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lundi 23 janvier 2012 LE FIGARO A 14 santé l psycho PASCALE SENK SATISFACTION Une vague rose se ré- pand depuis trois ans environ dans le petit monde des professionnels du psy- chisme, des éditeurs de livres de psy- chologie et dans de nombreux médias, titillés par une approche nouvelle et dynamisante pour notre pays souvent qualifié de « dépressif » : la psychologie positive (dite « PP »). En produisant sur France 2, depuis novembre der- nier, une émission de prime time construite sur les découvertes les plus significatives de la PP, le journaliste Frédéric Lopez a d’une certaine ma- nière fait tapis rouge auprès du grand public à celle qu’on appelle la « science du bonheur ». Autant dire que la psychologie positi- ve (née officiellement aux États-Unis en 1998, quand le psychologue Martin E. P. Seligman, créateur du Positive Healing Center, était président de l’American Psychological Association) a désormais le vent en poupe dans la Vieille Europe. Car elle a tout pour plai- re à nos esprits fatigués. D’abord, sa légitimité scientifique : s’appuyant sur des études académi- ques sérieuses, la PP s’est attachée à vérifier avec rigueur les hypothèses souvent nées en pleines années 1970 dans le milieu du développement per- sonnel et jusque-là qualifiées de farfe- lues. Elle a ainsi pu prouver qu’en effet cultiver un esprit positif menait à plus de longévité. Autre point fort : enfin la psychologie s’attachait à décrypter « ce qui va bien » ! Finies les analyses fouillées de nos pa- thologies (lire ci-dessous). Grâce à la PP, nous pouvons enfin comprendre ce qui nous satisfait dans la vie, ce que nous pouvons faire pour améliorer nos rela- tions ou réussir professionnellement. Autant dire qu’elle s’adresse à tous ceux qui vont « plutôt bien », mais sou- haitent augmenter encore plus leur qua- lité de vie en comprenant surtout de quoi celle-ci est faite. Ils sont, bien évidem- ment, très nombreux. De plus, la psy- chologie positive s’intéresse aussi au bon fonctionnement des groupes et institu- tions, et cette dimension « citoyenne » va bien à notre époque revenue du tout « individuel ». Tout allait donc bien dans le meilleur des mondes jusqu’à ce que commencent à se faire entendre des voies plus inquiè- tes, et - donnée importante - issues el- les-mêmes du mouvement de la PP. Ces psys « positifs » appellent en fait à une certaine vigilance et à garder l’esprit cri- tique pour que leur nouvelle science ne soit pas « abîmée dans l’œuf ». « De la science à l’idéologie » Premier point : le risque d’amalgame avec la « pensée positive ». Yves- Alexandre Thalmann, psychologue qui a aussi une formation de physicien et vient de publier La Psychologie positive : pour aller bien (Éd. Odile Jacob), constate une tendance croissante à se servir de cer- tains résultats sérieux pour donner du crédit à des hypothèses certes proches de ce qui a été validé, mais à ce jour nulle- ment prouvées : « Ainsi, dans des ouvra- ges de vulgarisation, des auteurs peuvent mentionner certaines conclusions de la PP, comme l’augmentation du bien-être grâce à la culture des sentiments positifs, avant d’évoquer, deux pages plus loin, la supré- matie de l’esprit sur la matière, par exem- ple avec l’exercice de la marche sur le feu. Ne mélangeons pas ce qui est scientifique et ce qui ne l’est nullement ! » Deuxième conséquence : pour Yves- Alexandre Thalmann, « on est tranquille- ment en train de passer de la science, par définition critique et analytique, à l’idéolo- gie et aux dogmes : il faut être positif, il faut sourire, etc. ». « De nombreux adep- tes de la PP fuient toute discussion sur la validité des études, regrette-t-il égale- ment. Il ne suffit pas de clamer “c’est scientifiquement prouvé” pour qu’une af- firmation devienne une vérité indiscuta- ble ! On aurait en cette matière besoin de plus d’esprit critique : comment peut-on mesurer de manière objective le bonheur, alors que celui-ci est essentiellement un sentiment subjectif ? Les mesures elles- mêmes ne tiennent pas toujours leurs pro- messes ! » Pas de plus sans les moins Autre couac : la tentation chez certains adeptes de la PP de faire l’impasse sur les sentiments négatifs que chacun doit di- gérer avant d’atteindre la plénitude. Thomas d’Ansembourg, psychothéra- peute et auteur de Être heureux, ce n’est pas nécessairement confortable (Éd. de L’Homme), le regrette : « “Se mettre en expansion”, “cultiver ses talents” comme nous y invite cette approche, c’est bien, mais ce n’est ni suffisant ni magique. Il faut d’abord aller décoincer ce qui fait mal car si nous ne nous occupons pas d’émo- tions telles que la colère, la peur, etc., ce sont elles qui s’occupent de nous ! » Une manière de rappeler que le pro- grès psychique s’atteint souvent à tra- vers une double démarche que le psy- chothérapeute résume en une image biblique : « Savoir quitter l’enfer pour s’ouvrir au paradis ». Pas de « plus », donc, si l’on ne s’est pas plié d’abord à l’exercice difficile qui consiste à se dé- barrasser des « moins ». Intérêts et limites de la psychologie positive Cette approche nouvelle que l’on qualifie de «science du bonheur» a tout pour séduire, mais mérite cependant d’être redéfinie. le plaisir des livres PAR JEAN-LUC NOTHIAS Un esprit transformé dans un corps régénéré LE TON est donné dès le titre de l’introduction, « Mourir jeune, le plus tard possible ». Dans son dernier livre, L’Homme réparé (Éd. Plon), Hervé Chneiweiss, médecin, directeur de recherche au CNRS et professeur de biologie au Collège de France, nous emmène explorer les nouveaux territoires de ce que l’on appelle aujourd’hui la médecine régénérative. Il nous décrit ses espoirs, ses enjeux mais aussi ses limites. L’éternelle jeunesse À commencer par la cosmétologie, un business de l’éternelle jeunesse, très ancien et ô combien florissant dans nos sociétés contemporaines. Avec une revendication sur des crèmes « anti-âge » qui permettraient de « redonner à votre peau toute sa jeunesse » ou de « préserver le capital santé »… Si, reconnaît l’auteur, il existe de très bonnes crèmes pour hydrater ou protéger des rayons solaires, il affirme : « Soyons clair, aucune crème ne rend la peau plus jeune. » Tout juste peuvent-elles gommer provisoirement les marques, comme les rides, qu’imprime le temps sur nos visages. Du côté de la médecine, « avec les avancées technologiques, nos corps réparés vont s’artificialiser », estime Hervé Chneiweiss. Et la liste est déjà longue de dispositifs permettant d’assister ou de suppléer à une fonction ou un organe défaillant. Les puces RFID implantées sous la peau ou les électrodes de stimulation du cerveau pointent déjà leur nez. Des robots microscopiques utilisables en médecine émergent peu à peu des laboratoires de nanotechnologies. Bien d’autres domaines médicaux, comme les greffes ou encore les antidépresseurs, sont passés en revue et proprement disséqués. Le chapitre consacré aux cellules souches est très riche et très complet. Surtout, il nous fait toucher du doigt la complexité du problème. Une cellule dite souche est « une cellule ayant la double propriété de pouvoir se renouveler à l’identique et sans limite, et d’être dans le même temps à l’origine de nombreuses cellules différenciées (cœur, foie, peau, etc.) ». Apprenti sorcier ? Où et comment les trouver ? Greffe de moelle osseuse, conservation du sang de cordon ombilical, cellules souches embryonnaires, plusieurs solutions existent. Dans le cas des cellules souches embryonnaires, en dehors des débats éthiques entourant leur obtention, les résultats obtenus sont certes prometteurs mais restent expérimentaux et portent essentiellement sur les souris. Et encore une fois resurgit la lancinante interrogation de l’apprenti sorcier. Pour Hervé Chneiweiss, il n’est pas question de stopper les recherches visant à encore mieux soigner les hommes. Mais il est vital à ses yeux de s’interroger sur les possibles conséquences éthiques et sociales, bonnes ou mauvaises, dont ces nouvelles technologies sont porteuses. Avec deux clignotants rouges sur les possibles manipulations des cerveaux et des comportements. Et de conclure sur la question essentielle : « Quel progrès, pour qui et pour quoi ? » « L’Homme réparé ». Hervé Chneiweiss, Éditions Plon. TAL BEN-SHAHAR est docteur en psy- chologie et en philosophie. Il enseigne la psychologie positive à l’Université de Harvard et est l’auteur de L’Ap- prentissage du bonheur (Belfond). LE FIGARO. - Selon vous, quels sont les réels apports de la psychologie positive ? Tal BEN-SHAHAR. - Elle se concentre sur l’épanouissement de dimensions telles que le bonheur, l’estime de soi, l’optimisme, la joie, ce qui contraste complètement avec les objets d’étude les plus courants de la psychopatholo- gie : névrose, anxiété, dépression… De plus, elle décrypte essentiellement « ce qui marche », que ce soit chez un indi- vidu, dans une relation ou dans des or- ganisations. Ainsi, la première ques- tion implicite ou explicite posée par un conseiller conjugal au couple qui le consulte sera « Qu’est-ce qui ne va pas dans votre relation ? ». C’est une ques- tion importante, mais pas suffisante. Un psychologue « positif », lui, de- mandera en premier lieu : « Qu’est-ce qui fonctionne bien dans votre rela- tion ? Qu’est-ce que chacun de vous apprécie chez l’autre ? » avant de se concentrer sur ce qui ne va pas. Com- mençant ainsi, il induit plus de proba- bilité de succès dans la thérapie. Pourquoi ? Cette approche positive est préventive dans sa nature même, renforçant la relation de telle sorte que celle-ci sau- ra s’en tirer au mieux quand les diffi- cultés apparaîtront inévitablement. Ces questions ne doivent pas seule- ment se poser quand les choses vont mal, mais avant. Et il en est ainsi pour les individus comme pour les organi- sations. Lorsqu’un coach formé à la psychologie positive demande « Qu’est ce qui a marché dans votre entreprise ? Que pouvez-vous en ap- prendre ? », les réponses obtenues construisent un bon socle pour se confronter aux défis à venir. Et quelles limites reconnaissez-vous à cette approche ? Si elle peut fournir des outils supplé- mentaires à la psychologie tradition- nelle pour nous aider à développer nos potentiels, la psychologie positive ne peut cependant pas « marcher » toute seule. Elle n’est pas une thérapie. D’autre part, il y a peu de nouvelles découvertes dans ce domaine, et la plus grande partie des données émer- geant des revues scientifiques relève du sens commun. Cependant, comme disait Voltaire, « le sens commun n’est pas si commun que ça » et la psycholo- gie positive rend le sens commun en- core plus commun ! De plus, en appli- quant la méthode scientifique à des questions qui se posent depuis des mil- lénaires, cette discipline peut générer de solides réponses. Par exemple, elle peut nous indiquer ce qui fonctionne réellement quand il s’agit d’atteindre une vie satisfaisante. Quelles évolutions prévoyez-vous concernant la psychologie positive ? Je pense que celle-ci va entrer bientôt dans notre système éducatif. De nom- breux psychologues, dont je fais partie, travaillent actuellement à créer des manuels pour tous les âges. Cela aidera nos enfants à devenir plus heureux, plus résilients et plus accomplis. De plus en plus de thérapeutes utiliseront dans leur pratique les outils de la psy- chologie positive, ce qui les rendra plus efficaces. Ces progrès, cependant, sont assez lents. Mais mieux vaut réussir lentement qu’échouer à toute allure ! PROPOS RECUEILLIS ET TRADUITS PAR P. S. « La psychologie positive n’est pas une thérapie », affirme Tal Ben-Shahar. DR « Si nous ne nous occupons pas d’émotions telles que la colère, la peur, ce sont elles qui s’occupent de nous ! » THOMAS D’ANSEMBOURG, PSYCHOTHÉRAPEUTE « De nombreux adeptes de la psychologie positive fuient toute discussion sur la validité des études » ALEXANDRE THALMANN, PSYCHOLOGUE « Elle est préventive dans sa nature même »

Intérêtsetlimites delapsychologiepositivepsychologie-positive.net/IMG/pdf/2012_Interets_et... · Si elle peut fournir des outils supplé-mentaires à la psychologie tradition-nelle

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lundi 23 janvier 2012 LE FIGAROA

14 santé l psycho

PASCALE SENK

SATISFACTION Une vague rose se ré-pand depuis trois ans environ dans lepetit monde des professionnels du psy-chisme, des éditeurs de livres de psy-chologie et dans de nombreux médias,titillés par une approche nouvelle etdynamisante pour notre pays souventqualifié de « dépressif » : la psychologiepositive (dite « PP »). En produisantsur France 2, depuis novembre der-nier, une émission de prime timeconstruite sur les découvertes les plussignificatives de la PP, le journalisteFrédéric Lopez a d’une certaine ma-nière fait tapis rouge auprès du grandpublic à celle qu’on appelle la « sciencedu bonheur ».

Autant dire que la psychologie positi-ve (née officiellement aux États-Unisen 1998, quand le psychologue MartinE. P. Seligman, créateur du PositiveHealing Center, était président del’American Psychological Association)a désormais le vent en poupe dans laVieille Europe. Car elle a tout pour plai-re à nos esprits fatigués.

D’abord, sa légitimité scientifique :s’appuyant sur des études académi-ques sérieuses, la PP s’est attachée àvérifier avec rigueur les hypothèsessouvent nées en pleines années 1970dans le milieu du développement per-sonnel et jusque-là qualifiées de farfe-lues. Elle a ainsi pu prouver qu’en effetcultiver un esprit positif menait à plusde longévité.

Autre point fort: enfin la psychologies’attachait à décrypter «ce qui va bien»!Finies les analyses fouillées de nos pa-thologies (lire ci-dessous). Grâce à la PP,nous pouvons enfin comprendre ce quinous satisfait dans la vie, ce que nouspouvons faire pour améliorer nos rela-tions ou réussir professionnellement.

Autant dire qu’elle s’adresse à tousceux qui vont «plutôt bien», mais sou-haitent augmenter encore plus leur qua-lité de vie en comprenant surtout de quoicelle-ci est faite. Ils sont, bien évidem-ment, très nombreux. De plus, la psy-chologie positive s’intéresse aussi au bonfonctionnement des groupes et institu-tions, et cette dimension «citoyenne»va bien à notre époque revenue du tout«individuel».

Tout allait donc bien dans le meilleurdes mondes jusqu’à ce que commencentà se faire entendre des voies plus inquiè-tes, et - donnée importante - issues el-les-mêmes du mouvement de la PP. Cespsys «positifs» appellent en fait à unecertaine vigilance et à garder l’esprit cri-tique pour que leur nouvelle science nesoit pas «abîmée dans l’œuf».

« De la science à l’idéologie »Premier point: le risque d’amalgameavec la « pensée positive ». Yves-Alexandre Thalmann, psychologue qui aaussi une formation de physicien et vientde publier La Psychologie positive: pouraller bien (Éd. Odile Jacob), constate unetendance croissante à se servir de cer-tains résultats sérieux pour donner ducrédit à des hypothèses certes proches dece qui a été validé, mais à ce jour nulle-ment prouvées: «Ainsi, dans des ouvra-ges de vulgarisation, des auteurs peuventmentionner certaines conclusions de la PP,comme l’augmentation du bien-être grâceà la culture des sentiments positifs, avantd’évoquer, deux pages plus loin, la supré-matie de l’esprit sur la matière, par exem-ple avec l’exercice de la marche sur le feu.Ne mélangeons pas ce qui est scientifiqueet ce qui ne l’est nullement!»

Deuxième conséquence: pour Yves-Alexandre Thalmann, «on est tranquille-ment en train de passer de la science, pardéfinition critique et analytique, à l’idéolo-gie et aux dogmes : il faut être positif, ilfaut sourire, etc.». «De nombreux adep-tes de la PP fuient toute discussion sur lavalidité des études, regrette-t-il égale-ment. Il ne suffit pas de clamer “c’estscientifiquement prouvé” pour qu’une af-firmation devienne une vérité indiscuta-ble! On aurait en cette matière besoin deplus d’esprit critique : comment peut-onmesurer de manière objective le bonheur,alors que celui-ci est essentiellement unsentiment subjectif ? Les mesures elles-mêmes ne tiennent pas toujours leurs pro-messes!»

Pas de plus sans les moinsAutre couac: la tentation chez certainsadeptes de la PP de faire l’impasse sur lessentiments négatifs que chacun doit di-gérer avant d’atteindre la plénitude.Thomas d’Ansembourg, psychothéra-peute et auteur de Être heureux, ce n’estpas nécessairement confortable (Éd. deL’Homme), le regrette: «“Se mettre enexpansion”, “cultiver ses talents” commenous y invite cette approche, c’est bien,mais ce n’est ni suffisant ni magique. Ilfaut d’abord aller décoincer ce qui fait malcar si nous ne nous occupons pas d’émo-tions telles que la colère, la peur, etc., cesont elles qui s’occupent de nous!»

Une manière de rappeler que le pro-grès psychique s’atteint souvent à tra-vers une double démarche que le psy-chothérapeute résume en une imagebiblique: «Savoir quitter l’enfer pours’ouvrir au paradis». Pas de «plus»,donc, si l’on ne s’est pas plié d’abord àl’exercice difficile qui consiste à se dé-barrasser des «moins». ■

Intérêts et limitesde la psychologie positive

Cette approche nouvelle que l’on qualifie de « science du bonheur »a tout pour séduire, mais mérite cependant d’être redéfinie.

le plaisirdes livres

PAR JEAN-LUC NOTHIAS

Un esprit transformé dans un corps régénéréLE TON est donné dès le titrede l’introduction, «Mourir jeune,le plus tard possible». Dans son dernierlivre, L’Homme réparé (Éd. Plon),Hervé Chneiweiss, médecin, directeurde recherche au CNRS et professeurde biologie au Collège de France,nous emmène explorer les nouveaux

territoires de ce que l’on appelleaujourd’hui la médecine régénérative.Il nous décrit ses espoirs, ses enjeuxmais aussi ses limites.

L’éternelle jeunesseÀ commencer par la cosmétologie,un business de l’éternelle jeunesse,très ancien et ô combien florissantdans nos sociétés contemporaines.Avec une revendication sur des crèmes«anti-âge» qui permettraientde «redonner à votre peau toutesa jeunesse» ou de « préserver le capitalsanté »… Si, reconnaît l’auteur, il existede très bonnes crèmes pour hydraterou protéger des rayons solaires,il affirme: « Soyons clair, aucune crèmene rend la peau plus jeune. » Tout justepeuvent-elles gommer provisoirement

les marques, comme les rides,qu’imprime le temps sur nos visages.Du côté de la médecine, «avecles avancées technologiques, nos corpsréparés vont s’artificialiser», estimeHervé Chneiweiss. Et la liste est déjàlongue de dispositifs permettantd’assister ou de suppléer à une fonctionou un organe défaillant. Les puces RFIDimplantées sous la peau ou lesélectrodes de stimulation du cerveaupointent déjà leur nez. Des robotsmicroscopiques utilisables en médecineémergent peu à peu des laboratoiresde nanotechnologies.Bien d’autres domaines médicaux,comme les greffes ou encoreles antidépresseurs, sont passésen revue et proprement disséqués.Le chapitre consacré aux cellules

souches est très riche et très complet.Surtout, il nous fait toucher du doigtla complexité du problème. Une celluledite souche est «une cellule ayantla double propriété de pouvoirse renouveler à l’identique et sans limite,et d’être dans le même temps à l’originede nombreuses cellules différenciées(cœur, foie, peau, etc.)».

Apprenti sorcier?Où et comment les trouver ? Greffe demoelle osseuse, conservation du sangde cordon ombilical, cellules souchesembryonnaires, plusieurs solutionsexistent. Dans le cas des cellulessouches embryonnaires, en dehorsdes débats éthiques entourantleur obtention, les résultats obtenussont certes prometteurs mais restent

expérimentaux et portentessentiellement sur les souris.Et encore une fois resurgit la lancinanteinterrogation de l’apprenti sorcier.Pour Hervé Chneiweiss, il n’estpas question de stopper les recherchesvisant à encore mieux soignerles hommes. Mais il est vital à ses yeuxde s’interroger sur les possiblesconséquences éthiques et sociales,bonnes ou mauvaises, dont cesnouvelles technologies sont porteuses.Avec deux clignotants rougessur les possibles manipulationsdes cerveaux et des comportements.Et de conclure sur la questionessentielle: « Quel progrès,pour qui et pour quoi ? »«L’Homme réparé».Hervé Chneiweiss, Éditions Plon.

TAL BEN-SHAHAR est docteur en psy-chologie et en philosophie. Il enseignela psychologie positive à l’Universitéde Harvard et est l’auteur de L’Ap-prentissage du bonheur (Belfond).

LE FIGARO. - Selon vous,quels sont les réels apportsde la psychologie positive?Tal BEN-SHAHAR. - Elle se concentresur l’épanouissement de dimensionstelles que le bonheur, l’estime de soi,l’optimisme, la joie, ce qui contrastecomplètement avec les objets d’étudeles plus courants de la psychopatholo-gie: névrose, anxiété, dépression… Deplus, elle décrypte essentiellement «cequi marche», que ce soit chez un indi-vidu, dans une relation ou dans des or-ganisations. Ainsi, la première ques-tion implicite ou explicite posée par unconseiller conjugal au couple qui leconsulte sera «Qu’est-ce qui ne va pasdans votre relation?». C’est une ques-tion importante, mais pas suffisante.Un psychologue « positif », lui, de-mandera en premier lieu: «Qu’est-cequi fonctionne bien dans votre rela-tion? Qu’est-ce que chacun de vous

apprécie chez l’autre?» avant de seconcentrer sur ce qui ne va pas. Com-mençant ainsi, il induit plus de proba-bilité de succès dans la thérapie.

Pourquoi?Cette approche positive est préventivedans sa nature même, renforçant larelation de telle sorte que celle-ci sau-ra s’en tirer au mieux quand les diffi-cultés apparaîtront inévitablement.Ces questions ne doivent pas seule-ment se poser quand les choses vontmal, mais avant. Et il en est ainsi pourles individus comme pour les organi-sations. Lorsqu’un coach formé à lapsychologie positive demande« Qu’est ce qui a marché dans votreentreprise ? Que pouvez-vous en ap-prendre ? », les réponses obtenuesconstruisent un bon socle pour seconfronter aux défis à venir.

Et quelles limites reconnaissez-vousà cette approche?Si elle peut fournir des outils supplé-mentaires à la psychologie tradition-nelle pour nous aider à développer nospotentiels, la psychologie positive ne

peut cependant pas «marcher» touteseule. Elle n’est pas une thérapie.D’autre part, il y a peu de nouvellesdécouvertes dans ce domaine, et laplus grande partie des données émer-geant des revues scientifiques relèvedu sens commun. Cependant, commedisait Voltaire, « le sens commun n’estpas si commun que ça » et la psycholo-gie positive rend le sens commun en-core plus commun! De plus, en appli-quant la méthode scientifique à desquestions qui se posent depuis des mil-lénaires, cette discipline peut générerde solides réponses. Par exemple, ellepeut nous indiquer ce qui fonctionneréellement quand il s’agit d’atteindreune vie satisfaisante.

Quelles évolutions prévoyez-vousconcernant la psychologie positive?Je pense que celle-ci va entrer bientôtdans notre système éducatif. De nom-breux psychologues, dont je fais partie,travaillent actuellement à créer desmanuels pour tous les âges. Cela aideranos enfants à devenir plus heureux,plus résilients et plus accomplis. Deplus en plus de thérapeutes utiliseront

dans leur pratique les outils de la psy-chologie positive, ce qui les rendra plusefficaces. Ces progrès, cependant, sontassez lents. Mais mieux vaut réussirlentement qu’échouer à toute allure! ■

PROPOS RECUEILLISET TRADUITS PAR P. S.

« La psychologie positive n’est pas unethérapie », affirme Tal Ben-Shahar. DR

« Si nous ne nousoccupons pas d’émotionstelles que la colère,la peur, ce sont ellesqui s’occupent de nous ! »THOMAS D’ANSEMBOURG,PSYCHOTHÉRAPEUTE

«De nombreux adeptesde la psychologie positive fuient toute

discussion sur la validité des études»ALEXANDRE THALMANN, PSYCHOLOGUE

« Elle est préventive dans sa nature même »