18 octobre 2011. « usine de Manuest : la marmite explose », La Liberté de l’Est, 24 septembre 2009.32. « Sans luxe, point de salut ! », La Liberté de l’Est, 15 avril 2008. « Ameublement : des colosses aux pieds d’argile », du même quotidien, 27 mai 2009. Le haut de gamme vosgien est illustré notam-ment par le fabricant de mobilier Henryot et Compagnie de Liffol-le-Grand. Celui-ci a participé en mai 2009 à l’exposition des métiers d’art français organisée à Abu Dhabi aux Émirats Arabes Unis.33. Ce secteur est notamment représenté par l’entreprise Charpente Houot, implantée à Gérardmer et à Sainte-Marguerite, qui a assuré la construction de 350 restaurants McDonald’s en bois, la gare TGV du département de la Meuse, l’amphithéâtre incliné de l’ENSTIB. Voir à ce sujet : « De la reconversion à la haute technologie », Le Monde, 19 février 2008.34. François Le Tacon, « Un pôle exceptionnel de recherche et d’enseignement sur la forêt et le bois. Nancy et la Lorraine », Le Pays Lorrain, volume 70, 86e année, 1989, p. 103. Voir également le site internet de cette école : www.enstib.uhp-nancy.fr.

La foret des Vosges.indb 28 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr

Page 13: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

introduction •29

jusqu’à la rupture de la Grande Guerre35. Ce « grand XIXe siècle » est découpé en deux périodes, dont la transition de l’une à l’autre se produit au cours d’une décennie décisive, celle des années 1860. La première (de 1790 aux années 1850) a pour but de démontrer que la présence d’activités du bois, pourtant impor-tantes dans le département, ne permet cependant pas d’affirmer qu’il existe une véritable filière ; bien des aspects montrent que l’on se situe à un stade de pré-construction, dont nous essayons de mettre en lumière les principales carac-téristiques et les faiblesses. La seconde (des années 1860 à 1914) souligne les changements profonds qui s’opèrent dans le travail du bois à partir des années 1860 et qui conduisent à la formation d’une filière à la fois plus structurée et diversifiée ; le concept de filière et ses différents axes de réflexion peuvent être alors utilisés pour décrire ce nouveau secteur industriel vosgien et mesurer son degré d’organisation ainsi que ses éléments les plus dynamiques et moteurs. La troisième partie aborde les thèmes des acteurs et de l’adaptation de cette filière aux conditions et exigences économiques départementales et nationales (relations et marchés), à partir des années 1860 jusqu’à la Grande Guerre. Les stratégies et le travail des acteurs permettent de mieux cerner d’autres caracté-ristiques de la filière, concernant la perméabilité de ses segments et leur impor-tance aux échelles régionale et nationale. Une large place a été accordée dans ce troisième développement aux milieux patronaux et aux ouvriers du bois, souhaitant souligner que l’histoire de cette filière est avant tout celle aussi de nombreux hommes, qui, du grand entrepreneur au simple sagard ou bûcheron, ont ensemble relevé un défi économique36, celui d’exploiter et de transformer, d’une manière de plus en plus rationalisée, le bois des forêts vosgiennes. Par ailleurs, retracer l’histoire de gens ordinaires, en évacuant tout motif affectif, a déjà permis, à maintes reprises, de mieux décrire la construction de nombreux secteurs de production français, dont le développement a été assuré par l’essor d’une multitude de petites et moyennes entreprises familiales ; ce constat sera particulièrement vrai pour la filière bois.

35. La Première Guerre mondiale constitue une rupture politique mais aussi économique. Du fait des conséquences considérables qu’elle entraîne pour l’économie nationale, elle « offre un ter-minus ad quem difficilement contestable ». Dominique Barjot, Histoire économique de la France au XIXe siècle, éditions Nathan, p. 5.36. Nous employons cette expression, en référence aux travaux de Nicolas Stoskopf qui a étu-dié de nombreux aspects de l’histoire industrielle, de l’activité du simple chaussonnier alsacien aux grands banquiers de la capitale. Cette expression est le titre de sa synthèse : Le défi économique ou comment sortir de l’ordinaire, mémoire de synthèse dactylographié pour l’habilitation à diriger les recherches, sous la direction de Dominique Barjot, université de Haute-Alsace, 2002.

La foret des Vosges.indb 29 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr

Page 14: Une image revalorisée du travail du boispur-editions.fr/couvertures/1525416068_doc.pdf · 2018. 5. 4. · comme des secteurs porteurs d’avenir en termes de croissance et d’emplois,

30• la forêt des vosges. naissance d’une filière industrielle au xixe siècle

Carte 1. Les Vosges : espace départemental et espace vécu.

Réalisation : É. Tisserand.

Si le découpage administratif organise le département en cinq arrondissements (Épinal, Neufchâteau, Mirecourt, Remiremont et Saint-Dié), pour les contemporains, leur territoire se décompose essentiellement en deux espaces distincts mais complémentaires. Ainsi une Description du département des Vosges par rapport à la navigation intérieure, le commerce, l’agriculture et les arts, faite par l’Administration centrale du département sous le Directoire, explique qu’il « faut considérer l’étendue de son territoire dirigée en deux parties, l’une située au couchant d’Épinal chef-lieu de département et que l’on nomme plaine, et l’autre au levant de la même commune qui est chargée de montagnes ». Le document insiste sur la complémentarité des deux espaces. La « plaine » se caractérise par l’importance de ses activités agricoles, où l’on cultive de nombreuses céréales : l’observateur peut y remarquer « des grains de toutes espèces, l’orge, le seigle, les navettes, les colzas, le lin, les vignes et le froment de la meilleure qualité ». De même l’élevage est important et en particulier celui du mouton dont « les habitants de campagne aux environs de Mirecourt entretiennent et nourrissent de nombreux troupeaux ; leur toison est assez bonne qualité et fournit à ces campagnards des vêtements. Le serpolet qui abonde sur le territoire de Mirecourt et sur celui des communes environnantes communique à la chair de ses animaux un parfum qui leur a donné de la célébrité ». En revanche, « les montagnes » se caractérisent par leur sol « ingrat et rocailleux » et la culture de céréales est peu développée : quelques champs de seigle, d’orge, de sarrasin, de millet ou de pommes de terre tout au plus ». Mais les efforts de la population ont permis de développer un élevage prospère de bovins, avec la création de « pâturages gras » alimentés par un important système d’irrigation. De cet élevage découle « cette source intarissable de lait avec lequel ils fabriquent le beurre et les fromages ».

Cette description d’un espace vécu rend ainsi compte d’une vision duale du territoire départementale, que l’on retrouve pour la couverture forestière, en termes de densités (espaces boisés plus étendus à l’est) et d’essences (prédominance des résineux à l’est, et des feuillus à l’ouest).

Source : AD 88, L 484.

La foret des Vosges.indb 30 20/03/2018 23:20

La fo

rêt d

es V

osge

s –

Éric

Tis

sera

nd

ISBN

978

-2-8

6906

-663

-2 —

Pre

sses

uni

vers

itaire

s de

Ren

nes,

201

8, w

ww

.pur

-edi

tions

.fr