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Jack et Madame Mitie en Occident - Numilogexcerpts.numilog.com/books/9782402201483.pdf · Monsieur Jack connaît fort bien les pays occidentaux ainsi que leurs langues, mais Madame

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JACK ET MADAME MITIE EN OCCIDENT

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D U M E M E A U T E U R :

O U V R A G E S P R I N C I P A U X d e BHARATENDU GEORGES NYOITI S A K U R A Z A W A

EN FRANÇAIS

L e P r i n c i p e U n i q u e d e l a S c i e n c e e t d e l a P h i l o s o p h i e d ' E x t r ê m e - O r i e n t . J . V r i n , P a r i s , 1 9 3 1 .

L e L i v r e d e s F l e u r s . P l o n , P a r i s , 1 9 3 1 . L a M é d e c i n e C h i n o i s e d e l ' A c u p u n c t u r e . L e F r a n ç o i s , P a r i s ,

1 9 3 4 .

L e L i v r e d u J u d o . S e k a i S e i h u K y o k a i , T o k i o , 1 9 4 2 . L a P h i l o s o p h i e d e l a M é d e c i n e d e l ' E x t r ê m e - O r i e n t . V r i n ,

P a r i s , 1 9 5 6 . G u i d e P r a t i q u e d e l a M é d e c i n e d e l ' E x t r ê m e - O r i e n t . ( C h e z

l ' a u t e u r , 1 9 5 6 . ) A i d e - M é m o i r e d e l a M é d e c i n e d ' E x t r ê m e - O r i e n t . ( C h e z

l ' a u t e u r , 1 9 5 6 . ) ( L e s é d i t i o n s a l l e m a n d e , a n g l a i s e d e c e s t r o i s d e r n i e r s

v o n t p a r a î t r e à p a r t i r d e j u i n 1 9 5 7 . )

EN JAPONAIS

L e P r i n c i p e d e l a L i b e r t é e t d e l a P a i x . L a C h i n e 2 . 0 0 0 a v a n t C h r i s t à 1 9 2 0 . L e C h e m i n v e r s l a S a n t é e t le B o n h e u r . L a N o u v e l l e T h é o r i e d e N u t r i t i o n e t l a C u r e D i é t é t i q u e

( 4 6 5 é d i t i o n ) . L ' E d u c a t i o n d e C l a r a S c h u m a n n .

A l e x i s C a r r e l , « L ' H o m m e , c e t I n c o n n u » ( t r a d u c t i o n ) , 1 8 6 é d i t i o n .

P. C. N. Northrop « The Meeting of East and West » (traduction).

(Plus une centaine d'autres.) EN ANGLAIS

Two great Indians in Japan. Jack and Yoyo in Erewhon. More or No-more Hiroshima ? New Principle of Election and its Method.

Etc... PÉRIODIQUES EN JAPONAIS

SANA (mensuel médical), 62 année. LE COMPAS (mensuel de la dialectique pratique), 12 année. GOUVERNEMENT MONDIAL (hebdomadaire), 9 année.

(Toute publication en japonais et en anglais se trouve au Sekai Seihu Kyokai, Tokio.)

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NYOITI SAKURAZAWA

(OHSAWA)

JACK ET MADAME MITIE

EN OCCIDENT

N O U V E L L E S É D I T I O N S D E B R E S S E

38, Rue de l'Université, 38

PARIS

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I L A ÉTÉ TIRÉ DU P R É S E N T OUVRAGE

CENT EXEMPLAIRES SUR ALFAMA

T E I N T É F I L I G R A N É N U M É R O T É S

DE 1 A 100.

© 1957 by Nouvelles Editions Debresse, Paris.

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AVANT-PROPOS

Ce livre est le récit des aventures vécues par deux étrangers en quelques pays d'Occident, gouvernés par un roi dit « Civilisation », nom qui est en même temps pour eux synonyme de « jungle ».

L'un d'eux est un monsieur âgé de soixante-quatre ans, l'autre, sa femme, de cinquante-sept. Ils se nom- nent Monsieur Jack et Madame Mitie. Leur nationalité est « Erewhonienne ». Leurs pays est appelé « Erewhon » par les Occidentaux, depuis plusieurs siècles Mais ce nom est complètement étranger à son propre peuple.

C'est un tout petit pays perdu dans un océan, colonisé et divisé depuis quatre-vingts ans par des conquérants venus de l'ouest.

Monsieur Jack connaît fort bien les pays occidentaux ainsi que leurs langues, mais Madame Mitie est une véritable traditionaliste, n'employant que sa propre lan- gue. Elle n'est jamais allée au delà de sa petite île, ni même de sa ville natale.

Leur voyage est plein d'aventures et d'émotions, comme celui de Marco Polo en Chine, ou de Livingstone

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au cœur de l'Afrique... non, beaucoup plus. C'est comme vous allez le voir, très intéressant et extrêmement amusant.

Si certains passages de ce livre paraissent incom- préhensibles, choquants, détestables ou insupportables, ce n'est pas de ma faute. Vous devez essayer de com- prendre la « mentalité primitive » de ces deux étrangers. J 'a i fait de mon mieux pour la reconstituer. C'est votre affaire de tenter de la saisir. Peut-être les clefs du Royaume des Cieux sont-elles là. C'est ce qu'affirment beaucoup de savants occidentaux.

Comme vous le savez, de nombreux livres récemment publiés, surtout en France et en Allemagne, vous entre- tiennent de cette « mentalité primitive », de sa sim- plicité extrême, de sa naïveté apparente, de sa curieuse manière de « penser » (qui est tout à fait à l'opposé de notre pensée, mais qui est très pratique), et aussi de sa mystique. Il semble qu'elle connaisse des choses qu'ignore le monde de l'Ouest : notre vie antérieure, karma, réincarnation, les douze étapes de l'âme, etc...

Si notre instrument d'études dit « Sciences » (du latin scire) est microscopique et analytique, et nous guide de plus en plus vers un monde compliqué, ato- mique, et infinitésimal, la sagesse instinctive de ces possesseurs de la « mentalité primitive » dite « sire » (c'est un mot érewhonien) est intégralement macrosco- pique et synthétique. Vous ne pouvez l'imaginer. Leur mentalité et la nôtre sont aux deux extrêmes. La nôtre est descriptive, immédiate, déterminée et logique si vous voulez; tandis que celle de la « mentalité primi- tive » est abstraite, imaginative, indéterminée, ou boud- dhiste (mahayanistes. En effet, et nous le redirons

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plus loin, leur langue ne connaît ni le temps ni le nombre, ni l'article, ni le genre, ni, à plus forte raison, la personne. Souvent elle ignore ou assimile le subjectif et l'objectif. Elle confond d'ailleurs « oui » et « non », « mon » et « vôtre », « nôtre » et « vôtre », « mon » et « ton ». Est-elle communiste ? Peut-être. En réalité, elle appartient à des citoyens d 'un autre univers, infini, illimité, indéterminé, absolu et éternel : le Royaume des Cieux.

Mais le plus inconcevable et le plus bouleversant, c'est le « oui » érewhonien.

Si vous donnez un bifteck à un Erewhonien, végé- tarien depuis des milliers d'années parce que bouddhiste mahayaniste, il l 'acceptera avec un grand plaisir, pur, innocent, enfantin. E t ceci même s'il sait qu'un bifteck est tiré du cadavre d'une bête qu'il aime fraternellement. S'il fait un peu la grimace en s'efforçant d'avaler la viande, puisqu'il viole son tabou suprême, néanmoins il déclare toujours : « Oh que c'est bon... » avec un grand sourire et il vous remercie infiniment.

Quel menteur, direz-vous ! Mais c'est une politesse enfantine. L'Erewhonien doit

accepter tout, n ' importe quelle difficulté comme un grand plaisir, la mort comme la vie. Voilà la réponse érewhonienne en face d'une épreuve. L'obéissance totale non-conditionnée. C'est la docilité absolue, la tranquil- lité cent pour cent d 'un bon écolier qui écoute son maître et admet toutes ses paroles, même incompré- hensibles, ou celle d 'un cobaye sur la table de vivisection. Accepter tout, accepter n' importe quel sacrifice vital. Si un Erewhonien joue son rôle de mar ty r avec le sourire, c'est pa r souplesse métaphysique.

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Si vous blâmez cette attitude comme fausse, vous devez critiquer cette métaphysique, génératrice de toute la civilisation de l'Extrême-Orient, y compris le Boud- dhisme, Christianisme, Hindouisme, Jainisme, Sintoisme, Taoisme, Islamisme, Confucianisme, et leurs œuvres esthétiques, littéraires, plastiques, morales, culturelles... et vous devrez proposer autre chose à la place. Tous l e s E r e w h o n i e n s l ' a c c e p t e r o n t a v e c l e m ê m e g r a n d p l a i s i r

e t l a m ê m e o b é i s s a n c e t o t a l e .

C ' e s t a v e c c e t t e p o l i t e s s e , m o d e s t i e , o b é i s s a n c e e n f a n -

t i n e s q u e t o u s l e s A f r o - a s i a t i q u e s v é c u r e n t p a c i f i q u e m e n t

e t l i b r e m e n t p e n d a n t d e s m i l l i e r s d ' a n n é e s , j u s q u ' à

l ' i m p o r t a t i o n o u l ' i n v a s i o n d e l a c i v i l i s a t i o n o c c i d e n -

t a l e , i l y a e n v i r o n u n e c e n t a i n e d ' a n n é e s .

C ' e s t a v e c c e t t e p o l i t e s s e , m o d e s t i e , o b é i s s a n c e , s o u -

p l e s s e m é t a p h y s i q u e s q u ' i l s o n t t o u s é t é c o l o n i s é s p a r

l e s O c c i d e n t a u x : i l s s e s o n t l a i s s é s c o l o n i s e r v o l o n t a i r e -

m e n t . S ' i l y a q u e l q u e s d i f f é r e n d s c o l o n i a u x m a i n t e n a n t ,

c e l a s i g n i f i e q u e n o u s a v o n s a b u s é o u p r o f i t é u n p e u

t r o p d e c e s q u a l i t é s m é t a p h y s i q u e s d e s A f r o - a s i a t i q u e s .

s a n s s a v o i r o u s a n s c o m p r e n d r e , o u s a n s v o u l o i r c o m -

p r e n d r e c e t t e m e n t a l i t é p r i m i t i v e ; l e P r i n c i p e U n i q u e

d e c e t t e m é t a p h y s i q u e s i s i m p l e e t s i i n n o c e n t e e n

a p p a r e n c e , m a i s s i p r o f o n d e e t s i p r a t i q u e e n r é a l i t é .

E l l e e s t u n e d i a l e c t i q u e , p e u t - ê t r e l a p l u s p r o f o n d e e t

l a p l u s p r a t i q u e . L a d i a l e c t i q u e d e H e g e l o u d e M a r x

n ' e s t q u ' u n e t r a d u c t i o n p a r t i e l l e o u u n e t r a n s f o r m a t i o n

d e c e l l e d e l ' E x t r ê m e - O r i e n t , q u i e s t u n m o n i s m e p o l a -

r i s a b l e .

A p r è s a v o i r é c o u t é l ' e x p l i c a t i o n d e M . J a c k , j ' a i v u

u n p è r e j é s u i t e r i r e e n d i s a n t : « L a d i a l e c t i q u e m o n i s t e ?

C ' e s t u n e c o n t r a d i c t i o n , h a ! h a ! h a . . . » I l f u t d i f f i c i l e

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ensuite de consoler et d'encourager M. Jack. Il était tellement désappointé... Il avait rendu visite à ce père jésuite dans l'espoir de trouver un Occidental qui puisse comprendre cette mentalité primitive inconnue ou si peu appréciée. M. Jack avait lu un livre écrit pa r ce Jésuite, et depuis, il l 'estimait beaucoup.

La « mentalité primitive », telle qu'elle est exposée dans les quatre gros volumes du grand-maître philosophe Lévy-Bruhl, est la mentalité commune à tous les Afro- Asiatiques ou à tous les peuples de couleur. Toutes les races colorées peuvent être considérées comme des peuples aventureux partis du même pays natal vers l'Est, attirés p a r la lumière ou le lieu d'où sort le soleil ; et tous les blancs, plus aventureux que leurs frères, descendirent vers l'Ouest pour découvrir le lieu où entre le soleil.

Les Erewhoniens trouvèrent une île à l'extrémité et y restèrent. Les Aztèques et les Peaux-Rouges seraient l 'avant-garde des Erewhoniens.

En tout cas, je voudrais être l 'interprête fidèle de Monsieur Jack et de Madame Mitie et vais vous raconter les aventures qu'ils ont vécues dans la jungle dite « civi- lisation ».

Je devrais ajouter une épithète au nom de Monsieur J ack : sorcier.

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CHAPITRE I

BANDITS A PARIS

Il était minuit lorsque Monsieur Jack et sa femme arrivèrent à Paris, au début du mois de mars.

De l'aérodrome d'Orly, ils furent transportés à l'aéro- gare des Invalides, au centre de la ville.

Il faisait noir et très froid. L'aérogare était morte. Par chance ils trouvèrent un taxi, personne n'étant venu les accueillir. Ils arrivèrent à destination, rue Galvani. Le chauffeur leur demanda mille francs pour la course, plus cent francs de pourboire. Monsieur Jack, habitué aux exigences des chauffeurs des grandes villes, en particulier de Calcutta e t Nairobi, estima que cette somme était raisonnable; mais Madame Mitie, traditio- naliste, fut très fâchée, ayant l'habitude de payer dix francs un rikisyaman et cinquante francs un taxi, pour n'importe quelle distance dans son pays natal

En réalité, leurs premières impressions furent tou- jours mauvaises, quels que furent les ports où ils descendirent. Leur plus triste souvenir est celui d'un

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bureau de douane de l'Inde, pays où règne le successeur de Gandhi.

Chose surprenante, à l'entrée de ce grand pays paci- fiste sévit la corruption. Les fonctionnaires, y compris la police et les agents des douanes de la grande répu- blique indienne, soutirent l 'argent des étrangers comme des bandits. A plus forte raison les chauffeurs, les trans- porteurs et les coolies. D'ailleurs, dans le monde entier, c'est le pays où il est le plus difficile d'obtenir un visa d'entrée, de séjour ou de sortie, dit Monsieur Jack. Si c'est vrai, c'est une contradiction scandaleuse, puisque l'Inde est le pays hospitalier de Bouddha.

— Mais l'Inde est un pays nouveau. Elle se développe- ra et se corrigera très probablement, La même chose existe ici en Europe, en Suisse, pays le plus renommé dans le monde entier pour son hospitalité et sa bienveil- lance. Un douanier suisse nous demanda de payer 1.500 francs chacun. Je payai donc 3.000 francs pour nous deux. Après quelques semaines nous entrâmes d'Allemagne en Suisse et cette fois on nous demanda 500 francs chacun, au lieu de 1.500. C'est curieux, n'est-ce pas ? — dit ce primitif.

Le disciple de Monsieur Jack, qui habite rue Galvani, était absent. Ils attendirent pendant une heure. A la fin, Monsieur Jack alla chercher un taxi, dans la nuit extrêmement froide, pour transporter leurs valises jus- qu'à un petit hôtel qu'il avait trouvé à cinq ou six cents mètres de là. A minuit passé, il était difficile de trouver un taxi. Heureusement, il en découvrit un qui les trans- porta avec leurs bagages, et pour trois cents francs.

Quand ils se furent assis dans une toute petite cham-

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bre d 'un prix particulièrement élevé, Madame Mitie s'écria toute pâle :

— J'ai oublié mon sac à main ! Ils furent consternés. Passeports, argent, bijoux (toute

leur fortune) étaient dans ce sac. Vers deux heures, le chauffeur revint. Le sac-à-main

était retrouvé. Monsieur Jack donna trois mille francs au chauffeur en le remerciant chaleureusement. Madame Mitie, les larmes aux yeux, le remercia aussi, en ere- whonien et à l'erewhonienne. Le chauffeur parisien, ne comprenant pas l'erewhonien, partit heureux et stupéfait.

Les deux Erewhoniens retrouvèrent leur bonne humeur et ils conclurent ainsi :

— Il y a toujours Yin et Yang, le bien et le mal partout et à tous les niveaux. Il ne faut jamais crit iquer le mauvais, puisque le mauvais n'est que l 'autre face du bien.

— C'est vrai. Notre Principe Unique Yin-Yang est valable même en Occident — même dans les pays des « civilisés » ! Quel bonheur !... Mais pourait-on dire « plus de bandits, plus d'honnêtes gens ? »

— Pourquoi pas. Tu as bien compris cette nuit ce que je dis depuis toujours ? Grâce aux bandits-chauf- feurs...

— Et grâce aux chauffeurs honnêtes... — L'antinomie est une vision daltonienne du Principe

Unique... Il faut accepter le mal comme le bien, la mor t comme la vie, la difficulté comme le début de la facilité, et cela avec le plus grand plaisir, toujours. Si l 'on ne peut voir que l 'un des deux côtés des choses, c'est un daltonisme mental. Si l'on ne veut chercher que le beau côté des choses, c'est orgueil, arrogance, exclusivisme,

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égocentrisme. Si l'on veut détruire le côté que l'on n'aime pas, c'est de la folie. Pour obtenir force, richesse, confort et connaissance... il faut plutôt s'efforcer de rechercher la difficulté, puisque notre plus forte ten- dance naturelle, sensorielle et sentimentale, aspire au confort, à la richesse et à la facilité.

— Et le froid, la chaleur, la faim perpétuelles, n'est- ce pas ? C'est pour cela que nous avons quitté notre pays dénommé « jungle » et nos amis appelés « primi- tifs » si pacifiques et si honnêtes. C'est pour trouver des bandits et des voleurs dans les pays dits « civilisés ». Si nous ne pouvions les trouver, notre voyage serait une perte de temps...

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CHAPITRE II

L'ORIGINE DE LA CRUAUTE OCCIDENTALE

Les deux Erewhoniens, surtout Madame Mitie, ont horreur de tuer. Même les Indiens végétariens, Hindou- istes, Jainistes, Bouddhistes etc. qui sont au moins deux ou trois cents millions n'aiment pas tuer. Vous pouvez voir de pauvres mendiants ou malades condamnés « incurables », assis dans les grandes rues ensoleillés de Calcutta, (Habitants 4.000.000), chercher et éloigner vivants les poux de leurs vêtements. Les Hindous redou- tent de tuer quelques petits vers ou fourmis en marchant dessus ou en buvant de l'eau, à plus forte raison l'exter- mination d'une espèce, d'êtres infinitésimaux, par poison chimique violent. Ils sont bien plus fervents que le Docteur A. Schweitzer dans le respect de la vie. Le Dr Schweitzer tue des microbes malgré sa théorie. Les Hindous ont horreur de l'amputation ou de l'opération, si petites soient-elles. Ils n'aiment pas voir le sang. Dans

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l'hôpital du Dr Schweitzer, il y en a beaucoup tous les jours.

Les Erewhoniens aiment les fleurs et les herbes sau- vages. Ils ont créé une école de l 'arrangement des fleurs. Cet arrangement est une religion de la commisération pour ces espèces fragiles et éphémères. Elle défend formellement de couper des branches ou des feuilles. C'est pourquoi Madame Mitie est violemment choquée chaque fois qu'elle voit, soit au marché, soit dans un salon ou dans une vitrine de Paris, des fleurs arrangées dans un vase. Elle frissonne et soupire : « Oh mes pauvres fleurs, on vous a décapitées si cruellement ! » dit-elle, comme si c'étaient ses propres enfants... Mais le choc le plus violent, la plus grande émotion, l 'horreur la plus profonde qu'ils aient ressentis au cours de leur vie, c'est lorsque inopinément, dans une église à Paris, ils se sont trouvés face-à-face avec un cadavre nu, percé de part en part, les mains et les pieds cloués sur une croix de bois.

Madame Mitie se sentit défaillir et elle s'enfuit le plus promptement qu'elle put. Elle marche habituel- lement d'un pas très lent, comme toutes les femmes erewhoniennes, beaucoup plus lent que ne le repré- sentent les films japonais. Mais par exception, elle mon- tra qu'elle pouvait marcher très vite.

=— C'est là, je crois — dit-elle — l'origine de la cruauté occidentale en Orient et en Extrême-Orient, depuis le massacre des Chinois dans la guerre de l'opium, jusqu'au massacre de 313.814 femmes et enfants, mala- des et citoyens non-armés de Hiroshima et Nagasaki par les deux premières bombes atomiques. C'est une réac- tion toute naturelle pour une femme erewhonienne, née

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dans un pays qui n'avait connu aucune guerre depuis des milliers et des milliers d'années jusqu'à l'invasion de la civilisation occidentale.

— Quelle mentalité cruelle ! Montrer un cadavre cloué et percé... et cela, partout et toujours... C'est une exibition répétée, permanente et gratuite.

— C'est une invention européenne. Cela n'existait pas dans le Christianisme oriental d'origine.

— Si l'on traduit le Christianisme de cette manière, il est tout naturel que les Occidentaux aient colonisé tous les pays du monde par la force, que la civilisation occidentale soit toujours sanglante et que tous les pays et toutes les petites îles où les blancs s'introduisent deviennent des champs de bataille, bien que les indi- gènes soient pacifiques.

— C'est vrai ce que tu dis. — Alors, il nous faut rentrer dans notre pays le

plus vite possible. Pourquoi continuer nôtre voyage, cher ami ? C'est insupportable de voir ce cadavre et ces peuples qui l'honorent. Regarde ces pauvres petites fleurs si cruellement décapitées...

— En cela tu as raison, tu es professeur d 'arran- gement floral... je comprends. Mais il nous faut recher- cher le bien. Nous ne devons pas uniquement trouver le mal.

— Je n'attaque rien. Je dis tout simplement que je suis incapable de continuer à voir pareille chose, par- tout et tous les jours...

— Je te comprends. Tu n'as jamais attaqué. Quittons ce lieu.

Un jour, passant devant la cathédrale de Fribourg en Allemagne, ils n'osèrent y entrer. C'était trop pénible

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même de la regarder extérieurement. Elle était endom- magée par le bombardement. De loin et en silence, ils la caressèrent longuement des yeux. Madame Mitie mur- mura :

— Quelles sont ces voitures de luxe là-bas sur la place ? Sont-elles toutes venues de loin ? Et ces voya- geurs sont-ils tous étrangers ?

— Oui, oui. Beaucoup d'Américains très riches. Cha- cune de ces voitures coûte des millions de francs. Vou- drais-tu en avoir une ?

— Il est certain que nous n'en aurons jamais de notre vie. Tu n'en achèteras pas, je le sais. Ce n'est pas la peine d'en discuter ici. Mais pourquoi viennent- ils ? Je me le demande. Ils visitent cette cathédrale pour quoi faire ? En admirer la beauté ? Mais cette beauté est trop triste, trop rigide, trop froide et peut- être trop orgueilleuse. En admirer la taille ? Mais il y a beaucoup de grands bâtiments aux Etats-Unis, plus grands que cela. Alors, pourquoi faire ?... Pour se distraire ?...

— C'est tout simplement par curiosité. C'est peut-être pour passer le temps et dépenser de l'argent. Ils ont un peu trop des deux.

— Si c'est un passe-temps ou une façon de dépenser de l'argent, c'est triste et je le regrette pour eux.

— Ah ! regarde, il y a des gens qui sortent... Entrons et voyons ce qui se passe là dedans.

— Oh non, je n'ose pas entrer... il y a le cadavre sans doute...

— Soit. Mais que font-ils à l 'intérieur ? — Ils prient pour la paix et la liberté... — Ce n'est pas une prière, c'est une requête, une

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supplication... La prière, selon notre Principe Unique, consiste en une méditation profonde de la reconnais- sance de la constitution de l'univers, l 'ordre de l'univers, Yin-Yang, pour fortifier notre clairvoyance, qui nous permet de voir tout à travers le temps et l'espace infinis, absolus, au delà de ce monde fini, relatif, et qui nous donnera la joie éternelle et l 'amour infini...

— Mais c'est le contraire ici. On a besoin de bonheur immédiat en ce monde fini, éphémère, illusoire...

— En tout cas, c'est de la mendicité, c'est une deman- de ou un désir très fort.

— Demander la plus précieuse des choses à un cada- vre ! Comme c'est pitoyable et triste... Ils ne le com- prennent pas ? Impossible... Ils sont un peuple dit « civilisé » ? et ils sont scientifiques ?

— Mais c'est le seul moment où ils tournent le dos à la « civilisation » ou à la « science ». Ils oublient un moment leur civilisation scientfique et se réveillent dans l'univers infini, absolu, éternel, où n'existent ni les barrières du temps ni celles de l'espace, d'ailleurs imaginaires.

— C'est un peu comme nos plongeuses qui cherchent des perles dans la profondeur froide et noire de la mer. Elles reviennent de temps en temps à la surface pour respirer l'air pur et infini...

— C'est cela. C'est regrettable qu'il n'y ait personne pour leur enseigner cette liberté infinie et cette justice absolue, la manière de respirer l 'air pur ; pour leur apprendre que c'est là qu'on doit trouver la liberté, la justice et la joie de vivre infinies, absolues et éternelles.

— Pourquoi ? Il n'y a personne ? Aucun prédica- teur ?... C'est incroyable !

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— Il y en a certes, mais personne ne connait ni ne prêche la constitution de l'univers, cette continuité de l'infini avec le monde fini qui n'est qu'un simple point abstrait géométrique de l'infini. Ils croient que ce point abstrait, imaginaire et géométrique existe à part de l'infini. Si un. point géométrique peut exister en dehors de l'infini, cet infini n'est qu'un autre point fini ou non-existant.

— Les prédicateurs chrétiens de l'Europe sont donc des dualistes ?

— C'est exactement cela. Ils considèrent Dieu et le diable, le bien et le mal, comme deux pôles antagonistes éternels. Voilà l'éternel différend dualiste. Ils savent que les deux extrêmités d'un aimant ou l'alcalinité et l'aci- dité ne sont que les deux expressions d'une même natu- re... mais ils ne comprennent pas l'identité du bien et du mal. C'est une mentalité vraiment incompréhensible. Leur jugement, à partir de la troisième étape jusqu'à la septième, est complètement voilé.

— Il faut donc enseigner notre monisme, le Prin- cipe Unique. C'est une maladie mentale, tu dois la guérir.

— Comme tu le sais, je me suis efforcé, dans toute la mesure du possible, de l'enseigner depuis trente-cinq ans. C'est pourquoi tu as perdu toutes tes perles, pour me permettre de poursuivre ma mission moniste en Europe et cela à plus de dix reprises. Et c'est la première fois depuis vingt et un ans que je suis revenu. Mais j 'ai vieilli, mes anciens amis ne sont plus... et il n'y a pas un seul jeune homme scientifique qui s'y intéresse. Ah !...

— Mais tu n'as aucune raison d'être déçu ni d'aban- donner... Tu n'as qu'à continuer ta mission moniste

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qui est si simple, si facile à comprendre, et surtout si pratique... notre Principe Unique... Pourquoi as-tu l'air si triste ces jours-ci, depuis notre arrivée ? Tu es reve- nu à Paris et dans cette Europe que tu aimes tant...

Tu as raison. Je ne dois pas être assombri, mais il y a quelque chose de très lourd dans ma tête ; je m'ef- force de l'oublier... mais il y a des moments où cet assombrissement me revient. C'est toujours lorsque je me trouve devant une église ou quelqu'un de très pieux qui prie devant l'autel. Cet assombrissement devient une douleur quand tu es devant ce cadavre sinistre... Voir une Erewhonienne s'enfuir là où une Européenne reste à prier... Je ne sais pas comment t 'expliquer cette mentalité « civilisée », pourquoi je suis incapable de faire comprendre notre « mentalité primitive » à ce peuple pieux ou scientifique, à la fois si honnête, si courageux et pourquoi je...

— Tu as perdu contact avec ton jugement suprême ? — Mon jugement suprême est voilé ? Tu crois ? Juste à ce moment, au clocher de la cathédrale, son-

nent les douze heures... tout en haut dans le ciel. — Oh que ce carillon est beau !... — Ce sont les cloches que nous avons entendues ce

matin à l'hôtel. — Oh que c'est beau !... Il y a un carillonneur ? — Non, c'est une mécanique. Nous ne sommes pas

dans notre pays moniste où la main d'œuvre ne coûte rien...

— Cela sonne chaque heure ? — Oui, chaque quart d'heure, très exactement. — Alors ce n'est qu'une horloge ? — C'est cela.

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— Ah je comprends maintenant pourquoi l'on ne vient plus à l'église à heure fixe.

— Pourquoi ? — Tu sais, chez nous on sonne l'heure du « tigre >

(4 heures). On se lève à trois heures. A l'heure du « tigre », commence le travail journalier et, pour les bonzes, la prière, c'est-à-dire la méditation sur la cons- titution de l'univers. A l'heure du « lièvre » (6 heures), quand sonne cette cloche géante, on se hâte vers le temple. Oh quelle douceur, cette voix de la cloche géante . . . cette résonance sans fin qui nous caresse si doucement comme une voix maternelle belle et char- mante. Elle nous transporte dans l'univers infini, dans la liberté infinie et la justice absolue... le bonheur éter- nel, si l'on est empêché d'aller au temple...

— C'est vrai. Il y a une grande différence entre ces cloches et la nôtre.

— Notre chère cloche nous réveille au sein de l'infi- nité, tandis que ce carillon nous plonge dans le fini hâtif, exigeant, où l'on doit gagner de l'argent. La clo- che sonne chez nous pour ouvrir notre perception qui nous permet de jouir de la grandeur de l'univers infini et éternel. Ici, c'est pour nous enchaîner dans ce monde fini, fermé par des murailles de plomb dites « temps » et « espace »... Quelle tristesse...!

— Qui a inventé ces cloches ? On dit ici « le temps c'est de l'argent ». C'est donc l'argent qui les a inven- tées ?

— Nous sommes en enfer ? — C'est cela. Ici c'est le royaume de l'argent. On ne

peut rien faire sans l'argent. On ne peut pas vivre,

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même, respirer librement sans argent... Il nous faut donc gagner un peu d'argent.

— Rentrons à Erewhon. On peut vivre là-bas en dehors de ces épaisses murailles de plomb. On peut respirer l'air pur vivifié par l'ozone sans rien payer au moins. On peut manger des herbes cultivées par l'infini sans engrais chimiques, des feuilles si délicieuses, et même des racines de pissenlit sans être enterré...

— Mais on ne sait pas ici, en Europe, que la racine de pissenlit est extrêmement Yang et qu'elle guérit si merveilleusement la maladie cardiaque et la poliomyé- lite. Manger la racine de pissenlit signifie la mort... ici.

— Ils ne connaissent pas Yin et Yang ? Ces deux forces antagonistes qui créent, animent, détruisent et reproduisent tout ce qui se trouve en ce monde, la force centrifuge et la force centripète, l'origine de toute énergie Mais, tu m'as souvent parlé de cet instrument, le plus fort parmi ceux de la science naturelle dite « Physique », qui a distingué ces deux forces antago- nistes comme la base de toute existence dans l'univers ; de plus il a trouvé l'antinomie ou l'antagonisme à tous les niveaux ?

— Mais quand même, on n'a pas encore identifié ces deux forces fondamentales avec les deux mains créa- trices d'Une seule tête, l'infinité. Ils sont dualistes par naissance...

— Ils sont donc tous daltoniens ? — Ils se disputent, séparés en deux groupes anta-

gonistes, les matérialistes d'une part et les spiritualistes de l'autre. Cette bataille est acharnée et très longue, c'est cruel et angoissant. Notre ami le Dr Carrel en est une victime.

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— Alors, on ne connait pas la vraie signification de la croix que nous avons vue partout, soit dans les mon- tagnes lointaines et solitaires, soit dans toutes les gran- des villes, (comme celle de Fribourg), soit dans n'im- porte quel pauvre petit hameau, dans les salons, dans les hôtels, partout, partout... Les croix sont considérées comme une sorte de décoration ou un accessoire ? On ne sait pas que la croix est le symbole de ces deux forces antagonistes et de l'infini-absolu ? On a retenu seule- ment l'image, pourquoi ? Est-ce par pitié ou par sug- gestion pour qu'ils se préparent à une fin semblable ?

— On a oublié peut-être. — Alors, tu n'as qu'à enseigner la théorie moniste

qui est si intéressante, si amusante et surtout si pratique. — Je l'ai enseignée depuis trente-cinq ans comme

tu le sais. Mais ils ne me comprennent pas du tout. Voilà pourquoi je suis tellement sombre.

— Mais tu m'as dit que des milliers de médecins français et allemands avaient étudié l 'acupuncture d'après tes livres et qu'ils la pratiquaient, que tous tes livres étaient vendus et que...

— C'est vrai. Mais j'ai été trompé. Ils ont étudié l'ancienne médecine étrangère d'une manière étonnante, minutieuse et déterminée, mais sans s'intéresser du tout à la théorie de notre monisme-polarissable.

— Est-ce une maladie mentale ou spirituelle? C'est très grave. Pourquoi ne s'intéresse-t-on pas à la théorie ? Tu dis toujours que la théorie sans la pratique est inutile, la pratique sans la théorie dangereuse. Tu as donné une mitrailleuse à un enfant idiot, tu es res- ponsable...

— Voilà ce qui me tourmente. Je ne comprends pas

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cette mentalité des « civilisés ». Sommes-nous trop puérils, trop primitifs ?

— Nous avons vu tant de cadavres et de croix par- tout... et tant d'églises. Elles sont l'édifice le plus impor- tant de n'importe quelle ville, de n'importe quel village. Nous les avons toujours remarquées en premier, de loin, quand nous approchions... Et ces églises avec leurs croix étaient, autrefois au moins, le centre de la vie communales et les centres d'enseignements. Les prêtres étaient considérés comme les dirigeants du peuple. Le Christianisme était une école coloniale destinée, selon les barbares de l'Ouest, à enseigner la découverte de l 'univers conçue par des sages penseurs de l 'Extrême- Orient. Pourquoi n'est-il pas possible de prêcher à nou- veau notre monisme depuis les origines en évitant cette fois tout malentendu ? Tu es venu pour cela. Pour cette mission tu m'as privée de toutes mes perles. Mais ce n'est rien, cela en vaut la peine. On peut à nouveau trouver des perles, la mer en contient un nombre infi- ni.

En discutant ainsi, ils arrivèrent devant un grand bâtiment : l'université de Fribourg. Ils s'y arrêtèrent, de nombreux étudiants passaient. M. Jack regarda longuement les grandes lettres dorés tout en haut du bâtiment :

DIE WAHRHEIT WIRD EUCH MACHEN FREI — Que regardes-tu ? Que signifie ces lettres ? Dis

le moi... M. Jack ne répondit pas. Il s'assit silencieusement

sur un banc, regardant toujours ces lettres dorées. DIE WAHRHEIT WIRD EUCH MACHEN FREI

— Tu ne comprends pas ces mots allemands ? dit

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Madame Mitie tandis que silencieux, il considérait tou- jours l'inscription.

— Que dis-tu ?... C'est une phrase qui signifie mot pour mot : « La vérité te fera libre » ou « La vérité te donnera toute liberté ».

— Très bien, très bien, c'est ce que tu affirmes tou- jours toi-même. Elles sont gravées et dorées. Tu dois les inscrire dans ta, mémoire, oh pardon... je m'excuse.

— C'est une double énigme pour moi. C'est difficile d'interprêter ces mots. Primo : qu'est la vérité pour les occidentaux « civilisés » ? Secundo : pourquoi ensei- gne-t-on le contraire de la vérité ici dans ce grandiose bâtiment ? Abordons cette double énigme : Selon notre jugement suprême, la vérité ne peut être qu'unique, éternelle, infinie. En un mot, telle est la constitution de l'univers, l'origine de toute vie (vitalité, existence, expression). C'est donc une triade. A ceux qui ne possè- daient que le jugement bas, dont le jugement suprême était voilé, les premiers prédicateurs occidentaux de cette vérité découverte en Extrême-Orient furent obligés de l'expliquer au figuré, c'est-à-dire en une langue acces- sible, sensorielle, de la deuxième étape du jugement, comme l'Esprit, le Père et le Fils. Et ces mauvais inter- prêtes les entendirent comme trois choses absolument différentes, au lieu de les considérer comme trois formes de la vérité unique. C'est là l'origine de tous les maux, de tous les malheurs et de tous les crimes...

Si la vérité n'est pas unique, infinie, absolue, elle n'est plus la vérité. Si elle est divisée, ce sont des « faits » finis, limités par le temps et l'espace. On peut les définir par C.G.S. (centimètre, gramme et seconde) valables seulement dans le monde relatif, fini et éphé-

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mère. Mais on ne peut définir ce qui est infini, absolu et éternel par cet instrument C.G.S. exemple : la mémoire, la pensée, la liberté, la justice, la joie suprême. l'imagination, le vouloir, etc., etc...

« Die Wissenschaft », la science basée sur l 'unique instrument C.G.S. ne peut par conséquent étudier que des choses finies, relatives et éphémères, c'est-à-dire l'inverse de la vérité. Si cet instrument C.G.S. n'est pas utilisé par ceux qui étudient les sciences culturelles, on s'efforce de l ' introduire le plus tôt possible. L'uni- versité est en réalité le reflet du monde. Il faut établir une université véritable, où l'on puisse étudier toute science de « C.G.S. », ainsi que la constitution de l'univers. Il ne faut pas nier cette constitution dialec- tique de l'univers, la matérialité et la spiritualité, et il faut étudier d'abord celle-ci par la constitution de l'uni- vers et après celle-là par C.G.S.

C'est ainsi que l'on procédait au commencement. Mais depuis un ou deux siècles on a abandonné complètement les études de la constitution de l'univers. Pourquoi ? C'est une autre énigme...

— Je le sais, c'est très simple. Les Occidentaux sont devenus de plus en plus Yang (myopes et daltoniens), à cause de leur mauvaise alimentation.

— Oui, c'est exact. Mais quels sont les responsables de tout cela ? Voilà la quatrième énigme.

— Tu le sais. Ce sont les prédicateurs de la religion d'Extrême-Orient en Occident. Les prédicateurs sont devenus des pêcheurs qui sont aventuriers, ne cultivant pas. Ceux qui ne travaillent pas la terre, ceux qui ne cultivent pas avec patience perdent la sensibilité déli- cate et deviennent de plus en plus insensibles, simples,

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grossiers , hard i s , et, à la fin, avares et cruels. De m ê m e ceux q u i m a n g e n t des a n i m a u x . L a physiologie est l a base de la psychologie, l ' a l imen ta t ion est celle de la physiologie. La pa r t i e la p lus h a u t e de l 'édifice di t « psychologie » doi t être consacrée à l ' é tude des origines, de la cons t i tu t ion , du déve loppemen t et du perfec t ion- n e m e n t du j ugemen t , comme elle fu t complè tement , m i n u t i e u s e m e n t et so l idement réal isée dans la philo- sophie Védique, le Bouddh i sme , Taoisme, etc... en Ex- t r ê m e - O r i e n t il y a p lus ieurs mi l lénai res . E n E u r o p e aussi , as - tu dit, que lques penseu r s isolés ont commencé des é tudes s u r le j ugemen t , tels Alexis Carrel, P a u l Carton, Augus te Lumière , Léon Binet, etc...

— Mais pou rquo i cet e x t r a o r d i n a i r e r e t a r d occiden- tal ? P o u r q u o i ce d é t o u r p lus ieurs fois mi l léna i re d a n s la r eche rche de la véri té p r imord ia l e ? Pas u n Bouddha , pas u n Jésus , pas u n N a g a r j u n a , pas u n Asanga, p a s u n Lao-Tse, pas u n Sont-Tse en Occident ! C'est abso- l u m e n t i ncompréhens ib l e et incroyable ! E t cet te t r ip le d é f o r m a t i o n g réco - romano-eu ropéenne de l ' ense ignement de J é sus est p rouvée p a r tou te l 'h i s to i re des peuples occ identaux , de la p r e m i è r e à la de rn iè re page. Elle est pleine de tuer ies , exploi ta t ions , homicides , par r ic ides , misères , et de chu te s d 'Empires . . . T o u t cela a u g m e n t e de plus en plus. A présent , tou te l ' h u m a n i t é est t e r ro - r isée pa r la menace des bombes a tomiques . . . b ien tô t ce s e r a la fin.

— P o u r q u o i ce g r a n d dé tou r ? Mais tu m ' a s expliqué... — Oui, j ' a i essayé, ma i s je dois cont inuer . Les occi-

d e n t a u x « civilisés » seraient- i ls en réa l i té les p lu s g r a n d s m a l f a i t e u r s du m o n d e ent ier et les p lus cruels, a ins i que l 'h i s to i re et les ac tua l i tés nous l ' a p p r e n n e n t ?

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N'y a-t-il pas au fond de leur mentalité un tout petit grain d'indulgence et de délicatesse ? De bon sens au moins ? En ce cas une germination, un développement et une floraison sont possibles un jour, tôt ou tard. S'il n'y en a pas ce sera la véritable fin de l 'humanité, comme on dit en Occident. Ils ont inventé tant de choses nouvelles ! Mais tout cela pour le confort, l'économie, le plaisir ou la force. En un mot, tout fut produit par le deuxième ou le troisième jugement (sensoriel ou sentimental), non pour le bonheur éternel, ni pour la liberté infinie, à plus forte raison, encore moins pour la justice absolue. Voilà pourquoi l 'humanité tout entière est menacée. On n'a qu'à jeter un coup d'œil sur la liste de ceux qui sont couronnés par le prix Nobel, pour savoir que toute recherche est destinée au bonheur éphémère, à la liberté limitée, c'est-à-dire au confort, qu'elle est au service de la force ou d'une littérature inutile.

— Mais il y a une certaine élite qui s'efforce d'im- porter la conception de l'univers et la façon de penser de l'Extrême-Orient, comme Matgioi, Guénon, Toynbee et beaucoup de disciples de Gandhi.

— Soit, mais ils ne comprennent pas le Principe Unique, base de toute la philosophie, de toute la science et de toute la civilisation d'Extrême-Orient. Si très peu de gens le comprennent, ils ne le vivent pas quotidien- nement, ils ne le pratiquent pas. Tu te souviens de cet auteur français d 'un grand livre sur le Zen, qui déclara : « Cela m'intéresse, je l'étudie au point de vue psychologique. La base physiologique du Zen ? Cela ne m'intéresse pas ». Ou bien ils l ' interprètent faussement, comme un occultisme ou une religion.