12
Pourquoi ? P aris, Bamako, Tunis en deuil ! Jean Jaurès ne le disait-il pas déjà en 1910 ? “L’impérialisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage.” Une seule solution ! La sécurité et la paix par la démocratie "Les titres des tableaux ne sont pas des explications et les tableaux ne sont pas des illustration des titres". René Magritte Et cependant... avec ce titre de tableau, ”L’entrée en scène”, comment ne pas évoquer la nécessaire, l’indispensable entrée en scène ... d’une réelle politique de la paix, représentée par cette colombe ? HORS SÉRIE PNM 331 (COMMUNIQUÉS – APPELS) LIVRES, FILMS À OFFRIR PP 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10, 12 DAESH LAVAGE DE CERVEAUX D. VIDAL P .3 DEL ÉTAT DE DROIT À L ÉTAT DURGENCE P. KAMENKA P .3 MESURES DEXCEPTION, LÉGISLATIONS DEXCEPTIONP .2,9 FRANCE DÉFENDRE LA SÉCURITÉ SOCIALE J. LEWKOWICZ P .4 QUE PENSER DU « TROU » DE LA SÉCURITÉ SOCIALE NM P .4 PALESTINE « LE GROUPOV , L’IMPOSSIBLE NEUTRALITÉ » N. MOKOBODZKI P .5 ANNIVERSAIRES 10 ANS : T ASLITZKY , TÉMOIN DE L AVENIR H. AMBLARD P .6 20 ANS : EXPOSITION CHAGALL G.-G. LEMAIRE P .12 HISTOIRE LE MONDE SÉFARADE, L AUTRE DIASPORA P. BUSQUETS P .8 LES MÉMOIRES DE MARCUS KLINGBERG F. EYCHART P .9 L’AFFAIRE ROGER VERCEL PNM P .7 « L A S HOAH DE MONSIEUR DURAND » B. COURRAUD P .7 MATRICULE 46650 : TÉMOIGNAGE PNM P .7 BILLETS DHUMEUR COP21 QUEN SORTIRA-T -IL ? NM P .10 LA LIBERTÉ NE SE NÉGOCIE PAS J. FRANCK P .7 Y EN A QUI M. CLING P .8 CULTURE UN CHEVAL ENTRE DANS UN BAR J. LAFON GALILI P .10 LE DERNIER JOUR D’YITSKHAK RABINL. LAUFER P .10 LA FAMEUSE TRAGÉDIE DU RICHE JUIFS. ENDEWELT P .11 C’EST LA VIE DE PETER TURRINI B. COURRA P .11 LE CLIN DŒIL N.MALVIALE P .3 Bernard Frederick P. 3 “Lavage de cerveaux” par D. Vidal “De l’état de droit à l’état d’urgence” par P. Kamenka Daesh De l'émotion à la raison P lusieurs semaines après les attentats qui ont ensanglanté Paris et Saint-Denis le 13 novem- bre, la France demeure sous le choc. L’émotion légitime, l’indignation naturelle, peuvent nourrir des solidarités. Elles l’ont fait. Elles peuvent être un ferment d’unité de la Nation. Mais elles ne suffisent pas à garantir que l’horreur ne se reprodui- ra pas. Ni en France ni ailleurs. Les attentats de Paris ont, en effet, précédé celui de Tunis le 24 novembre et succédé à ceux de Beyrouth le 12 novembre et du Sinaï, contre un avion russe, le 31 octobre. Le terrorisme est une plaie du monde contemporain. Nul n’en est à l’abri. Nous connaissons trop l’histoire pour souscrire, devant la terreur, à on ne sait quel Munich. L’idéologie de la mort d’aujourd’hui nous rappelle celle d’hier ; la fusillade dans un concert, la trop fameuse éructation nazie : « Quand j’entends parler de culture, je sors mon revolver ». Face au fascisme, brun ou vert* ; face à l’obscurantis- me et à l’irrationnel, on ne saurait opposer que la Raison. On ne peut pas dire que ce soit toujours le cas. La première chose à faire, ce serait de prendre les choses à la racine. Quelles sont les racines du terro- risme du prétendu État islamique ? D’où vient-il ? Qui le nourrit et de quoi se nourrit-il ? Qui sert-il ? A quoi sert-il ? Après le 13 novembre, on nous a dit que nous étions « en guerre ». On nous l’avait déjà dit en janvier à la suite de la tragédie de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher. On lira à ce propos dans cette édi- tion l’article de Dominique Vidal. Il ne s’agit évi- demment pas de jouer les autruches. Les groupes terroristes doivent être combattus par tous les moyens, y compris par les armes. Encore faut-il que l’on s’entende au niveau international sur les moyens à mettre en œuvre et sur les objectifs à poursuivre. On ne peut pas dire ici que la politique étrangère de la France soit de ce point de vue tout à fait appropriée ni limpide. Sur les traces de Sarkozy, François Hollande a développé les échanges avec les pays du Golfe, grands pourvoyeurs de Daesh en hommes, en maté- riels, en argent. Et surtout base arrière idéologique de la terreur verte*. Dans le même temps, le prési- dent français avec ses partenaires allemands, anglais et américains, contribuait à isoler la Russie, pour courir maintenant après Vladimir Poutine. Cherchez l’erreur ! La guerre, nous dit-on. Mais comment ? Contre qui vraiment ? Au fascisme, on ne peut opposer que la démocratie. La vraie. Or, on a déjà prévenu la Cour européenne de justice que l’on allait mettre entre parenthèses les « droits de l’homme ». L’état d’ur- gence devait être levé en février ; on parle de le pro- longer. La démocratie sous le boisseau, quel beau succès pour les terroristes ! C’est exactement ce qu’ils cherchent ! Chacun s’accorde à dire que l’on n’éradiquera pas la terreur avec des bombardements, si utiles soient- ils, pour limiter ou réduire la progression des grou- pes de Daesh et consorts sur le terrain. Et, s’il faut coordonner les interventions militaires, le monde a un outil pour cela : l’ONU. Alors, que faire ? Extirper les racines du mal. Ici et au Proche-Orient, au Maghreb, en Afrique, en Asie. Là où les effets nocifs du colonialisme et du néo- colonialisme alimentent le terrorisme : misère, incertitude du lendemain, jeunesse sans perspecti- ves. Combattre franchement l’idéologie en appe- lant un chat un chat : pas l’Islam, mais le fascisme vert à drapeau noir. Enfin, il faut comme on dit frap- per à la caisse. Ceux qui trafiquent pour, et avec, les terroristes : l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie… Et nous nous devons de souligner qu’une des cau- ses du terrorisme réside dans l’absence actuelle de solution au conflit israélo-palestinien. Tant que le peuple palestinien n’aura pas l’État auquel il a droit, il n’y aura pas d’équilibre au Proche et au Moyen- Orient. Il est de la responsabilité des États-Unis, de la France, de l’Union européenne de faire que ce droit devienne réalité. C’est la paix qu’il faut gagner ! * NDLR Le vert étant associé à l'islam, on parle de fas- cisme vert pour désigner la violence qui se réclame, abusivement de l’islam. ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E. PNM n° 331 - Décembre 2015 - 34 e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E. e …data.over-blog-kiwi.com/1/10/37/54/20151202/ob_24ea36...2015/12/02  · être un ferment d’unité de la Nation. Mais elles ne

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P o u r q u o i ?

Paris, Bamako, Tunis en deuil !Jean Jaurès ne le disait-il pas déjà en 1910 ?

“L’impérialisme porte en lui la guerre commela nuée portel’orage.”

Une seule

solution !

La sécurité et la paix par la démocratie

"Les titres des tableaux ne sont pas des explications et lestableaux ne sont pas des illustration des titres".

René Magritte

Et cependant... avec ce titre de tableau,

”L’entrée en scène”, comment ne pas évoquer la nécessaire,

l’indispensable entrée en scène ... d’une réelle politiquede la paix, représentée par cette colombe ?

HORS SÉRIE PNM 331 (COMMUNIQUÉS – APPELS)LIVRES, FILMS À OFFRIR PP 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10, 12DAESHLAVAGE DE CERVEAUX D. VIDAL P.3DE L’ÉTAT DE DROIT À L’ÉTAT D’URGENCE P. KAMENKA P.3MESURES D’EXCEPTION, LÉGISLATIONS D’EXCEPTION… P.2,9

FRANCEDÉFENDRE LA SÉCURITÉ SOCIALE J. LEWKOWICZ P.4QUE PENSER DU « TROU » DE LA SÉCURITÉ SOCIALE NM P.4

PALESTINE« LE GROUPOV, L’IMPOSSIBLE NEUTRALITÉ » N. MOKOBODZKI P.5

ANNIVERSAIRES10 ANS : TASLITZKY, TÉMOIN DE L’AVENIR H. AMBLARD P.620 ANS : EXPOSITION CHAGALL G.-G. LEMAIRE P.12

HISTOIRELE MONDE SÉFARADE, L’AUTRE DIASPORA P. BUSQUETS P.8LES MÉMOIRES DE MARCUS KLINGBERG F. EYCHART P.9L’AFFAIRE ROGER VERCEL PNM P.7« LA SHOAH DE MONSIEUR DURAND » B. COURRAUD P.7MATRICULE 46650 : TÉMOIGNAGE PNM P.7

BILLETS D’HUMEURCOP21 QU’EN SORTIRA-T-IL ? NM P.10LA LIBERTÉ NE SE NÉGOCIE PAS J. FRANCK P.7Y EN A QUI … M. CLING P.8

CULTUREUN CHEVAL ENTRE DANS UN BAR J. LAFON GALILI P.10LE DERNIER JOUR D’YITSKHAK RABIN… L. LAUFER P.10LA FAMEUSE TRAGÉDIE DU RICHE JUIF… S. ENDEWELT P.11C’EST LA VIE DE PETER TURRINI B. COURRA P.11

LE CLIN D’ŒIL N.MALVIALE P.3

Bernard Frederick

P. 3“Lavage de cerveaux”par D. Vidal

“De l’état de droit à l’étatd’urgence” par P. Kamenka

Daesh

De l ' émot ion à l a ra i son

Plusieurs semaines après les attentats qui ontensanglanté Paris et Saint-Denis le 13 novem-bre, la France demeure sous le choc.

L’émotion légitime, l’indignation naturelle, peuventnourrir des solidarités. Elles l’ont fait. Elles peuventêtre un ferment d’unité de la Nation. Mais elles nesuffisent pas à garantir que l’horreur ne se reprodui-ra pas. Ni en France ni ailleurs.Les attentats de Paris ont, en effet, précédé celui deTunis le 24 novembre et succédé à ceux deBeyrouth le 12 novembre et du Sinaï, contre unavion russe, le 31 octobre. Le terrorisme est uneplaie du monde contemporain. Nul n’en est à l’abri.Nous connaissons trop l’histoire pour souscrire,devant la terreur, à on ne sait quel Munich.L’idéologie de la mort d’aujourd’hui nous rappellecelle d’hier ; la fusillade dans un concert, la tropfameuse éructation nazie : « Quand j’entends parlerde culture, je sors mon revolver ».Face au fascisme, brun ou vert* ; face à l’obscurantis-me et à l’irrationnel, on ne saurait opposer que laRaison. On ne peut pas dire que ce soit toujours le cas. La première chose à faire, ce serait de prendre leschoses à la racine. Quelles sont les racines du terro-risme du prétendu État islamique ? D’où vient-il ?Qui le nourrit et de quoi se nourrit-il ? Qui sert-il ?A quoi sert-il ?Après le 13 novembre, on nous a dit que nous étions« en guerre ». On nous l’avait déjà dit en janvier à

la suite de la tragédie de Charlie Hebdo et del’Hyper Casher. On lira à ce propos dans cette édi-tion l’article de Dominique Vidal. Il ne s’agit évi-demment pas de jouer les autruches. Les groupesterroristes doivent être combattus par tous lesmoyens, y compris par les armes. Encore faut-il quel’on s’entende au niveau international sur lesmoyens à mettre en œuvre et sur les objectifs àpoursuivre. On ne peut pas dire ici que la politiqueétrangère de la France soit de ce point de vue tout àfait appropriée ni limpide.Sur les traces de Sarkozy, François Hollande adéveloppé les échanges avec les pays du Golfe,grands pourvoyeurs de Daesh en hommes, en maté-riels, en argent. Et surtout base arrière idéologiquede la terreur verte*. Dans le même temps, le prési-dent français avec ses partenaires allemands,anglais et américains, contribuait à isoler la Russie,pour courir maintenant après Vladimir Poutine.Cherchez l’erreur !La guerre, nous dit-on. Mais comment ? Contre quivraiment ? Au fascisme, on ne peut opposer que ladémocratie. La vraie. Or, on a déjà prévenu la Coureuropéenne de justice que l’on allait mettre entreparenthèses les « droits de l’homme ». L’état d’ur-gence devait être levé en février ; on parle de le pro-longer. La démocratie sous le boisseau, quel beausuccès pour les terroristes ! C’est exactement cequ’ils cherchent !

Chacun s’accorde à dire que l’on n’éradiquera pasla terreur avec des bombardements, si utiles soient-ils, pour limiter ou réduire la progression des grou-pes de Daesh et consorts sur le terrain. Et, s’il fautcoordonner les interventions militaires, le monde aun outil pour cela : l’ONU.Alors, que faire ? Extirper les racines du mal. Ici etau Proche-Orient, au Maghreb, en Afrique, en Asie.Là où les effets nocifs du colonialisme et du néo-colonialisme alimentent le terrorisme : misère,incertitude du lendemain, jeunesse sans perspecti-ves. Combattre franchement l’idéologie en appe-lant un chat un chat : pas l’Islam, mais le fascismevert à drapeau noir. Enfin, il faut comme on dit frap-per à la caisse. Ceux qui trafiquent pour, et avec, lesterroristes : l’Arabie Saoudite, le Qatar, laTurquie…Et nous nous devons de souligner qu’une des cau-ses du terrorisme réside dans l’absence actuelle desolution au conflit israélo-palestinien. Tant que lepeuple palestinien n’aura pas l’État auquel il a droit,il n’y aura pas d’équilibre au Proche et au Moyen-Orient. Il est de la responsabilité des États-Unis, dela France, de l’Union européenne de faire que cedroit devienne réalité.C’est la paix qu’il faut gagner !

* NDLR Le vert étant associé à l'islam, on parle de fas-cisme vert pour désigner la violence qui se réclame,abusivement de l’islam.

ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E.PNM n° 331 - Décembre 2015 - 34e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 €

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

Page 2: ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E. e …data.over-blog-kiwi.com/1/10/37/54/20151202/ob_24ea36...2015/12/02  · être un ferment d’unité de la Nation. Mais elles ne

Samedi 5 décembreà 15h.au “14”

Conférence-débat avecDominique Vidal*,

“Montée de l’extrême droite”* Collaborateur du Monde diplomatique,Dominique Vidal a publié, entre autres, “Le ventre est encore fécond - Les nouvelles extrêmes droites européennes”

Samedi 12 décembre à 15h. au “14” Débat avec Jean-Christophe Attias*à propos de son dernier ouvrage, “Moïse fragile” (Goncourt de la biographie 2015).

* Directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études, spécialiste de pensée juive médiévale

Samedi 12 décembre à 10h. Mairie Paris 3° Commémoration des fusilla-des du 15 décembre 1941 [à l’initiative du Comité d'organisation des familles de fusillés et

massacrés, de l’UJRE, de MRJ-MOI...]

Dimanche 13 décembre à 11h.au Cimetière du Père Lachaise Dépôtde gerbes en hommage aux victimes des fusillades du15 décembre 1941 [à l’initiative de l’UJRE et de MRJ-MOI]

Tous fils d’immigrés ...Un lexique, 9 questions*, 9 réponses ...

Vous est-il déjà arrivé d’être déboussolé, désarçon-né, quand même votre ami d’enfance, face à

vous, vous dit très sérieusement : “Les immigrés sont la cause detous nos maux” ? Après le choc, que répondre ? Pour vous aider, ce petit livret** GÉNIAL de 31 pages, de la Liguedes Droits de l’Homme, énonce en 9 questions les préjugés courantset y répond. Faits et chiffres à l’appui, voici le cou tordu à nos fantas-mes, préjugés, idées reçues... La réponse immédiate aux livres des Zemmour et autres. À s’offrir,et offrir sans modération autour de nous ( un cadeau à 2 € ).Démystification garantie, excellent retour sur investissement ! * Combien sont-ils, d’où viennent-ils, qui sont-ils, depuis quand viennent-ils,pourquoi viennent-ils, comment viennent-ils, quel travail font-ils, combiencoûtent-ils, s’intègrent-ils ?

** LDH, L’immigration en France - Tout ce que vous avez voulu (ne pas) savoirsans oser le demander, 2015, 2 €, 1 € par commande de 25, commande au siègede la LDH ou par Internet (http://boutique.ldh-france.org) ou en librairie.

Maryse Tripier, qui fut administrativement défi-nie comme « apatride d’origine indéterminée »

retrace avec intelligence et humour le parcours deMelle. Douek, juive turque, future épouse Tripier.Retenons, à titre d’exemple, cette coïncidence entrehiérarchie professionnelle et « ethnique » dans unhôpital parisien, qui va de « Nettoyage : africains-africaines » à« Chef de service : femme blanche française » en passant par« Kiné : espagnole ». Un livre de bonne compagnie.

* Maryse Tripier, Immigrée! Toi-même ! Parcours d’une sociologue de l’im-migration, L’Harmattan, 2015, 171 p., 18 €

Le 23 octobrePaulette Sarcey fêtait la naissance de son

cinquième arrière-petit-fils :

Oscaril fait la joie de ses parents

Marie et Xavieret de ses grands-parentsClaude et Dominique

Mazel Tov !

2 PNM n°331 - Décembre 2015

Carnet - Naissance Carnet - décès

À propos...

des mesures d’exceptionMa cousine m’écrit ... de New-York

C’est étrange (peut-être pas tellement ?) devoir que la France refait à l’identique exac-

tement ce que les États-Unis avaient fait après le11 septembre :• Elle attaque des pays étrangers,• Elle restreint drastiquement les libertés civiles,• Elle sème la panique, elle multiplie les répres-sions surtout contre les citoyens musulmans, etc.Ça n’a pas marché chez nous. Ça a plongé lemonde dans une situation lamentable. Ça ne marchera pas davantage en France...

26/11/2015

Jacques Franck nous écrit... de Paris

Quand des politiciens honnêtes – ou présu-més tels – prennent des mesures d’excep-

tion motivées par une situation nouvelle, ladémocratie bascule.Ils ne pourront pas s’empêcher d’utiliser cesnouveaux et si pratiques instruments à des finspolitiques sans rapports avec le but initial. Ainsi iront-ils perquisitionner chez des gens oudes mouvements qui n’ont rien à voir avec lesattentats et crimes djihadistes. Des écologistespar exemple. Comment résister à une telle tentation ? Et com-ment ne pas la pérenniser, en la faisant entrerdans la Constitution ?On ne peut pas accepter cette méthode de gou-vernement. 30/11/2015

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Michel Sciama nous a quittés

Il avait vécu dans les beaux quartiers, connuDrancy. Apparenté au Gotha de l’intelligentsia

parisienne juive – Bergson, Proust, EmmanuelBerl –, il avait passé sa vie à se demander ce quec’était, être juif, quand on n’est pas pratiquant. Ilse définissait comme “un juif contraint maisassumé. Être juif, pour lui, c’était, entre autres,avoir le devoir de ne pas se laisser enfermerdans "le communautarisme" ” [ le mot est delui ]. “Il faut réfléchir et souvent résister... Jetrouve en ce sens bien encourageant que le sansdoute plus grand écrivain israélien contempo-rain, Amos Oz, soit très engagé dans le mouve-ment "Paix, Maintenant" et qu’Elie Barnavi, his-torien de renom, ancien ambassadeur en France,publie un ouvrage intitulé Les religions meur-trières. Elles le sont toutes ou l’ont été. Etcomme résister ne suffit pas, il importe de passerà l’offensive... avec tous les gens de paix ...Jeredoute de ne plus avoir le temps de voir ce rudecombat mené à bien...Il va falloir continuer à sebattre. Et de conclure avec cette formule quenous aimerions avoir inventée: "Les idées reçuesne devront plus l’être." Michel Sciama nous lais-se, avec ce petit livre, qui annonce, dès la préfa-ce, un style au service d’une pensée, le regretqu’il n’ait pas publié davantage.

* Michel Sciama, Impasse de l’étoile, conversationÉd. L’Harmattan, Coll. Graveurs de mémoire, Paris, 2008,132 p., 13 €

À lire aussi dans le Hors-Série de ce numérol’appel de la Ligue des Droits de l’Homme

“Nous ne céderons pas” et en page 9, notre “Retour sur quelques législations d’exception”

À offrir

Le petit clown est triste

Il a perdu son père, Jacques Kamb, parrain de MRJ-MOI,auteur du “Petit clown à l’étoile”. Un livre qui reste indispensable

Accessible à de jeunes enfants, c’est le récit de la persécution desjuifs, organisée par Vichy. Le conteur est ce petit clown articulé,Azoye, qui entend tout, voit tout, ne souffre pas. Il a été acheté pour,mais il a aussi été choisi par, un petit garçon juif de six ans qui ledote d’une étoile jaune pareille à la sienne, le jour où le port de l’é-toile devient obligatoire. Puis c’est l’arrestation, la déportation. Leclown est retrouvé dans un camp de concentration. Sans sa famille.C’est un peu l’histoire de Jacques Kamb, de beaucoup d’autres…

Éd. L’Harmattan, ISBN : 2-7475-1091-3, 2001, 124 p., 12,35 €

Patricia, d’une violence à l’autreLes attentats du 13 novembre ont fait 130 victimes à Paris. Tousnous en connaissions une, ou quelqu’un de proche en connaissaitune. Pour quelques-uns d’entre nous, elle a le visage de cette mili-tante CGT, Patricia, que nous avons connue, jeune réfugiée chilien-ne chassée de son pays par le fascisme. Elle faisait partie de ceuxqui se sont fixés en France. Ce vendredi là, elle a emmené sa fille etson petit-fils au Bataclan. Elles n’en sont pas revenues. Son petit-filsa cinq ans.

LES RENCONTRESD E   L ʼ U J R E

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réseaux français de Daesh représenteévidemment un impératif. En revanche,qu'il faille, pour ce faire, imposer unétat d'urgence d'origine coloniale, a for-tiori réviser la Constitution paraît plusque discutable. Mais surtout les effortsmilitaires et policiers ne sauraient seulssuffire à venir à bout du phénomène.Dix ans après la révolte des banlieues,un immense élan reste nécessaire pourque la République traite enfin tous sesenfants à égalité. On en est loin : ghet-toïsation, discriminations et humilia-tions restent le lot de centaines demilliers de jeunes issus de l’immigra-tion. Sans compter la montée de l’isla-mophobie, celle des discours et celledes violences, de plus en plus fréquen-tes, et de plus en plus graves…

* Dominique Vidal, journa-liste et historien, a codirigéavec Bertrand Badie Unmonde d’inégalités. L’état dumonde 2016, La Découverte,Paris, 2015, 250 p., 19 €

NDLR À réécouter :http://www.franceinter.fr/emission-secrets-d-info-daesh-autopsie-dun-monstre

PNM n°331 - Décembre 2015

Daesh ...

3

« Guerre à Daesh », nous dit-on. Maispas un expert militaire ne croit que desbombardements, même massifs, puis-sent venir à bout de l’Organisation del’État islamique. Qu’importe, rétor-quent les stratèges en chambre : il suffitd’envoyer des troupes au sol. Sauf que,là encore, aucune grande puis-sancen’est prête à engager ses soldats, sedéfaussant sur des « troupes autochto-nes ».Aligné sur Washington dans une sortede doctrine « néoconservatrice à la fran-çaise », Paris devrait au moins tirer lebilan de près de quinze ans de cette «guerre contre le terrorisme » décrétéepar George W. Bush : échec enAfghanistan, échec en Irak, échec enSyrie, échec au Yémen. Mais plus d’unmillion de victimes civiles ! « Errarehumanum est, perseverare diaboli-cum », dit le proverbe, confirmé enl’occurrence par le fiasco libyen deNicolas Sarkozy.Seuls les vendeurs d’armes ont profitéde cette débauche de guerres. Ainsi lesexportations françaises ont, en cinq ans,bondi de 5 à 15 milliards d’euros !

Et, comme l’Arabie saoudite et les Émi-rats du Golfe figurent parmi nos princi-paux clients, notre diplomatie évite deleur poser des questions désa-gréables,qu’il s’agisse de leurs rapports passés –et présents ? – avec Daesh ou du respectdes droits humains.Qu'il faille, sur la base de la résolutionadoptée par le Conseil de sécurité,constituer une coalition unie anti-Daesh, nul n'en doute. Mais pour quoifaire ? Ce dont les pays de la région en criseont urgemment besoin, c'est d'unprocessus de transition politiqueconduisant à la représentation, aupouvoir, de toutes les familles confes-sionnelles et politiques. En Syrie comme en Irak, permettre auxsunnites et à leurs intérêts d'être à nou-veau représentés et respectés, avec lagarantie des grandes puissances,anciennes et nouvelles, constitue lameilleure manière d'assécher le terreaufertile du terrorisme djihadiste.Toute proportions gardées, il en va demême de la logique de guerre intérieu-re, dite sécuritaire. Combattre les

Si l’attaque terroriste dont Paris aété la cible le 13 novembre est laplus grave de l’histoire contem-

poraine de la France, elle a été suivie duplus massif lavage de cerveaux de cesdernières années.Il est pourtant facile de résumer les évé-nements : la France de FrançoisHollande s’est engagée aux côtés desÉtats-Unis dans la coalition contrel’Organisation de l’État islamique,laquelle a porté la guerre dansl’Hexagone. Avec, par rapport auxattentats de janvier, trois spécificités :• le nombre considérable de victimes ; • le fait que celles-ci aient été prises

au hasard et non plus ciblées ; • le suicide de la plupart des djihadistes.Rares sont pourtant les médias qui ontposé la seule question qui vaille : com-ment vaincre cette horreur ? Au lieude s’efforcer de répondre à cette inter-rogation, afin de définir la meilleureriposte intérieure et internationale, laplupart se sont mis au garde-à-vouspour organiser, conformément aux exi-gences de l’exécutif, la mobilisationguerrière et sécuritaire de la nation.

mesures sécuritaires du gouvernementValls, affirme que « porter atteinte auxlibertés pour lutter contre le terrorisme,c’est précisément faire le jeu du terro-risme. La liberté est notre bien le plusprécieux, c’est elle qui est attaquée etqu’il nous faut préserver. »Les principales mesures préconisées etadoptées constituent un changement deparadigme car ces décisions renforcentl’arsenal ultra-sécuritaire déjà existant(loi sur le renseignement, etc.), et cons-tituent des mesures liberticides visant àcréer un socle d’état policier. Nombred’ONG, de partis, de syndicats* s’eninquiètent.Avec raison, si l’on en juge par les prin-cipales mesures d’exception qui s’inspi-rent de propositions de la droite et del’extrême droite.A savoir, les assignations à résidencequi sont désormais élargies à toute per-sonne suspectée d’un « comportement(qui) constitue une menace pour lasécurité et contre l’ordre public ». Etnon plus comme précédemment uneassignation contre des personnes « dontl’activité s’avère dangereuse pour lasécurité et l’ordre publics ».Le gouvernement Valls a préconisé éga-lement la déchéance de nationa-litépour les binationaux. Une mesurecontraire aux conventions internationa-les que pourrait sanctionner la Coureuropéenne des droits de l’homme deStrasbourg. C’est « une dynamique(qui) divise là où il faut rassembler »,affirme Pierre Tartakowsky, ancien pré-sident de la LDH (Humanité du 22/11).

Quant aux perquisitions administra-tives, prévues dans l’arsenal répressif eteffectuées par la police sur ordre du seulpréfet – hors décision judiciaire –, elles

suscitent déjà de nombreuses interroga-tions et protestations contre les métho-des violentes employées par les poli-ciers. À ce jour, le ministère del’Intérieur comptabilise plus de 1200perquisitions avec 253 assignations àrésidence.Dans ce registre, certains à droite,comme Laurent Wauquier, veulent allerplus loin prônant que les personnesfichées « S » soient parquées dans unesorte de Guantanamo à la française…Les autres mesures touchent tout à lafois au contrôle des sites de propagandedjihadiste, à l’expulsion des « imamsradicaux », à la fermeture de mosquées

« faisant l’apologie de la violence », etégalement à la création de structurespour accueillir les « jeunes radicalisés »sans plus de précision.

Devant cettesituation pré-o c c u p a n t e ,des dizainesd’associationsde défense deslibertés, dessyndicats ontappelé à résis-ter :

« Nous vou-lons que cesdramatiquesé v é n e m e n t ssoient, aucontraire, l’oc-casion de cons-truire un autrechemin que

celui qui nous est proposé. Un cheminqui refuse de désigner des boucs émis-saires et qui refuse que la France soit enguerre contre elle-même. Un cheminqui donne à la paix et à l’égalité desdroits toute leur place et qui s’engageen faveur d’une France solidaire,ouverte à l’autre, accueillante, libre etfraternelle », écrivent les signatairesd’un texte intitulé « Nous ne céderonspas ! »**

26/11/2015

* Lire la Déclaration du Comité confédéral nationalde la CGT du 18/11/2015 (http://www.spterrito-riaux.cgt.fr/spip.php?article9942)

** http://www.ldh-france.org/cederons-pas

Une poignée de tueurs ivres desang, ennemis jurés du vivreensemble, de la jeunesse et de la

musique, ont tué sans ciller 130 person-nes et en ont blessé des centaines le 13 novembre en plein Paris.Ils ont ainsi voulu faire peur, diviser,semer le poison de la haine et de la stig-matisation au nom de l’idéologie barba-re et mortifère de Daesh, que les pétro-monarchies financent directement.Face à ces attentats innommables, à cescrimes inédits en France, qui survien-nent après le massacre des « Charlie »et de l’Hypercasher en janvier dernier,le chef de l’État François Hollande adécrété l’état d’urgence.Mais l’annonce devant le Congrès deVersailles par le président de laRépublique de la prolongation de troismois de l’état d’urgence et sa constitu-tionnalisation constitue un risque d’ « état d’urgence permanent »,comme l’a justement noté Me HenriLeclerc, avocat, et ancien président dela Ligue des droits de l’Homme et ducitoyen.Car, écrit-il dans Télérama.fr, « Au-delàdes dispositions contenues dans la loi,le plus inquiétant est le principe mêmede la prolongation de l’état d’urgence »,ajoutant : « Le prolonger d’emblée pourtrois mois, cela pose la question suivan-te : qu’est-ce qui justifiera que l’on ensorte ? ».Le syndicat des avocats de France(SAF), qui regrette dans un communi-qué qu’ « aucun débat transparent nesoit aujourd’hui possible » sur les

De l’état de droit à l’état d’urgence ? par Patrick Kamenka

Lavage de cerveaux par Dominique Vidal *

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entraînés par le travail (indemnisa-tion des accidents du travail et desmaladies professionnelles).

Adam Smith écrivait :

“Une subsistance abondante aug-mente la force physique de l’ouvrier; et la douce espérance d’améliorersa condition, et de finir peut-être sesjours dans le repos et dans l’aisance,l’excite à tirer de ses forces tout leparti possible. Aussi, verrons-noustoujours les ouvriers plus actifs, plusdiligents, plus expéditifs là où lessalaires sont élevés que là où lessalaires sont bas”. 2

Ces cotisations sociales doivent doncêtre considérées non comme une“charge”, contrairement à ce que res-sassent trop de commentateurs igno-rants, mais plutôt comme un salairedifféré, destiné à être perçu lors d’é-vénements particuliers : maladie,naissances, retraite, accidents du tra-vail et maladies professionnelles.Mais cette méthode ne crée-t-elle pasun déficit permanent que ses adver-saires imputent à une dépense exces-sive ? Ce faisant, ils commettent unedouble erreur. Ils négligent d’analy-ser les coûts et il y aurait beaucoup àdire sur la cherté des médicaments etdes soins, par exemple. Ils partent enoutre du principe qu’il serait impos-sible d’augmenter la partie “recet-tes” des comptes de la Sécurité socia-le, ce en quoi ils se trompent. Il est en effet possible d’augmenterles recettes si l’on augmente le nom-bre d’emplois et donc la masse derichesses sur laquelle sont prélevéesles cotisations. À cette fin, on peut

conduit à investir l’épargne ainsi col-lectée sur les marchés financiers, quisont particulièrement instables,comme l’a montré l’éclatement detrois bulles financières en trente ans(en 1987, 1999 et 2008), cependantqu’un quatrième krach, plus oumoins rampant, se prépare selon lesobservateurs du côté de certainesvaleurs boursières technologiquesn’ayant pas tenu leurs promesses derentabilité. L’inconvénient de cettedeuxième méthode, c’est son carac-tère aléatoire puisque l’argent épar-gné est soumis à des fluctuationsimprévisibles dans le temps et envaleur.

La troisième méthode, qui est celledont s’inspire notre système fran-çais de sécurité sociale est en fait, laseule défendable dès l’instant où l’onse préoccupe de l’intérêt de la popu-lation. Elle repose sur l’analysed’Adam Smith1 qui sera reprise parMarx, selon laquelle la valeur desbiens échangés se fonde sur la quan-tité de travail qui a permis de les pro-duire. Dans cette optique, c’est unprélèvement opéré sur la richesseproduite par le travail (la cotisationsociale) qui vient financer lesbesoins relatifs :• au maintien de la capacité de travail(soins nécessaires pour recouvrer lasanté en cas de maladie), • au maintien en vie au delà de l’âgepermettant l’astreinte au travail (pen-sions de retraite), • à la reproduction des capacités detravail (allocations familiales), • à la compensation des dégâts

Même si le détail en estimprévisible, il est danstoute vie humaine des cir-

constances qui ne doivent pas nousprendre au dépourvu : maladie, acci-dents du travail, vieillesse, assistanceaux ascendants et descendants.

Trois méthodes sont possibles pourparvenir à faire face à ces aléas. Lesconséquences de chacune sont diffé-rentes.

La première consiste à s’en remettre àla charité publique, comme le pro-posaient tout récemment encore, auxUSA, les adversaires du système desécurité sociale obligatoire queBarack Obama voudrait instaurer.L’inconvénient de cette méthodec’est qu’elle ne garantit nullementque la bonne volonté des donateurssera durable et à la hauteur desbesoins.

La deuxième table sur l’épargne indi-viduelle, collectivement gérée aubesoin. C’est le cas des complémen-taires de santé privées. Mais c’estaussi le cas du système mis en placepar l’actuel président des États-Unis.L’inconvénient de cette couvertureindividuelle du risque c’est qu’elle

La sécurité sociale, le rembourse-ment des médicaments prescrits,c’était très beau quand la France

était riche, mais aujourd’hui où elle estendettée… On nous le répète assez : le« trou » de la Sécu ne cesse de se creuser.L’apport d’un économiste serait ici pré-cieux. Risquons quelques remarquesmalséantes : • On sait que le ministère de la Santé alancé plusieurs campagnes de vaccina-tion injustifiées ou plus exactement justi-fiées par le seul souci d’accroître lesbénéfices de quelques laboratoires phar-maceutiques…aux frais de la Sécu. • On sait que les hôpitaux ont, financière-ment parlant, intérêt à facturer – à la Sécu– des actes coûteux, depuis que leur a étéimposé le système du paiement à l’acte,qui interdit la médecine de prévention. • On sait qu’il y eut, à l’origine du scan-dale dit du sang contaminé, une escro-

querie grossière : l’achat de sang périmé,invendable aux États-Unis, acheté ensolde par la France avec les conséquen-ces que nous savons : non traité, le sangtransmettait le virus du SIDA, non enco-re identifié, et ceux des hépatites. • Combien a coûté, combien coûte le trai-tement des patients qui, assez « heu-reux » pour avoir survécu, doivent rece-voir des traitements coûteux ? • Combien a coûté le traitement des vic-times de l’amiante qui ont dû se soigner,avant de mourir, du terrible cancer de laplèvre ? • Combien, le traitement des 14 000 vic-times qui ont survécu à l’explosion de l’usine AZF à Toulouse ? • Autre dépense qui grève le budget : lessyndicats ont constaté qu’il y a de moinsen moins d’accidents du travail, maisqu’ils sont de plus en plus mortels. En fait, la précarité et les pressions patro-

nales aidant, les accidentés vivants hési-tent à déclarer leurs accidents du travail.Partant, ils se soignent aux frais de laSécurité sociale. Tout bénéfice, sansdoute, pour leurs employeurs. Pas pour laSécurité sociale.• sans parler du travail dissimulé, caused’un manque à gagner de plus de 20Md€ en 2012, selon le rapport 2014 de laCour des Comptes sur les fraudes à laSécurité sociale. On pourrait multiplier les exemples.Quant à chiffrer le coût des maladies psy-chiques et autres qui résultent du chôma-ge, qui le peut ? Et puis, plus on est pauvre, plus on tarde àse soigner. Or une maladie prise à tempscoûte moins cher à la Sécurité sociale,mais pas de prévention pour les pauvres. Avec une économie plus saine, laSécurité sociale se porterait mieux : nousaussi. NM

concevoir (comme cela existe déjàpour les accidents du travail) un sys-tème de taux de cotisation modulésqui seraient inversement proportion-nels au nombre d’emplois créé danschaque entreprise. Plus précisément, le critère à prendreen considération pour établir unerépartition équitable des cotisationsserait le rapport entre le nombred’emplois existant et la masse desrichesses produites au cours d’unepériode donnée 3. Plus ce rapportserait élevé, plus le taux de cotisationserait faible et vice versa. Cette mesure présenterait le doubleavantage de faciliter le financementde la Sécurité sociale et de favoriserla création de nouveaux emplois,créateurs à leur tour de prélèvementsultérieurs.En outre, les bénéfices tirés de la spé-culation financière, non réinvestisdans la production réelle, seraienttaxés.L’adoption de ces mesures serait lameilleure façon de garantir l’avenirde la Sécurité sociale et les conditionsde vie futures de la population. 1. De l’origine de la Richesse des Nations2. James K. Galbraith, Le Monde,

11-12 octobre 2015

3. Encore appelé "valeur ajoutée"

France

4 PNM n°331 - Décembre 2015

Que penser du “trou” de la Sécurité Sociale ?

La sécurité sociale : un acquis du Conseil National de la Résistancepar Jacques Lewkowicz

À propos des élections régionales

Alouette, gentille alouette,

Alouette, je te plumeraiJe te plumerai la tête,Je te plumerai la têteEt la tête, et la tête, Et le bec, et le bec, Et le cou, et le cou, Ah !

L’alouette, c’est vous et moi.C’est chacun d’entre nous quel’on plume et c’est Marianne

aussi que l’on dépouille, un à un, desoripeaux de sa souveraineté. Blocage des salaires, des retraites,démantèlement systématique dessystèmes d’éducation et de santé,démantèlement du Code du travail etdes droits des travailleurs. La liste est longue mais si vous lisezla PNM vous la connaissez aussibien que nous…Alors, avant qu’on ne nous prenneaussi le droit de vote, votons ! Voter, c’est bien. Voter intelligemment, c’est mieux.

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PNM n°331 - Décembre 2015 5

Palestine

vivante. Aucun peuple ne peut faireles concessions que nous deman-dons. » Tout est dit, semble-t-il. Saufla fin de l’histoire.Les représentations ont lieu en soi-rée. En matinée, quantité d’activités. Et, cerise sur le gâteau, le lundi 14,relâche mais… débat en présence,notamment de Leila Shahid 3.J’espère vous avoir donné envie d’al-ler voir et rencontrer Le Groupov.

Pour moi, j’irai convaincue que j’enreviendrai, sinon plus motivée, lamotivation étant déjà acquise, dumoins plus intelligente d’avoir, com-ment dire : « frotté ma cervelle àcelle d’autrui » me souffle l’amiMontaigne. Bonnes soirées, donc. * Spectacle donné à la Maison desMétallos 94 rue Jean-PierreTimbaud, Paris 11° [réservations 0140 33 79 13]

d’autres. Ainsi ces cartes que nousconnaissons bien d’une Palestinepeau de chagrin. Ou ce mur taggé enanglais: « Gaz this arabs. JDL » (voirphoto ci-dessous).Il y aura aussi des « Paroles israé-liennes » à méditer, à commencer parcelles de Jabotinsky, dès 1923 :« Toute colonisation sioniste, aussilimitée soit-elle, devra soit être aban-donnée soit poursuivie contre lavolonté de la population autochtone.Pour cette raison notre colonisationne peut se développer que sous laprotection d’une grande puissancequi ne se préoccupe pas de la volon-té de la population locale afin qu’ilsoit possible de nous séparer de cettepopulation par un mur de fer infran-chissable […] Car ils ne sont pas unmélange indéfini mais une nation,une nation opprimée mais une nation

Pour moi, cela n’engage quemoi, le clou de la saison théâ-trale à Paris, ce sera la repré-

sentation de la dernière création duGroupov, qui s’attaque cette fois-ciau conflit israélo-palestinien 1.Si vous avez eu la chance de voirl’admirable Rwanda 94 – Une tenta-tive de réparation symbolique enversles morts, à l’usage des vivants, vousirez de confiance. Ce spectacle, capa-ble de garder un public populaire enhaleine durant près de cinq heures,entractes compris, tenait de ce queCocteau appelle « la preuve parneuf », en référence aux neuf Muses.Inoubliables, les décors : inoubliable,la musique ; inoubliable le jeu desacteurs. Le rideau – façon de parler –s’ouvrait sur le récit de YolandeMukagasana, qui réfugiée enBelgique, écrivit le premier sinonl’un des premiers témoignages sur legénocide : La mort ne veut pas demoi 2.Basé à Liège, le Groupov se définitlui-même comme « Centre expéri-mental de Culture Active ». La créa-tion des spectacles est collective. Soitdit en passant, rares sont aujourd’huiles auteurs, individuels ou collectifs,qui unissent la création artistique, ausens le plus exigeant du terme, à lacréation politique, au sens le plus exi-geant du terme. Un certain Brecht s’y était illustré, enson temps. Le collectif se laisse doncenvahir par un thème qui va donnerlieu à de longues discussions, lectu-res, recherches, bref tout un proces-sus d’élaboration, de maturation – ilfaut laisser à la pâte de temps de lever– qui allie à l’exigence de rigueur lavolonté d’agir sur la société. Il ne s’a-git pas de consommer de la culture, ils’agit d’allier au plaisir du spectaclela volonté de changer le monde.Aussi bien les spectacles sont-ilexploités de mille et une façons, don-nant lieu à publications, films, débats,animations. Le point de départ de L’impossibleneutralité, c’est une photo ; et com-bien d’entre nous n’ont-ils pas eu desinformations semblables par des pro-ches vivant en Israël, quand ils n’ontpas vu les images à la télévision ? Ony voit une famille paisible qui regar-de, tout en pique-niquant, la réjouis-sante expulsion d’une famille palesti-nienne. Pas de morts, pas de violen-ces : « Rien que le désastre d’un futurdésespéré ». Des images, il y en aura

À signaler : l’austérité frappe fort ausein de l’Union Européenne. Maiselle, elle ne frappe pas aveuglément.Le Groupov verra en 2016 sa subven-tion amputée de 60%. Le but est pro-bablement d’en finir avec un déran-geant fleuron de la francophonie. Ilfaudra bien revenir dans nos colonnessur cet assassinat programmé de laculture populaire. Combien de mai-sons de la culture, de troupes, ampu-tées quand elles ne sont pas frappéesà mort. « Quand j’entends le mot deculture, je sors mon revolver » :déclara un nazi. Je suis d’accord aveclui sur un point : la culture n’est pasle produit de consommation, de pré-férence bas de gamme, à quoi on veutla réduire : c’est une arme. Rappelez-vous : « Quand les idées s’emparentdes masses, elles deviennent desarmes ». Alors, aux armes, citoyens etyennes… Et, pour commencer, authéâtre !

NDLR cf. PNM 316 (mai 2014), du mêmeauteur, Rwanda 94 :

1. Le Groupov, Rwanda 94 - Une tentative deréparation symbolique envers les morts à l’u-sage des vivants, Éd. Théâtrales, passagesfrancophones, 2002 ; DVD chez l’Harmattan.

2. Yolande Mukagasana, La mort ne veutpas de moi, biographie, Éd. Laffont, 1997,268 p., 20,50€.

3. Voir son interview par Mediapart, quandelle quitte ses fonctions d’ambassadrice de laPalestine auprès de l’Union européenne :https://blogs.mediapart.fr/edition/palestine/article/160715/femme-de-tete-comme-de-coeur-leila-shahid-limage-de-la-palestine

L’IMPOSSIBLE NEUTRALITÉ

Première en France – Auteurs :RAVEN RUËLL ET JACQUESDELCUVELLERIE / LE GROUPOVdu mardi 8 au dimanche 20 décembredu mardi au vendredi à 20h, le samedià 19h, le dimanche à 16h, durée 1h40– de 5 à 14 € – Interprète Raven Ruëll,mise en scène Jacques Delcuvellerie,réalisation images et dramaturgieMarie-France Collard, composition etson Jean-Pierre Urbano, scénographieJohan Daenen, maquillage MartineLemaire, images Benoit Gillet, direc-teur technique et création lumièresFred Op de Beeck.

Groupov : “L’impossible neutralité” par Nicole Mokobodzki

Focus Palestine : En décembre et janvier, ÉVÉNEMENT à la MAISON DES MÉTALLOS ! Elle nous offre un spectacle du Groupov,L’impossible neutralité, deux installations, des rencontres-débats avec Leïla Shahid, Rony Brauman... et des projections ... A voir et à revoir !

29 novembre – Nations Unies – Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien

Aujourd’hui, 136 pays reconnaissent son existence, etson drapeau est hissé devant les bâtiments de

l’Organisation, aux côtés de ceux des États Membres.Toutefois, ces avancées ne font aucune différence dans

la vie des enfants de Gaza ou celle des habitants de Naplouse, d’Hébronet de Jérusalem-Est.[...] Je vous engage donc à réaffirmer votre déter-mination à apporter aux peuples israélien et palestinien la juste paixqu’ils méritent.M.Ban Ki-moon, Secrétaire général de l'ONU-2015

* La Ligue de défense juive (LDJ) est la branche française du mouvementnéosioniste américain créé par Meer Kahane. En Israël, son parti a été inter-dit. Aux États-Unis, la Jewish Defence League (JDL), considérée commeorganisation terroriste, est interdite depuis 2001. En France, malgré descomportements extrêmistes et violents (cf. récente agression de colleursd’affiches du PCF à Paris 11°), elle n’est pas encore interdite, bien que denombreuses organisations le réclament, dont l’UJRE (cf. PNM n° 330page 3 “Tous Charlie sauf la LDJ”).

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Retour sur l’affaire de la crèche de Levallois

Vous aviez connu Boris Taslitzky ou vous ne l’aviez pas connu. Vousconnaissiez tous sa vie, vous aimiez tous son œuvre. Vous partagiezpour beaucoup, ses idées. Bref, vous étiez venus en nombre assisterà l’hommage qui lui était rendu le 7 novembre à Levallois, en présen-ce de sa fille et sous la présidence de l’ancien adjoint à la culture.

Ce fut un plaisir de revoir pour certains, de découvrir pour beaucoup,le film de Jérôme Cognet, L’atelier de Boris.

Cette mobilisation, largement amorcée par les pétitions lancées cetété et dont les médias s’étaient fait l’écho, a certainement évité lepire. Nous nous félicitons d'en avoir pris notre part. Les actions sonten cours. Nous ne manquerons pas de vous tenir informés de leursuite. La défense de la culture, la défense de l’art, est plus que jamaisd’actualité. PNM Un bon de souscription pour le soutien financier des activités du comité Borisest disponible sur le site : http://comiteboris.wordpress.com

Histoire

6 PNM n°331 - Décembre 2015

Souvenir

grand dam de son père, qui n’y pou-vait plus rien, le bébé gagna dans l’a-venture un certificat de baptême quiallait, bien plus tard le sauver. Il seradonc le communiste baptisé, athéeproclamé à qui un aumônier demandade décorer l’église du camp de Saint-Sulpice-la-Pointe. Avec joie, il trans-forme les panneaux des baraques enun hymne au bonheur où son Christ,juif éternel, et ses couples, allant poinglevé « au-devant de la vie », défientoccupants et collaboration.Valmy, Péguy, Bergson, Langevin,Barbusse, Mermoz, Péri, Pasteur,Foch, Marty, Romain Rolland, Carnot,De Lesseps, Kléber, Vaillant-Couturier, Jaurès, Chénier, Sémard,Guynemer… Pêle-mêle, tous les res-sorts du mouvement d’éducationpopulaire qui construisit 36 sont de lafête, pour contaminer chacun d’uncourage vital. Un an plus tard, le « Maître de SaintSulpice » sera celui de Büchenwald.Transféré dans ce camp de la mort, levoici dépositaire d’une certitude parta-gée : la Résistance a besoin de témoinsde l’indicible. Elle a fait de lui un « responsable au moral », organisa-teur de concours de poésies et de coursde toutes disciplines, auxquels nombrede rescapés devront l’énergie de vivreau-delà du tunnel d’un désespoir total.France, mai 1945. Sa mère a disparu,victime du zèle des autorités françai-ses nommé « vent printanier »*.Survivant du camp libéré par l’insur-rection de ses détenus, sur ses épaulesrepose l’expérience, découverte «intransmissible ». Aussi lourde que l’absolu de révélerl’horreur totale et l’infinie grandeur

Années vingt.Un gaminde seize ans

entre aux Beaux-Arts où il sera l’élèvede Jacques Lipchitz. Réfugié juif russe,à quatre ans à peine, il a perdu sonpère, rescapé de la Révolution de 1905,tombé en 1915 sous l’uniforme fran-çais. Sa mère, réfugiée des pogromes,est couturière, au contact des plusgrands noms de la culture musicale etpicturale du Montparnasse des annéesvingt. Pupille de la Nation, l’absolu roman-tique de ses valeurs républicaines seconforte des collections du Louvre, descouleurs de David, Géricault,Delacroix, que ne renierait niRembrandt, ni Bruegel, ni Bosch.Jeune de la fantasque « BelleÉpoque », abhorrant la guerre et lecapitalisme qui la porte « comme lanuée porte l’orage », il veut jouir d’unbonheur de vivre qu’il fera généreux.Un serment scellé avec son ami JeanAmblard au sortir de l’armée. Tousleurs efforts d’hommes iront à la cons-truction d’un monde juste, fraternel ;leur art sera celui d’une classe ouvrièrequi n’oublie pas les paysans.Antimilitaristes, anarchistes dansl’âme, ils adhèrent au Parti de la « dis-cipline librement consentie » : de toutleur être, en dépit de toutes les désillu-sions, ils feront vivre l’idéal commu-niste.Militant de l’Association des Écrivainset Artistes Révolutionnaires (AEAR),Boris Taslitzky sera l’un des princi-paux artisans du mouvement unissantdes milliers d’intellectuels contre lefascisme et pour la diffusion du savoir.En résulte la Maison de la culture, quepréside Aragon, référence inégalée duFront populaire de la Culture contre lefascisme.Mobilisé, prisonnier de guerre, l’évadése réfugie chez Lurçat. Celui-là, au « nom imprononçable », travaille avecle Maître au renouveau de la tapisseried’Aubusson.1941. Œuvrant à construire un FrontNational des Arts contre le fascisme, lerésistant est arrêté. Transféré de prisonen prison, il ne cesse de former sescodétenus à l’histoire de l’art, dessi-nant avec les moyens du bord commeil l’a toujours fait depuis son choix dumouvement populaire : en témoin.A sa naissance, à la sage femme qui luidemandait si son fils devait être bapti-sé, la mère de Boris avait répondu «oui », comprenant « vacciné ». Au

Faut-ildébaptiserles collèges

RogerVercel ?

Peu lu aujourd’hui, Roger Vercelfut un auteur à succès. On luidoit, entre autres Capitaine

Conan qui lui valut le Prix Goncourt etdes romans de mer – Remorques – Endérive – La caravane de Pâques.Plusieurs de ses livres ont été portés àl’écran par des cinéastes, et non desmoindres : Jean Grémillon et, plusrécemment, Bertrand Tavernier qu’onne saurait soupçonner de sympathiepour Vichy. Aussi bien n’est-ce pas lecontenu de ses œuvres de fiction quilui est reproché mais son antisémitis-me, tel qu’il l’exprime dans un édito-rial d’Ouest Éclair en date du 16 octo-bre 1940.

Il y dénonce « l’emprise juive sur lesmilieux littéraires », écrivant, en tou-tes lettres que « l’élimination du Juif,en tant que penseur et écrivain, réagi-ra d’extraordinaire façon sur la litté-rature de demain. Lorsqu’il ne seraplus là, on s’apercevra de la placequ’il avait usurpée, et l’on en sera stu-péfait. Il avait appliqué au roman, authéâtre, à l’essai, son intelligenceaigüe, certes, mais destructrice ; sonimmoralisme foncier… ». Cela valut àVercel d’être mis à la retraite d'officeen 1945.

Soixante-dix ans plus tard, la FNDIRPa saisi les conseils généraux des deuxdépartements concernés : la Sarthe etles Côtes-du-Nord, ainsi que les mai-res de Dinan et du Mans, pour deman-der la débaptisation de ces collèges aumotif que « l’antisémitisme est punipar la loi, en France ».

« C’est imposer un nouvel ordremoral », s’insurge un site d’extrêmedroite qui n’hésite pas à dénoncer « lesnouveaux gardes rouges ». Il n’enreste pas moins qu’une jeune ensei-gnante, prenant ses fonctions, à la der-nière rentrée, au Collège Roger Vercel,a été profondément choquée.

Il faudra bien un jour admettre, mêmesi c’est vexant, qu’il y a eu en France,avant et après l’Affaire Dreyfus, desantisémites et pire encore, des auteurstels qu’Alexis Carrel ou Gustave LeBon pour soutenir qu’il existe une racesupérieure, la leur, et des races infé-rieures. Ce qu’a démontré un historienisraélien dont le livre fut mal accueillien France. Il faudra bien un jour admettre que ladroite française fut aussi une droiteraciste. Combattue, par exemple, par Vercorsdans Les animaux dénaturés.

des possibilités humaines. Aragon faitpublier « 111 dessins faits àBüchenwald »**Algérie, 1952. Avec l’artiste MireilleMiailhe, il parcourt la province. Tousdeux sont d’anciens Résistants aunazisme, militants communistes, juifs.Deux regards croisés accusent la misè-re du colonialisme où couve l’insurrec-tion d’un peuple.Paris, 1969. Boris Taslitzky professe àl’École des Arts Décoratifs auprèsd’une jeunesse qu’il voit se transfor-mer, des espoirs de la brève révolte de1968, au terrible vertige des temps ànaître.Tant par son être que par son œuvre,fort de la leçon reçue des aînés d’autre-fois, riche d’une vie ensoleillée de l’i-déal d’humanité, il se veut délibéré-ment lui-même. La force de se cher-cher lucide, inconfortable catapulte,tient certaines promesses pour qui oserester assoiffé de bonheur. Les idéaux n’existent que pour tenterde vivre vrai. Telle est la leçon, à tra-vers le « siècle le plus carnassier del’Histoire de l’Humanité »… L’avenir ? La lucidité de BorisTaslitzky en témoigne toujours en cha-cun de ceux qui croiseront son œuvre :l’intransmissible expérience n’effaceen rien l’exigeante expression de l’hu-main, inlassable et douloureuse résis-tance aux obstacles qui l’oppressent.

* Vent printanier : Nom de code donné, en1942, à la déportation des juifs dans les territoi-res occupés par l'Allemagne nazie (Amsterdam,Bruxelles et Paris). La police du régime deVichy, s’y employa en France en juillet 1942par : le 16, la rafle du Vél’ d'Hiv, le 19, la rafle deNancy, le 20, la rafle de la Marne.

** Boris Taslitzky, Büchenwald, l’arme du des-sin, version augmentée éditée en 2006 par leMusée d’art et d’histoire du judaïsme, 60 p., 18 €

Il y a dix ans, Boris Taslitzky nous quittait

Boris Taslitzky - Un témoin de l’avenir

Le informe

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Il est courant, mais faux, d’affirmer que les communistes ontattendu l’invasion de la Russie par l’armée allemande pour

entrer en résistance. Le témoignage* de Paulette, résistante dèsseptembre 1940 de la jeunesse communiste juive, contreditavec éloquence cette falsification historique. Avec l’aide ami-cale de Karen Taïeb, qu’il faut ici remercier, dans Paula –Survivre obstinément, elle en témoigne à son tour, après EvaGolgevit**.Ne comptez pas sur moi pour résumer son livre : je vous laissele plaisir de le découvrir. Vous saurez tout d’elle. Sauf ce qu’el-le ne dit pas. Vous saurez quand, pourquoi et comment elle estentrée dans la Résistance où elle fit partie du « triangle »d’Henri Krasucki. Vous saurez quand et comment elle a étéarrêtée, internée à Drancy, déportée à Auschwitz. Vous saurezcomment la volonté, la solidarité, l’intelligence lui ont permisde vivre, malgré tout. Vous n’apprendrez pas que, déportéerésistante, elle est décorée de la médaille militaire et chevalierde la Légion d’honneur.Paulette n’aime pas les honneurs. C’est à son honneur. Ellegarde sa fraîcheur juvénile et fraternelle, active, attentive, effi-cace. Rien n’entamera sa volonté de lutter, son enthousiasme.Elle témoigne dans plusieurs documentaires qu’il faut voir etrevoir***. Elle témoigne dans les écoles. Elle ne vous dira pasqu’avant et après, cela réveille en elle tant de souvenirs d’hor-reur qu’elle en fait des cauchemars. Je ne l’ai jamais entenduese plaindre. Pour tout ce que tu es, pour tout ce que tu as fait,merci Paulette !Un bémol. Deux notes en bas de page ont surpris les amisayant, depuis, lu ce livre : page 14, à propos du Mur des fédé-rés, on aurait dû pouvoir lire que c'étaient les Versaillais deThiers et non « les républicains » qui avaient assassiné 147communards contre un mur du Père Lachaise, devant lequelhommage leur est rendu chaque année, le dimanche le plus pro-

che du 28 mai. Le 1er mai, on y rend aussihommage aux Fédérés francs-maçons. Et page29, s’il est exact que l’organisation des FTP-MOI a été créée au printemps 42, l’OS(Organisation Spéciale), ancêtre des FTP, futelle créée par le parti communiste français dès octobre 1940.Le combat de Paulette et tout le contenu de son livre témoi-gnent de cette résistance précoce. PNM* Paulette Sarcey, Karen Taïeb, Paula, survivre obstinément, Éd.Tallandier, 2015, 144 p., 12,90 €** Une autre grande dame de l’UJRE, Eva Golgevit, résistante, avait aussipublié Ne pleurez pas, mes fils**, préfacé par Maxime Steinberg, l’historiende la persécution des juifs de Belgique, coll. Témoignages de la Shoah, Éd.Le Manuscrit, 2010, 262 p., 23,90 €*** Voir notamment Cité de la Muette, documentaire de Jean-PatrickLebel, 1986, 1h30 – La Traque de l’Affiche rouge, film de Jorge Amat etDenis Peschanski, 2006, 1h10.

Mémoire

appeliez-vous avant ? C’est trèsgênant. Alors comme ça, monsieur del’Administration, comme ça la prochai-ne fois, je pourrai répondre : Chermonsieur, je m’appelle MauriceDurand, et avant ? Avant, Monsieur, jem’appelais Maurice Dupont.»Alors écrire, ne pas écrire, écrireautrement ? La génération rescapée de l’extermina-tion s’est longtemps tue, à l’exceptionde quelques-uns, tels Primo Levi avecSi c’est un homme (1947). NathalieSkowronek ne fait cependant pas étatde tous ceux, résistants juifs et nonjuifs, qui ont témoigné de leurs combatset de l’horreur vécue dans les camps,leurs paroles ont été longtemps peuentendues et comprises, alors que touss’étaient juré : « Il faudra que ceux quien réchapperont témoignent ».L’obsession du témoignage se heurte àl’impossibilité de dire. Il fallait oublierpour pouvoir un jour se souvenir etprendre la parole. Au retour des campsl’urgence était de vivre. La deuxièmegénération a porté le fardeau du silence,le poids des absents ou des « revenants», la troisième génération pose desquestions avec pugnacité, sonde les res-capés, les témoins. C’est le cas deNathalie Skowronek, auteur belge néeen 1973. Elle interroge et s’interroge

dans Max, en apparence** sur le passécomplexe et douloureux de son grand-père, ancien déporté.Tenue à distance par crainte que laseule évocation de tant de souffrance nela blesse et ne la traumatise, cette géné-ration décide un jour de soulever levoile. Le secret est bien gardé mais laparole des uns et des autres peu à peu selibère. Que porter, transporter de cettemémoire vive et à vif après tant d’an-nées ?Dans la précipitation de raconter avantqu’il ne soit trop tard (mais sera-t-il unjour trop tard ?) un certain nombre selancent dans l’enquête, se font détecti-ves, se rendent sur les lieux où a étécommis l’assassinat des proches,comme le fait Daniel Mendelsohn dansLes Disparus (2007).« Après 70 ans la Shoah est tombéedans le domaine public », préciseNathalie Skowronek On peut écrire lemot roman sur la couverture d’un livreconcernant l’extermination des juifs.Les jeunes générations prennent dela/leur distance, se construisent leurpropre « roman », elles le font avec lalégèreté de ceux qui n’ont plus à porterle deuil, qui sont enfin délestés du poidsde la culpabilité, elle appartient à unautre siècle, un autre monde. La troisiè-

me génération et la quatrième décidentde prendre le micro, la plume dans l’ur-gence de témoigner d’un passé quidevient de plus en plus lointain et, sou-ligne l’auteur, entrent dans « une formed’imaginaire, l’imaginaire de la Shoah».Après 70 ans la Shoah se banalise, elledevient un thème « porteur », « vendeur», dans la littérature comme au cinéma.Elle en devient désacralisée. « Shoah youp la boum » ironiseNathalie Skowronek. A l’inverse, cer-tains descendants se font tatouer sur l’a-vant-bras le numéro de leur arrière-grand-mère ou grand-père, rescapésd’Auschwitz, comme s’il fallait gardervisible jusqu’à cette trace inscrite etancrée dans la chair, dans l’espoir quejamais ne meure le souvenir.

* Nathalie Skowronek, LaShoah de Monsieur Durand, Éd.Gallimard, Paris, 2015, 59 p.,7,50 € – Max, en apparence, Éd.Arléa, Paris, 2013, 240 p., 16 €

PNM n°331 - Décembre 2015 7

Le récit de La Shoah deMonsieur Durand conté parNathalie Skowronek est un clin

d’œil à l’humour typiquement juifconcernant l’impossible oubli, vers cequi ne peut s’oublier, qui ne se laissejamais oublier malgré tous les effortsque l’on fait pour tenter d’y parvenir…C’est l’histoire…« C’est l’histoire de Maurice Dupontqui se rend aux service d’administrationde sa ville pour demander à changer denom. Il voudrait qu’on l’appelle désor-mais Maurice Durand. Le fonctionnaireconsulte le dossier puis l’interroge :“Monsieur Dupont, je ne comprendspas. Vous avez fait la même démarchel’année dernière. Vous vous appeliezalors Maurice Shmulewicz et vous vou-liez transformer votre nom en MauriceDupont. Pourquoi, maintenant que vousvous appelez Maurice Dupont, voulez-vous vous faire appeler MauriceDurand ?”Alors Maurice Shmulewicz… répondavec l’accent yiddish qui caractérise lesJuifs de l’Est : « Monsieur del’Administration, c’est très simple.Quand on me demande mon nom et queje réponds que je m’appelle MauriceDupont, la personne en face de moi medit : D’accord, monsieur Dupont, maisavant, monsieur Dupont, comment vous

Salle comble, ambiance joyeuse, chaleureuse, le 5 novembreau « 14 », pour la « première » du livre « Paula – Survivre

obstinément ». Ses très nombreux amis sont venus, toutes géné-rations confondues, manifester leur affection et leur admirationà une Paulette très émue. Résistants, enfants de résistants, mili-tants : les échanges amicaux fusent. Karen Taïeb, présente auxcôtés de Paulette, les anime.Parmi de riches moments, citons l’émotion intense qui s’emparede l’assistance lors de l’arrivée d’Anna Grinberg et de son filsGabriel-Guy, fils de Thomas Fogel. Paulette l’avait tenu dans sesbras à sa naissance en 1943 à l’hôpital Rothschild où elle se trou-vait après son arrestation. « Mon bébé » cria-t-elle à ce grandmonsieur aux cheveux gris, devant une assistance souriante etbouleversée… Nous avons ensuite levé nos verres en l’honneurde tous les présents et de nos chers disparus. UJRE

© Thierry Bernard

À propos du livre de Paulette Sarcey

Le matricule 46650 témoigne

La soirée de Paulette

Après l’attaque terroriste du 11septembre 2001, le grand démo-

crate George W. Bush a promulgué lePatriot Act, sorte de version US del’état d’urgence. Il en résulta un effa-cement des libertés publiques et unemaladie de la démocratie aux États-Unis.

Plus une longue et violente guerre enIrak qui a été à l’origine des dérivesislamistes actuelles.

Instruits par ce précédent brillant, nosdirigeants instaurent et veulent prolon-ger ce fameux état d’urgence, dont onne voit pas ce qu’il apportera de nou-veau à l’arsenal de la police et de lajustice. Sauf quelques coups de griffeaux libertés.

Question : si ces nouvelles mesuresavaient été en vigueur avant, les cri-minels du 13 novembre auraient-ilsété dans l’incapacité d’agir ?

Jacques Franck

20 novembre 2015

La liberté ne se négocie pas

Billet d’humeur

« La Shoah de Monsieur Durand » * lu par Béatrice Courraud

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rer • Reconstruire • Réformer • Se souvenir – Utile : l’index des noms des résistants !MODE D’EMPLOI : Emporter en vacances, profiter des jours de pluie pour le lire enfamille. On trouvera, au hasard des pages, le distributeur automatique de tracts avecretardateur, utilisé pour inonder le cortège de Pétain à Toulouse, en novembre 1940 ; l’é-mouvant tableau des médailles de Jacques Cling ; la machine à écrire à caractèreshébraïques ayant servi à la frappe d’impression clandestine de la section juive de laMOI…entre autres. En résumé, une lecture instructive, un instrument de travail précieux. Guy Krivopissko (dir.) Les résistants – Récits, témoignages et documents inédits du Musée de laRésistance Nationale, Éd. Belin, nov. 2015, 272 p., 350 illustrations, 39 €

Attention, l’exposition “Les Juifs de France et la Grande Guerre”au Cercil-Musée Mémorial des enfants du Vel d'Hiver* fermera ses

portes le 3 janvier 2016. Elle aborde la situation des Juifs en Francependant la Grande Guerre et le parcours de ces combattants.* Musée-mémorial des enfants du Vel d'Hiv, 45 rue du Bourdon Blanc,

45000 Orléans

Pour en savoir plusMatt Cohen, Le médecin de Tolède,traduit de l’anglais (Canada) par Élisa-beth Gille, Libretto, 480 p., 11.80 € :Tout commence à Tolède au début duXIVe siècle. À l'âge de neuf ans, sous lamenace de l'épée, Avram reconnaît leDieu des chrétiens et devient marrane.La bonne entente qui jusque-là régnait àTolède entre juifs, chrétiens et musul-mans prend fin. Nous voilà à l'aubed'une longue période de persécutionspour les juifs.Alicia Dujovne Ortiz, Le monologuede Teresa, Grasset, 2001, 365 p., 20 € :Les origines juives de Thérèse d’Avila,née d’un père marrane qui revêtit le san-benito, de Jean de la Croix, son directeurde conscience et leurs démêlés avecl’Inquisition. La vie de cette grandemystique, doublée d’une impénitentefondatrice de couvents.Herbert Le Porrier, Le médecin deCordoue, 1974, Seuil/Poche, 2008 :Maimonide, né en 1135 dans le quartierjuif de Cordoue, ville alors modèle decivilisation et de tolérance. Il y est le dis-ciple d’Avicenne. Un livre qu’on lit etrelit avec plaisir.

Signalons la réédition des minutes duprocès Pétain, sur lesquelles Annie

Lacroix-Riz, directrice de l’ouvrage,s’appuie pour établirqu’il y avait eu « complotcontre la République etintelligence avec l’enne-mi », réalisant le vœuainsi émis en 1944 parl’historien Marc Bloch.Belle mise en perspecti-ve historique

* Éd. Les Balustres & Muséede la Résistance Nationale, 2015, 427 p., 37 €

Reconnu cetteannée d’utilité

publique, le Muséede la RésistanceNationale nousoffre pour les fêtesun ouvrage d’unegrande valeur docu-mentaire et d’uneexceptionnelle qua-lité graphique. Lasimple énumération des chapitres suffit àindiquer la valeur éducative du livre : •Refuser • Dénoncer, éclairer • Manifester •Protester • S’organiser • Protéger, se proté-ger • S’organiser et lutter • S’unir • Se libé-

Histoire - Mémoire

8 PNM n°331 - Décembre 2015

Les mots pour le dire

S’il vous arrive de rappeler à quel-qu’un le fait que l’Église de France

constitua sous l’Occupation un pilierdu régime de Vichy, ou que la policefut l’instrument de sa politique répres-sive, il y a fort à parier qu’on vousréponde : « Oui, mais y’en avait quirésistaient… »Voyons les choses de plus près. Nul neconteste actuellement que ses quelque150 000 policiers et gendarmes le ser-virent durant quatre années, et que laplupart des résistants furent traqués etarrêtés par eux, ainsi que les juifs vic-times de la persécution nazie et pétai-niste, et ce jusqu’en août 1944.L’illustre par excellence la rafle du Veld’Hiv’ effectuée uniquement par desmilliers de policiers parisiens.Quant à l’Église de France, elle trouvasa revanche sur la loi de 1905, héritiè-re de la Révolution de 1789, par lavoix de Mgr Gerlier et elle « vénérait» Pétain de 1940 à la Libération, enéchange de la suppression des Écolesnormales d’instituteurs, de subven-tions pour ses écoles privées, etc.Qu’il suffise à cet égard de citer lesobsèques nationales qu’elle a organi-sées à Notre-Dame, le 2 juillet 1944,pour Philippe Henriot, ténor de laCollaboration abattu par laRésistance. La même Église qui, deuxmois plus tard, allait sonner à toutevolée les cloches de la cathédrale lors

de la Libération, tandis que le généralde Gaulle refusait de rencontrer le car-dinal collaborateur Suhard.« Y’en a qui résistaient » est donc à lafois vrai et faux. On constate à quelpoint l’expression très courante esttrompeuse par son évidence même : ilest satisfaisant pour l’esprit au premierabord de considérer deux pôles symé-triques, ceux qui collaboraient d’unepart, ceux qui résistaient de l’autre ?Or, il est capital de prendre en comptele nombre respectif des uns et des aut-res car selon les chiffres (1% d’un côtéet 99% de l’autre, par exemple), lesconclusions seront radicalement diffé-rentes. Était-ce la règle ou l’exception? Telle est la question. Comme le ditfort bien la sagesse des nations, « l’ex-ception confirme la règle ».Dans cette optique, si certains prêtreset policiers furent en l’occurrenced’authentiques résistants dont il fautsaluer d’autant plus le courage et laprise de conscience que leur cultureétait d’obéissance et de discipline, leurnombre réel, relativement réduit, estainsi trop souvent occulté en vue dedonner une image faussée de la réalitéhistorique.Seul le respect des faits peut nousgarantir contre de telles manipula-tions. Méfions-nous des « y’en a qui »et appelons un chat un chat.

Y’en a qui...

Les résistantsLe procès Pétain

exilés (juifs ou pas) qui la demanderont.Mais on s’aperçoit que cela pourraitconcerner quelque 20 millions de per-sonnes. On décide alors de limiter ledroit à réintégration aux personnes quiont maintenu des liens culturels ou lin-guistiques avec l’hispanité (200 000naturalisations sont envisagées pour unepopulation juive actuelle de 40 000 per-sonnes résidant en Espagne), la filiationdevant être prouvée par des documentsdont l’authentification est confiée à laFédération des communautés juivesd’Espagne (FCJE) puis validée par unnotaire. L’obligation de déplacementsur le territoire est également suppri-mée. La loi est applicable pendant deuxans et pourra être prorogée d’une année. Un amendement du PSOE demandaitl’extension de ce droit aux descendantsdes moriscos, ces Espagnols islamiséset souvent confondus avec les « enva-hisseurs arabes ». Des observationsteintées de racisme ont rapidement closle débat dans un contexte peu favorable.En même temps, il eut été difficile detrouver aujourd’hui, hors d’Espagne,des musulmans ayant gardé quelquesattributs de cette hispanité passée. Les éditoriaux et courriers des lecteursde la presse espagnole ne trahissent pasles convictions longuement acquises parun siècle de philoséfaradisme : les juifsnaturalisés doivent concourir aux inté-rêts de l’Espagne actuelle : en guise deremerciement, on attend les prix Nobel,les auteurs, compositeurs et entrepre-neurs de pied ferme. La crise rend impa-tient... 27-10-2015

Ce refrain bien connu d’une chan-son de la tradition judéo-espa-gnole s’adresse à toute l’Espagne

au lendemain de l’expulsion prononcéepar le décret de l’Alhambra le 31 mars1492. Cette chanson de désamour acontribué à tenir éveillée une culture del’exil dont tout concourait à sa dispari-tion, à commencer par son oubli enEspagne même.En février 2014, au terme d’un longsommeil de 522 années, des descendantsde familles chassées d’Espagne par lesrois très catholiques, informés qu’unenouvelle loi va leur restituer la nationali-té, prennent d’assaut les consulatsd’Espagne, notamment en Israël. Votéele 9 juin 2015, la loi attendue entre enapplication le 1er octobre dernier. Dès lelendemain, 4302 séfarades en bénéfi-cient, Vénézuéliens, Marocains et Turcspour la majeure partie.Entre ces deux dates : celle du décret,celle de la loi, une succession d’étapes,d’intentions et de conflits. Le « philosé-faradisme » remonte aux premièrescampagnes africaines d’une Espagnequi a perdu son empire colonial, quand,en 1860, la presse révèle un fait surpre-nant : les troupes espagnoles ont étéaccueillies au Maroc par des hispano-phones. La découverte d’une hispanitéd’outre-mer, diffuse à travers toutl’Empire ottoman, va nourrir le fantas-me d’une communauté porteuse tout à lafois de la mémoire de l’ancienne puis-sance espagnole et des ambitions d’uneEspagne future.Le Dr. Angel Pulido, médecin et hommepolitique né au milieu du XIXe siècle,futur secrétaire perpéutel de l’Académieroyale de médecine, consacrera sa vie àce projet. Surnommé « L’apôtre de lacause séfarade », il publiera un livre écriten ladino « spanyoles Sin Patria, LaRaza Sefardi » (Espagnols sans patrie, larace séfarade). En 1909, la constructionde synagogues est à nouveau autorisée.En 1916, création du statut de « protégé» pour les séfarades d’outre-mer. En1924, première loi de naturalisationautorisant ces « protégés » à déposer unedemande de nationalité jusqu’en 1930.La République votera une autre loi, quisera abolie mais remplacée par Franco.Il aura cependant fallu attendre un demimillénaire pour entendre la déclarationsymbolique du roi : « Nous ne devonspas dire que les juifs doivent se sentircomme s’ils étaient chez eux en Sefarad,car les juifs sont chez eux ». En 2012, une nouvelle loi réduit à deuxans pour les séfarades la durée de rési-dence en Espagne requise des étrangersdésireux d’acquérir la nationalité espa-gnole, qui est de dix ans. Concessioninsuffisante, d’où l’idée ambitieused’accorder systématiquement la nationa-lité à tous les descendants de séfarades

Nationalité !

Le monde séfarade, l’autre diasporapar Pascal Busquets

Adios kérida, no kéro la vida, me l’agramateste, adiosAdieu aimée, je n’aime pas la vie, tu me l’as rendue amère, adieu

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Les mémoires de Marcus Klingberg*par François Eychart

Après un séjour enSuède ce sera, en1948, le départ pourIsraël, pays qui n’at-tire guère l’épousequi ne s’y sentirajamais chez elle.Klingberg devientvite une sommitéscientifique. Communiste de cœur et d’esprit, il estaussi profondément israélien. Mais l’a-mour de sa nouvelle patrie ne lui a pasfait oublier l’URSS. Aussi accepte-t-ilen 1950 de collaborer avec un diploma-te. Lors de rencontres secrètes, il le ren-seigne sur des questions scientifiquesqui n’ont à ses yeux rien d’essentiel etqui ne compromettent pas l’existenced’Israël. Jeu trouble, jeu dangereuxdans lequel il s’enfonce d’autant plusque son interlocuteur, délicat et brillant,finit par lui suggérer de mettre safemme au courant et de l’amener à col-laborer. Ainsi le rejoint-elle dans cettepart cachée de son existence.En 1956, suite aux réorganisations quiaccompagnent le rapport deKhrouchtchev, changement d’officiertraitant. Le successeur propose àKlingberg d’utiliser des techniquesmodernes de communication. Ce der-nier s’y refuse, soupçonnant que cela vade pair avec un changement de statut. Ilcesse sa collaboration le jour où unnouvel officier lui propose des appoin-tements, à lui qui n’a jamais agi que parconviction. Recontacté lors d’un séjourà l’étranger, il acceptera, sans enthou-siasme, de reprendre ses activités.

Arrêté à la suite dela trahison d’unagent soviétique, ilse tait pendant dessemaines d’interro-gatoire et n’avoueque devant la mena-ce de s’en prendre àsa fille et à son petit-fils. Au terme d’un

procès à huis clos, il est condamné,mais sous un nom d’emprunt pour nepas jeter le discrédit sur les institutionsqu’il a dirigées.Les prisons des États dits démocra-tiques sont loin d’être des lieux plai-sants. Celles d’Israël ne font pas excep-tion. Il faut lire le récit de Klingbergpour comprendre ce que cela peutsignifier. La cruauté qui y règne a peude limites. N’est-il pas, à la prisond’Ashkelon, voisin de MordechaïVanunu** qui passe des années au sec-ret ? Quand enfin il bénéficie d’unelibération anticipée, Klingberg, assignéà résidence, est surveillé en permanen-ce par un personnel qu’il doit payer deses deniers. Après de longues démar-ches, il est autorisé à s’installer enFrance où vivent sa fille, son gendre,son petit-fils.Bien que tous les États le pratiquent,aucun n’accepte l’espionnage. Le pro-cès de Marcus Klingberg ne fut paséquitable. La dimension politique de satrahison, la finalité de celle-ci ne furentpas prises en compte. Le fait qu’il aitagi par fidélité aux valeurs du combatantifasciste qui avait été le sien et dontil avait été marqué, comme juif et

comme communiste, fut balayé. Étaitdu même coup balayé l’apport de genscomme lui à la naissance et au dévelop-pement d’Israël. Le fossé entre lesvaleurs progressistes qu’il voulait pro-mouvoir et ce qu’il en est advenu semesure à l’acharnement de l’appareilrépressif contre des hommes commelui, comme Vanunu, comme les déte-nus Palestiniens.Laissons-lui la parole pour un dernierretour sur lui-même : « Le 9 mai 2005fut célébré à Moscou le 60e anniversai-re de la victoire des Alliés sur lesnazis… Y étaient présents des centainesd’anciens combattants soviétiques,vêtus de leurs vieux uniformes, leurspoitrines couvertes de médailles.Certains dans des sièges roulants,d’autres s’appuyant sur leurs cannes.Ce sont les vrais héros du XXe siècle. Sima vie avait pris une autre direction,j’aurais marché avec eux, ce jour-là,sur la Place rouge. » * Marcus Klingberg, Michael Sfard***, Ledernier espion, trad. hébreu par SylviaKlingberg, postface de Ian Brossat, Éd.Nouveau monde, 384 p., 22 €

** Vanunu : Ingénieur au centre de Dimona, arévélé l'existence du programme nucléaire mili-taire israélien (cf. in PNM n° 291 de 12-2011,dans notre série des dates-clés du Moyen-Orient,l’article de D. Vidal « 7 juin 1981 – Israël bom-barde la centrale nucléaire Osirak »).

*** Michael Sfard, avocat, contribua à ce queKlingberg soit autorisé à quitter Israël.

À lire sur Internet, JDD.fr du 15-10-2014,interview de Ian Brossat, petit-fils de MarcusKlingberg : http://www.lejdd.fr/Politique/Ian-Brossat-adjoint-au-maire-de-Paris-raconte-l-histoire-de-son-grand-pere-espion-sovietique-en-Israel-694410

Son nom est associé à une retentis-sante affaire d’espionnage qui asecoué l’État israélien dans les

années 80. Accusé d’avoir transmis desrenseignements à l’URSS, MarcusKlingberg, épidémiologiste de réputa-tion internationnale, fut condamné àvingt ans de prison. Il en sortit au boutde seize, bénéficiant enfin d’une grâcemédicale. Un échange avait bien étéenvisagé avec des espions israéliens,mais la Sécurité israélienne s’y étaitopposée.Après une période d’interdiction de sor-tie du territoire, Klingberg vit aujourd’-hui en France, auprès des siens. C’est làqu’il écrit ses mémoires. Son parcoursest celui d’un homme déchiré mais fidè-le à son idéal. Impossible de comprend-re sa réussite professionnelle ou sa déci-sion de travailler pour le compte del’URSS si l’on méconnaît sa jeunesseen Pologne et ce qu’il vécut pendant laguerre.Marcus Klingberg est né en 1918, àVarsovie, dans une famille religieuse.Son grand-père est rabbin. SousPilsudski, malgré l’antisémitismeambiant, ses parents ont réussi à se faireune position sociale qui lui permet d’en-treprendre des études de médecine. Toutse gâte avec l’accès au pouvoir d’Hitler.Marcus gagne l’URSS, laissant enPologne sa famille qui périra àTreblinka. Il devient citoyen soviétiqueet poursuit ses études de médecine.Impressionné par la révolution socialequi se déroule sous ses yeux, il devientun communiste convaincu. Ayant obte-nu son diplôme de médecin quinzejours avant l’attaque de l’URSS, il estversé dans les services d’épidémiologie.Il participe les armes à la main à laretraite de l’Armée rouge de juin àdécembre 41. Blessé, soigné, jamais iln’envisage d’abandonner le combat.Ces quelques mois de débâcle lui fontcomprendre la profondeur du patriotis-me des Soviétiques et l’humanité qui lefonde. Il brûle de se battre. Les situa-tions les plus exposées ne lui font paspeur. Parlant le polonais, l’allemand etle russe, il demande à être envoyé der-rière les lignes de front ce qui lui estrefusé : étant circoncis, il serait engrand danger s’il venait à être capturé.Il servira donc comme épidémiologis-te, fonction très utile vu les problèmesde santé qui menacent les populationsen temps de guerre. Fin 44, il revienten Pologne pour aider le jeune pouvoircommuniste.À Varsovie où il travaille au ministèrede la Santé, il rencontre sa femme qui asurvécu au massacre des Juifs polonaispar sa force de caractère et son intelli-gence. Éprouvée par l’antisémitismedes Polonais, elle met une condition àleur union : qu’ils quittent la Pologne.

Pouvoirs spéciaux à Daladier, pleins pouvoirs à Pétain

Le 30 novembre 1939, le gouvernement Daladier obtientdes pouvoirs spéciaux pour la durée de la guerre. Le 17 juin,Pétain capitule et fait don de sa personne à la France.

Le 10 juillet 1940, la Chambre lui accorde les pleins pou-voirs constituants par 649 voix contre 80 et 20 abstentions.Contrairement à ce qui se dit trop, ce n’est plus la Chambredu Front Populaire, car Daladier, alors président du Conseil,a dissous le parti communiste le 26 septembre 1939.

« Article unique. L’Assemblée nationale donne tout pouvoirau gouvernement de la République, sous l’autorité et lasignature du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par unou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’État fran-çais. Cette Constitution devra garantir les droits du Travail,de la Famille et de la Patrie. Elle sera ratifiée par la Nationet appliquée par les Assemblées qu’elle aura créées. La pré-sente loi constitutionnelle, délibérée et adoptée parl’Assemblée nationale, sera exécutée comme loi de l’État »

— Fait à Vichy, le 10 juillet 1940

Ce vote met fin à la IIIe République. Le 17 juillet, Pétainse proclame chef de l’État. Le 16 août, c’est la dissolutiondes syndicats. Le 22, plus de 7 000 juifs sont dénaturali-sés. Le 3 octobre, promulgation de la loi portant statut desjuifs. Les « individus de race juive » se voient exclus,entre autres, de la fonction publique ainsi que des profes-sions artistiques et libérales.

Pouvoirs spéciaux à Guy MolletLe 12 mars 1956, le gouvernement de Guy Mollet, mis enplace en janvier « pour faire la paix », demande et obtientdes « pouvoirs spéciaux ». La loi est votée, y compris par laplupart des élus communistes, suite à un discours dans lequelDuclos déclare que lesdits pouvoirs « nous sont demandéspour aboutir rapidement à la paix en Algérie et pourcontraindre si besoin les grands possédants de l’Algérie àrenoncer à leurs privilèges. » On sait ce qu’il en advint.Le 17 mars, Guy Mollet a cosigné avec le ministre de laDéfense, Bourgès-Maunoury, celui de la Justice, FrançoisMitterrand, et Robert Lacoste, gouverneur général del’Algérie, un décret relatif à « l’application de la justice mili-taire en Algérie. » Ce sera la porte ouverte à la torture et àl’intensification de la guerre. En six mois, les effectifs mili-taires en Algérie passent de 200 000 à 450 000 hommes.

Retour sur quelques législations d’exception en FranceCertes, comparaison n’est pas raison, mais l’actualité nous interpelle, nous nous interrogeons. Ne devons-nous pas nous remé-morer les conséquences possibles de certaines entorses à la législation de notre pays ? PNM

Histoire - Mémoire

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La 21e conférencedes Nations Uniessur le changement

climatiqueQu’en sortira-t-il ?

Sûrement des profits juteux pour quelques-uns. D’expérience, on voitrégulièrement se faufiler dans ces grandes réunions, parfois quali-fiées de grandes messes, de petits requins qui savent tirer profit du

climat de panique entretenu. Les marchands d’éoliennes n’ont-ils pas profité de la conférence deCopenhague ? L’éolienne, c’est affreux dans le paysage visuel et sonoremais c’est beau sur le papier. Pensez donc, ça ne consomme que du vent. Faux : quand il n’y a pas de vent, l’éolienne a besoin d’une source d’élec-tricité pour continuer à ronronner… Seulement voilà, le marché de l’éo-lienne est un marché « porteur ». La climatisation. Entendu deux experts discutant à la télévision : « C’estune certitude, nous allons avoir des étés de plus en plus chauds ». « Alors,la climatisation ? » « Absolument, la climatisation ». Parce que la climatisation, elle ne consomme pas d’énergie, et vorace-ment ? Si : elle contribue d’ailleurs au réchauffement immédiat. Suffit dese promener l’été dans les rues de New York, transfomées en fournaisespar les rejets de chaleur. Mais le marché de la clim’ est un marché porteur.Surtout, ne pas dire qu’il existe des architectures intelligentes qui créent dela fraîcheur. C’est pas au programme ! L'architecture intelligente ne créepas de profits. Les industriels. Surtout ne pas parler de cette mine de fer au Brésil, caused’une rupture de barrage et du déversement de boues rouges sur plus de600 km., détruisant des forêts tropicales protégées et privant 300 000 per-sonnes d'eau !Rendez-vous dans le prochain numéro pour un bilan de la Conférence.

« Un cheval entre dans un bar »* de David Grossman lu par Jeanne Lafon Galili

« Applaudissez la mort », annonceDovadé. Parce que ce soir, il se passe quelque

chose d’inattendu, « le silence s’installedans la salle et pour nous tous, il devientévident que cet homme vient de dépasserses propres limites ». Ce sont celles deson enfance, de l’enfant au teint clair quimarchait sur les mains et dont la vie a étébouleversée quand, à 14 ans, il a été obli-gé de faire un stage militaire avec saclasse dans le sud d’Israël, de quitter sesparents, sa mère surtout qui ne souriaitjamais. Proie facile, il est le souffre-dou-leur des autres élèves musclés du stage.Méchanceté gratuite qu’Avishai, sonmeilleur ami, le témoin, feint d’ignorer.En même temps, on annonce à Dovadéqu’il doit retourner à Jérusalem, pourl’enterrement d’un de ses parents maislequel ? Le voyage dans un camion militairedure quatre heures au cours desquellesl’adolescent va de la peur d’apprendre lamort de son père, ou de sa mère sansoser choisir (comme si choisir était unefaçon de donner la mort à l’un plutôtqu’à l’autre) pendant que le chauffeurtente de le consoler en lui racontant des

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Lorsque l’on demanda à DavidGrossman, dans un questionnaire,quel était le roman qui le réconci-

liait avec l’existence, il répondit « je lecherche encore ».On pourrait penser qu’il dirait la mêmechose de son dernier roman « Un chevalentre dans un bar », que celui-ci ne leréconcilierait pas avec l’existence. Maisnon. Ce livre sombre n’est pas seule-ment celui du désespoir.Et pourtant, qui a aimé « Une femmefuyant l’annonce »**, avec ses person-nages jeunes, excessifs traversant despaysages luxuriants, est d’abord décon-certé : le titre déjà qui annonce une bla-gue loufoque dont on n’aura pas la fin ;le décor, un bar miteux dans la banlieueindustrielle de Netanya. Dovadé, « unbinoclard maigrichon » va faire son

numéro de stand up devantun public clairsemé venus’amuser. Et il s’amuse,même si les blagues sontsouvent à la limite du sup-portable quand, sur lacorde raide d’un humourgrinçant, Dovadé évoquele Docteur Mengele trans-formé en « médecin defamille ». « Pensez un peu

à quel point le bonhomme était débordé,on venait chez lui de toute l’Europe… »Il malmène son public, se moque desfemmes vieillissantes et « botoxées »,des spectateurs crispés de plus en plusentre le malaise et le désir de « s’éclater». Dovadé s’agite, dégoulinant de sueur,grimaçant, ou souriant comme un tendreclown, grotesque dans ses bottes de cowboy. Il en rajoute, exhibant son corpschétif, se frappant violemment le front.Cauchemar sous les yeux du public maissurtout sous ceux de son ami d’enfance,Avishai Lazar qu’il a supplié de venirassister à ce one man show pathétique.Ils ne se sont pas revus depuis desannées. La présence de ce dernier, saréticence. Il devient, malgré lui, letémoin (narrateur, écrivain) de la scènequi va se jouer.

Il y a vingt ans, Yitzhak Rabin, alors Premier ministre et ministre de la Défense,Rabin qui a signé les accords d’Oslo en 1993 et reçu le prix Nobel de la paix en1994, est assassiné par un juif israélien d’extrême droite, au terme d’une cam-

pagne d’opinion d’une rare violence à laquelle Netanyahou participe. Amos Gitai commémore à sa façon l’événement avec ce docu-fiction qui mêle deséléments des Archives nationales israéliennes et des images de la télévision israé-lienne à des scènes, fort bien jouées et en plans-séquence, reconstituant les audien-ces de la commission d’enquête, qui siégeait à huis clos, chargée d’élucider les cir-constances de l’assassinat. L’écriture de Gitai tend à un didactisme qui se veut « objectif » mais le point de vuedu film s’identifie à celui du parti travailliste, donnant de Rabin l’image élogieused’une incarnation de la paix : un point de vue renforcé par le prologue, qui met enscène Shimon Peres interviewé par l’actrice Yael Abecassis et, vers la fin, par uneséquence qui donne la parole à Leah Rabin sa femme. Rappelons tout de même le rôle historique de Rabin. Il participa à la majeure par-tie des guerres et opérations bellicistes israéliennes, dont l’expulsion de 50 000Palestiniens lors de l’Opération Dani ; il fut ministre de la Défense dans des gou-vernements d’union nationale et prit des mesures très dures contre la premièreIntifada ; quant aux accords d’Oslo, ils n’ouvrirent qu’un faible espace qui ne chan-gea pas sur le fond le sort des Palestiniens. Gitai accorde cinq minutes à la question palestinienne, dans un film de 2h45, parla voix de l’avocate qui dénonce l’accélération des implantations colonialesmenées en complicité par les gouvernements de droite et de gauche. Le film défendl’idée que si l’assassinat de Rabin fut l’œuvre des ultra-religieux, la droite nationa-liste, par ses campagnes, créa les conditions qui permirent le crime.Avec sa venue au pouvoir et l’influence des ultra-religieux dans l’ensemble de lasociété israélienne, le sionisme originel laïque – auquel Gitai a toujours été attaché– a connu un bouleversement radical. Au delà de ce constat, le film se fait le porte-voix des sociaux-démocrates israéliensqui, dans les faits, n’ont jamais vraimentporté des ailes de colombe.

* NDLR cf. in PNM 330, “Les enfants d’Oslo”de Dominique Vidal.

blagues dont celle du cheval qui entredans un bar. Ce moment a déterminétoute la vie de Dovadé. Dovadé, vieux,c’est cet enfant inconsolable de 50 ans.À ce double récit va s’ajouter, se liercomme inconsciemment, celuid’Avishai, acteur du souvenir de sa vie,de l’amour et de la mort de Tamara lafemme aimée, la vivante, la belle. Dansce lieu minable « soudain Tamara est là,elle m’enveloppe. Sa présence est siforte que j’en ai le souffle coupé. » …Et c’est parce que ces voix (celle deDovadé, celle d’Avishai) se tressent, s’u-nissent dans une seule histoire que ceroman de deuil n’est pas celui du dés-espoir. C’est une fin de partie au coursde laquelle des âmes se mêlent. Quelquechose d’indéfinissable est passé, portépar l’écriture sobre, comme épurée deDavid Grossman. Ecarté le langage crude l’acteur de stand up, reste la douceurnostalgique d’une vie, le retour sur lavérité de soi-même.

À lire de David Grossman* Un cheval entre dans un bar, trad. de l’hébreu parNicolas Weil, Éd. Le Seuil, 2015, 228 p., 19 €** Une femme fuyant l’annonce, trad. de l’hébreupar Sylvie Cohen, Éd. Le Seuil, 2011, 672 p., 22,50€ (critique de Jeanne Lafon Galili in PNM n° 292)

Cinéma La chronique de Laura Laufer

Littérature

Le dernier jour d’Yitzhak Rabin d’Amos Gitai

COP21 Billet d’humeur

Idées de cadeau ? Un très beau coffret du filmde Jacques Rivette, OUT 1 (1970), avec MichelLonsdale, Bulle Ogier, Bernadette Laffont, JeanPierre Léaud… vient de sortir chez Carlotta.

[ 7 DVD Collector + livre = 80,26 €]

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C’est la vie, récit autobiographique sous forme dechant, de clameur, de chuchotements, entre rage

et tendresse, parcourt 70 ans d’existence du dramatur-ge autrichien Peter Turrini et nous rappelle parinstants les déclarations abruptes de l’écrivain ThomasBernhard sur la société autrichienne de l’après-guerre.Il y a chez l’acteur genevois Jean-Quentin Châtelainquelque chose d’Orson Welles, tant son jeu tient del’épique et de la démesure. Le charme de son interpré-tation réside aussi bien dans sa diction particulière ettrès personnelle que dans sa gestuelle, accord parfaitentre le geste et la parole. C’est la vie a une dimension acide, tendre, onirique,c’est rugueux, cru, très drôle aussi, ça pénètre dans lescoins les plus secrets du corps et de l’esprit et cetesprit, c’est aussi celui de la révolte du dramaturge. Peter Turrini, né en 1944, d’une famille pauvre d’im-migrés italiens, raconte son enfance et son adolescen-ce difficiles dans un environnement figé, enracinédans ses croyances et préjugés, empreint des relents dufascisme. Sa révolte se traduit en ruptures, départs,voyages et errance à travers l’Autriche. Une traverséesauvage et poétique, mêlant amours, dépression, désirde liberté et de création, et où le personnage clôt lespectacle par ces mots répétés comme une litanie :« Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je neveux pas mourir… »

* C'est la vie, Théâtre du Rond-Point, salle Jean Tardieu, jusqu’au13/12 à 18h30 sauf lundi – Réservations 01 44 95 98 21 –www.theatredurondpoint.fr – mise en scène de Claude Brozzoniavec Jean-Quentin Châtelain, composition et interprétation musica-le de Grégory Dargent et Claude Gomez.

PNM n°327 - Septembre 2015 11

« C’est la vie »* dePeter Turrini

vu par Béatrice Courraud

Culture

PNM n°331 - Décembre 2015 11

Théâtre La chronique de Simone Endewelt

voir ce qui importait au poète. Tout être humain estchargé d’être philosophe, de mettre en question sonexistence. Le travail du comédien, c’est d’essayer derendre compte de la nature de la violence. Pourquoi latragédie du juif de Malte m’intéresse, ajoute B.Sobel :« parce-qu’au fond, il n’y avait pas de problème juifen Angleterre à cette époque ; il y a la révolte fonda-mentale d’un petit bourgeois, d’un fils de savetier quiest un brillant étudiant, et, à cause de la hiérarchied’un ancien monde, il n’a pas la place qu’il méritait ;cela nourrit une révolte fondamentale comme certai-nes choses nourriront une révolte chez Rimbaud etGenet. » La troupe a su rendre toute sa visibilité et son acuité àla pièce de Marlowe, tout en la rendant si proche denous et en permettant au public de s’approprier cesquestionnements. * Théâtre de l’Épée de bois, Cartoucherie. Bois de Vincennes.

Il est l’image d’une société. Il lève les masques, la per-fidie, l’hypocrisie, avec un clin d’œil au siècle dernierfinissant : « le plus prochain des prochains, c’estmoi ». Il est l’incarnation du changement d’époque, desociété car désormais on vit sur terre et non plus dansle ciel et l’enfer : « Que pourrait de plus le ciel pourla créature terrestre ? Que de déverser dans son gironquantité de choses… Qui est honoré aujourd’hui sinonpar sa richesse ? » Il est haï parce qu’il fait envie,parce que l’on désire ce qu’il a, plus que parce qu’il estjuif. Ce n’est pas un usurier. Toute la chaîne socialeessaye de capter des richesses jusqu’au couvent lui-même.

Comme Chaplin l’a fait avec Monsieur Verdoux,« Marlowe choisit un monstre pour mettre à jour lesracines du mal ». Il prend un homme comme révéla-teur pour s’attaquer à la loi du marché, et dans cecadre, mettre en cause la banale monstruosité du vivreensemble. Barabas est un anarchiste en quelque sortenous dit B.Sobel. Il se veut seul, c’est là sa faiblesse,là où il se trompe. Et la démonstration, c’est que c’estla médiocrité qui va gagner, pas lui.

Barabas risque ses bateaux. Il demande de la loi pourque puisse exister la loi du marché. Mais il ne sait pasencore au début que la loi du marché provoque unautre type de violence. Barabas, c’est l’incarnation del’homme de la Renaissance insatisfait, qui a un désirabsolu, avec la naissance du sujet, du moi. Il voit quela place de l’individu, du moi, du je, est mise en causefondamentalement par le système économique quicommence à dicter sa loi et ne permet pas à l’individude s’épanouir.

Barabas est le seul personnage qui pouvait subir cetteinjustice fondamentale : « Tu fais partie de ceux quiont assassiné Jésus », « c’est le péché de ton origine »dit le chrétien.

Une pièce, une mise en scène, un jeu d’acteurs quinous mettent face à nous mêmes

Ce n’est pas une belle pièce, du beau théâtre. C’est unepièce magnifiquement intelligente, finement interpré-tée, subversive, si proche de notre contemporanéité.Bien loin d’être antisémite comme certains essayentde le faire dire, la pièce révèle le ferment d’une socié-té assise sur le capitalisme. La pièce montre que la vieest par essence violente. Sobel, en choisissant cettepièce pour la troisième fois, justement parce qu’il estjuif, montre une grande culture et un regard aiguisé surnotre monde. Écoutons le metteur en scène :« Marlowe invente un outil pour donner un cadre danslequel un cri peut-être poussé contre l’argent. La vio-lence c’est la vie. Ça dépend de ce qu’on fait de la vio-lence. Il faut tenir compte de la violence, forcer à ren-dre sa violence utile. Considérer qu’il y a un hommebon, c’est de la folie. Nous sommes une espèce dange-reuse. » Pour B. Sobel, le travail du comédien, c’est de

Bernard Sobel et ses comédiens nous donnent àvoir subtilement, avec distanciation, un théât-re philosophique d’une grande intensité, un

long et beau poème sur la violence inhérente à la vie.Derrière la tragédie et le cynisme, le rire salvateurqui dévoile la monstruosité, le machiavélisme.Nous sommes à Malte, plaque tournante de laMéditerranée, à la Renaissance, carrefour des échan-ges, du commerce, des civilisations et des religions(chrétienne, juive, musulmane).

Le scénographe Jean-Baptiste Gillet a conçu unescène élisabéthaine en bois, nue, sans décor, sauf dansla dernière scène où Barabas disparait dans les flam-mes, victime de son stratagème manqué vis-à-vis duturc Kalimat, et de la perfidie de Fernèze le catholique.Un billot annonciateur du drame. Les coulisses à l’ar-rière de la scène sont à vue, étroites, derrière desrideaux noirs. La densité de la pièce, les images fortesqu’elle suggère, sont rendues par le jeu distancié,appuyé, corporel des acteurs qui arrivent le plus sou-vent de la salle, où les spectateurs que nous sommesdeviennent les acteurs du drame qui se joue parminous. La gestuelle est fine, précise, suggestible, lesvoix sont modulées. A l’image du théâtre de Vilar, lesacteurs sont seuls porteurs des signes du spectacle. Lesponctuations sonores ont, elles aussi, des accents vila-riens. La scène est une machine qui permet au comé-dien d’être en rapport de dialogue avec le public. Carl’acteur principal dans ce spectacle, c’est le public quiest au centre, avec tous ses préjugés, ses étroitesses,ses petitesses.

La traduction d’Henri-Alexis Baatsch porte magnifi-quement l’écriture de cette pièce de Marlowe, contem-porain de Shakespeare.

Derrière une intrigue bien construite, qui noustient en haleine, habilement soutenue par la miseen scène et le jeu des comédiens, une réflexion phi-losophique, le dévoilement d’une société et d’uneépoque nouvelle.

Barabas a amassé des richesses en commerçant. Maltedoit payer son tribut aux Turcs. Pour cela, le gouver-neur chrétien de Malte décide de confisquer la moitiédes biens des juifs. Ou ils payeront, ou ils se converti-ront au christianisme. Barabas refuse. Il sera spolié detous ses biens. Il se vengera, jusqu’à sacrifier sa prop-re fille, intriguera et éliminera, jusqu’à devenir lui-même gouverneur. Mais le piège se retourne contrelui. Fernèze actionne le pont levis qui précipiteBarabas dans les flammes en lieu et place de Karamat.

Derrière cette intrigue, la tragédie du juif de Malteouvre une réflexion sur la naissance de notre mondeaujourd’hui : on ne peut pas rêver à de la vie sans vio-lence, dit B. Sobel.

Alors « la fameuse tragédie du riche juif de Malte »est-elle une pièce antisémite ? (Que représentevraiment Barabas ?)

Non, dit Bernard Sobel. Barabas est avant tout ungrand marchand qui envoie ses caravelles à travers lemonde et guette l’arrivée de ses bateaux aux richessesdéployées, à l’image de Malte la plaque tournante. Ilcommerce avec les Arabes (« Vive les Arabes » dira-t-il), les Perses, les Grecs… Il incarne cette sociéténouvelle où pouvoir et argent règnent, acquis par laforce et la ruse, avec ses corollaires, l’individualisme,l’égoïsme, l’absence de scrupules, les vilenies, lecynisme, la brutalité. Barabas est un révélateur, lereflet des autres, un monstre pareil aux autres.

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“La fameuse tragédie du riche juif de Malte” de Christopher Marlowe

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En ce trentième anniversaire de lamort de Chagall, trois grandesexpositions célèbrent cette figure

désormais mythique : à la Philhar-monique de Paris, à la Piscine deRoubaix et au MUba Eric Leroy deTourcoing. Elles illustrent à merveille laparticularité de ce grand artiste commeartiste juif – d’une manière toute à lui !Les deux premières mettent en éviden-ce la relation très étroite du peintre avecla musique, une optique qui donne unerétrospective passionnante.

Chagall aime à représenter le violon etle shofar, corne de bélier des tempsbibliques, qui résonne dans les synago-gues et fit s’effondrer les murs deJéricho. Ainsi, peut-on voir les deuxinstruments représentés sur une mêmetoile, avec une connotation sacrée pourl’un, vernaculaire pour l’autre. Associéà toutes sortes de légen-des populaires de l’ima-ginaire juif, celui dushtetl, le petit violonisten’en possède pas moinsune aura presque reli-gieuse. Personnageemblématique, il estomniprésent.

Le shofar apparaît dans

les vitraux de la synagogue de l’hôpitalHadassah de Jérusalem (1959-1960) etles décorations réalisées pour leMetropolitan Opera de New York(1966). On le voit déjà dans Le Shofar(1914-1915), où le musicien est entouréde rabbins avec la Torah. En somme, lecontexte est souvent religieux, mais pastoujours comme le démontre le Numauve (1967) avec la jeune fille assisequi tient un éventail, l’Arlequin et lachèvre bleue qui semble l’embrasser –,à droite surgit la tête d’un garçon quisouffle dans le shofar. En réalité, la figure du violonisteévoque pour Chagall son enfance et sonadolescence à Vitebsk. Il la représentede manière réaliste dès 1907 dans LesMusiciens de la rue (1907), puis dansLe Violoniste assis (dessin, 1908).

12 PNM n°331 - Décembre 2015

Anniversaire

Mais c’est dans les fabuleux décorscréés pour le Théâtre d’art juif que leviolon et son interprète prennent unedimension mythique avecL’Introduction au Théâtre d’art juif(1920) et La Musique (1er panneau,1920) où figure un violoniste barbu,véritable archétype de la mythologiechagalienne. Plus tard ce sera LaDanseuse (1934) accompagnée dedeux petits hommes dont un avec sonviolon.

Depuis lors, la peinture de Chagall n’acessé d’être un rêve traduit par les ligneset les couleurs. Les lois de la gravitén’existent plus : figures, animaux,objets, tout flotte dans un ciel fantas-tique. Cependant les toits de la petiteville russe, ceux de Paris avec la tourEiffel, demeurent une référence aumonde tangible et équilibré qui appar-

tient à lasphère dela réalité.

À toutesles épo-ques de sap r o d u c -tion artis-t i q u e ,C h a g a l lgarde cesens de l’i-maginairequi domi-

ne ses créations : voir Le cheval rouge(1938-1944), La Chute de l’ange (1923-1947), avec l’homme qui tient la Torah àpleins bras, à gauche de la compositionremplie d’une multitude de personnes etde choses dans l’espace ludique qu’ilaffectionne, L’Acrobate au violon(1936-1940) ou Le Clown jouant du vio-lon (1940-1942), ou encore Le Mondeen rouge et noir (1951) , avec le coupled’amoureux qui vole et le violoniste quijoue lui aussi dans le ciel et enfinL’Autoportrait au violon (1954).

D’autres instruments sont présents dansl’œuvre : le violoncelle d’abord, et puis laflûte, les trombes et les trompettes. Lesmandolines aussi sont nombreuses, sur-tout à ses débuts, allusion à des momentsvécus – Lisa à la mandoline (1914),David à la mandoline (1924). Et toute laféérie du cirque fait irruption avec faste,dans une joyeuse cohue bariolée, c’est unorchestre entier qui vient vers nous. Petità petit, le cirque s’est imposé à luicomme la métaphore de sa pensée.

De toutesles figuresformida-bles desrécits bibliques, Chagall en a élu deux.La première est celle de David, représen-té en compagnie de Bethsabée, mais sur-tout en train de jouer de la lyre – Le RoiDavid (1951), Le Roi David en bleu(1967). Si David a tué son meilleur amipour s’emparer de sa femme, la faute esttranscendée par la musique. Devenu ungrand roi, David reste à ses yeux celui quiaimait jouer de son merveilleux instru-ment, qui est de nature divine, mais quiappartient en même temps à ce que l’hu-manité a de sacré en soi et pour soi.

L’autre figure qui subjugue Chagall estcelle de Moïse –, figure titanesque quitient entre ses mains les Tables de la Loi,ces lois qui seront le fondement d’unpeuple et de plusieurs civilisations. Unetapisserie de 1961, entièrement enblancs et gris, le montre gigantesque,démesuré, dans l’arène d’un grandcirque où se presse sur les gradins unefoule de petits personnages de toutessortes, tels des larrons en foire, pas ceuxpeut-être qui ont adoré le veau d’or, maisen tout cas ceux qui ont vécu dans sa têtequand il peignait, comme on peut le voird’ailleurs lorsqu’il se représente dansson atelier – L’Apparition de la famillede l’artiste, 1935-1947 –, avec toujourscet espace onirique au-dessus des toitsde sa ville natale. Ici, le mouvementgénéral de la composition évoque unedanse fabuleuse, même si nul ne joue unair empreint de gaîté et de nostalgie.

Chagall associe à la peinture, son langa-ge par excellence, la musique et,indispensable, la poésie. C’est ce quirend ses œuvres – toiles, papiers,vitraux, tapisseries – toujours égales etsans cesse différentes au gré des varia-tions de l’écriture et de l’inspiration. Ilutilise toujours les mêmes acteurs et lesmêmes relations chromatiques, lesmêmes éléments iconographiques et nefait que les placer dans de nouvellessituations plastiques. Parfois graves, par-fois exultants, ils touchent le cœur deceux qui se rapprochent de ses œu-vres.

Peut-être justement parce qu’il n’y ajamais eu dans son projet la moindre dif-férence entre le sacré et le profane. Il ne sacralise pas le profane. Le profaneest sacré par principe. Les prophètes etles petits violonistes sont faits du mêmebois.

Le saviez-vous ?

Marc Chagall soutenait l’œuvre del’UJRE, les Foyers d’enfants de fusillés etdéportés créés après-guerre. En visite en1946 au Manoir Denouval d’Andrésy, onle voit, la main d’un jeune garçon sur sonépaule, entouré d’Adam Rayski, deJoseph Minc, de Schmulek Farber...

Voir Jusqu’au 31/01/2016Marc Chagall, Le triomphe de lamusique, Philarmonie de Paris, 221, avenueJean-Jaurès à Paris 19°, 01 44 84 44 84.Marc Chagall, Les sources de la musique,La Piscine, musée d’art et d’industrie André-Diligent, 23, rue de l'Espérance à Roubaix,03 20 69 23 60.Marc Chagall, De la palette au métier,MUsée des beaux arts Eugène Leroy, 2 ruePaul Doumer à Tourcoing, 03 20 28 91 60.

(ré)Écouter Marc Chagall, l'ange sal-timbanque (1887-1985)

http://www.franceculture.fr/emission-une-vie-une-oeuvre-marc-chagall-l-ange-saltimbanque-1887-1985-2015-11-28

Lire Ambre Gauthier & Meret Meyer(dir.), Chagall et la musique, Éd. Philar-monie de Paris / La Piscine de Roubaix /Gallimard, 360 p., 45 €.Ambre Gauthier, Chagall et la musique,Éd. Gallimard, Hors série Découvertes, 48p., 8,90 €.Olivier Le Bihan (dir.), Chagall, de la palet-te au métier, Éd. MUba/Snoeck, 216 p., 28 €

Marc ChagallLe sacré et le profane

dans une seule et même visionpar Gérard-Georges Lemaire