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· Pierre-André Taguieff . islamisme et nous Penser l'ennemi . / . 1pre CNRS EDITIONS

islamisme et nous 17070 1. - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782271114624.pdf · Pierre-Andre´ Taguieff appelle a` reconnaıˆtre ce fondamentalisme islamique guerrier

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· Pierre-André Taguieff

. L'islamisme

et nous

Penser l'ennemi. / .

1rnprevu

CNRS EDITIONS

Presentation de l’editeur

Nous avons decouvert un « autre » que nous n’imaginionspas : le jihadiste. Nous sommes stupefies de voir surgir des« barbares » d’un nouveau type, vivant et pensant dans un toutautre monde culturel que le notre, et fermement decides ale soumettre ou a le detruire. Mais comment expliquer laseduction que ces fanatiques exercent ? Pourquoi font-ils desproselytes ? Notre culture laıcisee nous fait sous-estimer laforce des croyances religieuses qui animent les jihadistes.L’islamisme radical represente la derniere des ideologies legiti-

mant l’usage de la violence absolue contre les ennemis que ses adeptesdesignent : mecreants ou infideles. L’utopisme revolution-naire s’est refugiedans l’islamisme jihadiste, qui nous a declare la guerre. « Nous », c’est-a-direnon seulement les Occidentaux vivant dans des societes democratiques, maistous les humains decides a defendre leurs libertes.Pierre-Andre Taguieff appelle a reconnaıtre ce fondamentalisme islamiqueguerrier comme le nouvel ennemi. Il retrace l’histoire de la doctrine du jihadjusqu’a ses reinterpretations, au XXe siecle, par les principaux theoriciens del’islamisme. Il analyse enfin les usages du terme « islamophobie », instrumenta-lise par certains pour mobiliser les musulmans et les pousser a l’auto-segregation,voire a l’engagement jihadiste.L’islamisme jihadiste incarne une paradoxale revolution reaction-naire porteused’un projet imperialiste. Contre cet ennemi imprevu, le combat intellectuel etplus largement culturel est l’affaire de tous, musulmans anti-jihadistes compris.L’analyse exigeante et lucide d’un grand intellectuel sur ce melange ineditd’obscurantisme, de fanatisme et de propagande guerriere qui nous menace.

Directeur de recherche au CNRS, Pierre-Andre Taguieff, philosophe, politologue ethistorien des idees, est l’auteur de tres nombreux ouvrages.

L’ISLAMISME ET NOUS

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Pierre-Andre Taguieff

L’ISLAMISMEET NOUS

PENSER L’ENNEMI IMPREVU

CNRS EDITIONS15, rue Malebranche – 75005 Paris

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’ CNRS EDITIONS, Paris, 2017

ISBN : 978-2-271-11462-4

A David G. Littman (1933-2012)et Robert S. Wistrich (1945-2015),

in memoriam

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« Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrene uncerveau, la maladie est presque incurable. [...]Que repondre a un homme qui vous dit qu’ilaime mieux obeir a Dieu qu’aux hommes, et quien consequence est sur de meriter le ciel en vousegorgeant ? »

Voltaire, article « Fanatisme »,Dictionnaire philosophique [1764],

Paris, Editions Garnier Freres, 1967,pp. 197-198.

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Introduction

De la stupeur au questionnement

Embarques avec confiance sur le vaisseau du Progres versl’unification et la pacification du genre humain, et dejaconvaincus que nous vivions dans le « village planetaire »,nous, Occidentaux, liberaux ou sociaux-democrates, conser-vateurs ou progressistes, ne pouvions nous attendre a voirsurgir des barbares d’un nouveau type vivant et pensantdans un tout autre monde social et mental que le notre –qu’ils connaissent cependant –, et fermement decides a lesoumettre ou, sinon, le detruire. Ce qui etait pour nous ini-maginable, et donc imprevisible, ce n’est pas tant la violenceextreme de ces nouveaux barbares que leur vision guerriere etconquerante du monde, une vision ideologisee, dont le socle etla force mobilisatrice resident dans une religion particuliere,l’islam. Ce qui caracterise en effet le phenomene islamiste, enpremiere analyse, c’est la place centrale qu’y occupe la referencereligieuse comme source legitimatrice de l’action politiquecomme de la violence terroriste. Aux yeux des « progressistes »– au sens large du terme, renvoyant autant aux socialistes qu’auxliberaux1 –, l’islamisme radical se reduit a une forme de resur-gence d’un passe depasse – un passe d’avant la modernite,laquelle implique l’individualisation et la privatisation descroyances religieuses2 –, a un retour de croyances et de com-portements archaıques, bref, a une grande regression.

Quelle extension et quelle comprehension donner ici a ce« nous », a ce « je » elargi ou plus exactement « dilate au-dela de

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la personne stricte, a la fois accru et de contours vagues3 » ? Cepronom personnel dont, dans certaines conditions, le « plurielpeut tenir lieu du singulier4 », en tant que « particulier egocen-trique » ou « indicateur de subjectivite5 », ne se refere pas a unerealite sociale objective ou parfaitement definissable. Il n’est niun terme conceptuel, ni une description definie, ni un nompropre. Comme l’ecrit Benveniste, « le ‘‘nous’’ annexe au ‘‘je’’une pluralite indistincte d’autres personnes6 ». Dans lecontexte particulier ou il est ici employe, ce terme autorefe-rentiel designe d’abord tous ceux que les islamistes designenten tant qu’ennemis (« infideles », « mecreants »), a combattre,eliminer ou soumettre. « Nous » sommes les ennemis quedesignent les islamistes, et « nous » le savons. Dans ce« nous », par cercles concentriques, on trouve les Francais, lesEuropeens, les Occidentaux. Le terme inclut non seulementles Occidentaux mais aussi tous les individus culturellementoccidentalises percus ou poses par les islamistes comme anti-islamistes, qu’ils soient musulmans ou non musulmans. Ce« nous » ne s’oppose donc pas globalement a « eux » sur lemodele d’une guerre de civilisations, bloc contre bloc. Danscette conception perspectiviste et polemologique, l’Occidentne s’oppose ni a l’Orient, ni, par exemple, au mondemusulman. L’Occident se pose en s’opposant a ses ennemisdeclares que sont les islamistes. « Nous » nous definissonscontre ceux qui sont contre nous, et nous designent commetels. En un sens, pour paraphraser Sartre7, c’est l’islamiste quicree l’Occident. « Nous » existons comme « Occidentaux »(chretiens, athees, mecreants, juifs, etc.) dans et par le regardde ceux qui veulent a tout prix se distinguer de nous en nousdiabolisant. Cette decentration permet d’echapper a cetteforme particuliere d’ethnocentrisme qu’est le « nostrocen-trisme », impliquant une auto-essentialisation. Si, parmi lescitoyens des pays occidentaux, les anti-islamistes sont large-ment majoritaires, on compte aussi des islamistes et des pro-islamistes, qui se considerent et doivent etre consideres comme

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des ennemis de l’interieur. Et, dans les pays musulmans, lesislamistes rencontrent des resistances, elles-memes multiples,en depit de leurs strategies d’intimidation.

Mais ce « nous » tient aussi son sens contextuel ou situa-tionnel d’une reference implicite a une histoire commune et ades valeurs partagees8 : « nous » sommes notre histoire et nosvaleurs9, lesquelles sont recusees et condamnees par « nos »ennemis declares. Des lors, en faisant intervenir une definitionde la civilisation occidentale a partir de ses inventions propres,toutes universalisables, on peut identifier les islamistes, en tantqu’anti-Occidentaux, par leur rejet des six traits qui, comme l’asuggere le philosophe Philippe Nemo, permettent de definirminimalement « notre » civilisation : l’Etat de droit, la demo-cratie pluraliste, les libertes intellectuelles (ou le liberalismeintellectuel et/ou culturel), la rationalite critique, la science etl’economie de marche – ou, si l’on prefere, le liberalismeeconomique, avec son inseparable antithese, le socialisme10.On peut y ajouter les droits de l’homme et l’egalite des sexes,ainsi que la secularisation et la separation des spheres, enparticulier du religieux et du politique, dont le principe delaıcite est derive.

Malgre la critique relativiste de l’opposition entre civilisa-tion et barbarie11, malgre notre ralliement vertueux au dra-peau de ceux qui denoncent l’ethnocentrisme dans tous lesdomaines12, nous recourons a la notion de barbarie pourcaracteriser les actions jihadistes. Nous oublions ce faisantl’avertissement de Montaigne qui, dans le chapitre « Des can-nibales » des Essais (I, 30), est fort clair sur la question : de la« terre du Bresil » que Villegagnon a surnomme « la FranceAntarctique », Montaigne declare « qu’il n’y a rien de barbareet de sauvage en cette nation, sinon que chacun appelle bar-barie ce qui n’est pas de son opinion », car noussommes domines par « l’exemple et idee des opinions etusances du pays ou nous sommes ». Il ne faut pas pour autantoublier l’envers du decor forme par la pensee rationnelle, si

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reconfortante, et mediter cet avertissement de George Steiner :« Meme aux sommets de l’abstraction et de l’analyse qui sevoudrait au-dessus de toute melee l’on entend le cri lointainmais percant de Theophile Gautier : ‘‘Plutot la barbarie quel’ennui !’’13 ». Ce cri, nous l’entendons de plus en plus souventdans les zones du village global ou le ressentiment contre lamondialisation fournit des raisons d’agir, aussi peu rationnellessoient-elles.

En parlant de « barbarie » ou de « regression », nous faisonsappel, une fois de plus, a la theorie evolutionniste des survi-vances, qui revient a expliquer les menaces par la persistance del’ancien dans le present. Cette vision reste malgre tout dans lecadre de l’optimisme historique, puisqu’elle postule que lesmaux d’aujourd’hui ne sont que les effets de vestiges du passevoues a disparaıtre. Nous pensons ce que nous appelons « bar-barie » comme un ensemble de deplorables archaısmes, au seind’une humanite marchant globalement vers la prosperite et lapaix, le bonheur et la liberte. Bref, par-dela ces obstacles,l’avenir est a cette « bonne » humanite en marche dont nousserions les incarnations. Ceux qui semblent s’opposer a cettehumanite « normale » sont percus comme des cas patholo-giques. Mais il y a plusieurs manieres de se representer cesderniers.

Nous parlons spontanement de « barbares », comme pourconjurer la sideration et l’epouvante qui nous saisissent face auterrorisme islamiste, percu a travers des images de massacres.L’emploi du mot « barbare » nous permet de mettre a distanceles nouvelles incarnations du Mal, au prix d’une simplificationet d’une reduction a du « bien connu », dont le premier incon-venient est la division de l’humanite en deux parties etrangereset hostiles l’une a l’autre, et irreconciliables, ce qui ne laissed’autre perspective que celle d’une guerre totale. Il en va dememe avec le recours paresseux a la notion floue de « nihi-lisme », que des observateurs frottes de philosophie et delitterature ont cru pouvoir eriger en modele d’intelligibilite

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d’un phenomene, l’islamisme guerrier, echappant a nosattentes ou a nos routines cognitives14. D’ou la tentation dedonner dans l’indignation et la denonciation, qui tendent a sesubstituer a la volonte de connaıtre, non sans donner l’illusionde combattre le phenomene. En quoi, par exemple, la carac-terisation des jihadistes comme « nihilistes » peut-elle avoir lemoindre sens, si l’on se refere a la vision nietzscheenne dunihilisme ? Dans un fragment posthume datant de l’automne1887, Nietzsche ecrit : « Nihilisme : le but fait defaut ; lareponse au ‘‘Pourquoi ?’’ fait defaut ; que signifie le nihilisme ?– que les valeurs supremes se devalorisent15. » Les jihadistes,quant a eux, ont un but, des croyances fortes et des reponsesa toutes les questions, theoriques et pratiques : « L’islam est lasolution. » Ils savent donc parfaitement pourquoi ils combat-tent. Et ils ne doutent pas de leurs « valeurs supremes ».

Qui est l’ennemi ?

Partons d’un modeste constat : le barbare reste celui quenous ne comprenons pas, et le mot « barbare » designe d’abordcelui qui resiste a nos tentatives de domestication conceptuelle.Commencons donc par reconnaıtre que nous ne comprenonspas les islamistes, que leur pensee, leur imaginaire et leurlangage nous paraissent impenetrables. Ayons a l’esprit cetteremarque de Flaubert dans sa lettre des 23-24 decembre 1862a Sainte-Beuve, deconcerte par sa lecture de Salammbo : « Riende plus complique qu’un Barbare16. » Mais peut-etre nousfaut-il aussi avouer que nous avons bien du mal a comprendrel’islam et a lire le Coran sans etre desoriente ou decontenance.Un expert comme Adrien Candiard vient heureusement anotre secours en reconnaissant et identifiant le probleme :

« Le Coran est un texte a peu pres incomprehensible. Certainsde ses versets sont tres clairs, c’est vrai ; mais le livre lui-meme estextremement difficile. Le sens meme des mots arabes dans ce

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texte tres ancien est, dans beaucoup de cas, absolument conjec-tural. [...] Meme lu en traduction, c’est-a-dire apres un choixd’interpretation qui le rend bien plus accessible, le texte restemysterieux17. »

Stigmatiser les nouveaux ennemis en tant que barbares ounihilistes, c’est, au-dela des vaines imprecations, s’engagerimprudemment dans le labyrinthe des discussions sans finsur le sens des termes « barbarie18 » et « nihilisme19 ». Le relevede quelques ressemblances ou analogies entre jihadistes, « bar-bares » (lesquels ?) et « nihilistes » (lesquels ? et en quel sens ?)n’equivaut pas a une conceptualisation rigoureuse du pheno-mene. Dans les deux cas, la dimension religieuse est etrange-ment oubliee, comme s’il fallait effacer a tout prix ce qui reliel’islamisme a l’islam. Or, c’est bien la le cœur du probleme quinous hante ou devrait nous hanter. Quelques semaines apres le11-Septembre, Luc Ferry a pose la bonne question, une ques-tion necessaire et genante, recouverte en permanence par desdialogues de sourds et des bavardages polemiques : « Dansquelle mesure exacte l’islamisme est-il la verite ou, aucontraire, la trahison supreme de la religion musulmane20 ? »

On ne s’en tire pas par la boutade attribuee a FerhatMehenni : « L’islam, c’est l’islamisme au repos et l’islamisme,c’est l’islam en mouvement. C’est une seule et memeaffaire21. » Ni par des affirmations du type : « L’islamisme,c’est simplement l’islam applique a la lettre22 » ou, avec ungrain d’humour : « L’alcoolisme est a l’alcool ce que l’islamismeest a l’islam23 », meme si l’on ajoute que tout depend de laquantite absorbee. D’autres, disons les apologistes (parmi les-quels on trouve des islamophiles et des islamolatres non isla-mistes), repliquent que l’islamisme est absolument etranger al’islam, que les attentats terroristes commis au nom de l’islamn’ont « rien a voir avec l’islam », bref, que « l’islam n’est pascoupable24 », et qu’on n’a affaire qu’a des habillages islamiquestrompeurs d’actions violentes relevant de la delinquance ou deformes de revolte, que certains jugent plus ou moins justifiees.

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De tels enonces ne sont ni totalement faux, ni rigoureusementvrais. L’esprit de finesse est ici requis. Or l’on entre dans l’areneideologique en abandonnant le sens des nuances. On ne peutpourtant affirmer serieusement que l’islamisme n’a rien a voiravec l’islam, ni que l’islamisme, particulierement dans sa ver-sion jihadiste contemporaine, est parfaitement conforme al’enseignement de l’islam. Il s’agit toujours de savoir de quoil’on parle quand on emploie le mot « islam »25.

Mais le debat n’est pas clos pour autant. On ne saurait eneffet tracer une frontiere nette entre le « bon » islam et le« mauvais », le « veritable » islam (celui qu’on trouve « vrai-ment » dans le Coran) et ses contrefacons. Des lors, la critiquede l’islamisme ne peut que chevaucher la critique de l’islam.C’est pourquoi les malentendus et les differends sont inevi-tables sur la question26, meme si l’on s’efforce d’eviter desombrer dans les peches d’essentialisme, de culturalisme etd’« islamophobie », terme qui amalgame a des fins polemiquesl’anti-islamisme, la critique de l’islam et la haine des musul-mans. S’il est vrai, selon la formule de Brice Parain reprise parSartre, que les mots sont des « pistolets charges27 », le mot« islamophobie » l’est aujourd’hui plus qu’aucun autre. Lors-qu’il est applique a un individu ou a un groupe, il designe unecible a tout jihadiste. Par ailleurs, la peur de paraıtre « islamo-phobe » provoque l’autocensure et interdit la libre discussiondans l’espace public. Les gardiens de la vigilance anti-islamo-phobe postulent que l’« islamophobie » est une « peur irration-nelle de l’islam et des musulmans », qu’elle est une « forme deracisme » et qu’elle « prolifere d’une facon exponentielle »depuis le 11-Septembre dans les pays occidentaux.

Le postulat fondamental de cette vision globalement isla-mophile est que l’islam et l’islamisme ne posent aucun veri-table probleme dans les pays occidentaux, et que, dans cesderniers, le seul vrai probleme tient a l’existence de fantasmes,de peurs sans fondement, de prejuges et de stereotypes negatifssur l’islam et les musulmans. On en conclut que les musul-

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mans sont persecutes dans les pays non musulmans, ou ils sontdes exclus et des victimes. Tel est le noyau dur de la vulgateislamocentrique et victimaire dont on observe des variantespopulaires, militantes et savantes28. Elles alimentent la cor-ruption ideologique de l’antiracisme, devenu aux mains decertains groupes une machine a intimider, a faire dire etfaire taire. En France, de recents proces contre des intellectuelsaccuses notamment d’« islamophobie », comme PascalBruckner ou Georges Bensoussan, ont illustre l’instrumenta-lisation de l’antiracisme dans le cadre de chasses aux sorciereslancees par des milieux islamistes ou islamo-gauchistes29.

On connaıt la question aussi mal posee que beaucoupposee : « L’islam est-il compatible avec la Republique ? »Reponse negative assuree pour ceux qui la lancent commeune question rhetorique30. Leur objectif declare est de luttercontre « l’islamisation » de la societe francaise. Quant a ceuxqui repondent mecaniquement a cette question qu’ils neposent pas, tant la reponse va pour eux de soi, ils s’indignentbruyamment qu’on la pose. Il reste a formuler les bonnesquestions prealables : Quel islam ? Quels musulmans ? QuelleRepublique ? Et a s’engager dans des recherches et des analysessans vouloir a tout prix conclure. Il s’agit avant tout de nourrirla reflexion sur un ensemble de problemes complexes excluantdes solutions simples, sous forme de recettes.

L’historienne et islamologue Jacqueline Chabbi nous meten garde contre les lectures a la fois naıves et biaisees du Coranqui consistent a chercher dans le seul texte « sacre » les secretsde l’islamisme, a travers le devoilement de ce qui serait la« verite » de l’islam :

« Il y a de l’illusion a croire qu’un texte, quel qu’il soit, parle delui-meme. Quel que soit le contexte et quelle que soit l’epoque,il ne faut jamais oublier que ce sont les hommes qui font parlerles textes. Ce sont les hommes qui donnent du sens aux textes enles interpretant. Mais, entre tous, les textes qui sont tenus poursacres, car referant a une croyance collective ou a une religion,

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sont a considerer a part, car les hommes de chaque epoque leuraffectent une valeur de verite qu’au nom de leur croyance ilsimaginent spontanement comme transtemporelle ou transcen-dant les aleas du temps31. »

Traite comme une boıte a outils polemiques, le Coranconstitue pour les islamistes, jihadistes compris, une reserveinepuisable d’arguments legitimatoires, et, pour leurs ennemiscomme pour ceux de l’islam, un « texte traverse de violence etporteur d’incitations scandaleusement belliqueuses32 », ce quiles autorise a conclure que l’islam est une religion intrinseque-ment detestable, et qu’on doit attribuer au Coran le memestatut repulsif qu’a Mein Kampf. Telle est la these soutenue parGeert Wilders, le leader du PVV aux Pays-Bas, qui affirme que« le Coran doit etre banni » et avance les raisons suivantes :

« Demander l’interdiction d’un livre est inhabituel pour moi,qui suis un defenseur des libertes. Mais le Coran est un cas apart. Aux Pays-Bas, nous avons interdit Mein Kampf, et, a cemoment-la, la gauche n’a pas crie pas au scandale : ceux quicritiquent l’idee de bannir le Coran approuvaient l’interdictiondu livre d’Hitler. Je pense objectivement que le contenu duCoran appelle a de nombreux crimes, de facon recurrente, surpresque chaque page. Je suis un partisan de la liberte d’expres-sion, et je suis meme en faveur de l’implantation d’un equivalentdu 1er amendement americain, mais meme celui-ci, qui l’offrepleinement, ne tolere pas les incitations a la violence. Le Coranest plein d’incitations a la violence, c’est pourquoi je pense qu’iln’a pas sa place aux Pays-Bas. C’est un signal que j’envoie. Je saisque je ne l’obtiendrai pas, mais le debat demontre le traitementpreferentiel des partis de gauche sur tout ce qui touche a l’islam.Le Coran est comparable a Mein Kampf en termes de haine, etpas seulement envers les Juifs. Peu savent qu’il y a par exempleplus de passages antisemites dans le Coran que dans MeinKampf 33. »

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Retour du religieux ou montee du fanatisme ?

Il y a bien eu un « retour du religieux » a la fin duXXe siecle34, mais il ne s’est pas produit sous la forme qu’onpouvait attendre ou esperer. Le message d’amour et de paixs’est transforme en appel a la guerre, au nom d’une foi reli-gieuse, dans le cadre d’une « ideologie de contestation » a fortinvestissement identitaire, l’islamisme35. Dans le discourspolemique refaisant les chemins du combat des Lumierescontre la superstition, l’islamisme, en tant qu’ideologie poli-tico-religieuse, a ete epingle comme une nouvelle illustrationde l’« obscurantisme religieux ». Telle est la reaction spontaneede defense intellectuelle de ceux qui se referent aux Lumierescomme moment fondateur de la pensee libre en quete du vrai,du bien, du juste. Dans cette perspective, on attend presquetout de la hausse du niveau d’education. En effet, comme lenote Marcel Gauchet, « la naıvete occidentale est de penser quesi le niveau d’education s’eleve, les Lumieres triomphent, c’enest fini de l’obscurantisme et de la superstition36 ». Les chosesne sont bien sur pas si simples, et l’optimisme pedagogiquecache souvent les problemes epineux sous des utopies gene-reuses.

On comprend que l’horizon d’attente des Occidentaux aitete bouleverse par l’experience qu’ils ont faite d’une seried’evenements inouıs, sous le signe de la terreur ou de ce quenous continuons d’appeler, faute d’un meilleur terme, la « bar-barie ». Ou encore le « fanatisme », avec en memoire les san-glantes guerres de religion qui ont ravage la France auXVIe siecle37. Et la piste du fanatisme nous conduit a « prendreles croyances au serieux38 », d’autant plus qu’elles sont deve-nues folles sans etre pour autant denuees d’une rationalite quileur est propre39. D’ou la tendance, chez beaucoup, a substi-tuer l’inquietant « choc des civilisations » au reconfortant « dia-logue des civilisations », longtemps cense rendre possible la tresattendue « democratie cosmopolite » et permettre d’ecarter la

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Dictionnaire historique et critique du racisme (dir.), Paris, PUF, coll.« Quadrige », 2013.

Du diable en politique. Reflexions sur l’antilepenisme ordinaire, Paris,CNRS Editions, 2014.

La Revanche du nationalisme. Neopopulistes et xenophobes a l’assaut del’Europe, Paris, PUF, 2015.

Pensee conspirationniste et « theories du complot ». Une introductioncritique, Toulouse, Uppr Editions, 2015 (ebook) ; 2e ed. aug-mentee, 2016 (edition papier).

Une France antijuive ? Regards sur la nouvelle configuration judeophobe.Antisionisme, propalestinisme, islamisme, Paris, CNRS Editions,2015.

L’Antisemitisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2015.

Des Putes et des Hommes. Vers un ordre moral androphobe, Paris,Editions RING, 2016.

Celine, la race, le Juif. Legende litteraire et verite historique (avec AnnickDuraffour), Paris, Fayard, 2017.

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