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L’ORIENTATION ÉCONOMIQUE DU POST-ISLAMISME INDONÉSIEN Gwenaël Njoto-Feillard Centre d'études et de recherches sur le Proche-Orient | « Les Cahiers de l'Orient » 2008/4 N° 92 | pages 29 à 40 ISSN 0767-6468 DOI 10.3917/lcdlo.092.0029 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2008-4-page-29.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Centre d'études et de recherches sur le Proche-Orient. © Centre d'études et de recherches sur le Proche-Orient. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Centre d'études et de recherches sur le Proche-Orient | Téléchargé le 20/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © Centre d'études et de recherches sur le Proche-Orient | Téléchargé le 20/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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L’ORIENTATION ÉCONOMIQUE DU POST-ISLAMISME INDONÉSIEN

Gwenaël Njoto-Feillard

Centre d'études et de recherches sur le Proche-Orient | « Les Cahiers de l'Orient »

2008/4 N° 92 | pages 29 à 40 ISSN 0767-6468DOI 10.3917/lcdlo.092.0029

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2008-4-page-29.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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_______________________ Analyse socio-économique

L’orientation économique du post-islamisme indonésien

Par Gwenaël Njoto-Feillard*

Depuis le début du XXe siècle, l’islam indonésien s’est caractérisé par une relative bipolarité. Sous l’influence du réformisme sud-asiatique et moyen-

oriental, plusieurs organisations, dont la plus importante la Muhammadiyah (fondée 1912), se donnèrent pour but de purifier et moderniser l’islam local, encore fortement empreint du passé hindo-bouddhique et de traditions mys-tiques. Se sentant menacés par cette vague réformiste, qui entendait notamment proscrire le culte des saints, les oulé-mas traditionalistes fondèrent à leur tour le Nahdlatul Ulama (NU, Renaissance des oulémas) en 1926. Ces deux courants ont occupé la scène religieuse de l’Indonésie indépendante (1945), œuvrant dans le domaine de l’éducation, du social et négociant avec plus ou moins de succès leur place sur la scène

* Gwenaël Njoto-Feillard est doctorant à l’Institut d’études politiques de Paris, rattaché au Centre d’études et de recherche internationales (Ceri). Ses recherches portent sur le développement de l’économie islamique en Indonésie, sur le financement des organisations musulmanes et celui des écoles coraniques.

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politique nationale face à un État religieusement neutre. Dans les années 1990, sous le régime du président Suharto (1966-1998), s’opère une deuxième transformation d’importance. En quête de sens, confronté à la pénétration des valeurs occi-dentales, tout un pan de la société indonésienne se réislamise (en particulier à Java), se détournant d’une pratique religieuse jugée laxiste ou inspirée par le mysticisme. Les signes exté-rieurs de la nouvelle classe moyenne de born-again Muslims ne peuvent, durant ces années, échapper à l’observateur : port du voile de plus en plus répandu, pratique plus assidue du jeûne, des cinq prières quotidiennes et du pèlerinage à La Mecque1. Cette résurgence islamique est favorisée par la poli-tique religieuse d’un régime qui entend purger la société du communisme, donc de l’athéisme, à la suite de la tentative de coup d’État attribuée au Parti communiste en 1965 ; et par la stratégie d’islamisation par le bas adoptée par le courant islamiste face à un évident blocage de la voie politique par des militaires tenants d’une vision séculariste.

Ce paysage religieux continue depuis lors à subir de pro-fonds changements, soumis toujours plus intensément aux flux de la globalisation. Rien de plus illustratif aujourd’hui de cet islam indonésien mondialisé que l’émission de la chaîne TPI, sorte de Popstars islamique, où les téléspectateurs votent par sms (service évidemment payant) non pour la future star de la musique pop, mais pour celui que l’on considère être le meilleur prédicateur parmi un éventail de candidats. Ou encore, cette autre émission intitulée « Chasseurs de fantô-mes » (Pemburu Hantu, inspirée de la production hollywoo-dienne Ghostbusters), où des religieux enturbannés et bardés d’amulettes protectrices effectuent des exorcismes en direct à l’aide d’incantations mêlées à des citations du Coran et d’une gestuelle martiale. Ce type d’émissions ne manque pas d’épouvanter les gardiens de l’orthodoxie regroupés au sein du Conseil des oulémas d’Indonésie (MUI, Majelis Ulama Indonesia), organe semi-officiel chargé d’émettre des fatwa

1. Voir Robert W. Hefner, Civil

Islam: Muslims and democratization

in Indonesia, Princeton,

NJ, Princeton University Press,

2000.

1. Voir Robert W. Hefner, Civil

Islam: Muslims and democratization

in Indonesia, Princeton,

NJ, Princeton University Press,

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(avis juridiques) dans lequel est représenté autant le courant traditionaliste que moderniste. Compétiteurs de l’autorité religieuse traditionnelle, distincts de la posture islamiste clas-sique dans la mesure où la question de l’État n’est pas pour eux un enjeu central, de nouveaux acteurs de l’islamisation sont apparus : stars de la prédication télévisuelle, entrepre-neurs modèles, guérisseurs, groupes de musique nasyid, grou-pes néo-fondamentalistes inclinés, ou non, à l’action violente. Tous ont bénéficié plus ou moins directement de la libéralisa-tion de la vie politique ayant suivi la chute du régime autori-taire de Suharto en mai 1998.

Dans ce contexte de confusion des genres et de crise de l’autorité toujours plus intense, on ne saurait être surpris du raidissement de la position du Conseil des oulémas qui entend délimiter plus que jamais ce qui est ou n’est pas conforme à l’is-lam. En juillet 2005, le Conseil a ainsi réitéré avec la plus grande insistance l’hérésie de l’organisation Ahmadiyah2, ou encore le fait que les concepts de libéralisme, de pluralisme et de sécula-risme sont « contraires aux enseignements de l’islam », visant le nouveau courant des jeunes intellectuels de l’Islam libéral. Le démarquage des frontières externes à l’oumma est égale-ment défini avec force par le Conseil : interdiction de prier ensemble pour les communautés de différentes obédiences religieuses et problématisation nouvelle de l’apostasie. L’islam officiel aura beau tenter de se réapproprier le monopole de l’énoncé du dogme, son application tombe désormais entre les mains de groupes néo-fondamentalistes qui se chargent de détruire les bâtiments de l’Ahmadiyah, de menacer physique-ment ses membres ou encore de démanteler les lieux de culte chrétiens construits sans autorisation. Par crainte d’une inten-sification de cette violence privée à l’approche des élections de 2009, les autorités ont émis, le 9 juin 2008, un décret qui intime l’Ahmadiyah de cesser « toute dissémination d’inter-prétations et activités déviant des principaux enseignements de l’islam ». Pour certains observateurs, le gouvernement

2. Mouvement né en 1889 à Qādiān,

en Inde. Son fondateur, Mirza Ghulam Ahmad (1839-1908), se

présentait comme l’incarnation

du mahdī, figure mythique

de l’islam. L’Ahmadiyah

est présente en Indonésie depuis le premier quart

du XXe siècle. L’organisation

revendique aujourd’hui

400 000 membres, mais les autorités estiment que les

chiffres réels sont plus proches de

50 000 à 80 000 personnes.

2. Mouvement né en 1889 à Qādiān,

en Inde. Son fondateur, Mirza Ghulam Ahmad (1839-1908), se

présentait comme l’incarnation

du mahdī, figure mythique

de l’islam. L’Ahmadiyah

est présente en Indonésie depuis le premier quart

du XXe siècle. L’organisation

revendique aujourd’hui

400 000 membres, mais les autorités estiment que les

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actuel cède en partie à l’intense lobbying d’organisations radi-cales, notamment le FPI (Front de défense de l’islam), le HTI (Hizbut Tahrir Indonesia), ainsi que d’autres organisations, toutes réunies sous la bannière du Forum Umat Islam. Il vient ainsi d’établir un dangereux précédent pour la liberté de pra-tique religieuse inscrite dans la Constitution.3

Autonomisation des acteurs sociaux, individualisation de la pratique religieuse, islamisme en voie de banalisation, néofondamentalisme fixé sur la démarcation des frontières de l’oumma et sur l’application de la charia, renforcement de la thématique de la société civile islamique… les principaux traits du phénomène post-islamiste4 semblent aujourd’hui présents en Indonésie. Deux exemples permettent ici d’observer l’ap-parition d’une orientation économique plus marquée au sein de ces nouvelles dynamiques d’islamisation et d’en dégager quelques traits distinctifs par rapport au Moyen-Orient.

Abdullah Gymnastiar et le nouvel imaginaire économique post-islamiste

Acteurs incontournables de cette configuration inédite, une génération de prédicateurs charismatiques, adeptes de l’islamo-business, s’approprient désormais l’énonciation du savoir religieux. Formulant un islam light5, davantage pré-occupé par la question de l’éthique individuelle, des valeurs, notamment entrepreneuriales, ils s’inspirent fortement de la théorie du management et de la littérature de la « réalisation-de-soi ». L’un des principaux représentants de ce courant, pro-moteur du musulman en paix avec lui-même et avec les autres, n’est autre qu’Abdullah Gymnastiar, connu sous l’appellation familière d’Aa Gym (Aa signifiant frère en sundanais). Fils de militaire, ayant effectué un passage en institut technique, il ne possède pas de véritable formation religieuse, hormis quelques très brefs séjours en école coranique. En 1987, alors

3. International Crisis Group,

Indonesia: Implications of the

Ahmadiyah Decree, Crisis Group Asia

Briefing n°78, 7 juillet 2008.

3. International Crisis Group,

Indonesia: Implications of the

Ahmadiyah Decree, Crisis Group Asia

Briefing n°78, 7 juillet 2008.

4. Olivier Roy et Patrick Haenni

(dir.), « Le postislamisme » in

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n°85-86, 1998,

pp. 9-159.

4. Olivier Roy et Patrick Haenni

(dir.), « Le postislamisme » in

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n°85-86, 1998,

pp. 9-159.

5. Jane Perlez, « A TV Preacher

to satisfy the taste for Islam light », New York Times,

22 août 2002.

5. Jane Perlez, « A TV Preacher

to satisfy the taste for Islam light », New York Times,

22 août 2002.

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étudiant, il fonde avec quelques compagnons la Famille des étudiants-entrepreneurs et se lance dans le commerce d’objets islamiques, inspiré en cela par les succès économiques de la secte néo-soufie d’origine malaisienne, le Darul Arqam.6 En une dizaine d’années, le petit groupe connaît une expansion considérable. Doué d’incontestables talents oratoires et ayant une allure de gendre idéal, Aa Gym attire de plus en plus de monde lors de ses prêches. Le groupe finit par s’établir dans un quartier de la ville de Bandung (Java-Ouest), y fondant un complexe nommé Daarut Tauhiid (DT) comprenant une mosquée, des bureaux, un supermarché, complétés plus tard par deux hôtels, un organisme de microcrédit islamique, une pharmacie, un restaurant et divers magasins où sont exposés les produits de l’entreprise. Vitrine de l’éthique promue par Aa Gym, le DT se veut aussi le centre d’un tourisme reli-gieux, comme l’explique sa brochure d’information. Avec des pics de quelques dizaines de milliers de visiteurs par mois, le complexe a engrangé pendant un moment des bénéfices importants, tirés en premier lieu du supermarché, des pro-grammes de formation à la réalisation-de-soi et autres out-bound trainings, appelés Management du cœur (Manajemen Qolbu), ayant pour clients des ministères, des grandes entre-prises publiques ou privées. Les activités, qui n’ont pas pour lieu d’opération le DT en lui-même, sont regroupées au sein de MQ Corporation, une holding formée en 1990 qui regroupe une vingtaine de secteurs d’activités parmi lesquels l’édition, la production télé et audiovisuelle, la production de sites Internet, un service de télémessagerie islamique, un service de consultance pour les entreprises, l’organisation d’événements, un système de vente pyramidale de produits de commodités, une agence de voyages, l’organisation de pèleri-nages à La Mecque et la vente de produits vestimentaires. La valeur du groupe a été évaluée dans la presse à 90 millions d’euros, somme bien au-dessus de la réalité et qu’Aa Gym s’est empressé de relativiser par ailleurs. L’affaire a attiré l’attention

6. Entretien avec Abdullah

Gymnastiar, Bandung,

mars 2003.

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du service des impôts et n’a fait que renforcer l’argumentaire des critiques du prédicateur, accusé depuis quelques temps déjà de bas matérialisme. Depuis que le prédicateur a pris une seconde épouse en 2006, son image auprès de l’opinion publique s’est considérablement dégradée, ainsi que ses dif-férentes activités économiques. Sa popularité s’était en effet construite sur l’image donnée, auprès d’un public en grande partie féminin, du mari ou du gendre idéal. Son deuxième mariage a donc été vécu comme une forme de trahison et une preuve que le prédicateur ne respectait pas son propre mes-sage de gestion psycho-spirituelle des passions.7

Dans ses ouvrages et ses nombreux prêches retransmis à la télévision, Aa Gym promeut un type de richesse vertueuse, acquise éthiquement et permettant une redistribution par les œuvres. Dans cette démarche, il ne semble pas aller aussi loin que l’Égyptien Amr Khaled qui, prêchant à la jeunesse dorée égyptienne, y voit un « signe d’élection divine »8. Par rapport à ses débuts, la star de la prédication semble insister désormais davantage sur le principe d’une pieuse modestie. Ceci s’expli-que sans doute par le fait que son audience s’est élargie au-delà de la bourgeoisie musulmane, chez les classes populaires, mais également par le fait que sa notoriété a attiré des critiques, autant fondées sur son aisance matérielle que sur le contenu de sa prédication, jugée peu orthodoxe car trop soufie pour la mouvance wahhabite locale9. Matérialisme, manque de savoir religieux et hétérodoxie, ces critiques envers Aa Gym sont partagées autant par le courant néo-fondamentaliste que celui traditionaliste10. D’autres prédicateurs ne s’encombreront pas de ces considérations, allant plus loin dans cette célébration de la richesse musulmane, tel l’entrepreneur-maire Masfuk qui y voit un « moyen de marcher dans la voie de Dieu », un discours qui se rapproche davantage donc de celui de l’Égyp-tien Amr Khaled, ou encore Jeffry Al-Buchori, le prédicateur branché des jeunes et des célébrités, qui n’hésite pas à exposer sa montre de luxe et ses lunettes dernier cri durant ses prêches.

7. Voir James B. Hoesterey, « Marketing

Morality : The Rise, Fall and

Rebranding of Aa Gym » in

Greg Fealy and Sally White

(ed.) Expressing Islam : Religious Life and Politics

in Indonesia, Indonesia, Update

Series, Research School of Pacific

and Asian Studies, The Australian

National University, ISEAS,

Singapore, 2008, pp. 95-112.

7. Voir James B. Hoesterey, « Marketing

Morality : The Rise, Fall and

Rebranding of Aa Gym » in

Greg Fealy and Sally White

(ed.) Expressing Islam : Religious Life and Politics

in Indonesia, Indonesia, Update

Series, Research School of Pacific

and Asian Studies, The Australian

National University, ISEAS,

Singapore, 2008, pp. 95-112.

8. Patrick Haenni et Holtrop Tjitske,

« Mondaines spiritualités...’Amr

Khâlid, ‘shaykh’ branché de la

jeunesse dorée du Caire », Politique

africaine, n°87, 2002, p. 58.

8. Patrick Haenni et Holtrop Tjitske,

« Mondaines spiritualités...’Amr

Khâlid, ‘shaykh’ branché de la

jeunesse dorée du Caire », Politique

africaine, n°87, 2002, p. 58.

9. Abdurrahman Al-Mukaffi, Rapot

merah Aa Gym: MQ di penjara

tasawuf, Jakarta, Darul Falah,

2003.

9. Abdurrahman Al-Mukaffi, Rapot

merah Aa Gym: MQ di penjara

tasawuf, Jakarta, Darul Falah,

2003.

10. Entretien avec trois oulémas du

Nahdlatul Ulama de Java-Centre,

août 2005.

10. Entretien avec trois oulémas du

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août 2005.

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Certains de ces nouveaux prédicateurs, notamment ceux qui entendent gonfler une popularité encore insuffisante, n’atten-dent pas le financement des maisons de production ou des chaînes de télévision qui rémunèrent de multiples apparitions sur le petit écran, et s’offrent eux-mêmes un temps d’antenne. S’apparentant à des spots publicitaires, ces prêches télévisuels permettront ainsi d’attirer plus de fidèles au sein d’activités extramédiatiques lucratives.

Alors qu’auparavant intellectuels ou idéologues s’interro-geaient timidement sur les solutions apportées par l’islam pour surmonter la pauvreté11, on propose aujourd’hui à chacun des méthodes pratiques pour devenir milliardaire s’inspirant du Coran et des incantations d’un Norman Peale ou d’un Steven Covey, gourous du management américain. Ces opérateurs privés du post-islamisme, véritables entrepreneurs de la prédi-cation et non simples entrepreneurs-prédicateurs, participent à la formation d’un islam défini comme religion de prospé-rité12, suivant en cela le temps mondial du fait religieux. On constate donc également ici, tout comme au Moyen-Orient, la formation d’un « nouvel imaginaire religieux […], marqué par la levée des condamnations morales du profit ».13

Le PKS et les hybridations du post-islamisme

L’empreinte du discours managérial que l’on trouve aujourd’hui dans la nouvelle génération de motivateurs à la posture typiquement post-islamiste est non moins patente au sein d’un courant islamiste à première vue plus classique, comme le Parti de la Justice prospère (PKS, Partai Keadilan Sejahtera). Ce parti a effectué une percée notoire aux élec-tions législatives en 2004 (7,34 % des voix) et prévoit une progression importante pour les élections à venir en 2009. Ainsi, l’actuel programme du parti entend former des cadres « forts, indépendants, dynamiques, créatifs, productifs, à

11. Voir Gwenaël Feillard, « Insuffler l’esprit

du capitalisme à l’Umma : la

formation d’une éthique islamique

du travail» en Indonésie,

Critique internationale,

n°25, 2004, pp. 93-118.

11. Voir Gwenaël Feillard, « Insuffler l’esprit

du capitalisme à l’Umma : la

formation d’une éthique islamique

du travail» en Indonésie,

Critique internationale,

n°25, 2004, pp. 93-118.

12. Voir Richard H. Roberts (ed.) Religion and the Transformations

of Capitalism: Comparative Approaches,

London, Routledge, 1995.

12. Voir Richard H. Roberts (ed.) Religion and the Transformations

of Capitalism: Comparative Approaches,

London, Routledge, 1995.

13. Tammam (H.) et Haenni (H.),

« Downsize it for heaven’s sake… La démocratie,

aphorisme islamiste de l’anti-

autoritarisme libéral », Maghreb-

Machrek, n°182, Le Caire,août

2004, p. 5.

13. Tammam (H.) et Haenni (H.),

« Downsize it for heaven’s sake… La démocratie,

aphorisme islamiste de l’anti-

autoritarisme libéral », Maghreb-

Machrek, n°182, Le Caire,août

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l’avant-garde du changement ».14 S’inspirant des devises de la Ford Motor Company, de la General Electric et de la compa-gnie aérienne nationale Garuda, chaque activiste doit consi-dérer que son développement personnel est un produit, le plus important d’entre tous15. Dans la forme même de cette littérature, tableaux et questionnaires d’évaluation psycholo-gique, on retrouve les traits caractéristiques des méthodes de la consultance managériale, mâtinés naturellement de nom-breux référents islamiques. Loin d’être un simple discours, cette orientation fait l’objet d’une application concrète dans la vie quotidienne des membres du PKS, notamment au cours de réunions de formation en groupes restreints se tenant à intervalles réguliers (tarbiyah, « éducation » en arabe).16

Dès la fin des années 1970, cette contribution avait été l’un des éléments clés de la stratégie de contournement adop-tée par les militants pour faire face à l’État séculariste. Les islamistes indonésiens s’inspiraient alors en grande partie de la pensée et du mode opératoire des Frères musulmans égyp-tiens, à la suite notamment de contacts pris en partie lors de séjours en Malaisie. Mises en place dans les universités publi-ques, bastions habituels du modèle séculariste, des cellules semi-clandestines de prédication (usroh, « famille » en arabe) créaient une nouvelle génération de jeunes opposants isla-mistes qui, pour certains, et après des études aux États-Unis, avaient progressivement adopté la pensée managériale en l’adaptant à leur cause. Cette pensée se révélait d’autant plus pertinente pour les militants qu’elle coïncidait avec la démar-che islamiste d’un retour aux valeurs, des valeurs faiblement prescriptives qui plus est, facilement adaptables au contexte local, comme l’ont relevé H. Tammam et P. Haenni pour le cas égyptien.17 Ce savoir managérial permettait également de tempérer la suspicion des autorités. Dans les années 1990 néanmoins, ce discours est devenu un élément central de la légitimité d’une partie des militants ayant rejoint les rangs d’un islam « régitimiste » au sein de l’Association des intel-

14. DPP PKS, Profil kader Partai

Keadilan Sejahtera, Bandung,

Harakatuna publishing,

2004, p. 53.

14. DPP PKS, Profil kader Partai

Keadilan Sejahtera, Bandung,

Harakatuna publishing,

2004, p. 53.

15. Ibid15. Ibid

16. Entretien avec un membre du PKS, Bandung,

septembre 2005.

16. Entretien avec un membre du PKS, Bandung,

septembre 2005.

17.Tammam (H.) et Haenni (P.), op.

cit., août 2004, p.18.

17.Tammam (H.) et Haenni (P.), op.

cit., août 2004, p.18.

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lectuels musulmans d’Indonésie (ICMI, Ikatan Cendekiawan Muslim se-Indonesia), caution musulmane devenue indis-pensable pour le président Suharto face à une armée de moins en moins solidaire. L’épineuse question de l’État islamique est alors allègrement remplacée par celle de la contribution de l’islam au développement économique du pays, notamment dans le domaine des ressources humaines. Dans ce proces-sus, certains de ces jeunes militants ont formé des instituts de management et de « réalisation-de-soi », moyen de subsis-tance lors de périodes politiquement creuses. Parallèlement, le mouvement est sorti de sa clandestinité en prenant la forme d’organisations étudiantes très actives, qui participeront à la contestation visant l’autorité du président Suharto en 1997-1998. Leurs aînés alimentèrent les rangs du Parti de la Justice (PK - Partai Keadilan, renommé plus tard PKS), formé après la chute du président Suharto.

Legs de cet « éveil managérial »18, la promotion d’une richesse vertueuse est également une caractéristique marquante du dogme du PKS. Ainsi, l’islam ne promeut pas « seulement la bonne santé spirituelle et la force idéologique [de chacun], mais encourage aussi fortement la prospérité matérielle et le bien-être économique ».19 C’est à cette condition que le cadre du parti pourra venir en aide à l’oumma, est-il expliqué. En réalité, le premier à faire appel à la générosité des militants est le parti lui-même. Se présentant comme un parti propre, le PKS ne peut pas bénéficier, du moins trop ouvertement, des fonds illicites habituellement attachés à l’exercice du pou-voir. De plus, depuis 2005, une nouvelle législation a entraîné une forte chute des subsides de l’État pour le financement des partis politiques.20 Une partie des rentrées du PKS s’effectue, de fait, par diverses activités économiques, mais également par les donations de ses cadres et sympathisants. Les mem-bres du PKS se faisant élire à un poste législatif ou nommés à un poste gouvernemental sont censés reverser leur salaire au parti, acceptant en retour une compensation minimale de la

18. Ibid. p.12.18. Ibid. p.12.

19. DPP PKS, op. cit., 2004, p.145.

19. DPP PKS, op. cit., 2004, p.145.

20. Marcus Mietzner, « Party

Financing in Post-Suharto

Indonesia : Between State

Subsidies and Political

Corruption » in Contemporary

Southeast Asia, Vol. 29, n°2,

2007, pp. 238-263.

20. Marcus Mietzner, « Party

Financing in Post-Suharto

Indonesia : Between State

Subsidies and Political

Corruption » in Contemporary

Southeast Asia, Vol. 29, n°2,

2007, pp. 238-263.

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part de celui-ci. Autre exemple, le premier congrès national du PKS qui a eu lieu à Jakarta en juillet 2005 a été en partie financé par un large programme de donation (infaq) plus ou moins obligatoire, où chaque cadre (le parti déclarait en avoir 400 000 à 500 000 à l’époque) était censé verser un mini-mum de 50 000 Rp au parti (4,5 euros). Le parti s’est associé à la principale banque islamique du pays (Bank Muamalat Indonesia) pour la mise en opération de cartes de membres du parti, faisant également office de cartes de crédit, facilitant dans le même temps le processus de donation interne.

Conjointement, on assiste à la formation de structures économiques non liées officiellement au PKS, mais com-portant en majorité des membres du parti. C’est le cas du système de vente pyramidale de produits de commodités « Mulia Sejahtera Net », créé en 2004, qui peut bénéficier de l’agencement en réseau du parti déjà en place, un marché cap-tif et structuré, prêt à consommer pour la cause. Adoption de l’esprit d’un capitalisme mondialisé donc, mais également de ses pratiques les plus extrêmes21, accompagnées d’une néces-saire « réinvention de la différence »22 : les bonus pour les membres les plus actifs vont de la « voiture de luxe », de la « maison de vos rêves »… au « pèlerinage à La Mecque gra-tuit », comme l’annonce l’un de ses promoteurs. L’entreprise se veut distincte du système de vente pyramidale classique, se définissant d’abord comme un « club d’achat », en tant que ses articles sont exclusivement produits par des musulmans et que les bénéfices sont « en partie reversés aux efforts de prédication et à des œuvres sociales ». Le PKS se définissant comme un « parti de la prédication » (partai dakwah) et occu-pant le terrain du social, il peut logiquement en être l’un des principaux bénéficiaires. Les événements régulièrement orga-nisés par le parti sont autant d’occasions pour les membres, le plus souvent impliqués dans le négoce de vêtements, de livres et d’accessoires islamiques, pour former des réseaux commer-ciaux puis effectuer des donations. Cette juxtaposition entre

21. Le système de vente pyramidale

demeure controversé en

tant que les bénéfices des

opérations ne vont souvent qu’aux

membres les plus élevés

de la hiérarchie du réseau.

21. Le système de vente pyramidale

demeure controversé en

tant que les bénéfices des

opérations ne vont souvent qu’aux

membres les plus élevés

de la hiérarchie du réseau.

22. Jean-François Bayart,

« L’invention paradoxale de la modernité », in

Bayart, J.-F. (éd.), La réinvention du capitalisme, Paris,

Khartala, 1994.

22. Jean-François Bayart,

« L’invention paradoxale de la modernité », in

Bayart, J.-F. (éd.), La réinvention du capitalisme, Paris,

Khartala, 1994.

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champs politique, religieux et économique est particulière-ment visible pour un créneau en vogue en ce moment dans les rangs du PKS, qui propose un service de sacrifice d’une chèvre (aqiqah) au septième jour de la naissance de l’enfant musulman. Le militant du parti, dans sa prédication quoti-dienne, s’efforcera donc de convaincre ses coreligionnaires d’abandonner la pratique courante du syukuran (au cours duquel on fête la naissance de l’enfant 40 jours après sa nais-sance), moins orthodoxe car issue du registre javanais, pour le sacrifice musulman et ses services payants.23

Cette nouvelle orientation économique de courants que l’on pourrait considérer comme tenant du post-islamisme ne sem-ble pas résulter d’un désengagement du politique ou induire un tel processus. Les nouveaux prédicateurs promeuvent ce retour aux valeurs de l’individualisme, de la richesse vertueuse et du salut par les œuvres, non en raison de convictions libé-rales anti-étatistes, mais parce qu’ils vivent – d’ailleurs plutôt bien – de ce message et que celui-ci justifie en lui-même, de façon éthique, un statut privilégié. On ne serait pas surpris de voir que certains d’entre eux puissent s’engager en politique à l’avenir, après une éventuelle stagnation dans le business de la prédication. Ce fut le cas de Zainuddin M.Z., initiateur de la prédication light dans les années 1990, et membre fondateur du très conservateur parti de l’Étoile et de la Réforme (PBR, Partai Bintang Reformasi). Abdullah Gymnastiar lui-même est réputé proche du PKS et a parfois laissé transparaître un intérêt pour un engagement plus politique.

On a également constaté, avec le cas du PKS, qu’une orientation typiquement post-islamiste, exaltant le dévelop-pement psychologique et matériel de l’individu, peut servir à renforcer une stratégie de conquête du pouvoir. À la diffé-rence du cas égyptien, l’objectif dans le cas présent n’est pas de mettre fin au système de l’État-providence24, symbole d’un blocage autoritaire de la voie politique. L’État en lui-même est plus que jamais un enjeu à portée de main, notamment

23. Entretien avec un membre

du PKS impliqué dans l’activité,

Jakarta, juillet 2005.

23. Entretien avec un membre

du PKS impliqué dans l’activité,

Jakarta, juillet 2005.

24. Husam Tammam et

Patrick Haenni, op. cit., Le Caire, décembre 2004.

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Patrick Haenni, op. cit., Le Caire, décembre 2004.

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depuis la libéralisation politique de 1998, la percée du PKS aux élections de 2004 et son intégration à la coalition gouver-nementale. L’État est désormais, en partie, vecteur du modèle islamiste : en témoignent les lois sur l’éducation nationale de 2003, obligeant les écoles à fournir un enseignement religieux aux élèves (imposant de fait un enseignement islamique dans toute école chrétienne où des musulmans sont scolarisés). Ou encore le programme de crédit islamique pour les paysans que le ministre de l’Agriculture, issu du PKS, entend promouvoir, gardant sans doute à l’esprit les élections de 2009 et le fait que l’électorat du parti se limite pour le moment aux zones urbaines. Œuvrer dans le social, remplaçant un État souvent absent, est un classique de la stratégie islamiste. Une fois l’in-tégration au sein de l’État effectuée, les fondements de cette méthodologie – redistribuer pour fidéliser – s’appliqueront tout autant.

L’instauration d’un État islamique en soi n’a jamais été un thème vendeur au sein de l’opinion et les partis l’ont bien compris à la suite des élections de 1999. Le prédécesseur du PKS, le PK (Partai Keadilan, parti de la Justice) avait alors obtenu 1,36 % des voix avec un programme explicitement lié à l’application de la charia. En 2004, le PKS a pu récolter plus de 7 % des voix après une modération de ses revendica-tions islamistes, ce qui lui a d’ailleurs valu de vives critiques de la part des radicaux. Ainsi, le débat s’articule aujourd’hui davantage autour d’une islamisation progressive du droit que sur la fondation d’un État islamique.

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