ISBN 978-2-89647-141-6 Le Vengeur masqué contre€¦ · trouvé toutes les combines pour tirer au flanc, les astuces pour mimer la productivité sans dépense d’énergie. Tu te

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ureFrançois Blais a 35 ans,

il habite Québec et lorsqu’il n’écrit pas, il gagne sa vie comme traducteur. Il a publié deux romans fort remarqués aux éditions de L’instant même : Iphigénie en Haute-Ville (2006) et Nous autres, ça compte pas (2007).

« Moi si que j’écrirais un livreje commencerais par une belle grosse faute de grammaire.Et puis je lui donnerais le titrele plus niais, le plus racoleur possible, histoire de bien montrer qu’on n’est pas chez Flaubert ici. »

ISBN 978-2-89647-141-6

Le Vengeurmasqué contreles hommes-perchaudesde la Lune

François Blais

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an Le Vengeur masqué contre les hommes-perchaudes de la Lune, c’est l’histoire d’un gars et d’une fille qui vivent en vase clos… jusqu’à ce que la dite fille sorte dans le vrai monde, juste pour voir de quoi il a l’air ! Avec ce troisième roman, François Blais conclut sa réflexion sur les parts de réel et de fantasmé dans la relation amoureuse, et se permet au passage de jouer avec les instances narratives comme de vulgaires poupées gigognes !

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Extrait de la publication

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François Blais

roman

Le Vengeur masqué contre les hommes- perchaudes de la Lune

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Blais, François, 1973-

Le vengeur masqué contre les hommes-perchaudes de la lune(Texture)

ISBN 978-2-89647-141-6I. Titre. II. Collection.

PS8603.L328V46 2008 C843’.6 C2008-941159-5PS9603.L328V46 2008

Les Éditions Hurtubise HMH bénéficient du soutien financier des institutions suivantes pour leurs activités d’édition :

• Conseil des Arts du Canada• Gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de

l’industrie de l’édition (PADIÉ)• Société de développement des entreprises culturelles au Québec (SODEC)• Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du gouvernement du Québec

Maquette : Thomas CsanoMise en page : Folio infographieDirection littéraire : François CoutureConseillère à l’édition : Véronique Laforest

Copyright © 2008, Éditions Hurtubise HMH ltée

Éditions Hurtubise HMH ltée DISTRIBUTION EN FRANCE :1815, avenue De Lorimier Librairie du Québec / DNMMontréal (Québec) H2K 3W6 30, rue Gay-Lussac Tél. : (514) 523-1523 75005 Paris www.librairieduquebec.fr

ISBN : 978-2-89647-141-6

Dépôt légal : 3e trimestre 2008Bibliothèque et Archives nationales du QuébecBibliothèque et Archives du Canada

La Loi sur le droit d’auteur interdit la reproduction des œuvres sans autorisation des titulaires de droits. Or, la photocopie non autorisée – le « photocopillage » – s’est généralisée, provoquant une baisse des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer par des professionnels est menacée. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, par quelque procédé que ce soit, du présent ouvrage est interdite sans l’autorisation écrite de l’Éditeur.

Imprimé au Canadawww.hurtubisehmh.com

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Le succès est le seul juge ici-bas de ce qui est bon et mauvais.

Adolf Hitler

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Première partie

Moi si que j’écrirais un livre je commencerais par une belle grosse faute de grammaire. Et puis je lui donnerais le titre le plus niais, le plus racoleur possible, histoire de bien montrer qu’on n’est pas chez Flaubert ici. M’enlever un maximum de pression en partant, quoi. Aussi, je l’écrirais à la première personne pour pouvoir, le cas échéant, mettre toutes mes maladresses sur le dos de mon narrateur, dire : « Oh ! oui, ça c’est fait exprès, c’est pour faire naturel. » Tu vois, j’ai jamais rien écrit et je connais déjà les trucs du métier. C’est un genre de sixième sens, un talent que le bon Dieu m’a donné, si tu veux : parachutée dans n’importe quel environnement de travail, au bout d’une heure j’ai déjà trouvé toutes les combines pour tirer au flanc, les astuces pour mimer la productivité sans dépense d’énergie. Tu te rappelles, T., la glorieuse époque où nous étions préposés à l’entretien de classe 2 pour Maintenance Eurêka inc. et que le gros Stéphane surgissait à l’improviste dans notre secteur, deux, trois fois par semaine, pour une de ses fameuses inspections surprises ? Tu te souviens comme j’avais bien étudié sa chorégraphie, comme j’avais rapide-ment identifié les endroits où il avait coutume de passer son doigt pour trouver de la poussière ? (Le haut de la machine à liqueur, le premier casier en entrant dans le

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vestiaire des filles, etc.) Dire qu’on a réussi, pendant un an, à passer pour des concierges d’élite en n’astiquant à fond que ces quelques centimètres carrés de surface. Le pire c’est qu’il avait l’air de se croire imprévisible comme la foudre, cet obèse-là. Avoue que si je n’avais pas été là, tu aurais été prêt à te tuer à l’ouvrage, à torcher le centre sportif en entier sous le bête prétexte que tu étais payé pour ça. Pff ! Oui, vraiment, je pense que j’ai un don. Être un peu plus d’affaires je pourrais même monnayer mes services, ouvrir un cabinet de consultation, genre : « Félonie, consul-tante en effort minimal, spécialiste en lambinage, procras-tination et tournage de coins ronds. » Évidemment, je n’y mettrais jamais les pieds, dans mon cabinet, mon tarif serait à 75 piastres de l’heure et j’embaucherais un étudiant au salaire minimum pour faire les consultations à ma place pendant que je serais occupée à boire les profits. C’est presque tentant… Qu’est-ce que t’en penses ? Hé ! Tu m’écoutes ? Oui oui, bien sûr qu’il m’écoutait, la preuve c’est qu’il peut me répéter mon laïus mot pour mot, en gros je disais que si j’écrivais un livre je ferais des fautes, non ? Mais pourquoi diable est-ce que je voudrais écrire un livre ? Je ne me donne pas la peine de lui faire remarquer que ce n’était pas précisément mon propos, mais pour répondre à sa question par une autre : pourquoi pas ? Je suis pas assez fine, sans doute, pour écrire un livre ? Il m’imagine plus nounoune que Chrystine Brouillet, peut-être ? Il a sa réponse toute prête : fine, pas fine, quelle différence, puisque je l’ai, lui, à portée de main, toujours prêt à ouïr les fadaises qui me passent par la tête. Il ose croire qu’il rem-place avantageusement un quelconque bassin de lecteurs. Il n’a pas tort, et puis c’est clair de toute façon que je

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n’écrirai jamais de bouquin et la principale raison à ça c’est que je n’ai pas son talent. En entendant ça, il explose. Talent son cul ! Quand bien même il serait le plus talentueux du monde, Tolstoï au carré, jamais au grand jamais il ne serait pris de la foucade d’épancher le meilleur de lui dans un truc en papier que des inconnus pourraient tripoter avec leurs mains sales, en échange de redevances lui permettant tout juste de passer une heure avec une prostituée bas de gamme dans une maison de passe du quartier Saint-Sauveur. Je suis le seul lectorat dont il a envie, que je me le tienne pour dit. Est-ce à dire que si je n’étais pas là, il s’en chercherait un vrai, de lectorat, qu’il lâcherait enfin son idiote de princesse et qu’il se mettrait à écrire pour de bon ? En ce qui concerne ma façon de parler de S.A.R., la princesse Des Épaves, il a charitablement fait mine de n’avoir rien entendu ; pour le reste : quel intérêt de savoir ce qu’il ferait si je n’étais pas là ? Je suis là, non ? C’est vrai, j’étais là, et dans ce temps-là c’était clair que j’y étais pour de bon. Ou peut-être que non, au fait, peut-être que déjà… Je ne sais pas. Ce n’est pas si facile de reconstituer avec précision la genèse d’une idée, pas comme dans les dessins animés où une petite ampoule vous apparaît au-dessus de la tête. Dans la vraie vie, une idée commence généralement sa carrière dans l’incons-cient et doit y effectuer un stage plus ou moins long avant de faire le saut dans la conscience, les ligues majeures du cerveau. Bon, il y a bien sûr ce qu’on appelle les éléments déclencheurs qui peuvent servir de jalons, mais ça n’ex-plique pas tout. En laissant entendre qu’il y aurait eu une cause unique à ma décision et que ce qui s’en est ensuivi n’en était que la conséquence inéluctable, je tomberais dans le travers de ces mauvais historiens qui se plaisent à

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donner un sens aux événements après coup, qui feignent de croire que les choses n’auraient pas pu tourner autre-ment pour la seule raison que c’est comme ça qu’elles ont finalement tourné. Si je veux être parfaitement honnête, je dois admettre qu’il n’y a rien eu, dans notre histoire, d’aussi catégorique. Pas notre genre les coups de théâtre, les déci-sions intempestives, les impulsions. On est plutôt indo-lents de nature, pour dire le moins. Plus apathique que nous autres, tu te fais délivrer un certificat de décès. Oui, oui, je vois bien que tu as la main levée depuis tout à l’heure, que tu te tortilles sur ta chaise en espérant que je te passe le crachoir. Pas besoin de faire tant de manières, si tu veux intervenir en cours de narration, tu ne te gênes pas. Je te l’ai dit : on n’est pas chez Flaubert. Mais pour l’instant épargne ta salive parce que je te vois venir avec tes gros sabots. Ton objection, cher lecteur (tu me diras si je me trompe), est la suivante : il y a à peine trois pages je jurais mes grands dieux que je n’écrirais jamais de livre ; pourtant, c’est de toute évidence ce que je suis en train de faire, non ? Qu’ai-je à dire pour ma défense ? Ouais, bon, de ton point de vue, si ce que tu es en train de lire se présente sous forme d’un texte imprimé et relié, qu’il est enfermé entre deux couvertures et que tu en as fait l’acquisition à ta librairie favorite dans la section « Littérature québécoise », ça serait pure mauvaise foi de ma part d’ergoter sur le mot « livre ». Seulement, de mon point de vue à moi, au moment où j’écris, il n’est pas question de littérature. Ce que je rédige là s’apparente plutôt à un rapport d’expérience ou quelque chose comme ça. Si ça n’en a pas le style dépouillé et rigou-reux, c’est simplement parce que cela est au-dessus de mes compétences. Bon, maintenant que je suis allée au-devant

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de ta question, permets que je reprenne le cours de mon exposé. Je parlais des éléments déclencheurs, en précisant que je n’y croyais pas trop. Pourtant, si je me souviens aujourd’hui d’une discussion qu’on a eue à l’époque, si elle me passe par la tête à ce moment précis, c’est forcément qu’elle a sa petite importance. On était dans la chambre, T. évaché sur le matelas à bouquiner je sais pas quoi et moi devant l’ordi à jouer à Civilization II. On entretenait une conversation sporadique par-dessus ça, et ces deux acti-vités, placoter et conquérir le monde, n’occupaient jusque-là qu’une faible fraction de mes ressources cérébrales : je savais sur le bout de mes doigts les répliques de chacune des conversations de notre répertoire et mes Aztèques, comme d’habitude, maîtrisaient l’énergie nucléaire depuis longtemps au moment où les Allemands de l’ordinateur étrennaient leurs premiers mousquets. Et puis à un certain moment il y a eu cette variante, cette idée étrange de T. qui nous a fait sortir de la partition. Moi j’en étais à dire que ça tombait plutôt bien qu’il ait sa fête ce mois-ci, vu que ses parents allaient sûrement lui envoyer chacun une enve-loppe avec une couple de 20 $. Ça nous permettrait de tenir plus longtemps, en autant qu’on ne fasse pas trop les caves. Et puis peut-être que sa mère descendrait et nous emmè-nerait manger au restaurant. Ça serait cool. Pour les bidous et le resto il était d’accord, mais à part ça il ne trouvait rien de réjouissant dans le fait d’avoir 32 ans. Il est drôle, il n’a pas dit un mot quand il a tapé le 30 ; pourtant ce sont les chiffres ronds qui font freaker, d’habitude. Qu’est-ce que ça a de spécial, 32 ? C’est là qu’il me sort cette superstition idiote comme quoi l’année correspondant à notre date de fête serait notre année chanceuse. Exemple si tu es né un

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26, l’année de tes 26 ans devrait être celle où tes rêves se réalisent, où la fortune favorise tes projets, etc. Où il veut en venir avec ça ? Là : comme aucun mois ne contient plus de 31 jours, à 32 ans ton année chanceuse est obligatoire-ment derrière toi, tu saisis ? Oui, mais il est né un 12, ce dadais, ça fait donc 20 ans qu’elle est derrière lui, il a eu tout le temps d’en faire son deuil, me semble. Oui, il sait tout ça, mais c’est un symbole… comme une barrière, un point de non-retour ou quelque chose du genre… 32, ça veut dire que le meilleur est passé, forcément… N’importe quoi ! D’abord il admet lui-même qu’il s’agit d’une superstition idiote. Et alors ? Ça ne serait pas la première fois qu’une superstition idiote se vérifie. Je commence à me douter qu’il me niaise, mais je fais comme si je ne m’en rendais pas compte, je fais comme si cette discussion menait quelque part et j’entre-prends sérieusement de lui démontrer que sa lubie ne résiste pas à l’examen le plus superficiel. Tiens, prenons juste son cas : peut-il me jurer en toute bonne foi que l’année de ses 12 ans a été la plus belle de sa vie ? Inco n-testablement, selon lui. Quand il a eu 12 ans, que je veuille bien me souvenir, c’est là qu’on est devenus amis pour de bon. C’est pas un coup de chance incroyable, ça, qu’on se soit trouvés ? Pas tant que ça : après tout, on était voisins, si ça n’avait pas cliqué à ce moment-là, ça n’aurait été que partie remise, nos affinités étaient trop évidentes pour qu’on se manque. Ça on ne le saura jamais, mais de toute façon ce n’est pas tout : à 12 ans, il avait sa chambre dans le sous-sol, la télé avec le câble, un magnétoscope avec lequel il enregistrait les films de cul lors des grands débrouillages de Super Écran et les vidéos de Samantha Fox à Much Music, et un Nintendo 8 bits sur lequel il faisait le tour

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quand il voulait à Castlevania, Metroid, Ghost’N’Goblins, Super Mario et Zelda ; il était également l’heureux posses-seur d’un magnifique bicycle de montagne de marque CCM (89 $ plus taxes chez Lacombe et frères) qu’il enfourchait, la nuit venue, pour aller à Sainte-Flore rôder autour de chez Karine Lavergne. Laissant la bécane dans le parking du Feu Rouge, il se rendait dans le terrain vague à côté de sa maison, et de là, il scrutait la fenêtre de sa chambre avec les jumelles qu’il avait achetées chez Korvette exprès pour. C’est à 12 ans également qu’il a viré sa première brosse, avec son cousin, dans le parc Hooper (un six pack à deux, ils étaient ivres comme des bêtes), et c’est à 12 ans qu’il a éjaculé pour la première fois. Des étapes importantes dans la vie d’un gars, ça, mine de rien. Ainsi, même en faisant la part de la nostalgie, il est prêt à jurer que l’année de ses douze ans a été son année. Et moi, qui suis née un trois ? J’aurais passé mon année chanceuse à faire des pâtés de bouette dans le carré de sable en arrière de chez nous et à macérer dans ma piscine tortue ? Qu’est-ce que j’ai contre les pâtés de bouette ? J’étais pas bien à trois ans ? Pas un pouce d’ouvrage à faire, pas l’ombre de la queue d’une responsabilité, sans compter qu’à cet âge-là tu peux encore (limite, mais quand même) pisser dans tes culottes sans te faire chi-caner. Si c’est pas ça le paradis ! Je me retiens de préciser que tout cela s’applique aussi bien à ma situation présente (qui me chicanerait si je pissais dans mes culottes drette là ?), et c’est un peu déprimant quand on y pense, mais pour répondre à sa question : non, je n’étais pas si bien que ça à trois ans. Ma sœur est venue au monde cette année-là et il paraît que ça a été un gros traumatisme pour moi. Et puis mes parents se sont séparés pas longtemps après…

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