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L'intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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L’intégration des nouveaux migrants occidentaux
en territoire de travail coréen Cycle master 2009-2011
Mémoire de type académique
Par Benoît DI PASCALE en vue de l’obtention du diplôme de Sup de Co Reims
Supervisé par Mme Ayadi WISSAL
Février 2012
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master Page 1
Benoît Di Pascale
REMERCIEMENTS
Je tenais tout d’abord à remercier Madame Ayadi Wissal, ma tutrice de mémoire, pour
ses conseils et pour m’avoir laissé une grande liberté dans la manière d’organiser et
d’exprimer mes idées, ce qui m’a permis de réaliser un travail personnel et passionné.
Merci à toutes les personnes qui ont répondu à mes questions dans le cadre de la re-
cherche qualitative (interviews) : Marie Evelyn Frenette, Nicolas Piccato, Laura Di Nucci,
Romain Diboine, Cho Eun-ae, Thierry Berno, Philippe Jourdain, Karine Do, Son Young-eun,
Kim Ye-jin, Karine Do, Dinesh Blanvillain et Seo Jae-woo.
Je remercie également toutes les personnes qui m’ont apporté de précieux insights lors
de mes expériences de travail en Corée, « dans la joie comme dans la souffrance », en particu-
lier : Kang Myung-chan, Choi Won-ki, Lee Sang-yong, Kim Bo-kyeong, Ryoo Koo-kyeong,
Emma Johns, Yuna Lee, Woo Soo-in, Lee Hong-joo, Lee Ki-yeon et tout particulièrement
mes mentors Lee Jong-ho et Lee Sang-bin.
Je tiens également à remercier mes parents qui m’ont toujours soutenu dans ma pas-
sion pour la Corée.
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Benoît Di Pascale
Sommaire Introduction ......................................................................................................................................... 4
Méthodologie....................................................................................................................................... 6
Chapitre I : Le socle culturel, historique et social coréen .................................................................. 9
I. La Corée et le miracle du fleuve Han ............................................................................................... 9
a. Généralités et repères .............................................................................................................. 9
b. Le calme matin de Confucius ............................................................................................... 11
c. Les moteurs du miracle coréen ............................................................................................. 14
II. Le groupe avant tout ..................................................................................................................... 21
a. Le collectivisme coréen ........................................................................................................ 21
b. Le mythe de l’unicité ethnique coréenne .............................................................................. 24
III. La communication en Corée : un révélateur social ..................................................................... 27
a. Du silence épuré… ............................................................................................................... 27
b. … à la sophistication la plus extrême ................................................................................... 28
Chapitre II : Le fonctionnement de l'entreprise en Corée .............................................................. 30
I. Le confucianisme entrepreneurial coréen : l’organisation expliquée ........................................ 30
a. Le yongo, une connexion très spéciale ................................................................................. 30
b. Le mérite par l’ancienneté et l’emploi à vie ......................................................................... 34
c. Paternalisme et concentration du pouvoir ............................................................................. 36
d. Place de la femme ................................................................................................................. 39
II. Pratiques et tendances dans l’entreprise coréenne ........................................................................ 41
a. L’alcool ................................................................................................................................. 41
b. Dire « Non », autrement ....................................................................................................... 44
c. Une norme : l’effort et la souffrance .................................................................................... 46
d. Réduction de l’incertitude et désir de maximisation ............................................................ 49
Hypothèses ........................................................................................................................................ 51
CHAPITRE III : L'intégration : une problématique de perception............................................... 52
I. Un contexte favorable, des regards changeants ............................................................................. 52
a. Un cadre dynamique et (relativement) propice ..................................................................... 52
b. L’étranger en Corée, une figure longtemps monstrueuse ..................................................... 58
II. Quelle intégration ? ....................................................................................................................... 61
a. Les efforts à concéder, et leurs fruits .................................................................................... 61
b. Intégration, assimilation et abnégation ................................................................................. 66
c. Trouver le juste milieu .......................................................................................................... 73
Conclusion ......................................................................................................................................... 76
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Bibliographie ..................................................................................................................................... 77
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Introduction La mondialisation est aujourd’hui installée dans nos quotidiens de manière totale : les
films hollywoodiens, les bandes dessinées japonaises, la nourriture chinoise, les voitures al-
lemandes, etc. Au-delà de ces aspects observables par tout un chacun au quotidien, l’un des
aspects les plus saillants de la mondialisation est la mobilité des personnes. Selon
l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), plus de 200 millions de personnes
vivent actuellement en dehors de leur pays d’origine. La plupart de ces personnes quittent leur
pays d’origine pauvre, pour un pays plus développé dans l’espoir d’une vie meilleure.
Mais un nouveau type de migrant a également émergé. De plus en plus de jeunes am-
bitieux décident de tenter l’aventure dans des pays à fort potentiel de croissance. Ils sont en
général très formés et croient en leur chance de réussite dans des contextes socio-
économiques nouveaux (Inkson K., Arthur M.B., Pringle J., et Barry S., 1997; Suutari V., et
Brewster C, 2000).
Parmi ces nouveaux pays, la Corée présente une alternative de plus en plus séduisante.
Longtemps coincée entre les géants nippon et chinois, elle commence à se faire connaître à
partir des années 80 grâce à l'importation de produits issus de ses industries automobiles et
électroniques. Produits issus d'une croissance économique aussi fulgurante qu'unique au
monde : la Corée est passée en l’espace de 50 ans d'une économie agraire avec un PIB compa-
rable à celui d'un pays africain comme la Côte d'Ivoire en 19601 à une cyberéconomie à la
pointe des nouvelles technologies (Lee, 2003).
Aussi, dans un contexte socioculturel tout à fait particulier se pose la question de
l’intégration. Quelle intégration pour les nouveaux migrants occidentaux dans le monde du
travail sud-coréen ? C'est la question qui posera la ligne directrice de notre réflexion tout au
long de ce travail. Une question qui nécessite cependant qu'on lui définisse un cadre. En effet,
si l'on se contentait d'y répondre stricto sensu, il faudrait considérer de manière quasi exclu-
sive ceux qui composent aujourd'hui l'immense majorité des travailleurs étrangers employés
dans les entreprises sud-coréennes, à savoir la main-d'œuvre sud-asiatique travaillant dans le
secteur industriel, principalement des Chinois, des Vietnamiens et des Philippins (Choi J.,
2010). Il ne sera pas question de cette population, bien qu’il y ait eu tant à dire nous nous
n’intéresserons pas à leur sort.
1 Source CIA World Factbook
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L'individu autour duquel tournera notre réflexion est occidental, issu de l'enseignement
supérieur et fraichement diplômé, il est amené à travailler dans un environnement partielle-
ment ou entièrement coréen.
Pour répondre à notre question de recherche, il faudra apporter une attention toute par-
ticulière à l'appréhension et à la compréhension d'éléments historiques et socioculturels qui
composent le socle coréen actuel. Ce sera le premier chapitre de notre réflexion.
Dans un second temps, nous nous intéresserons à la manière dont les éléments que
nous avons définis s'expriment dans l'entreprise coréenne. Il' s'agira de dresser un schéma de
l'entreprise en Corée, en s'intéressant tout particulièrement à l'axe organisationnel et commu-
nicationnel.
On fera attention, lors de ces deux premières parties, à toujours considérer les re-
marques formulées sous l’angle de notre question de recherche.
Enfin, dans une dernière partie, nous serons amenés à tenter d'apporter une réponse à
notre question de recherche. Nous montrerons que l'intégration, dans le contexte qui nous
intéresse, peut en réalité être un choix. Un choix qui, selon que l'on décide ou non de le faire,
implique son lot de réflexions, de remises en question, de douleurs parfois...
Le travail sera nourri par un appui constant sur des publications de natures diverses,
par le récit personnel, ayant moi-même été confronté à ces questions lors de mes différentes
expériences de travail en Corée, mais aussi par des entretiens avec des sujets jugés pertinents
dans le cadre de l'étude.
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Méthodologie
Pour comprendre comment j’ai réalisé ce mémoire, je me dois tout d’abord de donner
quelques détails sur mon parcours et la façon dont la Corée s’imbrique dans mon équation
personnelle et professionnelle.
J’ai découvert la Corée grâce à son cinéma aux alentours de la fin de l’année 2004.
Très rapidement, je fus séduit par la culture qui transparaissait de ces films ainsi que par la
langue. Bac en poche en 2005, je décide de suivre des cours de langue coréenne au Centre
Culturel Coréen de Paris en parallèle à mes études. Je suivrais ces cours pendant trois ans
jusqu’à la complétion du niveau avancé en juin 2008. Je me rends en Corée pour la première
fois en août 2007, où je suis un programme de coréen à l’université de Sungkyunkwan. Expé-
rience que je réitère l’année suivante dans une autre université, l’université d’Ewha. En 2009,
alors que ma première année d’étude à Reims Management School s’achève, j’obtiens un
stage dans le département Marketing de la Gwangyang Free Economic Zone, organisation
gouvernementale chargée du développement économique de la région sud-ouest de la Corée
du Sud. Cela me permet d’avoir un premier ressenti du travail en environnement coréen, bien
que cela restera limité, mon supérieur direct étant de nationalité américaine. En 2010, je dé-
cide de partir à l’aventure en Corée pour une année complète de césure. Ayant tenté ma
chance en envoyant des candidatures spontanées à plusieurs personnes dans l’industrie ciné-
matographique, j’obtiens un stage sur le tournage d’un film étranger en Corée. Le projet est
malheureusement annulé quelques jours avant mon départ. Qu’à cela ne tienne, je me rends
sur place et rencontre la personne en question qui me dirige sur un autre projet. Me voilà donc
assistant de production sur un film coréen dont le tournage se déroulera au Royaume-Uni du-
rant les mois de juillet et août 2010. Cette aventure inoubliable me permettra également de
côtoyer des professionnels à l’expérience confirmée et de bâtir les premiers fondements de
mon réseau, dans ce domaine où il est si important de « connaître des gens ». L’expérience est
également un choc culturel, ayant fait d’énormes efforts pour devenir un membre à part en-
tière du groupe, je subis régulièrement les conséquences du décalage entre mon identité réelle
et la perception que les membres de l’équipe ont de moi (la perception sera d’ailleurs l’un des
principaux axes de réponse à notre question de recherche, dans notre partie finale, nous y re-
viendrons). De retour en Corée, et après trois mois de travail sur la postproduction de ce film,
je suis contacté par Gaon Nuclear, un équipementier nucléaire en difficulté avec un client
français. J’œuvre pour la résolution du différend en tant qu’intermédiaire téléphonique. Une
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nouvelle expérience qui me permet de constater le grand fossé existant entre les cultures pro-
fessionnelles de la Corée et de la France. En avril 2011, je suis appelé par mon tout premier
contact sur place, dont l’entreprise a été sélectionnée par Universal Studios pour se charger de
la production exécutive des scènes locales d’un grand blockbuster américain. Je travaillerai de
nouveau en tant qu’assistant de production bilingue sur le projet. J’essaie cette fois-ci de con-
céder à plus d’efforts d’abnégation sur les différences culturelles, et essaye de ne pas brouiller
les pistes concernant mon identité, en tentant de rappeler régulièrement mon statut d’étranger.
Enfin au mois de juillet 2011, mon réseau me fait une nouvelle fois profiter d’une opportunité
en or. Je travaille trois mois sur la pré-production d’un film coréen dont le tournage se déroule
en partie en France et en Martinique. Expérience écourtée par mon retour sur le territoire
français pour terminer mes études.
Il est évident que mes expériences coréennes depuis maintenant plus de 6 ans m’ont
apporté une matière non négligeable pour la rédaction de ce mémoire. D’abord parce que je
suis à la fois observateur et sujet de ce dont il est ici question, à savoir l’intégration du travail-
leur étranger occidental dans un environnement de travail coréen. Je ferai donc appel tout au
long de ce travail à mon expérience, en me permettant de narrer à l’occasion des anecdotes
vécues personnellement pour illustrer certains points abordés. Je considère donc ces années et
ces expériences comme faisant partie de ma recherche. D’autre part, de manière informelle,
j’ai pendant toutes ces années rencontré une multitude de personnes de nationalités et
d’horizons professionnels divers qui m’ont eux aussi apporté un insight sur le sujet.
Dans la cadre de cette recherche, je me suis entretenu avec certains de ces profession-
nels (entretiens disponibles en annexe 2). J’ai veillé à avoir un échantillon particulièrement
varié, j’ai ainsi interrogé des sujets aux nationalités diverses (français, franco-coréen, italien,
canadien, etc.) et aux expériences diverses (petites comme grandes structures, domaines di-
vers). Le cadre de l’étude recouvrant de nombreux aspects inhérents à la Corée en général, il
n’était pas simple de définir quels points devaient être abordés avec le plus d’attention. J’ai
donc orienté mes questions bien sûr sur le cadre de l’étude en lui-même, mais aussi pour ob-
tenir des réponses qui m’ont permis de définir les axes les plus intéressants à aborder lors des
deux premières parties. Ainsi, je ne me contenterai pas de citer ces professionnels rencontrés
lors de la partie finale, qui a bien entendu pour vocation de répondre à notre question de re-
cherche, mais aussi pendant ces deux premières parties.
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Mon approche emprunte donc à la fois à Froese, allemand de mère coréenne qui fait
appel à la narration pour définir les caractéristiques de l’acculturation en Corée et au Japon
dans « Acculturation Experiences in Korea and Japan » (journal « Culture and Psychology »,
2010) et au Taiwanais Hsieh qui conduisit des entretiens qualitatifs sur un échantillon réduit
d’étudiants d’échanges pour définir les écarts dans les modèles de communication occiden-
taux et orientaux dans « Cross-cultural communication: East vs. West » (International Marke-
ting: Emerging Markets Advances in International Marketing, Volume 21, 2011), l’axe com-
municationnel sera d’ailleurs particulièrement fécond dans notre analyse.
S’il semble que la somme de mes observations et de mes expériences pendant toutes
ces années, ainsi que les personnes rencontrées à la fois en amont et dans le cadre de l’étude
offrent une matière suffisamment satisfaisante pour répondre à notre question de recherche, je
ne saurais rendre compte d’une vision totalement objective des choses. Mais après tout, cela
n’est-il pas le lot de toute recherche au cadre socioculturel aussi marqué que la nôtre ?
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Chapitre I :
Le socle culturel, historique et social coréen
I. La Corée et le miracle du fleuve Han
a. Généralités et repères
La Corée est un pays qui est principalement connu en Occident pour les évènements
historiques récents qui l’ont déchiré (la Guerre de Corée est d’ailleurs au programme de
l’éducation nationale en France), pour ses technologies (téléphonie, électroménager, etc.) ou
plus récemment encore pour son cinéma et sa pop culture qui touche un public de niche de
plus en plus important en France et en Europe. À y regarder de plus près, que l’on connaisse
le pays pour la guerre qui y a pris place, pour ses produits de haute technologie ou pour ses
films, on ne peut qu’en avoir une vision insuffisante (d’autres diraient instrumentalisée),
fragmentaire, et confuse. Tellement confuse, qu’un regard néophyte désintéressé pourrait con-
fondre la Corée au Vietnam (les deux pays ont été le théâtre d’un conflit de guerre froide), au
Japon (qui a commencé à exporter ses technologies avant la Corée, à ce titre beaucoup pen-
sent encore que Samsung est une marque japonaise) ou à bien d’autres pays asiatiques encore.
Avant toutes choses, et pour éviter toute autre confusion, il s’agit donc de donner des repères
pour resituer la Corée dans nos esprits.
Situé géographiquement entre l’empire du Milieu, la Chine, à l’ouest, et l’empire du
soleil levant, le Japon, à l’est, la Corée est le « pays du matin calme » (ou « Joseon » en co-
réen, c’est le nom de la dernière grande ère prémoderne de l’histoire coréenne, qui signifie en
réalité « matin frais »). Elle est bordée par la mer Jaune à l’Ouest et la mer du Japon à l’est
(appelé « mer de l’est » par les Coréens). Ce « Pays » du matin calme n’en est réalité plus un
puisque la Corée désigne aujourd’hui non pas un pays, mais une péninsule composée de deux
pays. Au nord, la République populaire démocratique de Corée (souvent abrégée en RPDC ou
DPRK par les Anglo-saxons) recouvre 55% d’un territoire s’étalant sur environ 220 000km².
Le pays est plus connu sous la terminologie vulgarisée de « Corée du Nord ». Environ 24 mil-
lions de Nord-Coréens y vivent sous la répression d’un régime communiste totalitaire mené
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par Kim Jong-un, ayant pris la succession de son père Kim Jong-il à l’annonce de sa mort le
17 décembre 2011. Au sud, s’étale sur une surface grande comme environ 1/5e de la France
métropolitaine la République de Corée. 49 millions d’habitants y vivent sous la présidence de
Lee Myung-bak (Grand Parti National, conservateur). Le régime est démocratique. Le plus
souvent on se réfère au pays sous l’appellation « Corée du Sud ». Jusqu’à sa partition au ni-
veau du 38e parallèle après la Seconde Guerre Mondiale, entérinée par la création de deux
états distincts après la Guerre de Corée en 1953, les deux pays partageaient une langue et une
culture rigoureusement identique. C’est toujours d’ailleurs en partie le cas, malgré des chan-
gements mineurs évidents après près de 60 ans d’un cloisonnement total. La Corée possède
une culture qui fut influencée par ces voisins notamment chinois (les frontières n’ont
d’ailleurs pas toujours été les même, la Corée recouvrant autrefois une partie de la Mandchou-
rie), mais essentiellement distincte. Sur le même schéma, la langue coréenne est une langue
agglutinante (le sens des mots se trouve modifié par l’ajout de morphèmes) faisant partie du
groupe « ouralo-altaïque » (bien que cette taxinomie soit contestée), comme le turc et le mon-
gol, la langue n’a donc aucun lien de parenté avec le chinois, mais son vocabulaire est princi-
palement d’origine chinoise (d’autres diront « sino-coréen »), à hauteur de 60 à 70%. Il existe
un mythe qui voudrait que la Corée ait une culture de 5000 ans, l’une des plus anciennes du
monde et que l’unicité ethnique de son peuple soit totale et indiscutable. Nous aurons
l’occasion d’y revenir plus tard.
Malgré l’éminente importance que joue la Corée du Nord dans la définition qui peut
être faite de l’entité « Corée », on se réfère parfois uniquement à la Corée du Sud lorsqu’on
utilise ce terme. En contexte, ce sera d’ailleurs occasionnellement le cas lors de ce travail, car
c’est de la Corée du Sud dont nous allons parler plus particulièrement.
Autre remarque, les noms coréens évoqués seront, comme le veut l’usage et le consen-
sus, référés dans leur ordre de lecture coréen, c’est-à-dire NOM puis PRENOM. À titre
d’exemple le prénom de l’actuel président de la Corée du Sud Lee Myung-bak est « Myung-
bak », et son nom est « Lee ». Aussi, le coréen possédant un alphabet propre, on aura recours
à une version romanisée des noms et des mots. Cependant, plusieurs types de romanisation
existants (principalement McCune-Reischauer jusqu’en 2000 et une version révisée depuis
2000, plus d’autres en circulation assez souvent exotiques), il y a souvent confusion sur
l’orthographe à adopter (l’orthographe révisée de « Lee Myung-bak » est « Lee Myeong-
bak », mais étant donné que l’on a commencé à parler de lui dans les médias occidentaux bien
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avant 2000, l’usage de l’ancienne romanisation a été conservé). Encore une fois, nous nous
référerons au consensus.
b. Le calme matin de Confucius
La Corée entre dans le XXe siècle sous la dynastie des Yi (ère Joseon). Débuté en
1392, ce n’est donc qu’avec l’annexion japonaise de 1910 que s’achève la gouvernance de la
péninsule par cette famille, ce sera également la toute dernière dynastie coréenne. Cette pé-
riode exceptionnellement longue de plus de 500 ans a profondément marqué la culture et les
mœurs du pays. Dès le début de cette dynastie, on érige les doctrines, préceptes et concepts
confucianistes comme normes. On parle plus précisément de néoconfucianisme, puisque la
philosophie va cette fois-ci être modifiée, instrumentalisée et déclarée doctrine officielle par
le régime (la Corée avait déjà eu une influence confucianiste par le passé, mais celle-ci sera
sans précédent).
Maurice Courant, grand orientaliste de la fin du XIXe siècle écrira à propos du confu-
cianisme dans son ouvrage « Bibliographie Coréenne » (1894) : « En arrivant au confucia-
nisme, nous touchons le centre de la pensée coréenne : constitution sociale et administrative,
idées philosophiques, conception de l'histoire et de la littérature, tout part de là pour le Co-
réen ; spéculation, observation et critique, enthousiasme, sens pratique, curiosité, tout l'y ra-
mène. Il n’est pas possible de se faire une idée du mouvement intellectuel de ce coin du
monde, si l’on ne se rend compte de ce qu’est le confucianisme en lui-même et de ce qu’il est
devenu dans la péninsule ». À la lumière de ces propos, on peut comprendre la portée et
l’influence qu’a eue cette doctrine dans la péninsule, et c’est en écoutant la parole de Maurice
Courant que je me permets de rentrer plus en détails dans la définition de ce qu’est le confu-
cianisme.
Le confucianisme est une école philosophique et morale née en Chine et attribuée à
Confucius (551 av. J.-C., 479 av. J.-C.). Celui-ci créé avec ses disciples un système rituel et
une doctrine à la fois morale et sociale qui avait pour but de remédier à la décadence spiri-
tuelle de la Chine de l’époque. Confucius cherchait à définir un idéal de sagesse, reposant sur
le respect des usages et une pensée claire : de la réflexion juste découlera une conduite droite.
Le confucianisme arrive pour la première fois en Corée pendant la période dite des « Trois
royaumes » (57 av. J.C à 668 ap. J.C). Mais c’est sous la dynastie des Yi, que de nombreux
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penseurs vont reprendre l’idéologie de Confucius à des fins de gouvernance. C’est même à la
toute fin de l’ère pré-Joseon (l’ère Goryeo, qui a donné son nom français actuel à la « Corée »)
que l’on commence à considérer avec sérieux la possibilité d’une institutionnalisation de cette
doctrine. Ait notamment mis l’accent sur l’éducation, mais aussi sur l’importance des rites
(Deuchler M., 1992) : les rites sont des actes considérés comme « corrects » dans le monde
perceptible et qui ont un profond impact sur la disposition intérieure des hommes. Deux don-
nées qui vont être reprises par les néo-confucianistes tout au long de l’ère Joseon et dont on
ressent encore aujourd’hui la résonnance dans la société et même le monde du travail, nous
aurons l’occasion d’y revenir.
Fortement influencé par Confucius, l’idée de rite et par les travaux de Jeong Yak-yong
(1762–1836, aussi appelé Dasan), on va également rapidement formaliser les relations entre
les individus. D’abord, trois liens (samgang) de hiérarchie par le respect : un fils doit respec-
ter son père, un sujet son Roi, et une femme son mari (Kim J. et De Bary T., 2000). Qui que
l’on soit dans la société coréenne, on doit et on est dû d’un respect. Il est considéré comme
contraire à l’ordre social de manquer de respect à quelqu’un quand le précepte l’impose (en
réalité, le respect à verticalité descendante, dû aux « inférieurs hiérarchiques » donc, sera très
souvent oublié, comme le précise en 1898, Raoul Villetard de la Guérie dans « La Corée in-
dépendante, russe ou japonaise »). Ces « trois liens » vont ensuite être repris et incorporés
dans un nouveau modèle de conduite interpersonnelle, cinq impératifs cette fois-ci essentiel-
lement moraux (oryun) qui sont les suivants : hyo, l’affection entre un père et son fils ; eui, la
vertu entre un dirigeant et son ministre ; byeol la juste place (séparation des rôles et des tâches)
entre un mari et sa femme ; shin la confiance et la fidélité entre les amis ; et enfin seo, le juste
ordre et l’obéissance entre aînés et cadets. La plus significative des règles morales de cette
époque en Corée (et dont la résonnance est toujours très importante) est le concept de piété
filiale (hyo). Ce concept cristallise en réalité toutes les vertus prévues par le système du oryun.
De tout temps et dans toutes les sociétés, les hommes ont exprimé le besoin
d’envisager un être suprême. Il est intéressant de remarquer que pendant cette période, et si
l’on considère que le confucianisme est un courant de pensée idéologique et philosophique,
les Coréens n’ont pas, à proprement parler, de religion. Citons une nouvelle fois Maurice
Courant pour mieux nous en convaincre : « Ce serait une grave erreur (mais cette erreur a été
fréquemment commise) que de prendre le confucianisme pour une religion au même titre que
le taoïsme et le bouddhisme […]. Ce Sage [Confucius], en effet, s'occupe peu des esprits, il en
parle rarement et, le jour où on l'interroge sur ce sujet, il oppose à son interlocuteur une fin de
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non-recevoir ; sa pensée est orientée dans un tout autre sens : il accepte l'homme et la société
de son temps, il admet les traditions transmises par les ancêtres, et de tous ces faits, il tire des
règles de conduite qu'il appuie de l'autorité des anciens ; il ne veut pas transformer la société,
il cherche seulement à régulariser sa marche sur la voie tracée par les ancêtres. » Courant
évoque ici un des enseignements issus des « Entretiens » de Confucius. En effet, Tzu lu de-
mandant au sage comment servir les esprits se vit offrir la réponse suivante « Si tu ne peux
pas servir les hommes, comment peux-tu servir les esprits ? ». Max Weber commente et aug-
mente : « Le confucianisme est extrêmement rationaliste en ceci qu’il s’affranchit de toutes
formes de métaphysique et en ce sens qu’il ne porte quasiment aucune trace de bases reli-
gieuses quelconque »2.
Les croyances, les Coréens les reportent sur la nature, sur les esprits des anciens via
le chamanisme. Lors de grandes fêtes populaires, ils communient avec les ancêtres, car fon-
damentalement voilà leurs dieux. Et si les aïeuls décédés font figure de dieux, les parents sur
Terre ont logiquement, eux aussi, une aura divine. En contrepartie de cette adoration, les pa-
rents se sacrifient de manière inconditionnelle pour leurs enfants3. Maurice Courant confirme :
« Toute cette morale se résume dans le mot hyo que nous traduisons, d'une façon bien insuffi-
sante, par piété filiale : c'est en effet et d'abord, le respect du fils pour son père et tous ses as-
cendants ; mais ces ascendants, après leur mort, continuent de vivre, dans leur tombeau ou
près de la tablette qui les personnifie ; ils ont des besoins de divers genres, la piété ordonne
d'y satisfaire et ils reconnaissent ce culte en protégeant leurs descendants. »
À la lumière de cette analyse, on peut comprendre l’importance du respect apporté
aux ancêtres qui perdurent de manière encore très vive aujourd’hui en Corée. Cela nous per-
mettra de mieux appréhender la hiérarchisation systématique et multiple de la société co-
réenne, une société essentiellement masculine et patriarcale, dans notre deuxième partie con-
sacrée à l’entreprise.
2 Cité par Nakamura, H. (1964). Ways of Thinking of Eastern Peoples. Honolulu: Fast-West Center Press, p16
3 Bowon Kim (KAIST Graduate School of Management, Seoul, South Korea), "Cultural forces and historical
events to shape organizing principles in Korea: An exploratory perspective", in Management Decision Vol. 48
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c. Les moteurs du miracle coréen
Les traumatismes
Après ces 500 ans d’influence confucianiste, la Corée entre dans le XXe siècle cultu-
rellement et intellectuellement très riche (le régime mettant en avant le savoir et l’éducation),
mais économiquement plutôt faible. En effet, sous la dynastie des Yi, les citoyens étaient so-
cialement classés selon leur vocation : les intellectuels étaient les plus hauts dans la hiérarchie,
suivi par les fermiers, les artisans et enfin les marchands (Lee et Yoo, 1987). Personne ne
doutera qu’il existe une étroite relation entre savoir et pouvoir, mais cela revêt un aspect tout à
fait particulier en Corée à cette époque puisqu’on pourrait qualifier le régime de Joseon de
« dictature du savoir » : les instruits dirigent, les ignorants sont dirigés.
Ainsi, alors que le capitalisme devient le système de référence à l’échelle mondiale, et
alors que l’Europe est en pleine révolution industrielle, la Corée est un pays pauvre, son sys-
tème ne permet pas de s’enrichir et de se doter des armes nécessaires pour faire face aux
troubles du début du XXe siècle. En effet, sous la dynastie des Yi les gens exerçant des mé-
tiers commerciaux étaient méprisés et placés tout en bas de l’échelle sociale. Les échanges
économiques étaient donc fortement découragés pendant l’ère Joseon (Lee S. et Yoo S., 1987).
Cela n’encouragea pas non plus les innovations technologiques, les artisans étant eux aussi
très bas dans l’échelle sociale, juste au-dessus des marchands (Jacobs L., Guopei G. et Herbig
P., 1995).
De plus, au XVIe et au XVIIe siècle la Corée se retrouve au milieu de conflits sangui-
naires qui vont construire une culture de rejet de l’extérieur. Tout d’abord, la guerre Imjin qui
commence en 1592 voit le Japon tenté d’envahir la Corée dans un projet d’invasion de la
Chine. En 1597, victorieuse, mais affaiblie, la Corée va subir une nouvelle invasion d’un bel-
ligérant cette fois-ci mandchoue. Les Coréens résistent à l’envahisseur avant d’être écrasés en
1627. Une révolte populaire va mettre un terme à l’occupation en 1637. Ces deux guerres vont
profondément marquer le pays plus notablement dans ces relations avec l’extérieur.
C’est à cette époque que la Corée devient le « royaume ermite », surnom qui perdurera
longtemps, en témoigne les premières expéditions occidentales de l’anglais William Robert
Broughton4 et du diplomate français Charle de Montigny
5 respectivement 170 ans et 214 ans
4 BROUGHTON W.R., « Voyage de découvertes dans la partie septentrionale de l'océan Pacifique », 1807.
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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après cette période, récits où la péninsule est ainsi appelée. Les dirigeants successifs du clan
Yi cloisonnent totalement le pays du reste du monde (à l’exception de la Chine mandchoue, à
laquelle elle verse un impôt). Si le système de l’ère Joseon n’encourage pas le commerce, cet
isolement va avoir des effets amplificateurs sur la mauvaise situation économique et la rela-
tive faiblesse du pays. C’est ainsi que la Corée entre dans le XXe siècle avec un grand retard
technologique sur les pays avancés, une économie agraire et archaïque et une diplomatie
faible.
Cette faiblesse et la position stratégique du pays en Asie de l’Est vont rapidement atti-
rer les faveurs du voisin japonais. Esquissé par un premier traité d’alliance militaire en 1894,
le Japon établit un protectorat sur la péninsule en 1905. En 1910, c’est l’annexion : la Corée
devient une colonie nippone. Jusqu’à la libération en 1945, la péninsule subit un régime colo-
nial d’une extrême dureté. Les Coréens sont contraints de changer leurs noms en noms japo-
nais, l’enseignement se fait en japonais. Les femmes (parfois même de très jeunes filles) sont
parfois enrôlées de force par l’armée où elles servent comme prostituées (on utilise
l’euphémisme de « femmes de réconfort »). Les Japonais ont dans l’idée une colonisation
totale sur le très long terme, on apprend aux jeunes écoliers l’histoire du Japon et la culture de
la Corée est reniée. Les Japonais désignent d’ailleurs l’annexion par le terme de « fusion nip-
po-coréenne ». Les Coréens ont eux aussi dans l’idée d’une colonisation sur long terme, et la
libération intervient plus tôt qu’ils ne l’avaient espérée (Lee S. et Yoo S., 1987). Cela ne les
empêche pas d’organiser une résistance qui sera réprimandée par des arrestations et des tor-
tures. J’ai pu visiter le hall de l'indépendance coréenne, un mémorial situé à Cheonan, à 1h au
sud de Séoul. On peut y voir des reconstitutions, des photographies et des vidéos de la période
coloniale, notamment des tortures infligées par la police japonaise aux résistants.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon vaincu, cède une partie de son terri-
toire, la Corée, aux alliés. Plus précisément, l’URSS est chargée de désarmer l’armée japo-
naise nord du 38e parallèle, et les États-Unis sont chargés du désarmement au sud de ce même
parallèle. Une partition qui s’affirme de plus en plus avant de déboucher sur une guerre qui
éclate en 1950. Ce n’est qu’en juillet 1953 que le statu quo est proclamé, précisément au
même endroit où tout avait commencé. La Guerre de Corée, qui fera plus de 3 millions de
morts laisse derrière elle un pays traumatisé, ruiné.
5
DE MONTIGNY C., « Du nouveau sur l'expédition de sauvetage du baleinier français le Narval, sur une île de l'archipel de Corée », 1851
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En 1953, au sortir de la guerre, la Corée est l’un des pays les plus pauvres du monde,
avec un niveau de vie comparable à celui du Tchad aujourd’hui (Sénécal B., 2010). Les in-
frastructures mises en place par les Japonais pendant la colonisation ont été détruites (le Nord
moins touché, devance d’ailleurs la Corée du Sud sur le plan économique le temps de
quelques années) et l’économie du pays ne repose alors que sur son agriculture. Cette même
économie est aussi alors fortement dépendante de l’aide américaine, les États-Unis ont en
effet compris l’importance stratégique de la Corée en Asie et ils y installent une forte in-
fluence militaire et économique. Les Coréens réalisent alors l’importance et l’intérêt du com-
merce, renié pendant des centaines d’années sous la dynastie Yi. Mais ces intérêts sont dans
un premier temps seulement embrassés à un niveau individuel par la population (Lee S.M.,
2003). Il faut attendre 1961 et le coup d’état de Park Chung-hee pour que l’État prenne en
main son économie et concrétise cette prise de conscience.
La Corée arrive peu à peu à se sortir de ce mauvais pas et atteint rapidement un rythme
de croissance moyen de plus de 9% par an (Lee S., Yoo S., 1987). Après plusieurs siècles de
cloisonnement confucianiste, la Corée adopte un modèle économique tourné essentiellement
vers les exportations, dans un premier temps en exportant des produits textiles, puis dès les
années 1980, des automobiles et des produits de haute technologie. Quelques chiffres pour
prendre l’ampleur de la croissance coréenne postguerre : un PIB par habitant qui passe de
126$ en 1966, à 2000$ en 1985 (Holden D., 1983), pour atteindre 31,753$ en mai 20116, les
exportations coréennes ont atteint 508,7 milliards de dollars sur les 11 premiers mois de 2010
ce qui fait du pays le 8e à franchir le cap des 500 milliards (seulement 19 millions de dollars
en 1948), une croissance qui n’a pas peur des crises avec un RNB qui passe de 2.3 milliards
de dollars en 1962 pour stagner pendant un an le temps de la crise asiatique à 340,4 milliards
de dollars en 1998 avant de repartir pour atteindre 986.2 milliards en 20107.
On parle très vite du « miracle du fleuve Han » (le Han est le fleuve qui traverse Séoul
d'ouest en est), par analogie avec l’expression « miracle du Rhin » (expression peu usitée en
France, mais très populaire chez nos amis anglo-saxons) qui caractérisa la fabuleuse crois-
sance économique de l’Allemagne de l’Ouest après la Seconde Guerre mondiale.
Les raisons de ce miracle sont multiples et il est essentiel de les appréhender pour
comprendre les éléments qui constituent le socle socio-économique coréen actuel. Tout
6 Site officiel du FMI.
7 The Official Korea Tourism organization, http://visitkorea.or.kr/ena/AK/AK_EN_1_3_1.jsp
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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d’abord, après 40 années de colonisation japonaise et une guerre dévastatrice, le président
Park Chung-hee avait besoin de trouver la motivation profonde dans le cœur des Coréens pour
développer leur économie et légitimer son coup d’État (Park a en effet intégré l’armée impé-
riale japonaise dans sa jeunesse et gardera toujours des relations étroites avec le Japon, renon-
çant notamment à des réparations morales et matérielles de la part de Japonais en échange
d’investissements économiques, ce qui fera de lui un président controversé du début de son
mandat à son assassinat en 1979, jusqu’à aujourd’hui8). Le capitalisme étant un concept en-
core inconnu des Coréens, il comprit que le nationalisme était la seule corde sur laquelle il
pouvait jouer pour se justifier de ses choix (Kim A.E. et Park G.S., 2003). Cela va particuliè-
rement bien fonctionner. Les Coréens sont en effet touchés au plus profond de leur identité
suite à la colonisation japonaise, période durant laquelle il leur est défendu « d’être coréen ».
Le nationalisme institutionnel de Park va continuellement se nourrir de ce très fort sentiment :
il s’agit de « montrer » au Japonais et au monde que la Corée est une grande nation, une na-
tion forte, dans un premier temps sur le plan économique. En réalité les grandes intentions ne
sont pas nouvelles dans la péninsule, et dès les années 1920, qui marquent le renouveau de la
littérature coréenne, de nombreux auteurs évoquent déjà leur espoir de voir la Corée occuper
un jour une place de premier plan au niveau mondial9. Une volonté qui fut donc réveillée et
exploitée de manière opportune et intelligente par Park.
L’organisation des Jeux olympiques de 1988 à Séoul est tout à fait symptomatique de
ce que nous voulons montrer ici. Ils deviennent en effet une occasion unique de montrer au
monde entier que la Corée est un pays économiquement et socialement avancé, tout commue
le Japon. Les organiser avec succès devient une question d’honneur, et tout est fait pour don-
ner une meilleure image possible de la Corée : on euphémise le nom du plat traditionnel à
base de viande de chien en « ragoût vivifiant », les bidonvilles autour de Séoul sont nettoyés
et beaucoup d’habitants délogés, voire parfois jetés en prison pour les plus réfractaires10
.
Jusqu’à aujourd’hui, les manifestations sportives opposant la Corée et le Japon, même pour
des matchs amicaux, affichent des audiences télévisuelles et un engouement incroyables. De
même, lors de la dernière coupe du monde de 2010, la Corée fut éliminée avant le Japon, et il
ne s’agissait plus alors que d’une chose : voir le Japon perdre à son tour le plus vite possible
8 Voir le film de Im Sang-soo “The President’s Last Bang” qui retrace la fin de sa vie jusqu’à son assassinat.
9 Propos de Patrick Maurus, directeur du Centre de recherches indépendantes sur la Corée (Institut national
des langues et civilisations orientales), lors de la table ronde « Corée : Singulier ou pluriel » organisée au forum des images de Paris le 6 février 2010. 10
Voir le film « Holiday » de Yang Yoon-ho, sorti en 2005 en Corée et qui traite de manière plutôt acerbe de ces évènements.
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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(je me permets cette remarque puisque j’ai moi-même été le témoin de tout cela, étant présent
en Corée à l’époque des faits). Aussi, aujourd’hui, Sony produit une bonne partie de ses
écrans LCD dans des usines Samsung11
, et c’est le genre d’élément qui a une importance ex-
trêmement importante pour la fierté nationale de tous les Coréens.
Ce sentiment revanchard est, particulièrement pendant les années 60 et 70, un élément
essentiel qui explique la croissance économique de la Corée : travailler à la construction du
pays est vu comme une occasion de faire un pied de nez à la destinée, aux Japonais, et au
monde. Il faut travailler, et il faut travailler dur. Comme le fantôme du génocide juif empêche
la résurgence des extrémismes en Europe (encore qu’ils soient encore parfois très vivaces), le
fantôme de la colonisation et de la guerre qui vint « punir » le manque d’initiative écono-
mique de la péninsule au début du XIXe n’est jamais très loin. Beaucoup pensent que la ré-
gence confucianiste durant la période Joseon a entraîné la colonisation japonaise (Sunoo H,
1978).Cela explique en partie la croissance phénoménale du pays et a aussi grandement in-
fluencé le fonctionnement moderne de l’entreprise coréenne, nous aurons l’occasion d’y reve-
nir.
L’éducation confucianiste
Si l’explication historique est primordiale pour amorcer une explication du miracle co-
réen, elle ne saurait l’expliquer dans sa totalité. Aussi, si nous avons montré que le confucia-
nisme institutionnalisé sous l’ère Joseon a souvent freiné la croissance coréenne, son rôle dans
le développement économique se révèle primordial dès le début des années 60. Ainsi, selon
Hofstede et Bond (1988), cette « force » (le confucianisme) fut « l’aspect le plus déterminant
dans le développement économique de l’Asie de l’Est durant ces dernières décennies ». Une
version positiviste augmentée par Jacobs, Guopei et Herbig en 1995. Ces derniers montrent en
effet que certains éléments mis en place et développés pendant plus de 500 ans sous un ré-
gime centré sur le savoir et l’éducation comme la responsabilité, la coopération,
l’apprentissage furent des compétences indispensables au développement coréen. Aussi, deux
des principaux attributs confucéens développés sous l’ère Joseon furent l’importance accordée
à la famille et la très haute considération des intellectuels. De ce fait, les parents pensent alors,
sur la base d’une pensée populaire développée pendant plus de 500 ans, que l’unique véhicule
11
Forbes, ”Sony, Samsung Strengthen Their LCD Panel Venture”, 04/03/2008
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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pour l’ascension sociale est l’éducation. En effet, sous la dynastie des Yi, l’accès au statut de
yangban (lettré), donc de nobles (les intellectuels occupant la plus haute position dans la so-
ciété), se faisait par un concours. Ainsi, à partir des années 60, des milliers de famille à travers
le pays sacrifient leurs économies et concentrent tous leurs efforts pour offrir à leurs enfants
une éducation de qualité. De nombreux sujets dans la presse et les médias montrent la manière
dont des parents se sont sacrifiés pour l’éducation de leurs enfants (Lee S. et You S., 1987).
Jusqu’à aujourd’hui, c’est principalement le secteur privé qui finance à la fois les étudiants et
les universités. En 1999, les dépenses privées pour l’éducation atteignaient 2.73% du PIB
national12
, soit 4 fois la moyenne des pays de l’OCDE.
C’est à partir des années 60 que se réalise donc cette prise de conscience. Des fonds
privés, d’origines diverses (chaebols – consortiums coréens –, église chrétienne qui subit alors
un essor fulgurant en Corée) vont œuvrer pour moderniser les campus qui vont vite devenir de
gigantesques complexes autonomes de la taille de petites villes (on trouve sur la plupart des
campus coréens des banques et des supermarchés !). En 2011, une enquête de l’OCDE montre
que « La Corée et la Finlande obtiennent les meilleurs résultats lors de la dernière enquête
PISA de l’OCDE sur les performances éducatives »13
. L’éducation reste en effet une préoccu-
pation de premier plan aujourd’hui, et il parait impensable pour l’écolier coréen d’abandonner
avant la fin du lycée, ce serait un terrible affront fait aux parents qui espèrent si fort les voir
accéder à un statut social supérieur aux leurs via cet ascenseur éducationnel. À ce titre, en
2011, 98% des 25-34 ans ont un diplôme au moins équivalent au bac contre une moyenne de
80% dans les pays de l’OCDE14
.
L’éducation est donc une force indéniable qui a contribué à la croissance coréenne. Ce
ne fut pas le seul moteur d’origine confucianiste pour le miracle coréen. La doctrine a égale-
ment influencé de manière positive l’organisation de l’entreprise dans la période d’après-
guerre. Mais nous aurons l’occasion d’aborder ces concepts dans le second chapitre de notre
réflexion, pour éviter les redites, nous nous abstiendrons donc pour l’instant.
12
Source OCDE. 13
http://www.oecd.org/document/43/0,3746,fr_2649_35845621_46623851_1_1_1_1,00.html 14
OH Seok-min, Yonhap News Agency, “ S. Korea's college completion rate highest among OECD countries”, 14/09/2011
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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Ppalli ppalli : toujours plus vite
Si le passage d’une économie agraire à une économie industrielle de pointe a pu pren-
dre plusieurs centaines d’années à achever dans d’autres nations, la Corée, elle l’a fait en un
demi-siècle. C’est l’un des témoins, à la fois cause et conséquence, de la culture du ppalli
ppalli. Cette expression signifiant simplement « vite vite » peut être entendue au quotidien en
Corée. Installé à un restaurant, ou encore dans un taxi et s’il on est pressé, on peut avoir re-
cours à cette expression pour obtenir son plat plus vite, ou pour se voir embarquer dans un
vertigineux tour des avenues séoulites à des vitesses dépassant le raisonnable et même parfois
l’entendement.
Cette expression résume à elle seule l’état d’esprit dans lequel s’est fait le développe-
ment coréen et caractérise ce qu’un Occidental peut ressentir après quelques semaines de vie
en Corée : tout va très vite. Une étude montre même que sur 721 étudiants étrangers en
échange dans les universités coréennes, ppalli ppalli, avec 23.7% des suffrages étaient la ré-
ponse la plus fréquente à la question « De quel aspect de la Corée vous souviendrez-vous le
mieux ?»15
. Gus Hiddink, néerlandais et ancien entraîneur de l’équipe nationale de football
coréen confient que se furent les tout premiers mots qu’il apprit à son arrivée en Corée.
On fait souvent de cette expression un leitmotiv dans l’entreprise, en l’orientant pro-
fondément vers le résultat. 17 minutes en moyenne pour passer l’immigration à Incheon (un
record16
), des services publics et bancaires surefficaces (ouvrir un compte prend 30 minutes,
on peut obtenir une carte bancaire instantanément et à la volée sur demande et sans préavis…).
Des données qui feraient pâlir d’envie n’importe quel Français ou Britannique.
Cette culture, elle naît après la fin de la guerre de Corée. Alors que la Corée était tradi-
tionnellement une nation reconnue comme plutôt lente17
, la colonisation japonaise puis la
guerre ont motivé les Coréens dans l’idée qu’ils étaient « en retard ». Aussi, le fantôme de la
guerre va mettre les Coréens dans une logique « d’aller vite pour survivre » (et donc éviter
15
16
17
HWANG Hie-shin, The Korea Times, “Ppalli ppalli facilitated Miracle on Han River”, 18/06/2010
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une nouvelle guerre). Dès les années 60, le gouvernement met en place un plan de dévelop-
pement économique à court terme : de 1962 à 1996, cinq plan de sept années chacun qui dé-
veloppent tour à tour plusieurs industries clés et spécialisent les régions (ce fut d’ailleurs le
principal moteur du miracle coréen, mais en parler en détail supposerait d’aborder de nom-
breux points économiques précis, ce qui n’est pas notre but ici). L’économie est alors à la fois
utilisatrice de cette culture (les coréens ont conscience qu’ils doivent aller vite et sont prêts à
travailler vite), mais elle en est aussi créatrice (le plan installe les villes et les régions dans une
logique court-terme amené à changer constamment).
En 1997, la crise asiatique qui frappe la Corée va consolider la culture du ppalli ppalli
en heurtant profondément l’esprit des Coréens. C’est en quelque sorte une « piqûre de rap-
pel » : « il faut continuer à aller vite, sinon qui sait quel malheur pourra encore s’abattre sur
nous ». Cela se manifeste depuis deux décennies par le développement d’une économie tour-
née de plus en plus vers un Internet… de plus en plus rapide !
II. Le groupe avant tout
a. Le collectivisme coréen
La dichotomie individualisme/collectivisme est essentielle pour appréhender les com-
portements interpersonnels des individus d’une société donnée, selon Hofstede, c’est même
l’un des principaux axes permettant de différencier les cultures les unes des autres. C’est éga-
lement l’un des axes les plus populaires des études sur l’interculturalité où il a été utilisé pour
décrire et expliquer les attitudes, les comportements, la cognition et la communication lors de
rencontres entre individus venant de cultures différentes (Hofstede G., 2001). La plupart du
temps, les sociétés occidentales (Europe de l’Ouest, Amérique du Nord, Australie) sont asso-
ciées à l’individualisme, et les sociétés non occidentales au collectivisme (Afrique, Amérique
du Sud, Asie). Parsons, Shils et Olds suggèrent que l’un des cinq axes déterminant les actions
humaines est l’axe orientation personnelle versus orientation collective. La question est donc :
Quelle est l’importance relative de mes intérêts par rapport à ceux des autres, et du groupe, si
groupe il y a ?
.
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Aussi dans les sociétés individualistes, l’intérêt des individus prime sur celui du
groupe. L’individu accorde une grande importance à son indépendance, son autonomie, la
singularité et l’unicité de sa personne, la responsabilité individuelle ainsi qu’à sa réussite per-
sonnelle. Dans les sociétés dites collectivistes, ce sont les intérêts du groupe qui priment sur
ceux de l’individu. L’individu y éprouve un sens du devoir envers un groupe,
l’interdépendance entre ses membres, le désir de l’harmonie sociale et la conformité avec les
normes imposées par le groupe. Son comportement et ses attitudes sont régis par les normes
du groupe, par exemple la famille ou l’entreprise (Green E., Deschamps J.-C., Páez D., 2005).
Selon Hofstede (Culture’s consequences, 2001), la Corée est une société collectiviste.
Dans une étude comparative réalisée en 1980 puis augmenté en 1991 et 2001, il accorde des
scores INV (pour individualisme) à 50 pays et 3 régions, la Corée obtient l’un des scores les
plus bas en « individualisme » (44e rang sur 53). Aussi Hofstede isole-t-il 9 points sociétaux
les plus caractéristiques des sociétés collectivistes :
la conscience du “nous”,
l’identité collective,
l’interdépendance émotionnelle,
la solidarité de groupe,
le partage,
le devoir et l’obligation,
le besoin d’amitiés stables et prédéfinies,
la décision de groupe,
le particularisme (à chaque situation sa règle propre, s’oppose à
l’universalisme).
Il est intéressant de revenir sur quelques-uns de ces points dans le contexte qui nous intéresse.
Tout d’abord la conscience du « nous ». Cet élément s’exprime avec une force telle en Corée
que cela est passé dans le langage ! En effet, pour parler de la Corée, un idiome populaire
chez les Coréens est woori nara qui signifie littéralement « notre pays ». Mais cela ne s’arrête
pas là, les Coréens parlent également de woori mal, notre langue (le coréen). Un concept tel-
lement omniprésent qu’il empiète parfois sur la possession personnelle (le verbe « avoir » ou
« posséder » est d’ailleurs quasiment inexistant en coréen, on parle plutôt de « présence » ou
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« d’absence » de la chose possédée sans évoquer la possession) : même lorsqu’on vit seul, on
se réfère à son chez soi avec la même expression que pour le chez nous (woori jib, notre mai-
son), de la même manière même en étant fils ou fille uniques on parle de woori eomma, notre
maman, et de woori appa, notre papa. Un concept qui fait également vendre, le terme woori
est omniprésent dans les campagnes publicitaires coréennes, il en existe une véritable exploi-
tation marketing, comme le « bien de chez nous » pourrait l’être pour les produits alimentaires
marketés « terroir » dans la grande distribution française, avec bien entendu une ampleur in-
comparable. L’une des principales banques coréennes s’appelle d’ailleurs woori eunhaeng,
notre banque. Cette utilisation intensive du terme est en fait aussi liée à d’autres points soule-
vés par Hofstede, notamment l’identité collective, mais nous aurons l’occasion d’y revenir
très bientôt.
Dans « Acculturation Experiences in Korea and Japan », Fabian Jintae Froese, de père
allemand et de mère coréenne, se souvient de ses expériences d’intégration au Japon et en
Corée (il confie passer pour un total étranger en Corée malgré ses origines coréennes). Il
évoque la très nette distinction faite entre individus « ingroup » et « outgroup » dans ces deux
pays. Selon lui, les individus « ingroup » sont traités de manière préférentielle par les autres
membres en faisant partie. Les « outgroup », en revanche, sont traités avec indifférence et
doivent parfois même subir une certaine discrimination. Ainsi si dans un « groupe » dont il
faisait partie, sa famille maternelle coréenne, il était traité comme un membre à part entière
(étant un membre « ingroup » dans ce cas), ce n’était pas le cas pour la plupart des étudiants
étrangers de l’université où il réalisait son échange : ils étaient séparés dans un dortoir uni-
quement prévu pour eux, à un kilomètre des dortoirs coréens. Il témoigne également de nom-
breuses expériences de discrimination en Corée et au Japon et de sa difficulté à se faire des
amis locaux. Il raconte cependant avoir pu surmonter cette difficulté en intégrant des groupes
sociaux. Au Japon, par exemple, ce n’est qu’après avoir intégré le club de tennis de
l’université, composé d’une centaine de membres, qu’il parvient finalement à se socialiser.
Après son ralliement au groupe, les membres du club le traitent avec une grande amitié,
l’invitant à de nombreuses fêtes et évènements sociaux et le traitant comme un membre à part
entière de leur fratrie.
En fait ce collectivisme a été fortement consolidé par l’éducation nationale dès la fin
des années 1960 en Corée. En effet, la charte de l’éducation nationale sud-coréenne, établie en
1968 (puis abolie en 1994), outre ses préconisations anticommunistes établissait les objectifs
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suivants : « établir une nation indépendante », « défendre les biens publics et établir l’ordre » ;
« apprécier activement l’esprit d’entraide et de coopération ». Mais surtout le texte établissait
la vérité suivante : « le développement national est équivalent au développement indivi-
duel »18
. Nous sommes quasiment au mot près dans la définition consensuelle du collecti-
visme établie par la littérature psychosociologique des cinquante dernières années.
Le collectivisme coréen prend parfois des proportions d’une ampleur sans commune
mesure. En effet au début de l’année 1998, en pleine crise asiatique, le gouvernement coréen
lance une campagne pour collecter l’or des particuliers pour lever des fonds et sortir du ma-
rasme économique dans lequel le pays est embourbé. La campagne eut un grand succès : 3.5
millions de citoyens participèrent à la campagne et 2.2 milliards de dollars furent levés19
. Cet
exemple nous montre à quel point le groupe prime sur l’individu en Corée. Et si la Corée du
Nord est la dernière dictature communiste du monde, n’est-ce pas aussi parce que le régime
s’est servi de cet aspect culturel très marqué ?
b. Le mythe de l’unicité ethnique coréenne
À travers leur histoire, les Coréens ont développé une vision biologique et collectiviste
de leur identité nationale. La « coréité » (on trouve indifféremment « coréanité ») comme
l’appelle Patrick Maurus20
a été racialisée par la croyance en une origine préhistorique com-
mune, participant ainsi très fortement à l’unicité collective des Coréens. Généralement,
l’ethnicité est vue comme un phénomène culturel lié à une langue et une histoire commune, et
la race comme une collectivité unie par un phénotype immuable aux caractéristiques géné-
tiques particulières. Pour les Coréens, ces deux notions se confondent. Mais le rapprochement
ne s’arrête pas là. En effet, comme nous l’avons vu auparavant, dès les années 60, le gouver-
nement a instrumentalisé la croyance en un « groupe Corée » homogène et un. Le glissement
fut alors rapide : la race qui servait de repère pour définir l’ethnicité, n’a pas tardé à égale-
ment recouvrir le concept de nation. Ainsi, race, ethnicité et nation sont des concepts qui se
superposent en Corée. Deux expressions populaires traduisent bien l’état d’esprit des Coréens
à l’égard de leur « coréité » : l’expression hyeol tong signifie « sang » ou « lignée », et en
contexte, « sang coréen » ; l’expression danil minjok signifie quant à elle « nation formée
18 Source National Archives of Korea 1968. 19
Hwang Hie-shin, The Korea Times, “Ppalli ppalli facilitated Miracle on Han River”, 18/06/2010 20
Voir « Le jour où les coréens sont devenus blonds », éd. L’Hamarttan
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d'une seule ethnie », d’ailleurs le mot minjok peut aussi bien signifier « ethnicité », « race » ou
« nation ».
Toujours bien présent dans la péninsule, le nationalisme coréen ne porte pas en son
sein un fantôme de sang et de larmes comme cela peut être le cas en Europe. En réalité, alors
que l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste instrumentalisaient le nationalisme à des fins poli-
tiques pour conquérir et asservir ses voisins, il était en Corée, lors de l’occupation japonaise,
synonyme de défense et prenait les couleurs de l’anti-impérialisme et de la résistance.
L’affirmation de l’identité coréenne devint pendant cette période une question de survie. En
effet, la politique d’assimilation des Japonais empêchait les Coréens de parler coréen ou
même de porter des noms coréens. Le but était à terme une assimilation totale de la péninsule,
la construction d’une région prolongeant l’archipel japonais. Mais les mouvements de résis-
tance qui s’installèrent réaffirmèrent l’identité coréenne, la singularité de la culture et de
l’histoire coréenne, indépendante du Japon. En fait, l’échec de l’entreprise des Japonais de
supprimer la « coréité » fut total, puisque bien loin de l’effacer, ils la renforcèrent !
Ainsi, après l’indépendance acquise en 1945 et malgré la division Nord/Sud, l’unicité
de l’ethnicité coréenne fut largement considérée comme acquise. En 1947 l’historien sud-
coréen Son Chin-tae écrit « Depuis le début de notre histoire, nous [les Coréens] avons été
une race unique partageant une histoire commune, sur un territoire commun, et avons partagé
une même destinée »21
. En 1946, Paek Na-mun historien nord-coréen poursuit « La nation
coréenne est une nation unique partageant le même sang, le même territoire, la même langue,
la même culture et la même destinée historique depuis des milliers d’années » (Pang K., 1992).
On peut voir que malgré la division territoriale, idéologique et politique, l’homogénéité eth-
nique était acceptée des deux côtés du 38e parallèle.
Le mythe de l’unicité ethnique en est en fait un, au sens propre du terme. En effet.
L’histoire traditionnelle de la Corée voudrait qu’en 2333 avant notre ère, un tigre et une ourse
vinrent un jour demander conseil à Hwanung, le fils du dieu du ciel Hwanin, car tous deux
souhaitaient devenir humains. Hwanung leur distribua 20 gousses d’ail et de l’armoise et les
invita à ne consommer que ces deux seuls aliments pendant 100 jours, au fond d’une grotte
dans l’obscurité. Toutefois, le tigre ne pouvant endurer ce régime s'enfuit de la grotte en cou-
21 Citation présente dans John Duncan, “Proto-Nationalism in Pre-Modern Korea,” in Sang-Oak Lee and Duk-Soo Park (eds), Perspectives on Korea, Sydney: Wild Peony Press, 1998, pp.198–221.
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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Benoît Di Pascale
rant alors que l’ourse endura l’épreuve jusqu’à ce qu’au bout de 30 jours, son corps se trans-
former en celui d’une femme. Son vœu exaucé, l'ourse devenue femme fut baptisée Ungnyeo
par Hwanung. Après l’avoir épousé, elle accoucha d’un garçon, Tangun (le premier Coréen,
donc), qui fonda par la suite la première dynastie du royaume de Ko-Chosŏn, l’actuelle Corée.
Aujourd’hui, les études montrent que le mythe est toujours bien vivant. En 2000, Shin
Gi-wook and Paul Y. Chang conduisirent une enquête pour l’université de Stanford sur la
perception des Coréens de leur nation. À l’affirmation « Notre nation a une ligne de sang
unique » (« Our nation has a single blood line »), 93% des Coréens interrogés se déclarèrent
d’accord ou fortement d’accord. À l’affirmation "Malgré la nationalité étrangère de certains
de nos compatriotes [la diaspora coréenne est aussi variée que l’histoire récente de la Corée
est troublée], les coréens appartiennent à une même nation ethnique étant donné qu’ils parta-
gent un ancêtre commun », 83% se déclarèrent d’accord ou fortement d’accord22
.
Digne héritier dans le propos nationaliste des historiens postguerre, Paik Nak-Chung,
professeur de littérature anglaise récemment retraité et ayant joué un rôle primordial dans les
révoltes étudiantes des années 70 et 80 écrira en 1996 à propos de la réunification : « Notre
histoire, notre unité politique longue d’au moins dix siècles et toujours aujourd’hui, notre ex-
ceptionnelle homogénéité ethnique et linguistique devront être les fondements de notre vision
d’une Corée unifiée ».
Notre but n’est pas ici de discuter la véracité du mythe, mais d’en révéler la croyance
toujours forte des Coréens à son égard.
22 Sources : Survey of "nation identity and unification" conducted by Shin Gi-wook and Paul Y. Chang (October/November 2000); Survey of the "formation of Korean network community in the 21st cen-tury" conducted by KBS and Hallym University (December 1999).
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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Benoît Di Pascale
III. La communication en Corée : un révélateur so-
cial
a. Du silence épuré…
Si la dichotomie collectivisme/individualisme permet d’expliquer de nombreux élé-
ments culturels propres à la Corée du Sud, elle ne saurait être suffisante pour appréhender
entièrement le type de communication coréen. En 1976, Hall propose un axe plus approprié. Il
différencie les sociétés à contexte fort des sociétés à contexte faible selon l’importance rela-
tive du sens contenu dans le message verbal par rapport à la totalité des sens perçus par
l’interlocuteur. Dans les sociétés à contexte fort, très peu de signification est contenue dans le
message verbal, car la plupart de l’information est partagée par l’ensemble des membres de la
société. Au contraire, dans les sociétés à contexte culturel faible, la quasi-totalité du sens est
contenue dans le message de manière explicite et verbale. En 1990, le même auteur décrit la
Corée, Taiwan et la Chine comme des exemples typiques de pays à fort contexte culturel, et
les États-Unis, l’Allemagne et les pays d’Europe du Nord comme des exemples typiques de
pays à faible contexte. Ce paradigme est en réalité assez proche de la théorie de la codification
du message réduite ou élaborée proposé par Bernstein en 1971. On peut remarquer que la plu-
part du temps, les sociétés à fort contexte sont collectivistes, et les sociétés à faible contexte
individualistes, mais comme le remarquent Chang et Holt (1991) on ne peut trouver de lien de
causalité directe entre les deux. Ils reconnaissent cependant que les sociétés individualistes
ont la plupart du temps une forme de communication directe et explicite (caractéristique des
sociétés à faible contexte), et que les sociétés collectivistes sont plutôt enclines à adopter une
forme de communication indirecte et implicite, ce qui est le cas de la Corée.
L’une des grandes qualités de personnalité en Corée, et particulièrement appréciée en
entreprise est le nunchi. Ce concept typiquement coréen est le symbole même de l’aspect indi-
rect et implicite du message. Nunchi n’a que des traductions approchantes : intuition, tact,
flair, perspicacité sont autant de termes qui ne font que tourner autour du concept sans en sai-
sir la substance. Pour mieux comprendre, prenons un exemple : un jeune se trouve dans une
pièce avec un aîné. La pièce est chauffée, mais la porte laisse s’engouffrer une désagréable
froideur. Pour se faire comprendre, l’aîné dans un contexte occidental adopterait un message
direct et frontal « Ferme la porte s’il te plaît ». Dans un contexte coréen, une personne plutôt
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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Benoît Di Pascale
directe dirait « Il fait froid aujourd’hui », mais plus souvent un simple frissonnement suffit à
déterminer son désir de voir la porte fermée. Les personnes ayant pour talent de repérer rapi-
dement ce genre de désir à partir de petits signes sont dites dotées d’un nunchi rapide. En fait,
ce terme recouvre un champ bien plus large, particulièrement dans un contexte professionnel,
mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans notre seconde partie.
b. … à la sophistication la plus extrême
Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que ce type de communication est révélateur d’un
système très sophistiqué, paradoxalement puisque dans l’exemple précédemment évoqué, il
n’y avait pas de message verbal à proprement parler. En Corée, un très grand soin est apporté
à adapter son message à l’interlocuteur. Cela rejoint le « particularisme » propre aux sociétés
collectivistes selon Hofstede : à chaque situation une solution propre, et donc dans ce cas, à
chaque relation une communication distincte. C’est ce que Fei (1948) appelle la théorie des
manières de différents niveaux (manners of different orders) qui est aussi vraie dans un con-
texte chinois comme il le décrit que dans un contexte coréen. Aussi, si l’aîné frisonne sim-
plement pour qu’on lui ferme la porte, les personnes au pied de la hiérarchie doivent quant à
elles redoubler d’effort pour à la fois détecter les intentions et élaborer leurs messages. Pour
cela, il est important de maintenir une bonne relation avec l’interlocuteur, ce que les Chinois
appellent le guanxi (relation, échange), un axe tout aussi valide en Corée, même s’il revêt des
formes distinctes, nous y reviendrons. Les Coréens ont ainsi élaboré un système quasi taxo-
nomique permettant de s’adresser de manière adaptée à des individus provenant de groupe, de
milieux sociaux et ayant des âges différents. Les Coréens ont d’ailleurs développé à travers
les âges un système de politesse à plusieurs niveaux caractéristiques de ce désir d’adaptation à
l’interlocuteur. Par exemple, à un ami proche on dira « keopi mashillae ? » (Tu veux du ca-
fé ?). Keopi signifie café et mashillae est composé du radical du verbe boire mashi et de la
particule llae signifiant le désir réalisable dans un futur immédiat. Pour s’adresser de manière
la plus polie possible à une personne de rang social et professionnel très élevé, on dira « keopi
han chaneul deushiji ankesseumnikka ? ». Keopi signifie toujours café, pour plus de politesse
on ajoute han chan signifiant « une tasse », suivie de la particule eul signifiant que le mot est
utilisé en tant que complément d’objet direct au verbe, particule omise dans le premier
exemple par familiarité ; le verbe boire devient dans sa forme honorifique deushida, dont on
garde seulement le radical deushi, à laquelle on ajoute ji signifiant la négation ;
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master Page 29
Benoît Di Pascale
anhketseumnikka est construit à la base du radical du verbe anda, an fonctionnant de pair avec
ji pour former la négation, à laquelle on ajoute le suffixe ket, signifiant la réalisation futur
d’un évènement sans adresse directe à l’interlocuteur ; puis enfin la terminaison seumnikka
utilisée pour poser une question de manière formelle et polie. Une traduction maladroite et
incomplète (puisqu’on perd l’indirection du message et son honorification) en français serait
donc : « Ne voudriez pas boire une tasse de café ? » Dans le premier exemple, seul les mots
porteurs de sens « brut » sont présents : boire et café. Le second exemple ajoute à cette base
une multitude de suffixes pour signifier la politesse et l’aspect indirect de l’adresse du mes-
sage.
Cette sophistication dans le message n’est pas perçue comme maladroite ni superfi-
cielle en Corée : c’est quelque chose qu’il faut faire, car « c’est comme ça », chaque message
devant être adapté à la position relative des deux interlocuteurs. Entre les deux exemples vo-
lontairement extrêmes que nous avons pris, il existe une multitude de manières d’adresser un
message de façon à être en phase avec ce que pourrait appeler « le juste positionnement relatif
». On retrouve également cela dans les appellations. En coréen, on appelle rarement une per-
sonne directement par son prénom, sauf dans les cas de grande familiarité. La langue co-
réenne regorge d’appellations extrêmement normalisées pour s’adresser à une personne en
considérant sa position sociale, son âge, son emploi, son sexe, etc. « Grand frère », « Mon-
sieur », ou même « Honorable aîné » sont autant de niveaux de courtoisie qu’il faut respecter,
une nouvelle fois, parce que c’est la norme.
Cette première partie nous a permis de définir des éléments socioculturels qu’il était indis-
pensable d’appréhender pour pouvoir comprendre la suite de notre raisonnement. Nous al-
lons maintenant nous intéresser à la manière dont ces éléments s’expriment dans un contexte
professionnel en Corée. Si, tout au long de cette partie, nous ne parlons encore que rarement
de notre sujet, ce nouveau migrant à haute compétence, il faudra bien entendu une nouvelle
fois considérer toutes les remarques formulées sous l’angle des différences évidentes qui se-
ront autant d’obstacles et de défis à l’intégration de ce dernier.
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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Page 30 Benoît Di Pascale
Chapitre II : Le
fonctionnement de l'entreprise en Corée
I. Le confucianisme entrepreneurial coréen :
l’organisation expliquée
a. Le yongo, une connexion très spéciale
De nombreux éléments hérités du confucianisme s’expriment de manière relativement
directe dans l’entreprise coréenne. Parmi les cinq impératifs moraux imposés par la dynastie
des Yi pendant la période Joseon, nous avions le concept du shin, la confiance, qui régit les
relations entre les amis. Or être ami en Corée implique de manière quasi systématique de faire
partie du même groupe. L’entreprise étant elle-même l’un de ces groupes, on va de manière
préférentielle en Corée recruté sur la base de l’appartenance du candidat à un groupe commun
à celui d’un ou de plusieurs des employés et surtout des responsables. Ce système appelé le
« yongoisme » (Kim T., et Bae J., 2004) relève d’un concept, le yongo, qui signifie « relation
spéciale ». Les trois manifestations de ce concept sont le hyulyon (connexion par le sang), le
hakyon (connexion par l’éducation) et le jiyon (connexion par le lieu de provenance géogra-
phique). Ces trois types de connexions interpersonnelles se matérialisent systématiquement
par des cercles de confiance, en d’autres termes des groupes.
Le hyulyon, relation du sang se matérialise par le groupe famille. Ainsi, on recrute ou
« aide » (on parle de « piston » en France, mais cela est beaucoup plus concret en Corée) les
gens de sa famille proche, mais aussi lointaine, le groupe famille étant très large dans les so-
ciétés collectivistes (Hofstede G., 2001). Ainsi dans les grandes entreprises coréennes, la plu-
part des postes importants ont longtemps été occupés par les membres de la famille du fonda-
teur, très souvent le fils. Dans la Corée confucianiste de l’ère Joseon, le fils héritait des biens
et succédait à son père dans l’impératif de responsabilité familiale. Dans beaucoup de grandes
entreprises coréennes et sur le même modèle, le concept a perduré pour la succession de prise
de pouvoir. Au début des années 1980, 26% des dirigeants des chaebols (consortiums) co-
réennes étaient leurs fondateurs, 19% étaient les fils des fondateurs, 21% avaient obtenu le
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 31 Benoît Di Pascale
poste par une promotion interne, et 35% étaient recrutés de l’extérieur (Fukuyama F., 1995).
Un parent à un poste important dans une grande entreprise était alors une garantie supplémen-
taire d’obtenir une embauche. Aujourd’hui encore, dans la plupart des chaebols, les postes
clés sont toujours occupés par des membres de la famille fondatrice, deux exemples révéla-
teurs puisque l’on citera ici le cas des deux consortiums les plus connus à l’étranger :
- Le fils du fondateur de Samsung lui a succédé à sa mort en 1987, la fille de ce même fonda-
teur occupe le poste de PDG du groupe Shinsegae (division grande distribution de Samsung).
- Le fondateur de Hyundai a vu lui succédé son fils en 1998, avant lui-même de décédé en
2003 pour céder le poste à sa propre femme (belle fille du fondateur, donc) la même année.
Les deux autres fils du fondateur occupent tous deux des postes de PDG de branche du groupe
(automobile pour l’un, chimie puis grande distribution pour l’autre).
Pour Ssangyong, autre chaebol coréen, le sang semble aussi être un critère de succes-
sion primordial. À sa mort, en 1975, le fondateur du groupe laisse la compagnie à son fils
Kim Seok-won, il n’a alors que 29 ans, un âge particulièrement jeune pour un tel poste, sur-
tout à l’époque. Malgré les contestations, le jeune héritier fut mis en place. Il semble que sou-
vent le sang prime sur l’expérience et les compétences. De même, selon la bourse de Séoul
(KRX, ou encore Korean Exchange), en 2007 plus qu’aucune autre année auparavant, des
mineurs sont devenus multimillionnaires en dollars en Corée : les dirigeants des chaebols
décident de sécuriser leur capital de plus en plus tôt en en léguant une partie à leur descen-
dance. Ainsi, le président du groupe Hanwha Kim Seung-youn céda une valeur de 39.4 mil-
liards de wons (environ 26 millions d’euros) de stock-options à son troisième fils alors âgé de
17 ans, faisant de lui le plus riche mineur de Corée23
. Les deux autres fils de la famille, âgés
de 23 et 21 ans ont eux eu le droit respectivement à 69 millions d’euros et 26 millions d’euros
(comme le cadet) de valeur de stocks. Tous ces exemples sont caractéristiques de la puissance
du hyulyon.
La seconde connexion possible est le hakyon, la relation créée « sur les bancs de
l’école ». Elle se forme généralement au lycée ou à l’université. Ce lien est particulièrement
présent dans les milieux politiques et dans les sphères dirigeantes des entreprises. En 2002,
Kim Yong-min et Moon Hyeong-koo analysèrent les provenances universitaires de 2549 diri-
geants extérieurs, ni promus en interne ni n’appartenant à la famille des dirigeants. 10.4%
23
Kim Yon-se, The Korea Times, “Underage Stock Millionaires Number 11”, 07/03/2007
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 32 Benoît Di Pascale
avaient un lien remontant au lycée, et 12.3% à l’université avec le propriétaire de
l’Entreprise et 5.6% avaient un lien remontant au lycée et 25.3% à l’université avec une autre
personne dans l’équipe dirigeante (Kim Y. et Moon H.-K. 2002).
Enfin nous avons, le jiyon, le lien régional. Il ne forme d’ailleurs souvent logiquement
qu’un avec le lien de hakyon. C’est particulièrement vrai en politique : depuis les années 60,
les trois grands partis coréens basent leur opposition non pas sur l’idéologie, mais sur la pro-
venance géographique de leur représentants. Ainsi, le parti conservateur présente régulière-
ment des candidats originaires de la province du Jeolla, région sud-ouest de la Corée, quant
aux partis de l’opposition, ce sont les régions du Gyeongsang qui sont le plus souvent repré-
sentées. 80% des habitants de Séoul n’étant pas originaires de la région de Séoul, chacun y va
de son chauvinisme régional et supporte le candidat originaire de sa région natale (Chung K., Yi
H., Jung K., 1997), car il fait partie de ce « groupe » de confiance chaleureux et rassurant qu’est
la région.
Les pratiques de recrutement en Corée furent longtemps basées sur ces trois liens. Si
leur influence sur le recrutement est toujours importante et pèse toujours de manière relative-
ment importante dans l’embauche, les pratiques de recrutement se sont vues modifiées de
manière relativement importante au fil du développement coréen. Dans un contexte d’ultra
compétitivité mondiale, l’absence d’outils de vérification des capacités des nouveaux em-
ployés recrutés sur la base du yongo s’est rapidement fait ressentir. De plus en plus
d’entreprises coréennes ont alors mis en place un système de sélection parfois extrêmement
élitiste : le gongchae. Loin de s’opposer, le yongo et le gongchae ne font parfois qu’un, les
tests comme la provenance du candidat pesant chacun leur poids dans la décision de
l’employeur.
Le système du gongchae, que l’on pourrait traduire littéralement par « système de re-
crutement ouvert », s’il pourrait sembler normal pour un Occidental habitué à la compétition,
fut un grand changement pour les Coréens. Ce système comporte cependant de nombreuses
particularités qui le distinguent assez nettement des pratiques occidentales. Tout d’abord,
même s’il serait difficile de produire une échelle valide pour mesurer la difficulté de rentrer
dans telle ou telle entreprise, on peut dire sans trop se tromper que la compétition est extrême
en Corée, beaucoup plus qu’en Occident, particulièrement lorsqu’il s’agit d’entrer dans une
chaebol (Samsung, Hyundai, LG, etc.). En 1957, lors du tout premier recrutement sous l’égide
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 33 Benoît Di Pascale
du gongchae organisé par Samsung, 2000 candidats se présentèrent à l’examen. Seuls 27 fu-
rent retenus à l’embauche (Lee H., 1994). Aujourd’hui encore, la compétition fait rage, et les
grands groupes semblent vouloir imposer le même élitisme aux étrangers. C’est le cas de Phi-
lippe Jourdain (français, Hyundai-Kia Motors), Assistant Manager responsable du marché
européen au sein de l'équipe Marketing Analysis de la division Product Strategy chez Hyun-
dai-Kia Motors. Il commente : « Pour mon poste chez Hyundai, on était 1000 postulants…
nous ne fûmes que 2 à avoir le poste, et le second, un allemand, a démissionné après 1 mois ».
Cet élitisme extrême a pour principale origine la très haute considération de
l’éducation que nous avons mise en relief dans notre première partie. Aussi si les résultats au
test ont leur importance, le background universitaire et familial du candidat (le yongo, donc)
ont toujours une place de tout premier choix dans la sélection. Ainsi la plupart des recrute-
ments se déroulent dans cet ordre :
1. Passage en revue du background du candidat qui a au préalable rempli un for-
mulaire (une sorte de CV à cases, voir annexe 3). On apporte une attention
toute particulière à l’âge, à l’université fréquentée et aux notes.
2. Examen écrit (incluant généralement anglais, culture générale ou technique se-
lon le poste, rédaction sur des sujets spécialisés et test psychologique).
3. Entretien.
4. Passage en revue des lettres de recommandations et des références personnelles.
5. Passage en revue des expériences professionnelles.
6. Examen physique.
Chaque étape étant éliminatoire (modèle de l’écrémage progressif), l’élément le plus discri-
minant est donc le background universitaire, les meilleures universités du pays, connues sous
l’acronyme « SKY » (Seoul, Korea et Yonsei University) sont extrêmement prisées, y entrer
garantissant souvent une place de choix dans une grande entreprise. D’ailleurs, le « Bac »
coréen, le sooneung est différent de son homologue français dans le sens où ce n’est pas un
diplôme que l’on obtient concrètement, mais plus un test qui évalue les compétences dans les
différentes matières et y attribue une note (il se rapproche ainsi plus d’un test comme le
TOIEC que du Bac à la française). Les meilleurs ont alors accès aux universités les plus pres-
tigieuses, qui recrutent principalement sur cette base. Le jour du passage du sooneung, un
silence quasi religieux est respecté à proximité des grands centres d’examen, les vols domes-
tiques sont coupés pendant les épreuves de compréhension orale d’anglais, les fréquences des
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 34 Benoît Di Pascale
bus et des métros sont augmentées et des voitures de police sont mises à disposition des can-
didats qui seraient malgré tout en retard ! Chaque année des plaintes sont déposées par la fa-
mille des élèves aux surveillants qui ont eu le malheur de faire un bruit de trop lors d’une ses-
sion de tests24
.
Le sacre de l’éducation est donc total dans le système de recrutement coréen. Le pays
serait aujourd’hui même « suréduqué »25
. Dans ce contexte, il semble tout à fait opportun,
particulièrement quand on désire entrer dans les grandes entreprises du pays, de faire valoir un
background universitaire qui devra forcément être plus que solide.
b. Le mérite par l’ancienneté et l’emploi à vie
Un autre des cinq impératifs moraux imposés par la dynastie des Yi qui influence en-
core fortement les pratiques managériales en Corée est le eui, ou loyauté entre son roi et son
sujet. De nos jours, ce lien de loyauté s’exprime dans la relation entre l’entreprise (plus con-
crètement l’employeur, dans la plupart des cas) et l’employé.
Traditionnellement en Corée, les entreprises, en particulier les plus grandes pratiquent
l’emploi à vie. L’employé est recruté à la sortie de l’université, de préférence prestigieuse, et
œuvre pour la réussite de l’entreprise et donc la sienne (nous sommes dans une société collec-
tiviste), du début jusqu’à la fin de sa vie professionnelle. Cela occasionne de grandes cérémo-
nies d’introduction. Chaque année, Samsung organise notamment en grande pompe
l’introduction de ses nouveaux arrivants. Le tout ressemble à un véritable sacrement. Sam-
sung est l’exemple le plus révélateur quand on veut évoquer l’emploi à vie. À Suwon, au sud
de Séoul, il existe une ville Samsung totalement autonome, les employés y vivent, mangent,
dorment, se soignent, y éduquent leurs enfants, dans des bâtiments à l’effigie de la marque26
.
Cette logique repose sur l’existence de l’emploi à vie. Ce cloisonnement à vie est encore lar-
gement accepté par les Coréens. D’une part, une vie de privations des parents pour se voir
payer une éducation de qualité les empêche de se plaindre lorsque, après l’embauche, l’envers
du décor pointe son nez (horaires, pression hiérarchique, etc.). D’autre part, il est extrême-
24
AFP, « Jour d'examen crucial pour les jeunes Sud-Coréens: le pays retient son souffle », 18/11/2010 25
LEE Sun-young, The Korea Herald, “Korea grapples with over-education”, 16/06/2011 26
Voir « L’empire Samsung » dans Corée, la puissance cachée, émission Un œil sur la Planète, diffusée sur France 2 le 3 janvier 2011
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 35 Benoît Di Pascale
ment difficile de rentrer chez Samsung. Y travailler est souvent perçu comme un gage de ré-
ussite personnelle.
D’autre part, l’ascension professionnelle coréenne étant principalement basée sur
l’ancienneté, on comprend mieux la survivance de cette pratique. Quitter son entreprise sur un
coup de tête après plusieurs années de service revient à repartir de la case départ,
puisqu’employé dans une nouvelle entreprise, il faudra à nouveau attendre plusieurs années
avant de se voir promu à un poste plus élevé dans la hiérarchie.
Le mérite par l’ancienneté est une pratique qui va donc de pair avec celle de l’emploi à
vie. Il fait écho à la valeur du hyo, la piété filiale, qui régissait les relations entre parents et
enfants sous l’ère Joseon. Cela s’exprime donc d’une part par la pratique du mérite par
l’ancienneté donc, mais aussi par l’aspect ultrahiérarchique et pyramidal des entreprises co-
réennes. Il y a dans l’entreprise coréenne un goût très prononcé pour le « titre ». Voyons plu-
tôt cette liste non exhaustive (puisque les titres varient aussi selon les secteurs) que l’on peut
rencontrer dans les entreprises coréennes :
Niveau décisionnaire
Hwejang : En général, le Président Directeur Général. Dans les faits ce titre dé-
signe souvent le fondateur de l’entreprise plus que l’occupant concret du poste de
PDG (le fondateur étant souvent considéré comme le président à vie de
l’entreprise).
Bu-hwejang : Vice président. Dans les faits, c’est souvent lui le vrai PDG.
Sajang : Président, pour les entreprises qui n’ont pas le poste de hwejang.
Daepyo-isa : Directeur « représentant ».
Bu-sajang : Vice president, subordonné au Sajang.
Jŏnmu : Directeur opérationnel (ou « vice president à l’exploitation »).
Sangmu : Vice Président Senior.
Isa : Directeur du conseil d’administation.
Niveau non-décisionnaire
Shiljang : Chef d’un département.
Bujang : Chef adjoint d’un department.
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 36 Benoît Di Pascale
Chajang : Chef adjoint au bujang.
Gwajang : Directeur d’une équipe, on trouve aussi, l’anglicisme « Team-jang ».
Daeri : Directeur d’équipe adjoint.
Sawon : Simple employé.
La hiérarchie est donc pléthorique en Corée. Les traductions m’ont d’ailleurs manqué pour
désigner adjoints et assistants, elles ne sont en réalité guère satisfaisantes, car elle donne un
référent d’une culture et d’un système étranger.
Au-delà du système de mérite (et donc de rémunération) et de position lié à l’âge, la
multiplicité des titres et des niveaux hiérarchiques s’explique aussi en partie par le fait qu’il
faut signaler verbalement sa supériorité ou infériorité hiérarchique en Corée, en appelant de la
juste manière la personne concernée (voir notre première partie sur la communication). En-
core aujourd’hui, on évite de placer une personne plus jeune au-dessus d’un aîné, car cela peut
générer son lot de problème lié à la légitimité. Kang Myung-chan, assistant-réalisateur free-
lance pour le cinéma commente : « Nous avons une fois eu un chef de régie moins âgé que
son adjoint, et cela a généré beaucoup de problèmes dans l’équipe. Nous nous sommes dit
qu’à l’avenir, il faudrait éviter le plus possible que ça arrive, particulièrement pour les petites
productions ».
c. Paternalisme et concentration du pouvoir
L’une des conséquences des caractéristiques collectivistes et d’ancienneté hiérarchique
que nous venons de décrire est le paternalisme de l’entreprise coréenne. Cela se ressent parti-
culièrement dans l’organisation hiérarchique et dans le processus de prise de décision (Ro-
wley C. et Bae J.S, 2003). Dans la plupart des entreprises coréennes, le pouvoir décisionnel et
l’autorité sont réservés de manière exclusive aux plus hauts échelons de la hiérarchie. Ce sys-
tème n’est pas contesté et aucune opposition franche n’est jamais vraiment formulée à son
égard du fait du socle confucianiste : loyauté et respect envers les aînés (comme décrit dans
notre première partie). Ainsi, les décisions, mais aussi l’information sont souvent concentrées
entre les mains de quelques personnes dans la plupart des organisations en Corée (Kahal S.E.,
2005).
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Nicolas Piccato, franco-italien, PDG de Panda Media, filière de TV5 Monde, ancien
directeur du département international chez Mirovision (distribution cinéma) en Corée com-
mente : « La qualité est à vérifier en permanence, car tout est possible, et les structures hiérar-
chiques étant verticales, ceux qui tiennent un dossier ont rarement toutes les informations,
donc sont sujets à erreur, qu'on ne verra qu'à la fin... ».
En effet, c’est l’une des conséquences du paternalisme de l’entreprise en Corée :
l’information est souvent jalousement gardée par les personnes occupant les postes décision-
naires. On pense souvent qu’il est peu nécessaire d’informer les exécutants de toutes les rami-
fications de l’ordre. Cette frontière très nette entre les donneurs d’ordres et ceux qui les exé-
cutent est en partie due au service militaire, un dur passage pour chaque jeune homme coréen,
car il est long et éprouvant : en général deux ans (parfois plus) où la principale valeur incul-
quée est l’obéissance. On pourrait penser que c’est principalement la présence de la menace
nord-coréenne qui incite le gouvernement à maintenir un si long service obligatoire. Mais
l’exemple de Singapour nous offre une toute autre compréhension : malgré l’absence totale
d’ennemis directs, ce pays lui aussi très fortement confucianiste y maintient également un
service militaire obligatoire de deux ans.
Nicolas Piccato (franco-italien, PDG de Panda Media, filière de TV5 Monde) poursuit :
« La société est une famille, un nouveau groupe dans lequel on est inclus. Donc on en défend
le chef. Un bon manager en Europe doit savoir défendre ses équipes, je pense que ça doit être
également le cas en Corée, mais c'est une valeur moindre que l'adhésion au chef de la part de
l'équipe. "Même si mon chef a tort, je ne pouvais pas le dire, alors..." est une phrase qu'on
entend souvent, et qui prouve bien ce côté 'militaire' de l'employé coréen. »
L’éducation militaire donc renforce l’aspect ultrahiérarchique : quand un ordre est
formulé, il ne doit pas être discuté. J’ai moi-même souvent été confronté à des situations où
l’on m’ordonnait quelque chose sans que je sache la raison pour laquelle je devais exécuter
cet ordre. Dans ces cas-là, le simple questionnement en « Pourquoi ? » est perçu comme im-
pertinent par la hiérarchie, car l’interprétation qui en est faite est le manque de confiance. La
pensée est que si la confiance est totale entre le dirigé et son supérieur, aucun questionnement
ne doit se faire après la formulation de l’ordre.
Cependant, la volonté d’arriver à un consensus général sur une décision existe. Mais
souvent, les exécuteurs d’ordre sont réticents à exprimer leur opinion, surtout dans le cas où
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 38 Benoît Di Pascale
elle est contraire à ceux des décideurs, ne pas aller à l’encontre de l’opinion d’un aîné fait en
effet partie du nunchi (Chen M., 2004). En réalité, en cas de vrai désaccord, les propositions
différentes des hauts niveaux hiérarchiques doivent être adressées de manière extrêmement
formelle sous le modèle imposé par le kyuljae, et cela peut prendre un temps considérable
pour arriver à un accord final. En effet, jusqu’à l’arrivée de Lee Kun-hee à la tête de Samsung
au début des années 1990, le processus de kyuljae nécessitait vingt et un chops (cachet ap-
prouvant la décision de chaque département faisant autorité sur la décision). Cela prenait plu-
sieurs mois. Après son arrivée, Lee Kun-hee décida de réduire ce nombre à trois (Chen M.,
2004). Cependant, selon Chung, Lee et Jung (1997), alors que ce processus pourrait être un
outil satisfaisant pour la discussion dans le processus de décision à travers les différents ni-
veaux hiérarchiques, il n’est que rarement utilisé à ces fins, les employés du « bas » craignant
souvent des représailles. Encore une fois, nous constatons ici certes l’évolution d’un système,
mais dont les fondations culturelles traditionnelles sont ancrées très profondément dans la
société.
D’autre part, ce paternalisme s’exprime très littéralement dans les relations interperson-
nelles entre dirigeants et dirigés. Ainsi, impensable pour un chef d’équipe de ne pas inviter ses
collègues lors d’une sortie au restaurant (comme un père paierait l’addition pour sa famille).
Aussi, il n’est pas rare d’entendre l’appellation saekki lorsqu’un supérieur éprouvant de
l’affection pour son employé l’interpelle. Ce mot signifie littéralement « petit », lorsque l’on
parle des jeunes animaux. Le plus souvent cette expression est extrêmement péjorative et sert
à former une multitude de noms d’oiseaux en coréen. Mais dans ce contexte particulier, c’est
aussi une marque d’affection, signifiant « mon petit », en d’autres termes « mon enfant ».
C’est ce qu’on appelle en coréen le jeong, que l’on pourrait traduire par « affection », ou
« bienveillance ». Il serait à la base des relations interpersonnelles en Corée (Lim T.K., 1993)
et se caractérise par la sympathie, l’empathie et une vision non-rationnelle et émotionnelle du
monde (Lee S.H., 2000). La présence de ce concept dans les relations professionnelles en Co-
rée est l’une des raisons pour laquelle la frontière entre vie privée et professionnelle est si
ténue, déclencher le jeong avec ses collègues signifiant souvent une acceptation par le groupe-
famille entreprise. Aussi faut-il faut savoir le provoquer, car il est à la base du système de
réseautage (networking), se faire apprécier de ses supérieurs en déclenchant le jeong permet-
tant en effet d’être promu ou d’accéder plus facilement à des projets de première main.
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 39 Benoît Di Pascale
d. Place de la femme
Une tendance importante de la société coréenne des quarante dernières années est le dé-
veloppement du travail féminin. Les femmes ont en effet joué un rôle de première importance
d’abord dans l’industrie, puis dans le secteur tertiaire depuis le développement coréen débuté
dans les années 1960. En 1998, un rapport du Programme des Nations unies pour le dévelop-
pement (PNUD) conclut : « Dans une large mesure, la croissance rapide de l’économie co-
réenne est imputable à la main-d'œuvre bon marché qu’ont représentée les femmes dans le
secteur manufacturier ». Le taux d’activité féminin passe de moins de 30% en 1960 à 42% en
1985, pour atteindre 50% en 1997.
Une hausse qui ne s’est pas forcément accompagnée d’une montée de l’émancipation
féminine. Dans son rapport sur le développement humain de 2007/2008, le PNUD place la
Corée au 64e rang mondial en ce qui concerne la participation des femmes à la vie écono-
mique (indice du « Gender Empowerment Measure »), alors que le pays est au 26e rang sur
l’indice du développement humain et 11e économie mondiale27. L’ascension professionnelle
reste effectivement quelque chose de particulièrement difficile pour les femmes en Corée.
De nombreuses études se sont intéressées à l’évolution de leur place dans le monde du
travail. Ce qui en ressort le plus souvent, c’est leur grande vulnérabilité face aux fluctuations
économiques et la discrimination marquée dont elles sont l’objet dans l’entreprise et à
l’embauche. Une série de coutumes tacites, en particulier dans les secteurs à forte pression
concurrentielle continuent ainsi à les pousser à la démission après leur mariage ou la nais-
sance d’un enfant. C’est la raison pour laquelle la proportion de jeunes femmes dans les en-
treprises est élevée, mais que le ratio tombe dramatiquement passé la trentaine, pour reprendre
ensuite après 40 ans. Dans un article du Korea Herald du 21 décembre 2011 intitulé « Korea
needs to boost female employment » (« La Corée doit augmenter le taux d’emploi des
femmes »), Kim Kyung-ho remarque ainsi que la courbe du taux d’emploi des femmes co-
réennes décrit un M, avec des taux élevés pour les femmes dans leur vingtaine, puis des taux
faibles pour les femmes âgées entre 30 et 40 ans, pour à nouveau repartir, probablement une
27
Human Development Report 2007/2008 du PNUD disponible sur le site officiel du PNUD http://hdr.undp.org
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 40 Benoît Di Pascale
fois que les enfants ont atteint une certaine autonomie, ou que le fantôme du mariage et de la
grossesse effraie moins les employeurs. Ces chiffres ne sont pas dus à un quelconque obscur
phénomène de société touchant l’ensemble de la population, car le taux d’emploi chez les
hommes coréens est le plus élevé pendant la trentaine. Ainsi de nombreuses femmes se voient
imposé le choix entre la vie familiale ou professionnelle, d’autant qu’on observe également un
refus d’accorder le congé maternité pourtant prévu dans la loi, particulièrement dans les pe-
tites entreprises. Une autre pratique consiste à licencier les femmes en priorité en période de
crise. Ainsi, après la crise asiatique de 1997, alors que le nombre d’employés masculins dans
les entreprises publiques diminuait de 18.5% sur la période 1998-2002, le nombre
d’employées chutait lui de 37.1%.28 Ainsi, le taux de natalité du pays est alarmant : 1.22 enfant
par femme en 201029, soit le 225e rang mondial sur 230 (états souverains ou territoires dépen-
dants) !
Concernant l’importance hiérarchique des postes occupés, la grossesse est en effet un fait
déterminant pour la place de la femme dans l’entreprise coréenne. L’ascension hiérarchique
étant garantie par l’ancienneté, la crainte pour l’employeur de se retrouver à court d’employés
suffisamment âgés après le départ d’une responsable est grande. Et malgré les efforts de ré-
formes, en particulier dans le secteur public30
, la grande majorité des postes occupés par les
femmes restent de faible hauteur hiérarchique. Au-delà de ces remarques causatives, le mar-
ché du travail, l’entreprise et même la société coréenne sont des entités indéniablement
« masculines ». La verticalité de la relation homme/femme (byeol la « juste place » définie en
partie 1) prônée sous la dynastie des Yi exerce encore une forte influence, y compris chez les
jeunes générations. Il reste difficile pour les hommes coréens de se faire diriger et ordonner
par une femme.
Aussi si les abus et discriminations pourraient être régulés par l’arbitrage prud’homal
comme dans beaucoup de pays européens, cette notion est inexistante en Corée. La plupart
des conflits et contentieux sont le plus souvent réglés à l’amiable. Il est très rare de faire appel
à la loi ou au contrat pour protester contre sa hiérarchie ou tenter d’obtenir des réparations,
28
30
Eric Bidet, « La montée du travail féminin… et ses limites », in Revue Tangun « Le jour où les Coréens sont devenus blonds », 2007, ed. L’Hamarttan. 29
Source CIA World Factbook
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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cela est vu comme une extrémité. Cela peut aussi avoir ses avantages, comme me l’a confié
Son Young-eun (coréenne, interprète de conférence français coréen, anciennement interprète
au sein du département consulting chez Amore Pacific, groupe coréen spécialisé dans les
cosmétiques) : « En général, lorsqu’on désire quitter l’entreprise, tout passe par la discussion.
On en parle à son supérieur, et cela se décide au cas par cas, sans que l’on fasse systémati-
quement appel à la loi, comme cela peut être le cas en France. »
Aussi, lorsqu’en 2004, une jeune graphiste de 29 ans arrive à faire condamner son patron
qui la forçait à boire lors de soirée obligatoire entre collègues, c’est une première dans le
pays31
. Car oui, l’alcool est une composante de premier plan dans les relations profession-
nelles en Corée. Cette pratique occupera donc la première place de notre deuxième sous-partie,
consacrée aux pratiques et tendances dans l’entreprise coréenne.
II. Pratiques et tendances dans l’entreprise co-
réenne
a. L’alcool
La consommation d’alcool revêt un statut tout particulier en Corée du Sud, on peut
parler de véritable culture de l’alcool. Très souvent la consommation est excessive, preuve en
est ces quelques données : parmi les pays de l’OCDE, la Corée du Sud arrive en tête de la
consommation d’alcool pur par personne et par an, un coréen de plus de vingt ans consomme
en moyenne 146.6 bouteilles de soju à l’année32 (l’alcool local le plus populaire, fabriqué tra-
ditionnellement à base de patate douce, aujourd’hui largement synthétique, une bouteille con-
tient 375ml et tire en moyenne à 20 degrés), 35% de la consommation mondiale de Ballan-
tine’s de 17 ans d’âge est consommé en Corée, le cancer de l’estomac pour cause
31 Norimitsu Onishi, New York Times, “As women move in, corporate Korea tries to cut down alcohol”,
10/06/2007 32
Source OMS
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d’alcoolisme serait le type de cancer le plus courant en Corée avec 20.8% des cancers contre à
peine 2% pour les États-Unis33
.
D’une part, cette consommation excessive remonte aux traditions chamaniques des
Coréens. Au cours des rituels chamanistes, le chamane en transe, et le public qui assistait à la
cérémonie s’unissaient pour parvenir à une symbiose spirituelle et communiquer avec les es-
prits en dansant, chantant et buvant ensemble. L’ivresse était une condition au succès de la
séance de transe. En 1851 déjà, Charles de Montigny alors consul de France à Shanghaï se
rend sur les côtes coréennes à la recherche d’un navire français porté disparu depuis plusieurs
semaines. Arrivé à terre, il rencontre des nobles faisant autorité sur l’île de Jeju, où il s’est
égaré pour cause de mauvais temps. En vue de nouer de bons rapports avec eux, il leur fait
offrandes de vins et de spiritueux. Il écrit : « Là, pendant plusieurs heures, je les fis manger et
s’abreuver de différentes sortes de vins, de champagne et de liqueurs fortes ; il est rare de voir
des hommes boires comme les Coréens, ils sont passionnés par les vins et surtout les spiri-
tueux ; nos sangouans [c’est ainsi qu’appelaient de Montigny les fonctionnaires coréens ren-
contrés] non contents de prendre pour eux-mêmes donnaient encore à leurs domestiques. »
(De Montigny C., 1851). Macdonald, anglais sinophile accompagnant de Montigny lors de
l’expédition, ne manque pas lui aussi, dans son propre récit, de souligner l’intérêt des Coréens
pour les spiritueux, à tel point qu’il les nomme « Whisky Punch »34
.
D’autre part, dans un contexte professionnel l’ivresse permet une communication plus
fluide entre les différents niveaux hiérarchiques. Comme nous l’avons expliqué, les niveaux
hiérarchiques étant excessivement nombreux et l’information étant souvent gardé par les diri-
geants, il est difficile pour les personnes des échelons « du bas » d’obtenir toute l’information,
mais également de faire passer leurs idées, leurs suggestions, ou même leur états d’âme et
leurs douleurs à leurs collègues situés au-dessus d’eux. Les sorties alcoolisées après le bureau
deviennent donc un passage parfois obligatoire pour créer des liens sociaux plus forts, accéder
à l’information, faire des propositions de manière plus fluide, en somme d’abattre les fron-
tières sociales et hiérarchiques, comme les domestiques des fonctionnaires de l’île de Jeju
rencontré par Macdonald, invités à la table de leurs maîtres.
33
Source OMS, Data from Death and DALY estimates for 2004 by cause for WHO Member States (Persons, all ages), 12/11/2009 34
Voir The North China Herald, 7/06/1851 (n°45), p.178.
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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Seo Jae-woo, coréen arrivé en France à l’âge de 6 ans, a travaillé 6 ans chez Samsung
France, dans une équipe principalement coréenne, il commente : « Souvent l’information cir-
cule plus à la machine à café, pendant la pause cigarette, ou pendant les soirées arrosées que
de manière formelle dans l’entreprise, si bien que les non-fumeurs ou les non-buveurs peuvent
se retrouver sur le carreau ».
Kim Ye-Jin, interprète freelance et coréenne arrivée en France à l’âge de 1 an, est sou-
vent présente lors de festivals de cinéma internationaux (Cannes, Pusan, Berlin, etc.), un mi-
lieu où l’alcool occupe une place prépondérante. Elle commente « L’alcool est une chose dé-
terminante. En Corée, c’est souvent quand les gens sont autour d’un verre qu’ils peuvent
s’exprimer librement en prétextant parfois qu’ils sont soûls. Cela permet par exemple de par-
ler à son directeur plus librement. Le fait de ne pas boire en Corée est un énorme frein au dé-
veloppement de sa carrière, aux promotions, etc. ».
La résolution des conflits et des contentieux vient souvent lors de ces soirées, comme
nous l’indique Marie Evelyn Frenette, une jeune canadienne coréanophone qui travaille au-
jourd’hui chez Unicess Group, une petite agence Marketing dans le quartier Sud de Séoul :
« La clé pour résoudre les conflits interne est l’alcool. Plutôt que de parler frontalement des
problèmes, il est beaucoup mieux accepté d’attendre le soir un dîner entre collègues, et après
avoir bu suffisamment (ou le prétendre) de faire remonter le sujet à la surface. Le lendemain,
en général, les choses changent réellement. Mais on continue d’éviter le conflit direct. »
Cependant les choses tendent à évoluer, quelques grandes entreprises ont commencé à
ériger des codes de bonne conduite. Chez Posco, le sidérurgiste, les employés possèdent des
cartons qu'ils peuvent montrer : jaune si ils veulent rentrer tôt à la maison, rouge si ils ne veu-
lent pas boire du tout. Chez Woori Bank, les chefs d’équipes doivent emporter une alarme sur
le lieu des « beuveries » qui retentit à 22h, incitant les employés à rentrer chez eux en utilisant
les transports en commun (qui s’arrêtent vers minuit)35
.
Cependant l’expression Jukja ! signifiant « mourrons » (à comprendre « buvons
jusqu’à la mort ») a la peau dure et boire de manière excessive reste une norme dans beaucoup
d’entreprises sud-coréennes. Et comment dire « non » à un supérieur qui propose une soirée
arrosée, lorsque le « non » coréen est si particulier ?
35
Norimitsu Onishi, New York Times, “As women move in, corporate Korea tries to cut down alcohol”, 10/06/2007
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Page 44 Benoît Di Pascale
b. Dire « Non », autrement
Comme nous l’avons vu dans notre première partie, l’une des caractéristiques de la
communication en Corée est l’aspect indirect de l’adresse à l’interlocuteur, particulièrement
lorsqu’elle prend place entre un jeune et un aîné. Dans le monde du travail, on retrouve non
seulement l’aspect indirect lors d’une adresse aux niveaux hiérarchiquement supérieurs, mais
aussi dans la manière de formuler une opinion, une idée, une suggestion, une remarque, qui se
caractérise principalement par l’absence de la formulation directe du « non ». D’un point de
vue occidental, le message coréen (dans le cas où l’on s’affranchirait de la barrière linguis-
tique) est généralement perçu comme « vague ».
Ce qu’il faut entendre tout d’abord, c’est qu’il existe bel et bien des moyens de parler
de manière directe et de formuler un refus ou un désaccord dans la langue coréenne. Rien en
coréen n’empêche l’émetteur d’un message d’exprimer son refus ou son opinion de manière
tout aussi frontale qu’un Français ou un Anglais pourraient le faire dans sa propre langue.
Ainsi, dans un contexte professionnel, si les Coréens refusent de dire non, c’est qu’ils le choi-
sissent de leur plein gré. Le caractère indirect et « vague » de la communication est ici large-
ment imputable à la culture, qui s’exprime dans le refus de décevoir la partie adverse et de
perdre ainsi la face. Cette culture du « sauvetage de face » (« face-saving » dans la littérature
anglo-saxonne) ainsi que le très fort sens de la honte sont des éléments constitutifs de la cul-
ture coréenne. Ce sens de la honte serait lié au fort collectivisme coréen, qui entraine un com-
portement de l’individu orienté vers la satisfaction du groupe plutôt que la sienne. L’individu
« intégré » en Corée agit donc en juste accord avec la façon dont les membres du groupe at-
tendent de le voir se comporter plutôt qu’en fonction de sa détermination propre et indivi-
duelle. C’est ce type de comportement qui serait à l’origine de la culture du « face-saving »
(Lee Z. N., 1999). Si l’on peut veut sauver la face, c’est qu’on veut la maintenir pour éviter de
la perdre. Comme le montrent ces expressions, la « face » est une sorte de masque (on peut
maintenir le masque tout comme il peut nous tomber du visage), que l’on met par-dessus sa
propre personnalité dans le but d’éviter de choquer les membres du groupe et de montrer les
traits polis et lissés que ces mêmes membres désirent percevoir. Martine Prost, professeure de
coréen à l’institut des langues et civilisations orientales (Inalco) écrit en 2010 dans son
« Scènes de vie en Corée » : « Les Coréens sont particulièrement soucieux du regard des
autres et de l’image qu’ils donnent à voir (…). Suivre les mouvements de la mode tient de
l’obligation sociale. On s’applique à épouser un style qui réponde aux tendances du moment
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et aux exigences de la communauté dans laquelle on vit ». Cette attention perpétuelle accor-
dée à l’image se traduit dans les chiffres de la chirurgie esthétique qui seraient les plus hauts
au monde en Corée : 74 interventions pour 10 000 habitants et par an36
(le Brésil est deuxième
avec 55 interventions).
Le sens de la honte est le plus fort quand il s’agit d’affaire familiale, et lorsque par
exemple, un scandale touche le membre d’une famille, la perte de la face peut aller jusqu’au
suicide de l’individu concerné. On se souviendra bien entendu du suicide de l’ancien prési-
dent coréen Roh Moo-hyun (en place de 2004 à 2008), éclaboussé par un scandale de pots-de-
vin qu’aurait acceptés sa femme pendant son mandat. La Corée a à ce titre le taux de suicide
le plus haut des pays de l’OCDE37
. Haring (1956) appelle d’ailleurs les cultures orientales des
cultures de « la honte », et les cultures occidentales cultures de « la culpabilité ». Ces notions,
si elles peuvent sembler approchantes, se différencient en réalité par le fait que la culpabilité
est un sentiment ressenti après que l’on ait réalisé que l’on a fait quelque chose de mal alors
que la honte se ressent quand on réalise que l’on est pas à la hauteur de ce que l’on prétend
être (Lee Z.N., 1999) et donc de ce que les autres attendent de nous, ce qui fait donc de la
honte une problématique de perception interpersonnelle de première importance dans une
société collectiviste.
Dans les situations professionnelles aussi, les Coréens vont tenter de manière perma-
nente de faire correspondre les attentes de la partie adverse avec leur image. Lors d’une négo-
ciation, se retrouver face à des clients et leur refuser frontalement de concéder à l’une de leur
demande peut très vite amener de fâcheuses conséquences. Karine Do, stagiaire depuis
quelques mois chez Asiance, agence marketing web franco-coréenne raconte ses déboires
avec sa supérieure : « Souvent notre chef d’équipe fait des promesses au client que nous ne
pouvons pas tenir, ce qui occasionne de nombreux conflits dans l’équipe. » La perception
interculturelle est ici bien entendu source de conflit puisque la chef d’équipe a probablement
lors de la rencontre usé d’une série de procédés tout à fait complexe et inexistant en français
pour faire comprendre à ses clients qu’une chose ou l’autre allait peut être « être difficile », ou
« prendrait du temps » (ces traductions ne sauraient rendre toute la complexité de la formula-
tion en coréen). Si ces formulations n’écartent pas la possibilité d’une réalisation, le client
36
http://www.asianplasticsurgeryguide.com/news10-2/081003_south-korea-highest.html 37
The Economist, “Suicide in South Korea”, 08/07/2010
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coréen avec son nunchi, le tact et la vivacité d’esprit que nous avons déjà décrit, a lui tout à
fait compris que cela serait impossible. Il existe en réalité entre Coréens un contrat tacite gé-
néral sur l’impossibilité du « non » frontal. Cette impossibilité de dire non a entraîné la forma-
tion d’une multitude d’expressions permettant de faire comprendre de manière indirecte le
refus sans pour autant le formuler de manière littérale. Une formulation particulière qui pour-
rait, d’un regard non avisé, faire figure « d’excuse » n’en est pas tout à fait une, pas plus
qu’elle n’est mensonge, mais un message codé qui ne peut être décrypté qu’en acquérant la
capacité de voir à travers tous ces écrans de fumée recouvrant le « non », le nunchi, essentiel
donc pour appréhender les messages dans un contexte professionnel.
À y regarder de plus près, le même cryptage existe pour le « oui ». En Corée, la volon-
té de maintenir l’harmonie sociale est très forte, comme c’est le cas dans la plupart des socié-
tés collectivistes (Hofstede G., 2001). Ainsi, exprimer sa considération et son envie sincère de
faire quelque chose « ensemble » de manière relativement engagée peut en réalité être la
simple expression de la volonté de former un lien amical et fort entre deux parties.
De nombreuses fois, j’ai moi-même pu faire les frais de cette caractéristique culturelle
et communicationnelle. En effet promis à l’embauche par deux fois pour des stages en entre-
prise coréenne, les choses ne se sont pas concrétisées. Un oui doit donc parfois être décodé en
« J’ai très envie de faire quelque chose avec vous et je vous signale mon approbation pour que
vous vous sentiez bien, mais cela sera probablement impossible pour diverses raisons ». Un
codage encore plus complexe à décrypter qu’une « excuse » pour un « non » puisque nous
avons dans ce cas une formulation frontale de l’accord et peu de signes pour déceler l’envers
du « oui ».
En réalité, tout cela est également difficile pour les Coréens eux-mêmes. C’est pour
cela que le nunchi est une qualité très prisée : tout le monde ne l’a pas, ou plutôt tout le monde
en possède un à vitesse plus ou moins élevée (pour reprendre l’idiome coréen, on dit en effet
« avoir un nunchi rapide »).
c. Une norme : l’effort et la souffrance
Le fort collectivisme organisationnel, l’esprit familial du groupe-entreprise ainsi que la
régulation culturelle tacite et non légale du monde professionnel ont entrainé en Corée la for-
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mation d’une culture de dévotion réciproque entre l’entreprise et l’employé (Shin Y.K., 1993).
Très régulièrement, lorsqu’on parle du monde du travail coréen, souvent par glissement avec
ce que l’on connaît de la culture organisationnelle du Japon, il est vrai approchante, on pense
à ces employés se sacrifiant totalement, travaillant de nombreuses heures supplémentaires
dans des conditions de repos minimales et dormant parfois sur les lieux même de l’entreprise.
Cela correspond en effet à une certaine réalité en Corée. En 2010, la Corée affichait les heures
de travail les plus élevées au monde : 2193 heures par personne et par an (la France, pour
2009, en affichait 1554, soit 70,8% de moins que la Corée)38
.
Cette culture de la dévotion, c’est aussi la croyance et même parfois la recherche d’une
certaine souffrance, ou douleur dans le travail. Il est en effet parfois insuffisant pour les Co-
réens d’obtenir une satisfaction via les louanges des supérieurs. Ressentir de la douleur après
ou pendant l’accomplissement d’une tâche, c’est le signe que le travail a été fait avec cœur,
ardeur et qu’il est de la qualité la plus totale possible. La langue coréenne peut à nouveau
nous apporter un éclairage. En effet, la douleur est présente dans de nombreuses expressions
visant à congratuler quelqu’un, à une employée dans une banque (ou dans n’importe quel
autre service) on dira ainsi sugo hashyeosseumnida, « merci pour votre effort ». On entend
aussi souvent kosaeng haesso la plupart du temps d’un supérieur à son subordonné. Cela si-
gnifie « tu as souffert ». Le mot kosaeng, signifiant littéralement tracas, peine est formé à par-
tir du caractère sino-coréen苦 (go ou ko), que l’on retrouve également dans sugo signifiant
tourment. Nous sommes donc bien dans le champ lexical de l’effort et très proche de celui de
la souffrance. Entre employés de même rang, on trouve même l’expression familière kae-
kosaeng. Kae signifie « chien » formant une expression que l’on pourrait traduire par une
peine, une douleur de chien. De plus, allié à la culture du ppalli ppalli, on obtient un cocktail
détonant : les choses doivent non seulement être faites avec ardeur, mais aussi très rapide-
ment ! Dinesh Blanvillain (Franco-coréen, Technical & Sales Engineer, Gravotech Group
Korea) illustre ce point : « La dynamique de vie professionnelle et personnelle en Corée est
tellement rapide et changeante qu’il y a toujours des imprévus. Par exemple, lorsque le client
a besoin d’un support technique et qu’il n’arrive pas à résoudre un problème, même en lui
expliquant au téléphone, on ne planifie pas un rendez-vous pour lui rendre visite à telle ou
telle date, on y va immédiatement. »
38
Source OCDE http://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=ANHRS
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L’autre raison pour la survenance de cette tendance au travail, c’est la compétition.
Marie Evelyn Frenette (Canadienne, Unicess Group), commente : « Avec une population aus-
si concentrée [à Séoul], la compétition est rude. Si vous ne voulez pas travailler, la personne
suivante dans la file prendra votre place. Pour cette raison, les employés veulent être perçus
comme travaillant dur (longtemps), et essayent de maintenir la meilleure relation possible
avec leur supérieur (en gardant souvent leurs préoccupations secrètes). Surtout dans les petites
structures, les heures supplémentaires sont souvent considérées comme nécessaires et sont
souvent non payées, malgré de récents changements dans la loi. »
Comme je l’ai observé, cette culture de la souffrance peut servir aussi à se rattraper
d’une erreur et même parfois, de subterfuge pour dissimuler une certaine incompétence. En
effet, le conflit direct étant souvent évité en Corée (soit on attend les soirées alcoolisées pour
en parler, soit on essaye tant bien que mal de l’oublier), se racheter d’une erreur dont on a pris
conscience peut aussi passer par un esprit volontariste et l’ostentation de sa souffrance et de
son ardeur à la tâche. Aussi, un bon bougre peut se faire apprécier en faisant montre de ce
même esprit sans pour autant faire preuve chaque jour de résultats probants dans son travail.
Ces deux éléments nous montrent que la culture de l’effort et de la douleur est une norme gé-
néralement acceptée par le monde du travail coréen, les remontrances prenant toujours plus
rapidement fin si l’on a montré son ardeur. Souffrir est la preuve que l’on a fait tout son pos-
sible pour arriver au meilleur résultat possible, qui est une véritable obsession chez les Co-
réens. C’est donc essentiellement de perception qu’il s’agit. Philippe Jourdain (français,
Hyundai-Kia Motors) commente : « La réalité est que de nombreux Coréens restent plus long-
temps que d'autres au bureau de peur que leur chef ait une mauvaise opinion d'eux s'ils se
permettent de partir « à l'heure ». Oui, car ici, partir à l'heure est mal vu. Il faut souvent en
faire davantage, se dépasser, et prouver sa loyauté à l'entreprise. Malgré tout, les études ont
prouvé que les Coréens sont parmi les moins productifs. » En effet, selon l’institut américain
The Conference Board, sur 39 pays étudiés, la Corée du Sud occupait en 2009 le 29e rang
mondial des pays en termes de productivité par heure travaillée avec 27$ de valeur produite
par heure et par personne. A titre de comparaison, la Norvège est première du classement avec
76.8$ et la France 6e avec 54.7$…
Laura Di Nucci (italienne, freelancer RP et Marketing) a été très surprise de constater
cette culture : « De mon expérience, la qualité du travail importe moins que l’importance de
l’image d’être « en train de travailler ». En Occident, on travaille un nombre défini d’heures et
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 49 Benoît Di Pascale
on se concentre sur ce qu’on a à faire, alors qu’en Corée, vu qu’on ne sait pas quand on aura
le droit de rentrer chez soi, le travail est moins concentré. Ils utilisent souvent leur ordinateur
pour faire autre chose et dorment même parfois sur leur bureau ! »
d. Réduction de l’incertitude et désir de maximisation
Selon Hofstede, l’un des autres éléments les plus constitutifs d’une culture est la rela-
tion que celle-ci a à l’incertitude et ce qui est entrepris pour la réduire. Cet axe s’intéresse à la
relation qu’ont les membres d’une société avec le fait que le futur est imprévisible et ne peut
être connu. Cette réalité, profondément anxiogène, amène à deux réactions différentes : un
désir de contrôler le futur, ou une attitude fataliste d’acceptation. Hofstede crée un score, le
UAI (Uncertainty Avoidance Index), qui mesure « l’intensité avec laquelle les membres d’une
culture se sentent menacés par des situations inconnues ou ambiguës, et le nombre de
croyances et d’institutions créées pour remédier à cette incertitude ».
Dans son étude, Hofstede attribue un score de 85 à la Corée, soit le score d’une société
cherchant de manière forte à pallier à l’incertitude du futur. En réalité d’autres pays, notam-
ment européens ont eux aussi des scores d’UAI élevés, notamment la France, situés juste au-
dessus de la Corée avec un score de 86. Mais le contexte culturel coréen amplifie le phéno-
mène dans un contexte professionnel. En effet dans l’entreprise coréenne, cette volonté cons-
tante d’écarter l’incertitude se mélange avec divers aspects sociétaux que nous avons déjà
définis. Premièrement, la distance au pouvoir, l’aspect ultrahiérarchique de la société et de
l’entreprise coréenne, le volontarisme et la culture de l’effort particulièrement porté par les
plus jeunes employés fournit une pléthore de moyen humain pour réduire cette incertitude. En
d’autres termes, en cas d’incertitude, il suffit de déléguer « aux petites mains » pour « être sûr
que ». Le désir de oir l’incertitude réduite à néant est si fort qu’il prend souvent le pas sur la
réflexion utilitariste de la tâche dans la pondération de la délégation de l’ordre. En d’autres
termes, on délègue, et ensuite on réfléchit. J’aurais l’occasion de narrer une anecdote person-
nelle illustrant ce propos, mais je garde cela pour notre troisième partie, puisqu’il s’agira aussi
de réfléchir sous l’angle de la réaction à adopter pour notre nouveau migrant dans ce genre de
situation.
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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Page 50 Benoît Di Pascale
La réduction de l’incertitude s’exprime aussi dans la manière dont les problèmes sont
résolus. Ainsi, pour atteindre un résultat, et en supposant que trois solutions ou trois « che-
mins » A, B et C existent, la plupart des Européens, en particulier les Allemands et les Fran-
çais ayant respectivement des scores UAI fort (86) et assez fort (65), portent leur attention sur
la phase analytique : quelle solution choisir pour arriver au résultat ? Les Coréens eux, étant
obsédés par la recherche du meilleur résultat possible, ont une approche beaucoup plus pra-
tique des problèmes. La réduction de l’incertitude va donc dans un contexte coréen non pas se
focaliser sur la phase analytique (même si celle-ci existe évidemment), mais sur la résolution
pratique du problème. Cela entraîne non pas le choix d’une solution, mais le non-choix ! En
tout cas dans un premier temps. Si on finira effectivement par faire un choix, ce n’est pas sans
être entré dans le processus de résolution des trois chemins disponibles ! Encore une fois j’ai
vécu cela de manière pratique lors de mes expériences professionnelles avec les Coréens, no-
tamment lors du tournage d’un film coréen au Royaume-Uni, terre inconnue des Coréens, ce
qui a d’autant renforcé le désir de réduction de l’incertitude. Pour ce qui était de la planifica-
tion immédiate, j’étais souvent dans l’incapacité d’informer mes collègues britanniques sur le
tournant immédiat que prenaient les choses. En effet, à quoi bon leur expliquer que nous pre-
nions le chemin A, alors que j’étais à peu près certain que nous passerons au chemin de réso-
lution B dans quelques minutes !
Kim Ye-jin (coréenne, interprète freelance spécialisé dans les évènements cinéma)
confirme ce commentaire par une anecdote : « Je côtoie souvent des journalistes, et c’est chez
eux que cette culture est la plus présente. Rien ne semble leur être impossible. Pour l’avant-
première de Tintin, le film de Steven Spielberg, à Bruxelles, ils ont invité des journalistes du
monde entier à Paris. Dans le Thalys pour la Belgique, seuls les journalistes coréens ont posé
problème ! Il y avait un compartiment réservé à l’équipe du film dont l’entrée était interdite
aux journalistes. Malgré les interdictions des attachés de presse, les journalistes coréens ont
débarqué avec leur caméra à l’entrée du wagon. Après s’être vu refuser l’entrée, ils repartent.
Trente minutes après, ils reviennent ! L’attaché de presse, abasourdi, leur répète : « Mais j’ai
pourtant été clair, je vous ai dit que ce n’était pas possible d’interviewer Steven Spielberg ».
Ils repartent, pour revenir trente minutes après, essayant une nouvelle fois de négocier ! ». Cet
exemple nous montre le désir de maximisation du résultat, qui est dans ce contexte était bien
sûr également lié à la culture de l’effort (besoin de faire montre de son volontarisme au tra-
vail).
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 51 Benoît Di Pascale
Alors que nous commençons à nous diriger de manière de plus en plus franche d’une
réponse à notre question de recherche, il nous faut passer à notre troisième et dernière partie.
Hypothèses
Maintenant que nous avons dressé un schéma des aspects organisationnels et pratiques
de l’entreprise coréenne, nous pouvons nous permettre d’esquisser des hypothèses que nous
chercherons à vérifier dans notre dernière partie
o Il s’agit tout d’abord de s’intéresser d’encore plus prêt à la pertinence du cadre défini.
L’hypothèse est que la Corée du fait de son histoire, de sa longue autarcie et de sa cul-
ture a aujourd’hui un certain besoin d’étrangers dans ses entreprises, et que le pays
pourrait être une terre riche d’opportunité pour le travailleur étranger.
o Dans le contexte ultracollectiviste coréen, l’intégration est un questionnement essen-
tiel. L’hypothèse est que du fait d’une grande variété de facteurs (rareté des étrangers,
pays monolingue, fierté de faire montre du particularisme de leur pays de la part des
Coréens aux étrangers), l’intégration peut apporter de très nombreux fruits.
o La particularité voire l’opposition qui existe entre les systèmes organisationnels et
communicationnels des entreprises coréennes et occidentales rend l’intégration diffi-
cile.
o Aussi si l’intégration totale peut apporter de nombreux fruits, elle peut aussi être un
danger, s’intégrer totalement signifiant subir de la même manière que les Coréens la
pression hiérarchique, les cadences de travail… bref, les mêmes inconvénients.
L’hypothèse est que l’intégration partielle peut être un choix beaucoup plus adapté
que l’intégration totale.
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 52 Benoît Di Pascale
CHAPITRE III : L'intégration :
une problématique de perception
I. Un contexte favorable, des regards changeants
a. Un cadre dynamique et (relativement) propice
En 2011, le rapport McKinsey montre que l’internet contribue à hauteur 25% à la
croissance française39
. Qu’en est-il en Corée ? Les chiffres sont difficiles à dénicher, mais de
toute évidence avec le réseau Internet le plus « ppalli ppalli » au monde (4 fois plus rapide
que celui des États-Unis40
) offre dans le contexte ultraconnecté actuel, un pays de premier
choix pour les investisseurs et les travailleurs étrangers.
Quelques éclaircissements internationaux sur la Corée à l’heure des toutes-puissantes
nouvelles technologies :
- Dès le début des années 2000, l’OCDE a reconnu la Corée en tant que leader mondial
des technologies liées à l’Internet et la recommandée pour le benchmarking41
.
- Le Wall Street Journal a reporté que la Corée était le leader mondial pour l’utilisation
de l’Internet tant en quantité qu’en qualité.
- La chambre des représentants des États-Unis d’Amérique (U.S House of Representa-
tives) a pris plusieurs mesures légales pour renforcer les stratégies gouvernementales
visant à développer les infrastructures de l’Internet en prenant pour exemple la Corée42
.
Un succès reconnu à l’initiative du gouvernement coréen. En effet, comme l’a reconnu le
« Gartner Group », la principale raison de l’accès de la Corée à la première place des techno-
logies de l’internet mondial a été le rôle du gouvernement dans la création d’un environne-
39
Cyrille Chausson, « Internet, 25 % de la croissance en France, selon McKinsey », LeMagIt, 09/03/2011 40
John D. Sutter, CNN, “Why Internet connections are fastest in South Korea”, 31/03/2010 41
http://www.oecd.org/pdf/M00020000IM00020255.pdf 42
The Internet freedom and broadband deployment act, http://energycommerce.house.gov
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 53 Benoît Di Pascale
ment concurrentiel favorable43
. En 2010, le pays a été classé premier dans le classement des
192 nations ayant le meilleur « e-gouvernement » par l’ONU44
.
Au-delà du simple ppalli ppalli, les évènements historiques dont la Corée a été le
théâtre depuis le début du XXe siècle ont donné naissance à une société dont la culture est
totalement orientée vers le futur. Quelques mois de vie séoulite et l’on se rend rapidement
compte d’une chose : c’est une ville qui est non seulement en perpétuelle construction, mais
aussi en perpétuelle destruction. Les grues sont omniprésentes, et pas seulement en périphérie,
on construit pour étendre la ville, mais on en réinvente aussi perpétuellement le centre, où l’on
détruit des bâtiments pas toujours très anciens pour construire, plus grand, plus beau et surtout
plus moderne. Les Coréens n’ont pas peur de détruire pour mieux reconstruire et c’est là que
réside l’un des traits culturels caractéristiques de la Corée moderne : « new is better ». Si
l’Europe possède des capitales à l’architecture pluricentenaire, c’est aussi parce que le passé y
est une fierté. De cette fierté est née une culture de l’immuabilité positive, « before was bet-
ter ». Notre rapport au temps et en particulier la dichotomie « past-oriented » et « future-
oriented » influence grandement nos sociétés et l’accueil que peuvent faire ses habitants de la
nouveauté. En Corée, le passé étant principalement lié à des souffrances survenues en partie à
cause du refus du progrès comme nous l’avons expliqué auparavant, le « plus jamais ça » co-
réen revêt un aspect tout particulier puisqu’il passe par la négation du passé et l’embrassement
total du futur. Aussi il n’a jamais été essentiel pour les différents dirigeants de la ville de
Séoul de l’inscrire dans une quelconque logique architecturale héritée du passé (comme cela
peut être le cas pour les capitales européennes) : moderniser d’abord, l’harmonie viendra en-
suite.
Le fossé d’adoption technologique et culturel entre les différentes générations est ex-
trêmement peu présent en comparaison à l’Europe. En voyage en Corée, des images uniques
surprendront l’œil occidental : une grand-mère septuagénaire sortant son téléphone portable
pour écrire un SMS, un grand-père dansant au rythme de reprise hip-hop ou rock de clas-
siques de la variété coréenne (comme on peut le voir régulièrement dans le public de
l’émission « I am a singer » diffusé tous les dimanche soir sur la chaine MBC45
)… Les mou-
vements « d’anti » face à de nouvelles modes comme on a pu le voir il y a quelques années en
43
South Korea: IT services overview, Gartner Group. 44
LI Xing, China Daily, “S. Korea has best "e-government", 14/01/2010 45
http://www.imbc.com/broad/tv/ent/sundaynight
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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Page 54 Benoît Di Pascale
France à l’époque des boys band ou de la téléréalité (on se souvient de ces scènes ou des ma-
nifestants jetaient des ordures à l’entrée des grandes chaines de télévision pour protester
contre la « télé poubelle »), sont inexistants en Corée. Le nouveau n’y suscite jamais la peur
de la régression.
Cela fait de la Corée un pays particulièrement intéressant et à considérer tout particu-
lièrement pour les jeunes diplômés occidentaux. « A place to be », un pays où tout peut arri-
ver, car tout y arrive en premier : de nombreuses technologies y naissent (la Corée a depuis
2007 dépassé la France au classement des pays déposant le plus de brevets, dressé par l’OMPI,
l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, et est en 2010 le 5e pays au monde dé-
posant le plus de brevet avec une augmentation du nombre de dépôts de +20.5% par rapport à
201046
), mais surtout, et c’est pour cela que je cherchais tout particulièrement à appuyer
l’aspect culturel dans mon explication, de nombreuses technologies y sont adoptées par la
population plus vite que n’importe où ailleurs.
Cela vaut pour de nombreux secteurs, au-delà même de celui des nouvelles technolo-
gies. La Corée se réveille en effet de tout son corps, les industries lourdes y sont omnipré-
sentes, POSCO, basé à Pohang dans l’est du pays est le troisième producteur mondial d’acier
en valeur et le plus bénéficiaire d’Asie47
, la Corée est le premier constructeur naval au
monde48
et le cinquième en ce qui concerne l’industrie automobile49
. Culturellement, la Corée
n’est pas non plus en reste, avec l’un des cinémas les plus novateurs, bouillonnants et même
« hallucinants » de la planète50
, récompensé de nombreuses fois dans les festivals internatio-
naux ces dernières années. Elle exporte également sa pop culture depuis quelques années,
comme nous l’évoquions en introduction. Une visibilité grandissante sur la scène mondiale
qui n’a pas tardé à attirer les étrangers. Ils étaient 1 168 477 en 2009, ce qui représente une
hausse de +55% par rapport à 200451
et de +133% par rapport à 200052
.
46
http://www.wipo.int/pressroom/en/articles/2011/article_0004.html 47
Source : Bloomberg.com 48
AFP, « Corée du Sud: Premier constructeur naval », 29/06/2010 49
"Production Statistics", OICA (Organisation Internationale des Constructeurs d’Automobiles), 04/07/2011 50
Voir « Séoul cinéma: les origines du nouveau cinéma coréen », Adrien Gombeaud, paru aux éditions L’Hamarttan. 51
Source Korean Immigration Service (KIS) 52
The Chosun Ilbo, “Foreign Residents Exceeds 500,000", 31/10/2000
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 55 Benoît Di Pascale
Peu à peu la prise de conscience de l’importance d’attirer les investissements étrangers
s’est propagée à un niveau étatique. En témoigne la signature du traité de libre-échange avec
l’Union européenne en 2010. Si cela va rapidement se traduire par l’installation de bureaux
d’entreprises européennes en Corée, et donc l’arrivée de nombreux étrangers qui devront tra-
vailler avec des Coréens, les entreprises coréennes elles aussi prennent progressivement cons-
cience de l’apport que pourrait être un étranger dans leurs équipes. En particulier, de nom-
breux observateurs relèvent régulièrement le manque de créativité des employés coréens, une
qualité pourtant indispensable dans de nombreux secteurs. Ce manque de créativité est en fait
hérité d’un système éducatif qui laisse peu de place à la subjectivité. Keith Eckerling, conseil-
ler à la Korea International School commente : « Malgré leur grande motivation et leur réus-
site académique, les étudiants coréens ne sont pas bien entraînés à raisonner de manière créa-
tive et indépendante. Comparés aux étudiants américains, ils ont un grand manque de sens
critique. On le voit bien en mathématiques, beaucoup d’étudiants coréens sont parmi les meil-
leurs mondiaux, mais leur manque de compétence en anglais ainsi que leur méthode de mé-
morisation par le par cœur les pénalisent fortement dès qu’il s’agit de mots. »53
Karine Do, elle, a passé un semestre entier à Korea University, l’une des meilleures
universités séoulites et l’une des plus réputées : « Notre examen final consistait en un texte à
trous que nous avions étudié en classe auparavant. Il suffisait d’avoir appris par cœur ce texte,
de venir à l’examen, et de remplir les cases. Pour le correcteur, il n’y a aucune espèce de
moyen de vérifier que l’étudiant a réellement assimilé et compris les concepts abordés par le
texte ».
En effet, dans un pays aux ressources naturelles réduites, l’éducation a concentré ses
efforts à créer des travailleurs rodés pour les calculs et la création de technologie de pointe.
Aussi Samsung s’est toujours fait connaître non pas pour l’ergonomie de ses produits, mais
pour leur technologie, et le géant a beaucoup souffert de l’arrivée d’Apple sur le marché de la
téléphonie mobile, industrie où l’ergonomie (que seule la créativité des employés peut déve-
lopper) est une caractéristique tout à fait essentielle.
Romain Diboine, français récemment installé à Séoul est designer pour SAQ Design,
une agence spécialisée dans le design produit. Il commente « J’ai toujours été surpris par le
53
Kang Shin-woo, The Korea Times, “Korean Students Lack Creativity”, 05/06/2007
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 56 Benoît Di Pascale
niveau de qualité des produits finaux qu’on conçoit ici, ainsi que la vitesse et l’efficacité de
leur réalisation. Pourtant je suis parfois assez choqué de voir un gros manque de créativité de
la part des designers. Un manque corroboré par une société conformiste où on suit plus les
tendances qu’on ne les crée, un fait fatalement négatif dans un milieu comme celui dans le-
quel les designers évoluent. »
Ce trait est très souvent ressorti lors de mes différentes entrevues. Il découle en fait de
la concentration paternaliste du pouvoir, l’initiative décisionnelle étant concentré dans les
hautes sphères hiérarchiques, le reste de l’entreprise n’est jamais censé « initier », en d’autres
termes, créer. Ainsi certains milieux à fort besoin créatif recrutent de plus en plus d’étrangers.
Preuve de cette tendance, la présence de très nombreux professeurs étrangers, dans les écoles
et centres de formation des chaebols, comme c’est le cas dans la Samsung Digital City, situé à
Suwon, près de Séoul.
Karine Do travaille aujourd’hui pour Asiance, une agence Web Marketing où la créa-
tivité est indispensable. Elle témoigne de la facilité d’obtention de son poste : « J'ai obtenu
mon poste actuel après avoir envoyé trois lettres de motivation seulement... »
De plus la Corée reste un pays très faiblement anglophone, et ce malgré l’obsession
pour l’apprentissage de la langue anglaise (les parents des jeunes Coréens dépensent des for-
tunes pour leur payer des cours supplémentaires dans des instituts privés après l’école). Ce-
pendant les méthodes d’apprentissage, souvent basé sur la répétition et dans l’optique
d’obtenir des scores élevés dans des tests internationaux comme le TOEIC produisent à la
sortie des individus compétents à l’écrit, mais muet dès qu’il s’agit de s’exprimer à l’oral. Les
familles les plus aisées envoient régulièrement leurs enfants en échange universitaire dans des
pays anglophones, et si reviennent souvent des jeunes adultes parlant très bien l’anglais, dans
certains cas, les Coréens préfèreront s’ils le peuvent embaucher des étrangers, la question de
l’image étant très forte en Corée. Le cas des professeurs d’anglais est symptomatique. Il existe
une discrimination importante contre les professeurs asiatiques (Américains de la diaspora
chinoise ou même coréenne, par exemple) postulant à des postes d’enseignant d’anglais (et
qui ressemblent à des Coréens, donc), car pour les Coréens seul un « étranger » peut réelle-
ment maîtriser l’anglais. Si ces individus ne sont pas inclus dans le cadre de notre recherche,
cette observation peut nous permettre de supposer que dans certains contextes professionnels,
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 57 Benoît Di Pascale
on aime aussi avoir un étranger à disposition, car il aura forcément une conception plus
proche d’un client étranger lors d’une négociation, par exemple, qu’un coréen ne pourra ja-
mais l’avoir (c’est en tout cas ce dont persuadés beaucoup de Coréens). Aussi, Philippe Jour-
dain (français, Hyundai-Kia Motors) commente : « Il arrive que l'on soit « jalousé » par
d'autres employés qui sont souvent plus âgés que nous, a un niveau hiérarchique plus bas, et
pour qui créer l'impact avec un rapport ou une présentation est souvent plus difficile, car ils ne
bénéficient pas de l'image plus ou moins « spéciale » qu'ont les travailleurs étrangers offi-
ciants dans les grands Chaebols coréens ».
Déjà, de grandes entreprises coréennes décident de donner leur chance à des étrangers
à des postes parfois clés. C’est le cas chez LG, où déjà 5 étrangers occupent des postes à haute
responsabilité :
Dermot Boden a quitté Pfizer pour venir diriger le service Marketing.
Tom Linton a été recruté du secteur des semi-conducteurs et est maintenant respon-
sable des acquisitions.
Didier Chenneveau, a quitté HP pour venir diriger le service Supply Chain.
Reginald Bull, issu d’Unilever est maintenant aux Ressources Humaines.
James Shad, a quitté le groupe pharmaceutique suisse Novartis pour venir s’occuper
des relations distributeurs.
Une certaine prise de conscience semble s’installer, le PDG du groupe, Yong Nam, déclare
« C’est souvent dans le débat que les plus grandes idées naissent »54
. A-t-il seulement cons-
cience de la subversité totale de son propos dans un contexte coréen ?
D’autre part, les procédures administratives semblent avoir beaucoup été facilitées
pour les étrangers ces dernières années. Selon Romain Diboine (français, SAQ Design) :
« L’administration coréenne est bluffante en termes de rapidité et d’efficacité ! Il a fallu à
peine 10 jours pour effectuer les démarches et recevoir tous les documents nécessaires à ma
future embauche (visa longue durée, permis de travail, assurance…).»
Cette rapidité est révélatrice de l’énergie bouillonnante du pays, qui a séduit Nicolas
Piccato (franco-italien, PDG de Panda Media, filière de TV5 Monde). Après un premier sé-
jour en Corée, il est parti s’installer au Mexique, mais, comme il le dit : « L'énergie construc-
54
Jae-Hyun Kim, Business Week, “The Foreigners at the Top of LG”, 11/12/2008
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tive (« c'est là que ça se passe ») du pays me manquait. Il se trouvait qu'un poste se libérait et
je répondais aux conditions. »
Ainsi, notre première hypothèse selon laquelle la Corée est à la fois une terre
d’opportunité et un pays qui a besoin de travailleur étranger à haute compétence se trouve
vérifier. La créativité manquant souvent dans les entreprises écrasées par la pression hiérar-
chique et le fort monolinguisme des Coréens font de l’étranger un atout non négligeable dans
de nombreux milieux professionnels coréens.
b. L’étranger en Corée, une figure longtemps monstrueuse
En 1894, Maurice Courant écrit dans sa « Bibliographie Coréenne » : « […] la Co-
rée, surtout depuis quelques siècles, n'a eu de rapports avec l'étranger que pour être pillée et
asservie ; elle a vécu en elle-même, ses forces d'invention n'ont pas dépassé ses frontières
[…] ». Au XVIII et XIXe siècle, les « barbares » occidentaux de visite en Corée, lorsque cela
n'a pas de vocation diplomatique, sont souvent arrêtés, emprisonnés, voire exécutés. Félix-
Clair Ridel (1830-1884) part une première fois en mission étrangère chrétienne en Corée en
1860, sur les 12 missionnaires, 9 seront exécutés. En 1866, sur ordre de sa hiérarchie qui
craint d’autres exécutions, il doit rejoindre Shanghai. Il sera sacré vicaire apostolique de Co-
rée en 1870, et s’installe en Mandchourie près de la frontière coréenne, qu’il traverse clandes-
tinement en 1877. Il sera arrêté à Séoul en janvier 1878 et restera en prison jusqu’en juin 1879
(la Chine et le Japon interviennent pour le faire libérer). Si l’étranger est si craint à cette
époque, c’est que les Coréens ont peur. Comme le dit Courant, le contact avec l’étranger s’est
jusqu’alors systématiquement terminé en larmes et en souffrances. On craint l’étranger (et
surtout la colonisation, à raison, mais elle viendra d’un voisin beaucoup plus proche), en tant
que tout, et aussi bien sûr individuellement (je superpose d’ailleurs volontairement les deux
entités durant tout le reste du paragraphe). Il est cet être inconnu, monstrueux, difforme, car
différent.
Aujourd’hui, il est amusant de prendre ces livres d’anglais coréen pour enfant, ou
même ces livres de coréen destiné aux étrangers et d’y observer la manière dont les étrangers
y sont représentés dans les illustrations. Souvent l’étranger est ainsi américain, grand, blond
le visage élancé et prognathe, il s’appelle James ou Michael. Cette représentation, la Corée se
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
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la fait des contacts avec les étrangers présents sur place. Il y a les GI en stationnement bien
sûr, mais aussi des professeurs d’anglais venus tenter leur chance dans le pays développé of-
frant peut-être les meilleurs avantages pour eux (logement gracieux, salaire). Certains vien-
nent d’ailleurs souvent d’autres pays, mais ils sont souvent inclus dans le grand tout que les
Coréens appellent les wegukin. We signifie en coréen « en dehors », guk signifie « pays » et in
signifie « personne ». Wegukin signifie ainsi « personne des pays du dehors ». Ils sont l’autre,
l’ailleurs, l’inconnu. Ils ne sont pas coréens et ne font pas partie du groupe Corée, et c’est de
cette manière qu’on les identifie quelle que soit leur nationalité. Aussi, on attendra d’un
étranger, de quelque pays que ce soit qu’il comprenne indifféremment la culture des autres
pays de ce « groupe-étranger ». Cette représentation de l’étranger s’explique par plusieurs
raisons. Tout d’abord, la méconnaissance évidente des Coréens de l’étranger. Comme nous
l’avons dit, depuis les années 60, la Corée a été très occupée à retrouver sa propre histoire
pour retrouver son identité et sa fierté nationale bafouée par 40 ans de colonisation japonaise.
Peu de progrès ont été faits durant cette période pour mieux comprendre l’étranger. L’étranger
est resté ainsi quelque chose de lointain, dont le souvenir évoque la crainte, mais aussi pour
lequel on éprouve une grande envie d’ostentation. Plaire à l’étranger, lui montrer qu’on est
égal ou supérieur à lui, et pas inférieur comme il le pense (et il y a parfois effectivement une
méconnaissance et un mépris de la Corée de la part des Occidentaux). Ainsi la conception des
Coréens de l’étranger se fait toujours dans le rapport de force. Il y a donc en Corée un étrange
complexe de supériorité face à l’étranger, tout à fait lié à un complexe d’infériorité (en psy-
chologie, ces deux pathologies sont d’ailleurs liées de manière quasi systématique : « je veux
montrer que je suis supérieur, car je me sens inférieur »).
D’autre part, l’étranger est toujours considéré avant tout comme wegukin, mais la po-
pulation occidentale en Corée étant principalement américaine, aussi souvent comme un mi-
gukin, un américain. Or il y a en Corée un certain anti-américanisme lié à plusieurs évène-
ments. Côté économie, la responsabilité des États-Unis dans la crise de 97 a laissé une cer-
taine amertume aux Coréens. Ensuite, l’interventionnisme militaire. Séoul reste encore au-
jourd’hui la seule capitale au monde ayant une base militaire américaine en ses murs. La pré-
sence américaine en Corée est régie par le traité appelé SOFA (Status of Forces Agreement),
signé juste après la guerre de Corée, c'est-à-dire quand les Coréens n’étaient pas en mesure de
discuter. Ce non-contrôle de sa destinée est humiliant pour la Corée et par glissement est per-
çue comme une négation de leur indépendance dans le miracle économique des dernières dé-
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cennies. Des incidents ponctuels ont également entaché l’image des Américains, comme le 13
juin 2002, à Yangju, quand deux lycéennes furent écrasées par un blindé, et les soldats res-
ponsables déclarés innocents par la cour martiale américaine. D’autre part, des affaires de
trafic de stupéfiant initié par certains professeurs d’anglais sont régulièrement couvertes de
manière tout à fait racoleuse dans les médias coréens, preuve qu’il y a dans la population une
crainte et de nombreux préjugés latents.
Les populations que nous avons évoquées n’offrent hélas en général pas aux Coréens
de grandes occasions de compréhension interculturelle d’une part, car elles sont très peu co-
réanophones (et je ne fais ici aucun jugement de valeur, les coréens, sont eux-mêmes très mo-
nolingues, comme ça peut être le cas en Europe pour les Français ou les Italiens). Les
échanges restent ainsi limités aux rares Coréens anglophones ou aux encore plus rares étran-
gers coréanophones.
En Corée, l’étranger reste ainsi très souvent un « aliud », c’est-à-dire un autre total,
presque opposé. Le racisme est donc présent de manière quasi intrinsèque dans la société co-
réenne, comme en témoigne le rapport paru en 2007, lors de la 71e réunion du comité des
Nations unies pour l’élimination des discriminations raciales (UNCERD = United Nation
Committee on the Elimination of Racial Discrimination). Le comité exprima alors son incon-
fort dans la notion très répandue de « pureté du sang » en Corée déclarant que « Le concept
touche très près à la notion de supériorité raciale ». Le comité encouragea le gouvernement
coréen à insister dans les programmes scolaires sur les droits de l’homme et la compréhension
des sociétés ayant des backgrounds cultures et ethniques divers. Il déclara également « Il y a
une peur authentique que la fierté excessive dans l’homogénéité de la nation soit un obstacle
au traitement équitable des étrangers et des personnes appartenant à des races ou à des cul-
tures différentes »55.
En 2002, Marcus Noland, un économiste américain spécialiste de la Corée réalise pour
le Pew Research Center une étude sur la perception d’habitants de différentes nations de leur
propre culture par rapport aux autres. La Corée arrive première du classement, avec 90% des
sujets jugeant que la culture coréenne est supérieure à n’importe quelle autre (voir tableau en
annexe 4).
55
The Choson Ilbo, “UN Concern at 'Ethnocentric' Korea”, 20/08/2007
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
Mémoire de Master
Page 61 Benoît Di Pascale
Cependant, les choses tendent à évoluer. D’une part la télévision exhibe très souvent
des étrangers installés en Corée, mariés à des locaux et coréanophones. C’est-ce qu’on le peut
voir régulièrement dans l’émission minyeodeuleui suda (« Discussion avec les beautés »), ou
des étrangères des quatre coins du monde discutent des différences culturelles entre la Corée
et leur pays natal. Certains deviennent même des stars, comme c’est le cas de la Française Ida
Daussy, longtemps marié à un coréen et mère de deux enfants, qui raconte son expérience
dans son livre « Ida au pays du matin calme », ou encore Bernhard Quandt, directeur de la
Korea Tourist Organization, allemand naturalisé coréen et répondant maintenant au nom de
Lee Cham. D’autre part ce racisme touche plutôt les populations issues des pays pauvres
d’Asie du Sud-Est (Bangladesh, Pakistan, Indonésie, Vietnam) comme nous le montre la
chaîne éducative coréenne EBS dans un reportage comparatif diffusé début 201156, la discri-
mination peut même parfois être positive quand elle concerne, selon Zackary Downey, pro-
fesseur d’anglais dans la ville de Daegu, « les étrangers blancs anglophones. Les Coréens re-
cherchent parfois activement à se faire des amis étrangers de ce type, car cela augmente d’une
certaine manière leur statut social et les fait se sentir importants ».
Marie Evelyn Frenette (canadienne, Unicess Group), confirme : « La première ques-
tion qui se pose, c’est la couleur de la peau. La société coréenne peut être très accommodante
pour les gens ayant une peau claire, et cela peut être moins le cas pour les gens ayant une peau
plus foncée. Cela tend à changer aujourd’hui, la Corée étant en train de s’internationaliser.
Mais je le ressens toujours. »
Cette discrimination positive en reste cependant une, et cette terminologie nous in-
dique bien que le problème de l’intégration n’est pas résolu, bien au contraire.
L’étranger commence ainsi à attirer car il devient accessible, se faisant plus proche des
frontières du groupe Corée. De monstre, il s’humanise, car il se coréanise.
II. Quelle intégration ?
a. Les efforts à concéder, et leurs fruits
56
Voir http://www.youtube.com/watch?v=Ave6yOWKlj4 (Un canadien et un indonésien demandent tour à tour leur chemin dans une grande rue coréenne, si le canadien obtient facilement et même spontanément de l’aide, l’indonésien, quant à lui, est souvent ignoré).
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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Si quelques étrangers mis en avant par les médias ont conquis les Coréens, c’est avant
tout grâce à leur maîtrise de la langue. Ils sont la preuve que la communication, plus particu-
lièrement l’apprentissage de la langue est un point primordial à aborder dans tout questionne-
ment sur l’intégration en Corée.
Apprendre le coréen. Ce sera en effet la Némésis de tout étranger désirant s’intégrer en
Corée, et bien sûr, également dans un contexte professionnel. Comme nous l’avons dit aupa-
ravant, les notions de race, d’ethnie et de nation sont confondues en Corée. Ainsi, pour les
Coréens, seuls les Coréens parlent le coréen. Apprendre le coréen et le parler occasionne dans
la vie quotidienne de l’étranger installé en Corée une multitude d’actes de bienveillance de la
part de la population locale. Lors de mon tout premier stage en tant que stagiaire dans le dé-
partement Marketing de la Gwangyang Free Economic Zone en Corée en 2009, le logement
ne m’était pas fourni. Je logeais dans un motel très moyennement luxueux pendant les pre-
miers jours de mon arrivée. Lors de la deuxième semaine, assistant à un rendez-vous avec un
client directeur d’une entreprise de shipping locale, j’ai pu faire montre de mes capacités en
coréen. Il a désiré me revoir en privé pour prendre un verre (plus d’un, en réalité). Le lende-
main, j’appris par mon supérieur, que le client en question désirait me voir pour me proposer
quelque chose. C’est ainsi qu’après une troisième rencontre, j’obtiens de sa part le logement
gratuit dans un grand appartement non loin de mon lieu de travail. Cette bonté coréenne, le
jeong, dont nous avons déjà parlé est très souvent reportée par les étrangers en Corée, particu-
lièrement ceux qui se montrent curieux de la culture, qui montrent leur appréciation de la
nourriture locale ou essayent de balbutier des mots en coréen. Ce « jeong », apportant étant
essentiel dans le réseautage professionnel, l’apprentissage de la langue et son approfondisse-
ment sont donc des atouts évidents pour tout étranger s’installant en Corée. Nicolas Piccato
(franco-italien, PDG de Panda Media, filière de TV5 Monde), interrogé au sujet des obstacles
à l’intégration souligne cette importance : « La maîtrise de la langue est importante. Et à un
bon niveau. Les arcanes du pouvoir se percent après avec l'expérience, ou l'intelligence, et la
communication est importante. Boire avec les gens pour discuter des problèmes est important
aussi, et sincèrement je doute que quelqu’un qui ne boit pas d'alcool ait autant d'information
que quelqu'un qui accepte quelques verres avec le staff, les chefs, etc. Mais après vient la
langue, et l'absence d'aisance en langue coréenne, dans les occasions de boissons alcoolisées
par exemple, est rédhibitoire. »
Dans les petites entreprises, cela est d’autant plus vrai. Si nous parlions de l’atout créa-
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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tif que peut représenter un travailleur étranger pour une entreprise coréenne, Romain Diboine
(français, SAQ Design) ne saurait être un meilleur exemple. Employé dans une petite agence
du design séoulite, il perçoit lui aussi l’apprentissage de la langue comme une chose tout à fait
indispensable : « Dans le cas d’une agence comme celle où je travaille, l’apprentissage du
coréen est obligatoire, dans le sens où personne ne parle anglais. Très peu ou pas d’agences
comme celle que je fréquente n’emploie d’étrangers à moins que ceux-ci maitrisent le coréen
à un niveau professionnel. » Le plus souvent les efforts n’étant pas concédés par les employés
locaux, il est attendu de manière tout à fait naturelle à l’étranger de concéder à ces efforts.
Romain Diboine (français, SAQ Design) poursuit : « Tous les échanges se font en langue lo-
cale, même si certains documents et la terminologie du design emploient beaucoup de mots
anglais, bien plus que ce que je pensais au départ. Néanmoins, les efforts doivent venir de ma
part. » Et ce malgré une certaine pression ressentie par les employés coréens, comme le re-
marque Marie Evelyn Frenette (Canadienne, Unicess Group) : « Il y a encore de nombreux
Coréens qui se sentent mal à l’aise à l’idée de travailler avec des étrangers. L’idée est que les
étrangers ne peuvent pas s’adapter du fait de barrières culturelles et linguistiques. C’est pour-
quoi les Coréens ressentent une certaine pression assez confuse : parler anglais, agir de ma-
nière plus occidentale, etc. Mais au final, même pour ceux qui disent parler anglais, la vaste
majorité des gens préfèrent parler coréen. Mais lorsque la communication par la langue co-
réenne devient possible, alors au moins une des barrières tombe. Et quand un étranger montre
un désir d’apprendre et de s’adapter, les Coréens le respectent.» J’ai pu moi-même rentrer en
contact avec des professionnels coréens parfaitement bilingues (l’un d’entre eux avait vécu
plus de dix ans aux États-Unis), et malgré le fait que ma maîtrise de l’anglais soit nettement
supérieure à ma maîtrise du coréen, la plupart de nos échanges se faisaient en coréen. D’autre
part, l’importance de montrer de l’intérêt pour la langue et la culture est également commen-
tée par Bernhard Quandt : « La Corée fut une grande surprise pour moi. La culture a été la
première chose à me fasciner. Si vous faites l’effort de comprendre la culture et les gens, les
retours positifs seront nombreux. »57
Dinesh Blanvillain (franco-coréen, Technical & Sales
Engineer, Gravotech Group Korea) confirme : « Les Coréens apprécient beaucoup le fait que
les étrangers s'intéressent à la culture coréenne. Par culture coréenne, je veux bien évidem-
ment dire la langue coréenne. En effet, pour moi une bonne intégration passe par l'apprentis-
sage de la langue et donc par corrélation sa culture et donc l'entreprise. »
57
Cité par Jacqueline Kim, TBS, "Bringing Korea to Foreign Ears: Lee Cham", 23/12/2008
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L’apprentissage de la langue constitue donc un premier pas important vers
l’intégration. Si l’ultracollectivisme coréen rend difficile toute intégration, cette difficulté peut
être contournée au moins partiellement et dans un premier temps par la langue, mais aussi
comme nous l’avons rapidement dit par l’ostentation de l’intérêt pour le pays et sa culture.
Arrivé en Corée en juin 2010 avec une seule et unique personne dans mon réseau de profes-
sionnels dans le domaine de l’industrie cinématographique, j’ai en l’espace d’un peu plus
d’un an participé à trois projets cinématographiques binationaux en Corée de grande enver-
gure, de très grande envergure même pour l’un deux, puisque je faisais partie de l’équipe co-
réenne responsable de la préproduction et de la production des scènes coréennes d’un très
gros blockbuster américain. Ces postes, je n’aurai jamais pu les obtenir sans maîtrise de la
langue et sans mon appréciation souvent ostentée, bien sûr, de la culture coréenne. Aussi, il
faut parfois assumer pleinement le rôle de « bête de foire », car c’est aussi comme cela que de
nombreuses rencontres se font. Comme nous l’avons dit, avoir un ami étranger signifie sou-
vent pour les Coréens une certaine impression d’élévation de leur statut social. Parfois, invité
innocemment à des dîners alcoolisés, il faut savoir aller au-delà du stéréotype et faire preuve
de son intelligence, surtout quand on apprend au milieu du repas l’importance inattendue de la
personne qui se situe en face de vous.
En réalité, il y a souvent de la part des Coréens une surévaluation de la capacité à
comprendre de nombreuses choses de la part d’un étranger maîtrisant la langue, et si je me
suis retrouvé par hasard devant des personnes parfois importantes dans leur milieu respectif
sans que j’aie pu me préparer à cette éventualité, c’est aussi peut-être parce que je n’avais pas
su percevoir « les signes » décelables grâce au nunchi, que nous avons maintes fois évoqué en
est une autre. Marie Frenette (Canadienne, Unicess Group), nous éclaire une nouvelle fois sur
l’importance de cette notion dans un contexte professionnel : « Même quand on parle la
langue, il y a cette chose que l’on appelle le nunchi qui est très importante en Corée. Le con-
flit direct étant souvent évité, de nombreuses choses restent implicites [unsaid], ou plutôt dites
d’une manière fortement sous-entendue pour les locaux, mais que les étrangers peuvent avoir
du mal à percevoir et à comprendre dans leur totalité. ». De plus le niveau de langue et la ca-
pacité à comprendre ce type de communication implicite de la part des étrangers est souvent
surévalués par les Coréens. En réalité, il est difficile pour les Coréens de jauger du niveau de
langue d’un étranger. Le pourcentage d’étrangers présent sur le territoire et maîtrisant le co-
réen étant extrêmement faible, le sentiment d’infériorité face à l’occident qui suggèrent sou-
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vent aux Coréens le désintérêt de leur langue à l’Ouest, la croyance très forte en l’extrême
spécificité de leur culture, plus l’ouverture encore récente du pays font parfois croire aux Co-
réens qu’un occidental parlant quelques mots de leur langue, ou étant en cours
d’apprentissage de cette dernière, la maîtrise parfaitement. Eh oui, car si l’étranger n’est pas
« comme eux », alors il est « comme nous » et fait partie de notre groupe Corée, et doit donc
en maîtriser la langue.
Si l’apprentissage de la langue est une chose, la maîtrise en sera une tout autre et né-
cessitera de longues années d’observation et d’efforts. Romain Diboine (français, SAQ De-
sign), commente : « Je pense que l’intégration considérée comme “totale” dépend en grande
partie des compétences linguistiques, et qu’il faut plusieurs années pour y arriver. » Car effec-
tivement, la langue n’est pas facile à apprendre. La principale difficulté réside dans la pléthore
de façons d’exprimer une idée selon la personne en face de soi. Selon Philipe Jour-
dain (français, Hyundai-Kia Motors) : « En coréen, il y a environ 8 façons de s'adresser à
quelqu'un pour lui témoigner son respect, que la personne soit un ami, un collègue, quelqu'un
de proche, mais de plus âgé, un membre de la famille plus jeune/plus âgé, une vieille personne,
etc. Cette réalité pèse lourd dans la société et elle stresse indirectement les employés pour qui
il faut souvent en « rajouter » pour ne pas que le « senior » « perde la face » ou se sente insul-
té. »
Pour Nicolas Piccato (franco-italien, PDG de Panda Media, filière de TV5 Monde),
c’est très clair : « Travailler en Corée suppose de parler coréen, et d'accepter, ne serait-ce que
provisoirement au début, le système de fonctionnement coréen. Il continue d'arriver des expa-
tries grassement payes qui ne s'intègrent pas et ne s'y intéressent pas, mais toute une partie de
leur activité leur échappe. »
Mais apprendre ou même maîtriser la langue présente-t-il uniquement des avantages ?
Philippe Jourdain (français, Hyundai-Kia Motors) poursuit : « En Corée, parler couramment
le coréen peut avoir ses avantages, mais aussi d'énormes inconvénients. Avantages, car cela
facilite l'intégration, la communication et la compréhension de tout ce qui se passé au sein de
l'entreprise et de l'équipe, mais désavantages aussi dans le sens ou parler coréen, c'est "être
coréen" aux yeux des employés coréens. Et "être coréen" signifie "être traité comme tel". »
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b. Intégration, assimilation et abnégation
Aussi peut-on se poser la question suivante : le modèle d’intégration en Corée en est-il
vraiment un ? Ne serait-il pas plus juste de parler d’assimilation ? Thierry Berno, jeune di-
plômé vivant à Séoul occupe un poste de manager dans un restaurant italien dans un quartier
chic de la capitale après plusieurs expériences de travail dans des entreprises coréennes. Pour
lui, la réponse semble évidente : « Je ne pense pas qu'on puisse parler de modèle d'intégration,
c'est un modèle d'assimilation pur et simple. En gros c'est, la Corée tu l'aimes ou tu la quittes.
A partir de là, c'est pareil au niveau professionnel, même si tes coéquipiers te font parfois des
fleurs, les clients ne t’en feront pas donc tu n’as pas vraiment le choix. »
On peut en effet dans une certaine mesure parler d’un modèle assimilatif.
L’assimilation culturelle se caractérise par l’abandon au moins apparent de la culture
d’origine afin d’embrasser la culture d’accueil. Dans de nombreuses occasions, lorsqu’on tra-
vaille dans un contexte coréen, il faut parfois mettre dans une certaine mesure sa culture du
côté, mais il s’agit aussi parfois de bon sens. L’esprit cartésien typiquement européen ou uni-
versaliste typiquement américain (une règle s’applique à une multitude de situations) seront
par exemple mis à rude épreuve dans des situations où pour sauver la face d’un supérieur, il
faudra avouer une faute personnelle pourtant inexistante, par exemple.
Mais quelle est la limite de cette assimilation ? N’est-il pas au final dommage
d’oublier son identité pour embrasser totalement la culture d’accueil. Dans le cas qui nous
intéresse, une certaine xénophilie peut apparaître pour les étrangers « blancs » en Corée.
Comme son nom l’indique, la xénophilie est l’attrait pour tout ce qui est étranger. Dans le
contexte qui nous intéresse, le danger est présent, d’une part parce l’on sera perpétuellement
récompensé de sa « coréité » factice et imitée. D’autre part, la Corée en général peut rapide-
ment devenir extrêmement séduisante par différents aspects : rapidité et qualité des services,
discrimination positive envers les étrangers « blancs » donc, divertissement pléthorique et
illimité, coût de la vie plutôt bas, etc. Tout cela offre un contexte favorable à l’oubli de la cul-
ture d’origine, quoique bien sûr, cela dépende du quotidien passé de chaque sujet. Nicolas
Piccato (Franco-italien, PDG de Panda Media, filière de TV5 Monde) commente : « Pour le
reste, pour quelques-uns qui veut tirer le maximum de son travail, de son projet, des gens avec
qui il travaille et de lui-même, oui [s’intégrer est nécessaire]. Par contre, il n'en demeure pas
L’intégration des nouveaux migrants occidentaux en territoire de travail coréen
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moins qu'il faut garder de la distance, je pense, et ne pas abandonner son identité pour une
autre qui n'est pas la sienne, ce que l'on voit souvent. »
Se fondre totalement dans le moule coréen présente donc le risque de réduire à peau de
chagrin la valeur ajoutée même qu’on offrait à l’origine. Tout cela étant un problème de per-
ception, comment imposer ses idées créatives dans le contexte ultrahiérarchique coréen quand
on est perçu comme un employé comme les autres ?
Seo Jae-woo (Franco-coréen, anciennement employé chez Samsung France), dont
nous avons déjà parlé est un sujet paradoxalement très intéressant, puisqu’il n’est pas stricto
sensu, un étranger, au moins aux yeux des Coréens. Arrivé à l’âge de 6 ans en France, il a
grandi en France en recevant une éducation coréenne de la part de ses parents. Il est l’exemple
parfait de ces individus biculturels, ayant une compréhension parfaite de deux cultures. Il
commente « Comme je suis coréen d’apparence, je me suis souvent retrouvé dans des situa-
tions où l’on essayait de profiter de ma position et de mon âge inférieur, lors de négociations
notamment. Dans ces cas-là, je suis souvent assez ferme. En amont, j’essaye souvent de leur
donner des signes pour leur montrer que je ne suis pas tout à fait un coréen comme les autres,
en faisant des blagues un peu plus osées que la moyenne par exemple. Je pense que c’est im-
portant pour que mon apport et ma particularité ne s’effacent pas ».
Aussi, s’intégrer totalement, c’est accepter les dures lois du monde du travail coréen,
régi par la dictature de l’effort volontariste dont nous avons déjà parlé auparavant. On
s’expose en effet à de longues nuits de travail, Marie Evelyn Frenette (Canadienne, Unicess
Group), n’est pas épargnée par cette culture, elle commente : « Si il y a une deadline pour le
lendemain, il est considéré comme acquis que tous les employés restent sans qu’on leur de-
mande même leur avis, qu’on les paie plus, ou qu’on les remercie. Une fois, il m’est arrivé de
finir à 9h le lendemain matin. Je suis rentrée chez moi pour me reposer et suis revenue à 13h.
Mon patron, lui, ne s’est accordé aucun repos et est allé directement rencontrer un client sans
avoir dormi. » Philippe Jourdain (Français, Hyundai-Kia Motors) n’est pas non plus épargné :
« J'arrive ici tous les matins vers 7h20 et je quitte le bureau vers 18.30. Cela parait énorme,
mais c'est probablement en dessous de la moyenne quotidienne de l'employé lambda ici. »
Quant aux jours de congé, pas non plus de traitement spécial : « Je ne me suis jamais réelle-
ment fait réprimander pour une faute en particulier, mais peut-être pour un retard le matin
(très mal vu en Corée) ou lorsque j'ai voulu prendre des jours de congé (très difficile, même
pour les vacances). En Corée, la plupart des gens ne prennent leurs congés que lorsqu'ils sont
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très malades ou lorsqu'on leur a conseillé de le faire. Le reste du temps, prendre un jour de
congé c'est comme abandonner ses collègues ou l'entreprise. Pour se rassurer, on se dit que
cette réalité est la même pour tout le monde dans l'entreprise, mais il est vrai que pour des
étrangers vivant loin de chez eux, de leur famille, c'est beaucoup demander. »
Une culture qui atteint son apogée dans le milieu de la télévision, que j’ai moi-même
pu entrevoir, car les deadlines y sont quotidiennes. Lee Sang-bin, réalisateur pour de nom-
breuses chaînes m’a confié « Lorsque j’étais jeune, au début des années 1990, j’étais le mak-
nae sur les plateaux [maknae : le cadet, dans une équipe de travail], certaines semaines pas-
saient sans que je puisse avoir une seule vraie nuit de sommeil. Mais je le faisais, car c’était la
norme, et maintenant d’autres jeunes ont pris ma place. » Cette culture Han Ye-seul, l’a subi
de plein fouet en Août 2011 lors de l’affaire Spy Myung-wol. Née Leslie Kim à Los Angeles
en 1981, elle se lance dans une carrière d’actrice au début des années 2000. En 2004, elle est
naturalisée coréenne. Cela ne saurait cependant effacer son background culturel américain. Le
14 août 2011, elle décide de ne pas se rendre sur le tournage de la série télévisée Spy Myung-
wol, dont elle tient le rôle principal. On apprend même qu’elle a fui aux États-Unis. En Corée,
les séries télévisées sont tournées sur le vif, et montée parfois quelques heures avant leur dif-
fusion, pour être le plus au fait possible des réactions des téléspectateurs et apporter des modi-
fications aux scénarios. Pour les acteurs, cela implique des cadences de travail parfaitement
infernales. Le site coréen Donga News rapporte que l’actrice ne dort qu’une ou deux heures
par nuit depuis plusieurs semaines, et qu’elle avait pris la fuite du fait d’une fatigue quasi
morbide. Le tournage prenant effectivement du retard, les spectateurs ont le droit à un pro-
gramme de remplacement quelques jours plus tard. Convaincue de revenir en Corée par les
producteurs de la série, Han Ye-seul fait des excuses publiques à l’aéroport, le 18 août, ayant
fait perdre la face à toute une profession. Elle maintient cependant que ce qu’elle a fait était
juste, ce qui lui vaudra de nombreux commentaires insultants sur les forums de l’internet co-
réen. On s’expose donc à de nombreux heurs interculturels que vont rapidement poser la dis-
tance entre la perception (qu’auront les Coréens du sujet) et l’identité réelle (du sujet), comme
l’illustre cet exemple.
Dinesh Blanvillain (franco-coréen, Technical & Sales Engineer, Gravotech Group Ko-
rea), né d’une mère coréenne et d’un père français, porte sur son visage les traits caractéris-
tiques des deux pays. Il est donc un sujet particulièrement intéressant dans le commentaire de
cette problématique de perception : « Mes origines Franco-coréennes ne m’ont pas été un
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point fort au début. Lors des réunions avec des Coréens si je proposais des idées, des plans on
m’écoutait peu et certains clients m’ont fait la remarque suivante : « Qui c’est celui-là ? ». Je
savais qu’en Corée les personnes avec peu d’expérience comme moi devaient dans ce con-
texte, ne pas parler et seulement écouter et prendre des notes. Mais ayant des origines fran-
çaises et étant dans un groupe français, je pensais que les Coréens allaient me considérer
comme tous les étrangers et me respecter sans distinction d’âge ou d’expérience. Or cela n’a
pas été le cas, cependant, de par mes origines, certains Coréens me voyaient comme étant
étranger, d’autres au contraire me considéraient comme un Coréen. Fort heureusement après
quelques explications et le soutient de mon maître de Stage j’ai pu m’intégrer assez vite au
sein du Groupe, auprès de mes clients et partenaires. J’ai su donc m’adapter à ce genre de
situation et équilibrer les rapports entre moi et les clients, partenaires et collègues. »
Je me permets de narrer une anecdote, personnelle cette fois-ci, pour illustrer une nou-
velle fois ce problème. Elle pourra paraître particulièrement triviale, mais est oh combien ré-
vélatrice des conflits qui pourront naître de ce fossé, et après tout, il est toujours bienvenu de
prendre un exemple simple et concret pour en tirer des conclusions. Pendant l’été 2010, j’étais
stagiaire assistant de production sur le tournage d’un film coréen au Royaume-Uni. Le film
avait un budget relativement modeste et nous tournions d’ailleurs parfois sans autorisation.
Une après-midi, alors que nous tournions dans l’aéroport de London City, nous fûmes chargés
avec l’assistante locale anglaise (non coréanophone) par mon supérieur direct d’aller acheter
des repas (sandwich et boissons) pour l’ensemble de l’équipe. Nous nous affairons donc à
faire le décompte de l’équipe sur place. L’assistante locale et mois comptons 14 personnes.
Mon supérieur compte lui 15 personnes. Nous recomptons de notre côté 14 personnes. Le ton
commence à monter, car mon supérieur perçoit mon zèle pour la recherche de la vérité
comme une contestation de son ordre et un affront à la confiance qui existait entre nous. Je
décide donc de me taire et pars avec l’assistante locale acheter tous ces sandwichs. Au mo-
ment de l’achat, nous reparlons de ce qui vient de passer. Après tout nous étions d’accord sur
le décompte, et si nous n’achetons que 14 repas, personne n’y verra rien puisque nous étions
effectivement 14, et puisque chaque « penny » compte, autant économiser jusqu’au bout.
Nous achetons donc 14 repas. Aux abords de l’aéroport, tout le monde se réunit pour le repas.
Nous avons disposé le tout sur un banc, et alors que nous étions affairés à autre chose, mon
supérieur avait procédé à la distribution. De retour sur les lieux, le constat tombe : il manque
un repas. C’est alors l’humiliation. Devant toute l’équipe, j’ai le droit à des remontrances en
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bonnes et dues formes. Après tout, il m’avait donné l’ordre d’acheter 15 repas. Si nous
sommes effectivement 14, c’est alors qu’un membre de l’équipe un peu plus gourmand a eu le
droit à un deuxième repas. Le ton monte de plus en plus, ma vision cartésienne des évène-
ments est perçue comme un terrible affront. En réalité, il y a effectivement 14 personnes sur
les lieux, et une personne a effectivement demandé un repas de plus à mon supérieur. Mais
pour lui, cela impliquait de rester discret pour ne pas faire perdre la face à la personne ayant
émis cette requête (son propre supérieur), et c’est ce qui a entraîné la formulation d’un ordre
basé sur des prémisses certes mensongères, mais dont le choix est parfaitement valide dans un
contexte coréen (prise en compte de la culture du « face-saving » ; supposition de l’exécution
de l’ordre purement, simplement et rapidement par les employés « du dessous », en
l’occurrence moi, etc.).
Il s’agissait de ma première expérience professionnelle dans un contexte totalement
coréen. En amont, j’avais fait le plus d’efforts possible pour être perçu comme un membre à
part entière du groupe, tendant donc vers l’assimilation. Cet exemple, choisi parmi tant
d’autres dans mon expérience, nous apprend que dans le cadre qui nous intéresse, l’intégration
totale, ou assimilation n’est pas un choix tout à fait valide. Comme nous l’avons dit, on y per-
dra, dans un premier temps, une partie de sa valeur ajoutée. D’autre part, on s’expose à
d’inévitables conflits qui naîtront de la différence entre identités réelle et ostentée. Les vicissi-
tudes de la vie apportant chaque jour leur lot d’imprévus émotionnels, personne ne saurait se
prétendre parfaitement capable d’une abnégation totale quand surviendront ce genre de heurts.
Philippe Jourdain (français, Hyundai-Kia Motors) a lui aussi subi la loi imposée par la
culture d’entreprise et son type de communication. Il raconte « Deux semaines après mon
arrivée, je m'adressai à un collègue par son prénom comme il m'avait demandé de le faire. Il
avait été promu entre temps au rang d'Assistant Manager, et se plaignit à un Manager du fait
que je continuais à l'appeler de la même manière. Un soir, durant un repas d'équipe, je reçus
une véritable leçon de morale de la part de ce Manager. J'étais "freshman" et cet épisode mit
quelques semaines avant de cicatriser. » S’il reconnaît l’importance de s’intégrer notamment
par l’apprentissage de la langue, il nous met en garde contre la multitude de heurts communi-
cationnels que cela pourra entraîner : « Les Coréens ont souvent une bonne opinion des étran-
gers qui sont parvenus à intégrer leur entreprise. Ils savent que ce ne fut chose facile pour
nous, et apprécient les efforts que nous faisons pour nous adapter. Ils apprécient d'autant plus
le fait que nous essayons de parler leur langue. Cependant, parler coréen c'est ajouter des bar-
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rières qui n'ont pas forcément lieu d'être. Comme dit précédemment, la langue, contrairement
à l'anglais, créer des barrières hiérarchiques entre les personnes, et le fait de devoir s'adresser
à telle personne avec la formule qui convient rappelle que nous n'appartenons pas a la même
catégorie de personne. C'est pourquoi il est parfois difficile pour des étrangers ayant passé de
nombreuses années à l'étranger, dans un environnement professionnel plus tolérant en matière
de hiérarchie, d'accepter un tel changement. Certains étrangers parlant couramment le coréen
vous diront même qu'il est préférable de ne parler que l'anglais. »
Lors de ces heurts, la seule réaction viable semble être l’abnégation : « prendre sur
soi ». La relation à l’incertitude que nous évoquions peut elle aussi être le terreau de délicates
situations nécessitant une grande abnégation de la part de notre sujet. En Corée, pallier à
l’incertitude est rendu possible par la hiérarchisation de l’entreprise, et la culture volontariste
existant chez les jeunes employés. Je me permets une nouvelle anecdote pour expliquer mon
propos. Engagé sur la pré-production d’un blockbuster américain partiellement tourné en Co-
rée, j’étais le plus jeune membre de l’équipe, et malgré mon statut particulier, également con-
sidéré comme l’un des plus bas dans l’échelle hiérarchique. Comme nous l’avons déjà expli-
qué, les Coréens ont depuis le début de leur croissance un esprit revanchard sur l’histoire et
désirent montrer au monde qu’ils sont eux aussi capables du meilleur. Dans ce contexte, ce
désir était donc total, les États-Unis ayant l’industrie cinématographique la plus puissante du
monde, il fallait que tout soit prévu pour l’arrivée de l’équipe américaine (nous avions un res-
ponsable local américain, mais tout le reste de l’équipe était Coréenne). Un jour je me vis
donc déléguer une tâche par mon chef d’équipe. Une tâche qui non seulement me parut outra-
geusement longue et fastidieuse, mais d’une importance également toute relative. Après plu-
sieurs jours d’effort et alors que je finalisais mon travail, le directeur passa derrière mon écran.
Il me demanda ce que je faisais. Après l’avoir informé de la nature de la tâche, il me dit « Ah,
mais ne t’inquiètes pas pour ça, laisse tomber, ça ne sert à rien. » Mes craintes sur le manque
de l’utilité de la tâche se trouvèrent donc confirmées. La seule réaction dans ce genre de situa-
tions reste de contenir son mécontentement, on risque de faire perdre la face au donneur de cet
ordre (dans ce cas, mon chef d’équipe), l’expression de l’énervement des Occidentaux peut
parfois être très surprenante pour les Coréens, et de toute façon, dans ce contexte, rien de bon
ne pourra sortir des reproches que l’on pourra faire, du fait de l’absence de légitimité que l’on
a du fait de sa position hiérarchique dans le groupe
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On s’expose aussi comme tout étranger en terre inconnue et percevant encore mal les
intentions que lui manifestent les locaux, à de fâcheuses expériences, notamment lorsqu’il va
s’agir de profiter de ce même étranger. Laura Di Nucci (Italienne, freelancer RP et Marketing),
installée à Séoul depuis 4 ans, a travaillé quelque temps pour une agence média qu’elle décida
de quitter, supportant plus les mensonges de ses supérieurs concernant ses paiements :
« Quand mon patron m’a menti ouvertement et m’a trompé, j’ai explosé sans penser aux con-
séquences et j’ai démissionné. On m’a promis de me verser mes salaires manquants... Les
mois sont passés sans que je touche un centime. Finalement, j’ai dû me rendre à l’évidence, je
m’étais fait avoir. A l’époque, je n’avais plus de visa pour travailler, et ils le savaient parfai-
tement, et je pense qu’ils en ont profité. » Elle garde un goût plutôt amer de son expérience,
sur le choix de l’intégration, elle commente : « Je pense que le meilleur des choix, c’est de
s’intégrer jusqu’à un certain point, quelque part au milieu des « droits des travailleurs » et de
la « dictature totale ». J’avais fait tout mon possible pour m’intégrer et me faire accepter, mais
je ne pense pas que cela soit possible. Je suis différente et le resterai toujours. »
De plus si les Coréens acceptent et supportent dans leurs jeunes années profession-
nelles la pression hiérarchique et la culture de l’effort et de la douleur, c’est dans un système
coréen, où l’expérience leur permettra un jour de s’affranchir de cela. Aussi, pourquoi avoir à
subir cela lorsqu’on est étranger, et que, qui sait ce que nous réserve la vie, on se retrouve
quelques années plus tard, dans un autre pays ou dans son pays d’origine, à côtoyer des per-
sonnes d’une autre culture. Les efforts concédés n’auront alors pas eu toute leur raison d’être,
n’ayant pas atteint l’âge ou la position critique.
Marie Evelyn Frenette (Canadienne, Unicess Group), qui a fait le choix d’une intégra-
tion assez marquée commente : « Travailler dans les mêmes conditions que les Coréens signi-
fient aussi salaire réduit et heures supplémentaires. Mais j’ai choisi de travailler dans une en-
treprise où je suis la seule étrangère pour l’expérience et ma carrière à plus long terme. Si les
jobs « pour les étrangers » paient plus, ils manquent aussi de challenge sur le plan personnel.»
Aussi l’intégration tendant vers l’assimilation s’il peut aussi être un choix de
l’expérience, ne semble pas être valide sur le long terme. Travailler avec les Coréens et
comme eux pour mieux les cerner pour de futurs postes où l’on tentera d’affirmer plus sérieu-
sement sa valeur ajoutée, en d’autres termes.
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Concernant le problème lié au fait d’être une femme en entreprise coréenne, les étran-
gères semblent pouvoir y échapper. Selon Marie Evelyn Frenette (canadienne, Unicess
Group) : « Je pense que les femmes étrangères sont souvent plus appréciées que les
hommes ». Elle explique cela par les clichés propres aux hommes occidentaux en Corée, no-
tamment le plus populaire, à savoir que l’homme blanc est un prédateur sexuel à la recherche
de femmes coréennes, cliché entretenu souvent entretenu par les médias.
c. Trouver le juste milieu
Dans ce cas, quel est le bon choix ? Il est difficile de rendre compte de ce qui pourrait
être le meilleur choix d’intégration. Il faut s’intégrer, mais jusqu’à un certain point. La ques-
tion de savoir où se situe ce point ne saurait trouver une réponse satisfaisante ici, chaque sujet,
chaque entreprise, chaque situation étant uniques. Cependant, cette conclusion révèle une ten-
dance à adopter. Marie Evelyn Frenette (Canadienne, Unicess Group), commente : « Le choix
se situe en fait dans le fait d’essayer ou non ». Il faut essayer, et surtout montrer que l’on es-
saye de s’intégrer. C’est de cette manière que l’on se fera apprécier des Coréens (nous avons
évoqué les raisons auparavant). Essayer semble suffisant pour au moins passer la porte du
« ingroup ».
Ne pas faire ce choix d’essayer peut exposer à de fâcheuses conséquences. Toutes mes
recherches m’ont orienté vers la compréhension qu’en Corée, la responsabilité d’une faute
était le plus souvent partagée par le groupe, la Corée étant une société collectiviste de la honte
et non de la culpabilité (voir seconde partie). Cela a été par ailleurs confirmé par les personnes
interviewées dans le cadre de la recherche. Or, j’ai eu la surprise de relever ces propos de la
part de la part d’un des sujets interrogés : « Quand un problème survient, les Coréens au lieu
de chercher à le résoudre cherchent un responsable qui prendra tout sur lui. » Je ne saurais
juger et dire si ce sujet en particulier a fait le choix de s’intégrer de manière plus ou moins
marquée dans son entreprise, quoi qu'il en soit son ressenti très éloigné de la réalité de ce que
vivent les Coréens chaque jour nous montre qu’un traitement très différent a eu lieu dans son
cas de la part de son environnement de travail.
Nous avons souvent décrit les caractéristiques du monde du travail coréen sous l’angle
de la constatation des difficultés que pourraient poser leur particularité pour un nouveau mi-
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grant occidental. Si les défauts étaient donc proportionnellement plus mis en relief, il ne faut
pas oublier que c’est le système coréen est un système tout à fait complet, et qu’il présente
aussi de nombreux atouts.
Selon Marie Evelyn Frenette (canadienne, Unicess Group), « Une fois que les Coréens
vous ont accepté, vous aurez un sentiment de famille au travail. Les membres d’une famille se
soutiennent, et font tout pour s’entraider dans les moments difficiles. Ainsi, même si les ho-
raires sont durs et le salaire insuffisant, c’est supportable de travailler ici. »
Philipe Jourdain (français, Hyundai-Kia Motors), qui m’a lui aussi confié ses difficul-
tés à travailler dans un contexte entrepreneurial coréen, ne minimise cependant pas son appré-
ciation du travail « à la coréenne » : « Travailler en Corée n'a rien de simple, mais sur le long
terme, c'est une expérience extrêmement enrichissante, car on se rend compte à quel point tout
ce monde pousse le pays vers le haut en faisant tout son possible.» Ainsi, si l’on pourrait pen-
ser que ces images d’Épinal de l’employé asiatique se tuant à la tâche, souvent montrées de
manière très vulgarisée à la télévision française, sont autant de témoins de caractéristiques
culturelles intransférables sur un employé de culture occidentale, cela serait mépriser les
avantages d’un système où on peut se sentir en entreprise comme chez soi, et où le bouillon-
nement volontariste galvanise les esprits et les humeurs.
D’autre part, une fois que l’on atteint un poste de direction, on profite également de la
disponibilité et du volontarisme de ses subordonnés. Nicolas Piccato (Franco-italien, PDG de
Panda Media, filière de TV5 Monde) se dit « impressionné » par le système de hiérarchie ver-
ticale mis en place par ses subordonnés coréens. Aussi, s’il relève parfois une certaine précipi-
tation au travail du fait de la culture de l’effort volontariste et du ppalli ppalli, il en apprécie
également les avantages : « La ténacité serait la différence principale [entre les pratiques au
travail en Europe et en Corée]. Et une certaine forme de responsabilité aussi. Il y a quelque
chose à faire, donc on le fait, point. Par contre, le facteur vitesse (un mail arrive on répond,
puis on vérifie avec le chef, on a mal fait parce qu'il manquait une information, on recom-
mence) est préjudiciable aux Coréens. Et c'est un facteur qui est très difficile dans les relations
avec l'Europe. Par contre cette ténacité que je mentionnais est quelque chose de rarement vu
en France ou en Italie, « on s'accroche et on finit », une mentalité qui me manquerait certai-
nement en Europe. (…) les choses vont en général avancer vite et ne pas être oubliées en
route ».
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Aussi, le réseautage est facilité par le sentiment de jeong, et de mon expérience, il m’a
semblé aisé de déclencher ce sentiment chez les différents professionnels rencontrés, particu-
lièrement en montrant son intérêt pour la culture et en échangeant en langue coréenne. Il me
paraît difficile, voire impossible de réseauter en Corée sans faire d’efforts d’intégration.
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Conclusion
La Corée, aujourd’hui 11e économie mondiale et continuant sur la lancée de la crois-
sance économique la plus rapide de l’histoire récente, est une terre de culture pluricentenaire.
Le confucianisme, mais aussi les douloureux évènements du siècle dernier (colonisation japo-
naise, guerres), ont façonné l’organisation et les pratiques de ses entreprises de manière parti-
culièrement marquée.
Ainsi, si aujourd’hui de nombreuses opportunités s’offrent au nouveau migrant occidental
en Corée, leur réussite et leur épanouissement dans un contexte entrepreneurial dépendront
essentiellement du choix qu’ils feront quant à leur intégration. Mes recherches m’ont amené à
la conclusion que, malgré la nécessité évidente de s’intégrer jusqu’à un certain point, il faudra
maintenir une image fidèle à son identité. D’une part, l’intégration est dans ce contexte cultu-
rel particulièrement longue et ardue. D’autre part, ostenter de manière trop zélée une « coréi-
té » factice entraînera irrémédiablement de fâcheuses conséquences, les systèmes organisa-
tionnels et communicationnels occidentaux et coréens étant différents jusqu’à l’opposition.
N’oublions également pas qu’une intégration tendant vers l’assimilation pourra empêcher
l’expression de la valeur ajoutée originelle du sujet.
Le juste dosage, le juste point jusqu’auquel s’intégrer, il est difficile de le connaître,
chaque sujet, chaque situation étant propres. Il semble cependant évident que faire montre de
sa volonté de s’intégrer est un minimum dans le contexte qui nous intéresse. Malgré ses parti-
cularités parfois difficilement acceptables pour l’employé occidental, le système coréen est
complet et présente aussi ses avantages : réseautage aisé, sentiment de famille au travail,
énergie bouillonnante et volontarisme des employés, etc. Il reviendra à chacun de faire le
choix ou non de l’abnégation pour profiter de ces avantages.
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