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J.-A. Sicard (1872-1929) La vie et l'oeuvre d'un innovateur* par R. STEIMLÉ (Besançon) J.-A. Sicard est né à Marseille en 1872 et décédé d'un infarctus du myocarde en 1929 à Paris. Son enseignement et ses travaux ont occupé une grande place dans le champ de neurologie; ils étaient très polyvalents comme le montre cette étude. L'une des contributions des plus remarquables de Sicard a été l'invention de la myélographie. Particulièrement intéressé par la thérapeutique, il s'est attaché au traitement de différents types de douleurs mais aussi aux injections sclé- rosantes des varices. D'après F. Krause, le premier à confier au chirurgien un malade atteint de compression médullaire par tumeur de la dure-mère a sans doute été Ernst von Leyden (7) (1874). Puis Mac Ewen en 1883 et Horsley en 1887, sur un malade de Gowers, intervenaient pour de tels cas. Chipault avait déjà opéré sept tumeurs méningées en 1902 (4). Babinski, avec sa méthode sémiologique précise guidait les mains du chirurgien : Lecène en 1911 puis, la même année, De Martel (25). Il publie en 1923 une statistique portant sur treize cas «de tumeur juxta-médullaire» (4). L'inconvénient d'avoir à réaliser une laminectomie très étendue se présentait souvent malgré la loi de Chipault (1894) (4). Il est arrivé à Krause lui-même de devoir faire une laminectomie étendue sur vingt-sept centimètres (7). Dans son traité * Communication présentée à la séance du 23 janvier 1988 de la Société française d'Histoire de la Médecine. 47

J.-A. Sicar (1872-1929d ) · 2010. 8. 11. · J.-A. Sicar (1872-1929d ) La vie et l'œuvre d'un innovateur* par R. STEIMLÉ (Besançon) J.-A. Sicard est né à Marseille en 1872 et

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  • J. -A. S icard (1872-1929) La vie et l'œuvre d'un innovateur*

    par R. STEIMLÉ (Besançon)

    J.-A. Sicard est né à Marseille en 1872 et décédé d'un infarctus du myocarde en 1929 à Paris.

    Son enseignement et ses travaux ont occupé une grande place dans le champ de neurologie; ils étaient très polyvalents comme le montre cette étude. L'une des contributions des plus remarquables de Sicard a été l'invention de la myélographie.

    Particulièrement intéressé par la thérapeutique, il s'est attaché au traitement de différents types de douleurs mais aussi aux injections sclé-rosantes des varices.

    D'après F. Krause, le premier à confier au chirurgien un malade atteint de compression médullaire par tumeur de la dure-mère a sans doute été Ernst von Leyden (7) (1874). Puis Mac Ewen en 1883 et Horsley en 1887, sur un malade de Gowers, intervenaient pour de tels cas. Chipault avait déjà opéré sept tumeurs méningées en 1902 (4). Babinski, avec sa méthode sémiologique précise guidait les mains du chirurgien : Lecène en 1911 puis, la même année, De Martel (25). Il publie en 1923 une statistique portant sur treize cas «de tumeur juxta-médullaire» (4).

    L'inconvénient d'avoir à réaliser une laminectomie très étendue se présentait souvent malgré la loi de Chipault (1894) (4). Il est arrivé à Krause lui-même de devoir faire une laminectomie étendue sur vingt-sept centimètres (7). Dans son traité

    * C o m m u n i c a t i o n présentée à la s é a n c e du 23 janv ier 1988 de la S o c i é t é française d 'His to ire de la

    M é d e c i n e .

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  • de 1911 sur la Chirurgie du Cerveau et de la Mœlle épinière, on peut lire : «parfois on se trouve dans la région ouverte avec un aspect, une tension et des pulsations de la dure-mère normaux ; il faut alors se décider à continuer à enlever des lames soit vers le haut, soit vers le bas. Pour cela, il faut employer le sondage extradural, et une sonde boutonnée de taille moyenne rend les meilleurs services. » 11 ajoute : «la sonde peut cependant passer sans résistance à l'endroit d'une tumeur intra-duremérienne» et « la négativité du sondage extra-dural n'a donc pas de valeur décisive. » Pour ce motif, dit encore Krause, il faut de règle, dans tous les cas, ouvrir la dure-mère, même si elle semble normale. . .»; «lorsque l'on n'a pas trouvé la néoformation soupçonnée après ouverture de la dure-mère, il faut sonder par voie intra-duremérienne vers le haut et vers le bas... avec la plus grande précaution et en tenant compte des racines» (7).

    Clymer, Mixter et Mella (3) résumant en 1921 leur expérience de dix ans, comportant cinquante-deux cas de tumeurs intra-médullaires cette fois, disaient crûment et sans détour : « les cas de tumeurs intra-médullaires ont tous eu une évolution défavorable.» Pourtant, dans ce contexte (23), Von Eiselsberg, en 1907, avait enlevé totalement un petit « neurofibrosarcome » encapsulé dans la mœlle thoracique (3).

    Ce bref rappel historique remémorant les conditions dans lesquelles était faite la chirurgie de la mœlle au moment de la première guerre mondiale et dans l'après-guerre immédiat fera mieux comprendre combien la découverte de la myélographie par Sicard et Forestier, publiée en 1921, devait être un tournant historique pour le diagnostic et le traitement des lésions médullaires et rachidiennes (18).

    A l'heure de la tomodensitométrie, au moment où l'on dispose de plus en plus de la résonance magnétique nucléaire, et aussi pour la chirurgie de la mœlle du bistouri à ultra-sons et du laser, il m'a paru intéressant de faire un retour en arrière et de rappeler la vie et l'œuvre de J.-A. Sicard.

    Fils d'un notaire de La Cadière, mort jeune, J.-A. Sicard devait perdre sa mère qui l'avait élevé ainsi que son frère aîné alors qu'il avait à peine dix-huit ans. Brillant élève du lycée de Marseille, il passait ses vacances à La Cadière, dans les oliviers, les pins et les ceps de cette Provence ensoleillée. Méridional né, il devait souffrir plus tard de l'aspect maussade du ciel de Paris. Il revoyait toujours avec plaisir des amis ou patients marseillais qui allaient le visiter à la capitale. Bien qu'issu d'une famille de robe, Sicard s'inscrit à l'école de médecine de Marseille. Sa vocation lui venait peut-être d'un oncle maternel, le Dr Patras, qui mourait à l'âge de trente ans^ lors de l'épidémie de choléra qui sévit alors que Sicard commençait ses études. Une perverse question d'externat intitulée «Astragale et muscles de l'éminehce thénar» valut à Sicard l'échec à l'externat de Marseille. Il décide alors, simple provincial et inconnu de tous, de tenter sa chance à Paris, Reçu à l'externat, il est interne des hôpitaux de Paris à moins de vingt-deux ans. Cette promotion de 1895 était aussi celle de Cunéo, Imbert, Terrien, Nobécourt, Ombredanne, Léon Bernard, Hepp, Lesné et Rist. Quelle promotion !

    L'orientation neurologique de Sicard est due à Brissaud tandis que son autre maître, le Pr Widal, lui donne une empreinte biologique et la passion de la recherche. Des études remarquables sur le L.C.R. et sa composition dans différents états patho-

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  • logiques remontent à cette époque. Sa thèse s'appuie sur elles. Chef de clinique des maladies du système nerveux auprès de Raymond, il est nommé à trente-et-un ans au concours du Médicat puis, peu après, en 1906, à l'agrégation de la faculté de méde-cine de Paris. En 1923, deux chaires se libèrent : l'une de neurologie et l'autre de pathologie médicale. Sicard laisse le champ libre à son collègue Guillain pour la chaire de neurologie et sera nommé à celle de pathologie médicale. La mort devait malheureusement arrêter cette brillante carrière peu avant qu'il ne succède à son maître, Widal, à la chaire de clinique médicale et qu'il ne soit élu à l'Académie de médecine. Il n'avait que cinquante-sept ans.

    Tant de distinctions et d'honneurs revenaient naturellement à un homme aussi remarquable. Sicard possédait les principales vertus provençales. Fier et de belle prestance, son sourire toujours amène compensait un abord un peu distant. Gai et d'une bonté inépuisable, il aimait rendre service, et ceci autant à ses malades qu'à ses maîtres, amis et élèves. Très orienté vers la thérapeutique, ses qualités humaines ont. certainement contribué au fait qu'on l'ait appelé «le médecin de la douleur». Après son installation à Paris, et sans doute sous J'influence de sa jeune femme, petite-fille du recteur Gréard, il abandonna le prénom d'Athanase, hérité d'un de ses ancêtres grecs et sous lequel il était connu de ses condisciples et amis, en faveur de celui de Jean. A la mobilisation, le 2 août 1914, il est incorporé comme infirmier auxiliaire à l'hôpital de Toulon car une fièvre typhoïde compliquée de lésions cardiaques l'avait fait exempter du service militaire. Peu après, nommé aide-major, il est envoyé à Marseille où il passera toute la guerre comme médecin du très important Centre neurologique de la XV e Région qu'il dirigera. Heureux de se trouver sur cette terre provençale qui l'a vu naître, et malgré ses absorbantes occupations militaires, il participe à la vie de la Société médico-chirurgicale de la XV e Région et contribue à la renaissance du Marseille Médical. C'est dans cette revue que paraissent ses mémoires sur les sutures nerveuses, l'alcoolisation des nerfs, les plasties crâniennes et bien d'autres travaux.

    Après la guerre, l'hôpital Necker devenait le centre d'enseignement de Sicard alors au sommet de sa carrière. Sa fille, l'aînée de ses enfants, épousait en 1924 Jean Hutinel, agrégé et médecin des hôpitaux, lui-même fils de l'éminent pédiatre Victor Hutinel. Cette union lui fut une grande joie (14).

    Les premières alertes concernant sa santé, sous forme de deux syncopes, se manifestent avant une croisière au Spitzberg. Sa mort survient le 28 janvier 1929 au cours d'une crise d'angine de poitrine. Réveillé le matin à 5 heures par une douleur caractéristique, il dicte à son fils André, alors jeune interne des hôpitaux, le traite-ment à instituer et se fait appliquer des injections locales de Novocaïne dans le plastron thoracique, comme il l'avait lui-même préconisé pour des malades présen-tant ces horribles douleurs. La crise passée, il s'occupe malgré tout de la consultation qu'il devait avoir en ville avec un confrère et à laquelle il veut se rendre. Une nouvelle crise douloureuse l'emporte.

    Ses obsèques en l'église Saint-Thomas-d'Aquin puis au cimetière Montpar-nasse réunissaient autour de sa famille, avec ses collègues, assistants, amis, bien des malades de la ville qui étaient venus rendre un dernier hommage au maître. Un médaillon, avec son effigie due au sculpteur Morlon, d'abord placé à l'hôpital Necker, est maintenant à l'Académie de médecine.

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  • Avec un esprit passionné, curieux de tout, primesautier, J.-A. Sicard a eu beaucoup d'idées et en a ébauché un grand nombre, sans pouvoir néanmoins les approfondir toutes. Sa contribution au progrès du diagnostic des affections médul-laires marquait un tournant historique. Nous en parlerons donc en premier d'autant plus qu'elle correspondait à l'orientation neurologique de Sicard, primordiale dans sa vie.

    En 1921, il publie avec Forestier «La méthode radiographique d'exploration de la cavité épidurale par le Lipiodol » (18) puis, en 1923, avec Paraf et Laplane, « Le radiodiagnostic rachidien lipiodolé par ponction atloïdo-occipitale et cervicale» (2). Vers 1920, étudiant le traitement des sciatiques par des injections intra-fessières d'une médication iodée à support huileux, dénommée Lipiodol, il constate sur des radiographies que des traînées opaques s'étirent en suivant les interstices des muscles fessiers. Il attribue tout de suite ces images à l'iode du Lipiodol dont la fluidité permet le cheminement suivant les lois de la pesanteur dans les interstices cellulaires et musculaires. Sicard mit alors au point une technique d'injection épidurale du Lipiodol pour calmer les douleurs de sciatique. Il constata que le produit suivait parfois le trajet nerveux. Il en résulta, semble-t-il, la publication sur l'exploration de la cavité épidurale par le Lipiodol, déjà citée. C'est au cours d'un tel traitement que, par erreur, selon Fauconnet (4), du Lipiodol fut injecté dans l'espace sous-arachnoïdien lombaire, ce qui permit de constater le mouvement lors de la mobilisa-tion du malade, du produit opaque le long du canal rachidien. L'huile iodée est heureusement bien tolérée, et c'est alors la mise au point avec Paraf et Laplane de l'injection du Lipiodol par ponction sous-occipitale et cervicale (1923) qui devait consacrer la naissance de cette nouvelle technique d'exploration, si souvent utilisée depuis avec des produits de contraste améliorés. Certains trouvent Sicard bien auda-cieux mais avec une technique minutieuse, il finit par vaincre les réticences. Si le Lipiodol injecté par voie sous-occipitale fixe le niveau supérieur de la lésion, intro-duit par voie lombaire, il permet en basculant le malade de voir la limite inférieure de la compression. A côté du diagnostic topographique, s'ébauche déjà le diagnostic étiologique d'après l'aspect de l'image. Sans doute la méthode n'est pas infaillible et les réactions que l'huile iodée peut provoquer au niveau de la lésion engagent à pratiquer l'exploration la veille de l'intervention.

    En 1926, Sicard, Haguenau et Mayer publient le mémoire intitulé : «Lipiodol intra-épendymaire chez un syringomyélique opéré» (19); c'est certainement une application intéressante de plus de l'étude lipiodolée, et ne peut-on pas y voir aussi le souci qu'avait Sicard, après Elsberg et Puusepp, de poursuivre la voie chirurgicale du traitement de la syringomyélie (24)? La communication de Puusepp sur l'endo-myélographie venait en 1928 (8).

    Pourtant, Clovis Vincent avait sévèrement qualifié la myélographie de « tech-nique de plombier ». Il eut l'élégance de confier plus tard au fils de Sicard qu'il s'était trompé, et reconnut dans sa leçon inaugurale (1939) : « Je me disais : remplacer la clinique par un procédé de plombier, ce n'est pas possible. Et bien, si, c'était possi-ble. » Parlant de Sicard, il déclarait : « Eut-il eu dix ans de moins que je n'eusse sans doute pas été le premier neurochirurgien français venu de la médecine(4) ». H. Roger pensait qu'il était un neurochirurgien-né (11).

    Sicard neurologue ne devait pas se contenter de la mise au point de cette

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  • précieuse méthode de diagnostic des lésions médullaires et l'appliqua à d'autres domaines. C'est ainsi qu'il allait décrire diverses techniques d'exploration contras-tées dans une publication faite en collaboration avec Forestier (11). Il examine les voies génitales et étudie la perméabilité des trompes avec du Lipiodol ; les cavités osseuses de la face sont explorées ainsi que les canaux de sécrétion salivaire, les voies biliaires, les abcès et trajets fistuleux (fistules anale et osseuse).

    Pour mieux situer le niveau où devra porter l 'amputation du membre, Sicard injecte du Lipiodol dans une artère en voie d'oblitération (1923). Rappelons qu'Egas Moniz a publié en 1927 l'artériographie cérébrale. La méthode sera élargie et perfec-tionnée avec R. Dos Santos en 1929. Le contraste utilisé, le thorotrast est bientôt abandonné.

    On sait, à propos des crânioplasties, que différents matériaux avaient été employés depuis l'antiquité et notamment des plaques d'or, avec plus ou moins de succès. A l'ère moderne, avec Merrem et Walther, au début du x ix siècle, on voit apparaître la greffe autogène. Sicard, avec Dambrin, publie en 1919 les résultats éloignés de cent sept cas de crânioplasties par homoplaque osseuse crânienne. Le greffon était prélevé sur le cadavre puis placé dans du xylolformaline et ensuite stérilisé à la chaleur humide. Quelques chirurgiens ont par la suite, aussi utilisé du matériel d'autopsie et, si la technique a été délaissée depuis, on peut rendre hommage à l'idée de Sicard et Dambrin et peut-être y voir s'ébaucher la conception d'une banque d'os (17).

    En 1908 puis en 1916, J.-A. Sicard publiait ses résultats du traitement de la névralgie faciale (15) et des névrites douloureuses de guerre par alcoolisation ner-veuse (16). Pour la névralgie du trijumeau, il pratiquait l'alcoolisation périphérique aux trou ovale et grand rond, suivant en cela les techniques de Schlôsser (1903), Ostwalt (1906), de Dollinger (1912) et de Hârtel (1913), ce dernier injectant égale-ment le ganglion de Gasser (24). Certes, l'abord chirurgical extra-dural du ganglion de Gasser avec section des deuxième et troisième branches pour névralgie du triju-meau avait déjà été réalisé par Krause (1892), mais une telle intervention à l'époque n'était pas fait courant et on sait que, depuis lors, d'autres méthodes plus appro-priées comme, entre autres, de Spiller-Frazier, de Dandy, l'électrocoagulation de Kirschner et la thermocoagulation sont apparues. Les malades accourent chez Sicard, et soulagés pour un ou deux ans, voire plus, reviennent périodiquement, confiants en ses mains expertes qui sauront les débarrasser de leurs douleurs. Puis Sicard va encore confier à son collègue Robineau des malades à opérer selon la technique de Frazier. Ils publieront bientôt une statistisque d'une centaine de guéri-sons. André Sicard, élevé par son père dans le sillage de la neurologie, a consacré une importante thèse (1931) à la neurotomie rétrogassérienne de Spiller-Frazier.

    Sa vie durant, Sicard essentiellement thérapeute a été attiré par le traitement de la douleur, ce qui lui valut un grand renom.

    Avec Robineau, il décrit en 1920 trois cas «d'algies vélo-pharingées essentielles-traitement chirurgical» (21). La névralgie du glosso-pharyngien avait été décrite en 1910 par Weisenburg. La douleur rapportée par cet auteur, due à une tumeur de l'angle pontocérébelleux, avait été considérée pendant six ans comme un « tic douloureux ». Weisenburg a le mérite d'incriminer le glosso-pharyngien mais

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  • parle aussi d'irritation de l'hypoglosse. Sicard et Robineau, sous un autre terme, décrivaient une névralgie essentielle, et remarquons aussi que leurs trois observa-tions figurent dans la révision des cas de névralgie du glosso-pharyngien que fait A. Glassner dans sa thèse en 1948 à propos d'un cas opéré par A. Jung de Strasbourg (5). Sicard avait découvert les caractères particuliers de cette névralgie et demandé à Robineau la section du glosso-pharyngien à son issue au cou (21).

    Le rappel de l'activité neurologique très diversifiée de J.-A. Sicard serait incomplet si l'on ne citait aussi l'invention avec Cantaloube du*petit tube qui devait longtemps être employé et qui était inspiré du tube d'Esbach pour les urines. Ce rachi-albumimètre permettait, par l'adjonction de quelques gouttes d'acide trichlora-cétique, d'avoir un dosage de l'albumine du L.C.R., de valeur pratique suffisante. Après Foix, Sicard souligne l ' importance (9) de la dissociation a lbumino-cytologique et de la coloration jaunâtre du L.C.R. dans certaines compressions médullaires ou arachnoïdites. En même temps que Clovis Vincent et avec Haguenau il commence à rechercher les blocages du L.C.R. par la manœuvre de Queckenstedt-Stookey pour le diagnostic plus précoce des compressions médullaires (4-9).

    Étudiant les sciatiques (1916), il approfondit le rôle des manifestations rhuma-tismales ostéoarticulaires dans l'étiologie des algies périphériques. A l'époque, l'opi-nion la plus admise faisait de la sciatique une lésion du nerf lui-même. Sicard, frappé par la coexistence fréquente d'un lumbago, par l'âge même où surviennent certaines sciatiques et par des altérations ostéoarticulaires, vit le rôle du rachis lombo-sacré, du défilé L4-L5, L5-S1 où une portion des racines (22), celle qu'il appelle le funicule, est coincée. Il décrit le surcroît douloureux à l'éternuement, à la flexion du gros orteil, signe qui porte son nom : le phénomène du genou relevé (1-10). Il faudra une quinzaine d'années encore pour que la pathologie disco-ligamentaire soit bien connue. Sicard en avait été très proche. En effet, si Krause avait en 1908 enlevé avec succès ce qui était probablement le premier disque hernie, appelé « enchondrome», on ne publia que quelques cas plus ou moins certains avant ceux de Petit-Dutaillis et Alajouanine (1928), puis de Mixter et Barr (1934) authentiquement qualifiés de hernie discale (24).

    Sicard distingua l'encéphalite myoclonique avec insomnie et délire, de l'encé-phalite léthargique de von Œconomo et Cruchet. Il décrit le paraspasme facial, le syndrome du trou déchiré postérieur (10) avec paralysie des IX, X et XI et le syndrome condylo-déchiré postérieur qui englobe les quatre derniers nerfs crâniens (1912). Collet identifia à son tour en 1915 le syndrome rétroparotidien tandis que Villaret (1917) ajoutait l'atteinte du sympathique cervical à cette description (1-6).

    N'est-il pas curieux que ce grand neurologue ait aussi fait progresser la cure des varices par la technique de la sclérose veineuse ? Comment y est-il arrivé ? S'étant toujours beaucoup intéressé au traitement de la syphilis nerveuse, en particulier de la paralysie générale qui à cette époque était particulièrement florissante, il avait essayé d'injecter du cyanure de mercure sous l'arachnoïde cérébrale. Il essayait aussi des injections intraveineuses massives de Novarsenobenzol, après courte anesthésie générale au chloroforme, destinée à altérer les combinaisons lipoïdiques enrobant les tréponèmes corticaux, une soustraction simultanée du L.C.R. devant faciliter la fixation du métal sur la pie-mère. Sous l'instigation de Danysz de Bruxelles, Sicard remplace l'arsenic par un autre métal lourd à la base d'argent, le luargol qu'il croit

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  • treponemicide, et traite ainsi des P.G. du Centre neurologique de Guerre. Ses recherches sont malheureusement arrêtées car elles aboutissent à l'oblitération de la veine injectée. Il s'avère que la sclérose veineuse n'est pas due au produit argentique mais au solvant, le carbonate de soude. Roger, revoyant quelques temps après un sous-officier soigné ainsi pour syphilis nerveuse, remarque la complète disparition de volumineuses varices d'un des membres inférieurs avec les injections de luargol qui, faute de veines perméables aux bras, avait été injecté dans les veines variqueuses. Roger écrit à Sicard à propos de ce cas qu'il présente en son nom au comité médical des Bouches-du-Rhône. Sicard reprend alors une recherche et injecte une solution carbonatée à des taux divers chez des variqueux (1917). Préférant le salicylate de soude plus maniable, il met au point une technique et précise le rythme des injections sclérosantes (1922). Il obtient ainsi une thrombose veineuse sans caillot mobilisable et sans crainte d'embolie. La méthode a bien sûr provoqué des objections, mais son efficacité ayant été reconnue, elle s'est répandue. Les sclérosants et le procédé furent modifiés sans doute, mais le principe restait et, comme le soulignait Roger (11), cette seule mise au point, bien qu'il ne s'agisse que d'un aspect du traitement des varices, aurait suffi à immortaliser un homme.

    Certes, la méthode avait été employée en 1853 par Chassaignac puis par Valette (1875) de Lyon. Ils avaient obtenu des résultats intéressants signalés dans la thèse de Legendre inspirée par Delore. Mais tous ces essais furent abandonnés en raison des inconvénients et en particulier, selon Savy (13), à cause de l'absence d'asepsie et de la causticité des produits employés.

    Binet, dans son livre intitulé «Médecins, biologistes, chirurgiens», place Sicard parmi les grands noms de la médecine (2). Le Pr R. Satran, distingué neurolo-gue de Rochester, rendait récemment encore (1985) un vibrant hommage à Sicard devant l'Académie américaine de neurologie (12).

    De tous les progrès que J.-A. Sicard a apportés à la médecine, il semble que celui qui a eu la plus grande portée pratique et la répercussion historique la plus considérable, ait été l'invention de la myélographie. Dans toute son œuvre très vaste, on trouve bien ce génie novateur qui le mettait à l'avant-garde et on comprend que, désireux d'obtenir des résultats thérapeutiques bien tangibles, il ait, à son époque, parfois manifesté le regret de ne pas être devenu chirurgien.

    Chipault s'insurgeait contre les neurologues réticents à confier des compres-sions médullaires tumorales au chirurgien «sans doute parce qu'ici l'évolution du mal est plus lente et qu'il leur répugne de risquer la clôture brutale d'une affection qui peut encore traîner quelques mois » (4). Sicard, à l'opposé, adressait ses malades au chirurgien et visait un diagnostic précoce. Il a été un de ceux qui ont favorisé l'éclosion de la neurochirurgie et même, selon l'expression de H. Roger, «un neuro-chirurgien avant la lettre».

    Adresse de l'auteur : Professeur R. Steimlé

    Service de Neurochirurgie Hôpital Jean-Minjoz, boulevard Fleming

    25000 Besançon

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  • SUMMARY

    J.-A. Sicard was born in Marseille in 1872 and died of a heart attack in 1929 in Paris.

    His teaching work and publications have taken a great place in the field of neurology, but were also multivalent as showed in this biogra-phy. One of the most remarkable contributions of Sicard was his inven-tion of myelography.

    His focus on therapy was striking for different kinds of pain and also for using sclerosing solution for varicose veins.

    N O T E S

    1. A L P E R S B.-J. et M A N C A L L E. -L . Cl in ica l N e u r o l o g y . S i x i è m e é d i t i o n . F a D a v i s , C y . Ph i lade l -

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